PORTRAIT SOCIÉTÉ
Cancer de la prostate : un traitement innovant à l'essai
Le mécanisme de l'interférence ARN a marqué un tournant dans l'étude des fonctions génomiques des organismes, y compris celles de l'homme. Son usage à des fins thérapeutiques est-il en passe de devenir une réalité tout aussi révolutionnaire ?
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e SXL01, un petit ARN interférent double brin développé par la start-up toulousaine SeleXel entre cette année en essai clinique contre le cancer de la prostate. Une étape décisive qui consacre quinze ans de recherche et les dix ans de l'entreprise. « La testostérone, qui stimule les cancers de la prostate, agit en se liant au récepteur des androgènes comme le ferait une clé dans une serrure. Les traitements hormonaux actuels du cancer de la prostate agissent tous sur la "clé" en supprimant les hormones ou en bloquant leur liaison avec le récepteur. Mais les cellules résistent en produisant plus de récepteurs ou un récepteur muté et les cancers rechutent. Nous cherchons avec les petits ARN interférents à supprimer le récepteur des androgènes, c’est-à-dire à agir sur la serrure » explique Florence Cabon, directrice de recherche Inserm au Centre de Recherche en Cancérologie de Toulouse, fondatrice et directrice scientifique de SeleXel. SXL01 bloque la synthèse du récepteur des androgènes, y compris sa forme mutée active en l'absence de testostérone. À contre-pied des traitements anti-angiogéniques, le deuxième produit développé par SeleXel, vise à empêcher la dissémination métastatique des cancers en améliorant la vascularisation des tumeurs et l'acheminement des molécules thérapeutiques jusqu'aux cellules cancéreuses.
« L'article démontrant l'existence des siRNA* chez les mammifères est sorti en mai 2001, en novembre 2001 nous avions déposé un brevet avec le CNRS sur le petit ARN interférent SXL01.» L'avantage des siRNA est que tout gène connu peut être ciblé, même s'il code pour une protéine que l'on ne peut cibler par des anticorps ou des petites molécules. Le mécanisme d'action catalytique de l'interférence ARN est très efficace. Une seule molécule génère jusqu'à 50 cycles de coupure et nécessite des doses actives très petites, de l'ordre du pico- ou du nanomolaire. Florence Cabon a fondé SeleXel à Villejuif en 2006 avec Pierre Attali, médecin et ancien directeur de la R&D clinique chez Synthélabo, ancien directeur général de BioAlliance et aujourd'hui directeur médical de Sensorion. Étienne Krieger est le troisième cofondateur de SeleXel. Florence l'a rencontré lors de sa formation de coaching pour les entrepreneurs dans le domaine de l'innovation à HEC. Elle n'est pas peu fière du fait que, parmi tous les
porteurs de projets qu'il a accompagnés en tant que fondateur du programme HEC Challenge +, il a choisi de se joindre au sien. La rencontre avec Jean-Pierre Armand a été décisive dans l'implantation de l'entreprise en 2010 à Toulouse sur le site de l'Oncopole. Clinicien et ancien directeur de l'Institut Claudius Regaud (ICR), son expertise en essais cliniques en oncologie est reconnue internationalement. Il a apporté un soutien précieux à SeleXel. À ce jour, dans le monde, seuls quatre siRNA destinés à traiter des cancers ont terminé la première phase d'un essai clinique. L'entrée actuelle en phase I de SXL01 se fait sous la conduite de Jean-Pierre Delord, qui dirige le service des essais cliniques de phase précoce à l'Institut Universitaire du Cancer de Toulouse (IUCT) et « personnage clé de l'Oncopole » selon Florence Cabon. Il inclura au total une trentaine de patients atteints d'un cancer de la prostate invasif ou métastatique ne répondant plus aux traitements hormonaux.
