Déradicaliser la radicalisation, ou la problématique ?
Jacques Pain 1 1
Résumé Tenter de faire le point sur les publications traitant du problème de la radicalisation et de son pendant théorique, la « déradicalisation » n’est pas simple, compte tenu des multiples auteurs et surtout acteurs en jeu, et des débats et polémiques qui marquent les discussions et les interventions. Il faut donc opérer un choix méthodologique, et approcher pour cela les positions des « experts » et des intervenants les plus engagés dans le champ de l’actualité, dans l’idée de dégager les points clés de la problématique, et des réalisations et propositions qui soient à la fois des repères théoriques et des balises pour l’action sur le terrain. Un suivi individuel, familial, social est en fait incontournable. Déconstruire la radicalisation est un programme à long terme. Abstract : Disradicalize radicalization, or the problem itself ? Trying to take stock of the publications dealing with the problem of radicalization and its theoretical counterpart, “disradicalization” is not simple, given the multiple authors and especially actors involved, and debates and controversies that mark discussions and interventions. It is therefore necessary to make a methodological choice, and to do so, to approach the positions of the "experts" and the stakeholders most engaged in the field of current affairs. With the idea of identifying the key points of the problem, and the achievements and proposals that are both theoretical benchmarks and guidelines for action on the ground. Individual, family and social follow-up is in fact essential. Deconstructing radicalization is a long-term program. Mots-clés Jihad ou Djihad-Fondamentalisme – Déradicalisation – Radicalisation – Désendoctrinement – Réaffiliation – Mentor(s) – Grande violence-Meurtres de conviction – Suivis pluridisciplinaires – Déconstruction primaire – Soutien de sortie 1
Professeur émérite, Paris 10 université. Pratiques de l’Institutionnel, Pédagogie, Violence, Formation. Cf les Publications et Recherches, Site de Jacques Pain : http://www.jacques-pain.fr/
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Keywords Jihad or Jihad-Fundamentalism – Disradicalization – Radicalization – DisindoctrinationReaffiliation – Mentor(s) – Great Violence-Murders of Conviction – Multi-disciplinary follow-up – Primary deconstruction – Exit Support Notes bas de pages, reprises fin de pages, bibliographie fin de texte.
Introduction Levons tout de suite une ambiguïté : il ne s’agît pas ici de se focaliser spécifiquement sur les populations musulmanes, même si incontestablement elles sont actuellement l’épicentre des questions complexes soulevées par le « jihad ». Le jihad (ou djihad) est cet effort et ce devoir de lutte pour la foi et Dieu, qui d’ailleurs, y insistent nombre des experts et spécialistes, n’est pas l’un des 5 piliers de l’Islam. Il ouvre en fait une vision intellectuelle du « combat interne et externe » – termes qui font sens pour toutes les religions et pour les athées spiritualistes –, un combat qui ne semble pas cependant s’identifier à une guerre « sainte ». Mais pour certains radicaux autoréférents, il relèverait ouvertement de « l’administration de la sauvagerie » 2 , et c’est l’extrémisation dés lors qui marque l’imaginaire et les représentations. Dans ce monde du radical, la famille, la maternité, l’amour humain, la vie, comme la compassion, sont des aléas ou des accidents sans grandeur et sans intérêt. Il est alors très difficile de passer le mur du silence qui sépare des affects. Pour autant, l’histoire humaine nous a longuement et régulièrement plongés dans la violence, sous toutes ses latitudes et sous toutes les religions, et nous ne l’oublierons pas, toutes choses égales par ailleurs, comme on dit à l’université. Au point que l’anthropologie fête comme un miracle la découverte ou l’étude en gros plan d’une peuplade, d’une tribu, d’un groupe, d’une société, qui ne cultiva jamais la
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« L’administration de la sauvagerie : l’étape la plus critique que traversera l’oumma », Abu Bakr Al Naj, 2004, Internet. Surnommé selon les médias le « Mein kampf » des jihadistes.
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violence, mais la solidarité, l’attention, le lien social inconditionnel, entre ces semblables aussi différents que nous sommes depuis toujours. Plusieurs dizaines de milliers de combattants ont gagné l’État islamique et son califat, soit vingt à trente mille étrangers, dont 5000 occidentaux (environ 1000 à 2000 français, 800 allemands, 800 britanniques, 500 belges). Actuellement 70 000 personnes seraient retenues dans le camp de Al-Hol, en Syrie ; 94% d’entre elles sont des femmes et des enfants, des milliers. Une majorité des combattants de l’EI avait moins de 30 ans. Mais restons prudents avec les chiffres. Ils sont largement et âprement discutés. Ils nous permettent seulement de juger de l’ampleur inédite du problème à traiter3. « Nous sommes toutes soeurs et nous ignorons frontières et nationalités, commence la lettre. Nous venons de sept pays différents et nous avons vécu la même histoire. Nous parlons le langage commun de la maternité ; nous attendons votre retour, en vain. Nous, vos mères, vous avons mis au monde, aimés, chéris. Nous rêvons de votre retour. Nous voulons que vous viviez. Même si vous pensez que la mort vous offrira "une vie meilleure", souvenez-vous des mots du Prophète Mohammed (que la paix et la bénédictions soient sur lui): "le paradis se trouve aux pieds de votre mère … Allah a enjoint à l'homme de la bonté envers ses père et mère. Dans la douleur sa mère l'a porté, dans la douleur, elle lui a donné naissance "(Coran: 46 : 15). Nous, vos mères, vous avons beaucoup appris, mais surtout la justice, la liberté, l'honneur et la compassion pour toutes les créatures de Dieu et pour chaque être humain. Chaque être humain appartient à la merveille qu'est la vie. Ce miracle de la vie dans toute son essence, dont nous faisions partie, ensemble, nous a été enlevé. Pourquoi ? » (Mothers of life, 2015)4. Sémantiques et conjonctures
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Médecins sans frontières, communiqué de presse du 22 mai 2019. Lettre ouverte à nos fils et à nos filles in L’express, 04-06-2015. Voir aussi le GIRDS, German Institute on Radicalization and De-radicalization Studies, et Daniel Koelher ; ainsi que Christiane Boudreau, à Calgary.
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La radicalisation prétend par définition aller à la racine, ou y retourner, et bien sûr ce mot-valise a traversé nombre de mouvements politiques, sociaux, se nimbant à chaque fois de la même authenticité déclarée originaire et symboliquement native. Il s’agît donc en fait de la renaissance à la vérité fondatrice, désinterprétée et portée par les mots de la première heure. Nous le disons ainsi pour souligner la puissance structurante et ressourçante d’une telle croyance. C’est « l’étymon » qui commande, et du coup celui qui le désigne. Cette démarche s’est étendue dans l’histoire des idées à bien des recherches et prétentions. C’est presque déjà pointer que la déradicalisation est présentée comme un retournement mental évident du propos. Ce néologisme simpliste mais « parlant » masque ses insuffisances en supposant résolu le problème. Est-il pertinent ? Par un simple mouvement de retour sur soi, on gommerait l’aliénation de la personnalité, installée et construite par un processus complexe, où affectif et cognitif sont du même objet
psychique
interne ?
