TRANSFORMATIONS NUMERIQUES : POUR UNE SOCIETE CREATIVE ATELIER 3 – CITE NUMERIQUE
Document de travail L'internet et le téléphone mobile n'ont certes pas produit à eux tout seuls le "Printemps arabe", mais ils y ont puissamment contribué. Les seules images dont nous disposions des premières manifestations tunisiennes, comme encore de celles de Syrie, ont été prises à l'aide d'appareils mobiles et partagées en ligne. Les réseaux sociaux et les SMS ont aidé les "journées de la colère" à s'organiser et les activistes à trouver des relais, à l'intérieur comme à l'extérieur de leur pays. Les témoignages issus du terrain passaient par les blogs ou par Twitter. Plus tard, jusqu'à ces dernières semaines, un jeune secrétaire d'Etat tunisien, qui s'était d'abord fait connaître en permettant à ses amis de le géolocaliser après son arrestation par la police de Ben Ali, tentait de rendre compte au fil de l'eau de son expérience ministérielle. Nous avons suffisamment tendance à donner des leçons à nos voisins du Sud pour ne pas bouder notre plaisir lorsque le message circule dans l'autre sens. Les citoyens tunisiens, égyptiens, syriens, ont fait du numérique l'un de leurs outils pour déstabiliser leurs institutions figées, pour remettre leur société en mouvement, pour reprendre le contrôle de leur destin. Nous devons tirer parti de leur exemple. On aura aussi raison de rappeler que les autorités de ces pays ont aussi su bloquer ou contrôler l'internet, qu'en Syrie ou en Iran elles deviennent aptes à se servir des mêmes moyens pour identifier, voire pour piéger leurs opposants. Nous voici face à la complexité du "fait numérique", facteur majeur de nos transformations contemporaines, que nous devons prendre en compte non plus à la périphérie, mais au cœur de nos objectifs politiques.
1. Le numérique comme force de transformation sociale Pour y parvenir, nous devons comprendre le numérique comme un fait de société et non comme un phénomène technique. Ça ne va pas toujours de soi. Une approche purement technicienne du numérique, sans objectifs politiques autres que comptables ou administratifs, a fait du dossier médical le monstre bureaucratique que nous connaissons aujourd'hui. Censés faire entrer la pratique du numérique à l'école, les "Espaces numériques de travail" se sont transformés en émetteurs massifs de SMS pour prévenir les parents d'un retard de leur enfant, plutôt qu'en facteur de changement. Dans les entreprises, voire dans les services publics, l'expérience du numérique par les salariés est souvent celle d'un contrôle tatillon, d'une sollicitation permanente y compris en dehors des heures de travail, de la bureaucratie du "reporting" et d'un stress sans cesse accru. Pour les clients et usagers, enfin, l'expérience du numérique oscille entre la commodité des services en ligne, l'absurdité de procédures informatiques inadaptées aux situations réelles et la frustration face à des "centres d'appel" de plus en plus déshumanisés, tant pour ceux qui les appellent que pour ceux qui répondent. Il peut, il doit en aller autrement. Le numérique et la mise en réseaux peuvent devenir de formidables outils de transformation sociale et de participation démocratique. Cela se passe aujourd'hui sur le terrain, au quotidien, mais d'une manière parcellaire, souvent dissociée d'une action publique qui s'en méfie. Pour changer cela, nous devons :
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Faire en sorte que le développement des outils, des services et des pratiques numériques inclue tous nos concitoyens, y compris ceux qui n'ont pas la capacité, voire la volonté de s'en servir de manière active ;
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Prendre au sérieux les forces qui portent ces changements, celles qui nous donnent Wikipedia, les réseaux numériques grâce auxquels des personnes atteintes d'une maladie chronique s'aident à vivre, les innovateurs de l'éducation, ou encore les entrepreneurs sociaux qui produisent des plates-formes au service d'une alimentation biologique produite localement…
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Avoir une réelle volonté politique d'utiliser le numérique pour transformer les voies de l'action politique, ainsi que sa relation avec les énergies de la société.
