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«La population paysanne, repères h i s t o r i q u e s », 2 0 1 h t t p s : / / a g r i c u l t u r e . gouv.fr/sites/minagri/ files/cep_document_

éleveuse d’ovins fait intervenir son troupeau de 900 brebis dans des parcs photovoltaïques, comme elle pourrait le faire dans des parcs urbains. Cette situation particulière crée un lien entre deux milieux totalement diff érents. Aujourd’hui, la situation urbaine présente des dangers avec l’apparition d’îlots de chaleur (3 à 5°C en plus en ville qu’en milieu rural6) ou la production gaz à eff et de serre (70% provenant de l’urbain selon Roland Bush7). Ajoutons à ceci, la croissance de la population urbaine : plus de 70% de la population mondiale vivra en ville d’ici 20306 .

Ces données et phénomènes viennent tirer la sonnette d’alarme quant à la situation de la zone urbaine qui semble se dégrader sans cesse. En ce qui concerne la zone agricole, plus que 5% de la population française vit de l’agriculture en 2010 (fi g.2). Nous pouvons constater que les politiques agricoles ne sont plus adaptées aux enjeux actuels et selon A. Rosenstiehl une «politique commune à la ville et à l’agriculture» doit être menée. Alain souligne que la «MSA (mutualité sociale agricole) devrait obliger de faire nettoyer les terres, (…) tout n’est pas communal et donc certains terrains fi nissent en friche, une charte d’obligation pourrait être créé», des adaptations devraient être faites de la part des instances publiques selon lui.

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Sur le site de Parisculteurs8 nous pouvons enfi n lire «La métropole sera durable et résiliente si le système agricole est modernisé, repensé et préservé.», prouvant ainsi un premier engagement de la part des instances publiques vers un progrès pour le milieu urbain par l’agriculture. Augustin Rosenstiehl précise9 «En 1900, c’était de l’or (la terre), et aujourd’hui, en pleine crise environnementale, on ne veut même pas savoir ce qu’il y a sous nos pieds.». Il souligne ainsi les limites de cette situation et les besoins de reformulation de l’agriculture et de l’urbain par l’urbanisme agricole, que son agence a tenté de défi nir.

6 SCIAMA Yves, «Arbres Ils peuvent nous sauver», in Science & Vie, Novembre 2019/ n°1226, pp. 64-83.

7 NAMIAS Olivier, «La ville productive, espoir d’un futur urbain», in Archiscopie, 2018, N°18, p18-21

8 Ville de Paris, Parisculteurs, in site parisculteurs, boite à outils, 2019, consulté le 20.11.19, URL: http:// www.parisculteurs. paris/

9 ROLAND Julie, «Penser une modernité plus en phase avec le vivant», chroniques d’architecture [en ligne], mis en ligne le 25 juin 2019, consulté le 30.10.19,

10 Ibid

L’urbanisme agricole selon SOA, défi nir une démarche

Afi n d’appliquer un urbanisme plus durable, il s’agit de défi nir ses principes et ses règles pour maîtriser de manière durable sa mise en œuvre. C’est un des enjeux de l’exposition Capital agricole dirigée par l’agence SOA. L’agence parisienne n’a pas seulement la volonté d’organiser une exposition sur l’urbanisme agricole mais de recenser toutes les productions et les recherches réalisées sur ce sujet pour défi nir un nouvel urbanisme. En eff et, SOA développe une défi nition de l’urbanisme agricole accessible à tous les publics par le biais de recherches, expérimentations et réalisations.

Elle ne s’arrête pas au principe de verticalisation de l’agriculture comme développé avec leur projet La tour vivante en 2005. Mais elle essaie d’instaurer des principes pour la mise en place «d’une politique commune à la ville et à l’agriculture» visant un urbanisme «plus en phase avec le vivant» selon A. Rosenstiehl10. Cette approche replace les sols au cœur de la pensée de la ville et insinue le besoin de penser l’agriculture et l’urbain conjointement. Les circuits courts, les fermes ouvertes, le développement urbain autour de l’agriculture, la requalifi cation des sols, les nouveaux métiers de l’agriculture urbaine, le réemploi des déchets illustrent à bon escient les principes de cette nouvelle approche urbaine. De surcroît, trois fondements constituent les repères de cette défi nition: «– réhabiliter l’urbain avec l’agricole notamment à partir de l’économie des espaces verts ; – redécouvrir des espaces ruraux métropolitains, ce que l’on appelle l’arrière-pays ; – imaginer, dans une forme d’équilibre et de cohérence de la métropole, des fermes de typologies très variées, capables de s’adapter à tous les contextes spécifi ques que l’urbanisme moderne nous a légué.», comme les cite A. Rosenstiehl10 .

