/transformations-numeriques-droits-et-libertes

Page 1

TRANSFORMATIONS NUMERIQUES : POUR UNE SOCIETE CREATIVE ATELIER 2 – DROITS ET LIBERTES

Document de travail

1. Internet, une zone de tension Des usages différenciés. En quinze ans, nos rapports à l'information, à la culture et à la plupart des services que nous utilisons au quotidien ont été profondément modifiés par l’émergence d’Internet. Une fracture est sensible dans notre société entre, d'une part, les plus jeunes générations et les plus insérés dans la sociétés, qui savent tirer parti du numérique et des nouvelles possibilités qu'il offre, et d'autre part les personnes qui n’ont pas eu les moyens d’en anticiper les bouleversements technologiques et usagers. L'Internet n'est pas une zone de non droit. Directement concerné par la plupart des codes existants, il a également fait l'objet de régulations spécifiques - et parfois regrettables - comme les lois DADVSI, HADOPI ou encore certaines dispositions de la loi LOPPSI2. En revanche, le législateur n’a pas encore réussi à intégrer « par le haut » les tensions entre les différents droits (à l'accès, à la vie privée, à l'information, à rémunération, etc.) et Internet ne fait pas encore l’objet d’une jurisprudence solide. Réguler autrement. Internet n'est plus un espace distinct de la société. Mais il a encore ses dynamiques propres, qu'il nous faut bien comprendre avant de risquer de perturber un écosystème qui a jusqu'ici plutôt bien fonctionné sans intervention politique. À rebours de l'impuissance répressive qui a caractérisé la droite depuis 2002, nous ne devrons modifier le cadre juridique du réseau que d'une main tremblante, et après avoir organisé une large concertation avec l'ensemble de la société. Nous avions initié avec le «Forum des Droits sur l'Internet» une telle démarche. Il nous faudra la renouveler, en l'amplifiant. La protection de l'ouverture et de l'égalitarisme de l'Internet ne se fera qu'avec les internautes. 2. Droits d'accès à Internet, de s'informer, de s'exprimer et d'innover Garantir un accès symétrique au réseau et la neutralité du net. La distinction formelle entre créateur et public est largement caduque s’agissant de numérique. La symétrie de l’accès, i.e. la capacité pour chacun d'être non seulement récepteur mais également émetteur de services et de contenus, est donc devenue essentielle. La guerre au partage menée par certains gouvernements et notre difficulté à nous approprier pleinement les possibilités décentralisatrices de l'Internet ont conduit à une concentration de la diffusion de l'information et des services que nous ne pouvons accepter : il en va de notre dynamisme économique et démocratique. Après avoir accompagné la redéfinition du rôle de l'éditeur, nous devons accompagner celle du diffuseur, en garantissant le droit à un accès à l'Internet symétrique et respectant le principe de neutralité du net. Ce principe de neutralité devra être étendu aux autres maillons de la chaîne informationnelle. L'interopérabilité des matériels et logiciels, notamment, devra être garantie. Mais, trop souvent encore, la disponibilité du haut ou du très haut débit pose encore question. Alors qu'elle est aujourd'hui un critère déterminant de la domiciliation d'un particulier ou d'une entreprise, nous proposons une réelle politique d'aménagement numérique pour assurer l'égalité d’accès à ces réseaux. Le renouvellement des infrastructures fixe (fibre optique) et mobile (4G) sera financé par un


