COllOQUE VIOLENCE DE BROME-MISSISQUOI, 17-18 avril 2008. PRÉSENTATION DU CONFÉRENCIER : Jacques Hébert est professeur à l’École de travail social de l’UQÀM depuis 1989. Il intervient et mène des recherches pour lutter contre la violence et promouvoir la paix depuis plus de 30 ans (centre de réadaptation ouvert, centre de réadaptation fermé, hôpital psychiatrique sécuritaire, centres jeunesse, milieux scolaires et communautés locales). Il est pratiquant d’arts martiaux depuis 25 ans pour s’exercer à une meilleure maîtrise de soi et retrouver une paix intérieure nécessaire à l’édification d’une paix sociale. CONFÉRENCE
D’OUVERTURE.
SI ON PARLAIT DE VIOLENCE : COMPRENDRE POUR MIEUX INTERVENIR. RÉSUMÉ. Mon investigation dans le champ de la violence, depuis trois décennies me conduit humblement à réfléchir avec vous sur son sens et à énoncer quelques principes pour mieux
la combattre. Partager des idées sérieuses après un copieux repas relève du défi,
lutter contre des estomacs plein alors que l’esprit est au repos, cela peut être vécu comme une forme de violence…. je m’en excuse à l’avance auprès de vous. Digestion et réflexion, font rarement bon ménage. C’est pourquoi, nous aborderons les questions de définitions, de causes et de principes pour guider l’action à l’aide de citations, de métaphores et de contes pour capter votre attention. Passer par l’émotionnel permet d’éveiller les consciences. Nous utiliserons également deux courts documents audiovisuels pour illustrer nos propos et faciliter une cogitation davantage intellectuelle. J’aimerais profiter de cette occasion pour lancer quelques pistes de réflexion pour amorcer ce colloque. D’entrée de jeu pourquoi la violence nous interpelle autant ? Je dirai parce qu’elle fascine, terrorise et fonctionne encore trop souvent dans notre quotidien. Les gouvernements et les organisations criminelles ont compris depuis longtemps que son utilisation ou
la menace d’y recourir permet malheureusement d’obtenir ce qu’ils
désirent. 1
Que savons-nous sur les conduites violentes ? Comment les expliquer pour mieux les contrecarrer ? Les réponses à ces questions demandent d’interroger
certaines idées
préconçues pour mieux cerner la dynamique de la violence. Bien saisir ce qui est en cause devrait aider à développer des stratégies d’intervention plus respectueuses des citoyens. Comment définir la violence ? La violence est principalement interpersonnelle, institutionnelle et sociale. Ses formes sont directes, indirectes, subtiles ou pernicieuses. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Des groupes vont pointer certaines violences pour mieux en occulter d’autres. L’éminent sociologue, Fernand Dumont nous mettait en garde quand il mentionnait : « Si on prend trop vite parti contre la violence on se solidarise avec les pouvoirs » (Warren, 2008). Et l’histoire malheureusement, nous montre que la violence renvoie à différentes formes d’abus de pouvoir (Chenais, 1981). Comment distinguer l’agressivité, l’agression et la violence ? L’agressivité renvoie à une disposition mentale ou une énergie vitale pour aller de l’avant et entreprendre des actions. Il en faudrait même un certain niveau pour préserver sa santé physique et mentale dans la vie en société. L’agression et la violence constituent des conduites jugées négatives, abusives ou destructrices. La différence entre l’agression et la violence ramène à une notion de gravité. L’agression serait moins grave que la violence, par exemple la tentative de meurtre représenterait un acte moins grave que le meurtre. Ces notions de jugement et de gravité demeurent relatives en fonction du contexte social et des normes d’une société. Je peux, des suites d’une tentative de meurtre, être paralysé le reste de mes jours. Cette condition est jugée par les tribunaux moins grave que de perdre la vie malgré que ce nouvel état ait complètement bouleversé mon existence. Toujours selon nos lois, il serait plus grave de commettre un vol qui brime une seule victime que de détourner plusieurs millions à des épargnants qui risquent de se retrouver à la rue. Les propriétaires d’une usine polluante sont
avant
tout perçus comme des créateurs
d’emplois même si cette pollution coûte des millions de dollars aux contribuables et détériore l’environnement. Les fabricants de voitures sont vus comme des gens ayant mis sur le marché un moyen de transport et une source de liberté et de plaisir. Pourtant, il se tue dans le monde 50 fois plus de personnes dans des collisions automobiles qu’avec des armes (Chesnais,1981).On parlera davantage d’accidents dans ce cas et on verrait mal
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une publicité mettant l’emphase sur le fait que monter dans une automobile augmente significativement vos chances de mourir. La frontière entre l’acceptable et l’inacceptable demeure fragile. Le fait que les normes ne sont pas statiques conduit au besoin régulier de redéfinir les balises de nos rapports sociaux en termes de permis et d’interdits (Malherbe, 2003). D’autres formes de violence demeurent