Une
étude
récente
en
particulier
lui
préfère
désendoctrinement, désembrigadement, désidéologisation5. Et l’affaire n’a rien de simple. J’ai moi-même dû faire une étude assez poussée de la notion d’idéologie (Destutt de Tracy, 1803/1815), dans ses rapports avec l’inconscient. Cette science des idées défendue en son temps par les « idéologues » deviendra avec Marx une fausse pensée : du réel, mais travesti. Pourtant, retenons ici que les idéologues nous indiquaient par défaut une dimension du problème : les idées, ces « opinions » de Marx, sont selon eux des faits, des phénomènes qui auraient la force de l’événement. Prenons le « cet événement » à la lettre ! Il nous renvoie aux ancêtres. Mais là encore, les « ancêtres » censés authentifier la parole sont euxmêmes partagés et déjà engagés sur des voies incompatibles à terme ! Les figures centrales du débat expert sont bien identifiées, et nous retrouvons leurs noms, leurs contributions, dans la plupart des textes, études, entretiens de presse. Les positions sont souvent tranchées, voire polémiques. Du moins pour les
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Le Devin Willy : « La politique de déradicalisation étrillée par deux parlementaires » (cf. Esther Benbassa , Catherine Troendlé), Liberation.fr, 22 février 2017.
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plus médiatiques d’entre ces figures, qui d’ailleurs se livrent régulièrement à des joutes par interpositions. Citons Gilles Kepel, à partir de l’un de ses premiers livres (1991)6, Olivier Roy en entretien et colloque (2015 et 2017)7, François Burgat (2016) 8 et aussi JeanPierre Filiu9. Ce débat entre politologues finit par perdre de sa consistance, tant il occupe la scène médiatique et retient l’attention des politiques les plus en vue, voire des services d’études stratégiques, ou de renseignements. Du pouvoir, des financements, des concurrences personnelles sont en jeu, un peu trop sans doute. Mais incontestablement, les compétences sont au rendez-vous. C’est pourquoi il faut aussi écouter d’autres voix, du côté de Fethi Benslama (2016), psychanalyste, et surtout de Fahrad Khosrokhavar 10 , sociologue. Nous mentionnerons également Dounia Bouzar et Sonia Imloub, toutes deux très investies sur le terrain selon leurs écrits et témoignages, et Patrick Amoyel, le « psychanalyste du Jihad » (Alpes maritimes). Leur crédibilité fut très discutée, ils furent pourtant du premier plan. Nous resterons sur le débat, les échanges, les faits et positions rapportés. Bien d’autres personnes seraient à citer. Mais nous visons un aperçu succinct de ces discussions, en fait vieilles comme l’humanité et l’injonction religieuse. Ce qui sépare ces analyses au fond, ce sont les enracinements idéologiques des uns, des unes et des autres … dont bien sûr ils ne tiennent pas toujours compte. Et ce qui referme radicalement les prises de position, ce sont les financements en jeu. Car le marché bat son plein. Les seuls financements ministériels français de la prévention de la radicalisation pour 2015 et 2016 se montent à environ 2 500 000 euros, dans une étonnante dispersion d’intérêts et d’acteurs, ciblés « Accompagnement des familles »11. Cette légitime préoccupation occupe le premier plan des mobilisations sans jamais parvenir, dirait-on, à produire un cadre de référence et de travail fiable et opérationnel à moyen et surtout à long terme. La confusion régne. 6
https://frwikipedia.org wiki/Gilles_Kepel https://fr.wikipedia.org/wiki/Olivier_Roy 8 https://fr.wikipedia.org/wiki/François_Burgat 9 http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre_Filiu 7
10
11
https://fr.wikipedia.org/wiki/Farhad_Khosrokhavar
https://www.senat.fr/rap/r16-633/r16-63311.html. Changer de paradigme.
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Mais voyons la conjoncture. Elle imprègne l’opinion publique d’une bonne partie du monde actuel. Gilles Kepel est un auteur prolixe et très documenté, très investi dans son champ de travail. Il a publié des ouvrages marquants tirés en plusieurs langues à des dizaines de milliers d’exemplaires. Il a montré dès les années 1990 la nouvelle émergence des religions monothéistes, dans la période « charnière » des années 197080, scandée par une remise en cause de la laïcité, de la raison, devant le retour de la foi, et « la revanche de Dieu »12. Il distingue en particulier dans la « réislamisation » en œuvre une réislamisation « par le haut », dont l’état islamique sera une illustration forte, et une réislamisation « par le bas » menée par des associations et mouvements « piétistes ». « Entre 1975 et 1990 les mouvements de réaffirmation de l’identité religieuse ont accompli une mutation considérable… Ils ont su transformer la réaction de désarroi de leurs adeptes, face à la crise de la modernité, en projets de reconstruction du monde » (Kepel, 1991, p. 259). On pourrait d’ailleurs, précise-t-il, plus globalement parler tout aussi bien par ailleurs de « rechristianisation » et de « rejudaïsation ». Nous avons là en effet affaire à un fondamentalisme exégète où le monde est divisé en deux, celui de la foi et celui de la barbarie, à partir de repères bien identifiés, de grandes figures, et c’est l’opportunité de mettre en cause, avec constance et opiniâtreté, la démocratie, les droits de l’homme, les valeurs « universelles », voire les normes constitutionnelles – soit frontalement, soit indirectement, socialement ou culturellement. On voit bien tout l’univers de la culture post-moderne s’ouvrir ici. Rien de nouveau, sinon ce déploiement parfois et soudain brutal de radicalité, en une époque qui s’était cependant rêvée et imposée libérale, capitaliste, pacifiée par le commerce et le progrès dirigés. Et c’est là que les débats se figent. Gilles Kepel pense de plus en plus clairement que l’islamisme se radicalise ; il ne manque pas d’arguments avec le salafisme djihadiste. Car si cet islamisme se radicalise, les banlieues « postcoloniales » sont bien alors un terrain électeur.