prélèvement sur les opérateurs privés, en stimulant leur investissements ou en le coordonnant via un opérateur public «France Très Haut Débit». Protéger un Internet libre et non filtré pour s’exprimer et s’informer. Les « révolutions arabes » ont souligné récemment, s’il en était besoin, l'importance d'un accès Internet libre et non filtré. Les libertés d'expression et d'information supposent, en plus du droit d'accès, une absence de filtrage et de bridage ainsi qu'un véritable droit à l'anonymat en ligne. D'après un article récent du Canard Enchaîné, la France est pourtant la championne d'Europe de la consultation par les services de police des traces laissées par les téléphones portables et l'accès Internet, loin devant ses voisins dont les services de police ne sont pourtant pas réputés moins efficaces. Reporters Sans Frontières a placé la France sous surveillance «en raison de l’adoption d’une législation prévoyant un filtrage administratif du Web, de la mise en place de la “riposte graduée” et de la défense par les autorités d’un Internet “civilisé” [et alors que] plusieurs médias en ligne et leurs journalistes ont connu une année 2010 difficile, victimes de cambriolages, de convocations devant la justice et de pressions pour identifier leurs sources.» Nous partons donc de loin après 10 ans de gouvernement de droite apeuré et répressif. Dans ce contexte, nous devrons notamment réviser les législations d'exception en matière de rétentions de traces instaurées après le 11/9/2001. Protéger et favoriser la capacité de chacun d’innover. Du fait du coût quasi-nul de son «ticket d'entrée», Internet est une formidable plateforme pour les innovateurs. La plupart des grandes innovations en ligne n'ont pas été développés par de grandes structures, publiques ou privées, mais par de nouveaux entrants. La puissance publique a un rôle particulier à jouer sur le plan économique vis-à-vis des entrepreneurs (cf. l’atelier 1) pour les protéger et créer un environnement favorable à leurs activités. Elle doit, en particulier, s'assurer de ne créer de taxe que sur les activités qu'elle peut adresser sans pénaliser les sociétés nationales ou européennes. Sur le plan juridique, il importe d'assurer la sécurité des innovateurs en ne pénalisant pas les technologies en tant que telles mais plutôt leurs usages et en n'imposant pas d'obligations disproportionnées et de nature à provoquer l'exil de société à l'étranger. Deux exemples de ce qu'il ne faut pas faire sont les dispositions de la loi DADVSI pénalisant la fourniture ou la promotion d'outils de contournement de mesures techniques de protection, ou encore le récent décret d'application de la loi de 2004 dite «sur la confiance dans l'économie numérique» relatif à la conservation des données privées qui impose de très larges obligations de rétention d'information aux hébergeurs et aux éditeurs de service français. L'ouverture et la co-production des données publiques est un enjeu essentiel. À la demande de transparence accrue de l'action publique doit correspondre un effort particulier de mise à disposition de ses données par le secteur public, de l'État aux collectivités territoriales, en passant par les grandes institutions publiques comme Météo France, l'IGN ou l'INSEE. Le droit d'accès aux données publiques doit devenir effectif. En matière d'accès et de réutilisation de ces données, la gratuité et l'autorisation pour tous usages doivent être le principe. Les restrictions d'accès ou de réutilisation des données publiques doivent être levées. Des licences types devront être rédigées en ce sens. L'Agence du Patrimoine Immatériel de l'État sera invitée à revoir sa politique en la matière. Mais ce que l'on appelle l'«Open Data» resterait une occasion manquée s'il ne concernait que le secteur public au sens le plus strict. Les délégataires de services publics, notamment d'eau et de transport, auront à s'engager dans ce mouvement, ainsi que tous les acteurs ayant un impact notable sur l'environnement. En stimulant la création d'applications tirant partie de ces données, nous nous engagerons résolument dans une logique de co-construction des services publics. 3. Droit à la vie privée, droit à l'oubli, droit à l'identité Internet a naturellement hérité de certaines caractéristiques du numérique, comme la copiabilité à un coût marginal nul et la persistance de copies parfaites. Les traces laissées en ligne ont donc une durée de vie potentiellement infinie, mettant à mal notre tradition française de droit à l'oubli, dont