plus difficiles à circonscrire mais tout aussi
dommageable à la vie : « Il y a violence institutionnelle partout où les humains ne sont pas reconnus comme humains avec leurs besoins et leurs capacités propres; partout où ils sont chosifiés, dominés, manipulés et sommés de s’adapter immédiatement aux exigences de ladite institution, au risque d’être profondément déstabilisés ou exclus» (TartarGoddet, 2001 :77). Il s’agit de diverses façons de faire qui font partie des routines institutionnelles (famille, école, travail, santé, etc.…) sans qu’un milieu concerné prenne le temps de s’interroger sur ses pratiques abusives. Les institutions consacreraient encore beaucoup trop d’énergie à maintenir le statu quo et témoigner d’une façade d’harmonie et de sécurité plutôt que de présenter un regard critique sur leur fonctionnement. Lanza Del Vasto (1973), apôtre de la non-violence, insistait pour dire qu’une des formes la plus sournoise de violence consiste à l’incapacité de se remettre en question. La violence sociale renvoie aux violences économiques, culturelles, environnementales et politiques. Cette dernière mérite une attention particulière. Les gouvernements américains, canadiens et européens déplorent ne pas avoir suffisamment d’argent pour investir dans la santé, l’éducation et l’environnement. Ils viennent pourtant de consacrer à ce jour 6,000 milliards de dollars pour la guerre en Irak (Desrosiers, 2008).Cette guerre a tué jusqu’à maintenant près d’un million de personnes dont la majorité sont des civils alors que le gouvernement américain continue de diffuser dans les médias qu’au plus 30,000 victimes ont été dénombrées (Lebel, 2008). Le Canada se retrouve parmi les pays importants pour la production et la vente d’armements militaires (Beaudet, 1993). Les américains ont tiré une leçon de la guerre de Vietnam, une guerre se gagne avant tout par le contrôle de l’information. Le gouvernement chinois a employé la même stratégie, en expulsant récemment tous les journalistes étrangers, pendant qu’il exerçait
une
répression au Tibet.
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Pensons également, aux messages ambigus sur notre sport national à partir des incidents impliquant dernièrement
le père et le fils Roy. Le hockey aurait ses propres règles en
parallèle de celles demandées pour vivre en société. Le coup de poing sur la glace n’aurait pas la même valeur que sur la rue. Un défoulement individuel ou collectif autorisé (catharsis) ne démontre cependant, pas jusqu’à maintenant, qu’il
permet de
contrôler positivement notre agressivité. Dans un cas on invoque comme excuse une poussée d’adrénaline dans l’autre des voies de fait sur la personne pour que justice soit rendue. Ce qui était le plus déstabilisant pour l’imagerie populaire, dans cet événement, c’est que le jeune gardien des Saguenéens, Bobby Nadeau, ait décidé de ne pas se battre. Combien de propos, à partir de lignes ouvertes, ont traité ce geste de lâcheté plutôt que d’avoir engagé un combat viril. Deux poids, deux mesures pour une même réalité, soit l’atteinte à l’intégrité d’une personne pouvant causer la mort, de l’autre un geste de bravoure sportive. Devons -nous laisser le hockey s’organiser un peu comme les gangs de rue en parallèle des lois (Courtemanche, 2008) ? Il y a quelques années je m’entretenais avec des policiers montréalais qui me rapportaient qu’il y avait plus d’appels pour violence familiale les journées où le club de hockey Canadiens perd un match. Les liens possibles entre le sport, les lois du marché et la violence mériteraient une réflexion sociale plus poussée que le cadre de cet exposé. La manipulation de l’information et le sensationnalisme des médias sont-ils des formes de violence en tentant de neutraliser notre esprit critique et de banaliser la violence ? La violence se définit comme des formes d’abus de pouvoir jugées négatives qui portent atteinte à l’intégrité d’une personne, d’un groupe ou d’une collectivité. La violence jusqu’à maintenant donne malgré tout
espoir de la combattre parce que plus de
démonstrations scientifiques indiquent qu’elle fait l’objet d’un apprentissage social en fonction du contexte social et de facteurs situationnels. Il serait possible de changer une trajectoire de violence par la non-violence. Une interaction de causes sont mises de l’avant pour expliquer ce phénomène : individuelles, familiales, systémiques, culturelles, structurelles, institutionnelles et sociales (Laplante, 2007). Malheureusement, nos interventions s’attardent presque uniquement sur les facteurs individuels et familiaux en cherchant à améliorer les compétences des personnes. Les résultats de cette approche comportementale demeurent dans l’ensemble mitigés. Il y a des embûches importantes
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concernant le transfert et le maintien des acquis dans le milieu naturel. Il serait indispensable d’agir sur les conditions de vie.
