Architecture comme Publicité

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ARCHITECTURE COMME PUBLICITE Petr Obraztsov

ENSA Paris-Val de Seine, 2017



SOMMAIRE

INTRODUCTION

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THEORIE DE LA PERSUASION Signe en architecture Syntaxe Rhétorique de l’architecture Communication publicitaire

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ARCHITECTURE COMME PUBLICITE Commémoration comme publicité Mise en scène du pouvoir politique Publicité divine Destruction de l’architecture comme publicité Publicité nationale Publicité du capitalisme Parrainage en architecture

49 51 67 81 93 107 121 141

CONCLUSION

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INTRODUCTION

Cette étude est le fruit d’une longue réflexion sur les rapports entre la publicité et l’architecture. C’est un manifeste dans le domaine des études culturelles et interdisciplinaires. Son but est de reconsidérer les liens complexes entre l’architecture et des disciplines telles que la sémiologie, la linguistique, la rhétorique, l’histoire, l’économie, le marketing et les sciences politiques dans l’optique de la publicité. Il s’agit de provoquer, spéculer, exagérer, chercher des connexions et des relations complexes pour mieux comprendre le passé et le présent à travers la manifestation physique la plus visible de l’humanité : son architecture. Pour parvenir à ce sujet je suis passé par des phases intermédiaires qui ont été indispensables à mon raisonnement. Je me suis toujours intéressé à l’histoire ; à essayer de comprendre un évènement cherchant les analogies dans le passé. Durant mon année d’échange en Italie, en 2014-2015 à l’université de Rome La Sapienza, j’ai eu l’occasion d’assister à plusieurs cours sur l’histoire de l’architecture (antique, médiévale, baroque) qui étaient très poussés par leur mise en contexte historique. Cependant je suis également très intéressé par la modernité. J’essaie toujours de comprendre ce que c’est de « vivre aujourd’hui » et ce que c’est d’être contemporain. La discipline qui, selon moi, représente le plus ces aspects-là est l’art. L’art est capable de refléter la condition humaine d’une société à une période donnée. A titre d’exemple les fresques de la grotte de Lascaux, un chef d’ouvre de l’art pariétal, nous révèlent les conditions de la société préhistorique aussi bien que les tableaux d’Andy Warhol nous parlent de la société de consommation du vingtième siècle.


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INTRODUCTION

Il y a deux ans, en cherchant des ouvrages sur la muséologie contemporaine je suis tombé sur un livre « Advertising and Design. Interdisciplinary Perspectives on a Cultural Field », qui regroupait plusieurs articles, dont l’un a attiré mon attention en particulier. Il confrontait les relations entre l’art et la publicité.1 Cet article m’a impressionné car je n’avais jamais mis en relation ces deux disciplines auparavant. C’est pourquoi je me suis intéressé à la publicité et au deuxième semestre de mes études à la Sapienza j’ai opté pour un atelier sur la communication publicitaire et le design graphique. J’ai été surpris par l’actualité de ce cours et ces liens avec l’anthropologie, la sociologie, l’économie et la science politique. Je me suis rendu compte que la publicité reflètait la condition humaine aussi bien que l’art, voire davantage encore : elle est capable d’influencer et éventuellement de modifier cette condition. C’est lors de ce cours que j’ai remarqué des points d’interaction assez surprenants entre la publicité et l’architecture. Cela m’a donné envie de reconsidérer l’architecture au travers de la publicité, de son histoire moderne. En essayant de chercher d’éventuelles références sur le rapport entre l’architecture et la publicité j’ai découvert que cette question n’avait pas été traitée dans son intégralité. Les affichages et les enseignes sur les immeubles ou l’utilisation des images de bâtiments connus pour faire de la publicité sont des exemples d’études qui ont été faites sur ce sujet. Des recherches académiques sur quelques phénomènes récents ont été également faites. Cependant, les références que j’ai pu trouver traitaient ce thème d’une manière indirecte, sans vraiment traverser les limites de ces deux disciplines. De plus, certaines références sont très fragmentaires et se trouvent dans des ouvrages qui ne sont pas consacrés directement à cette thématique et ne répondent donc pas aux questions que je me pose : Quels sont les rapports entre l’architecture et la publicité? Comment l’architecture peut-elle servir comme publicité? Dans quelle mesure la publicité influence-t-elle la conception de l’architecture? Quelles sont les répercussions de cette influence sur la société ? En effet, je trouve insuffisante l’attention qui a été portée à ce thème. Les études effectuées jusqu’à aujourd’hui sur les rapports entre l’architecture et la publicité ne représentent que la partie, superficielle, immergée d’un l’iceberg.

1 B. Collenberg-Plotnikov, « ›... things that people don’t need to have but that – for some reason – would be a good idea to give them.‹ Discussions on drawing the line between art and advertising», in «Advertising and Design: Interdisciplinary Perspectives on a Cultural Field », TranscriptVerlag, 2014


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ARCHITECTURE En mettant nos corps physiques à l’intérieur de nos systèmes nerveux étendus, au moyen de médias électriques, nous mettons en place une dynamique par laquelle toutes les technologies antérieures, qui sont de simples extensions des mains et des pieds et des dents et le contrôle de la chaleur corporelle - y compris les bâtiments et les villes - seront traduits en systèmes d’information.2 — Marshall McLuhan

L’architecture comme discipline est née afin de répondre aux besoins des gens d’avoir un abri et de créer des espaces pour accueillir les activités des personnes. Avec le développement de la société, les activités ont évolué. De nouvelles typologies de bâtiments sont apparues : les bâtiments pour se rassembler, les bâtiments pour commémorer, les bâtiments pour produire ou pour vendre, pour guérir ou tuer, pour voyager ou stocker. Il a été remarqué que l’architecture pouvait donner quelque chose de plus que sa fonction principale. Elle pouvait devenir une œuvre d’art, une démonstration de puissance politique ou d’influence religieuse. Autrement dit, la fonction de l’architecture s’est élargie jusqu’à la communication d’informations. Si l’information qu’elle communique est perçue par un grand nombre de personnes, on peut considérer cette architecture comme un moyen de communication de masse. Au fur et à mesure que la société se développe, la compréhension et l’interprétation de l’architecture changent. Le capitalisme et la globalisation se répandent à travers les frontières et créent de nouvelles architectures qui nous font comprendre des choses que nous ne pouvions pas comprendre avant. Lorsque nous nous tournons vers un Apple Store ou un siège de HSBC, nous ne pouvons penser à autre chose qu’à la publicité. Imaginez une structure impressionnante avec un immense logo - elle constitue une publicité pour une entreprise plus efficace qu’une publicité conventionnelle dans les media: elle manifeste son importance et sa réussite financière, elle est vu par un grand nombre de personnes et, mieux encore, elle est permanente. L’architecture dépasse donc clairement ici sa fonction primaire: donner des espaces aux activités de l’entreprise. Etant plus sensibles au langage de l’architecture contemporaine, nous saisissons plus facilement ces messages. Cependant nous devrions aussi comprendre ce que l’architecture des siècles précédents communiquait lors de leur construction, comment leur perception a évolué tout au long de l’histoire. 2

M. McLuhan, Understanding Media: The Extensions of Man, Ginko Press, 2003 (1964), p.70


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INTRODUCTION

Fig.1 François Mitterrand présente le Grand Louvre à Helmut Kohl, Ciriaco de Mita, Sōsuke Uno, Margaret Thatcher, George H. W. Bush et Jacques Delors lors du Sommet du G7 en 1989 à Paris


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Aujourd’hui, par exemple, Le Louvre nous communique des choses complètement différentes de ce qu’il communiquait au XIXème siècle. Au XIX siècle le Louvre est considéré comme le musée le plus important du monde occidental et comme symbole de la culture française. Mais que communiquait-il pendant les monarchies? Une nouvelle aile après l’autre ont été construites non seulement pour créer de nouveaux espaces, mais aussi pour marquer et glorifier les changements de régime politique. La mise en feu du Palais des Tuileries par la commune française traduit l’attitude de l’époque: la destruction du palais, considéré comme symbole du pouvoir impérial, marque l’annihilation de ce dernier. Dans la deuxième partie du vingtième siècle plusieurs ailes du Louvre étaient encore des bureaux administratifs, la cour intérieure remplie de voitures et les ailes adjacentes communiquaient très peu. C’est après une ambitieuse restructuration de I. Pei pendant les années quatrevingt, initiée par François Mitterrand, que le Louvre a acquis son statut d’aujourd’hui. Toute architecture de certaine importance communique. C’est justement l’optique à partir de laquelle on va aborder la notion d’architecture. On ne va pas considérer l’architecture d’un point de vu fonctionnel ou esthétique. Ce qui nous intéresse dans cette étude, c’est la capacité communicative de l’architecture, son influence et son impact sur la société, mais également les dimensions politiques et économiques à travers le concept de publicité. Pour étudier les rapports entre l’architecture et la publicité il faut s’ouvrir et aller plus loin que les définitions conventionnelles. Il faut adopter une approche pluridisciplinaire et traverser les frontières des disciplines.


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INTRODUCTION

PUBLICITE Les historiens et les archéologues découvriront un jour que les annonces publicitaires de notre temps sont les reflets quotidiens les plus riches et les plus fidèles que la société a jamais produit de toute sa gamme d’activités.3 — Marshall McLuhan

Le mot « publicité » provient du mot latin publicitas « état de ce qui est public ». Il a été inventé afin d’informer la population de l’existence de tel service ou de tel produit proposé sur le marché antique. Son équivalent contemporain existe depuis plus au moins un siècle, datant de la période où le système capitaliste de production industrielle a subi des changements majeurs. En effet, la publicité, telle que l’on la connait aujourd’hui, a été introduite par le capitalisme industriel moderne pour organiser et assurer le marché des biens matérielles.4 C’est la raison pour laquelle la plupart des définitions sont profondément polluées par l’idée reçue que la publicité sert seulement à des fins commerciales. Si sa fonction commerciale est le moteur de son développement, cette réalité ne doit pas nous faire oublier qu’il y a d’autres applications importantes de cette discipline.5 La propagande politique, religieuse et la publicité sociale ont la même base théorique, utilisent les mêmes techniques, mais n’ont rien à voir avec le commerce. Même au sein de la communication commerciale, vendre n’est pas l’objectif exclusif de la publicité. Le but de chaque argumentation publicitaire est de provoquer l’adhésion des esprits aux thèses qui sont présentées. Un argument est efficace s’il parvient à augmenter cette intensité d’adhésion afin de provoquer l’action souhaitée, ou de créer une disposition pour l’action, qui se manifestera au moment opportun.6 En effet, la publicité n’est pas limitée aux biens matériels et aux services. Elle peut également promouvoir des personnes politiques, vanter un lieu touristique, une organisation gouvernementale ainsi que des événements sportifs, culturels ou commémoratifs. La publicité peut viser des changements de comportement, d’attitude ou de mentalité. Elle est capable d’influencer l’opinion publique. Dans cette étude on va définir la publicité comme une forme de communication de Ibidem, p.139 G. Dyer, Advertising as Communication, Routledge, 1982 5 M. Vecchia, Hapù. Manuale di tecnica della comunicazione pubblicitaria, Lupetti, 2003 6 C. Perelman, L. Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation, la nouvelle rhétorique, Université de Bruxelles, 2008 (1958) 3 4


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masse, dont le but est d’attirer l’attention d’une cible visée afin de l’inciter à adopter un comportement souhaité. 7 Lorsqu’on veux communiquer avec des masses on a besoin d’avoir des supports de communication. Bien évidemment ces supports ont évolué au cours de l’histoire. Avant l’invention de l’imprimerie par Johannes Gutenberg en 1444, les moyens de communication de masse (verbaux, visuels) étaient peu nombreux , la diffusion de livres était réservée à une certaine élite. C’est dans ce contexte que l’architecture s’est présentée comme un moyen efficace de communiquer, pouvant toucher un nombre plus important de personnes. En effet, l’architecture entoure, elle est à la vue de tous et présente donc une possibilité incroyable de transmettre des messages à un grand nombre de personnes. Le grand avantage de l’architecture est sa longévité, en contraste avec d’autres types de publicité, qui pour la plupart restent éphémères. Donc quand on parle de l’architecture comme publicité, il s’agit d’une publicité monumentale, à la plus grande échelle possible. La création de cette publicité est donc réservée aux plus puissants. Il est important de remarquer qu’il existe un autre rapport entre l’architecture et la publicité. C’est la publicité pour l’architecture, quand l’édifice devient l’objet de la publicité afin de promouvoir son architecte. La publicité pour l’architecture peut prendre des formes différentes. Elle est employée principalement par les architectes afin de faire marcher leurs agences d’architecture. Les bâtiments et la pratique architecturale peuvent être promus à travers des publications, des enseignements, des films, des expositions, des sites internet, ou encore des réseaux sociaux. Ces moyens de communication se rapportent à la publicité conventionnelle et ne seront donc pas pris en compte dans cette étude. Dans la première partie nous proposerons des outils théoriques pour la lecture de l’architecture en tant que publicité. Nous passerons ainsi à travers la sémiologie, la linguistique, la rhétorique et les théories de la communication publicitaire. La deuxième partie se concentre sur l’analyse de certains épisodes de l’histoire où l’architecture a été utilisée comme publicité, de l’Antiquité à maintenant. Elle se développe autours des thèmes englobant les phénomènes politiques, religieux et économiques.