C'est ce que le Parti Socialiste explore dans son projet, ainsi qu'au travers de la contribution "Une société créative, pour tous". 2. Un défi pour les institutions… et pour les acteurs du numérique Dans ce cadre, le défi ne concerne pas seulement les acteurs politiques, les institutions politiques et les appareils administratifs. Ceux-ci doivent changer. Mais le changement concerne aussi les acteurs et les innovateurs du numérique. Trop longtemps, ceux-ci se sont contentés de clamer l'importance de leur secteur et de se plaindre de l'indifférence des politiques. Ils se sont focalisés sur des objectifs quantitatifs, ou sur la numérisation à tout prix de l'e-administration, l'e-éducation, l'e-santé… Or, si nous n'y prenons pas garde, une administration numérisée peut s'avérer plus inhumaine encore que l'ancien hygiaphone, une éducation "assistée par ordinateur" plus excluante encore que celle d'aujourd'hui. Les acteurs du numérique, ceux qui inventent et expérimentent les technologies et les services innovants d'aujourd'hui et de demain doivent aussi assumer leur responsabilité vis-à-vis de la société : celle, en particulier, de réfléchir au sens des changements qu'ils provoquent, et de s'assurer que le potentiel qu'ils libèrent concerne vraiment le plus grand nombre. C'est ainsi que : •
Nous travaillerons, à l'échelle européenne, tant avec les régulateurs qu'avec les professionnels et les chercheurs, à faire progresser la question de l'accessibilité des technologies et des services aux handicapés ; à réduire la consommation énergétique et le bilan carbone des systèmes électroniques (ce qui commence par en prolonger la durée de vie) ; ou encore à évaluer d'une manière enfin sérieuse l'impact sanitaire des ondes électromagnétiques et des nanoparticules.
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Nous développerons et étendrons (sur la base de ce que nous faisons déjà à l'échelle locale, le plus souvent sans aucune participation de l'Etat) les actions qui visent, non seulement à réduire la "fracture numérique", mais plus encore à combattre l'ensemble des fractures sociales à l'aide des outils numériques : des espaces numériques ouverts à tous, un soutien aux associations et aux travailleurs sociaux, ainsi que la recherche de solutions originales telles que celles qui permettent aux sans-domicile de disposer en ligne d'une adresse et d'un numéro de téléphone, ainsi que de moyens de conserver leurs documents essentiels, d'accéder à leurs droits ou de chercher du travail.
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Nous soutiendrons tous les formes d'innovation numérique, c'est à dire à la fois l'innovation économique et l'innovation sociale, celle qui cherche à répondre à des besoins sociaux et dont le profit n'est pas la motivation première.
3. Tous les domaines de l'action publique sont concernés Mais d'une manière plus large, nous explorerons dans tous les domaines de l'action publique les moyens de chercher dans le numérique, des voies nouvelles pour atteindre des objectifs collectifs. Nous invitons ainsi tous ceux pour qui, aujourd'hui, le numérique est à la fois le métier, l'aspiration, la source d'inspiration ou le lieu de militance, à identifier avec nous ces voies nouvelles. Pour ne prendre que quelques-unes des priorités fortes du "Projet socialiste pour le changement" : •
Comment le numérique peut-il contribuer à une sécurité et une progression professionnelle tout au long de la vie, indépendamment des discontinuités qui marqueront la majorité des carrières professionnelles ? Et comment le faire d'une manière qui enrichisse la capacité de chacun de faire son propre bilan professionnel, de choisir ses évolutions, de présenter ses compétences auprès de différents interlocuteurs, de valoriser ses activités autres que strictement professionnelles… ?
