Mémoire Recherche 2019

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Projet de fin d’étude en mention recherche

Que nous enseigne le refuge ? D’un milieu contraint en montagne, aux milieux contraints de la ville

Pauline Pascal Directeur de mémoire : Aysegül Cankat Co-direction : Jean-François Lyon Caen ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE GRENOBLE Master Architecture-Paysage-Montagne – équipe pédagogique coordonnée par Jean-François Lyon-Caen Laboratoire AE&CC architecture, environnement et cultures constructives ENSA Grenoble Session PFE juin 2019.


Composition du jury : Jean-François Lyon Caen Aysegül Cankat Niels Martin Romain Lajarge Sophie Paviol Claire Laubie Vincent Rey-Millet Jérémy Pouge


Projet de fin d’étude en mention recherche

Que nous enseigne le refuge ? D’un milieu contraint en montagne, aux milieux contraints de la ville

Pauline Pascal Directeur de mémoire : Aysegül Cankat Co-direction : Jean-François Lyon Caen ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE GRENOBLE Master Architecture-Paysage-Montagne – équipe pédagogique coordonnée par Jean-François Lyon-Caen Laboratoire AE&CC architecture, environnement et cultures constructives ENSA Grenoble Session PFE juin 2019



Remerciements à Aysegül Cankat, Patrick Thépot ainsi qu’à Jean-François Lyon-Caen de m’avoir aidé à construire ce travail Merci au laboratoire AE&CC de m’avoir accueillie et de m’avoir permis de réaliser ce mémoire. Aussi, merci à Grégoire pour ses petites corrections précieuses.


PREAMBULE «Nos sociétés globalement riches sont incapables de satisfaire les besoins premiers de tous¹» Partant du constat social de l’écart entre les catégories socio-économiques et de la mise à l’écart des « pauvres » quant à la qualité de vie, je suis entrée à l’école d’architecture il y a cinq ans, avec la conviction que l’architecte dans l’exercice de son métier devait s’intéresser à tout homme et à toute situation avec la même attention. Par-là même, construire des toits pour tous et de qualité équivalente. Aujourd’hui je regarde avec incompréhension notre monde et je me demande pourquoi l’habitat n’est pas un appréhendé comme ce qu’il devrait être : un droit pour tous. D’après l’ONU, « les droits de l’homme, y compris les droits à un logement convenable, à de l’eau potable et à des systèmes d’assainissement, sont inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme ²». Aujourd’hui le logement est largement perçu comme un bien matériel, et donc accessible à qui peut louer ou acheter un espace habitable décent. Les personnes en situation de précarité, vivant dans un environnement hostile et contraint ont peu de chance d’accéder à un toit. L’histoire de ma famille n’est pas en dehors de ces préoccupations. Mon arrière-grand-père, Paul Cointe, fut le dernier à tenir le refuge asile départemental du Montgenèvre (1910-1918) devenu un café-hôtel dans les années 1920. Ma grand-mère, Thérèse âgée de 86 ans, a accueilli dans sa propre maison un an durant un érythréen venu du démantèlement de Calais, sa maison était devenue refuge. La question des réfugiés

1. Vincent Bourdeau, Fabrice Flipo, Julienne Flory et Michel Maric, Pour en finir avec les riches (et les pauvres). Dans Mouvements 2010/4 (n°64), pages 7 à 11 2. https://www.ohchr.org/Documents/Publications/FS21_rev_1_Housing_ fr.pdf 6


aussi vaste qu’il puisse être, et d’une manière plus générale, ma préoccupation vis-à-vis des personnes les plus vulnérables, ont été les principales raisons qui m’ont poussée à entamer ce travail. Ces dernières années j’ai été profondément marquée par les situations terrifiantes qu’endurent les migrants pour arriver jusqu’aux lieux dont ils pensent sûrs et sécures, et les conditions dans lesquelles on peut les recevoir. Si d’abord il y a la tristesse, ensuite la colère, il y a finalement l’envie de vouloir faire quelque chose. Je me suis demandé à quoi servait l’architecte là où l’on empile des tentes Quechua pour y loger des centaines de personnes pour des temps plus ou moins temporaires. Quel va donc être mon notre rôle ? Comment puis-je donner un sens à l’exercice de mon métier ? J’ai pris connaissance du sujet proposé par l’équipe pédagogique du master Architecture, paysage, montagne, « le refuge ». J’y ai pressenti une possibilité de réflexion m’amenant au-delà du refuge en montagne. La question de trouver refuge va au-delà des abris que l’on peut trouver en altitude, mais elle fait écho à la question des réfugiés. Le refuge tel que l’on connaît aujourd’hui sous une forme d’hébergement touristique en montagne n’a pas toujours eu ce sens. Les premiers édifices-refuges naissent dès l’antiquité, ils ont été érigés dans les Alpes dans les principaux axes de passages et à destination des refugiés, passants, ou voyageurs afin de leur offrir une pause pour se reposer avant de continuer le voyage mais aussi afin de les protéger d’une quelconque situation dramatique. Au Moyen-Age, ils sont remplacés par les Hospices, étant des établissements d’accueil programmés et destinés à ne loger toute personne en situation précaire.

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Comme le dit Etienne Augris dans un article s’intitulant Migrations : de l’antiquité au XXe siècle: «La mobilité est un phénomène intrinsèquement lié à l’humanité¹». Hier, aujourd’hui et demain, seront encore des jours rythmés par les migrations. La question des migrants ne sera jamais terminée. Au souvenir des grands déplacements durant l’Antiquité, notre mémoire collective hérite de l’expression des grandes invasions, ce qui réduit considérablement l’histoire de la migration et encourage les stéréotypes. Les hommes ont toujours bougé sur les territoires et souvent pour des raisons simples : se nourrir et vivre en paix. Si le phénomène de migrations est indéniable, il paraît logique que cette problématique de la migration soit au cœur des réflexions architecturales. Loger des personnes de manière temporaire est un exercice difficile à la fois pour les architectes mais aussi pour les villes, cela pose la question de l’avant, et de l’après : que deviendront ces espaces qui n’accueilleront plus personnes demain ? Cette question aussi difficile qu’elle puisse paraître peut engendrer un réel laboratoire d’expérimentation pour les architectes : et si toutes les contraintes liées au temporaire seraient matière à projet ? Yona Frideman dira d’ailleurs que « la pénurie est la mère de toute l’innovation sociale ou technique. La société pauvre exige l’égalité et déploie, poussée par la nécessité, une ingéniosité technique exceptionnelle. C’est la société du monde pauvre qui est en train d’inventer l’architecture de survie²» Il faudra construire solide et léger en même temps, concevoir des espaces qui ne soient pas figés, mais bien capable d’être réversible. Il faudra aussi, fabriquer des espaces intimes mais aussi des espaces communautaires où l’on peut rencontrer

1. Etienne Augris, Migrations : de l’antiquité au XXe siècle, dans une revue en ligne : l’éléphant, n°9, janvier 2015 2. 1. Yona Fridemann, l’architecture de survie, éditions de l’éclat 2003 8


l’autre. Cette problématique liée au refuge de demain comme abri pour refugié peut s’envisager comme un réel défi pour les architectes. INTRODUCTION 1. Le refuge et le réfugié : une relation par une racine commune C’est le mot refuge qui a été le déclencheur de ma réflexion. Il y avait une sorte d’ambiguïté sémantique que je n’arrivais pas à comprendre. Le refuge est pour moi une petite construction dans la montagne permettant de passer une nuit au chaud et de pouvoir continuer plus loin vers les sommets le lendemain. Mais à l’heure où, chaque jour, nous entendons le mot réfugié par l’intermédiaire de différents médias, il paraît évident que le refuge est logiquement une habitation où loge le refugié. Cependant, jamais au cours d’une présentation sur les habitations proposées pour les réfugiés on ne parle de refuge. On cite les camps, les campements, les habitats d’urgence, ou bien les centres d’accueil temporaires. Pourtant, dès le milieu du 19ème siècle, c’est pour les réfugiés que nous construisons des refuges : «Il s’agirait d’établir à l’instar de l’hospice du Montgenèvre, sur les principaux cols du Département, déjà ouverts par des chemins vicinaux*, des refuges où trouverait un abri tutélaire*, les malheureux surpris par la tourmente, ou arrêtés par les avalanches.¹» Mes principaux questionnements ont été posés par la nature même des termes employés pour désigner la fonction d’un bâtiment. Le vocabu*.Chemins vicinaux : chemin qui met en relations des villages entreeux. *.Abri tutélaire : qui assure la protection 1.Anne-Marie Granet-Abisset, La route réinventée, les migrations des Queyrassins aux XIXe et XXème siècles, Editions La pierre et l’écrit. 1994 9


laire utilisé par habitude rendait toutes ces notions floues. Je n’avais jamais auparavant remis en cause l’utilisation d’un mot même s’il n’avait plus grand chose à voir avec l’idée qu’il déployait. En effet, tous les sportifs et amateurs de montagne emploient le mot refuge car traditionnellement les refuges s’érigeaient dans le territoire alpin pour éviter aux passants une nuit passée dehors pouvant être extrêmement hostile. Mais aujourd’hui ces refuges n’ont plus grand chose à voir avec le fait de porter l’hospitalité à des personnes en situation précaire, ils sont plutôt des hébergements touristiques assurant une bonne restauration et une bonne couette en plein milieu d’un endroit qui nous paraît hostile et où l’on vient volontairement pour se ressourcer. Alors pourquoi l’on ne construit plus des refuges pour les réfugiés mais des baraquements d’urgence sans grande qualité, et pourquoi nous continuons d’appeler refuge les gîtes touristiques et de loisirs du club alpin français ? Une autre question se posait : pourquoi, alors que quelques siècles auparavant, les autorités mettaient en place de leurs propre initiative, des édifices conçus à destination des populations étrangères et vulnérables, aujourd’hui très peu de mesure gouvernementale sont prises pour résoudre cette question primordiale dans la fabrication de nos villes et de notre société ? «Depuis longtemps ce fâcheux état des choses excitait au plus haut point l’attention de l’Administration départementale, sans qu’il lui fût possible d’y porter remède¹.» Lorsque l’on regarde les Hospices ou les refuges Napoléons, on y voit des bâtiments fastes et monumentaux, et ils sont destinés aux travailleurs, passants ou voyageurs.

1.Article de journal, Courrier des Alpes, mercredi 17 décembre 1856, n°392

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Dans le cadre du mémoire de PFE mention recherche, la question du refuge sera traitée de manière constructive, spatiale et architecturale sans faire de constat moral qui pourrait intégrer des dimensions politiques ou législatives pour lesquelles je n’aurai pas les outils d’argumentation car ce n’est ni mon propos ni les outils auxquels on m’a formé jusqu’à présent. La question de l’organisation de ce travail et la manière de le rendre lisible fut également une difficulté à laquelle j’ai dû me confronter. Comment proposer un travail de recherche à partir de deux mots ayant la même racine, celui de refuge et celui du réfugié ? Les différentes variantes sémantiques du mot résultent des multiples interprétations des architectes mettant en place diverses configurations spatiales à partir du même programme, celui du refuge. Il m’a semblé intéressant alors de proposer une étude des refuges de manière évolutive et historique afin de montrer combien le refuge n’a pas une seule incarnation mais plusieurs, et que malgré le même programme, la difficulté du sujet oblige les architectes à mener un travail d’interprétation personnelle sur ce que, de manière subjective, signifie le refuge pour eux. La difficulté que j’ai eue à comprendre ce qu’était un refuge, est lié au fait que ce mot renvoie à tout un imaginaire.

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2. Objectif du mémoire : Le refuge, de l’abri au lieu de vie Dans les premiers refuges établis en montagne, personnes riches ou pauvres dorment ensemble et mangent la même soupe. Ainsi, les plus fortunés reviennent à un mode de vie plus simple. Aujourd’hui le refuge attire une population plutôt aisée, venant faire la preuve d’un exploit ou bien plus simplement se ressourcer dans une nature qui est trop éloignée au quotidien. Mais il n’empêche que lorsque l’on est entre ces quatre murs formant un espace perdu dans un vaste territoire, que l’on soit un sportif de haut niveau, ou que l’on soit juste curieux, que l’on ait quinze ou soixante-cinq ans, que l’on soit une femme ou un homme, tous mangent à la même table, dorment sur les mêmes batflancs, à égalité. Le refuge invite à la rencontre de l’autre, il réunit et incite à la formation d’une certaine communauté et un partage avec son voisin de table. De tous temps, les architectes et les projets tentent de proposer des espaces de mixité, des habitats évolutifs, partagés et autonomes. Les écoles d’architectures s’attachent à préparer des générations futures d’architectes à penser et à mettre en place ces changements nécessaires. Une volonté de changement s’exprime face à la société d’individualisation et de consommation. Ces questions liées aux inégalités sociales et à l’environnement nous incitent à retrouver une forme de modération dans notre quotidien, et aussi, retrouver une sorte de conscience de chacun de nos gestes et de leurs répercussions à l’échelle globale. Le développement durable, la transition écologique, l’architecture participative, l’autonomie énergétique, la capacité de réversibilité

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d’un bâtiment, les espaces partagés, le logement social, sont au cœur des débats qui permettent d’échanger et de partager les expériences. C’est ainsi que le refuge trouve sa place dans le travail que je propose. Le refuge intègre les conditions de fabrication d’une architecture d’aujourd’hui soucieuse de son environnement et des habitants qui y vivent: autonomie en énergie, évolutivité des pratiques, victime des changements climatiques fortement ressentit en montagne, espace de rencontre, ressourcement individuel psychologique...etc. Même si le refuge ne constitue pas un lieu où l’on habite de manière permanente, qu’il n’est qu’une étape sur les chemins que nous prenons, il n’en reste pas moins un sujet d’étude intéressant capable de nous faire réfléchir sur toutes ces valeurs portées depuis des générations. Il pourrait même constituer un outil pour penser le projet. Le refuge porte en lui des qualités spatiales et de fabrication qui lui sont propres, elles sont des composantes essentielles à la fabrication des espaces d’accueil : simplicité, frugalité et rencontre avec l’autre. Si la nécessité de retrouver un mode de vie plus simple, le refuge peut être réellement un exemple en manière d’habiter. Il appelle à la modération car il permet une vie dépouillée de tout encombrement inutile, il invite à revenir à une forme de frugalité, nécessaire pour une époque ayant pour fondement la consommation. L’objectif et la problématique de ce mémoire est donc simple : il est de montrer comment le refuge peut être une matière à penser le projet en milieux contraints, la référence du refuge en montagne étant une aide aux architectes afin de penser les lieux de vies de demain dans des contraintes spécifiques qui peuvent être économiques, politiques, sociales ou environnementales.

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3. Méthodes : Révéler et construire les qualités hospitalières et frugales du refuge Un travail de recentrement et de délimitation d’un cadre a été nécessaire pour traiter de manière précise la problématique énoncée. Car après tout, l’histoire nous montre que n’importe quel lieu peut-être refuge. Pendant une période de misère, de guerre ou de précarité le refuge se trouve partout. A la manière du Bernard l’Hermite qui vient habiter la première coquille vide venue pour ne pas être en situation de vulnérabilité, les hommes ont eux aussi apprivoisé toutes sortes de lieux pour s’abriter. Ainsi le métro parisien (Fig.1), les caves des maisons (Fig.2), le gymnase du village deviennent refuges. Ce sont les refuges qui ont été conçus et programmés par des architectes en tant que construction vouée à l’accueil d’une communauté qui nous intéressera ici. Les projets étudiés me permettront d’extraire les qualités énoncées dans la problématique. Je considère donc refuge, toute construction ayant été, de manière particulière, fabriquée avec un programme d’accueil et d’hospitalité, afin de permettre à la personne isolée de se réfugier. Aussi, la réflexion ne se focalisera pas seulement sur les refuges en montagne mais proposera une ouverture sur les autres types d’habitat-refuge d’urgence installés en ville. L’analyse de ces refuges en milieux contraints, qu’ils soient en ville ou en montagne permettra de révéler les similitudes ou les différences de ces différentes configurations architecturales. Ainsi, comprendre la manière dont les architectes ont pu interpréter le programme de refuge et mettre en place différents espaces à qualités spécifiques. Par ailleurs, nous ne nous intéresserons pas dans le présent mémoire,

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Figure diale, Figure diale,

1 : Cave refuge, en cas de bombardement, 2ème Guerre Monrue Augereau, Grenoble 2 : Métropolitain, Station pré St Gervais, 1ère Guerre MonParis 15


au travail de refuge dit « Péri-urbain » comme a pu le développer le collectif Bruit du Frigo à Bordeaux (Fig 4,5,6) ou encore le travail de l’agence Nez Haut présenté à la biennale du mobilier urbain en 2016 s’intitulant Refuges de la Défense (Fig 3), pour la simple raison qu’ils ne s’agit pas de refuges invitant l’usager à se mettre à l’abri d’une situation grave et dangereuse. Dans le premier travail, il s’agit de petites cellules touristiques offrant aux citadins l’opportunité de passer une nuit hors de la ville et ainsi découvrir sa périphérie. Dans le deuxième cas, il s’agit d’un dispositif urbain permettant aux citadins de se retrouver à un point de rendez-vous précis tout en étant à l’abri des intempéries ou du soleil. La problématique étant de montrer ce que peut nous apprendre le refuge pour penser la construction des lieux de vie futurs dans une logique de sobriété et de frugalité, les méthodes employées passeront par l’observation des plans de chacun des projets, et de leur analyse de manière schématique afin d’en capter l’essentiel et d’avoir une vision comparative et globale. Le re-dessin de plans ainsi que des coupes sur le territoire m’a paru essentiel dans la mesure où le refuge dans ces dimensions plus ou moins modestes prend place dans un paysage immense et souvent difficile. Le rapport du refuge au site montre les stratégies savantes d’implantation sur un lieu avec ses logiques d’installations. Le rapport à la pente, à l’eau et la proximité d’un chemin qui rend viable et accessible l’habitat sont des constantes dans la manière de penser le refuge dans son territoire. L’outil principal de l’architecte étant le dessin, les documents graphiques prendront une place importante dans la mesure où ils sont une aide précieuse à la compréhension et surtout compris de tous. Selon

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Figure 3: La Défense – Biennale de Mobilier urbain « Forme publique »Superficie : 6m2 // Maitrise d’Ouvrage : Defacto+Laurence Couvreux+Philippe Cail http://www.tu-du.fr/projets-ladefense/ Figure 4,5,6, Refuges Péri-Urbain: le hamac, le nuage et le haut perché http://www.bruitdufrigo.com/ 17


Aysegül Cankat, «dès lors que le dessin est considéré comme expression de la pensée, il devient processus de recherche¹.» En effet, le dessin ne sera pas seulement présent comme illustration mais plutôt comme l’énonciation du cheminement de la pensée, faisant surgir des informations non décrites par les mots ou les images. 5. Terrain, corpus et références : établir des liens en cohérence Tout d’abord, il m’a fallu déterminer les zones d’études afin de rendre possible l’écriture d’un mémoire dans les délais donnés. Je me suis attachée d’une part au projet de refuge se trouvant sur le territoire Alpin et plus particulièrement au niveau des frontières italiennes, suisses et françaises, car ces zones ont toujours été des terres de refuges ellesmêmes : «La rudesse de ce territoire a amené les Alpins à développer des système communautaires et une forme d’autogestion qui les poussa souvent à revendiquer leur autonomie faces aux pouvoirs venus des lointaines plaines²», Le Queyras constitua de manière particulière une zone ouverte aux passages des migrations. Aujourd’hui encore, les Hautes-Alpes se voient répondre à cette tradition d’hospitalité inhérente au territoire. Dans un extrait de texte que j’ai pu lire aux archives départementales des Hautes-Alpes, il est précisé à propos des refuges Napoléon que «ce ne sera pas une autorisation qui devra être accordée aux cantonniers gardiens de ces maisons, mais une obligation d’héberger les passants qui feraient appel à eux³.» L’hospitalité envers son prochain est donc un devoir et une habitude prise très tôt dans ses régions. 1. Aysegül Cankat, Istanbul, les gecekondu comme éxpérimentation spatiale : détours et inversions pour repenser l’architecture dans Au tournant de l’éxperience, interroger ce qui nous construit, partager ce qui nous arrive, sous la direction de Chris Younès et de Céline Bodart, Hermann éditeurs, 2018, p162 2. Jean Guibal, éditorial, magazine L’Alpe n°14 Terre de refuge,2001 3. Extrait du registre des déliberations, séance du 14 septembre 1933, conseil général, archives départementales de Gap 18


Afin de rétablir le lien entre le refuge et le refugié, et d’offrir ainsi une ouverture sur l’idée même que l’on s’est fabriqué du refuge, il m’a semblé nécessaire de considérer les habitats ou les campements dit d’urgence, comme des refuges à destination des réfugiés. Trois projets de refuge dans trois villes françaises, Paris, La Grande-Synthe et Grenoble seront étudiés sur le même niveau que ceux situés en territoire montagnard. Le choix du corpus s’est déterminé en partie par la connaissance que j’avais des différents projets, d’une manière plus ou moins fournie. Le corpus prend son point de départ dans deux projets d’hospice, étant les premiers établissements d’accueil construits et programmés en tant que tel, par l’Etat. Les refuges Napoléon m’ont paru une matière évidente à intégrer dans la réflexion car ils fabriquent à eux seuls un corpus riche, et ils ont fait l’objet du pari qu’un modèle de refuge pouvait s’installer de manière récurrente sur le territoire. Ils constituent un repère fort qui ponctue le territoire et qui s’essayent à donner une image commune au programme de refuge. Ensuite les refuges Tonneau et Bivouac expérimentés par Charlotte Perriand ainsi que les travaux de Jean Prouvé m’ont semblés être cohérents dans leur intégration au sein du corpus car ils font la démonstration d’une architecture expérimentale et l’objet d’une réflexion poussée sur la fonction même du refuge. Ces parties d’analyses feront particulièrement le lien avec le projet d’architecture que je propose cette année. Le projet du refuge de l’Aigle sera abordé par un entretien avec l’architecte sur la réintégration des valeurs du refuge dans des projets récents. Ensuite, le projet à l’initiative de l’association Quatorze propose une vision innovante en intégrant les valeurs-même du refuge historique : un espace qui permet à la fois de trouver une intimité, mais aussi une intégration sociale.