Faut-il s’étonner que ce type
d’intervention ne fonctionne pas à long terme ? « Il y a trois fils qu’il faudrait tisser ensemble : l’individuel, le familial et le social. Mais le familial est un peu pourri, le social est plein de nœuds. Alors on tisse l’individuel seulement. Et l’on s’étonne de n’avoir fait que de l’ouvrage de dame, artificiel et fragile» (Deligny, 1960 : 72). Pourquoi ce dernier détour ? Comment demander à des citoyens de ne pas recourir à la violence quand ils sont régulièrement exposés à des messages contradictoires. Comment s’engager collectivement à construire une société plus pacifique ? Nous avons besoin comme premier principe pour guider l’action d’être davantage exposés à des modèles non-violents afin
d’exercer une influence positive.
C’est
un effort de
cohérence qui nous est demandé entre nos beaux énoncés de principe et nos actions. Comme le mentionne Fernand Deligny (1960 :25), un intervenant social qui a passé plus de 60 ans auprès de jeunes en difficulté : « Si tu coupes la langue qui a menti et la main qui a volé tu seras, en quelques jours, maître d’un petit peuple de muets et de manchots » (Deligny, (1960 :25). Regardons ensemble pour 8 minutes le document audio-visuel « Les voisins », sans parole, de Norman McLaren parce ces images valent mille mots ou l’histoire de la goutte de miel (source inconnue). Il s’agit d’images fortes qui résument à mes yeux l’essentiel pour saisir l’engrenage de la violence et une voie positive de sortie. Que nous apprend ce visionnement ou cette histoire ? Que la violence sommeille en chacun de nous. Une fois que débute la violence personne ne sait
où elle peut nous
conduire. Formulé autrement, s’engager dans la violence conduit à une escalade dont nous ne connaissons pas l’aboutissement. Que les meurtriers ont en commun de ne plus croire que le dialogue peut les aider à résoudre un conflit. En guise de leçon à tirer de ces images : l’individualisme et le désir de possession à tout prix
risquent de nous
amener à notre destruction. Le partage comme deuxième principe demeure source de justice et de paix. Sommes-nous prêts à placer le partage au centre de nos vies ? Si oui, comment ? Que signifie en 2008, au Québec, le fait de partager des valeurs communes dans le respect des différences ? Une commission même raisonnable ne peut donner de réponses tangibles au mieux vivre ensemble. Ce mieux-être collectif demande que l’ensemble des citoyens soit impliqué à sa définition et à son actualisation.
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J’aimerais m’attarder sur un exemple de violence, le bullying ou l’intimidation récurrente pour introduire un troisième principe pour lutter contre la violence. Comme mentionné, la violence est utilisée parce qu’elle fonctionne. Le bully (l’agresseur) peut exercer sa domination
à la maison, à l’école, au travail et dans la communauté. Il choisit
généralement ses proies en toute impunité. Il voit à isoler ses victimes de manière à mieux les dénigrer et les terroriser parfois devant des témoins trop souvent passifs. Ce type de conduite est habituellement traité à la légère. Il peut pourtant
causer de
traumatismes parfois irréparables dans la vie des abusés. Il y a quelques années, l’État québécois a même jugé la chose suffisamment sérieuse pour adopter une loi contre le harcèlement psychologique au travail. Malgré la législation, plusieurs milieux ne savent toujours pas comment agir face à ce phénomène. Regardons quelques minutes le document d’animation « Bully Dance » ou l’histoire de sage indien (source inconnu).Qu’est-ce qui est frappant dans ce document ? La majorité silencieuse n’ose pas intervenir. Comme le dit si bien le vieil adage : « Qui ne dit mot consent». Le bully a souvent des complices pour le soutenir. Les victimes pour se sauver de l’intimidation peuvent même
attenter à leur vie pour échapper à leur agresseur.