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S. Rodgers, E. Thorson, Advertising Theory, Routledge, 2012



THEORIE DE LA PERSUASION

Afin de considérer l’architecture comme publicité il faut trouver une approche qui permettrait la traduire dans le système de codes de la publicité. Pour pouvoir le faire, il faut, tout d’abord, comprendre comment la publicité fonctionne. Premièrement, la publicité est une communication de masses. Il est important de disposer des mêmes codes et employer une langue – système évolutif de signes linguistiques – pour pouvoir communiquer. C’est donc dans la sémiologie et dans la linguistique qu’il faut commencer la recherche. La sémiologie d’architecture permettrait d’identifier les différents types de signes, qui peuvent exister dans l’architecture, et de comprendre comment ils peuvent transmettre une certaine information. Afin de pouvoir utiliser les signes, il faut connaître les règles de la construction des phrases ou de messages. Les messages peuvent être relativement simples et ne contenir qu’un seul signe. Mais il existe aussi de messages plus complexes, composés d’un ensemble de signes. Pour les analyser il nous faudra employer un grammaire ou un système de règles, qui hiérarchisera les signes entre eux. C’est le domaine de la linguistique. Les éléments de la phrase, qui sont, d’habitude, des catégories grammaticales, peuvent être interprétées comme des signes, phénomènes et même des actions par un récepteur. La lecture d’une phrase peut se dérouler comme celle d’un bâtiment que l’on découvre en se déplaçant. Tout au long de ce trajet du regard on perçoit des signes, l’un après l’autre, en progression.


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THEORIE DE LA PERSUASION

Pour comprendre les vraies raisons pour lesquelles un bâtiment « publicitaire » fut construit, il faut, entre autre, identifier ses sources de financement. A l’instar de la publicité conventionnelle, c’est celui qui paie qui « garde le secret » et définit les motivations, quant à la commande d’un édifice en tant que publicité. Pour devenir une publicité le bâtiment doit être lié à ce qu’il promeut (un individu, un organisme, un état, une ville, un pays, un régime politique ). Les émotions ressenties par celui qui le découvre sont automatiquement associées à l’organisme, dont il représente. Ainsi, il faut s’intéresser aux messages architecturaux et à la façon dont le bâtiment est rattaché à l’organisme qu’il promeut. Dans un second temps, la publicité est une communication à caractère persuasif, qui sert « à provoquer et d’accroître l’adhésion d’un auditoire aux thèses qu’on présente à son assentiment ».1 C’est le champ d’application de la rhétorique ou de l’art de la persuasion, qui est en effet la base de la publicité. Une fois que le système de communication persuasive par l’architecture est défini, il faut l’approfondir en s’inspirant de la théorie de la communication publicitaire. Autrement dit, il faut projeter cette théorie sur le langage architectural. L’architecture qui possède des capacités rhétoriques, ainsi que le bâtiment conçu comme publicité, demandent une analyse historique. Pour pouvoir lire et deviner les signes inscrits dans l’architecture il faut saisir le contexte de l’époque et le langage correspondant à la culture dans laquelle cette œuvre fut élaborée. Il faut donc comprendre ses codes. C’est pour cette raison qu’il n’est presque pas possible d’établir une théorie générale pour la sémiologie de l’architecture, ni pour le langage architectural, ni pour la rhétorique de l’architecture. Les codes varient d’une culture à l’autre, en fonction des époques et des influences réciproques des cultures. Il est donc plus raisonnable d’étudier les phénomènes spécifiques, au cas par cas, qui nous fourniraient une base théorique bien distincte. Néanmoins, dans cette étude nous allons essentiellement faire des références à l’architecture occidentale.

Chaïm Perelman, Lucie Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation, la nouvelle rhétorique, Université de Bruxelles, 2008 (1958), p.23

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Signe en architecture L’application de la sémiologie à l’architecture est un vrai défi. Pour comprendre le résultat qu’on voudrait obtenir par cette application, il faut savoir quel type d’architecture et quels aspects de cette architecture seront étudiés par l’intermédiaire de la sémiologie. Cette étude se concentrait sur le contenu des messages que l’architecture transmet à travers les signes et sur les effets que ces signes produisent sur le récepteur. La sémiologie structuraliste développée par Roland Barthes2, qui vient après la linguistique de Ferdinand de Saussure, ne semble pas applicable pour atteindre le but de l’étude présente. Considérée comme une théorie convenable pour n’importe quelle discipline, elle fini par devenir très abstraite et inutilisable dans le cadre de la recherche actuelle. Toute son application n’est qu’une spéculation purement théorique, incapable d’assurer l’analyse pragmatique des phénomènes architecturaux qui nous intéressent. L’approche structuraliste convient quant à l’analyse des configurations et des organisations internes des espaces architecturaux, comme le démontre l’étude effectuée par le groupe Syntaxe dans les années soixante-dix.3 Mais le structuralisme est incapable de donner des outils pour la lecture des messages composés des signes architecturaux dans un contexte donné, il ne prend pas en compte les effets que ces signes produisent sur le récepteur. Dans notre étude on va s’appuyer sur la sémiologie pragmatique développée par Charles W. Morris. Selon lui, le langage est un système de signes qui produisent des dispositions relatives au comportement social. Il constate qu’il R. Barthes, L’aventure sémiologique, Editions du Seuil, 1985 J. Castex et P. Panerai, Structures de l’espace Architectural, dans « Sémiotique de l’espace » par J. Zeitoun, Denoël-Gonthier, Paris, 1979 2 3


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SIGNE EN ARCHITECTURE

Fig.2 Arc de triomphe de l’Étoile à Paris voulu par Napoléon Ier. Architecte Jean-François-Thérèse Chalgrin. Construction 1806 - 1836.


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faut d’abord comprendre la façon dont les signes influencent la conduite sociale pour pouvoir maitriser leur usage et leurs effets. 4 Afin de construire une sémiologie de l’architecture, nous allons opter pour une étude empirique et commencer par l’identification des signes et de leur fonctionnement. Nous allons commencer par prendre des exemples concrets et les analyser pour répondre aux questions cruciales qui sont les suivantes : Comment est-ce que l’architecture peut être un signe ? Qu’est-ce qu’un signe dans l’architecture ? Quel type de signe y a-t-il ? D’abord, il faudra distinguer deux types d’objets architecturaux : un édifice et un monument. Tous les deux, ils peuvent contenir une multitude de signes, dont la lecture sera conditionnée par son échelle, par les codes utilisés, par la quantité de l’information codifiée. Les signes dans les édifices sont moins prononcés, car sa fonction communicative est, en général, secondaire ; contrairement aux monuments qui sont conçus pour communiquer. SIGNES DES MONUMENTS Chaque signe a un signifiant, ou une chose à la quelle il se réfère. Prenons l’exemple de l’Arc de Triomphe. Un arc en soi n’est rien d’autre qu’un signe d’entrée de ville, sa signification de base est donc purement fonctionnelle. Par la suite, on appellera ce signe comme « dominant », car c’est lui qui détermine la signification principale du monument. Selon Charles W. Morris, ce type de signes est considéré comme indicatif. En examinant l’Arc, on aperçoit des sculptures, des bas-reliefs et des épigraphes qui nous diffusent une information en fonction de l’ordre de priorité, mais qui reste en lien avec l’Arc lui-même. C’est grâce à cette information que nous créons des associations. Ces signes seront donc nommés « associatifs ». Dans le cas de l’Arc de Triomphe de Paris les bas-reliefs renvoient vers les campagnes militaires de Napoléon Ier, ce qui relève tout de suite de la signification de ce monument qui est donc un symbole marquant la rentrée de l’armée dans la ville après ses réussites militaires.5 Cette signification est communiquée à travers les éléments plastiques, tels que les bas-reliefs et les sculptures. Il est essentiel 4 5

C. W. Morris, Foundations of the Theory of Signs, University of Chicago Press, 1938 I. Rouge, L’Arc de Triomphe de l’Étoile : art et histoire, Faton, 2008


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SIGNE EN ARCHITECTURE

de réaliser que ce n’est qu’en associant les deux types de signes, dominant et associatif, qu’on arrive à lire le message codifié dans le monument. On a décrit la signification des composants du monument, c’est à dire la dimension sémantique des signes. Il s’agit donc d’un signe composé de plusieurs signes. Mais quelles sont les règles qui déterminent le rapport entre ces signes ? C’est la dimension syntaxique des signes qui correspond aux associations générées entre deux signes. C’est le domaine d’application de la syntaxe. La relation entre les composants établit la dimension syntaxique des signes, autrement dit, l’interaction entre le signe dominant et le signe indicatif. Dans notre cas, le signe (l’Arc de Triomphe) sans ses composants indicatifs (les basreliefs, les sculptures) n’aurait qu’une simple signification fonctionnelle. Quant à l’Arche de la Défense, elle n’a pas de décorations, contrairement à l’Arc de Triomphe, et n’évoque donc pas d’associations, à part celle d’une grande entrée monumentale. Le signe associatif dépend, à son tour, du signe dominant. Premièrement, il l’utilise en tant que support physique. En même temps, il établit une association syntaxique indispensable pour attribuer la première signification (l’entrée de ville) au triomphe des troupes militaires rentrant en tant que vainqueurs après la guerre. Procédons à l’étude de l’effet que ce signe peut avoir sur le récepteur. L’observateur, que t-il perçoit ? Comment est-il affecté ? Si on compare l’Arc de Triomphe et l’Arc du Carrousel du Louvre, une interessante particularité du signe se développe. Ayant la même fonction et la même signification, l’Arc du Carrousel reste souvent inaperçu, faute de sa petite taille. C’est donc l’échelle du signe qui intensifie l’effet produit sur le récepteur. Le signe dominant nous influence par sa taille et ses proportions. Le signe associatif, à son tour, nous impressionne par ses qualités esthétiques, il provoque des émotions et fait créer des associations avec le signe dominant. Le contexte urbain dans lequel le signe se trouve est très important. L’Arc de Triomphe se situe en hauteur, au centre d’une place, sur laquelle débouchent douze avenus, en formant une étoile. Ces voies créent une mise en scène urbaine spectaculaire. Les voies qui s’infiltrent dans la ville comme les rayons de soleil. La forte visibilité du signe est ainsi mise en place. La distance considérable entre l’arc est les bâtiments les plus proches augmente l’effet du grandiose. Par conséquent, le monument domine totalement le tissu urbain, ce qui représente