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Le projet du Camp de la linière a été retenu car il se situe dans un contexte très similaire à celui de la montagne. Malgré sa situation, on peut constater que ce projet se situe dans un espace d’attente entre grands axes routiers et limite territoriale (frontière). Enfin, le projet d’habitat mobile en terre allégée sur le Rondeau à Grenoble ainsi que la tiny-house proposée par l’association Quatorze à Montreuil m’ont paru intéressant dans leurs attitudes contraintes par un souci d’économie de moyen tout en proposant une architecture de qualité. Plusieurs références ont tenu une place centrale dans l’élaboration de ce travail. Le travail de Jean Prouvé a particulièrement nourrit la réflexion car il fait le lien entre mon travail sur le refuge des Evettes et le mémoire ici présenté. Ce doit son existence à Guy Rey-Millet et à Jean Prouvé mais aussi au Club Alpin Français, le maître d’ouvrage. Prouvé ayant largement travaillé sur la question de l’habitat-refuge avec des maisons démontables pour campements militaires d’abord, mais aussi par des constructions en série de ce que l’on appellerait aujourd’hui des habitats d’urgence pour des populations sinistrées. La maison des jours meilleurs commandée par l’Abbé Pierre afin de subvenir aux besoins des plus mal logés après la seconde guerre mondiale est une des réalisations les plus connues. Le projet d’architecture m’a permis de prendre le temps de regarder en profondeur les projets d’habitat mobile, léger et économique. J’ai pu comprendre de manière fine de quelle manière les éléments étaient assemblés, dessinés et transportés sur le site. Le re-dessin des éléments et les nombreuses lectures à propos de la pensée que Jean Prouvé a développé dans la mise en place d’un répertoire d’éléments architecturaux permettant de fabriquer des habitats préfabriqués à destination des plus démunis,

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a permis de saisir toute l’ingéniosité d’un tel système et toute la nouveauté dans la manière de penser l’architecture. Aussi, les écrits trouvés aux archives départementales m’ont apportés de nombreuses connaissances sur l’histoire des Alpes et son rapport avec les hommes, sur le fonctionnement des refuges et des hospices dans leurs organisations et leurs usages, mais aussi sur les types de personne qui venaient fréquentaient ces lieux isolés.

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Sommaire Préambule.............................................p6 Introduction..........................................p9

L’Hospitalité comme leitmotiv de projet......p24 1-Une qualité humaine et spatiale au cœur des Alpes 2-Le regard porté sur l’étranger: Hier et aujourd’hui 3-L’hospice et le refuge Napoléon : des phares dans la nuit assurant la survie 4-Précéder son temps : penser le projet avec les questions d’aujourd’hui

Le refuge en montagne : les exigences du temps présent......................................p69 1-Le refuge-étape à mi-chemin des sommets : la construction d’un imaginaire 2-Une architecture expérimentale, la montagne comme laboratoire 3-Jean Prouvé et Charlotte Perriand, la question du bien-être et du réversible 4-L’Aigle : les valeurs intrinsèques du refuge comme outils de conception spatiale

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Au-delà de la montagne : des espaces pour accueillir les hommes, une nécessité..........p103 1-Du refuge des Evettes à la maison des jours meilleurs, la multiplication de lieux d’accueil sur le territoire 2-Les arrivals cities : la notion de ville refuge 3-Accueils d’urgence : les camps-refuge du 21ème siècle 4-Les projets Imby et TerraBox : lieux de vies de qualités, lieux de vie désirés

Matière à projet............................p137 1-Le refuge comme référence pour l’architecte 2-Revenir à la montagne pour ouvrir de nouveaux horizons 3-Le refuge des Evettes, des contraintes spécifiques en évolution

Synthèse et ouverture.......................p146 Bibliographie........................................p162 Annexes..............................................p167

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Partie 1 L’HospitalitÊ comme leitmotiv du projet


1.Une qualité humaine et spatiale au cœur des Alpes D’habitude on parle des montagnes comme un territoire hostile et dangereux où habitent quelques communautés peu enviées menant des vies difficiles et rudes. Les plus performants s’aventurent dans ces territoires de pic, de roche et de glace, et ils sont encore aujourd’hui souvent incompris de la majorité. Jean Guibal dans le numéro 14 du magazine l’Alpe, écrit que c’est bien la rudesse de ce territoire qui a amené les alpins à développer des systèmes communautaires et une forme d’autogestion qui les poussa souvent, d’après les mots de l’auteur, à «revendiquer leur autonomie face aux pouvoirs venus des lointaines plaines¹.» Cette terre sans maître où les populations alpines garantissaient pourtant un accueil, a attiré hérétiques, déserteurs, déviants ou autres résistants dans un désir de penser librement sa vie. Il semble intéressant dans un premier temps, de rappeler ce qui a pu représenter le territoire alpin au travers de l’Histoire. La montagne, souvent renvoyée à l’image d’un territoire fermé et immobile, effraie. Les gravures du célèbre alpiniste Edouard Whymper témoigne d’une réalité hostile à l’homme. (fig.7) Les géants nous regardent depuis des siècles sans bouger, leurs cimes que l’on regarde depuis les vallées, sont menaçantes. Pourtant ce territoire particulier a toujours été considéré comme une terre de refuge en soi. Paradoxalement, l’image de la montagne comme lieu de tourmente est aussi perçu comme un lieu sécurisé où l’on peut disparaître et se mettre en vacance du monde. On découvre par les témoignages ou les écrits un territoire finalement plutôt ouvert, où la

1. Jean Guibal, éditorial, magazine L’Alpe n°14 Terre de refuge, 2001

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Figure 7: E. Whymper pré-publication d’Escalades dans les Alpes, dans le Tour du Monde, 1872 gravure illustrant un incident aux Ecrins en 1864 :le guide Almer faillit tomber dans le vide lors de l’effondrement d’une corniche de neige. 27


frontière constitue non pas un mur mais une porte de communication, et où les gens sont extrêmement mobiles. Toutes ces représentations très différentes ont participées à associer les massifs montagneux à la fonction et à la valeur de refuge, refuge aussi (et peut-être surtout) d’un certain esprit de liberté,¹ comme le précise Jean Guibal. «Ces visions contradictoires de la montagne ont leurs raisons : il est vrai que les cartes attestent d’un réel enclavement. Cirque, vallées, combes, les montagnes apparaissent comme un vrai bastion. Ce pays reculé et difficile d’accès est pourtant le garant d’une tranquillité que l’on trouve nul par ailleurs. Il prend très vite le rôle d’espace-refuge et ce sont surtout les protestants et croyants qui feront ressortir cette dimension. Les routes de migrations passent donc naturellement dans les montagnes, elles échappent aux contrôles exercés dans les villes, elles rendent difficile la poursuite des autorités, elles permettent aux brigands de se tenir cachés, aux maquisards de s’abriter dans ces régions peu peuplées².» L’imaginaire ou la symbolique du repli, de la retraite, ou de la recherche de sécurité encourage à croire que ces terres ont fait émerger chez les hommes, des sentiments tels que l’entraide ou l’hospitalité. La mise en place de refuge a donc été une des initiatives les plus importantes et le résultat de la mise en place de leur propre sécurité.

1. Jean Guibal, éditorial, magazine L’Alpe n°14 Terre de refuge, 2001 2. Anne-Marie Granet-Abisset, La route réinventée, les migrations des Queyrassins aux XIXe et XXème siècles, Editions La pierre et l’écrit. Presses universitaires de Grenoble, 1994 28


Figure 8: Photographie Hippolyte Müller, début du XXème. Arrivée des faucheurs piémontais à St Véran. Exposition Gens de l’Alpes, musée Dauphinois. 29


2.Le regard porté sur l’étranger: Hier et aujourd’hui .L’étranger : venu d’ailleurs D’après une définition du Larousse, l’étranger est celui qui est d’un autre pays. L’étranger est donc rattaché au concept de frontière, elle-même déterminant les limites d’un pays. L’image que nous avons de la frontière comme limite ou cercle fermé entraîne le rejet de tout ce qui pourrait venir de l’extérieur. La vision que l’on porte sur l’étranger est donc atteinte. L’étranger devient un indésirable au-dedans de ce cercle et au franchissement de sa ligne. Pourtant, de manière ironique Emmanuel Kant nous rappelle que «la terre dans sa rondeur remet en cause la notion même de frontière, car il n’est impossible donc d’échapper à l’étranger¹.» En effet, André Pitte écrit dans un article s’intitulant L’homme et les Alpes : «Avant tout, il convient de rappeler que les Alpes n’ont jamais dans l’histoire constituées une frontière entre des peuples qu’elles auraient ainsi permis de différencier. Tout au contraire, la chaîne alpine dans son ensemble, avant l’application très moderne (150 ans seulement) du concept de frontière naturelle, était restée un lieu de circulations et de rencontres particulièrement ouvert².» La vision que nous avons de la frontière aujourd’hui est relativement récente, elle dessine aujourd’hui au millimètre près le dessin géométrique des pays et insinue que tout ce qui en dépasse ne fait plus partie de l’Etat Providence. Elle devient lieu de taxations, de contrôle et de régulation où police et douane s’installent matérialisant une prise de possession du territoire. Les Alpes comme frontière naturelle voient se peupler aux

1.Emmanuel Kant, Projet de paix perpétuelle, 1795. Traduit de l’allemand, Jean Guibelin, Paris, 2002 2. André Pitte, L’homme est les Alpes, magazine L’Alpe n°14 Terre de refuge, 2001 30


nombreux cols, des postes de contrôles idéalement placés afin de canaliser les circulations. Aussi, Michel Agier nous parle de l’étranger comme un outsider, littéralement arrivant du dehors, le risque est qu’il devienne dans notre regard, une silhouette imprécise et lointaine, arrivant comme un intrus au milieu de nous. L’auteur nous précise que l’hospitalité est une réponse à cette indétermination, au doute et à l’incertitude qu’elle fait naître. C’est le moment où un seul geste peut faire de l’étranger, un hôte, sans jamais qu’il cesse tout à fait d’être étranger. Aussi, avant de poursuivre, il semble nécessaire de redéfinir la notion de réfugié par quelques auteurs qualifiés sur cette question. .Le refugié : qui fuit une situation «Trop souvent réduit à un seul modèle, celui de l’émigration de la misère»¹ Les migrations sont de formes et d’intensité différentes : celles qui sont exceptionnelles liées à des évènements politiques, souvent dramatiques. Celles qui sont plus nombreuses et plus régulière, ce sont les migrations saisonnières. D’autres, plus lointaines, internationales ou locales. Etre réfugié ne signifie donc pas un statut juridique mais bien quelqu’un qui cherche refuge. Cette seule énumération suffit à saisir la complexité de la réalité. Les motivations de départs sont presque toujours guidées par la nécessité, mais celle-ci est relative à chacun et surtout elle se situe à différents degrés. La condition d’existence de chacun détermine sa

1. Philippe Joutard, président du Centre alpin et rhodanien d’ethnologie, professeur d’histoire moderne à l’université d’Aix-en-Provence, préface La route réinventée, les migrations des Queyrassins aux XIXe et XXème siècles, Editions La pierre et l’écrit.1994 31


nécessité de migrer : certains se voient migrer de manière temporaire pour aller vivre une expérience dans ce qu’on appelle aujourd’hui le refuge de montagne. Ils viennent pour se libérer des routines quotidiennes, et c’est toujours ce même besoin de liberté qui anime les gens à partir. Certains migrent de manière moins temporaire, ils sont animés par la nécessité de trouver une vie meilleure, un épanouissement nouveau, une volonté de réussir. C’est le passage d’un état à un autre, qui peut nous évoquer la notion de transfuge. Bien que la définition exacte de ce mot se traduise d’avantage dans l’abandon de son propre camp en migrant dans le camp adverse, on pourrait imaginer une autre dimension plus psychologique à cette notion. Pierre Bourdieu, nous parle d’un transfuge social: «cela signifie le passage d’une personne partant d’une situation pour aller vers une autre¹.» Le transfuge, en abandonnant son pays, sa situation ou son milieu se voit être propulsé dans un monde qui lui est inconnu. Cette confrontation avec ce nouvel environnement crée une sorte de décalage qui met bien souvent la personne en marge des autres, créant ainsi un phénomène d’exclusion et de rejet. Il m’a paru intéressant de parler de cette notion car elle fait étroitement écho à la situation des réfugiés actuels. Ceux-là se voient victime d’un rejet venant de la nouvelle situation dans laquelle ils se trouvent. Ce changement trop brutal d’un état à un autre soulève le problème de l’intégration sociale. La fuite, la désertion, provoque un déracinement auxquels il est difficile de guérir. Pierre Bourdieu affirme que ces personnes ne parviennent jamais à anéantir la nostalgie de la réintégration dans la communauté originaire, perçue aussi

1. Pierre Bourdieu,la misère du monde, éditions du Seuil. 1993

32


comme un refuge contre les refus opposés aux affranchis par l’univers d’adoption¹.» Le réfugié ou le migrant sont des profils séculaires, depuis la nuit des temps, hommes, femmes et enfants se déplacent en caravane, par petits groupes ou même seuls. Le nomadisme, fait partie des premières cultures de l’habiter. Par notre sédentarisation progressive, nous nous étonnons de voir quelques groupes d’humains contraints par quelques motifs variés traversant encore à pied désert et mer comme le faisait les hommes du Paléolithique. Ce décalage avec notre mode d’habiter la terre aujourd’hui peut provoquer des hostilités ou des réticences. Il convient de développer les représentations de la migration afin de contrer les stéréotypes. .La migration : des histoires au travers de l’Histoire « L’Histoire, pourtant, révèle que la migration n’est pas la condition de «l’homme moderne», mais celle de l’humanité tout entière depuis qu’elle a commencé son expansion. Simplement, ses formes et ses logiques se modifient profondément au cours du temps, créant chaque fois des stéréotypes qui, bien que contradictoires,se sont ancrés dans l’imaginaire².» Nous avons vu qu’il y a en réalité plusieurs types de migrations de formes et d’intensité différentes. Si les motivations de départs sont presque toujours guidées par la nécessité (se situant à plusieurs échelles et à des profondeurs différentes : la nécessité de fuir un pays ou bien la nécessité de partir en vacance

1. Pierre Bourdieu,la misère du monde, éditions du Seuil. 1993 2. https://www.universalis.fr/encyclopedie/migrations/ Paul-André Rosental, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris 33


du monde), il y a, en réalité, plusieurs porttraits qui définissent le migrant. C’est la condition d’existence de chacun qui détermine la nécessité de partir vers un ailleurs. Pour certain, c’est la nécessité de se libérer des routines quotidiennes qui poussent la personne à s’enfuir, ce type de déplacement est souvent temporaire, il vient comme un besoin psychologique demandant au corps de se retirer de son environnement habituel. D’autres se voient migrer de manière moins temporaire, c’est la nécessité animée par la survie qui contraint la personne à fuir. Les migrations sont multiples et diverses, elles ne peuvent se compter en terme de kilomètre ou de misère, mais c’est toujours la recherche de la liberté qui poussent les hommes à s’en aller. La nécessité de multiplier les points de vue est impérative. Pierre Bourdieu dans La misère du monde nous recommande de ne pas adopter une seule représentation mentale, souvent trop éloigné des réalités mouvantes et plurielles : «Il faut substituer aux images simplistes et unilatérales, une représentation complexe et multiple, fondée sur l’expression des mêmes réalités dans des discours différents, parfois inconciliables¹.» Quelques soient leurs motifs de départ, l’attraction vers un ailleurs ne peut pas être réduite à quelques phénomènes constatés : Parler des migrations invite à un aller-retour permanent entre les hommes et l’espace.² Nous croyons que l’architecture a un rôle à jouer dans la manière d’intégrer des personnes en situation de bouleversement soudain. L’habitat proposé pour ces populations devrait être à l’opposé des campements que l’on a pu observer au travers de l’histoire. Ces espaces devraient pouvoir permettre une transition douce

1. Pierre Bourdieu,la misère du monde, éditions du Seuil. 1993 2. Anne-Marie Granet-Abisset,La route réinventée, les migrations des Queyrassins aux XIXe et XXème siècles, Editions La pierre et l’écrit.1994 34


et résiliente, tourné vers l’extérieur afin de permettre l’intégration, la connaissance du lieu et la rencontre de l’autre.

3.L’hospice et le refuge Napoléon : des phares dans la nuit assurant la survie «L’archidiacre Bernard, très probablement apparenté à la famille des vicomtes d’Aoste, décida peu après 1050, à la suite du passage de Léon IX au Mont-Joux, de venir au secours des pauvres malheureux qui traversaient ces régions désertiques et peu sûres en établissant un hospice.¹» L’origine des Refuges et des Hospices s’explique par la préoccupation des autorités publique et par leur impuissance face aux terribles sorts que peuvent connaître les voyageurs sur leurs territoires. En effet, sur les cols redoutables des Alpes, les voyageurs se trouvent fréquemment exposés aux risques, loin de tout asile et sans aucun espoir de secours : «Depuis longtemps ce fâcheux état des choses excitait au plus haut point l’attention de l’Administration départementale, sans qu’il lui fût possible d’y porter remède. S’inspirant heureusement d’un des premiers projets conçus et exécutés, la fondation de l’hospice du Montgenèvre, le préfet a proposé la création sur les principaux cols déjà ouverts par des chemins vicinaux de grande communication, de maisons cantonnières de refuge, où trouverait un abri les voyageurs surpris par la tourmente ou arrêtés par l’amoncellement des neiges. Ces établissements fondés au nombre de huit, et répartis dans une

1. Jean-Armand Chabrand, Les refuges Napoléon dans les Hautes-Alpes Editeur Xavier Drevet, Grenoble 1877, Bibliothèque du touriste en Dauphiné 35


équitable proportion, entre les trois arrondissements de Gap, Embrun et de Briançon¹.» On constate que ce problème de l’étranger qui meurt dans la montagne constitue une inquiétude pour les autorités des villes les plus proches de ces cols. On peut s’étonner de cette préoccupation administrative qui engendre la construction d’un habitat temporaire spécialement destiné à des inconnus venus de l’autre côté. Si aujourd’hui, on peut discréditer les actions secourant des hommes, cela n’a pas toujours été le cas. Dans le numéro 5, du Carnet de l’Amont, on peut lire l’effusion des refuges sur le territoire alpin, l’état financera une multitude de lieux refuges à destination des hommes se risquant à passer un col de montagne : «Sur le modèle des hospices, se développent des établissements voués à l’accueil, au soin, à la restauration et à l’hébergement des passants que l’on doit aussi, fréquemment, secourir dans la tourmente².» Afin de permettre au refuge d’exercer son rôle de la meilleure manière possible, le pignon des hospices et des refuges Napoléon, était surmonté un clocheton supportant une cloche que l’on actionnait en cas de brouillard. (fig.9) remplacé plus tard par une fanal, il assure une bonne visibilité, cette grosse lanterne allumée toutes les nuits ainsi que tous les jours de mauvais temps sert de balise et de signal dans le paysage assurant qu’aucun ne se perde ou ne passe à côté de l’établissement sans le voir. Ce point lumineux, peut rappeler aux marins les phares annonçant les côtes, que l’on cherche désespérément en situation dangereuse.

1. Article de journal, Courrier des Alpes, mercredi 17 décembre 1856, n°392 2.Entre Vésubie et Piémont : la madone de Fenestre, Carnet de l’amont n°5, Saint-Martin-Vésubie, 2011. 36


Figure 9 : Représentation schématique du refuge Napoléon-type avec son fanal autrefois cloche de signalisation Figure 10 : Représentation schématique de L’Hospice du Grand Saint Brenard montrant sa situation de balise dans le creux d’un col. 37


Ces lieux-phares, se dessinent comme de réel système de signalisation (voir le dessin en page précédente) : ils éclairent au loin la nuit, ils s’élèvent vers le haut afin d’être vu au détour d’un chemin, aussi, ils se montrent solides et imperturbables. La coupe sur le territoire de l’Hospice du Grand Saint Brenard révèle la situation de l’établissement par rapport à son site, il vient se loger dans un creux de la montagne, à l’abri de tout danger. Si l’établissement d’accueil doit constituer un repère à l’échelle du grand territoire, il se traduit à l’échelle de l’édifice par sa matérialité et sa volumétrie. «Une forte masse quadrangulaire, taillée dans de grosses roches, une maison fort simple, une forte bâtisse aux murs épais¹» (...) Ce sont autant d’expressions qui qualifient l’hospice du Grand Saint Bernard. Les images ainsi que les textes dressent une image monumentale de l’Hospice. Un édifice monumental à l’égard des plus vulnérables. Une sorte de forteresse épaisse qui affirme la sécurité de quiconque vient se réfugier à l’intérieur. Cette notion de monumentalité ou de l’architecture faste à destination de tous, peut rappeler le travail de Fernand Pouillon lorsqu’il conçoit l’habitat social, l’architecte écrits d’ailleurs dans ses mémoires : « Plus le logement est modeste, plus l’architecture doit être monumentale² » Fernand Pouillon interpelle ses autres confrères architectes de l’époque, en leurs demandant : «Pourquoi à l’ère atomique, alors que l’on découvre les espaces intersidéraux, n’est-il plus possible de créer de la beauté pour tous ? Pourquoi, de l’antiquité 1.Louis Blondel, Hospice du Grand Saint-Bernard, étude archéologique, Publié dans Vallesia : bulletin annuel de la Bibliothèque et des Archives cantonales du Valais, des Musées de Valère et de la Majorie, 1947 2. Bernard Marrey, Fernand Pouillon, l’homme à abattre, Editions du Patrimoine, 2010 38


Vers Martigny

Suisse Italie Vers Vers Martigny Martigny

Hospice du Gd St Bernard

Suisse

Suisse Suisse Italie Italie

Italie

Hospice Hospice du GdduStGd St Bernard Bernard

Suisse Suisse Italie Italie

0

0m

Vers Aoste

1

3km Vers Vers AosteAoste

0m

0m

0m

2800m2800m 2700m2700m 2600m2600m

0.5km 2500m2500m

1km

0.5km0.5km

1.5km

2km

2.5km

1km 1km 1.5km1.5km 2km 2km

3km

3.5km

4km

2.5km2.5km 3km 3km 3.5km3.5km 4km 4km

4.5km

4.5km4.5km

5km

5km 5km

Figure 11 ET 12 ; Plan et coupe sur le grand territoire de l’Hospice du Grand St Bernard montrant le rapport à la pente, à l’eau, à la route et à la limite frontalière. 39


au XIXe siècle, l’harmonie était-elle partout, malgré l’absence des machines et de la démocratie ?¹» Mais ces questionnements peuvent toujours se poser pour les architectes du monde actuel, celui du 21ème siècle : Si l’Hospice de nos ancêtres a su être solide et noble, l’établissement d’accueil de demain peut-il se montrer au moins aussi qualitatif que celui d’il y a deux-cent ans ?