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Kepel Gilles, La revanche de Dieu, juifs et musulmans à la reconquête du monde, 1991, Seuil. 6
Radicalisation islamique ou islamisation de la radicalité, c’est la symétrie sur laquelle les médias insistent en opposant Gilles Kepel à Olivier Roy, et à d’autres. Et les enjeux sont d’importance. Une radicalisation islamique porte conséquence sur la vision que l’on a de l’ensemble du monde musulman. Olivier Roy (2015 et 2017) est un politologue qui a combattu en Afghanistan contre l’URSS, et évidemment ses options intimes ne sont pas les mêmes. Il insiste sur la violence radicaliste, mystique, sa dimension « nihiliste », voire utopiste et suicidaire, sur ce retournement des perdants en vainqueurs, « héros négatifs ». On ne déradicalise pas un djihadiste, nous dit-il. Ils ne deviennent pas radical, « ils vont chercher du radical ». La religion est au cœur du terrorisme, mais en est-elle la cause ? Et dés lors il ne faut pas rêver, cette idéologisation de la religion n’autorise pas, selon lui, la négociation. L’intensité de la foi « barre » tout compromis, toute négociation. Le khalifat restauré est un mythe fondateur et de surcroît quasi réel, il a la force du fantasme, ajouterais-je. Et cette idéologie irénique et violente, au final romantique, du pays du Djihad, aussi monstrueuse qu’elle soit, on l’a vu dans des émissions de propagande et des reportages, emporte certaines consciences tourmentées. Pour Olivier Roy (2015 et 2017), l’islamisation de la radicalité ‡est patente désormais13. Sur ce point, ces positions ne sont pas loin de celles de François Burgat, et dans le cas français de Fahrad Khoroskhavar (2014)14. François Burgat (2016)15 insiste sur cette dérive occidentaliste : le lexique musulman ne serait pas un lexique religieux, mais non occidental. Il y une « ostracisation » du lexique musulman. Et ces problématiques sont bien prises dans une contextualisation largement postcoloniale, de politique étrangère et d’intégration, où les liens légitimes indépendance-nationalisation-parler musulman sont mal vécus
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Roy Olivier, Entretien, 27 novembre 2015, RTS, Tout un monde. Et Paris, International Panel on Exiting Violence, 18-19 janvier 2017. Une position plus affirmative encore est tenue par le chercheur Scott Atran, dans son livre « L’état islamique est une révolution », Les liens qui libèrent, Paris, 2016. 14 Khosrokhavar Fahrad, Radicalisation, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Interventions », Paris, 2014 . Voir aussi https://fr.wikipedia.org/wiki/Fahrad_Khosrokhavar 15 Burgat François, Comprendre l’Islam politique : une trajectoire de recherche sur l’altérité islamiste, 1973-2016, 2016, Paris, La Découverte. Voir aussi https://fr.wikipedia.org/wiki/François_Burgat 7
par l’occident. Ce qui semble indubitable. Nous avons en l’occurrence « ethnicisé » l’universel, nous déclare-t-il. Il n’est pas si loin de la vision historique de Jean-Pierre Filiu16, réinscrivant ces mouvements politiques dans la dynamique des printemps arabes et une dialectique de l’émancipation des peuples arabes. Les débats sont difficiles et masquent parfois l’essentiel. Il y a bien évidemment des éléments à réunir ou à croiser à travers toutes ces contributions. Mais citons ici Fahrad Khosrokhavar, sans aucun doute l’un des plus pertinents dans la synthèse sociologique qu’il réussit, dans un livre majeur (2014), confirmé depuis (2018). Ce sociologue franco-iranien formé en France et aux USA nous livre des clés génériques. La notion de radicalisation est devenue une notion cardinale après les attaques du 11 septembre aux USA, et sa vogue est d’abord sécuritaire, elle habille le terrorisme en se focalisant sur les acteurs, et sur la subjectivité de leurs actions, nous dit-il, en l’individualisant. En Occident par ailleurs, la radicalisation se produit au cœur d’une certaine désinstitutionnalisation où des groupes sociaux entiers sont malmenés, et où l’exclusion et la stigmatisation font un mélange explosif. La radicalisation n’est pas seulement musulmane, nous dit-il, pensons aux néofascismes européens, aux suprémacismes, ou encore à des formes plus surprenantes comme l’écoterrorisme. J’ai pu avec d’autres étudier le cas de la bible, dans le cadre de mes cours sur la violence à Nanterre. L’ancien testament, le pentateuque en particulier, sont marqués des plus grandes violences. D’ailleurs à notre connaissance, aucun livre saint n’est exempt de violence, aucune religion n’a échappé ou n’échappe à l’hypothèque intégriste, à ce que nous nommerons la violence de conversion, de conviction, prise au fond dans des attitudes ancestralement radicales car décrétées originaires. Cette vérité « d’origine » ne supporte pas le doute. Pensons encore aux inquisitions, aux crimes connus des colonisations, aux génocides « protégés ». La radicalisation est phasée selon Fahrad Khosrokhavar : pré-radicalisation par l’identification aux mouvements radicaux et à ses figures ; endoctrinement par 16
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre_Filiu
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imprégnation, on pourrait ajouterai-je dire « transfert » ; implication dans des actes violents. Elle pourrait alors prêter prise. Elle dépend aussi de la possibilité de réalisation de l’utopie qui la soutient – l’indépendance ou le khalifat, la communauté en marge ou la nation intégrale – et du malaise identitaire des jeunes captés. Contrairement à la situation dans le monde musulman, en Europe ce sont les jeunes des couches sociales « inférieures » qui forment le noyau dur du Djihadisme. De plus, désormais, les réseaux sociaux, les TV, Internet, permettent une radicalisation sans « contact face à face », et la dimension de soumission charismatique peut se jouer plus fort encore à distance médiatique. L’autoradicalisation est concevable, l’intelligence humaine est là pour la réussir. Et puis le « départ » est un saut dans l’idéal guerrier, et aucune dépression n’y résiste. Du coup, le retour dans les pays de départ est très dangereux, car l’expérience extrémisée de la mort idéalisée et collectivisée insensibilise, analgésise le « combattant ». Il y a là une sur-radicalisation résultante. Nous rejoignons le psychanalyste Fethi Benslama (2016)17 lui aussi central dans le débat ouvrant à mon avis au concret du terrain d’intervention. « Le monde musulman connaît aujourd’hui une guerre civile généralisée dont l’objet est son sujet : le musulman en tant que tel » (p. 11 in ? 2016). Il nous confronte à un personnage mythique : « le surmusulman », ce « musulman exemplaire et ancestral » (p.19). En fait le « salaf ». Il fait également appel à des conjonctions socio-cliniques dans la radicalisation explorée par des spécialistes de la délinquance disons explosive et violente comme Jacques Selosse (1997) :18 désidentification des figures ordinaires, suridentification
à
des
figures
charismatiques
et/ou
christiques
idéales,
réidentification idéologique active en situation, (voir aussi Pain, 1997).