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la suprématie impériale. Mais l’interprétation de ce monument change au fil du temps. C’est surtout la taille de l’Arc qui impressionne de loin. Tandis que, de près, on arrive à distinguer les bas-reliefs qui racontent les évènements associés à ce monument. Ainsi, l’observateur est touché non seulement par la monumentalité de l’architecture, mais aussi par les qualités esthétiques de ces éléments sculpturaux. La grandeur et le sens historique se réunissent donc dans cette composition architecturale. Une autre dimension de ce signe est le rapport historique avec l’architecture du passé. En effet, le modèle de l’Arc de Triomphe redescend vers l’Empire Romain. Au sens strict, un arc de triomphe fut érigé afin de célébrer la cérémonie du triomphe romain. La construction d’un arc monumental est une tentative de s’approprier l’héritage de Rome antique. La construction de l’Arc de Triomphe à Paris témoigne donc de l’envie de Napoléon d’instaurer l’Empire français à l’instar de celui Romain. Autrement dit, ce geste architectural a pour but de s’associer à la grandeur de l’Empire Romain et de se proclamer son héritier. Ainsi, ce signe architectural fait la référence à un autre signe architectural qui a ses propres connotations. Ce phénomène fut théorisé par Manfredo Tafuri comme le métalangage architectural.6 L’effet, que le signe composé produit sur l’observateur, est considéré comme la dimension pragmatique du signe. On différencie donc trois dimensions du signe: Sémantique le signe par rapport à ce qu’il signifie Syntaxique le signe par rapport à d’autres signes et sa position dans le contexte Pragmatique le signe par rapport à son origine, l’effet qu’il a sur le spectateur

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M. Tafuri, Théories et histoire de l’architecture, SADG, 1976


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SIGNE EN ARCHITECTURE

Fig.3 TWA Flight Center (Terminal 5 de l’aéroport international John-F.Kennedy), New York. Architecte Eero Saarinen. Construction 1962.


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SIGNES DES BATIMENTS La lecture des signes des bâtiments est plus complexe que celle des signes des monuments. C’est surtout lié au fait que la fonction principale des bâtiments est d’abriter de divers activités et par conséquent sa fonction communicative reste souvent secondaire. Comme constate l’exemple de l’Arc de Triomphe, chaque signe architectural possède des caractéristiques particulières. C’est pour cette raison que l’objectif de définir la notion du signe dans l’architecture se présente très complexe. Chaque bâtiment peut contenir des signes uniques qui peuvent créer des associations particulières en fonction du contexte. Le bâtiment peut même être un signe en soi, un support pour d’autre signes ou une séquence des signes disposés dans l’espace. Le premier type de signe que l’on peut identifier est un signe iconique, c’est à dire un signe qui par son caractère et ses relations est similaire à l’objet, à l’idée ou à l’événement qu’il représente. L’information transmise par ce type de signe est facile à interpréter, son sens peut être dénotatif ou connotatif. Le sens dénotatif, c’est à dire littéral, peut prendre des formes « bizarres » dans l’architecture. L’exemple le plus explicite est le Big Duck, la boutique de la volaille à Long Island, construite en forme de canard, théorisée par Robert Venturi.7 Les bâtiments de ce type ne demandent pas de décodage particulier, car l’interprétation du signe se passe par la dénotation. Dans ce cas particulier, le bâtiment représente un signe indépendant qui ne possède pas de dimension syntaxique. L’effet que le signe produit sur le spectateur dépend du contexte et de l’échelle du bâtiment-signe, c’est-à-dire de la différence des tailles entre le signe et le référant auquel il renvoie. Quand le bâtiment qui représente un quelconque objet est dix fois plus grand que l’objet lui-même, l’effet qu’il produit sur le spectateur devient beaucoup plus puissant. La métaphore désigne une chose par une autre qui lui ressemble ou partage avec elle une qualité essentielle. La métaphore dans l’architecture établit des rapports plus complexes, elle est appréhendée par la connotation et l’association. L’effet généré par ce type de signe dépend des codes et de la culture du récepteur. Plus riche est la métaphore, plus fort est son effet. La métaphore mixte ou celle qui crée des allusions est davantage puissante, elle permet d’établir plusieurs 7 R. Venturi, D. Scott Brown, S. Izenour, Learning from Las Vegas - Symbolism of Architectural Form, MIT Press, 1977


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SIGNE EN ARCHITECTURE

Fig.4 Aéroport de Berlin-Tempelhof. Architecte Ernst Sagebiel. Construction 1936 - 1941.


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associations différentes. Comme, par exemple, l’Opéra de Sydney, dont la structure fait allusion aux coquillages, mais également fait penser aux ailes des oiseaux.8 En architecture, ainsi qu’en littérature, il existe des possibilités presque infinies de l’utilisation de la métaphore. Afin de montrer comment une métaphore architecturale peut être interprétée de différentes façons, nous allons analyser deux aéroports, JFK Terminal d’Eero Saarinen à New York et Tempelhof d’Ernst Sagebiel à Berlin, dont l’architecture emploie la même métaphore. Ces deux édifices font référence au même signifiant : un aigle. JFK Terminal, construit en 1962, est un bâtiment sculptural dont les formes rappellent un oiseau. Il s’agit donc d’une métaphore d’un vol. Cette métaphore peut être lue et interprétée à deux niveaux : quand le récepteur se trouve devant le bâtiment, mais aussi depuis un avion dans le ciel. Ce signe iconique peut être également interprété comme aigle, le symbole des Etats-Unis. Les détails et les lignes entrelacées sont astucieusement dessinés. La structure du support ressemble à une patte d’oiseau, le caniveau prend forme d’un bec, le pont suspendu qui traverse l’espace intérieur est couvert d’un tapis rouge comme une artère pulmonaire. L’édifice est donc composé des signes qui sont combinés d’une manière cohérente afin de construire une métaphore d’un oiseau et d’un vol. Les interactions entre les signes renforcent l’effet que l’édifice produit sur le récepteur.9 L’aéroport Tempelhof à Berlin, construit pendant l’époque nazi, exploite le même symbole d’un oiseau, mais autrement. Dans son projet architecte Ernst Sagebiel met davantage l’accent sur l’aigle, le symbole de l’Allemagne nazie, et le réinterprète dans le plan de l’édifice. Par la répétition des modules, des configurations et des rotations, il crée une articulation de volumes qui ressemble au blason du Troisième Reich. Il conçoit ainsi une œuvre monumentale dont les ailes génèrent la façade la plus longue dans le monde. Les passagers qui arrivent à Berlin en avion peuvent lire ce signe seulement depuis le haut. L’échelle gigantesque du signe est censée impressionner ceux qui viennent à la capitale de l’Allemagne. Une fois sortie de l’avion, l’arrivant se retrouve en face d’une immense façade courbée qui l’entoure et domine totalement l’espace. Elle crée une impression forte d’être sous surveillance, le phénomène que Michel Foucault définira comme panoptisme.10 C. Jencks, Le language de l’architecture Post-moderne, Denoël,1984, p.46 Ibidem., p.51 10 M. Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975 8 9


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SIGNE EN ARCHITECTURE

Pour ces deux exemples la dimension sémantique du signe est la même, mais les contextes et les effets sont complètement différents. Nous arrivons donc à une conclusion que deux autres caractéristiques du signe, les dimensions syntaxique et pragmatique, sont différentes. L’application de la sémiologie pragmatique suffit pour analyser des édifices comportant des signes iconiques dont la syntaxe est simple. Ils donnent la naissance aux messages relativement simples et produisent des effets précis sur le récepteur. Pourtant, il est compliqué d’analyser les édifices qui comportent des messages plus riches de sens et des articulations qui ne peuvent pas se décomposer en superposition linéaire des signes. Les messages codifiés dans l’architecture par des signes peuvent avoir une syntaxe complexe. Les signes composés peuvent être déployés en séquences des signes dans l’espace, où chacun possède une signification qui conditionne la lecture des autres. Les signes sont toujours liés l’un à l’autre et ne peuvent pas être isolés. Pour les dé-codifier il faudra trouver une approche syntaxique cohérente. En linguistique, on ne peut pas comprendre le sens d’une phrase en analysant chaque mot séparément. Les interactions entre les signes sont plus importantes que les significations de base de chaque signe isolé.


Syntaxe

En linguistique, la syntaxe étudie la façon dont les mots se combinent pour former des phrases ou des énoncés dans une langue.1 L’interprétation de la syntaxe en architecture dépend de la définition de ces éléments - mots. Umberto Eco dans son ouvrage « La structure absente » les considère comme codes de deux types – sémantiques et syntaxiques. Les codes sémantiques sont de l’ordre fonctionnel, alors que les codes syntaxiques sont de l’ordre constructif. La syntaxe se présente alors comme articulation entre les éléments structurels, fonctionnels et typologiques.2 La dimension symbolique est ainsi réduite au symbolisme des éléments architecturaux, et les canaux de communication sont très limités. Charles Jencks essaie d’analyser la façon dont l’architecture communique en la considérant comme un langage. Ils définit les éléments constructifs (mur, porte, toit, etc.) en tant que mots que l’on peut utiliser pour composer des phrases architecturales. Son propos est que les « mots » architecturaux sont capables de polariser l’attention sur le langage lui-même au moyen de l’exagération, de la répétition, de l’emploi abusif et de toutes les ressources de la rhétorique. La distorsion de la grammaire conventionnelle peut ainsi générer la poétique, les élucubrations verbales délirantes jusqu’au discours schizophrénique.3 Pourtant il ne précise pas comment les « mots » architecturaux fabriquent les signes et son interprétation de la syntaxe reste d’ordre spéculatif. C. Baylon et P. Fabre, Initiation à la linguistique, Nathan, 1990 U. Eco, La structure absente: introduction à la recherche sémiotique, Mercure de France, 1972 3 C. Jencks, Le language de l’architecture Post-moderne, Denoël,1984

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SYNTAXE

Fig.5 Faรงade de la basilique de Saint-Denis


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Afin de trouver une approche de la lecture des messages complexes en architecture nous allons étudier l’exemple de l’église gothique sur l’exemple de la Basilique Saint-Denis et analyser des messages codifiés dans l’ensemble de son architecture. De l’Eternel, la façade des églises nouvelles démontre la puissance. La cité du Dieu est le refuge. Le lieu de sureté, ou les milices célestes tiennent garnison victorieuse. Forteresse imprenable : les forces mauvaises, tous les ferments de corruption qu’elle annule ne seraient pas prévaloir contre elle.4 — Georges Duby

Lors de sa construction, l’église gothique aspirait à être une expression du Dieu, une concrétisation d’une image céleste, qui à travers sa structure ouverte était transmise à la communauté entière de la ville médiévale.5 Sa fonction primaire était de montrer que le Dieux est présent au milieu du peuple, incarné par l’édifice. Donc l’église devait fabriquer un medium rhétorique pour persuader les visiteurs de l’existence vraisemblable du Dieu. La tour de la cloche, la partie dominante de l’édifice, fut créée afin d’appeler les fidèles pour la messe. Pointée vers le ciel, la tour est adjacente à l’église et exprime l’existence souveraine divine et affirme la domination spirituelle et temporelle du clergé sur son territoire.6 La façade, orientée vers le haut, est recouverte par des hauts-reliefs représentant des rois et des saints. Elle sert ainsi comme tableau qui projette l’équilibre entre le pouvoir laïc et le pouvoir divin. Afin de marquer l’entrée dans le lieu divin, la façade est dotée des portails lourdement sculptés par des haut-reliefs représentant des narrations de la Bible. Les portails introduisent le visiteur dans la maison du Dieu toute en le protégeant. En rentrant dans l’église, on se trouve dans le narthex, l’espace de transition entre l’extérieur et l’espace principale de l’église. C’est un lieu à plafond bas, avec peu de lumière, qui crée un sentiment de compression avant de rentrer dans la nef centrale. 7 Une fois à l’intérieur, le visiteur est exposé aux plusieurs effets. D’abord, les arcs brisés et les imposantes colonnes fasciculées orientent l’espace vers le haut, les voûtes d’ogives accentuent d’avantage la verticalité. En avancent dans l’église le visiteur se retrouve dans le transept, le lieu central de l’église, en face du chœur, ou se tiennent les liturgies. G. Duby, Le Moyen Age. L’Europe Des Cathedrales 1140-1280, Skira Flammarion, 1984 C. Norberg-Schulz, La signification dans l’architecture occidentale, Mardaga, 2007, p.185 6 Entrée « Clocher » dans le Dictionnaire de l’Académie française, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales (sens I) [consulté le 3 janvier 2017]. 7 R. Krautheimer, Architettura paleocristiana e bizantina, Einaudi, 1986. 4 5