4-Précéder son temps : penser le projet avec les questions d’aujourd’hui Les Hospices ainsi que les refuges Napoléon font l’objet d’une architecture travaillée dans les moindres détails, la qualité des matériaux ainsi que leurs provenances locales, l’autonomie énergétique, ou encore l’attention aux espaces intérieurs incitant à la rencontre et à la convivialité sont autant de critères constructifs et spatiaux que l’on peut retrouver aujourd’hui dans le désir de fabriquer une architecture remplissant les principes d’un architecture soutenable. Dans une publication s’intitulant Versus: lessons from vernacular heritage to sustainable architecture² publiée par CraTerre, on peut trouver un tableau répartissant les critères socio-culturel, socio-économique et environnementaux permettant à l’architecte d’autoévaluer son travail. On pourrait alors soumettre les projets des établissements historiques d’accueil dans les Alpes à cette grille d’analyse, on découvrirait que les Hospices et les refuges Napoléon remplissent parfaitement les conditions attendues aujourd’hui dans la fabrication de projet soutenable.

1.Bernard Marrey, Fernand Pouillon, l’homme à abattre, Editions du Patrimoine, 2010 2. Versus: lessons from vernacular heritage to sustainable architecture publiée par CraTerre, 2014 40


Construction et matériaux Les asiles font tous l’objet d’une attention particulière quant à leurs mises en œuvre et leurs bonnes mises en forme. Certes, le programme de refuge n’est pas un programme noble, néanmoins l’attention porté à leur image n’est pas pour autant négligée : « L’image que l’architecture laisse et laissera semble tout à fait au centre des intérêts des entrepreneurs. Chaque matériau est choisi pour ses qualités, et entre eux ils forment un ensemble bien monté et harmonieux : Les travaux dirigés par les architectes, sont suivis par des inspecteurs et conducteurs, lesquels veillent à la bonne fourniture des matériaux et à leur mise en œuvre selon les règles de l’art et les ordres de l’architecte¹.» Ces refuges ou ces hospices, ce sont d’abord des programmes simples et modestes guidés par une pensée humanitaire. Ces édifices sont érigés avec peu de moyen mais toujours dans un souci le plus grand d’une construction de qualité : «Il est évident que pour ces constructions de ce genre et dans les contrées où elles doivent s’élever, il convient de s’attacher surtout aux conditions de solidité et d’utilité.²» Effectivement, construire à ces altitudes (qui imposent toute une série de contraintes climatiques) ne fut pas rien à cette époque. Dans les archives départementales des Hautes-Alpes, on découvre toutes les recommandations liées au choix des matériaux : «La couverture est constituée de planches de mélèze, sans nœuds, dépouillées d’écorce, ébavurées à vive arête et sans aubier, proprement rabotées, avec les joints bien dressés (...)³»

1. Article 2, Décret du 25 janvier 1862 Ministère d’état, section des Bâtiments civils et momnuments publics. 2.Institutions des refuges, archives départemantales des Hautes-Alpes 3.Choix des matériaux de qualité des ouvrages, archives départemantales des Hautes-Alpes, Gap 41


Ces quelques lignes montrent l’intérêt à cette époque pour la construction de belle modénature, chaque matériau suit une transformation particulière et, est choisi avec attention, l’art du chantier ainsi que l’art de construire sont au centre des préoccupations. On peut lire aussi toutes les instructions qui règlent la construction des refuges Napoléon : «chenaux en mélèze, taillés dans des pièces de 16cm de côté, le canal recevra les eaux dans 12 cm de large et 8 cm de profond¹.» Les six différents refuges Napoléon installés dans le Queyras et le Briançonnais obéissent aux mêmes règles et font émerger un nouveau style d’architecture : le refuge cantonnier, au détour d’un lacet de la route. L’habitat exprime les compétences traditionnelles et le savoir-faire local² de la construction en pierre (ce qui est un critère socio-culturel énoncé dans le diagramme d’analyse réalisé par CraTerre). Ainsi, le refuge est identifié directement en tant qu’établissement administratif d’accueil publique au même titre que l’école ou la mairie, le voyageur ne doute point : il s’agit d’un corps central surmonté d’un clocheton et remplacé par la suite par un fanal, et flanqué de deux corps latéraux de composition symétrique en façade et sur le plan intérieur. Cette redondance volumétrique, l’agencement des matériaux, et leurs compositions architecturales communes en font d’autant plus un repère fort dans le paysage alpin. Une des autres conditions que l’établissement d’accueil alpin rempli, c’est celle de la ressource locale. Puisque ces bâtiments sont placés en bord de route, il est facile d’acheminer les matériaux sur le site. Dans un article de la revue La montagne & Alpinisme, Jean-François Lyon Caen explique que : « La manière de construire les refuges va évoluer aussi en

1.Choix des matériaux de qualité des ouvrages, archives départemantales des Hautes-Alpes, Gap 2. Versus: lessons from vernacular heritage to sustainable architecture publiée par CraTerre, 2014 42


fonction des matériaux et des techniques disponibles, de leur comportement au cours des ans. Mais c’est surtout le transport des matériaux en ces lieux éloignés, élevés et exposés aux intempéries, qui sera déterminant pour permettre aux hommes de bâtir à de telles attitudes¹.» Optimiser l’énergie nécessaire à la fabrication du bâtiment ainsi que promouvoir l’activité locale constitue aussi un enjeu important d’aujourd’hui dans la fabrication du projet architectural. Dans une note au préfet à propos de la construction des Refuges Napoléon on peut lire : «Les communes mettront également le plus grand empressement à fournir les bois nécessaires et à voter des journées de prestation pour transporter les matériaux à pied d’œuvre. Les frais seraient ainsi notablement diminués².» C’est dans une posture économe que les projets d’abri ce dessinent : « Chaque construction ne dépasserait guère six mille francs», la question liée aux coûts du bâtiment construit est centrale, on remarque différentes réglementations qui imposent le réemploi des matériaux dans le cadre de travaux effectué à posteriori. Dans un petit projet de construction d’une nouvelle boulangerie ainsi que d’une buanderie pour l’Hospice du Montgenèvre, on découvre tout le soin porté aux matériaux encore en bon état : «Avant de commencer les maçonneries ou démolir le toit, on aura soin de mettre de côté tous les anciens matériaux pour lesquels on choisira ensuite ceux qui pourront resservir et on réemploiera à la charpente les gros bois qui ont été déjà reconnus bons à l’exception des pièces portées précédemment à renouveler. On aura soin de faire resservir tous les chevrons et plancher jugés de bonne qualité pour pouvoir être remis en oeuvre. Le four à pain actuel est bien disposé et il est Jean-François Lyon Caen, Refuge d’altitude, deux cent ans de constructions, La montagne & Alpinisme, revue nationale de la fédération des clubs alpins français et du groupe de haute montagne, n°3, 1998 2. Choix des matériaux de qualité des ouvrages, archives départe43 mantales


formé de matériaux en bon état, les chaudières de la buanderie son presque neuves et les cuviers mobiles sont très bons. Dans un but d’économie nous proposons de conserver les systèmes actuels de ces deux services¹.» Ici encore nous pouvons constater que la limitation des déchets liée aux matériaux et au manque de moyens financier devient partie intégrante de la conception du projet architectural. Nous étions à cette époque dans d’autres logiques de conception car nous n’étions pas encore au temps des prouesses techniques et des circulations facilitées pour acheminer des matériaux venus d’une autre région, voire de l’autre bout du monde. 1-Implantation sur un territoire : l’orographie, l’hydrographie et les cheminements d’accessibilité .Orographie : le rapport à la pente Comprendre, protéger et tirer parti du territoire sont des qualités anciennes d’installation sur un site. Les refuges alpins relèvent de stratégies savantes d’implantation, ils sont ce qu’on appelle «in loco et passagio melius apto». Ce proverbe italien est traduit littéralement par mieux s’adapter au lieu et au passage. Les contraintes en montagne sont nombreuses : ériger un Hospice de la taille de celui du Grand Saint Bernard nécessite une parfaite connaissance du territoire. Louis Blondel, archéologue Suisse nous informe des choix pris dans l’implantation de l’établissement d’accueil situé à la rencontre entre la Suisse, l’Italie et la France : «L’emplacement de l’hospice est bien choisi, sur le col même, dominant la pente très 1. Orde à suivre dans le travail, archives départemantales, Gap

44


raide de la Combe aux Morts sur le versant valaisan. Si l’on considère la position au point de vue dégagement et agrément, il semble que la croupe du Plan de Jupiter est bien plus favorable ; mais ce n’est pas le cas si l’on tient compte des services que devait rendre un refuge plus rapproché du passage dangereux pendant la mauvaise saison¹.» Ainsi, l’implantation de l’édifice n’est pas seulement régie par les contraintes naturelles, mais aussi par son programme. L’Hospice devait à la fois échapper aux potentiels destructions du bâtiment, mais il devait aussi et surtout, assurer ce pour quoi il était là : garantir la protection et éviter la mise en danger de la vie des hommes qui viendraient pour s’y abriter. En étudiant la carte, nous pouvons relever plusieurs choses : le refuge est fortement lié à la pente; ainsi on voit les refuges s’installer dans des cuvettes formées par les sommets. Aux points les plus bas (p46,47), les petites maisons d’accueil attendant leurs pèlerins Dans un recueil, Jean-Loup Fontana précise : «Ailleurs, sur des itinéraires plus difficiles d’accès et de parcours, ce sont de petites communautés humaines qui assurent la fonction d’hospitalité. Ainsi s’expliquent, en large part probablement, des implantations permanentes en haute montagne (2 000 mètres et plus) au prix de conditions de vie extrêmement rudes dont la « cohabitation hivernale hommes-bêtes » est le trait le plus saillant².»

1.Louis Blondel, Hospice du Grand Saint-Bernard, étude archéologique, Publié dans Vallesia : bulletin annuel de la Bibliothèque et des Archives cantonales du Valais, des Musées de Valère et de la Majorie, 1947 2. Jean-Loup Fontana , Route Napoléon, de Louis XIV à Louis-Philippe : l’histoire du Grand Chemin 45


Refuge Izoard

Col de l’Izoard, le refuge au pied du mur

vers Arvieux

2470m Vers Chateauroux

2400m Vers Corps

2350m 2300m 2260m

0.5km

1km

1.5km

2km

2.5km

3km

Refuge de Manse

Gap

Embrun Italie

Col de Manse, le refuge sur la butte Vers Cuneo 1300m 1250m 1200m 1150m

Vers Torre Pellice

1100m 0.5km

1km Refuge Lacroix

1.5km

2km

2.5km

Ristolas

Italie France

Col Lacroix, le refuge dans un creux Vers refuge Agnel 2700m 2550m 2400m 2250m 2110m 0.5km

1km

1.5km

2km

2.5km

3km

3.5km

4km

4.5km

Figure 13 à 18 : Coupe sur le grand territoire de chacun des six refuges Napoléon,

46


Haute-Alpes Alpes de Haute Provence

France Italie

Col de Vars, le refuge talweg* Vers Barcelonette

2700m 2600m 2500m 2400m 2300m 2200m 2100m

0.5km

Vers 1km 1.5km Fontgillarde

2km

2.5km

3km

3.5km

4km

4.5km

5km

5.5km

6km

Refuge Agnel France Italie

Col Agnel, le refuge à mi-chemin entre vallée et sommet Vers Chianiale

3100m 3000m 2900m 2800m

Vers Corps

2700m 2600m 2500m

0.5km

1km

2km

3km

6km

5km

4km

Isère

Hautes-Alpes

Refuge du Noyer

Col du Noyer, le refuge dans une enceinte Vers Gap

2200m 2000m 1750m 1500m 1250m 0.5km

1km

1.5km

2km

2.5km

3km

3.5km

4km

4.5km

5km

5.5km

*Un twaleg correspond à la ligne formée par les points ayant la plus basse altitude, soit dans une vallée, soit dans le lit d’un cours d’eau. C’est un terme allemand, formé des deux substantifs Tal, signifiant vallée , et Weg, signifiant chemin : il signifie littéralement chemin de vallée. 47


Par ailleurs, les refuges étaient aussi pensés de manière plus globale et à une plus grande échelle. L’Hospice ou le refuge, bien qu’en situation isolée, étaient bénéfiques pour les villes et les villages, ils encourageaient l’activité de production des commerces locaux, cette condition se retrouve encore dans la grille d’analyse Versus développée par le laboratoire CraTerre, ce qui accentue encore la soutenabilité des refuges historiques alpins. Dans un article intitulé Entre Vésubie et Piémont : la madone de Fenestre dans les Cahiers de l’amont, il est écrit à propos des fondations monastiques: «Dans tous les cas, ces fondations s’installent au pied des cols, dans des régions dont elles favorisent le peuplement et le développement économique. Plus souvent les refuges sont des installations relativement modestes comme Notre-Dame de Fenestre en haute Vésubie dans les ultimes lacets du col de Tende ¹.» .Hydrographie : la proximité de l’eau L’eau constitue un des besoins des plus vitaux. Elle est le garant de la vie, elle permet d’irriguer son corps, de cuisiner et de se laver. L’eau est un élément important déterminant l’emplacement du projet d’accueil (voir cartes page suivante). Dans un livre nommé Manifeste Négawatt, on peut trouver une distinction et une classification des besoins par ordre d’importance (cf:annexe): «Il est possible de classer l’ensemble de nos besoin selon une échelle allant des besoins «vitaux», ceux dont aucun être humain ne peut se passer, aux besoins «nuisibles», ceux dont la satisfaction nous procure un plaisir souvent égoïste et dérisoire au regard des méfaits qu’ils provoquent directement ou indirectement sur l’environnement ou 1.Entre Vésubie et Piémont : la madone de Fenestre, Carnet de l’amont n°5, Saint-Martin-Vésubie, 2011.

48


sur autrui, aujourd’hui ou demain. Entre ces deux extrêmes nous pouvons définir une hiérarchie qui passe des besoins vitaux, aux essentiels, puis indispensables, utiles, convenables, accessoires, futiles, extravagants et inacceptables ¹.» L’accès à l’eau se situe en tête de classification comme besoin vital dont aucun homme ne peut se passer, la présence de l’eau constituera alors un pilier fondateur du projet de refuge accueillant les voyageurs qui pourraient manquer de cette eau si nécessaire à la survie. Jean Armand Chabrand, dans Les Refuges Napoléon dans les Hautes-Alpes écrit à propos du refuge Izoard : «Il s’élève sur le chemin de grande communication de Briançon au Queyras, sur le versant nord de la montagne, à une heure et demie au-dessus du village de Cervières et à 10 minutes en dessous du col. Une source recueillie dans le fond d’un ravin et conduite devant la porte de la maison, fournit en abondance une eau fraîche et limpide. (...) Le refuge du col Izoard est un des plus propre et des mieux approvisionnés².» On remarque que le problème de l’eau est une préoccupation majeure et c’est d’ailleurs la première évoquée lors des travaux de rénovations ou d’amélioration des refuges Napoléon. Dans un devis descriptif et estimatif des travaux urgents à exécuter au Refuge Napoléon du Col de L’Izoard, on peut découvrir le projet d’une fontaine. La neige, très abondante en période hivernale et printanière met en difficulté le gardien pour accéder à la source, l’idée du projet est dont d’amener près du refuge cette source, qui, malgré sa faible quantité d’eau ne tari jamais même pendant les plus rigoureuses saisons.²

1.Manifeste Négawatt, réussir la transition énergétique, éditions actes sud, domaine du possible, 2012 2. Jean-Armand Chabrand, Les refuges Napoléon dans les Hautes-Alpes Editeur Xavier Drevet, Grenoble 1877, Bibliothèque du touriste en Dauphin 49


vers Briançon

Refuge Izoard

0

0.5

1km

vers Arvieux

2470m Vers Chateauroux

2400m

Vers Corps

2350m 2300m 2260m

0.5km

Refuge 1km de Manse

1.5km

Gap

2km

2.5km

3km

Embrun Italie

0

5

10km

Vers Cuneo

1300m 1250m 1200m 1150m

Vers Torre Pellice

1100m 0.5km

1km Refuge Lacroix

1.5km

2km

2.5km

Ristolas

Italie France

0

0.2

1km

Vers refuge Agnel

2700m 2550m

Fig 19 à 24 : Plan de situation des six refuges Napoléon 2400m son rapport à l’eau,. Les plans sont réduits de 60%

montrant

2250m 2110m 0.5km

1km

1.5km

2km

50

2.5km

3km

3.5km

4km

4.5km


Vers Vars

Vers St Paul sur Ubaye

Refuge de Vars Haute-Alpes Alpes de Haute Provence

France Italie

Vers Barcelonette

0

1

3km

2700m 2600m 2500m 2400m 2300m 2200m 2100m

Vers Fontgillarde 0.5km

1km

1.5km

2km

2.5km Refuge Agnel

3km

3.5km

4km

4.5km

5km

5.5km

France Italie

0

Vers Chianiale

0.2

1km

3100m 3000m 2900m

Vers Corps

2800m 2700m 2600m 2500m

0.5km

Isère 2km

1km

3km

6km

5km

4km

Hautes-Alpes

Refuge du Noyer

Vers Gap

0

1

5km

2200m 2000m 1750m 1500m 1250m 0.5km

1km

1.5km

2km

2.5km

51

3km

3.5km

4km

4.5km

5km

5.5km

6km


Aussi, à l’Hospice Impériale du Montgenèvre, on décidera vers 1841, d’établir une grille-fontaine (fig.25) permettant à l’édifice d’être toujours assuré d’un accès régulier à l’eau : «Vous trouverez sans doute, comme moi, la dépense énorme (17.000fr). Elle ne peut pas trop être réduite à l’embellissement de cet édifice, d’un autre côté, vous remarquerez qu’il s’agit d’amener l’eau pour alimenter la fontaine, de près de 200 mètres de distance parce que là se trouve une source abondante et de bonne qualité; l’on pourra y puiser l’eau nécessaire non seulement à l’alimentation de la fontaine projetée mais encore de celle située au hameau qui tarit entièrement à plusieurs époques de l’année, au besoin l’on puiserait encore l’eau dont on aurait besoin pour l’irrigation de quelques propriétés de l’hospice¹.» Le problème de l’eau en montagne est un des critères majeurs, il faut régler le problème du gel afin de s’approvisionner en toute saison. Ruisseau, source, rivière, eau de fonte, ou lac assurent la survie des hommes. Les cartes attestent de ce rapport que les asiles entretiennent avec l’eau. .La route : connecter et permettre l’accès La route dessine un trait reliant les refuges dans une constellation sur le territoire alpin. (fig.26) Les routes sont empruntées par les villageois mais aussi par les étrangers venus en grande partie d’Italie : «Le nombre de passagers allant et venant, y compris les touristes, les visiteurs de toutes nationalités serait de dix à douze mille. Cette population est en grande partie italienne : Ouvrier, domestiques, maraichers fréquentant nos marchés, de touristes qui explorent les montagnes 1. Lettre du 6 mars 1841 au Préfet des Hautes Alpes, Projet de fontaine de grille pour clore la cour et de porte d’entrée

52


Figure 25: Projet de fontaine de grille pour clore la cour et de porte d’entrée, archives départementales de Gap

53


notamment pour l’ascension du Mont Viso par le versant Italien. Le point de départ, le repos, l’étape obligée de tous ces visiteurs et passagers est forcément le refuge du col Agnel, le premier village Italien Pontechianale se trouvant à près de deux heures du col, et le premier village français Fontgillarde étant plus éloigné encore¹.» La route et le refuge sont alors pensés comme un ensemble indissociable,(p.56) le refuge ne peut être pensé sans la route permettant son accès (comme le serait d’ailleurs une maison), mais l’inverse est aussi vrai. Installer une route au beau milieu de ces territoires isolés va amener tout un tas de gens à la parcourir. Nous ne pouvons alors à l’époque se passer de maisons qui la ponctuent : «Tous ces cheminements sont pourvus d’établissements d’accueil ou maisons de refuge afin de secourir les passants en difficulté, tout en favorisant les échanges².» Depuis l’Antiquité les routes dans les Alpes se dessinent et se multiplient, elles garantissent le passage d’une vallée à l’autre. Ces routes sont projetées là où les possibilités de passage sont les plus confortables, elles sont tracées de manière stratégique : à l’abri de tout risque, et avec une pente relativement confortable à la fois pour les hommes mais aussi pour les bêtes qui les accompagnent. Les refuges quant à eux, sont situés sur ces routes aux endroits les plus dangereux. En effet, si les hommes sont en danger sur une portion précise du chemin, de toute évidence le refuge s’installera là où la vie des hommes est la plus vulnérable : Jean-Armand Chabrand nous précise à propos du col Agnel : «Le col s’ouvre à 2669m d’altitude, il est d’un accès facile, l’on y arrive par une route en pente douce,

1.Lettre à Monsieur le Maire, le 4 juillet 1886, château en Queyras. Renseignements commerciaux sur le passage du col agnel 2.FONTANA, Jean-Loup, “Au bonheur des voyageurs en péril”, L’Alpe, n° 18, hiver 2003, dossier “Les grandes peurs dans la montagne”, pp. 51-66. 54


BAUGES Bonneval-sur-Arc Gran Paradisio

VANOISE

GRAN PARADISIO

CHARTREUSE Grenoble

CLAREE

Bourg d’oisans

Grand Pic de la Meije

Bardonecchia

Montgenèvre

ECRINS

Italie

Briançon

VERCORS

Torre Pellice

3 2

6

QUEYRAS

1

5 4

Embrun

Mont Viso

France

Cuneo

1.Agnel 2.Lacroix 3.Izoard 4.Vars 5.Manse 6.Noyer

Figure 26 : Schéma des refuges Napoléon constituants un maillage et une colonne vertebrale sur le territoire alpin

55


vers Briançon

Refuge Izoard

0

0.5

1km

vers Arvieux

2470m

Vers Chateauroux Vers Corps

2400m 2350m 2300m 2260m

Refuge 1km de Manse

0.5km

1.5km

Gap

2km

2.5km

3km

Embrun Italie

0

5

Vers Cuneo

10km

1300m 1250m 1200m Vers Torre Pellice

1150m 1100m Refuge 1km Lacroix

0.5km

1.5km

2km

2.5km

Ristolas

Italie France

Vers refuge Agnel

0

2700m

0.2

1km

2550m 2400m 27 à 32 : Plan de situation des six refuges Napoléon montrant Figure son 2250m rapport aux chemins et routes. Les plans sont réduits de 60% 2110m 0.5km

1km

1.5km

2km

56

2.5km

3km

3.5km

4km

4.5km


Vers Vars

Vers St Paul sur Ubaye

Refuge de Vars Haute-Alpes Alpes de Haute Provence

France Italie

Vers Barcelonette

0

1

3km

2700m 2600m 2500m 2400m 2300m 2200m 2100m

0.5km

Vers Fontgillarde 1km 1.5km

2km

2.5km

3km

3.5km

4km

4.5km

5km

5.5km

Refuge Agnel France Italie

Vers Chianiale

0

0.2

1km

3100m

Vers Corps

3000m 2900m 2800m 2700m 2600m 2500m Isère 0.5km

1km

2km

Hautes-Alpes 3km

6km

5km

4km

Refuge du Noyer

Vers Gap

0 2200m 1

5km

2000m 1750m 1500m 1250m 0.5km

1km

1.5km

2km

2.5km

57

3km

3.5km

4km

4.5km

5km

5.5km

6km


très commode pour les chevaux. Pendant six mois de l’année, l’abondance des neiges, le froid et le tourment rendent ce passage excessivement dangereux. (...) Cette montagne était donc une de celles où le besoin d’une maison de refuge se faisait le plus vivement sentir. Mais une fois établi, il ne fut pas facile de trouver un gardien qui voulût consentir à passer l’hiver dans une habitation perdue au milieu des neiges¹.» Les Refuges dits « Napoléon » sont alors installés sur les principaux axes et les plus fréquentés par les hommes de manière à constituer un maillage de points et de lignes (voir figure à la page précédente) : les points représentants ces refuges, les lignes, les routes permettant de les lier. Ces refuges sont un bel exemple de sollicitude administrative envers le voyageur passant par la montagne : «Edifiés par le département des Hautes-Alpes à partir de 1856, une dotation d’État fut alors consacrée à la construction et à l’entretien par le service des Ponts et Chaussées de ces maisons cantonnières placées sur les routes les plus utilisées par les migrants et les plus exposées aux risques naturels¹.» .Un programme simple, accueillir Si nous avons vu que les choix de conceptions constructives et spatiales des refuges historiques répondent aux conditions de fabrication d’une architecture d’aujourd’hui, les choix éthiques et sociaux répondent eux aussi aux attentes actuelles.