17
Benslama Fethi, L’idéal et la cruauté. Subjectivité et politique de la radicalisation. Journée d’études Paris-Diderot, 22 mai 2015, 2015, Paris, Lignes 18 Selosse Jacques, Adolescence, violences et déviances (1952-1995), Vigneux, 1997, Matrice. Voir aussi : Pain Jacques, L’adolescent sans société. Le bal du vampire et de la méduse, 1997 ; https://www.jacques-pain.fr/jacques-pain/Art_Ladolescent_sans_soc..html 9
Une autre référence me semble importante, dans la compréhension générique de la radicalisation aujourd’hui, ce sont les analyses de Asiem El Difraoui19. Il a publié un Que-sais-je sur le Djihadisme (2016) et mené avec Milena Uhlmann un bilan (2015) des modèles européens de radicalisation-déradicalisation. Nous y reviendrons. Il pense que les politiques français ont ignoré ou laissé pour compte les banlieues. Ce n’est pas aussi évident, et je connais bien le problème, j’ai vu des expériences étonnantes réussir. Mais ce qui est vrai pour beaucoup d’observateurs étrangers ou français, c’est que les politiques aujourd’hui dénient la responsabilité de la France et de ses gouvernements dans la forclusion politique des banlieues et des grandes immigrations coloniales. Ce que nous pouvons déjà inférer de ces multiples prises de sens, c’est que le travail à mener mérite une approche mesurée et a minima pluridisciplinaire. Problématiser le terrain de la déradicalisation et la place de la famille Or sur le terrain, beaucoup s’y sont lancés, mais trop tôt, trop vite peut être, sans que le temps autorise la réflexion et une réelle préparation. Les pressions politiques, les jeux de prestance et les rivalités devant les appels d’offre ont noyé jusqu’aux meilleures approches. La réussite sur le terrain semble difficile et toujours contestée, particulièrement en France. Pourquoi pas ? Mais c’est la constance et le suivi qui toujours également fondent des résultats. Voyons quelques actions et quelques propositions. Là encore, l’ensemble mériterait un bilan intellectuel exhaustif reprenant et étudiant les éléments positifs, et en y joignant les démarches anglo-saxonnes, scandinaves, allemandes, européennes en somme, et moyen-orientales (l’Arabie Saoudite s’est dotée depuis des années d’un centre de déradicalisation, le centre Mohamed Ben Nayef, à Riyad).
19
https://fr.wikipedia.org/wiki/Asiem_El_Difraoui. Voir aussi: Le Monde 30-12-2015 : https://www.lemonde.fr/societe/article/2016/01/14/un-marche-opaque-de-la-deradicalisation-est-en-train-dapparaitre-en-france_4847656_3224.html. Et aussi : Tribune de Genève 27-02 2017 https://www.tdg.ch/monde/france-doit-s-inspirer-davantage-dautres-modeles-europe/story/20483419.
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En France, Dounia Bouzar (2014 et 2018)20 occupa et occupe encore une place centrale dans ces interventions qu’elle qualifia elle-même de « désendoctrinement », en fondant et animant le CDPSI, « Centre de Prévention des Dérives Sectaires liées à l’Islam » (2014) jusqu’en 2016, où elle démissionna de sa mission ministérielle (elle était mandatée par le ministère comme « Équipe mobile d’intervention »), après l’annonce de la loi sur la déchéance de la nationalité. Anthropologue, c’est une ancienne éducatrice de la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Elle poursuit son action au sein de son cabinet conseil. Elle a déclaré avoir avec son Centre 80% de réussite, auprès de centaines de jeunes et de leurs familles. Elle a conçu une méthode de désendoctrinement à la fois émotionnelle, réveillant la sensibilité affective et relationnelle,
et
cognitive,
déstructurant
simultanément
les
enkystements
idéologiques, pour ensuite construire une restructuration cognitive visant à penser par et pour soi-même. Le contexte est chaque fois concrètement celui du jeune ou de la jeune « embrigadé(e) ». Elle insiste en effet fortement sur une des initiatives clé de Daech : ne plus se focaliser sur des propositions théologiques, religieuses, mais individualiser et affectiviser l’inscription, en faire une affaire personnelle, dans un mécanisme psychique d’adhésion et d’appartenance à un « meilleur » monde. En 2019, elle préconise la création d’un Tribunal International pour juger les djihadistes, et en conséquence individualiser le processus judiciaire, les jugements (L’Humanité, 11-12 mai 2019). Faire du sur mesure, c’est bien ce que recommande la criminologie clinique. Elle parle à présent de « réaffiliation » et de « renationalisation » des enfants de Daech dans une « famille élargie » (SaphirNews, 20-06-2019). Or, un article repris du japon par Le Courrier International (juin 2019, n°1493) montre clairement, à partir des attentats de Colombo, que Daech vise désormais le recrutement de « cellules familiales » terroristes. Sonia Imloul a collaboré avec Dounia Bouzar pour diriger la Maison de la Prévention et de la Famille, également très proche du gouvernement. Une fois les 20
La méthode CDPSI expliquée (il existe aussi un Powerpoint) : http://www.cpdsi.fr/actu/deradicalisationla-methode-dounia-bouzar-expliquee-13-saphirnews/. Voir aussi : Bouzar Dounia, Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l’enfer,2014, Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier ; roman qui a également inspiré le film Le ciel attendra. Voir aussi : Français radicalisés. Ce que révèle l’accompagnement de 1000 jeunes et de leurs familles, 2018, L’Atelier.
11
« candidats au départ » signalés à la structure dirigée par Sonia Imloul, le travail s'articule autour de deux missions : fournir une aide psychologique aux familles d'aspirants au jihad et renouer le dialogue avec les individus radicalisés (Le parisien 15-01-2015). La structure n’existe plus aujourd’hui. Patrick Amoyel et l’association « Entr’autres » (Nice, Marseille) ont été chargés de la prévention de la radicalisation au sein du Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance à partir de 2016. Il ne s’agit pas, nous disent-ils dans une interview publiée et discutée sur le Net (2016), d’opérer un désendoctrinement de manière frontale ou brutale, mais bien au contraire : « Le lien entre la famille et l’enfant concerné doit perdurer et se renforcer. Il faut que l’enfant se sente en confiance pour pouvoir parler avec ses parents. De notre côté, nous devons établir un lien de confiance avec les parents de façon à pouvoir ensuite travailler en chaîne, par transfert », explique encore le psychanalyste. « Ainsi, poursuit-il, le jeune se retrouve pris dans une bulle protectrice, entre ses parents, qui font preuve de compréhension à son égard et nous, qui par le biais des parents, apportons l’argumentation ». L’argumentation ne vise donc pas à rejeter toutes les valeurs que le jeune prétend désormais défendre, mais à décaler son système de représentation. « Dans leur rejet des valeurs de l’Occident, il y a des revendications et des considérations que l’on peut entendre. À nous d’apporter des réponses qui ne les renforceront pas dans leur dogmatisme », explique encore le responsable de l’association. Tout ce travail de déconstruction de la pensée radicalisée est possible et efficace tant que la personne concernée n’a pas quitté le territoire. Une fois partie en Syrie ou ailleurs, l’association tente davantage d’apporter son soutien à la famille à travers des groupes de parole qu’elle organise. Elle intervient aussi auprès de la fratrie, pour éviter disons les reprises mimétiques. En France, le Centre de déradicalisation de Beaumont-en-Véron (2015) n’a pas fonctionné plus d’un an. Nous ne le citerons que comme un contre-exemple, tant le choix des candidats était disparate voire confus, et le cadrage mal pensé, le montre
12
bien le sociologue Gérald Bronner 21 . C’est en fait toute la conception des programmes nationaux qui est à revoir et l’est désormais. En 2018 un nouveau plan « antiradicalisation » est proposé, avec un important volet Prison :1500 places d’isolement, 4 nouveaux quartiers d’évaluation de la radicalisation – soulignons que l’évaluation est ici une question nodale, à la fois épistémique et clinique – et enfin un développement de centres ouverts mieux profilés. Une recherche récente de Laurent Bonelli & Fabien Carrié (2018)22 examine et analyse attentivement 133 dossiers de mineurs garçons et filles suivis par la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Les familles sont en effet prises en compte dans les dossiers et incluses de fait dans les analyses ; les jeunes retenus le sont sur critère judiciaire, et des indépendantistes ou néonazis le sont également. On y distingue 4 registres de radicalités : rebelle, apaisante, agonistique – ces 3 là sont catalogués comme « les révoltés » –, et utopique, qui concentre « les engagés ». Les radicalisés révoltés, paradoxalement, pour être souvent issus de familles parfois déstructurées ou fragiles, de milieux marqués par une certaine désocialisation et eux-mêmes pris dans les difficultés scolaires, ne seraient pas dans les passages à l’acte « durs » ; alors que les radicalisés engagés, de familles plus cadrantes, plus présentes, de milieux plus attentifs, seraient dans les passages à l’acte les plus durs. Citons encore le rapport de l’historien et député Sébastien Pietrasanta (2016)23 qui avance 37 propositions, dont la création d’une structure nationale de soutien aux familles de radicalisés, et des mesures de mobilisation et d’association des parents. Il y est fait référence aux « mentors » danois, et à une évaluation des degrés de la radicalisation, ainsi qu’à une intervention des établissements scolaires.