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SYNTAXE

Fig.6. L’intérieur de la basilique de Saint-Denis


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Le visiteur est ainsi impressionné par l’espace imposant de l’église, banni de lumière colorée grâce aux vitraux narratifs. Ces derniers représentent les scènes de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament, racontent la vie des saints ou la vie quotidienne, chargées de messages rhétoriques. L’abside déambulatoire avec les chapelles absidales, qui abritent les reliques des saints, se trouve derrière le chœur. En plan, l’abside est conçue en demicercle, pour que le visiteur fasse le tour en revenant vers le transept – le centre lumineux de l’église. Ainsi, l’intérieur de l’église gotique communique un message complexe, qui est une séquence de plusieurs signes entrelacés dans un ensemble indissociable. Néanmoins, même si la sémiologie peut nous fournir des outils pour pouvoir analyser les signes de l’architecture et des haut-reliefs, elle ne pourra pas donner des réponses claires quant aux rapports entre l’architecture et le phénomène lumineux. Afin de comprendre un message composé il faut aller à l’essentiel, au concept de base. Dans le cas de l’église gothique, le message est fabriqué par l’incrustion des viraux narratifs dans les ouvertures des murs. Lorsque la lumière du ciel passe à travers les vitraux, elle se charge symboliquement d’une manifestation divine. Ainsi, les vitraux sont chargés de transformer la lumière physique en lumière divine, c’est-à-dire de faire entrer la présence divine dans l’église. 8 Les vitraux eux même comporte des multiples significations de l’ordre narratif. Dans cette ambiance divine, la liturgie réunit les fidèles et procède à la transmission de la sagesse chrétienne en employant, entre autres, les phénomènes sonores. L’idée principale employée dans l’église gothique est donc d’associer la lumière et le Dieu par la mise en scène architecturale. Plus tard, l’architecture baroque construira également des messages basés sur la même idée. Elle fabriquera des espaces qui engouffreront le champ de vision du récepteur et dans lesquels la lumière sera mise en place afin de donner une illusion de l’improbable, de la révélation divine. Mais au lieu de communiquer par des vitraux, l’architecture baroque se concentrera sur la sculpture. La sculpture sera mise en scène par la lumière dont la source sera presque invisible afin de lui attribuer une provenance divine. 9

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G. Duby, Le Temps des cathédrales: l’art et la société, 980-1420, Gallimard, 1976 R. Wittkower, Art et architecture en Italie : 1600-1750, Hazan, 1991


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SYNTAXE

En ayant la même idée de base, celle de la mise en scène de la lumière divine, on arrive à avoir des configurations de signes différentes. C’est comme dans une discussion où on peut trouver plusieurs façons d’exprimer une idée dans une langue dont on parle. On trouve ainsi une analogie entre l’architecture et la linguistique. Dans la linguistique, il existe un concept de la structure profonde qui corresponde à l’idée de base. Il a été introduit par Noam Chomsky dans la théorie de la grammaire générative. Chomsky propose une organisation de la phrase à deux niveaux : premier niveau - la structure de surface, qui est élaborée à partir de la structure profonde - deuxième niveau. La structure profonde détermine l’interprétation sémantique ; la structure de surface détermine l’interprétation phonétique. Comme dans une langue on peut exprimer la même idée de plusieurs façons, la structure profonde peut avoir plusieurs interprétations phonétiques différentes. Cette interprétation est le résultat des transformations à partir de la structure profonde. 10 L’interprétation formelle d’une idée en architecture est assurée par le travail de l’architecte. Bien évidemment il peut y avoir plusieurs variantes d’expression de la même idée, en fonction de la culture et de l’époque. La structure profonde des messages transmis par les églises gothique et baroque sera donc l’idée d’associer le Dieu et la lumière. Mais les interprétations formelles de cette idée sont différentes, car différents sont les langages et les règles de représentation des époques. Si on essaie de chercher une analogie avec la linguistique, l’évolution du vocabulaire d’une langue parlée peut être comparée à l’évolution du vocabulaire architectural. Les bâtisseurs gotiques rendirent la lumière divine par le passage à travers les vitraux narratifs, alors que les architectes du baroque mirent en scène des sculptures des saints par les ouvertures ingénieuses dans les coupoles et dans les murs. Ces deux manifestations sont deux structures de surfaces différentes générées par la même structure profonde. L’idée de protéger l’entrée de l’église sera également réinterprétée des manières différentes. Les éléments verticaux des églises auront également changer. Les tours seront remplacées par des coupoles, mais l’idée de base, c’est a dire la structure profonde, restera la même. 10

N. Chomsky, Aspects of the theory of syntax, MIT Press,1965


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La théorie de la grammaire générative de Chomsky est une théorie grammatique. Appliquée sur l’architecture, elle permet de rendre visible l’évolution du vocabulaire et des styles architecturaux. En plus, elle démontre comment les même idées de base, peuvent prendre des formes architecturales différentes en fonction de la culture et de l’époque. Cette théorie se met au-dessus de la sémiologie, car elle permet l’identification de l’idée de base par l’analogie, sans pour autant rentrer dans l’analyse de signes et leurs significations. En effet, Chomsky rejette d’utiliser le concept de signe, car il considère qu’un signe reste sur le champ de signes. Mais, il évoque qu’un signe peut s’intégrer dans la grammaire et se présenter sous une forme de structure. Au lieu de considérer le signe comme un élément indépendant sa théorie propose une approche globale de la lecture de l’idée de base qui se trouve dans la relation profonde entre les éléments entrelacés qui constituent la séquence fabriquant le message.


Rhétorique de l’architecture

Vous êtes un enfant qui joue, mais vous n’en êtes pas moins un maître d’éloquence. Votre réussite au jeu dépend de votre ardeur persuasive autant que de votre agilité. Les position et figures dans l’espace sont sous le pouvoir de la rhétorique.1 — Ménandre le Rhéteur, IIIe siècle ap. J-C

Une fois que le système de communication par architecture est établi, il faut comprendre comment cette communication peut être persuasive. Pour cela on va se diriger vers la rhétorique comme l’art de la persuasion. Dans notre étude on va utiliser la rhétorique comme outil d’analyse. Notre but est de comprendre comment l’architecture, avec son système de signification peut être persuasive. La persuasion est un acte de communication qui fait changer les attitudes du public par rapport à un fait, un objet ou une action. L’acte de persuasion se produit quand ceux à qui on s’adresse avec la communication, changent son propre mode de penser dans la direction voulue. L’objectif final de la persuasion est une modification effective du comportement. La rhétorique s’incruste donc dans le champ d’action de publicité. En effet, elle est la base de la théorie de communication publicitaire. 2 1 2

Menander Rhetor, Laus Urbis, Treatise II, Oxford, Clarendon Press, 1932 M. Vecchia, Hapù. Manuale di tecnica della comunicazione pubblicitaria, Lupetti, 2003, p.223


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Aristote considère la rhétorique comme instrument de persuasion pour obtenir un résultat souhaité. En anticipant le schéma moderne de la communication « émetteur – message – destinateur » par la triade « orateur – discours – auditoire », il distingue trois manières de persuader, qui doivent faire partie de la panoplie de l’émetteur du message : deux de caractère subjectif - ethos et pathos, et une de caractère objectif - logos. 3 Ethos (comportemental) – correspond aux vertus de l’émetteur de message. Son but est de plaire. Pathos (émotionnel) – correspond aux passions de destinateur provoquées par le message. Son but est d’émotionner Logos (rationnel) – correspond au contenu du message même. Son but est de démontrer Ces trois concepts de la rhétorique ont évolué au fil du temps, en prenant l’importance l’une sur l’autre à des différents moments de l’histoire. La linguistique et la sémiotique fonderont leur discours sur la reprise de ces trois pôles de rhétorique. Roland Barthes, par exemple, liait ainsi l’éthos à l›émetteur, le pathos au récepteur et le logos au message. Contrairement à la logique argumentative, qui s’occupe des arguments formels dont la vérité des conclusions suit nécessairement la vérité des prémisses par inférence déductive, la rhétorique s’occupe de l’argumentation non-formalisée qui est affaire de vraisemblance. Ainsi, Perelman affirme que « le but d’une argumentation est de provoquer et d’accroître l’adhésion d’un auditoire aux thèses qu’on présente à son assentiment. ». Une argumentation efficace est celle qui réussi a accroitre cette intensité d’adhésion de façon à déclencher chez les auditeurs l’action envisagée, ou du moins, à créer chez eux une disposition à action, qui se manifestera au moment opportun. Pour qu’une argumentation persuasive se développe, il faut que ceux auxquels elle est destinée y prêtent quelque attention. La plupart des formes de publicité et de propagande se préoccupe, avant tout, d’attirer l’intérêt d’un public différant. 4

Aristote, La Rhétorique, Edition A. Durand Paris, 1856 C. Perelman, L. Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation, la nouvelle rhétorique, Université de Bruxelles, 2008 (1958), p.23

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RHETORIQUE DE L’ARCHITECTURE

ETHOS Pour Aristote l’ethos consiste dans le fait que l’émetteur du message doit plaire au public, en lui donnant l’impression de crédibilité. Mais selon lui, il faut que cette crédibilité soit portée par le message même, et ne pas seulement par la réputation de l’émetteur. Selon Declercq, l’ethos consiste à transmettre au public une certaine image de l’orateur. Le ton de la voix, la diction, le choix des mots et des gestes, la mimique, le regard, la position, la démarche, etc. sont pour autant les signes de l’élocution, d’habillement, symboliques, avec lesquelles l’émetteur donne une image psychologique et sociologique de lui même.5 L’analogie de l’ethos en architecture sera différente de ce que Aristote et Declercq décrivent par l’ethos de l’orateur. Roland Barthes, en liant la dimension de l’ethos directement à l’émetteur (et pas au message) nous donne une piste pour trouver le lien directe avec l’architecture. En considérant un bâtiment comme une expression d’une volonté de quelqu’un de communiquer un message, on peut associer le rôle de l’émetteur au commanditer. Les aspiration du commanditer sont puis interprétées par l’architecte. En premier lieu c’est la notoriété du commanditer et celle de l’architecte (ou les deux) que se mettent en jeu. Mais comme disait Aristote, chaque discours, pour être persuasive, doit contenir une dimension de l’ethos en soi, l’émetteur du message ne peut tout simplement compter sur sa notoriété. Donc la question qui se pose est : Quel est l’ethos de l’architecture? En reprenant l’idée d’Aristote qui associait ethos également aux manifestations matérielles de l’orateur, telles que les habits et l’apparence, le ton de voix, on peut déduire des similitudes avec l’architecture. Pour que l’architecture soit persuasive, elle doit être logique et cohérente. L’harmonie et la beauté de la composition, les références historiques, mais également les éléments purement matériels comme matériaux, détails et la qualité d’exécution, jouent un rôle important dans l’expression rhétorique de l’architecture. En effet, certains matériaux, même les textures et les couleurs ont des dimensions d’ethos. Construire ou faire un revêtement en marbre à une rhétorique complètement différant d’une construction en brique ou en pierre calcaire. Marbre poli est une autre chose que le marbre mat ou robuste. Le même vaut pour les couleurs : la couleur dorée ou la couleur noire, ont ses propres dimensions d’ethos en fonction de son utilisation.6 5 6