1. Jean-Armand Chabrand, Les refuges Napoléon dans les Hautes-Alpes Editeur Xavier Drevet, Grenoble 1877, Bibliothèque du touriste en Dauphiné 58


«Ce ne sera pas une autorisation qui devra être accordée aux cantonniers gardiens de ces maisons, mais une obligation d’héberger les passants qui feraient appel à eux¹.» Accueillir : c’est un seul mot qui désigne tout le programme des refuges. Accueillir les voyageurs, les passants, les migrants, ou encore les bandits. Malgré leurs mêmes objectifs de trouver refuge, ces réfugiés n’ont évidemment pas les mêmes histoires et ne sont pas issus des mêmes situations sociales, économiques ou politiques. Dans les Archives départementales des Hautes-Alpes, nous pouvons distinguer les voyageurs en fonction de leurs directions : «Ceux qui entrent en France en provenance du Piémont sont généralement pourvus des moyens pour continuer leur route, au contraire de ceux qui retournent dans le Piémont, lesquels présentent tous ordinairement des signes de misère. Leur refuser les secours analogues à leur malheureuse position serait un acte de cruauté dont peu de personnes auraient le triste courage de se rendre coupables [...]Pourquoi entreprendre un voyage de 50, 60, 80 ou 100 lieues pour trouver gratuitement à l’hospice ½ litre de vin, ½ kilo de pain, une soupe et un lit pour une nuit seulement?²» L’organisation des établissements d’accueil et souvent radicale et simple : une pièce pour coucher, une pièce pour manger et la possibilité de prier. Ainsi, la plupart des refuges s’organisent selon deux espaces différents clairement définis: convivialité et intimité : «Tous les refuges Napoléons ont été construits sur le même plan. (p.61) Ils se composent d’une salle commune, d’une chambre à coucher pour les voyageurs, d’un logement pour le gardien et sa famille, d’une écurie, d’un hangar et de

1. Article de journal, Courrier des Alpes, mercredi 17 décembre 1856, n°392 2.Hospice de Montgenèvre, an VIII-1905, Administration, Archives Départemantales des Hautes-Alpes, Gap 59


quelques accessoires nécessaires.¹» Les cadres rouges sur les plans indiquent la pièce principale structurant l’ensemble, c’est la salle à manger commune qui est au centre du projet architectural. Les conditions d’accueil sont sommaires, la présence seule d’un toit et d’un feu de cheminée déterminent la notion de confort qui est d’ailleurs plus de l’ordre du réconfort : «Le plus grand nombre des voyageurs franchit le Montgenèvre sans s’arrêter, seuls viennent à l’hospice ceux qui sont dans le besoin ou contraints par les intempéries. Un repas frugal, un coucher dans l’écurie sont tout ce qu’il est possible de leur offrir².» Cette notion de confort dans le refuge me semble tout à fait intéressante à soulever. En effet, le refuge a la capacité de redéfinir cette notion et les règles de confort car, visà-vis de la condition extrêmement hostile du dehors, le simple fait de se retrouver protégé dans quelques mètres carrés et bénéficiant de quelques degrés supplémentaires, suffit à rendre le refuge parfaitement confortable. Dans un entretien à propos de la conception actuelle des refuges, l’architecte Jacques Félix- Faure s’exprime sur cette notion de mesure du confort : « On s’est battu pour que ce qui te permet d’être dans un état d’esprit de compréhension de cette place dans l’univers, ne se perde pas. Qu’est ce qui te permet d’être dans cet état d’esprit ? C’est finalement le fait que tu restes quelqu’un de fragile. Si cette fragilité, on te l’enlève, c’est-à-dire que tu rentres et tu as ton sèche-cheveux, ta douche, et que tu oublis où tu es, tu oublis que tu es fragile

1. Jean-Armand Chabrand, Les refuges Napoléon dans les Hautes-Alpes Editeur Xavier Drevet, Grenoble 1877, Bibliothèque du touriste en Dauphiné 2.Hospice de Montgenèvre, an VIII-1905, Administration, Archives Départemantales des Hautes-Alpes, Gap 3. Jacques Félix-Faure dans un entretien du 04.04.19 60


Figure 33 à 35 : Plan des refuges Napoélon de Vars, de Manse et de l’Isoard, archives départementales de Gap

61


Et donc cette notion de sobriété, de fragilité, on la cultive.³» C’est donc la réalité du lieu qui pose les règles de confort de l’architecture du refuge. La première condition que nous pouvons relever dans l’architecture du refuge historique et contemporain est la notion de communauté. Un des principes socio-culturel présent dans le tableau Versus, est d’encourager la cohésion sociale : l’habitat doit faciliter l’échange entre les voisins afin de nourrir une intelligence collective.¹ Si l’on regarde les schémas diagrammatiques des plans des refuges nous pouvons constater que la plus grande part de l’espace est offerte aux espaces communs. C’est la communauté et la rencontre avec l’autre qui prime. Même si c’est la communauté qui prime, l’intimité paraît un besoin essentiel, l’établissement doit de permettre à chacun de se recréer en distinguant nettement les espaces de vie commune où l’on prend son repas avec les autres et les espaces de repos assurant une nuit tranquille. Même si les dortoirs sont communs, la capacité de reposer son corps dans un espace dédié spécifiquement à cela permet au passant de retrouver une certaine intimité. Si les lieux sont rustiques, le refuge s’attache néanmoins à ce que le voyageur ait la possibilité de se reposer, et ce, même au sein de la communauté. Le moral doit être remonté, et le corps reposé. Organiser le vivre-ensemble constitue un exercice difficile. A l’échelle de la famille, il est déjà parfois complexe pour l’architecte, d’assurer à chacun l’intimité dont il a besoin : «Il ressort toujours une oscillation entre sphère individuelle et sphère sociale, entre espace clos et monde naturel ouvert, entre iso1. Versus: lessons from vernacular heritage to sustainable architecture publiée par CraTerre, 2014

62


La pièce commune : centralité du refuge

Organisation verticale des espaces de jour et des espaces nuit

La chambre des gardiens, en proximité et en retrait par rapport aux pièces à coucher des voyageurs, cette organisation a pour effet de préserver l’intimité des gardiens tout en assurant leur rôle

Les pièces à coucher ne se situent pas au même niveau que la pièce de vie, cette distinction des espaces à pour effet la préservation de l’intimité des voyageurs

Refuge du col de l’Izoard

Refuge du col de l’Izoard

Refuge du col de Vars

Refuge du col de Manse

Figure 36 à 39 : diagrammes en plan et en coupe représentants l’organisation des espaces intimes et communs

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lement et partage. Les structures architecturales ont toujours fait la distinction entre ces deux environnements, mais elles les ont aussi toujours mis en relation mutuelle.¹» Dans le cas de l’Hospice ou du Refuge la difficulté est multipliée par le fait qu’il ne s’agit pas de loger des personnes issues de même culture, il s’agit au contraire de faire se rencontrer pour un temps, des personnes venant de tous horizons : âge, sexe, origine, culture, classe sociale se confondent. Assurer une vie en communauté ou chacun se retrouve à l’égal de l’autre n’est pas un exercice difficile. Jacques Félix-Faure précise lors de l’entretien, la nécessité d’intégrer la convivialité dans la conception même de l’architecture : « Finalement quels sont les endroits au monde dans lesquels il y a des gens qui ne se sont pas choisis et qui décident de bouffer ensemble, les uns serrés contre les autres et de dormir ensemble ? Très peu. Et pourquoi ils acceptent ça ? Parce que finalement ils en gagnent plus de choses, le rapport à la nature. Et finalement, ils s’aperçoivent qu’en lâchant certaines choses, cette protection, cette intimité, et bien, ils se retrouvent plus riches avant qu’après. Et donc ce deal-là, on ne cesse de répéter qu’il est important et qu’il faut tout faire pour le conserver. Donc la table commune par exemple, on veut ne pas lâcher ça².» La deuxième condition socio-culturelle indiquée dans la grille d’analyse versus, et que nous pouvons retrouver dans les projets de refuges est la capacité à générer des systèmes créatifs : L’habitat encourage l’apport de solutions novatrices et d’expressions créatives.³ En effet, Hospices et refuges se trouvent dans des territoires extrêmement rudes. Cette rudesse

1. Pierre Bourdieu, la misère du monde, 1993 2. Jacques Félix-Faure dans un entretien du 04.04.19 3. Versus: lessons from vernacular heritage to sustainable architecture publiée par CraTerre, 2014 64


du territoire entraine toute une série de contraintes qui poussent l’architecte à trouver des solutions innovantes. Le caractère hostile de la montagne obligeait aux hommes à construire le plus compact possible, les premières installations étaient constituées d’une seule pièce : la préparation de la nourriture permettait à la pièce de trouver une température confortable afin de trouver le sommeil. Louis Blondel, dans une étude archéologique de l’Hospice du Grand Saint-Bernard explique : «Nous avons ici la cuisine avec sa cheminée (A), logée dans un énorme mur de 3m.08 d’épaisseur. La disposition du four indique qu’il chauffait en même temps la paroi donnant sur la cave suivante (B). A l’origine, cette cuisine pouvait aussi servir de réfectoire, car la niche formant la cheminée constituait une petite salle à part. Cette disposition entre les deux salles A et B était ingénieux, car on obtenait avec un minimum de combustible un chauffage des locaux en même temps que la préparation des aliments. Pour un refuge de montagne, dans un climat aussi froid et avec la difficulté de s’approvisionner en bois, cette solution était très bien adaptée¹.» (p.67) Pour conclure cette partie, on peut dire que les valeurs intrinsèques au refuge sont aussi les valeurs que l’on peut attendre d’un projet d’habitat aujourd’hui. Nous pouvons nous questionner sur la perte de ces valeurs anciennes que nous peinons à retrouver aujourd’hui au sein du métier des architectes. L’architecte Jacques Félix-Faure explique que c’est avant tout ce rapport à la nature, que nous avons

1.Louis Blondel, Hospice du Grand Saint-Bernard, étude archéologique. Publié dans Vallesia : bulletin annuel de la Bibliothèque et des Archives Cantonales du Valais, des Musées de Valère et de la Majorie, 1947 65


perdu et que nous tentons de retrouver : «C’est ce qu’on appelle l’amnésie générationnelle, c’est-à-dire, les choses que l’on a perdu petit à petit au fil des générations, qui est le rapport à la nature. Et finalement on veut recréer un rapport à la nature. Mais qui est un rapport juste, pas un rapport de consommation, de consommation de dire : qu’est-ce que tu peux m’apporter, mais en disant : ah oui, je vois tout ce que tu m’apportes. Paysages, force, soleil etc… Et ça, on le traduit après, par les notions d’autonomie, de travail sur l’eau, le travail sur la lumière etc. Donc ça c’est important.¹»

1. Jacques Félix-Faure dans un entretien du 04.04.19

66


3.08m

Cuisiner Dormir

Cheminée

Plan au 1:200

Figure 40: Plan de l’Hospice du Gd St Bernard, redessiner par Louis Blondel, dans une étude archéologique, 1947 Figure 41: Redessin schématique montrant le principe thermique permettant d’apporter un confort à la pièce à coucher 67



Partie 2

Le refuge en montagne : les exigences du temps prĂŠsent


.Définition approfondie de ce que peut être le refuge Nous parlons des refuges au pluriel comme s’ils répondaient à une même image. Jean Castex nous enseigne que le type architectural -qu’il soit église, hôpital ou refuge, acquiert un sens abstrait «car le mot même désigne une figure qui renvoie à une réalité cachée».¹ Nous apprenons aussi que derrière un mot utilisé au pluriel comme pour généraliser une forme architecturale attachée à une fonction, il y a en fait l’idée d’une matrice modèle qui se veut génératrice des formes les plus variées : «le type est comme un noyau autour duquel s’agrègent des développements¹». C’est à dire que’en prenant l’exemple du refuge, le noyau se définit par son programme d’établissement d’accueil. Ce noyau est commun à tous les projets de refuges, c’est ce qui définit son type, sa fonction. Par ailleurs on voit bien la difficulté que l’on a de se représenter mentalement une image de refuge, la raison pour laquelle son image est floue, s’explique par le simple fait que le refuge n’est pas une forme figée archétypale, mais bien un type d’architecture laissant libre ses interprétations et toutes leurs déclinaisons. Le mot refuge vient du latin refugium : action de se réfugier, il est composé du préfixe reet de fugere, littéralement fuir, s’enfuir. Le refuge peut être à la fois un lieu physique où l’on vient trouver une aide, un réconfort mais il est aussi une abstraction, qui d’un point de vue psychologique nous permet d’être soutenus face aux moments difficiles, comme par exemple: Dieu est mon refuge.

1. Jean Castex , Une typologie à usage multiples, Classer, Comprendre, Projeter. La typologie est-elle une méthode de projet ? L’exemple de Saverio Muratori à Rome et à Venise de 1949 à 1959. Puvlié par Versailles : Ville Recherche Diffusion , 2001 70


La manière d’aborder le refuge est donc multiple et sa définition n’est pas unique. En revanche, que ce soit d’un point de vue psychologique ou physique, le refuge porte en soi les mêmes concepts, idées et valeurs, le lieu-refuge est un concept matériel ou immatériel, mais dans les deux cas, c’est un lieu sûr à l’abri des dangers.

1-Le refuge-étape à mi-chemin des sommets: la construction d’un imaginaire Les refuges-asile qui constituaient les refuges Napoléon deviennent rapidement un lieu d’intérêt pour les amateurs de la montagne, le nombre de touristes français et étrangers s’accroît chaque année, ils viennent prendre retraite et migrent en effet dans les Alpes. Jean-Armand Chabrand écrit à propos de ce nouveau phénomène: «Ils [les touristes] ont dû comprendre, à la vue de ces établissements, tous les avantages qu’il y aurait, pour eux, de trouver dans le voisinage des points à escalader et à explorer, une construction pouvant leur offrir au moins un abri. Aussi le Club Alpin-Français et la Société des Touristes du Dauphiné rivalisent de zèle et d’activité pour installer, partout où cela est possible, des chalets, des cabanes, des baraques plus ou moins commodes, où les excursionnistes pourront se mettre à couvert des intempéries¹.» La circulation améliorée intègre soudainement la montagne au reste du monde. La route connecte les deux espaces : ville et montagne, ce qui supprime sa capacité à être une terre de refuge, Luisa Bonesio nous livre une expression donnée à ce changement d’état : Les Alpes idéa-

1. Jean-Armand Chabrand, Les refuges Napoléon dans les Hautes-Alpes Editeur Xavier Drevet, Grenoble 1877, Bibliothèque du touriste en Dauphiné 71


lisée se détruisent en s’offrant à la voracité du monde¹.» Les refuges établis et ceux qui ne tarderont pas à s’élever, seront alors de nouveaux objectifs pour les nombreuses caravanes d’alpinistes. Les massifs alpins sont explorés dans les moindres recoins, au grand avantage de la science et du pays tout entier avec le développement du tourisme. Pour une génération qui découvre les Alpes, il s’avère excitant de tout découvrir, la montagne affiche jusque-là encore, l’image d’une matière rocheuse infranchissable et infréquentable mais la modernité est rongée par l’angoisse de s’approprier chaque recoin de la terre. Luisa Bonesio s’exprime à propos de ce phénomène : «Il pourrait en fait ne s’agir que d’une difficulté d’intégration de la complexité alpine par une culture qui de manière symptomatique ne cesse de s’interroger sur les moyens de résoudre son impraticabilité (qui devient un obstacle à corriger voire à supprimer)¹.» Autrefois, voyageurs, passants ou étrangers, on découvre dès lors, les nouveaux pratiquants de la montagne : le sportif, l’aventurier, ou le simple contemplateur.

2.Une architecture expérimentale, la montagne comme laboratoire «En quelques décennies, les guides alpins et les associations d’alpinistes vont réaliser ce que ni les armées romaines ni Napoléon n’ont réussi : conquérir la nuit et domestiquer les Alpes.²» Avec la société moderne, la performance sporti-

1.Luisa Bonesio, traduit de l’italien par Jean-Loup Fontana, L’Alpe, n° 18 2. Carlo Alberto Pinelli, magazine L’Alpe n°14 Terre de refuge, 2001 72


ve se développe ainsi que le divertissementet le loisir, le confort augmente. L’euphorie des hommes qui découvre la montagne les invitent à développer des dispositifs novateurs, dès 1870, de premières petites habitations sommaires sur des vires ou des replats à mi-chemin entre alpages et glaciers se construisent : «Le programme est simple, il s’agit toujours d’une unique pièce partagée en deux : d’un côté les bat-flanc, de l’autre une table et un banc¹.» La créativité des architectes sur la question d’habiter en montagne est foisonnante. Plus tard, en 1959 de nouveaux matériaux atteignent les sommets (ou du moins leurs pentes), et de nouveaux moyens de transport comme l’hélicoptère fait son apparition, le refuge Albert 1er est le premier refuge pour lequel les matériaux sont acheminer par voie aérienne. Cette évolution en matière de transport fait émerger de nouvelles formes et de nouvelles manières de construire à des altitudes élevées cependant «la sécurité psychologique apporté par l’hélicoptère a transformé à jamais l’expérience du refuge. La vraie peur, la terreur primitive ne reviendra jamais. Désormais, avec le téléphone portable, le monde est devenu un grand refuge jamais clos².» Les représentations liées à la réalité de la montagne se transforment. On passe d’une représentation hostile et tourmenté à un imaginaire du rêve et de la poésie. Pierre Segehrs nous livre une image de refuge proche des rêves de l’enfant : «Bâti de pierre, tendu de toile ou tisser de rêve un refuge est d’abord un refuge imaginaire. (...) Une expérience partagée ouverte aux territoires de l’enfance.³» Le refuge 1.Jean-François Lyon Caen, Refuge d’altitude, deux cent ans de constructions, La montagne & Alpinisme, revue nationale de la fédération des clubs alpins français et du groupe de haute montagne, n°3, 1998 2.Luisa Bonesio, traduit de l’italien par Jean-Loup Fontana, L’Alpe, n° 18 3.Pierre Seghers, Les refuges dans les Alpes, abri du ciel, défi des hommes Les patrimoines éditions le Dauphiné, 2014 73


devient l’objet d’une fiction ou d’un fantasme qu’on envisage comme un petit vaisseau noyé au milieu de la nuit. Le célèbre écrivain et illus trateur Samivel nous livre lui aussi une représentation nouvelle de l’espace refuge : «Autour de la minuscule coque de tôle où reposaient les hommes. Là-dedans, c’était un espace apprivoisé, encore frémissant de gestes humains, avec des choses familières (...) Rien que des cœurs amis. Une espèce de tendresse taillée à l’usage des hommes. (...) Et les cloisons fragiles suffisaient à contenir ce monde amical, assuraient la division miraculeuse entre ce qui était dedans et ce qui était dehors. (...) dedans tout était calme, dehors régnait l’incommensurable.¹» Ici, il n’est plus question de refuge massif et solide construit de pierre se présentant comme un phare dans la nuit, il est maintenant question d’un refuge nous ramenant à notre condition fragile avec des matériaux plus léger comme la tôle et portant en eux l’imaginaire de la cellule intersidérale ou celui du manège proposé par Jacques Barsac puisque lié à la structure en parapluie adoptée pour le refuge tonneau.