Il faut préciser néanmoins que l’agence SOA n’est pas la seule à contribuer à cette défi nition, Rémi Janin de l’agence Fabriques l’a augmentée en intégrant des concepts comme les bergers urbains, les lotissements agricoles, les pâturages urbains… 11 Ce dernier estime que l’urbanisme agricole pourrait constituer une démarche pour «renaturer» la ville qui «se doit ainsi de se penser comme un projet agricole conscient, productif et agronomique»10. Un autre acteur dans ce champs de réfl exion autour de l’urbanisme agricole, l’agence AAA12 oriente plutôt ses recherches au niveau de la résilience de l’architecture et de la ville comme nous allons le développer avec son projet d’RUrban.

Cette multitude d’approche prouve l’ouverture de la défi nition du concept à d’autres possibles et mises en œuvre. Nous pouvons également citer la posture de l’agriculteur ardéchois, qui tend à se concentrer davantage sur les relations qu’il pratique entre consommateurs urbains et agriculteurs. Toutefois, il ne faut pas oublier le besoin de questionner la tolérance de ces citadins consommateurs vis à vis de la présence de l’agriculture en milieu urbain.

A.Rosenstiehl conclut Capital Agricole13 avec «Le capital de demain sera agricole (…) ouvrons la ferme du future» (fi g.3). Le projet d’urbanisme agricole sera une prise en compte perpétuelle de l’agriculture dans le milieu urbain afi n de rendre chaque parcelle utile et productive. Cette approche se fait tout en acceptant ses limites spatiales et sociales par la mise en place de diff érents concepts s’adaptant aux échelles des territoires. Ces concepts sont défi nis de manière théorique pour pouvoir les développer dans certains projets par la suite.

11 JANIN Rémi, «Urbanisme agricole», Openfi eld [en ligne], numéro 1, janvier 2013, mis en ligne en janvier 2013, consulté le 20.11.19

12 Atelier d’architecture autogéré, plate-forme collective d’exploration autour de ‘tactiques urbaines’

13 AGENCE SOA, Capital Agricole chantier pour une ville cultivée, édition du pavillon de l’arsenal, 2018, Paris, page 469

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De la résolution théorique...

Pour penser l’agriculture et l’urbanisme conjointement, il faut trouver des solutions qui créent des interactions entre ces deux zones tout en respectant leurs besoins et leurs fonctionnements. Capital Agricole permet un recensement de ces solutions théoriques pour la mise en place d’un urbanisme agricole. Elles sont proposées par diff érents acteurs (écologue, paysagiste, artiste, agriculteur, entrepreneur…) et se défi nissent pour la plupart en quatre catégories d’action: - la mise au point de systèmes de relation entre urbain et agriculture, - la défi nition des métiers de l’agriculture urbaine, - la requalifi cation des sols et de l’urbain, - la réinvention des fermes rurales. L’urbanisme agricole peut se mettre en place par la création de nouvelles formes de production incluant l’agriculture en milieu urbain. À titre d’exemple , nous pouvons citer les fermes urbaines expérimentées par SOA, les potagers urbains, les rues cultivées ou encore les autoroutes cultivées (fi g.4.5.6.7).

De même, des nouvelles technologies de cultures y sont développées telles que l’aquaponie, l’aéroponie, les étagères hydroponiques, la culture du substrat et tous les systèmes de culture hors-sol. Cette catégorie inclut le développement de la verticalisation comme s’y est intéressé SOA au début de ses recherches ou comme le développe l’agence AECOM à travers le projet «urban food jungle». Pour ces deux exemples, il s’agit de mettre en place des jardins suspendus nourriciers. Ces méthodes permettent à l’échelle des villes ou des quartiers une consommation locale en apportant l’agriculture au cœur des espaces urbains. Ces solutions nécessitent des normes innovantes, une nouvelle expertise et des nouveaux enjeux et relations. En parallèle de ces besoins, des nouveaux métiers se créent tels que les paysagistes agricoles, les fabricants de substrat,

Fig 4.Champs d’activités agricoles en zone industrielle

Fig 6. Ferme autoroutière Fig 5. Rues cultivées

Fig 7. Lotissement agricole

Solutions théoriques développées par Rémi Janin pour l’exposition Capital Agricole

les urbanistes agricoles, les agriculteurs dépollueurs et tous types d’agriculteurs urbains. Xavier Laureau14 décrit par exemple le sens du métier d’agriculteur urbain comme «le chef de projet [qui] entretient le rêve, fait évoluer le récit au fi l des histoires individuelles qui entrent et qui sortent du projet, il est le garant du maintien du sens du projet».