G. Declercq, L’art d’argumenter : structures rhétoriques et littéraires, Éditions universitaires, 1992 Groupe µ , Traité du signe visuel. Pour une rhétorique de l’image, Seuil, Paris 1992


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PATHOS

La persuasion est produit de la disposition de l’esprit des auditeurs, quand le discours les pousses a éprouver des passions : parce que l’on ne juge pas de la même manière si on éprouve une douleur ou un plaisir, l’amitié ou la haine.7 — Aristote

La seconde technique de persuasion qu’Aristote met en avant est de l’ordre émotionnel. Pathos représente un appel aux émotions du public, qui doit être séduit où ému. Ainsi, la raison n’est pas le seul but de la rhétorique. Selon Aristote, les émotions varient d’une personne à l’autre. Par conséquent, il souligne l’importance de comprendre des situations sociales spécifiques afin d’utiliser avec succès le pathos comme une mode de persuasion.8 Les recherches qui se situent entre la rhétorique et la psychologie ont proposé que l’action est le résultat des impressions. Il a été démontré que les émotions poussent les personnes à réagir en fonction de circonstances et de passions ressenties. Par conséquence les croyances et la persuasion dépendent fortement de l’appel émotionnel.9 L’architecture est susceptible de provoquer des émotions et des passions de l’ordre différent en fonction du public et du contexte. En premier lieu, elle peut émotionner par ces caractéristiques physiques, telles que la forme, le dynamisme, l’échelle ou les proportions. L’architecture exubérante baroque est plus persuasive que l’architecture rationnelle de la Renaissance. Le déconstructivisme de Daniel Libeskind soulève plus d’émotions que la rigueur de Mies van der Rohe. Deuxièmement, l’architecture peut s’exprimer à travers une métaphore ou une narration codifiée dans son apparence, qui permet au public de retrouver ses propres passions. Les éléments narratifs dans plusieurs cas sont transmis par des sculptures, des bas-reliefs ou des séquences de formes. Certainement, l’architecture d’une beauté remarquable peut également soulever des émotions qui seront susceptibles d’influencer la mode de penser et le comportement du récepteur : les choix, la prise de décisions, changement d’opinion. Toutes ces caractéristiques dépendent du contexte urbain, territorial, historique, mais aussi de conditions physiques et temporels, telles que lumière, temps, quantité de personnes, état de préservation. Aristote, ibidem. M. Vecchia, Hapù. Manuale di tecnica della comunicazione pubblicitaria, Lupetti, 2003, p.224 9 J. Golden et E. Corbett, The Rhetoric of Blair, Campbell, and Whately, SIU Press, 1990 7 8


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RHETORIQUE DE L’ARCHITECTURE

Fig.7. Le métro de Moscou comme le « palais du peuple »


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LOGOS La rhétorique avant tout est un discours rationnel. Les arguments permettent de convaincre le public par la logique. Cependant il faut faire la distinction entre la logique scientifique et la logique rhétorique à laquelle se réfère logos - la dimension rationnelle du discours. Logos rhétorique est un processus logique qui est issu d’une prémisse vraisemblable, contrairement à la logique scientifique issue exclusivement d’une prémisse absolue.10 L’argumentation rhétorique ne rejette pas la logique scientifique, mais requit un spectre d’action beaucoup plus vaste, dans lequel sont inclus les faits et les processus rigoureux, mais aussi tout autre type d’arguments spéculatifs et vraisemblables, susceptibles de trouver un accord chez le récepteur du message. Nous nous confrontons à des difficultés quand il s’agit d’adapter le concept de logos à l’architecture d’une manière générale. Logos dans l’architecture peut être comparé à une spéculation avec la grandeur et la puissance. Cette pensée suit le raisonnement suivant : si un organisme est capable de construire un bâtiment d’envergure, cette organisme est puissant. En général, les monuments possèdent la dimension rhétorique logique car ils communiquent sur un fait accompli. Souvent, ils sont utilisés pour commémorer des évènements historiques ou des réussites importantes dans un certain contexte politique. Ils les communiquent alors à travers les narration sculpturales. L’architecture religieuse solidifie et intensifie la croyance des fidèles en créant un système des illusions et des vraisemblances afin de témoigner l’existence et la puissance du Dieu. La reconstruction de l’Allemagne pendant l’époque du Troisième Reich est une rhétorique de la croissance économique par le biais d’architecture. Beaucoup de chantiers lancés en même temps incarnent la renaissance de la société après la défaite. Ce fait génère un message de prospérité, car, logiquement, la construction publique provoque un raisonnement positif. Dans l’Union Soviétique, l’aménagement du métro de Moscou avec une attention particulière au décor et au bien-être d’utilisateurs se transforme en message de bienveillance des autorités envers le peuple.

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M. Vecchia, Hapù. Manuale di tecnica della comunicazione pubblicitaria, Lupetti, 2003, p.226


Communication publicitaire

La rhétorique d’Aristote et de Perelman étudie essentiellement les techniques de persuasion qui sont à la base de la communication publicitaire. Au siècle précédent, se sont également développées des recherches approfondies de théories sur l’étude des conditions et des mécanismes de la persuasion, le but étant de répondre à la question suivante : Pourquoi et comment un individu arrive à persuader les autres ? La théorie de la communication publicitaire vise à expliquer le fonctionnement de la persuasion et de la publicité dans le but de promouvoir des biens ou des services, mais aussi des activités divers et mème des personnages publics. Elle se base sur des études psychologiques, des techniques de communication de masse et la théorie de la perception. Ensemble, ces paramètres définissent le fonctionnement de la persuasion dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou encore politique. 1 L’application des théories de la communication publicitaire sur l’architecture n’est pas évidente. Cette difficulté vient du fait qu’elles se focalisent principalement sur la promotion des biens matériels. Toutefois, il y de nombreuses études plus globales qui prennent en compte les effets de propagande ou de la publicité politique et sociale. Toutes ces recherches donnent les bases suffisantes pour l’analyse du fonctionnement de la persuasion en architecture. 1

M. Vecchia, Hapù. Manuale di tecnica della comunicazione pubblicitaria, Lupetti, 2003


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HIERARCHIE DES EFFETS La mission d’une publicité est d’attirer un lecteur, afin qu’il regarde la publicité et commence à la lire; Puis de l’intéresser, afin qu’il continue à la lire; Puis de le convaincre, afin que, quand il l’aura lue, il la croira. Si une publicité contient ces trois qualités, c’est une publicité réussie. 2 — E. St. Elmo Lewis

Le premier modèle théorique de la communication publicitaire AIDA a été proposé par E. St. Elmo Lewis en 1925. Selon ce modèle, il y a quatre étapes par lesquelles passer pour qu’une communication atteigne son but : sensibilisation, intérêt, envie et finalement action.Une avancée décisive vers une étude concrète sur la persuasion publicitaire a été accomplie vers 1961, grâce au modèle de la hiérarchie des effets.3 Ce modèle de communication publicitaire, suggère qu’il y a six étapes de la réception de la communication publicitaire à l’action. Le but de la communication est d’encourager le récepteur à passer par toutes ces six étapes afin d’entreprendre l’action voulue par l’émetteur. L’ordre des étapes dans le modèle hiérarchique des effets est le suivant : attention> connaissance > attitude > préférence > conviction >action. Ces six étapes sont divisées en trois catégories de comportement humain: cognitif, affectif, conatif. Le stade cognitif (attention et connaissance) concerne le traitement de l’information que le récepteur perçoit est lié en partie à l’intelligence. L’étendue du traitement de l’information par le récepteur dépend à la fois de ses capacités et de sa motivation à analyser l’information en question. Le stade affectif (intérêt et préférence) concerne les émotions. Cette étape porte sur la formation des attitudes, la façon dont le récepteur se sent face à l’objet présenté. Le stade conatif (conviction et action) représente la façon dont le récepteur agit en réponse à la réflexion et aux émotions générées par la communication. Le passage à l’action est le résultat des étapes précédentes.

T.E. Barry,The development of the hierarchy of effects: an historical perspective, USA, 1987 R.C. Lavidge et G.A. Steiner, A Model for Predictive Measurement of Advertising Effectivness, in « Journal of Marketing », 25, 1961, pp.59-62 2

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COMMUNICATION PUBLICITAIRE

Le fonctionnement de la communication publicitaire peut s’appliquer à l’architecture de la manière suivante: Attention Pour que l’on prête attention à un édifice il doit se distinguer des autres. Cela peut se traduire par ses proportions et sa hauteur, comme pour un gratte-ciel ou la coupole d’une église, ou encore par sa forme particulière, par exemple, les pyramides. Des matériaux spécifiques peuvent également attirer l’attention. Connaissance Le récepteur, intrigué par une architecture singulière, voudra découvrir le bâtiment ou le monument. L’architecture d’un bâtiment peut inciter à entrer pour le découvrir de l’intérieur, comme c’est le cas par exemple des portails sculptés des églises. De même, une belle boutique donne envie à le découvrir de franchir le pas de la porte. La connaissance d’un bâtiment passe avant tout par l’observation. Dans le cas d’un monument, elle se fera par la lecture des ensembles sculpturaux et des épigraphes. Attitude L’information perçue à travers des éléments architecturaux va être élaborée et par la suite le récepteur adoptera des attitudes envers les messages perçus. Préférence En fonction de ces attitudes le récepteur va ressentir des émotions et des sentiments qui vont l’amener à la phase suivante. Conviction Si le récepteur est convaincu par le message qu’il reçoit, il fera le lien positif avec l’émetteur du message architectural. Si l’espace de l’église est suffisamment majestueux et ses vitraux impressionnants le visiteur pourra vouloir revenir, il sera fidélisé. Il en vaut de même pour une boutique – la décision d’acheter un produit ou pas va dépendre de sa mise en scène. Action Le mode de penser du récepteur, désormais convaincu, va prendre la direction voulue par l’émetteur. Les fidèles seront de retour à l’église et les clients, à la boutique en question.


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COMMUNICATION BILATÉRALE La communication bilatérale constitue une alternative à la communication unilatérale. En reprenant les études conduites à l’Université de Yale pendant les années quarante sur l’efficacité de la propagande de guerre, les différents chercheurs américains ont démontré l’efficacité des messages bilatéraux. Cette théorie affirme qu’au lieux de présenter seulement la thèse que l’on veut promouvoir, il est plus efficace de présenter deux thèses : celle que l’on veut promouvoir et celle qui la contredit, tout en la réfutant.4 Les expériences contemporaines, appliquées à la publicité conventionnelle, démontrent la validité générale de la communication bilatérale dans le champ de la persuasion commerciale et même en cas de faible implication. L’effet positif de ce type de communication est que les messages bilatéraux augmentent la crédibilité de l’émetteur car il présente deux positions en compétition.5 Les messages bilatéraux sont utilisés notamment dans l’art et l’architecture religieux. En proposant deux alternatives après la mort – le paradis et l’enfer, l’art religieux ne communique pas seulement les avantages de l’adhésion à la vie de fidèles, mais dessine explicitement ce que va se passer pour ceux qui ne respectent pas les préceptes. De la même manière l’architecture gothique fabrique des contrastes entre l’extérieur et l’intérieur. La façade de l’église est dotée de sculptures de gargouilles et de chimères, des créatures fantastiques malfaisantes, qui sont sensées protéger la maison de Dieu des mauvais esprits. Les fidèles les considèrent comme des défenseurs, les autres sont exposés à la malédiction. THÉORIE DE L’IMPLICATION FAIBLE La plupart des théories cognitives considèrent que le récepteur fait attention à la publicité, ce qui n’est pas toujours le cas. En effet, dans le monde contemporain, surchargé d’annonces, nous avons tendance à y porter de mois en moins attention. Une filière de recherche sur la communication de masse, entreprise dans les années soixante par Herbert Krugman, se focalise 4 C. I. Hovland, Effectts of Alternative Ways of Ordering Pro and Con Arguments in Persuasive Communication, in « The Order of Presentation in Persuation », New Haven, Yale University Press, 1957 5 Byung-Kwan Lee, EffectsTheory, Its Origin and Development, Austin University of Texas, www.ciadvertising.org.