3- Jean Prouvé et Charlotte Perriand, la question du bien-être et du réversible .Le refuge tonneau : un jeu de construction à échelle 1 Les architectes s’emparent des nouvelles manières de fabriquer l’espace avec des matériaux plus légers et finalement plus maniables. Charlotte Perriand, propose un refuge cylindrique autour d’un mat central prenant appui sur des demis-fermes. Elle s’inspire du carrousel de 1. Samivel, l’amateur d’abîmes,1940 éditions Hoëbeke 2002

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Figure 42 et 43 : Photographie de Maquette et Photomontage du refuge tonneau, Carnet de Montagnes, Charlotte Perriand, Edition Maison des Jeux olympiques d’hiver - 2013 Figure 44 et 45 : Photographie de maquette du refuge tonneau réalisée par les étudiants de licence 3, studio Julie Flohr, ENSAG 2019 75


fête foraine et fabrique une petite cellule habitable décollée du sol, un tonneau d’aluminium à hublots où l’on peut venir passer une nuit encapsulée, au coin du feu et à l’abri de la nuit.(p75) Ici, le refuge dit refuge-tonneau relève d’une simplicité constructive. Construit en aluminium, le poids de la structure est réduit facilitant ainsi transport et montage sur chantier. Le refuge est assemblé en seulement quatre jours. Les éléments sont préfabriqués s’articulant autour d’une ossature faite de tubes d’aluminium légers et robuste. Les panneaux emmagasinent la chaleur et contribuent à dégager la neige aux alentours du refuge. Le volume est circulaire, à l’extérieur les vents glissent contre les parois en ne déstabilisant pas l’ensemble. La forme circulaire est choisie à la fois pour son imaginaire du jeu et du vaisseau une terre inconnue, mais aussi pour des propriétés plus mécaniques ou structurelles : le cylindre est la forme la plus stable, les vents glissent autour de l’objet. Le corps étant lui-même pensé comme un chauffage, l’addition de plusieurs personnes suffisent assurer une température confortable à l’intérieur. Cette condition liée à l’autosuffisance énergétique est une condition que l’on retrouve dans le diagramme proposé par CraTerre : l’habitat renforce l’autosuffisance de la communauté. Le refuge est donc dimensionné de manière à résoudre les contraintes liées au confort thermique, il est donc de taille modeste. Guy Degrandchamps, dans un livre intitulé Architecture et modestie propose une définition de la modestie en architecture : Au sens premier, être modeste, c’est être «celui

1. Versus: lessons from vernacular heritage to sustainable architecture publiée par CraTerre, 2014

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qui observe la mesure. Observer, mesure, mesurer, voilà bien de légitimes fondations, et des outils essentiels à l’activité des architectes.Il ajoute plus loin, qu’un architecte est modeste en tant qu’il aurait la capacité à la fois théorique et pratique de distribuer cette mesure entre les choses qui concourent au projet, entre le projet et le monde, entre le projet et les hommes.»¹ Charlotte Perriand dans son travail sur les refuges nous livre un bon exemple de ce qui pourrait être une architecture modeste. Dans ces quelques huit mètres carrés, on peut dormir à huit, c’est à l’espace commun qui est laissé le plus de volume (p79) L’espace interne est pensé dans les moindres détails, optimisant chaque geste et rendant ainsi possible la cohabitation des sportifs venant se réfugier à l’intérieur. Le mobilier est d’ailleurs dessiné avant même l’architecture, ce sont les meubles qui définissent l’ensemble. Le refuge dans sa compacité prend sa place dans la catégorie des tout-en-un : une même pièce pour dormir, jouer aux cartes, cuisiner et manger. A propos de la mesure des choses dans la manière de concevoir un refuge afin que l’habitat reste suffisamment modeste pour que l’usager puisse rester dans un rapport éveillé de sa juste place au monde, Jacques Félix-Faure nous parle de l’échelle et de la mesure comme outil de l’architecte : «Il y a l’échelle, on a refusé de faire des refuges de 120 places, et on a perdu, et c’était terrible pour nous, on a dit on préfère faire trois refuges de 40 places, plutôt qu’un refuge de 120 places. Trois ref-

1.Architecture et modestie, actes de la rencontre tenue au couvent de La Tourette les 8 et 9 juin 1996. Théétète editions 1999

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uges de 40 places on marche à tous les coups, on a un contact gardien qui est comme il faut, on a une convivialité, on a une écoute, on a une famille qui se créée si tu veux, famille de la montagne, alors qu’a 120, c’est l’usine, c’est le self-service etc.¹» Les schémas ci-contre montrent à quel point la mesure des espaces est déterminante dans la manière de vivre et d’habiter : les espaces sont à la fois larges et confortable mais l’échelle du refuge et la petitesse du projet permet de retrouver une forme d’intimité et de proximité encourageant la rencontre tout en protégeant sa sphère privée. Dans le refuge Tonneau de Charlotte Perriand l’espace où l’on mange ensemble est assez resserré pour que l’on soit dans une sorte d’intimité avec l’autre (ou en tout cas, de convivialité). De même, l’espace où l’on dort est situé sous le toit, de cet espace nous pouvons apprécier le paysage extérieur par les petits hublots, l’espace resserré devient immense. Bien que les dimensions de la mezzanine soit confortable et intime, c’est de manière commune que nous passons la nuit. Les espaces communs et intimes du refuges sont donc revérsible et laisse à l’usager la possibilité de se retirer ou de s’exposer aux autres. Bien que le refuge autorise à avoir des lieux très fermés, nécessaires à l’intimité de chacun, il reste largement ouvert dans son ensemble, il met l’accent sur le vivre ensemble et la rencontre de l’autre. Le dimensionnement des espaces joue un rôle considérable qui déterminera des expériences tout à fait différentes selon si l’usager a la possibilité de choisir de se retrouver seul ou avec l’autre, ou si il ne lui est pas permis. Gaston Bachelard écrit à ce propos en 1957 dans La poétique

1.Jacques Félix-Faure dans un entretien du 04.04.19

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Figure 46 et 47 : Dessin schématique du refuge tonneau en coupe montrant la gestion des sphères privées et communes

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de l’espace : « Les petits espaces à l’intérieur d’un grand espace sont décrits comme étant le moyen que possède l’habitant de s’approprier les lieux, de s’y sentir bien. Ils incarnent le refuge, évoquent une notion temporelle puisqu’aller se « blottir dans un coin » ne dure qu’un temps même si celui-ci peut se renouveler¹.» L’idée de retrouver des petits espaces à l’intérieur d’un plus grand est largement développée dans les travaux des architectes modernes. Le paragraphe qui suivra s’attardera sur la notion de modularité des espaces afin de retrouver du bien-être et du confort même au sein d’un habitat commun. Marc Wigley écrit d’ailleurs à propos des architectures proposées par Jean Prouvé : «Il a donné corps à une forme d’hospitalité unique, chaque espace autonome pouvant former un collectif ou s’en écarter à volonté à l’image d’une société plus égalitaire².» .De la situation d’urgence à la situation de loisir Charlotte Perriand devenue architecte aux côtés de Le Corbusier et Jean Prouvé, serrurier et ingénieur ami de Le Corbusier également, seront amenés à se rencontrer et travaillerons ensemble sur des projets comme la station des Arcs en Savoie (1967-1987). Tous deux avec l’architecte Guy Rey-Millet, forment une équipe pour concevoir la station de ski. Le grand souffle créateur de l’architecture de l’entredeux-guerres autrement dit « L’Esprit nouveau » fut réincorporé dans la manière de penser les espaces et le bien-être : «Dans une station de montagne comme la nôtre, l’habitat doit être évidemment conçu de toute autre manière qu’en ville. Ici la nature prévaut, l’on y passe le plus clair de son temps et toute l’architecture

1.Gaston Bachelard, La poétique de l’espace,1957 éditions puf, 2012 2. Mark Wigley Jean Prouvé : une architecture de la légerté, dans Jean Prouvé : Architecte des Jours Meilleurs, Fondation Luma, 2018 80


est organisée en fonction de cela. (…) L’architecture de loisir ne doit pas être tournée vers le dedans comme c’est le cas de la résidence principale, mais favoriser le plus possible le contact avec l’extérieur. On ne vient pas à la montagne pour rester enfermé dans un studio ou une chambre d’hôtel¹.» L’intelligence spatiale des espaces restreints comme par exemple la cabine de bateau ou le wagon de train, ont fortement retenu l’intérêt des architectes. Charlotte Perriand ainsi que Jean Prouvé s’inspirent des ouvrages d’architectures navales et aériennes : «les constructeurs en ont expliqué la puissance d’attrait : complexité du programme, ingéniosité de sa solution, hardiesse de la technique et sincérité des formes².» Architectes modernes, engagés politiquement et socialement, ils travaillent dès les années trente, dans la création de logements pendant la période de l’entre-deux-guerres. Etant un des problèmes les plus difficiles à résoudre au vue de la situation d’urgence et de la grande nécessité de relogement, les architectes travaillent essentiellement sur le confort et le vivre-ensemble. Ils instaurent des principes de modularité dans l’habitat en 1934 afin de permettre à l’habitant de s’approprier son espace habitable. Aussi, Jean Prouvé dessinera pour l’Abbé Pierre, la maison des jours meilleurs, une maison en kit, fabriquée en usine et pouvant être montée en quelques jours par un petit groupe d’homme. Ces architectes imaginaient la construction de l’architecture comme celle d’une voiture ou d’un bateau, en faisant passer toutes les étapes de fabrication dans l’usine. On comprend d’avantage les formes et les matériaux employés 1.Roger Godino, extraits de construire l’imaginaire ou la quête inachevée d’un aménageur.Dans Les Arcs 1998 2.L’architecture courante des paquebots, revue belge d’architecture, d’urbanisme et d’art public, 1929, 81


par Jean Prouvé et Guy Rey-Millet qui laissent aujourd’hui un refuge aux Evettes semblable à un vaisseau fonctionnel et compact. Dans une émission sur France culture s’intitulant : L’appel de la Montagne: Un refuge entre deux mondes réalisée par François Test, on peut entendre le témoignage de la gardienne du refuge de Leschaux proposant une vision du refuge qui s’apparenterai à une sorte de navire pris par les glaces dans lequel nous retrouvons l’idée de la cabine de bateau, minuscule : «Le dortoir est à la fois salle à manger, tout se confond dedans, c’est du tout en un. En descendant de son lit, le gardien à un pied dans la douche, un pied dans la cuisine et une main dans la chambre¹.» Dans La recherche du confort dans les intérieurs modernes, l’architecte Xavier Salvador, dresse un tableau de ces espaces nouveaux et issus de la révolution industrielle dans lesquels le travail de l’aménagement intérieur est remarquable : «Le wagon-restaurant est un « intérieur » dans lequel on sert en moyenne de 300 repas par jour, à raison de 3 services de 50 couverts chacun, au déjeuner et au diner. Dans un espace qui n’est pas plus grand que beaucoup de « salles de débarras » de nos maisons bourgeoises » (…) Cela tient du miracle.²» Les programmes sont simples : Diminuer les espaces intimes et personnels au minimum pour offrir une surface plus généreuse d’espace communs et partagés afin de permettre la rencontre et l’échange entre les hommes. Nous ne sommes alors finalement pas très loin du témoignage de Delphine Lantignac, gardienne du refuge sur son expérience d’habiter en montagne.

1.Emission France culture, L’appel de la Montagne: Un refuge entre deux monde, François Test 2. Xavier Salvador, La recherche du confort dans les intérieurs modernes, dans Les chantiers nord africains 82


Figure 48 à 50 : Photographies du refuge de Leschaux, photographes : 1.François Renard 2.Jerome Bon, 3.Jesus Elche

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Les photographies de la page précédente montrent le refuge dans son rapport au site, il est situé dans une falaise sur une vire. Il s’intégre dans le paysage à la manière d’un caméléon. A l’intérieur, nous retrouvons la disposition traditionelle du refuge, avec les bas-flancs d’un côté et la table commune de l’autre. L’installation du refuge dans son site fait l’objet d’une attention particulière de la part des architectes. Adolf Loos écrit en 1913, les Règles pour celui qui construit en montagne, il écrit ceci : «Ne bâtis pas pittoresque. Abandonne ce genre d’effet aux maçons, aux montagnes, au soleil. L’être humain qui s’habille pittoresque n’est pas pittoresque, c’est un Polichinelle. Le paysan ne s’habille pas pittoresque, il l’est.Construit aussi bien que tu peux. Pas mieux. Ne sois pas prétentieux. Ni plus mal¹.» Les schémas de la page ci-contre r.evèle les logiques d’installation du refuge, ils prennent place dans une compréhension du milieu dans lequel ils sont. Le refuge de Leschaux, vient se greffer à la montagne comme pour un faire parti, de même le refuge des Evettes que nous verrons dans la partie suivante, s’installe en s’allongeant sur un replat, en hiver, son toit se couvre de neige, faisant disparaître l’architecture au profit du site. Ces deux refuges peut-être qualifiés de «refuges-paysages», selon une appelation de Jean-François Lyon Caen : «des réalisations nouvelles dont le parti pris architectural contribue à révéler le site par un choix d’attitudes variées»²

1.Adolf Loos, Règles pour celui qui construit en montagne, dans Ornement et crime, Rivages poche, Éd. Payot & Rivages, Paris, 2003 2. Architecture des refuges d’altitude en région Rhône-Alpes, Ministère de Direction régionale de l’environnement • DIREN Rhône-Alpes, équipe de recherche architecture paysage montagne, Ensag, Mars 2008 84


Figure 51: Installation du refuge des Evettes sur un replat Figure 52: Installation du refuge de Leschaux dans la pente

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.Le refuge des Evettes : les contraintes spécifiques d’une époque Un refuge est toujours construit sur un site contraint, que ce soit économiquement, socialement, météorologiquement, ou géographiquement, l’architecture est toujours un réel défi à mener. Jean Prouvé installe la méthode de préfabrication pour le refuge des Evettes, les bâtiments sont fabriqués en atelier pièce par pièce et numérotées comme un immense puzzle. Ainsi, on transporte le futur édifice en morceaux détachés que l’on vient assembler définitivement sur chantier : « Pour simplifier le chantier, le projet ne comporte pas d’étage, et la structure est une charpente tridimensionnelle faite de barres de petites dimensions et de faible poids. L’ensemble reposant sur des poteaux. (...) Les panneaux de façade sont en plastique avec une âme intérieure comprenant un isolant de haut niveau. De faible poids, ils sont fixés à l’ossature¹.» L’idée de pouvoir monter un bâtiment en plusieurs parties semble tout à fait pertinent dans un milieu comme celui de la montagne où le transport des matériaux est une véritable contrainte, c’est le transport qui va définir quel type d’architecture se mettra en place. Le refuge alpin vient lui aussi compléter la grille présentant les qualités d’une architecture soutenable. Un des critères socio-économique est la capacité d’un habitat à prolonger la vie du bâtiment : L’habitat augmente la résistance dans le temps et l’utilisation à long terme.² Le refuge des Evettes est pour cela hors du commun : il semble être monté la veille, les matériaux n’ont pas de traces du temps qui a

Jean-François Lyon Caen, Refuge d’altitude, deux cent ans de constructions, La montagne & Alpinisme, revue nationale de la fédération des clubs alpins français et du groupe de haute montagne, n°3, 1998 2. Versus: lessons from vernacular heritage to sustainable architecture publiée par CraTerre, 201486


passé comme peuvent avoir les chalets de bois aux teints patinés. Nous comprenons comment l’architecture fonctionne, de l’extérieur on peut voir la trame des panneaux isolés, de l’intérieur on peut comprendre que chaque éléments a été percé en atelier selon si c’était un panneau de porte ou de fenêtre. Cette notion de réversibilité et le fait de concevoir un habitat capable de se monter et de se démonter peut surprendre : le refuge des Evettes rompt alors avec la tradition des refuges construits en pierre qui donnaient à voir des bâtiments robustes et protecteurs. Celui-ci est très peu pondéreux, assemblés en quelques jours sans machine de levage, nécessite seulement la force humaine d’un petit groupe. Le tout transporté en kit par hélicoptère. Les refuges préfabriqués de Jean Prouvé ou de Charlotte Perriand questionnent la notion de pérennité en architecture. Elles ne sont pas pérenne au sens où elles vont rester figées et impeccable à travers le temps, mais elles contiennent en elles-mêmes la notion de pérennité car elles sont capables de disparaître et de se reconstruire au fil des années, elles peuvent être stockées comme l’est aujourd’hui le refuge du col de la Vanoise et ainsi attendre leur nouvelle vie ailleurs. Elles fabriquent une tout autre catégorie, celle de l’architecture réversible, transportable et mobile. «Cette architecture ponctuelle est faite pour atterrir et décoller. Sa durée d’existence est limitée dans le temps, comme pour n’importe quel véhicule : des abris mobiles pour une population nomade de pilotes, de soldats, de réfugiés, de sans-abris, de vacanciers, de randonneurs, d’étudiants, d’enfants, d’explorateurs¹.» Nous les qualifions parfois d’objet et

1. Mark Wigley Jean Prouvé : une architecture de la légerté, dans Jean Prouvé : Architecte des Jours Meilleurs, Fondation Luma, 2018

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non plus d’édifice car l’habitat devient un simple jeu de construction à l’échelle 1. Certains parlent même de prototype, sous entendant, que ce n’est que l’esquisse d’un projet pas encore terminé : «Comme pour les fusées et les ordinateurs, pour les refuges du club alpin on peut parler de générations. Les Evettes incarneraient donc la nouvelle? L’expérience nous dira si nous devons poursuivre ce prototype.¹» La contrainte sociale est également importante, le refuge rassemble des personnes qui n’ont rien à voir entre eux si ce n’est la montagne. Le refuge doit donc permettre intimité et communauté. La modularité permet à l’usager de recréer un espace plus fermé et à son échelle afin de lui garantir une intimité nécessaire. Guy Desgrandchamps dans Architecture et modestie nous éclaire sur cette notion de communauté et d’intimité : «Dans partage il y a, à la fois division et communion. On se met à part, on se retire dans ses appartements, mais on fait la part des choses pour mieux les redistribuer. On divise le pain en parts, mais c’est pour mieux le manger en compagnons. Comme si le partage séparait pour mieux rassembler².» Nous pouvons voir sur le premier schéma (fig.53) que le refuge a été pensé selon deux ailes distinctes : une de jour, séparé de celle de la nuit. Cette séparation des espaces permet de conserver l’intimité de chacun mais aussi de garantir une bonne nuit de repos. Cette intimité est aussi primordiale pour les gardiens qui habitent le refuge plus de la moitié de l’année, le second schéma montre où se situent leurs espaces quotidiens : à gauche, c’est l’espace de la cuisine, à droite, en fond d’aile, c’est la chambre du gardien.

1.Les refuges dans les Alpes, abri du ciel, défi des hommes Les patrimoines éditions le Dauphiné, 2014 2. 2.Architecture et modestie, actes de la rencontre tenue au couvent de La Tourette les 8 et 9 juin 1996. Théétète editions 1999 88


Espaces jour et nuit

Espaces des touristes et des gardiens

Espaces commun et privĂŠ

Figures 53, 54 et 55: SchĂŠma en plan du refuge des Evettes indiquand les espaces intimes et privĂŠs en bleu et en orange, les espaces de vie commune. 89


Si l’architecture organise au mieux les espaces afin de permettre aux usagers d’expérimenter au mieux le programme du refuge, nous pouvons observer que le refuge n’est pas pensé comme un lieu regardant sur lui-même. En effet, si les gens viennent au refuge, c’est avant tout pour faire l’expérience de la montagne. A partir de là, l’architecture peut se réduire au minimum afin d’intégrer l’espace extérieur comme partie intégrante du projet, c’est ce que montre le troisième schéma : le dehors est considéré comme espace commun du refuge. Que ce soit le refuge historique bâti de pierre ou le refuge de l’époque industrielle construit de tôle, cette vision évolutive proposée précédemment nous a montré comment l’architecture du refuge à su s’adapter à ces nouveaux usagers et aux nouvelles activités que nous avons pu lui conférer. Le refuge de montagne a pu évoluer sur le point constructif, spatial et social mais il a su garder les valeurs intrinsèques au refuge historique. Nous pouvons alors énoncer maintenant ces qualités de manière précise, afin de les resituer dans les questions d’actualités liées à la fabrication d’habitations d’accueil (qui constituera la troisième partie du mémoire). C’est le nouveau refuge de l’Aigle, comme projet contemporain qui nous permettra d’énoncer clairement les qualités propres à l’architecture du refuge.

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4-L’Aigle : les valeurs intrinsèques du refuge comme outils de conception spatiale Nous avons vu, au travers des exemples que le refuge porte en lui une série de valeur éthique, qui est inscrite dans la conception même de l’architecture. Nous avons pu évoquer des notions telles que convivialité et communauté, hospitalité et accueil, des notions de confort et de dimensionnement, mais aussi d’autonomie énergétique, de construction, de fabrication et de matérialité, enfin, une notion de logique d’installation sur un territoire et de rapport à un site dans une vision plus large et à grande échelle. Toutes ces notions que nous avons pu analyser dans cette première partie nous parle de manière générale de sobriété et de frugalité. Un entretien effectué avec l’architecte du refuge de l’Aigle nous aidera à comprendre comment nous pouvons restituer toutes ces qualités architecturales dans le projet de demain. Depuis plusieurs années, les valeurs du refuge sont au centre des préoccupations et des débats tenus par les professionnels liés à la montagne. D’un côté, on veut afficher une hausse de confort dans les établissements d’altitude, de l’autre on veut défendre une valeur intrinsèque à celle du refuge, celle de la sobriété : «Pas question de baignoires chauffées en extérieur, ni de chambres individuelles, comme on en voit désormais parfois dans des refuges privés. Nous n’avons pas vocation à construire des hôtels d’altitude, souris Niels Martin. Un refuge doit rester dans une forme de sobriété. Grandes tablées et dortoirs collectifs restent de mise¹.»