L'INTERFÉRENCE ARN Ce mécanisme a probablement été sélectionné au cours de l'évolution pour prémunir les cellules contre l'introduction de gènes par les virus ou des transposons. C'est une voie de régulation post-transcriptionnelle de l'expression des gènes des cellules eucaryotes. De courts ARN double brins se liant à une séquence complémentaire sur un ARN messager (ARNm) déclenchent sa coupure et sa dégradation, empêchant la traduction et la synthèse de la protéine correspondante. Les petits ARN double brins peuvent être synthétisés expérimentalement et font entre 19 et 23 nucléotides. Depuis leur découverte chez les plantes dans les années 1990, ils sont très utilisés comme outils de biologie moléculaire pour inactiver des gènes. ■ MAUDE BERNARDET *siRNA : small interfering RNA, petits ARN interférents
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I D E N T I T É
CRÉATION : 2006 OBJET : Développement de petits ARN interférents pour le traitement du cancer EFFECTIF : 3 cofondateurs et cogérants, 4 salariés, dont 1 doctorant en thèse CIFFRE CONTACT : Florence Cabon - fcabon@selexel.com SITE : http://selexel.com
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AVRIL 2016
L'ÉVÉNEMENT
Silver économie. Un marché qui inspire les innovateurs en région Le forum MidiSilverEco se tiendra à Toulouse le 12 avril, avec une trentaine d’exposants et plus de 800 visiteurs attendus. Le marché des seniors, en pleine croissance et soutenu par la Région, attire de plus en plus d’entreprises innovantes. Zoom sur ces pépites. l
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a tablette thérapeutique Simply PAT de Anisen Simply PAT présente toutes les fonctionnalités d’une tablette standard mais avec une présentation simplifiée et une utilisation plus conviviale. Le caractère innovant de cette tablette conçue et vendue par Anisen (société aveyronnaise) ne réside pas uniquement dans la présentation de l’objet en lui-même : « Nous proposons un programme d’activités thérapeutiques adaptées aux maisons de retraites et Ehpad : des exercices de logique, de mémoire mais aussi l’organisation d’activités nutritives, physiques et sociales » explique l’un des cofondateurs Pierre Fugit. Ces outils sont en vente depuis novembre 2015, avec déjà une quinzaine d’Ehpad utilisatrices. Les Simply PAT sont aussi destinés aux structures d’aide à domicile et aux particuliers. Des partenariats sont en cours (projet d’augmentation de capital de 250.000 ¤) pour un développement commercial et un ajustement du produit en fonction de la pathologie des personnes. La télésurveillance médicale avec la solution Santinel d’Ipact Le service proposé par Ipact répond aux problématiques liées à la surveillance des personnes malades qui restent chez elles. Santinel est une application qui permet au patient d’informer l’équipe soignante de ses symptômes, des effets secondaires de son traitement, de l’état de ses souffrances. Celui-ci répond à une liste de questions très simples et rapides et ces informations sont envoyées directement au service médical concerné à un intervalle préétabli par les médecins. « Notre objectif est de rendre plus facile la relation entre un patient et son équipe soignante » explique Olivier Thauvoye, l’un des quatre associés d’Ipact dont le service innovant est déjà en place à l’Institut Universitaire du Cancer (IUC) de Toulouse depuis mars 2015. La solution Santinel est utilisée par 80 patients dans le service des soins palliatifs et va démarrer pour le suivi des chimiothérapies. L’investissement de départ était de 100.000¤ et le 1er CA de 2016 sera entre 200 à 300.000¤. La montre qui surveille d’Adveez La société toulousaine Adveez créée en 2011 commercialise depuis janvier 2016 une montre, développée avec l’horloger français Lip. Ses fonctions : suivre la déambulation
des personnes désorientées, leur ouvrir ou fermer automatiquement des portes grâce à la technologie mains libres issue de l’automobile, et détecter les chutes. « Ces fonctions existent depuis dix ans mais nous apportons une plus grande précision de la détection, au cm près, et nous pouvons détecter les malaises avec une grande fiabilité », détaille Karim Ben Dhia, président d’Adveez. Vendue au travers d’intégrateurs, cette montre spéciale a déjà conquis le CHU de Nîmes et de Reims, l’Hôpital Foch à Paris, une trentaine d’Ehpad en France et une vingtaine de maisons de retraite aux États-Unis. Près de 2 M¤ ont été investis dans ce projet par Adveez (27 salariés, + 1 M¤ de CA en 2015). L’appareil de mesure d’audition d’Archean Technologies Un système innovant protégé par un brevet : Archean Technologies (15 salariés à Montauban, 1,4 M¤ de CA) lance l’industrialisation d’un système de mesure de la compréhension de la parole, destiné aux audioprothésistes pour mieux régler les prothèses auditives destinées aux seniors. « Cet outil basé sur la compréhension et non pas le bien-entendre comme cela se fait traditionnellement, permet de gagner du
En trois ans, la Région a engagé près de 3,2 M¤ pour la filière silver économie à travers des appels à projets sectoriels et des contrats d’appui.
La visite virtuelle en robot de RoboCareLab Comment visiter les personnes âgées quand on est loin ? Utiliser un robot. C’est la réponse innovante de RoboCareLab, cofondée par Faissal Houhou et Dominique Blasco. Ils ne sont pas les concepteurs du robot (créé par la société américaine Suitable Technology). Cet écran à roulettes interactif peut être déplacé à distance pour suivre le correspondant dans ses déplacements. Là où les deux entrepreneurs sont innovants, c’est dans le service de plate-forme de réservation
En Midi-Pyrénées, 200 entreprises et acteurs identifiés sur ce marché. temps lors de la mesure, d’affiner la mesure et de la rendre plus fiable », affirme Xavier Aumont, président et fondateur de la TPE experte en sonorisation de lieux publics et de sites à risques. L’aboutissement de trois ans de R&D, dans le cadre d’une collaboration en région avec Purpan, l’IRIT, les laboratoires Octogone et Letra (laboratoire commun entre Archean Technologies et La Maison des sciences de l'homme et de la société de Toulouse, MSHS-T/CNRS), financée par la région Midi-Pyrénées (programme Agile IT) et l'ANR. Marché visé : les quelque 4.000 audioprothésistes en France, puis l’export en Europe. « Nous avons déjà des contacts en Angleterre et en Espagne pour adapter la langue du produit », conclut Xavier Aumont. Ce système innovant qui fait appel à des technologies de reconnaissance vocale sera commercialisé à la fin de l’année.