21
Bronner Gérald, La Nouvelle République. Il a participé à l’expérience. https://www.lanouvellerepublique.fr/tours/a-pontourny-ils-n-etaient-pas-fous-mais-fanatiques. Au titre en particulier de « la pensée extrême ».
22
Bonelli Laurent, Carrié Fabien, Radicalités engagées, radicalités révoltées, Université de Nanterre, 2018. Cf https://www.ladocumentationfrançaise.fr/rapportpublics/184000167/index.shtml
23
Rapport au ministre de l’intérieur, Paris 2015 : La déradicalisation, outil de lutte contre le terrorisme. https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/154000455.pdf
13
En Belgique, l’association PREFER24 (Prévention, REcherche et Formation sur l’Emprise et le Radicalisme) propose des formations y compris diplômantes, à des travailleurs sociaux et des psychologues. Lors d’une conférence, le psychologue et spécialiste des sectes Jean-Claude Maes propose de distinguer la prévention primaire : avant la conversion (plutôt pédagogique, éducative) ; la prévention secondaire : pendant la phase de conversion (plutôt dissuasive des comportements violents, et familiale) ; la prévention tertiaire : après l'infraction (plutôt pour éviter la rechute, y compris en prison) ; la prévention quaternaire, durant le deuil (plutôt pour les proches, restaurant l’individu tel qu’il fut connu de ces proches). En Allemagne, nous avons mentionné GIRDS, mais nous y ajouterons le programme Hayat : à partir de 2007, initié par le Centre pour la culture démocratique de Berlin, axé sur le conseil et le suivi des jeunes en voie de radicalisation, radicalisés sans avoir quitté le pays ou de retour des théâtres de djihad, ainsi que de leur famille. Le programme porte « sur des aspects émotionnels, idéologiques et pragmatiques de la radicalisation », explique Asiem El Difraoui (2016): intervention auprès des familles, « déconstruction des notions, interprétations et récits fondateurs des extrémistes », modification de l’environnement de l’individu par des démarches d’insertion professionnelle, assistance psychologique, le cas échéant. Le Danemark a très tôt attiré l’attention, dés 2005-2007, par sa « méthode douce » de prévention liant la police, les services civils, les services sociaux, les familles, avec un certain succès, sur un public restreint. La ville moyenne de Aarhus25 en est l’inspiratrice. Avec la prise en charge des retours, le système s’est structuré avec des « rendez-vous » au cas par cas et une transmission des informations aux services secrets. Un « mentor » est proposé aux interpellés. Le travail ne vise pas la religion, mais la violence, soulignons le. Mais l’expérience reste très discutée.
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Radicalisation et jeunesse : retour sur le midi pour la solidarité. http://www.pourlasolidarite.eu/fr/news/radicalisation-jeunesse-retour-sur-le-midi-pour-la-solidarite 25 Le modèle d’Arrhus : https://efus.eu/files/2016/09/PS_Aarhus_PreventionRadicalisation_FR.pdf
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Danemark La pyramide de la contreradicalisation Lars Eslev Andersen, 2015
Considérations et enseignements Pour avoir longuement investi les quartiers et les établissements scolaires sensibles, et approché ou suivi les parcours de jeunes et moins jeunes « délinquants » relevant de la grande violence, j’ai pu, avec nos groupes d’intervention, mesurer sur 30 ans la puissance de la destructivité humaine, son inventivité et sa répétition dans les sociétés actuelles, et a priori dans la vie quotidienne et ses fondements disons « neuro-affectifs ». Le monde de la grande violence est binaire ; il fait résonner les symétries et ignore les compromis et a fortiori la négociation : c’est lui ou moi, l’un ou l’autre, noir ou blanc. La relation humaine est « matriciellement » un test de capture affective où le désir vise une annexion et une indexation de l’autre à son monde propre. Cette néo-pulsion en quelque sorte réinitialisée d’une société idéale-identitaire est liée à l’affirmation angoissée de soi dans un monde toujours davantage difficile et imprévisible. Comme nous l’avons développé dans nos articles cités, reprenant en particulier le neurobiologiste Henri Laborit, les composantes d’un conditionnement sociétal à la violence sont réunies : la combinaison psychique de l’angoisse « anthropologique » actuelle et de la culture des émotions (le « coefficient angoisse-émotion », ce contrôleur et de soi et de l’Autre, moteur du quotidien, qui règle l’homéostasie sociale) sonne le glas d’une « raison » linéaire. 15
L’ « animalité » humaine a conservé ses formes idéologiques-inconscientes de base, au sens de la dynamique de groupe. Le fondamentalisme est une nostalgie. L’être humain est aussi inhumain en interface, nous le savons depuis des millénaires. L’humanité reste à apprendre. Le problème est toujours le même, qu’il émerge ainsi dans l’agression ou se formule par l’effondrement personnel : la nécessité du contrat social ! Mais peut-on pacifier Léviathan26. Des seuils de complexité Formulons ici quelques considérations et tirons en quelques enseignements. Nous n’avons fait que dresser une esquisse partielle de la question qui nous occupe : Radicalisation, déradicalisation ? Ne s’agirait-il pas justement d’une symétrie basique, imaginaire ? J’ai moi-même décliné des interventions de cet ordre il y a quelques années. Je ne voyais pas vraiment les possibilités d’une déradicalisation dans nos contextes. Pourtant il y a maintenant de fait lieu et nécessité d’agir. C’est d’une très grande complexité. Comme l’écrivent Bonelli & Carrié (2018, p. 22) dans leur rapport : «…(il y a)..une extraordinaire diversité des comportements, des attitudes et des actes classés sous le label « radicalisation ». Quoi de commun en effet entre l’inquiétude d’un père quant à la conversation timide de sa fille à l’Islam, la commission d’un attentat, l’insulte contre un enseignant ou un éducateur, et le départ vers une zone de guerre ? Quoi de commun entre une bonne élève choyée par ses parents, une de ses camarades en errance après avoir été expulsée par sa mère toxicomane, un jeune kurde d’une famille proche du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) isolé dans un quartier majoritairement turc et musulman, un petit délinquant immergé dans les bandes de son quartier, un nationaliste corse ou basque 26