1.https://www.humanite.fr/niels-martin-il-faut-repenser-la-montagneet-ses-modes-de-pratique-591930 « Il faut repenser la montagne et ses modes de pratique » Mardi, 8 Décembre, 2015 91


Monsieur le maire : «Bien sûr, mais c’est aussi de savoir si un refuge c’est un hôtel, est-ce que c’est normal, est-ce que vous pensez que c’est normal que n’importe qui, qui va sur les Champs Elysées à Paris, ou je ne sais pas où, rentre dans une agence de voyages et dit « Tiens, qu’est-ce que vous avez à me proposer ? » Eh bien j’ai ce trek-là, le trek du MontBlanc », parce que c’est présenté comme un trek dans leurs revues. Et bien quand on envoie des gens là-haut, en leur laissant l’impression que c’est un voyage comme quand ils vont faire un trek en Afrique du Nord ou je ne sais pas où, ou au Népal, je trouve quand même qu’on n’est plus dans la notion de refuge.¹» Si l’on comprend bien ces témoignages le refuge doit défendre un inconfort programmatique de manière volontaire. Le refuge d’aujourd’hui n’a plus qu’un seul objectif, celui d’accueillir la personne en situation vulnérable, mais il a aussi l’objectif d’éduquer l’usager à ce qu’est la montagne. Si l’usager vient s’abriter à une certaine altitude après des heures de marche et qu’il retrouve exactement ce qu’il a laissé en bas, il peut alors oublier là où il se trouve. Faire payer l’eau des douches, demander aux personnes de redescendre leurs déchets, devoir mettre de la sciure après être allé aux toilettes, c’est autant de dispositifs qui permettent à tous de sentir la réalité du lieu. C’est ce que l’architecte Jacques Félix-Faure disait à propos de la fragilité, si on enlève cette fragilité on ôte la réalité que constitue le lieu de la montagne. Jacques nous explique que «le refuge est comme un outil pédagogique qui redit à l’homme sa place dans l’univers.» Il ajoute que «si tu comprends ta place dans l’univers, ta place ou ta responsabilité vis-

Maire de Chamonix, A propos du nouveau et peut-être ancien nouveau refuge du Goûter. réunion du conseil municipal se tenant à St-Nicolas, http://www.elancitoyen.fr/a-propos-du-nouveau-et-peut-etre-ancien-nouveau-refuge-du-gouter/ juillet 2015 92


3794m 3500m 3000m 2500m 2000m 1450m 1km

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Figure 56: Schéma du refuge de l’Aigle dans son installation en croupe sur la montagne Figure 57: coupe sur le territoire indiquant la position du refuge de l’Aigle 93

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à-vis de la terre, tu peux aussi la comprendre vis-à-vis des autres hommes ¹.» En effet, le refuge de l’aigle, dans ses proportions se montre comme une minuscule cabane au milieu d’un glacier. A l’inverse du refuge de Leschaux ou des Evettes, le refuge est en promontoire assurant sa visibilité. De la même manière que pour les Hospices, une fois éclairé, le refuge de l’Aigle s’installera comme un phare dans le paysage. (voir page précedente) La conservation de ces valeurs refuges passe par plusieurs dispositifs architecturaux. Par exemple, sur la notion de confort et de convivialité. Au refuge de l’Aigle, c’est là encore une organisation traditionelle du refuge : une pièce commune divisée en deux espaces (p.59) De la même manière que pour l’hospice, la chambre du gardien est en retrait par rapport au volume global. Une des autres valeurs du refuge, c’est sa capacité à nous faire prendre conscience de la réalité d’un lieu. Fabriquer un refuge, c’est utiliser les bons matériaux : « le fait que ça reste un lieu exceptionnel que ça reste un lieu dans lequel tu as une certaine fragilité, dans lequel tu es un éveil si tu veux, et ben ça se construit par tout ce qui n’est pas de l’ordre de la couche supplémentaire, du masque, et donc faire tomber les masques. Et donc, le matériau brut, tous les filtres. On travaille sur cette simplicité d’aller à l’essentiel des choses, d’un point de vue structurel, d’un point de vue des finitions. D’être dans la vérité des matériaux, de ce qu’ils expriment, le bon matériau au bon endroit. On le met parce que c’est le mieux qui répond à toutes les contraintes, et il faut que pédagogiquement, quand on le voit,

1.Jacques Félix-Faure dans un entretien du 04.04.19

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L’espace de couchage en Bas-flancs

l’espace de vie la table commune

Espace intime et de travail des gardiens

Espace réservé aux visiteurs

Figure 58: Schéma de l’organisation spatiale divisant espace de repas et dortoir Figure 59: Schéma de l’organisation spatiale du refuge, indiquant l’espace intime des gardiens au nord 95


on se dit : ah ouais il n’y a que ça qui pourrait être là, autrement ça aurait été lourd, inadapté etc.¹» L’architecte va plus loin dans la maîtrise des éléments nécessaire à la fabrication d’un refuge : «Chaque molécule d’air doit être contrôlée puisque finalement on parle de carbone, quand est dans une couchette ou dans un dortoir, on te dit il y a un taux de carbone donc on te parle de chaque molécule d’air d’accord, et tu dois travailler à ça, et j’adore ça. Et ça me rappelle les abbayes cisterciennes, où, dans les abbayes cisterciennes, pour croire en Dieu, les mecs ils étaient super, un seul matériau, que minéral et de la lumière, c’était leur règles de base. Un seul matériau, et nous on joue là-dessus, cette partition-là : la lumière et l’espace. On est dans ces dimensions-là. Cette spiritualité-là. C’est-à-dire que pour rattraper le retard que l’on a, pour redire que la nature c’est une chose absolument incroyable, et qu’on en est un peu responsable, et ben on travail de la même façon avec la même volonté que dans les abbayes cisterciennes¹.» Dans la partie précédente, nous avions fait allusion aux représentations mentales et à l’imaginaire évoqué par le refuge. Dans une autre dimension, Jacques nous parle du rôle du refuge dans son caractère spirituel : « Le choc eu j’ai eu quand mon père m’a amené dans les quelques abbayes cisterciennes, et puis qu’il a tapé dans sa main, et que ça a résonné, et puis qui m’a dit tu sais le Seigneur il est là, moi je l’ai cru tout de suite tu vois, il n’y avait pas besoin de me dire, je savais qu’Il était là tu vois, et je veux qu’il y ait le même choc avec l’univers quelque part. Tout d’un coup, entendre ton cœur battre dans cet univers-là.

1.Jacques Félix-Faure dans un entretien du 04.04.19

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Et même voir la neige tomber à l’extérieur et que toi t’es là et il y a un silence, le temps peut passer, et tu te poses plein de question sur ton parcours de vie, sur ce qui était là, passer une nuit à la belle étoile après avoir bu une soupe avec ton gamin, c’est extraordinaire, c’est des choses très très simples, mais c’est…. Où on peut avoir ça ?¹» Ce témoignage de l’architecte à la fois concepteur mais aussi usager nous parle de la dimension refuge qui dépasse le simple caractère hospitalier et convivial. Le refuge apparaît comme une réelle expérience singulière qui nous invite à méditer sur la place de l’être humain en rapport au monde. Le refuge parle d’humilité et de modestie. Le refuge historique comme le refuge contemporain, sont bien construits afin de porter secours aux personnes se trouvant face à la montagne regorgeant de dangers. Nous pouvons nous interroger si le terme de refuge comme il était nommé à l’époque et qui désignait l’habitat des passants, voyageurs ou migrants peut être le même mot utilisé aujourd’hui pour désigner un établissement d’accueil touristique comme le sont les nouveaux refuges du Club Alpin français. A cette question, Jacques Félix-Faure nous répond : « Le refuge, en été, plein soleil etc… pas de soucis, t’es serein ! Mais l’Aigle, tu prends le petit bouquin collection Guérin, tu vois Pascal Tournaire, il t’explique qu’il a failli mourir, et que le refuge lui a sauvé la vie. Voilà. Donc ce refuge-là, il en a sauvé plus d’un. Il sert vraiment de phare, de bouée de sauvetage. L’aigle est particulier par rapport à ça, 3500m d’altitude… Les autres refuges, je prends le Presset, la Selle, sur lesquels j’ai travaillé, qui sont des refuges qui sont un peu moins durs mais qui dans certaines

1.Jacques Félix-Faure dans un entretien du 04.04.19

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conditions, voilà, où tout d’un coup, tu cherches ton chemin, t’a pas de visibilité, et tu tâtonne, et ça devient un truc où tu te dis : dans 5 min, je suis mal, si la personne à côté de moi est mal etc. … et voilà, il y a quand même cette notion d’urgence, qui fait que ça ne peut ne pas rigoler, et là le terme refuge prend tout son sens. Pour moi, ce mot-là, il se gonfle un peu, le fait qu’il peut sauver des vies, y compris à 2500m d’altitude, ça leurs donnent pour moi un force, une symbolique qui va au-delà de ça, qui fait que tout d’un coup, on a envie de croire que si on était dehors, même en plein été … on a bien fait d’être là. Les gens qui sont là, l’été, ils parlent un peu comme des rescapés quand même. Des rescapés de quoi ? De cet effort qu’ils ont fait pour monter jusqu’ici, rescapé de ce qu’ils ont quitté en bas, c’est être rescapé du risque de rencontrer l’autre, c’est être rescapé de cette aventure quelque part. L’aventure elle est là.¹» .Refuge vs refuge Nous avons vu au sein de la première partie combien la situation des migrations inquiétaient les autorités et entraina des mesures d’installations d’un habitat d’urgence sur le territoire : «Il est notable de constater que, sur les six refuges effectivement édifiés, quatre se trouvent sur les routes ouvrant au Queyras, particulièrement fréquentées par les migrants piémontais en chemin vers la France.²» Si nous voulons actualiser la problématique des migrants de leurs hospitalité et donc du refuge nous pouvons poser la question sous l’angle de l’architecture et de l’habitat comme espace d’intimité mais aussi de rencontre.

1.Jacques Félix-Faure dans un entretien du 04.04.19 2.Jean-Loup Fontana , Route Napoléon, de Louis XIV à Louis-Philippe : l’histoire du Grand Chemin 98


Lors de l’entretien, nous posons la question à l’architecte du refuge de l’Aigle : «Est-ce que vous pensez réintégrer toutes ces valeurs là, dans un habitat qui ne soit pas forcement connecté au territoire alpin, mais réintégrer cette sobriété là au quotidien ? Le logement en ville par exemple, ou même la conception pour ceux qui sont les réfugiés actuels ? Jacques nous répond : « Pour avoir un papa architecte qui s’est beaucoup occupé de réfugié, de gens en dehors de la société, lui il te dirait, que c’est une fragilité qui est parce que tu es en dehors d’une communauté alors que tu aimerais l’être, et donc tu lances un appel en disant comment je pourrais tisser un lien ? En fait ce que papa à travailler, c’est comment faire en sorte que la personne soit de nouveau respectée. Donc c’est des choses très simples : tu as un endroit qui est à toi, tu peux te doucher. Ton corps, il est très important, c’est ton enveloppe etc. Tu peux avoir chaud. C’est retirer des liens qui passent par le corps, qui passe par le respect mutuel. Et puis après tu as l’espace, effectivement tu as le lit, mais ça c’est tellement important et donc on est un peu diffèrent que sur un refuge parce que finalement cette fragilité-là, dont on parle, elle passe par des choses essentielles et qui sont, je te dis, des petites choses qui fait qu’a un moment donné tu as oublié que tu as été complètement rejeté, on te fait un peu plus confiance, tu as un savon etc. Puis après on te dit, non on ne va pas te remettre dans un dortoir à quinze personnes, ce soir tu as ton lit à toi, et là tu peux avoir ton intimité, Ya pas quelqu’un qui va te marcher dessus la nuit sur ton sac de couchage… C’est sur des reconstructions comme ça. Des accueils où on te dit, oui il y a encore une place pour vous ce soir, si vous voulez.¹ »

1.Jacques Félix-Faure dans un entretien du 04.04.19

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Le refuge peut être donc considéré comme une architecture de l’urgence ou encore de survie dans la mesure où elle est capable de s’installer sur un territoire de manière savante et ainsi permettre au passant d’y être accueillie et de se recréer avant de reprendre son chemin. Selon Yona Friedman, «une architecture peut être considérée comme architecture de survie si elle ne rend pas difficile (ou plutôt favorise) la production de nourriture, la collecte de l’eau, la protection climatique, la protection des biens privés et collectifs, l’organisation des rapports sociaux et la satisfaction esthétique de chacun¹.»

1. Yona Fridemann, l’architecture de survie, éditions de l’éclat 2003

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Partie 3

Au-delà de la montagne : des espaces pour accueillir les hommes, une nécessité


1. Du refuge des Evettes à la maison des jours meilleurs, la multiplication de lieux d’accueil sur le territoire En 1956, Jean Prouvé conçoit sous la demande de l’Abbé Pierre une maison en kit, annonçant un avenir meilleur. Le projet s’articule selon deux espaces bien distincts, de la même manière que pour le refuge des Evettes, les espaces de jour et de nuit sont clairement définis. Leur séparation est assurée par un bloc porteur épais contenant des rangements. (fig. ci-contre) La maison est montée sur les bords de la Seine à Paris et reçoit une famille sinistrée d’aprèsguerre. Jean Prouvé développe depuis 1939 une logique de maison prototype conçues rapidement et de manière économe comme un mécano, il commence sa carrière architecturale avec la création de baraquements militaires d’urgences à multiplier sur le territoire en fonction de là où se trouvent les besoins. Le refuge des Evettes ainsi que celui du col de la Vanoise répondent à la même logique : une architecture légère à multiplier sur le territoire alpin. Cette idée d’une architecture hospitalière conçue toujours selon un même principe. Jean Prouvé décline des principes structurels et porteurs en bois et en acier, le poteau central portant les fermes va changer de formes petit à petit, entre 1939 et 1969, nous pouvons voir une réelle évolution des techniques employées. (voir page suivante) Jean Prouvé imagine un habitat qui puisse se mouvoir en fonction des besoins. Les hommes se sont toujours déplacés sur les territoires. Aussi, les glaciers reculent petit à petit… Nous vivons dans un monde où rien n’est figé mais en perpétuel mouvement, Jean Prouvé avait l’idée de faire des maisons éphémères pour une

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Figure 60: Plan de la maison des jours meilleurs, source internet Figure 61: SchĂŠma de la rĂŠpartition des espaces de nuit et de ceux de jour marquĂŠ par un mur porteur contenant des rangements 105


génération. Il écrit à ce propos : « Il ne m’est jamais venu à l’esprit que quarante ans plus tard, elles soient toujours habitées.¹» Cette notion de réversibilité que développe Jean Prouvé est toujours une problématique actuelle pour les architectes. On constate aujourd’hui que le refuge des Evettes est encore une des rares constructions encore habitées, la plupart de sa production est aujourd’hui dans les galeries ou les musées d’art. Pratiquement les seuls habitats qui ont perdurés jusqu’à aujourd’hui ont été rattachés à un socle en maçonnerie lourde permettant de les fixer à un foncier. C’est ce que nous explique Jean-Christophe Grosso, enseignant à L’école d’architecture de Grenoble, «le plancher porté dérange». Cela veut dire que l’habitat dit léger, littéralement traduit par un plancher que l’on peut porter ou déplacer, inquiète les administrations. Si aujourd’hui, c’est le foncier qui détermine et qui légitimise le statut de l’architecture, nous comprenons alors la difficulté qu’ont les autorités à se représenter un lieu de vie non fixée à un parcellaire, car elle insinue une capacité mobile de l’habitat. Aujourd’hui, la problématique de la construction dite légère, reste une problématique importante. Ces dernières années nous ont montré la difficulté de mise en place d’un habitat temporaire à destination des migrants. Le vocabulaire employé pour parler de ces habitats éphémères n’utilisait jamais le mot refuge, mais cabane, abri, campement, ou habitat d’urgence. Pourtant, le refuge nous a montré depuis sa naissance au moyen-âge, de nombreuses qualités étant liées aux problématiques de l’accueil de l’étranger. Jacques Derrida dira à ce propos :

1.Jean Prouvé par lui-même, Propos recueillis par Armelle Lavalou, éditions du linteau, 2001

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1939, le compas en bois

1945, abri à portique axial

1948, structure à portique

1953, coque parabolique

1969, charpente tridimensionelle

1970, structure parapluie

Figures 61 à 66: Evolution des systèmes constructifs imaginés par Jean Prouvé, source : http://claude.fourcaulx.free.fr/mon_hist/ Jean%20PROUVE/Jean%20PROUVE.htm 107


«Le droit d’asile est un vestige médiéval, qui a survécu aux guerres du 20ème siècle ¹.» Aysegül Cankat nous rappelle dans son introduction Etre architecte -La construction d’une éthique par la compétence spatiale, que les architectes «ont un rôle d’accompagnement et surtout d’anticipation dans la construction des lieux de vie de qualité, qu’ils soient temporaires ou permanents, dans une attitude inclusive qui incite à la solidarité.²» L’habitat, qu’il soit temporaire ou permanent est bien une réflexion à remettre au cœur de la pratique des architectes. Nous savons que nous serons confrontés à l’avenir par des phénomènes de migrations climatiques, ce qui peut nous interroger sur la manière et le rôle qu’auront les architectes à anticiper le droit au logement, ainsi qu’à se créer leurs propres outils de fabrication de lieux-refuges.

2. Les Arrivals cities : la notion des villes-refuges Hospitalité et Hostilité se confondent, ils ont d’ailleurs la même racine «Hos» qui désigne l’étranger. Les dérivés hostis (hostile) et Hospe (Hospice) peuvent alors prendre des sens totalement contraire, celui du rejet ou celui de réception. D’après une définition de Cyrille Hanappe, dans un recueil s’intitulant La ville accueillante, accueillir à Grande-Synthe : «L’hospitalité repose sur l’usage du don dans les pratiques sociales³». L’hospitalité est donc animée par 1.Jacques Derrida, de la « ville-refuge » au droit de résidence, Manola Antonioli, Dans Le territoire des philosophes (2009), pages 139 à 159 2.Aysegül Cankat, Habilitation à diriger la recherche, Etre architecte -La construction d’une éthique par la compétence spatiale 3.La ville accueillante, accueillir a Grande-Synthe- Questions théoriques et pratiques sur les exilés, l’architecture et la ville. Sous la direction de Cyrille Hanappe 108


l’amour de son prochain, et la gratuité. Elle mobilise les meilleures parties de chacun. Selon Michel Agier, c’est un acte qui nous rend heureux car nous nous portons d’avantage d’amour lorsque nous nous voyons accueillir les autres. Michel Agier explique encore dans son livre intitulé L’étranger qui vient - repenser l’hospitalité, que l’hospitalité est bonne à penser, elle est certes difficile à réaliser parfois, mais ses pratiques «pourrait bien nous conduire à mettre en œuvre des concepts et conceptions d’une vie meilleure pour tous, en paix, et plus égalitaire à l’échelle du monde.¹» Malgré toutes ces définitions de l’hospitalité, qui dressent un tableau plutôt beau et positif, l’hospitalité fut pourtant considérée comme un crime. En effet, dès 1938, la France invente la pénalisation de «l’hospitalité, afin de lutter contre l’accueil des réfugiés (en grande partie juifs).²» L’hospitalité comme commandement divin à l’époque et principe fondamental de l’éthique devient alors un délit face à la justice. Là où l’on avait établis des hospices et des refuges afin de permettre à l’étranger de s’abriter et d’échapper à la mort, on se retrouve aujourd’hui face à une situation incompréhensible : deux-cent ans plus tard, on ne tolère aucun accueil vis-à-vis de l’étranger. L’exemple de Cédric Hérroux, agriculteur dans la vallée de la Roya a fait beaucoup de bruit ces trois dernières années. L’homme passible de prison est interpellé pour avoir aidé et logé régulièrement plusieurs migrants venus de l’Italie. On peut se demander comment un Etat, dont la devise européenne est « Unis dans la diversité », peut alors condamner des actes d’hospitalité. Que devient un pays, que devient une culture, que devient une langue quand on

1. Michel Agier, Létranger qui vient - repenser l’hospitalité, edition seuil 2018 2.Claire Saas, la pénalisation de l’hospitalité, Plein droit, 2001 109


peut y parler de « délit d’hospitalité », quand l’hospitalité peut devenir, aux yeux de la loi et de ses représentants, un crime ? Jacques Derrida s’exprime à ce sujet en 1996, alors que le Théâtre des Amandiers de Nanterre accueillait une soirée de solidarité avec les sans-papiers, le philosophe improvisait l’intervention ci-dessous : «L’an dernier [en 1995], je me rappelle un mauvais jour : j’avais eu comme le souffle coupé, un haut-le-cœur en vérité, quand j’ai entendu pour la première fois, la comprenant à peine, l’expression ­« délit d’hospitalité ». En fait, je ne suis pas sûr de l’avoir entendue, car je me demande si quelqu’un a jamais pu la prononcer et la prendre dans sa bouche, cette expression venimeuse, non, je ne l’ai pas entendue, et je peux à peine la répéter, je l’ai lue sans voix, dans un texte officiel¹.» Une bonne nouvelle et la promesse d’un nouveau regard sur les choses se fait sentir au mois de Juillet dernier : suite à l’inculpation de Cédric Hérroux pour avoir héberger des personnes en situation illégale dans la vallée de la Roya, et après un grand combat, Le conseil constitutionnel valide «le principe de fraternité» et déclare le 5 juillet 2018 : «Une personne aidant un migrant sans intérêt ni contrepartie financière ou pour des raisons humanitaires ne sera désormais plus passible d’une condamnation.» Sur le site internet de la Friche Belle de Mai de Marseille nous pouvons lire que les « Arrival Cities », sont des « villes dans la ville, sont des zones tampons, des espaces de transit pour les populations, saisissant leurs chances dans la densité urbaine.²»

1.Jacques Derrida, soirée de solidarité Théâtre des Amandiers de Nanterre, 1996 2. http://www.lafriche.org/fr/agenda/arrival-city-marseille-ville-darrivee-1507 110


La ville-refuge est une tradition ancienne que l’on peut retrouver dans le Bible, dans le livre des Nombres au chapitre 35 :12-16 nous pouvons lire : « Parmi les villes que vous donnerez, six vous serviront de villes de refuge. Vous donnerez trois villes de l’autre côté du Jourdain et trois dans le pays de Canaan. Ce seront des villes de refuge. Ces six villes serviront de refuge aux Israélites, à l’étranger et à l’immigré qui se trouve parmi vous¹» La ville refuge est alors comme une arche de Noé; au moyen-âge, c’est l’âge d’or du droit d’asile : en pénétrant à l’intérieur des murailles de ces villes, les serfs deviennent des hommes et des femmes libres. Selon Jacques Derrida, une ville se distingue d’un Etat, elle peut prendre de sa propre initiative un statut original qui, au moins sur ce point précis, l’autorise à échapper aux règles usuelles de la souveraineté nationale, à contribuer à une véritable innovation dans l’histoire du droit d’asile, une nouvelle cosmopolitique, un devoir d’hospitalité revisité? L’auteur ajoute que même si cette notion de ville refuge peut paraître utopique, «c’est aussi une tâche théorique et critique, urgente dans un contexte où les violences, les crimes, les tragédies, les persécutions, multiplient les réfugiés, les exilés, les apatrides et les victimes anonymes ².» Dans un mémoire s’intitulant : Briançon : ville refuge à l’heure de la criminalisation de la solidarité, Aude Vinck-Keters remet à jour cette notion de ville refuge en ce qui concerne la ville de Briançon : « Briançon peut être considérée comme une ville-refuge au sens du refuge en montagne, c’est-à-dire un abri, un lieuétape de repos et de transit pour continuer la

1.Jacques Derrida, de la « ville-refuge » au droit de résidence, Manola Antonioli, Dans Le territoire des philosophes (2009), pages 139 à 159 111


course – et en l’occurrence ici, le parcours migratoire ; mais aussi un lieu d’accueil plus pérenne, un refuge au sens où des individus s’y installent sur un temps plus long, s’y mettent en sûreté pour échapper à une menace et y recherchent une protection internationale¹.»