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COMMUNICATION PUBLICITAIRE

sur les différences entre les effets de la publicité en cas d’implication forte et faible.6 Le phénomène de la basse implication est particulièrement intéressant en lien avec l’architecture, car certains bâtiments sont plus ordinaires et l’on a tendance à ne pas y prêter attention. L’idée principale de la théorie est que le degré d’implication, d’intérêt pour une publicité, serait lié à l’activité cognitive. Apprendre est un comportement souvent actif qui nécessite une implication forte. Mais, il existe une forme « d’apprentissage passif » ne demandant aucun effort particulier et caractérisée par l’absence de résistance à ce qui est communiqué. Lire et parler en sont des exemples. Les recherches sur l’impact de la publicité à la télévision partent de l’hypothèse que la répétition d’une image à un effet sur le cerveau humain. Mais pour que la répétition soit efficace, elle doit impliquer la mémorisation. Dans le cas d’implication faible le récepteur ne fait pas de connexions, ni d’associations à cette image, mais il a la capacité, si la répétition est suffisante, de la mémoriser.7 Une communication de ce type peut provoquer une mutation inconsciente des attitudes et du comportement conditionnés par l’hémisphère droit du cerveau. A l’instar des images à la télévision, les édifices eux mêmes peuvent être perçus comme des images de la vie quotidienne. Une analogie avec la télévision peut donc être établie. Des bâtiments parrainés par des grands enseignes sont mémorisés par le récepteur, même s’il n’y prête pas d’attention particulière. Il suffit qu’il les voie répétitivement. Au moment opportun la mémoire va influencer la formation des attitudes et la prise de discisions du récepteur. Bien évidemment l’implication faible suppose une publicité basée sur la répétition, qui ne contient pas un argumentaire compliquée. Elle doit être facilement saisissable. MODÈLE DE PERSUASION DE LA PROBABILITÉ D’ÉLABORATION Ce modèle étudie les processus derrière les changements d’attitude. Son but est de comprendre l’efficacité de la communication persuasive en général. Il propose deux routes distinctes pour le traitement de l’information: la route principale et la route périphérique. Ces deux routes déterminent les modalités de formation d’attitude et de persuasion en fonction de degré d’implication allant de faible jusqu’à forte, par rapport à un produit, un fait ou une personnalité. 6 H. E. Krugman, The Impact of TelevisionAdvertising: Learning Without Involvement, « Public Opinion Quarterly », volume 29, 1965, pp. 349-356. 7 H. E. Krugman. Why Three Exposures May Be Enough. « Journal of Advertising Research », 12, 6 , 1972, pp. 11–14


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La route principale est employée dans le cas d’une forte implication du récepteur. Elle repose essentiellement sur une approche cognitive, pour laquelle les arguments du message sont essentiels. Si le récepteur est convaincu de la communication, le changement effectif d’attitude va se faire. Les changements d’attitude passant par la route centrale ont tendance à durer plus longtemps et sont plus prédictifs. La route périphérique est employée dans le cas d’une faible implication. Lorsque le récepteur du message n’a pas d’intérêt pour le sujet, il est plus susceptible de s’appuyer sur les premières impressions, les sentiments et les émotions, générées par des signaux périphériques du message. La fréquence joue un rôle important et détermine l’efficacité de la publicité dans le cas ou ces sollicitations périphériques sont aperçues. Si la communication est efficace, l’individu changera temporairement son attitude. Par ailleurs, la route périphérique peut susciter de l’intérêt chez le récepteur et le faire basculer vers la route principale. Pour prendre la route principale, les messages transmis par l’architecture doivent être claires et distincts. Les bâtiments et les monuments du passé ont d’habitude deux routes de transmission d’information codifiée. D’abord ils sont perçus comme des volumes décorés - dans le cas ou l’attention consacrée au contenu des décorations d’un bâtiment est faible, c’est seulement son allure et l’impression générale qui vont influencer le changement d’attitude. Quand, au contraire, le récepteur porte attention et prend le temps de lire les messages transmis par les bas-reliefs et des sculptures, il perçoit les arguments logiques qui sont sensé de le convaincre et procéder au changement d’attitude raisonné.8 Ce modèle est employé par l’architecture commerciale. Les flagship stores des grandes compagnies communiquent leur succès et leurs visions en présentant les preuves physiques de sa réussite. Mais ce message est lu principalement par ceux qui s’y intéressent. Pour les autres, cette architecture ne fait qu’attirer arbitrairement l’attention par ses qualités architecturales. Le logo de la compagnie sur la façade est associe à l’architecture, inconsciemment mémorisé et oublié jusqu’au moment opportun. Après plusieurs passages, cette architecture peut augmenter le niveau d’implication et finalement inciter à la découvrir. Le récepteur ainsi passera de la route périphérique à la route principale et peut potentiellement s’intéresser à la compagnie.

R.E. Petty et J.T.Cacioppo, The elaboration likelihood model of persuasion, «Advances in Experimental Social Psychology», V.19, 1986, p.125

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COMMUNICATION PUBLICITAIRE

Fig.7. Reliefs narratifs de la colonne Trajane qui racontent le déroulement des guerres menées en Dacie.


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STORYTELLING Storytelling, ou communication narrative, est l’application de procédés narratifs dans la technique de communication pour renforcer l’adhésion du public au discours. Le principe de cette technique est ancien, en témoigne le recouras aux grands mythes, qui ont servi pour faciliter la transmission des sagesses. Aujourd’hui le storytellng voit sa renaissance dans les domaines du marketing, de la communication publicitaire et politique. La technique consiste à essayer de faire émerger au sein du public une ou plusieurs histoires à fort pouvoir de séduction et de conviction.9Ces histoires, qui peuvent être réduites à des anecdotes ou étendues à des discours entiers, servent de vecteurs pour faire passer des messages plus complexes, qui sont ainsi transmis avec plus d’efficacité. L’utilisation d’histoires et de formules symboliques permet au public de garder un esprit ouvert au message transmis. Le recours au récit permet également de mobiliser les émotions et joue donc un rôle important dans le processus de formation d’attitudes. 10 Le storytelling est très souvent utilisé dans les éléments décoratifs de bâtiments et monuments. Dans l’architecture religieuse, les histoires de la bible sont racontées sous forme de fresques, de bas-reliefs ou de vitraux narratifs. Ils représentent des messages narratifs rhétoriques qui doivent à la fois renforcer la foi des fidèles et provoquer l’adhésion des autres. Les bas-reliefs des monuments emploient également cette technique, comme par exemple ceux de la Colonne de Trajan, qui racontent, du point de vue des Romains, le déroulement des guerres que Trajan a menées en Dacie. Ils mettent l’accent sur les difficultés surmontées par l’Empereur pour arriver à assurer la victoire de son pays.

A. Simmons, The Story Factor, Basic Books, 2001. C. Salmon, Storytelling la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, La Découverte, 2007 9

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COMMUNICATION PUBLICITAIRE

Fig.8. Guérilla marketing. Nike dispose des ballons de foot XXL encastrés dans des immeubles


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GUÉRILLA MARKETING Ce terme est inspiré de la guérilla – un combattant qui mène une guerre utilisant des stratégies différentes de celles habituellement utilisées par les armées de métier. C’est un concept de stratégie de publicité conçue pour promouvoir de façon non conventionnelle en dépensant peu de budget.11 L’objectif de cette technique est de provoquer une réaction émotionnelle du public afin d’attirer l’attention et se faire remarquer. Guérilla marketing a introduit et commercialisé le sabotage de l’environnement urbain et de l’architecture d’une manière institutionnelle.12 Les inventions de la culture graffiti, underground et street art ont servi comme base pour ce nouveau mode de communication publicitaire. Guérilla marketing comprend les activités effectuées dans les rues, sur les façades de bâtiments ou dans d’autres lieux publics, comme les centres commerciaux ou les parcs. Ces activités sont souvent considérées comme des actes de vandalisme et sont illégales. L’histoire connaît plusieurs exemples où le sabotage et la destruction d’architecture ont été utilisés à des fins publicitaires par ceux qui n’avaient pas d’autre choix, faute de moyens. Par exemple le fait de brûler et détruir des symboles de la royauté et de la religion après la Révolution Française.

J. C. Levinson, Guerilla Marketing, Houghton Mifflin, 2007 A. Brioschi, A. Uslenghi, White space. Idee non convenzionali sulla comunicazione, EGEA, 2015 11 12



ARCHITECTURE COMME PUBLICITE


Fig.9. Vue de l'entrée de la grande pyramide de Memphis, Karl Schröder,1822


Commémoration comme publicité

La première civilisation qui a poussé les limites de l’architecture commémorative était celle de l’Egypte antique. Les rois de l’Egypte - pharaons ont été constamment exposé à la lutte interne du pouvoir. Le clergé égyptien jouait un rôle important dans cette lutte, notamment les prêtres qui avaient des positions très importantes dans la société égyptienne antique. Le pharaon, officiellement le premier des prêtres, se trouvait en réalité souvent à la solde des grands prêtres telle une marionnette. Certains des prêtres fondaient de nouvelles dynasties de pharaons. D’autres ont engagé des réformes du clergé pour endiguer cette suprématie, mais la lutte de pouvoir continuait presque sans interruption.1 Dans ce contexte politique tendu, la communication de masse jouait un rôle primordial. Or, le media de transmission de l’information le plus puissant était alors l’architecture.

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Serge Sauneron, Les prêtres de l’ancienne Égypte, Points Histoire, Le Seuil, 1998


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PYRAMIDE La pyramide telle qu’on la connaît aujourd’hui est le résultat d’une longue évolution de l’architecture funéraire et commémorative dans l’Egypte antique. L’ancêtre de la pyramide est une tombe familiale royale appelée mastaba - un édifice de forme rectangulaire aux faces légèrement pentues. Cette tombe royale était à la fois une sépulture pour l’enveloppe charnelle du défunt, mais aussi le lieu de résidence après la mort.2 Afin de communiquer leur suprématie auprès des prêtres et du clergé de l’Égypte antique, les pharaons ont toujours cherché à atteindre une hauteur plus imposante, proportionnelle à leur puissance ou à leurs aspirations de puissance future. Ainsi, après les mastabas à un étage et les mastabas à deux étages, les pyramides à degrés sont apparues. Petit à petit, elles sont évolué jusqu’a se transformer en pyramides pointues à faces lisses. La pyramide de Kheops et l’ensemble de Gizeh, qui marquent l’apogée de l’architecture égyptienne, se caractérisent par l’extrême pureté de leurs formes. Les détails d’articulation et de décoration sont abolis pour accroître l’effet des énormes surfaces lisses. Le revêtement de pierre polie donnait une dimension rhétorique de l’ordre de l’ethos. En fonction de sa position, le soleil pouvait se refléter sur la surface polie et ainsi éblouir le spectateur. La forme d’une pyramide demeure le symbole primordial de sa toute puissance, unissant la montagne au soleil radieux en tant que représentation du roi comme le fils de Rê. La synthèse de la puissance mégalithique élémentaire véhicule un message humain ayant valeur d’archétype.3 Une telle association d’un pharaon avec le dieu solaire Rê était censée renforcer son pouvoir et l’image de sa dynastie. La construction de la pyramide commençait bien avant la mort du pharaon, puis était reprise volontairement par les héritiers pour sublimer davantage l’image de la dynastie. Dans la civilisation occidentale, la pyramide a obtenu un statut particulier et a été utilisée à plusieurs reprises comme sépulture dans les civilisations grecque (ex. Pyramide de Hellinikon) et romaine (ex. Pyramide de Cestius). La référence aux pharaons était un geste architectural pour communiquer sa 2 J. Kerisel, La pyramide à travers les âges : art et religions, Presses de l’Ecole Nationale des ponts et Chaussées, 1991 3 C. Norberg-Schulz, La signification dans l’architecture occidentale, Editions Mardaga, 2007, p.29