La mise en place de ces solutions passe par une reconsidération du sol urbain et de sa capacité à produire. Des projets d’implantations sur les toits naissent, tel que la requalifi cation du toit du parc des expositions en ferme urbaine à Paris. L’agriculteur Xavier Laureau15 questionne la requalifi cation des déchets organiques urbains Il précise «l’agriculture consomme de l’énergie et recycle un grand nombre de matières organiques. La ville produit de l’énergie fatale et une grande diversité de matières organiques.», soulignant la complémentarité de ces deux entités pour la production. La recréation des liens vicinaux (entre l’urbain et le rural) semble également indispensable avec la mise en place de fermes ouvertes, de champs ouverts, de forêts pâturées impliquant une imbrication des fonctions. Ce lien est indissociable pour un dialogue urbain-agriculture. Le philosophe Sébastien Marlot16 nous permet de conclure en quatre pistes pour recréer l’interaction des zones A-U-N: «l’incorporation», «l’infi ltration», «la négociation» et «la sécession» qui divergent dans leur façon de mettre en place l’urbanisme de demain.

Ces concepts théoriques sont une première approche à l’application de l’urbanisme agricole selon SOA mais quelques agences ont fait le pari de passer de la théorie à la pratique en appliquant les principes vus précédemment dans des projets urbains.

14 lbid LAUREAU Xavier, «Le rebond des agriculteurs francieliens», page 266

15 Ibid LAUREAU Xavier, «Avec les restes produire», page 373

16 Ibid MARLOT Sebastien, «l’envers du décor», pages 456 à 460

17 AAA, RUrban, in site r-urban, projets, 2018, consulté le 21.11.2019, URL: http://r-urban.net/ blog/projects/ Les concepts exposés dans l’exposition de SOA mettent en avant quelques projets déjà concrétisés et en voie d’expansion. La question de la résilience est particulièrement posée par le collectif AAA et ses RUrban. En eff et, cette projection vise à rendre les villes plus résistantes à leurs possibles crises et carences dans une démarche qui réintègre les habitants comme protagonistes. L’RUrban est défi nie comme «une stratégie participative fondée sur la connaissance par les habitants, les scientifi ques et les architectes des cycles écologiques locaux, activant des fl ux matériels (eau, énergie, déchets, nourriture) et des fl ux immatériels (savoirs, économie, sociale, culture locale, autoconstruction) entre les domaines clefs de l’activité habitante (habitat, agriculture urbaine, économie circulaire, transports doux…)»17 . À travers cette défi nition nous pouvons retrouver une reprise des principes de SOA et de sa défi nition de l’urbanisme agricole. Ces RUrban sont composées de quatre unités: le recyclab, l’animalab, l’RUrban wick et l’agrocité. Nous allons nous intéresser plus précisément à cette dernière unité.

Une agrocité a été implantée à Colombes, au nord de Paris, en 2013 et déplacée à Gennevilliers en 2017. Elle se situe dans un contexte urbain à forte densité habitante. Elle a un potentiel d’extension dans d’autres villes européennes et françaises telle que la ville de Grenoble qui porte sa candidature pour le titre de “capitale verte européenne” pour 2022. Cette installation serait une démarche de plus vers une métropole durable. De plus, elle a été commandée par le réseau RUrban pour un budget de 380000€ et soutenue également par les aides des bénévoles et des partenaires publics tels que le projet européen Life+ et la ville de Colombes. Cette composante du réseau RUrban a pour programme d’être une «unité d’agriculture urbaine civique qui consiste en

une micro-ferme expérimentale, des jardins collectifs, des espaces pédagogiques et culturels et des dispositifs de production énergétique, de compostage et de collecte d’eau pluviale»18. Elle permet une nouvelle manière de vivre et de consommer en milieu urbain en y étant implantée durablement (fi g.8).

L’agrocité se compose de trois dispositifs sur 3000m² divisés en 60 parcelles partagées aux habitants. La participation est l’objet principal de l’aventure et de son organisation. Le dispositif le plus construit est l’abri, il a une vocation pédagogique et sociale, cette structure est construite par une ossature de bois recyclé et est démontable. Le bâtiment de l’Agrocité vise essentiellement l’expérimentation de dispositifs durables tels que le chauff age au compost et la récupération des eaux pluviales. Cette unité emploie donc la récupération de matière, mais vise aussi la production de nourriture: 3 tonnes de légumes y sont produits par an, cet aspect lui permet de répondre à l’un des principes de l’urbanisme agricole: la production en milieu urbain (fi g.9).

En revanche, quelques principes ne sont pas appliqués par l’RUrban et son Agrocité. Dans un premier temps, ce programme se situe sur un terrain vague et suppose la disponibilité de ce type de terrain lorsque le foncier urbain n’est pas toujours facile d’accès, mais elle permet malgré tout la réversibilité de son implantation. Dans un second temps, les dispositifs de recyclage pourraient être plus en lien avec l’urbain et les habitations autour pour utiliser «l’énergie fatale»19 produite par la ville. Elle commence à le faire, mais seulement à l’échelle de la parcelle de l’agrocité. De même, la logique purement participative de l’agrocité affi che des limites; comme elle suppose un engagement de la part des habitants et ne comporte pas de notions liées aux métiers de l’agriculture urbaine. Cette inclusion d’un agriculteur urbain pourrait être développée si les unités se concrétisent à l’échelle internationale.