certaines formes sont l'amnistie ou la prescription. Plus qu'une évolution juridique, c'est une évolution des comportements que nous appelons – et constatons – ici. Les plus jeunes générations ont, pour l'essentiel, appris à scénariser leurs activités en ligne et s'avèrent plutôt habiles dans la gestion de leur exposition publique. Les traces laissées activement en ligne par les internautes ne sont pas notre seule préoccupation. Les technologies d'écoute et d'interception (notamment de «Deep Packet Inspection») ont connu ces derniers temps des avancées rapides. Considérées pour certaines d'entre elles comme des armes de guerre, ces technologies ont pourtant été largement exportées, avec l'autorisation du premier ministre, dans des pays dont le caractère démocratique est pour le moins douteux, comme la Birmanie ou, plus près de nous, l'Égypte. Bien qu'encore très peu utilisées sur notre territoire national, ces technologies doivent faire l'objet d'une grande réflexion citoyenne. En tout état de cause, le respect des droits fondamentaux, dont notamment celui au respect à la vie privée, est un impératif non négociable. À l'évidence, des dispositifs juridiques trop détaillés seraient inadéquats tant les situations sont diverses. La subtilité des tensions surgissant entre les différents droits appelle ici l'intervention d'un juge. La création d'un «droit à l'oubli» générique semble donc opportune. Il obligerait tout éditeur à se poser la question de l'organisation de «l'oubli» des traces de l'utilisation de son service, à informer ses utilisateurs et à leurs proposer des outils permettant d'ajuster leur exposition. Ce serait, quelque part, une réaffirmation de la loi «Informatiques et Libertés» de 1978, qui impose une proportionnalité entre la rétention de données et l'objectif poursuivi. La CNIL devra, pour l'appliquer, voir ses moyens et ses prérogatives élargis. Les fichiers de police devront, notamment, faire l'objet d'une revue et d'un avis conforme. La CNIL sera ainsi renforcée dans son rôle de protecteur des libertés numériques. La question de l'identité est posée depuis longtemps dans la société de l'information. Clé de voute de l'accès sécurisé, en confiance, à de nombreux services, l'identité doit faire l'objet d'une attention toute particulière. Elle ne doit, en particulier, pas être l'occasion d'un fichage généralisé, ni d'un croisement avec les d'autres données sensibles sous prétexte, par exemple, de lutte contre le terrorisme. Le débat sur la manière de définir et de prouver son identité est encore plus ancien que la société de l'information. La prééminence de "l'identité papier" et le développement d'une confiance forte dans des documents comme le passeport et la carte d'identité est relativement récent. Nous souhaitons réaffirmer notre bonne connaissance de la faillibilité de tout moyen technique de prouver son identité. Aucun système, aucun code n'est inviolable et une confiance exagérée n'est porteuse que de problèmes, notamment en cas d'usurpation. La définition et la protection de son identité (ou de ses identités) reste une question humaine à laquelle une règle unique ne peut apporter une réponse insatisfaisante. L'usurpation d'identité, notamment, n'a pas les mêmes conséquences selon qu'elle vise à salir un ex-époux ou à souligner un trait d'un homme public. Plutôt qu'une condamnation sans nuance de cette usurpation, nous nous attellerons à rendre passible poursuites les conséquences fâcheuses qui ne le sont pas encore. La tension entre les droits appelle, comme en bien d'autres domaines, l'intervention d'un juge et la définition d'une jurisprudence. 4. Droit pour les créateurs d'être rémunérés Mettre fin à la guerre au partage. Une des principales «lignes de front» de ces dernières années aura été le droit d'auteur. Confrontée à une profonde mutation de nos manières de consommer et de (co)produire des œuvres et des spectacles, les gouvernements n'ont réagi qu'en tentant de maintenir


des modèles périmés, fondés sur la rareté. Ce qu'il faut bien appeler la « guerre au partage » a causé une profonde fracture entre le public et une partie des créateurs, sans pour autant apporter un euro de rémunération à ces derniers. À cette question complexe ne peut correspondre une réponse unique, surtout s'il s'agit d'une paresseuse perpétuation du passé répressif. Renforcer et moderniser le droit d'auteur. Les rapports entre les créateurs et leur public ont profondément évolué. Mais les rapports entre créateurs, notamment entre auteurs, interprètes et producteurs, ont également été bouleversés par l'irruption du net. Les nouveaux contrats signés pour les exploitations numériques des œuvres sont souvent opaques. Nous devons garantir aux créateurs une réelle transparence sur l’ensemble des montants perçus par leurs mandataires ou leurs représentants auprès des éditeurs de services en ligne pour la mise en place et l’exploitation de leurs catalogues. Constatant le blocage du marché des droits pour les professionnels, notamment entre les producteurs et les éditeurs de services en ligne, nous défendons la proposition d'une gestion collective des droits d’auteurs et droits voisins sur l’ensemble des services en ligne. Cela permettra de lutter contre la fragmentation des répertoires et de garantir la diversité culturelle dans l’accès au catalogue. Des contrats types et un guide de bonnes pratiques devront être définis. Un médiateur culturel sera mis en place afin d'accompagner cette évolution. En cas de persistance des blocages, le législateur sera amené à définir étroitement les conditions contractuelles d'accès aux catalogues, voire à imposer un tel accès. Reconnaître l'importance des activités hors marché. Sur Internet comme ailleurs, la valeur ne se réduit pas au seul champ économique. La myriade d'actions hors marché en ligne a généré des productions de grande valeur, comme par exemple l'encyclopédie collaborative Wikipedia. Dans le champ culturel en particulier, Internet a déjà permis une impressionnante libération des forces créatives, en permettant à des millions de personnes de s'approprier des œuvres, pour les modifier, les recombiner ou les partager dans un but non lucratif. La co-création de biens culturels doit être encouragée, sous toutes les formes. De même, un soutien particulier devra être accordé aux services de diffusion gratuite de biens culturels ainsi qu'à ceux diffusant les œuvres dans des conditions permettant a minima leur libre rediffusion. Dans ce contexte, le service public sera invité à publier une partie de sa production dans des conditions en permettant la réutilisation la plus large, incluant la réélaboration. Parce que l'accès à la culture est essentiel et que les politiques visant à contrôler sa diffusion sont intrinsèquement liberticides, nous légaliserons les échanges de biens culturels hors marché, dans un cadre non lucratif. En échange de cette légalisation et dans la perspective de la construction d’un nouveau pacte de confiance avec eux, les internautes devront s'acquitter d'une contribution individuelle au financement de la création. Cette contribution pourra être, dans un premier temps, intégrée au coût de l'abonnement à l'Internet, avant d'être remplacée par un dispositif socialement plus progressif. Elle s’ajoutera à des prélèvements répondant à d'autres logiques, notamment sur les fournisseurs d'accès internet. Intensifier la lutte contre la contrefaçon commerciale. Les acteurs économiques se livrant à des actes de contrefaçon devront faire l'objet d'une répression accrue. Plutôt que de construire de nouvelles lignes Maginot numérique en tentant de filtrer ou de bloquer l'Internet, nous accroîtrons les effectifs et les moyens des unités spécialisées de la police et de la gendarmerie et privilégierons le retrait des contenus à la source.