Pain Jacques, L’adolescent sans société. Le bal du vampire et de la méduse, 1997 ; http://www.jacques-pain.fr/jacques-pain/Art_Ladolescent_sans_soc..html. Voir aussi: Pain Jacques, L’individu sans collectif, un mal d’institution, http://www.jacques-pain.fr/jacques pain/Art_lindividu_sans_collectif.html. Pain Jacques, la violence, réponse intime et ultime à la grande difficulté d’être, 2003, http://www.jacques-pain.fr/jacques-pain/Art_la_violence_reponse.html. Pain Jacques, Grande violence et interventions-limite, 1999,http://www.jacques pain.fr/jacquespain/Art_Grande_violence.html. 16
reprenant le flambeau familial ou encore un jeune skinhead qui se déscolarise à cause des conflits avec les élèves d’origine maghrébine de son collège ? » Dounia Bouzar avait eu une formule à l’emporte pièce qu’il faut garder en mémoire et entendre ainsi : dans cette problématique « il ne faut pas toujours raisonner, mais jouer à la fois du pathos et de la glose » ! En effet les dimensions identitaires de la personne, qui s’ouvrent pour un travail
de
déradicalisation
intégrant
explicitement
le
lien
familial,
sont
anthropologiques là encore : individuelle, familiale, groupale, sociale, politique, religieuse… Avec une focalisation sur l’individu, la famille, les groupes (premier cercle), et un travail spécifique sur le religieux, un religieux en partie mythologique dit le pédopsychiatre Guillaume Monod (2016)27 (deuxième cercle)… En tenant en troisième cercle le social… Et en externalisant le politique. Depuis 2000 nous avons connu deux « séquences » de la radicalisation. Désormais, avec les « retours », nous entrons dans la deuxième séquence, dans tout autre chose. Et ces « revenants », il semble clair qu’ils doivent être interpellés différemment et au cas par cas : enfants, femmes, hommes. Le judiciaire restaurerait ici la fonction du politique dans la « constellation » identitaire qui est la leur. On peut alors se demander pourquoi ne pas appliquer les règles de la justice, du pays tributaires, voire les règles de la justice européenne, ou recourir à un tribunal international ? Nous le disions, c’est ce que certains des intervenants évoquent. Tout le reste de la déconstruction est à inventer. La place importante que prennent les réseaux sociaux et l’image, les clips vidéo, les films de guerre calqués des terrains, dans ce qui n’est plus de l’information, mais souvent de la propagande, nous semble aussi marquer ce franchissement de seuil. L’i-média et la visualisation « héroïque » de soi basculent la réalité dans une fiction « hors sol » comme on dit à présent. Enfin, il est capital de comparer les réponses européennes et anglo-saxonnes entre elles, sachant que la comparaison, la comparabilité, sont des notions à traiter 27
Monod Guillaume, En prison, paroles de djihadistes, 2016, Paris, Seuil. 17
avec précaution, nous l’avons constaté avec les questions de violence à l’école en Europe (Site Jacques Pain). La grande violence humaine Pour être à la hauteur du problème, il convient de remettre en ligne quelques évidences qui seraient monstrueuses si elles n’étaient désormais aussi banales. La grande violence est bien vieille comme l’humanité, et aussi sophistiquée que cette dernière devient scientifiquement intelligente – je ne dis pas intelligente humainement. Tous les auteurs avancés sur la question de la violence en sont d’accord. Je viendrai ici ajouter un auteur allemand, Klaus Theweleit (2019)28, enfin traduit. Retenons qu’il explore les tenants et aboutissants de la conscience fasciste, des tueurs de masse, des SS à Breivik. Les points les plus saillants de son analyse en ce qui nous concerne sont : - que ces tueurs sont des hommes comme les autres, - qu’il y a une jouissance de la violence, et - que cette grande violence fonctionne dans les représentations du « bourreau » et de son groupe comme une culture, une scène « égo-médiatique », avec une célébration ritualisée et des mécanismes de dérision et d’invalidation du réel. On rit des meurtres et des tortures, et dans tous les cas de figure, l’Islam n’a pas le monopole. Ce que j’appelle les meurtres de conviction sont dans cet entendement. J’ai rencontré une mission du CICR, le Comité International de la Croix Rouge, dans les années 1990, et j’avais pu visionner des vidéos de guerre. « Hitler the killer », cet enfant de 13 ans libérien, Abraham, tueur contraint, enfant-soldat ainsi baptisé par son chef « Mother blessing », raconte ses expéditions, ses crimes, son groupe de soldats enfants, famille de substitution. Et nous le verrons enfin gagner à Monrovia la maison de sa grand mère, qui n’est au courant de rien, et s’y endormir, 28
Theweleit Klaus, Le rire des bourreaux. Essai sur le plaisir de tuer, 2019, Paris, Seuil. 18
comme redevenu enfant229. Il semble bien qu’il ait pu gagner par la suite les USA et reprendre une autre vie. Les enfants-soldats eux-aussi existent au moins depuis les grecs, et peu d’armées s’en privèrent par la suite. Citons pour finir un livre de Luigi Zoja (2018), traduit dix ans après sa publication en Italie30. Il insiste, avec nombre d’exemples, sur les mécanismes à consonance sociétale de la paranoïa. Échappant à la clinique, elle a infiltré le langage et la vie quotidienne. Le complot, l’encerclement, la falsification, retournés en mission contre-persécutoire, structurent une mégalomanie héroïque et des illuminations idéologiques et théocratiques, et suscitent l’impulsion paranoïaque. Et, comme le dit Zoja, la paranoïa est le seul trouble mental « autotrophique » : il se nourrit de soi-même. Prévenir, sans doute, mais guérir ? Alors ? Que retenir de la littérature et des faits ? Avec toute la prudence nécessaire. Plusieurs milliers de revenant(e)s sont comptées, dont peut être mille cinq cents français et belges. Plusieurs centaines d’enfants en font partie, dont un bon nombre de moins de dix ans. Les notes et rapports sur cet aspect du problème sont fréquents depuis 3 ans. On ne peut plus dire aujourd’hui qu’il n’y a pas l’information nécessaire : - La loi et le judiciaire ont toute leur place. - Des suivis pluridisciplinaires sont d’évidence. A moyen et parfois à long terme. - La clinique s’impose, mais une clinique à dimension sociale. Il semble certain qu’un suivi psychologique, psychanalytique, ou certaines variantes de thérapie sociale, articulant l’individuel et le familial, soient incontournables. Mais de plus, la 29
Le secret d’Hitler, enfant-soldat, http://www.bourgoing.com/radio/liberia1txt.htm. Note: il faut attendre Philippe Le Bel (1303) pour que soit fixé à 18 ans l’âge du recrutement – ce ne sera pas respecté.