Combien de suicides, de décrochages, de pertes d’estime de soi liés à ce phénomène ? Il faut beaucoup de courage pour briser le mur du silence créé par le bully et se lever pour dire non à ce type de conduite violente. Faudrait-il apprendre aux citoyens qu’il y a des avantages (comme troisième principe) à être courageux et solidaires pour combattre la violence ? L’individualisme conduit à l’indifférence des uns vis-à-vis des autres. Une piste prometteuse indique la nécessité de mobiliser l’ensemble d’une collectivité pour sortir de ce cercle vicieux (Olweus, 1993). C’est ici qu’entre en jeu la socialisation comme facteur pouvant contribuer à l’intégration sociale et l’orientation de la violence dans des voies positives : « La socialisation devient ainsi un processus symbolique, biographique et relationnel, de construction de ces formes sociales et langagières » (Dictionnaire des sciences humaines, 2006 : 1089). Qui dit processus renvoie à un sujet qui est
avant tout perçu comme
définisseur de son existence. Cette personne est invitée à s’engager dans un dialogue afin de dégager un sens commun à vie. Une première condition à la socialisation consiste à la capacité de se maîtriser dans diverses situations. Où et comment nous apprend-t-on
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que le contrôle de soi est utile à la vie sociale. Il ne s’agit pas ici d’une soumission inconditionnelle à des pouvoirs abusifs mais à une capacité de savoir s’affirmer, écouter et négocier
quand les différends surgissent inévitablement dans nos rapports
interpersonnels. La paix ne signifie pas une absence de conflit mais une manière de les résoudre de manière positive. Autrement dit un conflit mal géré comporte des risques plus élevés de nous faire basculer dans la violence. L’exercice démocratique
serait-il d’apprivoiser des lieux de citoyenneté, d’investir
réellement des lieux de pouvoir et d’ouvrir des espaces de dialogue et des réflexions pour dégager des pistes d’actions en vue de combattre la violence ? Nos sociétés seraient-elles en situation de déficit au plan des processus démocratiques? Les normes évoluent selon les mœurs, le niveau de conscience et l’engagement social d’une population ce qui entraîne la nécessité de régulièrement les ajuster. Où est la place des citoyens quand il est question de mondialisation du marché, de capitalisme sauvage, de pollution et de réformes déshumanisantes dans les réseaux de la santé et des services sociaux ainsi que de l’éducation ? Que sont devenus les espaces de communication et de convivialité ? Les commissions d’enquête et les auditions publiques
ressemblent trop
souvent à des lieux de monologues que d’ouverture à autrui. « La violence première se trouverait donc dans ce déni de parole. .... c’était quand un peuple ne pouvait plus faire entendre son cri dans l’enceinte démocratique que sa douleur pouvait se transformer en dynamite» (Warren, 2008 citant Fernand Dumont). Certaines conditions seraient indispensables pour amorcer des échanges fructueux : ne pas tuer, manipuler et mentir tant au sens figuré que propre (Malherbe, 2000). Gandhi indiquait que la vérité et la nonviolence sont les meilleurs moyens de combattre la violence. Nous serions encore loin de répondre à ces prérequis. Les repères normatifs deviennent de plus en plus brouillés dans notre course effrénée au chacun pour soi et à la consommation de biens. En terminant, j’aimerai interroger nos choix
derrière certains
programmes de
prévention pour lutter contre la violence. Il ne faut rien prendre pour acquis, agir pour le bien d’autrui, peut comporter plus de maux que de bienfaits. Vouloir contrecarrer la violence c’est permettre à chacun d’être entendu et de se retrouver gagnant dans les voies développées par l’ensemble d’une société. Une société produisant des gagnants et des perdants crée des situations d’injustice sociale. Valérie Marange (2001 : 77), citant
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Hannah Arendt, établit un lien entre
la violence et l’injustice : « La rage peut-elle