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réussite et redonner de la gloire aux riches familles antiques. La forme de la pyramide n’a jamais cessé d’inspirer l’esprit humain toute au long de l’histoire de l’Humanité. Indépendamment de la civilisation égyptienne, les pyramides ont été édifiées par d’autres civilisations (précolombiennes, asiatiques, etc.) pour en faire un usage religieux comme temple ou sépulture. L’éclectisme égyptien a été repris aux XIXème siècle à la suite de la campagne d’Égypte menée par Napoléon. Plusieurs personnalités se sont fait fabriquer des tombeaux en forme de pyramide (Pyramide de Karlsruhe en Allemagne, pyramide de Philippe-Louis Mangay en France). À la fin du XXe siècle, la pyramide a conquis de nouveau les esprits des architectes pour la construction des bâtiments d’échelles et de fonctions différentes, mais toujours dans l’optique d’attirer l’attention et de communiquer. On peut citer notamment l’hôtel-casino Luxor à Las Vegas, la « Transamerica Pyramid » symbole de San Francisco ou encore l’hôtel géant Ryugyong en Corée du Nord, dont la construction a été vue par le pouvoir comme une occasion d’inciter les occidentaux à investir dans le pays.4 L’obsession de l’humanité pour la pyramide s’explique par les qualités rhétoriques particulières de cette forme. Ainsi Christian Norberg-Schulz écrit à son propos « Sa forme équilibrée apparaît comme une synthèse de forces verticales et horizontales et sa construction incomparablement massive semble la concrétisation d’un ordre stable et éternelle ».5 MAUSOLÉE Le mausolée est une construction publicitaire par excellence. Bien qu’il soit un monument funéraire de grandes dimensions, sa fonction principale n’est pas de contenir le corps du défunt, mais plutôt de lui rendre hommage et de communiquer sa puissance. Le mot mausolée provient du nom du dirigeant de la province de Carie en Asie mineure au Ve siècle av. J.-C.. Celui-ci s’était fait construire un tombeau monumental qui était admiré dès l’Antiquité pour ses dimensions et sa décoration. Le Mausolée d’Halicarnasse est considéré comme une des sept merveilles du monde, il n’est malheureusement pas parvenu jusqu’à nos jours. Haut d’environ 50 mètres, le monument était orné de sculptures sur ses quatre 4 5

N.O. Kwee, Western decadence hits N. Korea, Japan Economic Journal,‎ 9 juin 1990, p.12 C. Norberg-Schulz, ibid., p.32


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Fig.10. Reconstruction du Mausolée d’Halicarnasse. Architecte Pythéos de Priène. Construction 350 av. J.-C.


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côtés, chacune réalisée sous l’autorité d’un grand sculpteur grec. Sur les centaines de mètres de frises se trouvaient des représentations de statues dynastiques, de combats, de scènes de chasse et autres évènements glorifiant Mausole et ses ancêtres. La substruction était surmontée de 36 colonnes, supportant un toit à degrés pyramidal. Par ses qualités esthétiques remarquables et ses dimensions impressionnantes, ce monument a réussi à porter la gloire de Mausole jusqu’à nos jours, à travers des écrits de la littérature antique (Vitruve, Pline l’Ancien) et des découvertes archéologiques du XIX siècle (Charles Thomas Newton).6 La mode de construction des tombeaux a persisté dans l’histoire de l’humanité. Dès la création de l’Empire romain par Auguste, le modèle architectural du mausolée monumental entre dans la tradition de l’Empire romain. Le premier mausolée monumental romain, construit par Auguste, prend comme modèle architectural et idéologique le tombeau d’Alexandre le Grand, qu’Auguste avait visité en Alexandrie mais dont les traces n’ont pas été retrouvés. Le mausolée est une lutte contre la mort et l’oubli : l’empereur Auguste, qui fut dés son enfance nourri du prestige de l’histoire d’Alexandre le Grand, souhaitait que sa propre histoire traverse les siècles.7 La forme générale était celle d’un tertre conique. L’édifice possédait un diamètre de 87 mètres et des murs concentriques en tuf pourvus de murs radiaux. Le mur de soubassement, circulaire également, était en travertin et haut de 12 mètres. L’espace extérieur était constitué en forme de tumulus et planté d’arbres, des cyprès. La tholos et la statue de l’empereur en haut du monument exprimaient clairement sa suprématie et son aspiration à devenir un dieu après sa mort. L’apparence de l’édifice devait être très impressionnante, avec le contraste entre éléments naturels, arbres et étendue herbeuse, et éléments construits, murs et statue. En construisant son mausolée, Auguste créait un monument qui était censé communiquer ses victoires militaires et politiques au peuple de Rome. La force communicative du mausolée a été accentuée par l’addition d’Ara Pacis et d’Horologium, monuments destinés à symboliser la paix retrouvée grâce à Auguste après les affres des guerres civiles du dernier siècle de la République romaine. Situé en face du mausolée, ces deux monuments renforçaient le message des victoires transmit par le mausolée. Ara Pacis, à travers ses basreliefs, représentait les bénéfices apportés par le Paix d’Auguste. L’obélisque d’Horologium transmettait le message précis avec des inscriptions. En 6 7

J.-L. Lamboley, Lexique d’histoire et de civilisation romaines, Ellipses, Paris, 1995, p. 247 F. Coarelli, Guide archéologique de Rome, Hachette, 1994, p. 213


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considérant ces monuments comme un ensemble, le peuple de Rome était censé apprécier que ce fût Auguste qui avait apporté la prospérité à Rome. Le mausolée, pensé comme un monument funéraire de la dynastie, a fini par être un tombeau de plusieurs empereurs romains qui voulaient s’associer avec la grandeur du premier empereur – Auguste.8 Les mausolées plus petits sont devenus populaires auprès de la noblesse dans de nombreux pays. Dans l’Empire romain, ils étaient souvent organisés en nécropoles ou le long des bords d’une route. La Via Appia Antica conserve les ruines de beaucoup de mausolées privées à des kilomètres à l’extérieur de Rome. Un exemple curieux est le monument funéraire érigé en l’honneur du boulanger Eurysacès en forme d’un four avec des éléments décoratifs évoquant des mesures à grain. Cependant, quand le christianisme est devenu dominant, les mausolées étaient hors d’usage.9 Tombé en ruine pendant le moyen âge, l’ensemble du mausolée d’Auguste fut partiellement perdu et réutilisé. De nouvelles fouilles d’envergure, en 1937-1938, conduisent à une reconstitution du mausolée d’Auguste et à la redécouverte d’Ara Pacis. Cette reconstitution est utilisée à des fins de propagande par le régime fasciste de Mussolini, qui cherchait à s’associer avec la notoriété d’Auguste et créer une nouvelle empire fasciste.10 Au début de la période moderne, avec l’apparition du phénomène du culte de la personnalité au XXème siècle, le mausolée redevient populaire en Europe et dans ses colonies. Installé sur la place principale de la capitale, le nouveau mausolée devait encadrer divers types de propagande - médiatique et évènementielle, les rassemblements et les manifestations étant spontanés ou non. Le mausolée de Lénine en est un exemple caractéristique. Situé sur la Place Rouge au pied du Kremlin, il se présente sous la forme d’une pyramide à degrés dans laquelle le corps embaumé de Lénine est exposé au public. Les murs sont revêtus de plaques de granite rouge et de marbre noir. Au-dessus de l’entrée, se trouve une tribune sur laquelle se tenaient les dirigeants de l’URSS lors des défilés militaires et commémoratifs organisés sur la place Rouge. Le mausolée était destiné à devenir un nouveau monument de la « dynastie 8 S. L. Fugate Brangers, The Mausoleum of Augustus: Expanding Meaning from Its Inception to Present Day, 2007, p.136 9 P. Veyne, A History of Private Life: I. From Pagan Rome to Byzantium, Harvard University Press, 1987, p.416. 10 S. L. Fugate Brangers, ibid., p.140


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communiste ». Ainsi le corps de Joseph Staline y fut également exposé, à côté de celui de Lénine, mais à la suite de la déstalinisation, sa dépouille fut ensuite déplacée. Le mausolée de l’ère moderne est donc devenu un monument public, contrairement au mausolée antique qui était un monument sacré et fermé au public. EVERGÉTISME Evergétisme est un terme introduit au XXe siècle par l’historien André Boulanger. Cette pratique consiste, pour les notables, à faire profiter la collectivité de leurs richesses, d’abord par la sponsorisation de construction d’équipements publics ou monuments et ensuite par l’organisation de fêtes et de distractions. Apparue dans le monde hellénistique, cette pratique sociale finit par se répandre dans le monde romain. Un édifice construit par ce type de mécénat prenait le nom de son sponsor. La construction par la suite rendait gloire à son parrain, portant pour l’éternité le nom et le titre du donateur.11 La stoa, centre social et politique de la cité grec, était souvent le lieu de prédilection pour cette pratique. Les grands évergètes, et notamment les rois de l’époque hellénistique, faisaient souvent offrande de la stoa aux cités auprès desquelles ils désiraient se distinguer. C’est le cas par exemple de l’une des plus célèbres d’entre elles, la Stoa d’Attale sur l’agora d’Athènes. Le monument a été offert à la cité attique par Attale II, roi de Pergame. Bâtiment de grande importance, la stoa se trouvait sur la place principale des villes grecques – l’agora. C’était un lieu de rencontre et de sociabilité destiné à protéger diverses activités des intempéries.12 Le financement de la construction de tel édifice était un investissement que les rois hellénistiques faisaient pour la publicité. En effet, dans la Grèce antique, la stoa était le lieu public par excellence, ou avaient lieu les débats politiques et les discussions philosophiques. A titre d’exemple, les premiers philosophes stoïciens se réunissaient sous la Stoa Poikilè, près de l’agora d’Athènes, de laquelle le mouvement retira son nom signifiant littéralement «les gens de la Stoa». La dénomination d’une stoa était un acte important de communication car elle impliquait l’utilisation du nom de son mécène. De nombreux exemples d’évergétisme peuvent être observés dans deux villes P. Veyne, Le pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique, Seuil, 1976 R. Ginouvès, Dictionnaire méthodique de l’architecture grecque et romaine, Collection de l’École française de Rome, 1998, p. 74.

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Fig.11. Stoa d’Attale à Athènes. Reconstruite à l’identique de 1953 à 1956 par l’École américaine d’archéologie.