3-Accueils d’urgence : les camps-refuge du 21ème siècle .Implantation sur un territoire En 2016, la création d’une série de petits refuges sont installés sur l’emplacement du camp de la Linière près de la ville de la Grande-Synthe. Nous avons pu analyser à l’aide des cartographies l’installation du refuge historique sur des zones bien particulières : les cols. Ces cols sont encore aujourd’hui les points de passages les plus fréquentés par les migrations. Dans la plupart des cas, les refuges ou les Hospices se situaient en zones limitrophes entre l’Italie et la France. Dans le cas du campement de la Linière nous retrouver cette logique d’installation si particulière du refuge, près de la frontière administrative. Michel Agier dans un ouvrage nommé Gérer les indésirables, du camp de réfugié au gouvernement humanitaire nous précise comment le camp de réfugié prend sa place sur un site : «Je me suis refugié là» est l’expression qui institue ces situations limites, ces lieux les plus «borderline». En effet, ce premier ensemble d’espaces [les refuges auto-organisés] peut être identifié par le fait qu’ils sont composés de refuges au sens premiers du terme -l’endroit où l’on a trouvé refuge. Ce sont des cachettes ou des abris

1. Aude Vinck-Keters, Briançon : ville refuge à l’heure de la criminalisation de la solidarité

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provisoires en forêts (campements) ou en ville (squats), des lieux de repos ou d’attente entre deux postes frontières, où l’on reste quelques temps prêt à repartir¹.» La description de l’auteur nous donne une réponse dans la stratégie d’implantation des camps, qui n’est pas si éloigné des refuges historiques (Napoléon ou Hospice) en montagne. Sur le dessin ci-après (p.114) nous pouvons voir que ce n’est plus la montagne mais la mer qui joue le rôle de limite infranchissable et la zone d’attente entre deux postes. En effet, ces établissements d’accueil viennent de manière récurrente s’installer juste avant, ou juste après la limite qui annonce un changement d’état, peut-être même, la promesse d’un avenir meilleur où son statut social peut être susceptible d’être transformé. Ces habitats temporaires définissent des zones latentes, où l’on est en phase de transition d’un état à un autre. Des zones où l’imaginaire commun dessine le passage vers une autre vie, de nouveaux horizons et où la possibilité de commencer à nouveau une histoire est rendue possible. La frontière ne désigne pas une simple ligne tracée sur une carte, cette représentation mentale laisse apparaître en fin de compte une tout autre réalité, elle constitue une épaisseur et une temporalité relativement longue à traverser. Michel Agier se confie à ce propos dans un entretien s’intitulant Habiter la frontière: «Ne pouvant ni entrer sur un territoire ni retourner dans leur pays d’origine, certains migrants se trouvent pris dans des zones d’attente, où la frontière s’élargit dans l’espace car on construit de plus en plus de zones d’attente, de camps et campements de transit, et où elle s’étire dans le temps car les périodes d’indé-

1.Michel Agier, Gérer les indésirables- Des camps de refugiés au gouvernement humanitaire. Bibliothèque des Savoirs, éditions Flammarion 2008 113


Vers l’Angleterre

Dunkerque

Gare

13m 10m Niveau de la mer

5m 0m -6m

Figure 67: Plan schématique montrant la route à parcourir entre le campement et la ville d’objectif Figure 68 et 69: Plan et coupe de situation du camp de la linière à la Grande Synthe 1.5km

3km

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4.5km

6km

7.5km


Gare

13m 10m Niveau de la mer

5m 0m -6m

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3km

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6km

7.5km

Figure 69: Représentation schématique du camp dans son rapport à la route et aux transports Figure 70: Coupe sur le camp de la linière permettant de situer le canal, l’autoroute et les rails de chemin de fer. Source : Cyrille Hanappe 115


termination du statut s’allongent pour davantage de personnes. Ces zones créent des moments où l’on ne sait plus très bien qui l’on est ni où l’on est, des moments de latence sociale et identitaire. Le camp est la forme exacerbée de ce type de frontière¹.» .Hydrographie, le rapport à l’eau L’analyse de ce projet montre que l’habitat d’accueil du voyageur ou du migrant en ville répond aux mêmes stratégies d’installation que cet habitat en montagne. Suivant une logique de survie, les cabanes du camp de la lisière cherchent l’accès à l’eau. Elément vital pour assurer une vie confortable : cuisiner, se laver et laver son matériel, l’eau constitue un besoin et une nécessité pour le réfugié, afin de lui permettre un séjour décent. La coupe (Fig.70)) indique la présence d’un canal passant à l’intérieur même de la zone de campement assurant une vie quotidienne acceptable. .La route : l’arrivée et le départ Le site est isolé mais le schéma (fig.69) montre qu’il est au cœur d’un réseau de ligne. Ces lignes représentent les différentes voies de circulation et de transport. En effet, le camp de la linière définit une zone quasi-fermée, il est contenu entre une autoroute et des rails de chemin de fer conduisant à la gare ferroviaire de la ville. Rappelons que le refuge, tel que nous avons pu l’analyser précédemment sur le territoire alpin, est toujours relié à d’autres. Ces habitats temporaires constituent une réelle constellation et un réel maillage à

1.Michel Agier, Gérer les indésirables- Des camps de refugiés au gouvernement humanitaire. Bibliothèque des Savoirs, éditions Flammarion 2008 116


Royaume-uni

Suisse

France Italie

Refuge Napoléon Hospices Refuge de montagne Refuge urbain

Figure 71 : Refuges du corpus analysés dans le présent mémoire. Constitution d’un réseau sur le territoire français.

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la fois, sur le territoire alpin, mais aussi dans des territoires plus urbains.(fig.71) L’implantation du camp de la Grande-Synthe se justifie aussi par sa proximité avec la route et ses transports. Le migrant, pour aller d’étape en étape doit, doit s’assurer de pouvoir se mouvoir entre celles-ci. Le camion, la voiture, le train ou encore le bateau sont autant de possibilités lui permettant la bonne poursuite de sa route afin d’arriver enfin à bonne destination. .Fabrication d’un lieu de vie temporaire de qualité La cabane du camp assure en son sein, la garantie d’une intimité. Une intimité qui est absolument nécessaire lorsque l’on vient de parcourir un chemin long et difficile et que l’on est en terre inconnue. Le schéma (Fig.72) indique comment le projet définit les espaces intimes et ceux qui sont communs. Ici, les espaces dédiés à la communauté sont dehors. Contrairement aux exemples précédents, le refuge pour le migrant offre une grande place à l’intimité. Rappelons ce que disais Jacques à propos de cette intimité fondamentale : « Non on ne va pas te remettre dans un dortoir à quinze personnes, ce soir tu as ton lit à toi, et là tu peux avoir ton intimité, Y’a pas quelqu’un qui va te marcher dessus la nuit sur ton sac de couchage…¹» Avoir un endroit à soi, où l’on peut se recréer, et retrouver une dignité est une des principales conditions du refuge.

1.Jacques Félix-Faure dans un entretien du 04.04.19

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Figure 72: Figure montrant l’espace de la cabane intime et fermée permettant la création d’une sphère privée dans l’espace du campement. Figure 73: Elevation, plan, coupe et axonométrie des cabanes du camp de la Linière, source : Cyrille Hanappe 119


Les cabanes ont été très vite modifiées après leurs mises en place (fig.74) les habitants se sont mis à ajouter des espaces tampons entre cet extérieur commun et cet intérieur intime. La manière d’entrée dans l’habitat qui constitue un chez-soi temporaire nécessite une attention particulière de la part des concepteurs de l’espace. En montagne, un des espaces les plus importants est le sas d’entrée. Il permet de se décharger des affaires que l’on a porté tout au long du chemin, d’enlever ses lourdes chaussures mais aussi, de permettre un espace tampon évitant les déperditions thermiques. Dans bien des cultures, l’espace entre l’extérieur et l’intérieur permet non seulement de régler les problèmes de changement de température mais surtout de pouvoir enlever ses souliers avant d’entrer dans l’espace habitable. L’entrée peut aussi avoir un rôle signal, à la manière du fanal qui brille dans la montagne afin de guider les voyageurs, le refugié doit pouvoir trouver tout de suite l’entrée, et trouver immédiatement un accueil. Cette première étape, constitue le moment les plus importants du séjour, car entrer dans le refuge signifie que l’on est enfin à l’abri. L’exemple du camp de la linière nous a montré que l’habitat d’urgence pour le migrant en ville, n’est enfaite pas si éloigné du refuge Napoléon ou de l’Hospice permettant d’offrir au migrant ou passant, un congé permettant la bonne reprise du chemin. Ces habitats ayant pour leitmotiv l’hospitalité répondent aux mêmes logiques. Ce sont les besoins vitaux qui fabriquent le projet, accessibilité, confort et régénération sont les principales conditions nécessaires à la construction d’un lieu-refuge.

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Figure 74: Relevés des greffes et appropriations des habitants réfugiés sur l’exterieur de leurs habitations. Les ajouts permettent à la fois d’étendre son espace personnel et de le faire sien mais aussi de créer une transition douce entre l’intérieur et l’exterieur. 121


C’est dans la suppression de tous les autres besoins jugés futiles que le refuge se pense et se fabrique. Celui-ci, dans son aspect modéré, frugal ou réservé, nous parle d’une architecture sobre et modeste. Le Manifeste Négawatt nous propose une définition de ce que peut-être la sobriété : «cette notion nous renvoie à nous-mêmes, à nos comportements individuels et collectifs. Elle nous invite à nous interroger avant tous sur nos besoins, sur leurs importance réelle ou supposée, ainsi que les priorités que nous pouvons établir entre eux¹». Afin de ne pas trop réduire le refuge et au risque de lui conférer l’image d’une construction médiocre ou bien pauvre, nous allons analyser deux autres projets d’habitat temporaire et d’accueil. Le premier se situe dans la périphérie Grenobloise, le deuxième dans celle de Paris.

1. Manifeste Négawatt, réussir la transition énergétique, éditions actes sud, domaine du possible, 2012

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4-Les projets Imby et TerraBox : lieux de vies de qualités, lieux de vie désirés Si les mots tels que sobriété, frugalité, confort minimum ou spartiate reviennent de manière récurrente au sein de ce mémoire, cette partie a pour objectif de démontrer que ce vocabulaire employé n’est pas aux antipodes des termes qualités, soin aux détails, bien-être ou agrément. Dans le numéro 17 de la revue criticat, Pierre Chabard dans son article Faire moins avec moins : architecture de crise, rappelle l’idée du « less is enough » évoqué en 2013 par l’architecte Pier Vittorio Aureli. Moins, c’est suffisant serait le nouveau slogan que devrait adopter au plus vite les architectes. Pierre Chabard invite les architectes à prôner un « ascétisme radical qui ne s’appliquerait pas tant à la forme qu’à la pratique même de l’architecture, à ses conditions de production et d’usage, à sa dimension politique.¹» L’ascétisme ou la modération en architecture s’impose comme un objectif à atteindre pour toutes les nouvelles générations d’architectes. Tous les projets de refuge analysés jusqu’alors nous montrent comment porter une réflexion sur cette sobriété nécessaire, sans pour autant sacrifier une qualité spatiale nécessaire à l’habitat ainsi que la possibilité de se recréer. Nous avions évoqué le travail de Fernand Pouillon à l’égard des plus précaires, l’architecte considéré comme l’homme à abattre à l’époque à cause son engagement dans la fabrication d’espaces de qualité à l’égard des plus pauvres écrira ceci : «Une société tolérant le taudis, l’insuffisance dans tous les domaines dont dépend une existence, est une civilisation pourrie ²»

1. Pierre Chabard, Utilitas, Firmitas, Austeritas», Criticat, n°17, printemps 2016, pp.39-53 2. Bernard Marrey, Fernand Pouillon, l’homme à abattre, Editions du Patrimoine, 2010 123


Dans les années cinquante en Algérie, l’architecte utilise la pierre, matériau local qu’il transforme afin de fabriquer des logements sociaux mais fastes. L’utilisation des ressources locales dans la fabrication de l’architecture est une des manières permettant de mener une politique de sobriété. .TerraBox, habiter la terre La TerraBox est un habitat d’urgence fabriqué en terre allégée. Dans la région Rhône-Alpes, l’utilisation de la terre comme matériau de construction est une tradition ancestrale. Les concepteurs de la Box, dans une logique d’économie de moyen et à partir d’une réflexion sur la manière d’être sobre en architecture utilisent la ressource locale et peu onéreuse que constitue la terre. Dans ce projet c’est l’utilisation de la terre qui créée les qualités spatiales de l’habitat : elle permet la protection d’une intimité nécessaire par son épaisseur (p.125), elle garantit un confort thermique à l’intérieur de l’habitat, elle permet aussi d’un point de vue constructif la préfabrication par panneaux d’éléments porteurs. Aussi, si nous nous référons une fois de plus au diagramme d’analyse des projets soumis par le laboratoire CraTerre, nous constatons que l’utilisation de la terre «exprime les compétences et les connaissances traditionnelles et valorise les identités territoriales à la suite d’une expérience accumulée ¹.» Aussi, la TerraBox, réduit les impacts liés à la pollution en évitant les déchets.

1. Versus: lessons from vernacular heritage to sustainable architecture publiée par CraTerre, 2014

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Figure 75: Schéma montrant la séparation entre chambres et espace principal de vie s’ouvrant sur l’exterieur Figure 76: Coupe sur la TerraBox, montrant l’épaisseur des panneaux Figure 77: Photographie de la TerraBox construite, Echirolles, source:Adrien Jacques LeSeigneur 125


Adrien Jacques le Seigneur, un des architectes du projet TeraBox, témoigne : «Pourquoi ne pourrait-on pas imaginer un conteneur en terre ? Un bâtiment qui puisse être démonté voire transporté. TerraBox reprend les dimensions d’un conteneur classique industriel tout en étant légèrement élargi. Il offre une surface de 16m2 habitable¹.» Ces petits habitats-refuges ont été conçus pour des familles immigrées et installées au Rondeau à Grenoble. Chacun des murs sont des modules, qui peuvent être inter-changés et donc offrir une polyvalence des plans. (Fig.78) Le raisonnement de fabrication de ces habitats temporaires peut nous ramener aux habitats préfabriqués conçu par Jean Prouvé : ils peuvent être démontés et transportés par camion, leur montage s’effectue sur deux journées à l’aide de trois personnes. Le projet fait la preuve que la fabrication de lieu-refuge à l’égard des plus précaires incite à la créativité. Disposant de peu de moyen financier, le projet doit trouver sa manière d’exister en offrant des qualités spatiales nécessaires à l’habitant comme l’intimité, le confort thermique ou la modularité permettant l’appropriation des lieux. C’est cette recherche de faire le plus avec le moins ou plutôt comme nous le rappelle Pierre Chabard « de composer avec un débat architectural traversé par une nouvelle morale du less, qui par une mécanique sinon d’autodiscipline, du moins d’adaptation au contexte, érige une économie de moyen en vertu et l’inhibition en programme esthétique.²» qui amène la sobriété en architecture.

1.Adrien Jacques LeSeigneur, fondateur de Touraterre 2. Pierre Chabard, Utilitas, Firmitas, Austeritas», Criticat, n°17, printemps 2016, pp.39-53 126


Figure 78 à 80 : Photographie de la TerraBox avant construction et après avoir été construite, Echirolles, source:Adrien Jacques LeSeigneur 127


Un deuxième projet fera l’objet d’une analyse nous permettant de comprendre comment le refuge peut prendre sa place dans la ville. Le projet Imby signifiant « In My Backyard » nous montrera comment le refuge peut quitter les zones isolées mais au contraire venir s’intégrer à la ville facilitant ainsi la rencontre entre l’étranger et l’autochtone. . Imby, habiter le jardin Les habitations mobiles du projet Imby proposent une résilience entre deux mondes en reconfigurant le domicile d’une famille. Les habitats temporaires viennent prendre place dans les jardins de ses maisons, densifiant et investissant le pavillonnaire.(fig.81) Si la personne refugiée doit pouvoir s’intégrer à la ville, elle doit aussi s’en protéger. La ville, par sa taille contient en ellemême la difficulté d’intégration, elle rend les habitants anonymes, elle est indifférente et parfois même hostile. Néanmoins, c’est en son cœur que ce trouve toutes les démarches administratives mais aussi la vie culturelle. La périphérie permet de retrouver une dimension domestique et intime où la rencontre avec l’autre est facilitée par la mesure des choses. La périphérie est cependant connectée et reliée à la ville principale ce qui favorise l’intégration au pays. Le projet d’Imby nous montre l’émergence d’une pensée stratégique de l’accueil dans les domaines de l’urbanisme ou de l’architecture : penser le refuge en ville peut constituer un réel outil nécessaire à la pensée d’une politique urbaine de l’accueil. A propos de l’accueil en ville, l’architecte Cyrille Hanappe

1. Vincent Bourdeau, Fabrice Flipo, Julienne Flory et Michel Maric, Pour en finir avec les riches (et les pauvres). Dans Mouvements 2010/4 (n°64), pages 7 à 11 128


Relation d’inter-dependance entre l’hôte et la personne accueillie

Figure 81: Schéma du concept Imby réalisé par l’association Quatorze Figure 82: Schéma exprimant la relation entre les deux habitations cohabitant et partageant le même terrain Mise à distance de la ville, mais connection garantie par la route

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nous livre son point de vue : « Penser l’accueil, c’est penser la forme de la ville de demain dans une approche qui intègre accompagnement de la mobilité, dignité, respect, émancipation mais également écologie, rapidité, transformation, recyclage¹» C’est l’association Quatorze à Montreuil qui développe le projet de la tiny house Imby, l’habitat est installé dans le jardin d’une propriété privée. C’est sur cette dernière qu’est connecté la tiny house : eau et électricité proviennent directement de la maison. Les deux maisons sont alors dans une relation d’interdépendance (fig.82) : l’une fournie à l’autre confort moral, sécurité physique et intégration ; la seconde fournie à la première une expérience sociale, une ouverture sur le monde, ainsi qu’un sentiment de responsabilité : les propriétaires deviennent acteurs de l’accueil. Comme pourrait nous le dire Michel Agier : « Nous nous aimons d’avantage nousmêmes lorsque nous nous voyons accueillants et généreux. Elle mobilise aussi des concepts autour de l’échange, du don, de la relation et du commun²» De la même façon que pour le refuge de montagne, l’expérience de la tiny house n’est que temporaire, c’est une sorte de tremplin¹, la personne accueillie réside dans cet habitat jusqu’à ce qu’elle retrouve une situation stable et confortable. A l’échelle de l’édifice construit, le projet Imby fait preuve d’espace de qualité, il assure à la fois intimité et convivialité. Nous pouvons voir, d’après le schéma en coupe le traitement de ces différents espaces. Un espace tampon offre une sorte de gradation douce entre

1.Cyrille Hanappe, La ville accueillante, accueillir a Grande-Synthe, 2018 2. Michel Agier, Létranger qui vient - repenser l’hospitalité, edition seuil 2018 130


Relation d’inter-dependance entre l’hôte et la personne accueillie

Mise à distance de la ville, mais connection garantie par la route

Le jardin comme lieu de l’échange et de rencontre

Figure 83: Schéma du projet de la tiny house représentée en coupe: l’espace privé est protégé par une pièce de vie intérieure tenant le rôle d’espace tampon entre l’espace du jardin et la chambre intime Figure 84: Les deux habitations créees un espace central de dialogue qui n’existait pas avant la venue du refuge temporaire. 131


l’intérieur et l’extérieur donnant sur le jardin.(fig.83) Ce seuil assure la protection d’une intimité. De la même manière que le projet des cabanes du camp de la linière, l’espace commun s’étend jusqu’au dehors : «Le refuge n’est pas comme un endroit où l’on entre mais comme une multitude de lieux en plein air¹». Le refuge se dessine comme un lieu tourné vers les autres et le dehors, il n’est pas une architecture mono centrée, où seul son aspect extérieur se montre comme un objet impeccable dans la vitrine de la scène architecturale. Il est au contraire un lieu sans prétention favorisant un échange permanent. En ajoutant un petit habitat dans le jardin d’une maison, cela recrée un nouvel espace entre-deux redéfinissant ainsi l’espace du jardin comme espace de rencontre.(fig.84) La qualité de l’architecture se déploie jusqu’au choix des matériaux utilisés. Le bois à l’intérieur de l’espace habité apporte une dimension chaleureuse et confortable ; à l’extérieur ce même matériaux est traité de manière à le rendre le plus pérenne possible : en le brûlant, le bois devient imputrescible, et protégé des insectes. Ces projets contemporains étudiés ont pour objectif de nous montrer comment les architectes préoccupés par le logement pour tous, inventent et développent des systèmes afin de fabriquer des espaces de vie digne et de qualité. Si Fernand Pouillon disait que les actions entreprises, quelques soit l’échelle, étaient réservés à quelques peuples privilégiés, ce qui correspondait en fait à une goutte d’eau dans un océan de misère humaine², ces projets datant de ces trois dernières années nous montrent que

1.Fernand Pouillon, Panthéon sauvage, Un monument à Fernand Pouillon 2. Bernard Marrey, Fernand Pouillon, l’homme à abattre, Editions du Patrimoine, 2010 132


Figure 85 : Photographie du volume construit, prêt à être transporté dans le jardin. Figure 86: Photographie de l’espace intérieur, source; https://www. imby.fr/ 133


le logement à destination de la personne précaire ou mal logée est encore un sujet d’actualité invitant l’architecte à mener une réflexion créative et morale à propos de sa propre discipline.

134




Partie 5

Matière à projet


1.Le refuge comme référence pour l’architecte Les connaissances que nous avons pu extraire des projets de refuge se sont montrés comme de véritable outils de travail nécessaires à la pratique de l’architecte. Si le refuge s’est montré comme l’incarnation spatiale des notions telles que l’hospitalité et la sobriété, il peut être pensé comme un modèle de référence pour penser le projet d’architecture. Face au constat d’une société témoignant d’une volonté de décroissance s’alarmant de plus en plus à propos du devenir de notre planète, ce travail de mémoire désire re-questionner notre rapport au monde en prônant un mode de vie plus sobre. L’analyse d’un corpus de d’habitat refuge en ville et en montagne nous a permis de replacer la question de l’architecture comme espace d’accueil et de résilience de manière actuelle. Le refuge comme référence de l’architecte peut transformer le processus projectuel, lors de l’entretien avec Jacques Félix-Faure, l’architecte s’est confié : « Dans ma vie d’architecte, le fait d’avoir fait des refuges, a changé tous mes projets. L’habitat participatif, c’est venu des refuges, donc tu pourrais créer des liens. Je ne pourrais pas t’expliquer pourquoi, mais ça parait une évidence, le fait d’abandonner la maison individuelle, petit à petit c’est venu de là, ça a changé ma façon de travailler. Alors que ce sont des choses minuscules [les refuges], ça a changé toute m’a pratique. Ça m’a aidé à voir certaines choses importantes, et d’autres moins. Ça m’a aidé à dire non à certains maitres d’ouvrage, ça m’a aidé à être beaucoup plus modeste, parce qu’il y a des choses que je ne suis pas arrivé à faire

138


Ça m’a amené de la modestie. Par exemple le fait que ce n’était pas un truc d’architecte, mais un truc d’équipe, chacun apportant sa pierre. Ça m’a ramené dans mon métier d’architecte aussi, une mesure beaucoup plus humble¹.» Le refuge qu’il soit en ville ou en montagne répond des mêmes logiques, extraire ces logiques ou leurs éléments constitutifs, c’est assurer la potentialité de soutenir un projet qui soit éthiquement soutenable. Si la question du logement est revenue tout au long de ce travail, c’est parce que ce droit de l’homme paraît aujourd’hui bafouée. Si la question de l’accueil et d’hospitalité envers l’étranger est revenue aussi de manière récurrente, c’est pour les mêmes raisons. La connaissance produite par le biais de ces questions pourrait alors apporter, si ce n’est des solutions, quelques réponses dans la manière de penser le projet ou de mener une réflexion plus large sur le rôle de l’architecte.