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Dans la ville du XXIe siècle, que nous voulons plus vivante et plus inclusive, comment la technologie aidera-t-elle à recréer de nouvelles formes de lien, de proximité des services publics (voire privés) ? Comment facilitera-t-elle la co-conception et la co-production des services essentiels avec les habitants, au plus près des besoins réels ? Comment aidera-t-elle à partager des connaissances, des projets, des événements ? Comment développera-t-elle la capacité de chacun à participer aux choix qui concernent son quartier ou sa ville ?
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A l'école ou à l'université, comment reconnaître et valoriser la multitude des expériences qui, aujourd'hui, s'appuient sur le numérique pour proposer une pédagogie plus en phase avec son époque et plus proche de ce que les jeunes vivront par la suite ? Aujourd'hui, les innovateurs de l'Ecole s'épuisent faute de reconnaissance et de soutien.
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Dans la santé, pour les personnes âgées dès lors qu'elles ont besoin d'aide, la politique de comptable du gouvernement se satisfait de remplacer le lien par des robots et des capteurs. Sans négliger le potentiel de la télémédecine, nous chercheront d'autres voies plus humaines, dans lesquelles la technologie se met aussi au service du lien avec les proches, les amis, le voisinage, le territoire. La société du respect commence par les plus fragiles ; la technologie doit se mettre au service de la résilience, plutôt que de la mise sous tutelle des personnes par un système implacable.
4. Une société créative, pour tous On le voit, nous proposons des réponses, mais nous choisissons aussi de laisser certaines questions ouvertes, tout en fixant des buts. C'est aussi de cette manière que nous concevons la volonté politique dans une société qui, notamment du fait du numérique, a changé. Nous la nommons "société créative", et nous souhaitons qu'elle s'adresse à tous plutôt qu'à une petite élite. Qu'est-ce qu'une société créative ? C'est une société qui donne à chacun la chance, non seulement de construire son propre destin, mais aussi d'agir pour le bien commun. C'est une société qui invente sans cesse des idées neuves pour répondre aux aspirations des de ceux qui la composent, et aux défis auxquels elle fait face. Dans ce but, elle s'appuie sur toutes les énergies, toutes les imaginations : celles des entrepreneurs, des militants associatifs, des chercheurs, des salariés du privé comme du public, des artistes, des retraités… et au-delà, de tous les citoyens. Et surtout, elle ne les laisse pas seuls. Une société créative facilite l'expression et l'échange des idées, les collaborations de tous types, les expérimentations et leur analyse. Elle soutient les initiatives les plus fécondes, elle étend les expériences qui marchent.
Une politique de gauche pour une société créative doit s'appuyer sur le désir et la capacité d'un nombre croissant de citoyens de devenir acteurs de leur présent et de leur avenir : de produire localement la réponse à des besoins locaux ; de coproduire des services et des biens publics ; de mettre en œuvre des solidarités locales ou globales ; d'oser formuler et expérimenter des idées neuves… Vouloir cela ne signifie pas placer l'action publique en situation de spectateur et d'accompagnateur. L'intervention publique est indispensable pour fixer des ambitions, proposer des objectifs, créer ou soutenir les "écosystèmes" d'innovation ouverte, développer et protéger les "communs". Elle doit à la fois impulser le mouvement, reconnaître ce que la société invente de riche, intervenir pour que personne ne reste sur le bord du chemin. Elle doit favoriser les échanges et les interconnexions, aider les initiatives les plus fécondes à s'appliquer ailleurs, voire à se généraliser. Elle doit aussi jouer un rôle de régulation et d'évaluation : toutes les innovations ne produisent pas des résultats bénéfiques, et ces résultats s'observent parfois a posteriori plutôt qu'a priori. Cette nouvelle posture de l'action publique ne concerne pas seulement la sphère numérique, loin de là. Mais nous constatons, par exemple à la lumière du printemps arabe, que le numérique est l'un des territoires, ou des outils, dont la société s'empare pour se transformer elle-même. Nous y voyons une chance. Nous faisons le choix de nous y engager.