18 Ibid

19 LAUREAU Xavier, «Avec les restes produire», dans AGENCE SOA, Capital Agricole chantier pour une ville cultivée, édition du pavillon de l’arsenal, 2018, Paris, page 373

Fig 8. La stratégie de l’agrocité

Fig 9. L’agrocité de Colombes

Enfi n, l’agrocité est un des projets qui implique le plus les recherches autour de l’urbanisme agricole développées par SOA, bien qu’aucun projet ne puisse inclure tous les aspects de ce concept. Cette technique pourrait à long terme être mise en place sur les toits des villes pour libérer le foncier qu’elles occupent pour le moment. L’agrocité implique malgré tout des limites qui pointent celles de l’urbanisme agricole.

Opérer une mutation de l’urbanisme, des limites à dépasser

Bien que de nombreuses solutions soient plausibles pour se diriger vers l’urbanisme agricole, son application présente encore des limites. Qu’elles soient sociales, économiques ou expérimentales, ces contraintes pourraient freiner son développement. En se basant sur son expérience rurale, Alain me précise ses doutes quant à la possible implantation de l’agriculture dans l’urbain ou même de l’urbain dans le rural, «les gens veulent l’agriculture mais pas les contraintes qu’elle engendre». De plus, il souligne le possible vandalisme des cultures en ville. Ces intentions de recréation de liens et d’implantation pourraient donc, dans certaines situations, mener à leur perte par des comportements sociaux inadaptés. L’agriculture amène certes une valeur nourricière, mais elle est aussi source de nuisances; tels que le bruit, les odeurs ou la pollution qu’elle engendre par l’utilisation de pesticides; que les populations ne sont pas toujours prêtes à accepter en ville.

Il faut préciser que l’urbanisme agricole ne vise pas à remplacer les exploitations rurales qui jouent un rôle dans les écosystèmes. Tel que le notifi ait l’agriculteur «les bêtes nettoient le paysage (...) la forêt est aux portes des villages et des hameaux», sans ces exploitations on reviendrait à une nature sauvage, la «sécession» évoquée par Sébastien

Fig 10. Le Cactus Fig 11. La ferme musicale

Fig 12. Les mini fermes Fig 13. La fabrique agricole

Les projets de papier de l’agence SOA

Marlot20 … D’autres part l’urbanisme agricole comporte des limites économiques dans sa mise en place et son rendement. La note n°113 de l’APUR21 précise ces limites de rendement et estime qu’il faudrait «mettre en culture 11000 ha pour assurer l’autosuffi sance en fruits et légumes frais de la population parisienne (…) soit 1.5 fois la surface de Paris». Cette démarche reste donc «marginale», selon les mots d’Alain et n’est peut être pas une solution totale du point de vue de ses qualités nourricières.

Pourtant, selon les fab city, d’ici 2054, les villes seront autosuffi santes. Mais cette date nous amène à nous questionner sur son caractère utopique, en considérant les chiff res mentionnés ci-dessus. En revanche, Olivier Namias22 précise que des attentes optimistes viseraient 10% de l’alimentation de la population parisienne en provenance de la production en cultures locales, moins utopiste et plus encourageant pour la mise en place des recherches de SOA.

Cependant, un autre point particulier reste une limite. SOA, bien qu’ayant menée des recherches, n’a construit que peu de ses expérimentations. En eff et, la fabrique agricole, la ferme musicale,le cactus, les mini fermes…(fi g.10.11.12.13) restent au stade théorique. Ceci affi che les limites de la réfl exion de l’agence quant à l’application de ses principes à la construction.

Mais, si nous laissions se développer ces projets de papier, où arriverons nous? Selon les chiff res présentés, l’urbanisme agricole malgré ses contraintes et ses limites a tout de même des eff ets positifs sur la production, l’environnement urbain et la connexion rural et urbain qui est la source d’une vie épanouie et où la terre est remise en lien avec toute la population.

20 Ibid, MARLOT Sebastien, «l’envers du décor», pages 458 à 460

21 APUR, «une agriculture urbaine à Paris», note N°113, février 2017, mis en ligne en février 2017, consulté le 2.10.19, URL:https:// w w w . a p u r . o r g / s i t e s / d e f a u l t / f i l e s / d o c u m e n t s / n o t e _ 1 1 3 _ agriculture_urbaine_ paris.pdf

22 NAMIAS Olivier, «La ville productive», espoir d’un futur urbain, in Archiscopie, 2018, N°18, p18-21

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