Cette politique de retrait à la source a, au contraire du filtrage, démontré son efficacité. En Allemagne, des résultats spectaculaires ont par exemple été obtenus en matière de lutte contre la pédopornographie. Une efficacité optimale de cette politique sera obtenue en négociant, avec nos partenaires, son application internationale. Nous mettrons fins aux missions de surveillance des échanges en ligne par des entités privées. Toutes les formes de création numérique devront être soutenues. Aujourd'hui, l'audio, la vidéo, le texte sont combinés de multiples manières, allant jusqu'au jeu vidéo. Ce dernier est encore trop peu valorisé par la puissance publique alors qu’il devient un type d'œuvre culturelle majeur. Une politique volontariste de numérisation du patrimoine devra être développée tant avec des partenaires commerciaux qu'associatifs. La puissance publique veillera ici à ce que de nouveaux droits ne soient pas recréés par cet acte de numérisation et à ce que l'entrée des œuvres dans le domaine public ne soit pas retardée. Le patrimoine ainsi numérisé devra, dans le respect du droit d'auteur, être autant que possible mis à disposition gratuitement, dans des conditions permettant la réélaboration. L'export de la production de nos filières culturelles devra être organisé et accompagné, en s'appuyant sur l'expérience d'Ubi France. Une stratégie de «soft power» devra être plus largement mise en œuvre. 5. Vers des droits effectifs Parce qu'Internet est, comme l'a brillamment expliqué le juriste américain Lawrence Lessig, gouverné en premier lieu par son «logiciel», nous porterons une attention particulière aux briques technologiques avec lesquelles la Cité numérique se construit aujourd'hui. Pour que les droits que nous promouvons soient effectifs, nous soutiendrons le développement des technologies qui permettent à chacun de maîtriser ses activités numériques. Des réseaux aux services en ligne en passant par le matériel et le logiciel, une galaxie de projets innovants comme les micro-ordinateurs Freeplug, le réseau social P2P Diaspora ou le système d'exploitation GNU/Linux existent, qui préfigurent une nouvelle étape de la construction de l'Internet et d'une société de l'information mieux contrôlée par ses utilisateurs. Nous devrons soutenir le développement de ces projets, dans un esprit de coopération internationale. Les créateurs, en particulier, devront pouvoir accéder à des offres clés en main leur permettant, s'ils le souhaitent, de décliner numériquement leur créations et de s'auto-diffuser, indépendamment des grandes plateformes de diffusion centralisée aujourd'hui dominantes, comme YouTube. La seule disponibilité d'outils n'a jamais suffi à leur appropriation. La réduction de la fracture numérique passera donc également par un effort important en matière d'éducation, à l'école, en formation continue ou sous la forme de l'éducation populaire.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.