toujours être considérée comme pathologique, médicalisable, psychologisable, alors qu’elle est souvent, comme l’indique Arendt, une réaction humaine naturelle dans des situations d’injustice». Mes expériences auprès de jeunes violents me conduisent à un lien similaire. Ces jeunes ne sont pas si difficiles que certains experts le prétendraient. Ils vivent plutôt dans des environnements de plus en plus difficiles : logements exigus, écoles délabrées, malnutrition, inaccessibilité aux loisirs, pauvreté économique, culturelle et sociale. La violence qu’ils expriment représente parfois les seules griffes qu’ils possèdent encore pour manifester leur droit à l’existence et préserver un minimum de santé mentale. Certains experts, bureaucrates, gestionnaires et responsables de fondations privées s’arrogent actuellement, sans légitimité, le droit de déterminer les mesures préventives pour une population dite à risque sans que cette dernière soit associée à la définition de ses
besoins : « Obsédés par les déviations des comportements individuels, les «
magistrats sociaux » n’ont à leur opposer que l’adaptation à une collectivité anonyme, elle aussi pathogène, un « renoncement », générateur d’une frustration qui signale un déficit démocratique, entendu à la fois comme injustice économique, dégradation des conditions d’existence et perte de lien social. » (Marange, 2001 : 76). Que penser de ces programmes préventifs qui identifient certaines populations et environnements comme étant à risque (Vitaro, Dobkin, Gagnon et Leblanc (1994) ? Il me semble y avoir un manque de transparence dans ce bricolage
visant à prévenir des problèmes sociaux.
L’identification de ces populations à partir de croisements statistiques ne permet aucunement de prétendre que l’ensemble d’un groupe serait en danger pour lui-même ou pour autrui. Il y a toujours des faux positifs, c’est-à-dire des sujets qui possèdent les caractéristiques d’une population dite vulnérable, mais qui réussiront significativement à s’en sortir en faisant mentir les pronostics ? Il faut insister sur le fait que la stigmatisation ou l’étiquetage social d’un individu représente probablement l’une des pires formes de violence dans un monde de compétition féroce produisant de plus en plus d’exclus. À titre indicatif, mentionnons : les licenciés d’entreprises dominées par les
lois du marché, les chômeurs devenus chroniques et les pauvres ciblés comme
souffre-douleur des problèmes sociaux. Ces situations peuvent
conduirent à diverses
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formes de détresse sociale et d’impuissance : dépression, suicide, démission, décrochage, culpabilité, soumission, violence, etc… Nous oublions parfois que la vie constitue en soi un risque et que des opportunités et des hasards peuvent venir influencer positivement le cours d’une vie. À écouter certains agents préventifs, il faudrait considérer à risque toute mère de moins de 20 ans. Réalise-ton qu’avec cette sélection, ils auraient fallu étiqueter l’ensemble de nos grands-mères qui ont souvent accouché de leur premier enfant à 15 ou 16 ans. Les poupons issus de milieux pauvres seraient d’après cette idéologie futuriste à risque de délinquance à l’adolescence et à l’âge adulte. Personne n’aime être stigmatisé négativement, les plus favorisés de notre société ont compris depuis longtemps comment éviter les tentacules du contrôle social pour eux et leurs proches car l’étiquetage social est porteur de trop de préjudices (Mossé, 1983). On ne peut bâtir des programmes sociaux en se basant uniquement sur une approche épidémiologique ou écologique traitement pour améliorer leur
où tous les démunis situation. En fait,
seraient
soumis au même
ces programmes s’adressent plus
souvent qu’autrement aux plus pauvres sous une couverture de soutien social. Une société « malade » ne se traite pas comme une épidémie. Que signifient les objectifs visant au
mieux-être? A-t-on pensé à considérer le point de vue des personnes ciblées
par ces programmes avant de mettre sur pied ces mesures ? Les humains et les contextes de vie demeurent
trop complexes pour se laisser circonscrire dans une planification