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Zoja Luigi, Paranoïa, la folie qui fait l’histoire, 2018, Les Belles lettres. 19
psychologie sociale et la dynamique de groupe pourraient aider la famille et ces groupes qui littéralement coagulent dans une saga médiatique appartenance et référence. Peut-être même pourrions-nous travailler dans l’idée, disons civile, d’une supervision/debriefing des parcours de vie. - Une déconstruction ouverte et respectueuse de la religion s’impose tout autant. En effet une déconstruction des mythes et des structures narratives des religions est souvent invoquée et fut d’ailleurs tentée ici ou là, y compris avec des imams modérés et des « repentis ». Une déconstruction - « défigurative » - primaire. Il est clair que nous sommes là, confrontés à une intervention plus large et plus didactique, au sens où ces analyses de discours devraient être disponibles pour de vastes pans de nos sociétés. Mais la revendication religieuse plus encore est une boite de Pandore. En effet, dans presque tous les cas de radicalisation engagée, l’intervention frontale fait problème et renforcement. L’emprise est un syndrome à long terme. La diffusion large des situations et des états d’âme des « revenants », des repentis et des déserteurs est avancée par certains. Un rapport de Peter Neumann (2015) de l’ICSR31 (The International Centre for the Study of Radicalisation and Political Violence) préconise ainsi en 2015 de donner la parole aux déserteurs de Daesch, et c’est commencé (Arte, 25-06-201932 ; Dandois & Trégan, 2018). Car dans la réalité, la tutelle terroriste est violente, sectaire, corrompue, et radicalement arbitraire. Les modèles ne tiennent pas la route. - Un volet de prévention sociale, par les mairies, les écoles, et des actions de réhabilitation des quartiers défavorisés, d’ailleurs envisagé par les principaux acteurs de terrain, est à nouveau au programme. Mais c’est avec la population réelle du terrain qu’il faut le faire enfin.
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Neumann Peter, Victims, Perpetrators, Assets : the Narratives of Islamic State Defectors, ISCR, 2015. 32 Dandois Thomas, Trégan François-Xavier, Daesch, paroles de déserteurs, 2018, Paris, Gallimard. 20
Il est vrai cependant que l’ébranlement du système social européen, l’intolérance, le racisme et l’hypocrisie politique rendent incertains le premier réquisit de ces interventions : le suivi, l’accompagnement à terme, l’engagement affiché et justifié d’un soutien de sortie de radicalité « inconditionnel ». Mais par contre, les compétences et les connaissances à mobiliser sont avérées, nous avons tous les professionnels indispensables. La résilience devient une injonction intime pour qui se compte encore comme un être humain à part entière. « Dans le clair-obscur des crises politiques naissent les monstres. Ils naissent du vide culturel d’un monde politique sans esprit, d’un monde où les techniques sont devenues folles, d’un monde qui se nourrit des surenchères de la haine et du désespoir » (Gramsci Antonio, cité par Roland Gori, 2017) « Nous serions capables d’éteindre le soleil et les étoiles parce qu’ils ne nous versent pas de dividendes » (Keynes John, cité par Roland Gori, 201733).
Déradicaliser la radicalisation, ou la problèmatique. Reprise des notes de bas de pages des Cahiers Critiques de Thérapie familiale et d’analyse systémique (2019)
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Gori Roland, Un monde sans esprit, la fabrique des terrorismes, exergue, 2017, Paris, Les liens qui libèrent. 21
1. Professeur émérite, Paris 10 université. Pratiques de l’Institutionnel, Pédagogie, Violence, Formation. Cf les Publications et Recherches, Site de Jacques Pain : http://www.jacquespain.fr/ 2. « L’administration de la sauvagerie : l’étape la plus critique que traversera l’oumma », Abu Bakr Al Naj, 2004, Internet. Surnommé selon les médias le « Mein kampf » des jihadistes. 3. Médecins sans frontières, communiqué de presse du 22 mai 2019. 4. Lettre ouverte à nos fils et à nos filles in L’express, 04-06-2015. Voir aussi le GIRDS, German Institute on Radicalization and De-radicalization Studies, et Daniel Koelher ; ainsi que Christiane Boudreau, à Calgary. 5. Le Devin Willy : « La politique de déradicalisation étrillée par deux parlementaires » (cf. Esther Benbassa , Catherine Troendlé), Liberation.fr, 22 février 2017. 6. https://frwikipedia.org wiki/Gilles_Kepel 7. https://fr.wikipedia.org/wiki/Olivier_Roy 8. https://fr.wikipedia.org/wiki/François_Burgat 9. http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre_Filiu 10. https://fr.wikipedia.org/wiki/Farhad_Khosrokhavar 11. https://www.senat.fr/rap/r16-633/r16-63311.html. Changer de paradigme. 12. Kepel Gilles, La revanche de Dieu, juifs et musulmans à la reconquête du monde, 1991, Seuil. 13. Roy Olivier, Entretien, 27 novembre 2015, RTS, Tout un monde. Et Paris, International Panel on Exiting Violence, 18-19 janvier 2017. Une position plus affirmative encore est tenue par le chercheur Scott Atran, dans son livre « L’état islamique est une révolution », Les liens qui libèrent, Paris, 2016. 14. Khosrokhavar Fahrad, Radicalisation, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Interventions », Paris, 2014 . Voir aussi https://fr.wikipedia.org/wiki/Fahrad_Khosrokhavar 15. Burgat François, Comprendre l’Islam politique : une trajectoire de recherche sur l’altérité islamiste, 1973-2016, 2016, Paris, La Découverte. Voir aussi https://fr.wikipedia.org/wiki/François_Burgat 16. https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre_Filiu 17. Benslama Fethi, L’idéal et la cruauté. Subjectivité et politique de la radicalisation. Journée d’études Paris-Diderot, 22 mai 2015, 2015, Paris, Lignes 18. Selosse Jacques, Adolescence, violences et déviances (1952-1995), Vigneux, 1997, Matrice. Voir aussi : Pain Jacques, L’adolescent sans société. Le bal du vampire et de la méduse, 1997 ; https://www.jacques-pain.fr/jacques-pain/Art_Ladolescent_sans_soc..html 19. https://fr.wikipedia.org/wiki/Asiem_El_Difraoui. Voir aussi: Le Monde 30-12-2015 : https://www.lemonde.fr/societe/article/2016/01/14/un-marche-opaque-de-laderadicalisation-est-en-train-d-apparaitre-en-france_4847656_3224.html. Et aussi : Tribune de Genève 27-02 2017 https://www.tdg.ch/monde/france-doit-s-inspirer-davantagedautres-modeles-europe/story/20483419. 20. La méthode CDPSI expliquée (il existe aussi un Powerpoint) : http://www.cpdsi.fr/actu/deradicalisation-la-methode-dounia-bouzar-expliquee-13saphirnews/. Voir aussi : Bouzar Dounia, Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l’enfer,2014, Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier ; roman qui a également inspiré le film Le ciel attendra. Voir aussi : Français radicalisés. Ce que révèle l’accompagnement de 1000 jeunes et de leurs familles, 2018, L’Atelier. 21. Bronner Gérald, La Nouvelle République. Il a participé à l’expérience. https://www.lanouvellerepublique.fr/tours/a-pontourny-ils-n-etaient-pas-fous-maisfanatiques. Au titre en particulier de « la pensée extrême ».