2.Revenir à la montagne pour ouvrir de nouveaux horizons .Déplacer les montagnes, film-débat Déplacer les montagnes est un film documentaire réalisé par Laetitia Cuvelier ainsi que Isabelle Mahenc. Ce film remet les migrations qui ont pourtant toujours existés dans les Alpes, au cœur de l’actualité. Si aujourd’hui les refuges Napoléon ou les Hospices fonctionnent encore comme lieu d’accueil touristique, la valeur d’hospitalité envers l’étranger n’est plus une condition remplie par ces lieux. Ce film nous montre que le besoin de refuge en montagne ass-

1.Jacques Félix-Faure dans un entretien du 04.04.19

139


surant la bonne survie des voyageurs est encore d’actualité, le témoignage d’un homme dans le film exprime : « A cause des postes de police aux frontières, ils sont obligés de faire des détours. C’est accidentel voir mortifère… Pourquoi ils doivent encore prendre des risques quand ils sont déjà à Bardonecchia ? Qu’estce que ça change entre être à Bardonecchia, à Briançon ou ailleurs ? Pourquoi risquer encore sa vie pour passer de Bardonecchia à Briançon ? La montagne, elle tue.¹ » Le film montre également le caractère hospitalier inhérent au territoire de montagne. Si depuis le moyen-âge, la montagne s’est montré comme un territoire accueillant, cette bienvenue est toujours une valeur présente conférée aux Alpes. Un jeune refugié se fait entendre lord du débat à la fin de la projection au musée de Grenoble : « Personnellement, c’est à Briançon que j’ai vécu beaucoup de chose, c’est la première fois que j’étais considéré comme étranger comme ça. Je suis arrivé par le col de l’échelle, avec mon petit sac,(fig.87,88) je ne savais pas où aller, arrivé à Briançon, les briançonnais m’ont ouvert leurs porte, moi je suis rentré. (…) J’ai vécu une Hospitalité légendaire. Ils m’ont prouvé beaucoup de chose, ceux qui habitent souvent auprès de la montagne, j’ai ressenti en eux, deux choses : la première des choses c’est quoi ? C’est trouver une solution d’arrivée au sommet de la montagne. Et l’autre chose, c’est quoi ? C’est arriver au sommet de la fraternité. Vous imaginez bien une fois dans la montagne… Dans la rue comme ça tu peux marcher et puis tu te rencontres avec beaucoup de personnes, personne va te saluer, mais dans la montagne, une fois que tu te rencontres avec une personne, tu dis salut ça va, du courage ¹.»

1.Projection du film Déplacer les Montagnes, suivie d’un débat au musée de Grenoble, avril 2019

140


Figures 87 et 88 : Illustrations de Anne Moutte et Pascale BaurMoutte, De l’autre côté, une nuit au col de l’échelle, publication, Tous Migrants, Briançon, 2018 141


.Montagne et ville, une seule et même chaîne On parle souvent de chaîne de montagne, mais cette chaîne aujourd’hui s’étend jusqu’aux villes ne permettant plus de les distinguer. Nous avons vu dans la seconde partie du mémoire que ville et montagne sont dorénavant liés, c’est Luisa Bonesio traduite par Jean Lou Fontana qui formule cette fusion des deux mondes : « C’est le but ultime d’une amélioration de la circulation qui, en intégrant ces lieux fermés et reculés supprime en même temps leur capacité à être un refuge ¹.» Si au cours de notre siècle nous sommes encore confrontés à la problématique d’accueil des migrants en montagne, celle-ci devient alors aussi une problématique pour la ville car si les migrants sont d’abord accueillis dans les Alpes, ils poursuivent ensuite leurs chemins vers les villes, où ils pourront enfin chercher l’intégration dans le pays d’accueil. Bernard membre de l’association de la Cimade à Grenoble rend compte de cette continuité d’accueil passant de la montagne à la ville : «On est dans une chaîne, on ne vit pas l’immédiateté, l’urgence : les gars qui arrivent les pieds gelés mais ce qu’on vit c’est une situation qui reste difficile dans la durée. Ils ne savent pas ce qu’est leur avenir, tous ce qu’ils disent dans le film sur le stress, sur l’inquiétude, ça va se continuer, des mois, des années, à la recherche d’une vraie vie. Ce qui m’a frappé, c’est que pour ceux qui y arrivent, qui sont sauvés… Je pensais : « non mais attend, ça, ce n’est pas fini, ça n’est que le début de quelques choses qui va être encore extrêmement difficile.²»

1. Jean-Loup Fontana , Route Napoléon, de Louis XIV à Louis-Philippe : l’histoire du Grand Chemin 2.Projection du film Déplacer les Montagnes, suivie d’un débat au musée de Grenoble, avril 2019 142


3.Le refuge des Evettes, des contraintes spécifiques en évolution Cet exercice m’a permis de comprendre le mécanisme d’émergence et de fabrication du refuge des Evettes. Il m’a aussi permis de le resituer dans la grande famille que composent les refuges, de comprendre son histoire, la manière dont il a été pensé, dessiné et construit. Si aujourd’hui il est demandé de le requalifier, si cinquante ans plus tard il ne correspond plus aux attentes, ni des usagers, ni du Club Alpin Français, c’est parce que ces contraintes de fabrication étaient spécifique à l’époque dans laquelle il a été construit. Aujourd’hui, ces contraintes ont évoluées, nous parlons aujourd’hui de de nouveaux enjeux environnementaux à intégrer dans la conception du bâtiment de montagne, qui sont des notions contemporaine aux Evettes, puisqu’lles commençaient tout juste d’émerger à l’époque de sa construction en 1970. Depuis le choc pétrolier en 1974, «les recherches liées à l’autonomie énergétique des constructions se développent. Les refuges sont un magnifique terrain d’expérimentation et d’application ¹». Effectivement les panneaux photovoltaïques, les éoliennes, les fondoirs à neige, ou les panneaux solaires pour produire de l’eau chaude sont des nouvelles notions qui incitent à penser plus de confort et à proposer donc un projet de requalification du refuge des Evettes. Au-delà des contraintes techniques, ce projet pourrait être l’objet d’une réflexion éthique sur la manière dont on construit un refuge en montagne aujourd’hui en réintégrant les valeurs

Jean-François Lyon Caen, Refuge d’altitude, deux cent ans de constructions, La montagne & Alpinisme, revue nationale de la fédération des clubs alpins français et du groupe de haute montagne, n°3, 1998 143


leurs du refuge comprises au travers des différents projets analysés. Nous avons appris combien l’humilité était une valeur propre au refuge, combien par les matériaux, la relation entre les espaces et leurs dimensions, le refuge témoignait, par la modération et la retenue, d’une frugalité exemplaire et nécessaire à l’architecture. Le travail de Jean Prouvé s’est montré exemplaire dans la manière de penser l’habitat de manière durable, l’architecte envisageait de futur usages aux petits baraquements construits après-guerre, il dira à ce sujet : « Nous ne croyons pas inutile d’attirer l’attention sur la valeur que conserveront ces petites maisons qui, après-guerre, trouveront de multiples emplois. La qualité de leur fabrication permet d’envisager leur transformation en logements durables ¹» Cette notion de réversibilité comme solution pour une société en perpétuel le mouvance, paraît nécessaire à penser dans la conception du projet architectural.

1.Jean Prouvé par lui-même, Propos recueillis par Armelle Lavalou, éditions du linteau, 2001

144


145


Synthese et ouverture

1. Eléments de synthèse Plusieurs caractéristiques communes ou différentes entre les refuges étuidiés ont été retenus. Nous proposons ici, un retour synthétique sur chacunes des analyses réalisées. Premièrement, les refuges s’inscrivent dans des volumétries à géométries simples. Leurs formes intègrent la notion de simplicité et de sobrieté que l’on a pu étudier tout au long de ce mémoire. Le parallèpipède ou le cercle sont des volumes géométrique usuels. Ils constituent la base du dessin. Le refuge cherche tantôt le mimétisme et la discretion, tantôt l’élévation et le repère dans le paysage mais jamais il ne cherche à provoquer son environnement où rivaliser avec le site dans lequel il s’inscrit. (planche numéro 1) Deuxièmement, les refuges ont des logiques d’installations communes. Ils se situent près d’une limite souvent administrative comme la frontière, ou cherchent une position stratégique facilitant l’étape. En montagne ou en ville, le refuge est une étape soit pour aller vers un sommet, soit pour aller vers un autre objectif (économique, social ou climatique). Son accès est donc primordiale. Nous devons pouvoir y aller et en repartir simplement. Aussi, les refuges, étant en milieu contraint et hostile, ils vont chercher un accès à l’eau permettant la survie de leurs visiteurs. (planche numéro 2,3,4)

146


Troisièmement, les refuges sont des habitats temporaires où viennent se réfugiés des hommes venus de tout horizons. C’est pourquoi, dans son organisation spatiale, ils portent une attention particulière à la permissivité des espaces intimes et de partage. Ces espaces sont nettement disscociés tout en formant un seul et même tout. Dans la planche de synthèse numéro 5, nous pouvons voir que les architectes emploient des dispositifs simples : séparation verticale, horizontale ou délimitée par les limites de l’architecture elle-même permettant au refuge de s’ouvrir sur l’éxterieur. Dans cette troisième catégorie d’organisation spatiale, le refuge n’est plus pensé comme un édifice architectural mais il intègre son site et son environnement afin de permettre la rencontre, rencontre «avec les autres, avec un site et avec soi-même¹.» Enfin, la dernière planche (numéro 6) montre combien le refuge est un établissement d’accueil qui s’est transformé en fonction des besoins et des sociétés. Depuis tout temps, nous avons eu besoin de refuges pour accueillir les hommes en situation de précarité. Puisque lié, à la migration, le refuge sera encore un sujet d’étude pour demain. Le thème du refuge est en constante redéfinition, il restera toujours un exercice d’architecture et une demonstration de lieu de vie de qualité dans un ascétisme et une frugalité qui lui est intrinsèque.

1.Expression employée régulièrement par Jacques Félix-Faure

147


1.

2.

3.

4. Planche numéro 1 : Géométrie et épaisseurs des refuges constituant le corpus. 1, Hospice du Gd St Bernard, 2.Hospice du Montgenèvre, 3. Refuge Isoard, 4. Refuge de Manse, 5. Refuge Tonneau, 6. Maison des jours meilleurs, 7.Refuge des Evettes, 8. Refuge de l’Aigle, 9. TerraBox, 148


6.

5.

7.

8.

9.

10.

11.

10.IMBY, 11.cabane de la Linière.

149


Vers Vars

Vers St Paul sur Ubaye Refuge Lacroix

Refuge de Vars Ristolas

Haute-Alpes

Italie

Alpes de Haute Provence

France

France

rde

km

Refuge de Manse vers Briançon

Refuge Agnel France Vers Barcelonette Italie

Gap

Isère

Hautes-Alpes Vers Chianiale Refuge Izoard

1km

1.5km

Refuge du Noyer 2km

2.5km

3km

3.5km

4km

Planche numéro 2, partie 1: Tableau comparatif des refuges dans leurs installation sur le territoire et leur rapport à l’eau

150

4.5km

Vers Modane


Vers Vers Torre Torre Pellice Pellice

t Paul baye

Dunkerque Dunkerque

Camp de Camp la de la Linière Linière

SuisseSuisse

e France Italie Italie

ItalieItalie

Hospice Hospice EmbrunEmbrun du Gd du St Gd St Bernard Bernard Vers Vers Turin Turin

L’Ecot L’Ecot

FranceFrance ItalieItalie RefugeRefuge des des Evettes Evettes

m 4.5km 5km

5km5.5km 5.5km 6km

6km

Vers Vers Vers e Modane

Gap

Gap

151


Vers Vars Refuge de Vars

Refuge Lacroix Haute-Alpes

Vers St Paul sur Ubaye

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Italie

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Hautes-Alpes

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Vers Chianiale

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Vers Gap Vers Modane

Planche numéro 2, parite 2: Tableau comparatif des refuges dans leurs installation sur le territoire et leur rapport à la route

152


Paul ye DunkerqueDunkerque

Camp de la Camp de la Linière Linière

Suisse

Suisse

Italie

Italie

Embrun Embrun Hospice Hospice du Gd St du Gd St Bernard Bernard

ot

Vers Turin

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France

France

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Italie

Refuge des Refuge des Evettes Evettes

Vers odane

153

Vers Turin


m

1.5km

2km

2.5km

3km

1.5km 3kmVers 3.5km Chianiale

2km

3km

1km

4km

1.5km

2.5km

1.5km

2km

2.5km

3km

3.5km

Planche numéro 2: Tableau comparatif des refuges dans leurs installation sur le territoire et leur rapport à la pente 1.Refuge de Vars, 2.Refuge Lacroix, 3.Cabane de la Linière, 4.Refuge Agnel, 5.Refuge de Manse, 6.Refuge de l’Aigle, 7.Refuge Isoard, 8.Refuge 154

3km


3km

3.5km

3.5km 1.5km

3km 4km

2km

4km 4.5km

4km 2.5km

5km

3km

6km

du Noyer, 9.Refuge des Evettes

155

3.5km

7km

4km

8km


Initmité fabriquée dans une organisation verticale

Initmité fabriquée dans la mise en retrait par rapport à l’espace de vie

Planche numéro 3: Les différentes logiques d’organisation spatiales des refuges s’attachant à séparer les parties intimes des communes en favorisant recréation et partage. 156

Initmi sépara plan


dans par de vie

Initmité fabriquée par une séparation axiale dans le plan

Initmité fabriquée par la limite construite du volume construit

1ère colonne : Refuge Tonneau, Refuges Napoléon 2ème: Refuges Napoléon, Imby, Refuge de l’Aigle 3ème:Refuge des Evettes, Refuge de l’Aigle et de Leschaux, la maison des jours meilleurs, TerraBox 4ème: Cabane de la Linière, Imby, refuge des Evettes 157


1050

1841-1933

Hospice du Grand Saint-Bernard Voyageurs passants

Hospice Royale du Mont-genèvre Voyageurs Travailleurs

1956

1971

Maison des jours meilleurs ou maison l’abbé Pierre

Refuge des Evettes

sans abri

explorateurs oisifs

2016

2016

Cabanes du campement de la linière

Terra Box refugie economique

refugie politique

Planche numéro 4: Réprésentations schématiques des différents refuges analysés mentionnant ceux pour qui ils ont été construits (variations des usagers dans différentes époques et contextes) 158


vre

1857

1857

Refuges Napoléon Refuges Napoléon passants passants voyageurs voyageurs touristes touristes commercants commercants

2014

2030 ?

aventuriers alpinistes sportifs

1938

Refuge Tonneau Refuge Tonneau amateurs amateurs sportifs sportifs

2016

2014

Refuge de l’aigle Refuge de l’aigle aventuriers alpinistes sportifs

1938

2016

In my Backyard In my Backyard refugie politique refugie politique

2030 ?Ce tableau montre Ce tableau montre àque le refuge à travers que le refuge travers

l’histoirepour se construit pour une multiplil’histoire se construit une multiplicité de profils, adopte alors les formes cité de profils, et adopte alors et les formes les Ces plusformes variées. les plus variées. sontCes lesformes té- sont les témoinsles d’une époque, les refuges sont tantôt moins d’une époque, refuges sont tantôt monumentaux, tantôt ils squelletiques, ils cormonumentaux, tantôt squelletiques, correspondent à une visiondebien respondent à une vision bien précise la précise de la societé et de l’architecture. societé et de l’architecture. Le tableau montre également combien les Le tableau montre également combien les refugie ? refugie climatique ? climatique flux migratoires flux existent migratoires depuis existent des depuis des siècles et qu’il siècles est donc et absolument qu’il est donc nécesabsolument nécessaire de pouvoir saire projetter de pouvoir dans projetter l’avenir dans l’avenir une architecture unequi architecture logera les qui hommes logera de les hommes de demain. demain.

159


2-Prolongement potentiel ? Si nous devions continuer cette recherche sur ce que pourrait être l’habitat de demain en vis-à-vis des valeurs portées par le refuge, on pourrait imaginer aller plus loin dans la réalisation d’une série de refuges à multiplier sur des territoires français en situation contraintes par la géographie, le climat ou encore l’économie pour ne donner que quelques exemples. La fabrication construite de plusieurs habitats ouverts sur le monde pourrait faire l’objet d’une recherche plus approfondie mettant en application les nombreux concepts étudiés, ainsi faire la proposition de petites architectures pensées comme un refuge, autant sur le point psychologique et physique, à destination de tous, avec une attention particulière à ceux qui constituent les oubliés d’une société intransigeante : les plus vulnérables. A la manière des refuges Napoléon, conçues comme un maillage sur le territoire alpin, on pourrait imaginer développer une architecture-refuge ponctuant les territoires. Des refuges capables d’assurer l’hospitalité en s’adaptant à tous les milieux : urbains, denses, rural, isolé... Nous pourrions imaginer tester de manière concrète comment un habitat réversible, mobile et résilient peut prendre sa place à grande échelle. Le but étant d’ouvrir de nouvelles questions en observant si ce nouveau type d’architecture peut être une réelle réponse à propos de la question du logement et de toute sa complexité.

160


Merci.

161


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Versus : leçons du patrimoine vernaculaire pour une architecture, editions CRAterre, 2014 Vincent Bourdeau, Fabrice Flipo, Julienne Flory et Michel Maric, Pour en finir avec les riches (et les pauvres) Dans Mouvements 2010/4 (n° 64), pages 7 à 11 Xavier Salvador, La recherche du confort dans les intérieurs modernes, dans Les chantiers nord africains

Entretien et supports audio-visuels : François Test, Émission sur France culture s’intitulant : L’appel de la Montagne: Un refuge entre deux mondes Entretien Jean-Christophe Grosso, enseignant à l’ENSAG, à propos de la structure de Prouvé Interview avec Jacques Félix-Faure, architecte du nouveau refuge de l’Aigle et enseignant à l’école d’architecture de Grenoble au sein de la thématique, architecture, paysage, montagne. Déplacer les montagnes, projection et débat du 8.04.19 au musée de Grenoble Un refuge d’humanité au cœur de la montagne, l’Hospice du Grand Saint-Bernard https://gsbernard.com/fr/qui-sommes-nous/clip-de-presentation.html Jean-Loup Fontana, Hospices et refuges : la sollicitude publique à l’égard des migrants dans les Hautes-Alpes au XIXe siècle, Revue Migrations société, 2012 Cairn.info p93-104,https://www.cairn.info/ revue-migrations-societe-2012-2-page-93.htm Philippe Morel, Construction de cabanes en haute altitude, Un résumé de l’histoire de l’architecture des cabanes dans les Alpes, https:// www.espazium.ch/construction-de-cabanes-en-haute-altitude Chatel Julien, Que reste-il du refuge ? Regard sur les refuges alpins Mémoire de fin d’étude Sous la direction de Luc Pecquet, ENSASE, 201718 https://fr.calameo.com/read/00527300109878493563f https://www.universalis.fr/encyclopedie/migrations/ Paul-André Rosental, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris https://collectifsansplusattendre.wordpress.com/projets/architectures/paris-de-lhospitalite-2014-paris-france/ TerraBox, Rondeau projet.php?id=6

Grenoble,

2016

http://architecture.by-nuit.com/

IMBY Vers une hospitalité constructive https://www.imby.fr/


Quatorze, architecture sociale et solidaire pour des territoires agiles et résilients http://quatorze.cc/ PEROU http://perou-paris.org/ Art & cités https://www.actesetcites.org/ Atelier RITA, Emergency shelter for refugees and Roma community , Short listed for the Equerre d’Argent 2017 https://divisare.com/projects/371448-atelier-rita-david-boureau-emergency-shelter-for-refugees-and-roma-community https://sursaut-citoyen.org/ http://www.bruitdufrigo.com/ https://www.ladefense.fr/fr/les-refuges-de-la-defense


annexes

Coupe et plan de l’Hospice du MontGenèvre, avec la mention : «dressé et présenté par le conducteur des Ponts et chaussées, Briançon le 18 novembre 1851» Archives départemantales de Gap, côtes des réferences: 1 X 346, 1 X 347, 1 X 348, 4 N 105, 4 N 106, 4 N 108. 168


Genèse du refuge des Evettes 1907,

Coupe, plan et élévation sur l’Hospice royal du MontGenèvre,1822 Archives départemantales de Gap, côtes des réferences: 1 X 346, 1 X 347, 1 X 348, 4 N 105, 4 N 106, 4 N 108. 169


Plan de la charpente de l’église associée a l’Hospice du MontGenèvre, indiquand le clocheton. Archives départemantales de Gap, côtes des réferences: 1 X 346, 1 X 347, 1 X 348, 4 N 105, 4 N 106, 4 N 108. 170


Genèse du refuge des Evettes 1907,

Lettre de Paul Cointe au Préfet, faisant le demande de gérance de l’Hospice départemental du MontGenèvre, 1910, Bail à Mr Cointe, 1910-1918 Archives départemantales de Gap, côtes des réferences: 1 X 346, 1 X 347, 1 X 348, 4 N 105, 4 N 106, 4 N 108. 171


Plan et élevation du refuge Isoard, Archives départemantales de Gap, côtes des réferences: 1 X 346, 1 X 347, 1 X 348, 4 N 105, 4 N 106, 4 N 108. 172


Genèse du refuge des Evettes 1907,

Plan du refuge Isoard, Archives départemantales de Gap, côtes des réferences: 1 X 346, 1 X 347, 1 X 348, 4 N 105, 4 N 106, 4 N 108. 173


BESOIN Vital Essentiel Indispensable Utile Accessoire Futile Extravagant Inacceptable Nuisible Diagramme realisé d’après le Manifeste Négawatt indiquand la classification des besoins allant du superflu au nécessaire

Diagramme de classification des besoins, selon leurs ordres d’importance, Manifeste Négawatt, réussir la transition énergétique, éditions actes sud, domaine du possible, 2012 174


Digramme des différentes quaités du projet d’architecture répartis selon trois catégories, Versus: lessons from vernacular heritage to sustainable architecture publiée par CraTerre, 2014 175



Genèse du refuge des Evettes 1907,

? 1.

1. Vincent Bourdeau, Fabrice Flipo, Julienne Flory et Michel Maric, Pour en finir avec les riches (et les pauvres). Dans Mouvements 2010/4 (n°64), pages 7 à 11 177


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