budgétaire par objectifs. Un ouvrage asiatique rédigé il y a plusieurs siècles interroge nos choix pour résoudre ou prévenir des problèmes sociaux : « Aussi, plutôt que d’arrêter les voleurs et de punir simplement les crimes, serait-il préférable d’organiser la société de façon que le peuple n’ait plus à souffrir du froid et de la faim. Lorsque les citoyens n’ont aucun moyen d’existence digne de ce nom leur équilibre psychologique est en danger. Lorsqu’ils ont perdu tout espoir ils volent et pillent. Une société malade ne saurait mettre fin au crime». (Tiré de l’ouvrage Tsurezuregusa , cité par T. Cleary, 1992 : 143) Fernand Deligny (1960 : 72) abonde dans le même sens quand il écrit : « Une nation qui tolère des quartiers de taudis, les égouts à ciel ouvert, les classes surpeuplées, et qui ose châtier les jeunes délinquants, me fait penser à cette vieille ivrognesse qui vomissait sur ses gosses à
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longueur de semaine et giflait le plus petit, par hasard, un dimanche, parce qu’il avait bavé sur son tablier ». Plutôt que de vouloir prévenir la violence à tout prix il faudrait avant tout réfléchir collectivement sur les conditions nécessaires pour promouvoir la paix dans un environnement donné et identifier des manières de socialiser l’agressivité dans des voies jugées positives. En prenant soin d’inviter à cette discussion
tous les laissés-pour-
compte d’une société. Pourrions-nous être une société bâtisseuse de son futur plutôt qu’être la spectatrice de scénarios définis par des élites politiques, économiques et intellectuelles ? En conclusion, ouvrir le dialogue, partager nos savoirs et nos richesses, développer des solidarités, faire preuve de courage, de cohérence et de transparence, démocratiquement les citoyens dans la définition et la s’attaquer
aux diverses
impliquer
résolution de problèmes,
causes de la violence dans un milieu et proscrire les
stigmatisations représentent selon notre analyse
des éléments incontournables pour
construire une société plus juste et plus pacifique. En ce sens, le conte des portes du paradis (Fauliot, 1984) mérite d’être médité pour amorcer ce travail en profondeur. Merci de votre attention et bon colloque. Jacques Hébert, Montréal, 14 avril 2008. Références Beaudet, N. (1993). Le mythe de la défense canadienne. Montréal : Écosociété. Chenais, J.C. (1981) Histoire de la violence. Paris : Laffont. Cleary, T. (1992). La voie du samouraï. Paris : Seuil. Courtemanche, G. (2008). Gang de rue. Le Devoir, édition du 29 mars, A-2. Deligny, F. (1960). Graine de crapule. Paris : Édition du Scarabée. Del Vasto, L. (1973). Pour éviter la fin du monde. Montréal : Éditions La Presse. Desrosiers, E. (2008). Le prix de la guerre. Le Devoir, édition du 25 mars, B 3. Dictionnaire des sciences humaines (2006). Paris : Presses universitaires de France. Fauliot, P. (1984). Contes des arts martiaux. Paris : Albin Michel. Laplante, J. (2007). Le piège de la violence et les jeunes. Ottawa : Les presses de l’Université d’Ottawa.
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Lebel, J. (2008). Normand Baillargon. Former les citoyens à la pensée critique. Découvrir, 29,2, 24-27. Malherbe, J.P. (2003). Violence et démocratie. Université de Sherbrooke : Chaire d’éthique appliquée. Malherbe, J.P. (2000). Le nomade polyglotte. Québec : Bellarmin. Marange, V. (2001). Éthique et violence. Paris : l’Harmattan. McLaren, N. (1991). Films choisis, Norman McLaren, Voisins. Montréal : ONF. Mossé, E. (1983). Les riches et les pauvres. Paris : Seuil. Olweus, D. (1993). Bullying at School. Oxford : Blackwell. Perlman, J. et M. Page (2000). Bully Dance. Montréal : ONF. Tartar-Goddet, E. (2001). Savoir gérer les violences du quotidien. Paris : Retz. Vitaro, F., P.L. Dobkin, C. Gagnon et M. Leblanc (1994). Les problèmes d’adaptation psychosociale chez l’enfant et l’adolescent : prévalence, déterminants et prévention. Montréal : Presses de l’Université du Québec. Warren, J.P. (2008). Faire violence aux violents. Le Devoir, édition du 22 mars, B 6.
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