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22. Bonelli Laurent, Carrié Fabien, Radicalités engagées, radicalités révoltées, Université de Nanterre, 2018. Cf https://www.ladocumentationfrançaise.fr/rapportpublics/184000167/index.shtml 23. Rapport au ministre de l’intérieur, Paris 2015 : La déradicalisation, outil de lutte contre le terrorisme. https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapportspublics/154000455.pdf 24. Radicalisation et jeunesse : retour sur le midi pour la solidarité. http://www.pourlasolidarite.eu/fr/news/radicalisation-jeunesse-retour-sur-le-midi-pour-lasolidarite 25. Le modèle d’Arrhus : https://efus.eu/files/2016/09/PS_Aarhus_PreventionRadicalisation_FR.pdf 26. Pain Jacques, L’adolescent sans société. Le bal du vampire et de la méduse, 1997 ; http://www.jacques-pain.fr/jacques-pain/Art_Ladolescent_sans_soc..html. Voir aussi: Pain Jacques, L’individu sans collectif, un mal d’institution, http://www.jacquespain.fr/jacquespain/Art_lindividu_sans_collectif.html. Pain Jacques, la violence, réponse intime et ultime à la grande difficulté d’être, 2003, http://www.jacques-pain.fr/jacquespain/Art_la_violence_reponse.html. PainJacques, Grande violence et interventionslimite,1999, http://www.jacques-pain.fr/jacquespain/Art_Grande_violence.html Cet article a été revu et corrigé en 2019 pour le Canada : https://www.calameo.com/read/000162058d5bf0ebf04cf 27. Monod Guillaume, En prison, paroles de djihadistes, 2016, Paris, Seuil. 28. Theweleit Klaus, Le rire des bourreaux. Essai sur le plaisir de tuer, 2019, Paris, Seuil. 29. Le secret d’Hitler, enfant-soldat, http://www.bourgoing.com/radio/liberia1txt.htm. Note: il faut attendre Philippe Le Bel (1303) pour que soit fixé à 18 ans l’âge du recrutement – ce ne sera pas respecté 30. Zoja Luigi, Paranoïa, la folie qui fait l’histoire, 2018, Les Belles lettres. 31. Neumann Peter, Victims, Perpetrators, Assets : the Narratives of Islamic State Defectors, ISCR, 2015. 32. Dandois Thomas, Trégan François-Xavier, Daesch, paroles de déserteurs, 2018, Paris, Gallimard. 33. Gori Roland, Un monde sans esprit, la fabrique des terrorismes, exergue, 2017, Paris, Les liens qui libèrent.
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BONELLI L. & CARRIE F. (2018) : Radicalité engagée, radicalités révoltées, Université de Nanterre. Cf https://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapportspublics/184000167/index.shtml BOUZAR D. (2014) : Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l’enfer. Éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, (roman qui a également inspiré le film Le ciel attendra.) BOUZAR D. (2018) : Français radicalisés. Ce que révèle l’accompagnement de 1000 jeunes et de leurs familles. Éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine. BURGAT F. (2016) : Comprendre l'islam politique: une trajectoire de recherche sur l'altérité islamiste, 1973-2016. La Découverte, Paris. Voir aussi https://fr.wikipedia.org/wiki/François_Burgat DANDOIS TH. & TREGAN F.-X. (2018) : Daesh, paroles de déserteurs. Gallimard, Paris. DESTUTT DE TRACY A. (1803-1804-1805 et 1815) : Elémens d’idéologie, en 5 « parties », Paris, Courcier éditeur. Aujourd’hui en ligne. EL DIFRAOUI A. (2016) : Le djihadisme. Que sais-je n°4064, PUF, Paris. EL DIFRAOUI A. & UHLMANN M. (2015) : Prévention de la radicalisation et déradicalisation : les modèles allemand, britannique et danois. Politique étrangère 2015/4 (Hiver) :171 à 182. FIZE M. (2016) : Radicalisation de la jeunesse, la montée des extrêmes. Eyrolles, Paris. GORI R. (2017) : Un monde sans esprit, la fabrique des terrorismes, exergue. Les liens qui
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Voir aussi https://fr.wikipedia.org/wiki/Farhad_Khosrokhavar MARWAN M. (2012) : Les sorties de délinquance. La Découverte, Paris. MONOD G. (2016) : En prison, paroles de djihadistes. Seuil, Paris. NEUMANN P. (2015) : Victims, Perpetrators, Assets : the Narratives of Islamic State Defectors, ISCR. PAIN J. (1997) : L’adolescent sans société. Le bal du vampire et de la méduse, http://www.jacques-pain.fr/jacques-pain/Art_Ladolescent_sans_soc..html PETITCLERC J.-M. (2017) : Prévenir la radicalisation des jeunes. La Procure, Paris. ROY O. (2015) : Entretien, 27 novembre 2015, RTS, Tout un monde. Paris, ROY O. (18-19 janvier 2017) : International Panel on Exiting Violence, Paris. SELOSSE J. (1997) : Adolescence, violences et déviances (1952-1995), Matrice, Vigneux. SEZE R. (2019) : Prévenir la violence djihadiste. Les paradoxes d'un modèle sécuritaire, Seuil, Paris. THEWELEIT K. (2019) : Le rire des bourreaux. Essai sur le plaisir de tuer. Seuil, Paris. THOMSON D. (2016) : Les Revenants. Ils étaient partis faire le jihad, ils sont de retour en
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