des robots mis à disposition dans les maisons de retraite : les familles n’ont qu’à réserver un créneau horaire pour communiquer (9¤ les 30 mn). La maison de retraite paye uniquement le service. C’est RoboCareLab qui acquiert le robot. L’entreprise a signé son 1er contrat avec le groupe Edenis qui compte une vingtaine d’Ehpad sur Toulouse (première installation en avril). Leur cible : les 10.000 Ehpad en France. Le pilulier connecté i-donea de i-MEDS-Healthcare Les médicaments à prendre à heure régulière, les dosages à respecter rigoureusement… Un vrai casse-tête, surtout pour les personnes âgées souffrant de pertes de mémoire. L’innovation de Gérard Woodhouse répond à cette problématique : le pilulier i-donea est un appareil électrique rechargeable, qui ressemble à un appareil électroménager, simple d’utili-
sation et discret. Celui-ci sera connecté et permettra aux équipes soignantes et à l’entourage de vérifier son bon fonctionnement et sa bonne utilisation par son propriétaire. L’auteur de ce distributeur de médicaments intelligent travaille en collaboration avec l’hôpital CHIVA à Foix pour la mise au point de l’innovation. Hébergé dans la pépinière Cap Bellissen (Ariège), Gérard Woodhouse a démarré avec un capital social de 50.000€ et s’est entouré d’une équipe d’experts dans les domaines du design, de l’électronique, et de l’informatique. Il prévoit un lancement commercial fin 2017 et compte sur une prochaine levée de fonds pour fabriquer sa première série. La solution d’accessibilité auditive de Aequophonie La solution proposée par la marque Aequophonie commence à se faire remarquer : ces amplificateurs de son sont déjà installés au musée Aeroscopia et vont aussi être mis à disposition au Stadium à Toulouse. Il ne s’agitpas là d’une grande innovation technologique mais d’un outil ultrasimple et pratique : le stick audio d’Aequophonie doit être orienté en direction du son que l’on souhaite amplifier et celuici se répercute dans le casque ou la prothèse auditive. Aequophonie va plus loin en proposant un service sur-mesure pour les entreprises voulant accueillir du public ou des salariés malentendants (aménagements adaptés, équipements discrets...). « Le marché visé est colossal : on compte aujourd’hui 7 millions de malentendants en France », estime Bruno Lajous, en charge du développement. Dossier réalisé par Agnès Baritou et Juliette Jaulerry
LE JOURNAL DES ENTREPRISES
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L’INTERVIEW
« Le modèle économique n’est pas encore défini » Pierre Benaïm, secrétaire général de la Stratégie régionale d’innovation Quand la Région s’est-elle emparée du sujet de la silver économie ? En 2010, nous avons confié une mission à deux experts, qui ont mis en avant le fort potentiel de Midi-Pyrénées (200 entreprises et acteurs identifiés). Ils nous ont aussi alerté sur le modèle économique de la silver économie qui n’était pas clair : qui va payer ces produits et services ? Il va y avoir de nouveaux prescripteurs comme les assureurs ou les mutuelles. La Région et Midi-Pyrénées Innovation ont donc lancé en 2012 des groupes de travail pour réfléchir au modèle économique. En 2014, le gouvernement nous a donné le label Silver Région et nous avons lancé un comité régional de filière pour mettre en place un plan régional doté de 15 M¤. Quels sont les axes de ce plan régional 2014-2016 ? Il y en a trois : soutenir l’innovation et le transfert de technologies, favoriser l’émergence d’une filière d’excellence en Midi-Pyrénées et assurer sa visibilité. Quels projets sont en cours aujourd’hui ? Le 2e appel à projets régional Easynov est en cours. Par ailleurs, nous discutons avec des territoires pilotes (Vic-Fezensac, Nogaro, Castres-Mazamet...) afin d’y installer un démonstrateur pour accompagner les personnes âgées dès la détection d’une fragilité. Intitulé ESPASS (Espace parcours santé et social), ce guichet multiple sera en quelque sorte la cabine téléphonique de l’autonomie. Si le dispositif fonctionne, la Caisse des dépôts est intéressée pour le financer en partie dans le cadre d’un déploiement en région. Comment la région se positionne-t-elle par rapport aux autres sur la silver économie ? Ce démonstrateur est inédit en France. Les autres régions ont développé des projets mais davantage sous l’angle du développement économique, ce qui est risqué tant qu’on n’a pas bien défini le modèle économique de ce secteur. (Photo : Emmanuel Grimault)
Avril 2016