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romaines antiques préservées par l’éruption d’Etna: Pompéi et Herculanum. Ainsi, à Herculanum, M. Spurius Rufus construit un marché, rénové par L. Mammius Maximus, et rénove le théâtre. M. Remmius Rufus équipe ensuite la ville d’une balance publique, d’une horloge et d’un lieu de réunion. Chaque inauguration s’accompagnait d’un banquet offert aux concitoyens, ou de façon plus restreinte, aux membres du collège des décurions ou des prêtres. Ces cérémonies d’inauguration étaient l’occasion de rendre hommage au donateur. À partir du IIIe siècle et de plus en plus lors des siècles suivants, les tensions économiques rendent l’évergétisme plus difficile à pratiquer.13 Les empereurs romains nommaient également les équipements publics d’après leurs noms. Comme par exemple les gigantesques thermes de Caracalla à Rome. Mais ceci peut être à peine considéré comme évergétisme car contrairement aux mécènes, les empereurs construisaient les équipements avec l’argent public. Cette pratique peut être considérée comme le prédécesseur du phénomène de parrainage des équipements publics, apparu en XXème siècle. ARC DE TRIOMPHE L’arc de triomphe – un monument érigé afin de célébrer la cérémonie du triomphe romain. Cette célébration permettait la purification de l’armée après la guerre. Mais le triomphe n’est pas le seul motif d’érection des arcs : la volonté d’évoquer la gloire politique leur est presque toujours primordiale. L’invention, par la Rome antique, d’un monument du spectacle politique explique la formidable fortune esthétique des arcs. L’absence de précédent dans l’art grec rendait indispensable la création d’un nouveau modèle qui s’associe définitivement à l’époque augustéenne. L’arc connut une longue postérité, car on lui trouva d’autres usages que strictement militaires. De part son articulation sur le forum, il participa à cet art de la monumentalité publique conçu par les Romains pour exalter la puissance de l’Empire. L’arc, aujourd’hui disparu, que Trajan avait fait construire à Rome à l’entrée du forum et qui lui était consacré, comprenait une statue équestre de l’empereur au centre d’une vaste place ornée de portiques décorés de reliefs historiés. L’arc s’insérait dans un système de représentations 13

D. Roman, Yves Roman, Rome: de la République à l’Empire, Ellipses Marketing, 2001


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signifiant la prétention à l’universalité de l’idéologie impériale et mettait en évidence la force victorieuse de l’empire qui assurait au monde romain, paix, administration et jouissance de la culture. L’arc matérialisait la toute-puissance de l’empereur, perpétuel vainqueur et bienfaiteur, qualités rejaillissant alors sur l’ensemble du peuple. Il contribuait aux embellissements urbains au service des citoyens, pratique reprise par les monarques et princes modernes associant propagande politique et urbanisme éclairé.14 Le modèle architectural de l’arc de triomphe a été diffusé également dans les cités des différentes provinces conquises afin de soumettre les esprits de la population locale et leur rappeler la grandeur de l’empereur par les dimensions excessives du monument. L’arc de triomphe représentait une sorte de publicité monumentale dont le message rhétorique était transmit par le biais de bas-reliefs et d’écritures faisant référence directement à l’empereur. Les dimensions gigantesques des arcs renforçaient l’idée de force qu’ils exprimaient. L’arc monumental romain demeure une source d’inspiration pour ceux qui veulent rappeler la gloire passée de l’Empire romain et qui s’en servent comme symbole de la puissance. Un usage inédit des arcs apparaît ainsi au XIX siècle avec les guerres napoléoniennes. L’architecture triomphale ainsi connut un renouvellement sans précédent en Europe. Napoléon fait construire l’Arc de triomphe du Carrousel célébrant les victoires de la campagne d’Autriche de 1805 et puis l’Arc de triomphe de l’Étoile « consacré à perpétuer le souvenir des victoires des armées françaises ». Napoléon ainsi aspirait à l’association avec les empereurs romains. L’utilisation des modèles de la communication de masse utilisée dans Rome Antique par Napoléon était censée glorifier et redonner de la légitimité au nouvel empire français. Les victoires militaires des nations coalisées contre Napoléon suscitèrent des constructions triomphales en retour. En Russie, sur le côté sud de la place du palais d’hiver de Saint-Pétersbourg, haut lieu du pouvoir impérial russe, Alexandre Ier commanda un arc de triomphe, symbolisant la victoire sur Napoléon. L’empire évoqué par les arcs peut s’entendre comme un principat éclairé fondé sur une démocratie directe par l’approbation des soldats ou bien comme un régime monarchique, ou encore évoquer une tyrannie. Tous les 14 Isabelle Rouge-Ducos, Les arcs de triomphe de l’Antiquité au XXe siècle. Essai sur la postérité artistique et idéologique du monument triomphal, Sociétés & Représentations 2008/2 (n° 26), p. 184.


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régimes politiques voulant exprimer leur puissance utilisèrent l’architecture triomphale. Le gigantisme des constructions convenait à la signification de l’ambition politique et culturelle d’un régime et coïncidait avec l’expression de la force impérialiste d’où la présence de ce critère stylistique pour l’arc démesuré envisagé par Hitler à Berlin. Le gigantisme des arcs renforçait l’identification du chef militaire en un demi-dieu.15 OBÉLISQUE Provenant également de l’Egypte antique, les obélisques, tout comme les pyramides, contiennent une dimension rhétorique très forte. Un monolithe vertical pointant vers le ciel est un symbole de puissance par excellence. Dans la tradition égyptienne il représente un rayon de soleil figé - la référence au dieu solaire Rê qui se serait manifesté sous cette forme pour la première fois.16 Tous les quatre côtés des obélisques ont été couverts des hiéroglyphes, faisant l’éloge au dieu Ra et aux Pharaons. Chaque obélisque était personnalisé afin de rendre public les mérites du pharaon et de le rapprocher du Râ. La communication publicitaire des obélisques égyptiens prenait la forme d’un storytelling et transmettait des histoires anecdotiques sur les réussites du pharaon et ses vertus. Si les pyramide possédait surtout la dimension rhétorique d’ethos (par ses matériaux) et de pathos (par son échelle), les obélisques à l’époque égyptienne étaient dotés également de logos rhétoriques. En effet, les hiéroglyphes sur leur surface communiquaient une information précise, tout comme les panneaux de publicité de notre époque. Erigés par paire à l’entrée des temples de l’Egypte antique, certains obélisques ont ensuite été déplacés depuis l’Antiquité. D’abord par les pharaons eux-mêmes puis par les souverains lagides pour orner leurs monuments alexandrins et enfin, emportés hors d’Égypte comme trophées par les empereurs romains et les souverains européens. Bien évidemment, avec un changement de dynastie l’obélisque perdait ses qualités rhétoriques de l’ordre logos. Néanmoins la notoriété de ce monument était telle, que l‘obélisque pouvait être utilisé par des souverains comme trophée. En effet, en déplaçant un obélisque, un souverain démontrait sa supériorité par rapport à celui qui l’avait édifié. C’était surtout une coutume auprès des 15 16

Ibidem, p.194 G. Posener, Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Paris, Hazan, 1988


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Fig.12. Détail de l’Obélisque de Louxor, Paris. Construction: XIIIe siècle av. J.-C. par XIXe dynastie. Installation à Paris: 1836 par Louis-Philippe


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empereurs romains, qui après avoir soumis l’Egypte à son ordre ont commencé à employer les obélisques en les mettant sur de nouveaux forums romains, devant des temples, des mausolées ou pour orner la spina des cirques. Plus tard les souverains européens ont repris cette pratique afin de se servir de la notoriété de ce symbole de puissance égyptienne et romaine. COLONNE COMMÉMORATIVE La colonne commémorative est un monument provenant de la Rome antique, érigé en l’honneur d’un personnage important ou en commémoration d’un événement. Il est possible que la colonne commémorative romaine ait été engendrée par l’obélisque égyptien. En effet, elle semble être son interprétation - un résultat de la recherche d’une nouvelle forme de la commémoration et de démonstration de puissance, sans référence à l’Egypte Antique. Installée sur une place publique, d’une hauteur importante, la colonne est destinée à durer et à impressionner. Son modèle est la colonne Trajane située sur le forum de Trajan à Rome. Tout comme l’obélisque, elle est un symbole de puissance et du pouvoir vertical. Sa surface est dotée d’un bas-relief qui s’enroule en spirale autour de son fût et commémore la victoire de l’empereur Trajan sur les Daces lors des deux guerres daciques. Ainsi les batailles, les interventions et la grandeur de l’empereur sont représentés en forme de « storytelling ». La lecture de ces bas-reliefs a été facilitée par la création des terrasses surélevées et des fenêtres sur les bâtiments entourant la colonne. La colonne rendait donc public les réussites militaires de l’empereur et démontrait son pouvoir par un symbole vertical.17 Durant l’Antiquité, de nombreuses colonnes commémoratives sont construites suivant le modèle de la colonne de Trajane. L’empereur Marc Aurèle fait construire sur le Champ de Mars une colonne à décor en spirale, qui commémore ses deux campagnes contre les Marcomans et les Sarmates. À Constantinople, ont été réalisées plus tard d’autres colonnes spiralées, aujourd’hui détruites, comme la colonne de Théodose, sur le forum de Théodose, et la colonne d’Arcadius, sur le forum d’Arcadius. Les grands monarques et les souverains d’Europe remettent au goût du jour la construction de colonnes commémoratives à partir de la Renaissance, 17 P. J. E. Davies, The Politics of Perpetuation : Trajan’s Column and the Art of Commemoration, American Journal of Archaeology, vol. 101, 1997


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Fig.13. Détail de la frise de la Colonne Vendôme, Paris.


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notamment en Autriche, Allemagne, Angleterre, France, Russie et Italie. À titre d’exemple, Napoléon Ier fait ériger la Colonne Vendôme pour commémorer la bataille d’Austerlitz qui fait la référence directe à la colonne de Trajan. Ses bas-reliefs représentent des trophées et des scènes de batailles. La statue à son sommet représente Napoléon Ier, en Caesar imperator, drapé dans un manteau court et portant pour attributs de sa gloire, le glaive, la victoire ailée et la couronne impériale de lauriers.18 Ainsi Napoléon passait un message rhétorique de pouvoir impérial absolu en se comparant aux grands empereurs romains. En son tour, l’empereur russe Nikolaï I fait construire la colonne d’Alexandre sur la place principale de Saint-Pétersbourg afin de commémorer la victoire des troupes russes de son frère Alexandre sur Napoléon. Elle devait être forcement être plus grande que celle de Vendôme, mais les bas-reliefs ont été aménagés seulement sur la partie basse. Le monolithe de la colonne a été laissé apparent en granite rouge, matériau noble, qui représentait alors le pouvoir impérial. Il est intéressant de remarquer que le premier projet proposé par l’architecte – un obélisque avec des bas-reliefs sur les faces, a été refusé par l’empereur - l’association avec l’empire romain était plus pertinente.

18 V. Bougault, Du haut de la colonne Vendôme , Connaissance des arts. Le patrimoine en France en 2015, no 681, septembre 2015, p. 86-87


Fig.14. Petrus Henricus Theodorus Tetar van Elven, Fête de nuit aux Tuileries, le 10 juin 1867 (fête donnée à l’occasion de la visite des souverains étrangers pour l’exposition de 1867, le Tsar Alexandre II au bras de l’impératrice Eugénie et Napoléon III avec Guillaume Ier de Prusse et le sultan Abdulaziz)


Mise en scène du pouvoir politique

La notion de pouvoir a beaucoup évolué au cours des siècles dans la culture occidentale : de la démocratie grecque aux monarques hellénistiques, de la république à l’empire romain et byzantin, du féodalisme au monarchisme du Moyen Âge et des grandes monarchies européens, et enfin de l’état totalitaire jusqu’à l’état moderne. N’importe quel système politique a besoin d’être représenté. C’est une condition nécessaire à l’affirmation du pouvoir et à la construction de l’image voulue par le régime. Les éléments de représentation, ou les attributs du pouvoir, participent à l’activité politique car ils établissent les rapports entre le peuple et le chef de l’Etat. Jürgen Habermas, dans son ouvrage intitulé « L’espace public », analyse le modèle d’une sphère publique structurée par la représentation. Selon lui, la sphère publique, au sein de la société du Moyen Âge, n’apparait pas comme un domaine propre, séparé d’une sphère privé. En effet, si l’on considère un état comme la sphère de ce qui est public, le pouvoir exercé sur un pays peut être considéré comme un droit privé acquis. Le statut de seigneur, quel que soit son rang, est en soi neutre au regard des catégories publiques et privées. Mais celui qui est le dépositaire représente ce statut publiquement. Il se présente comme l’incarnation d’une autorité supérieure.1 1

J.Habermas, L’Espace public, Payot, 1993, p.22


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Habermas souligne que le déploiement de la sphère publique structurée par la représentation est lié aux attributs du pouvoir. Ceux-ci sont, quant à eux, qualifiés de publics et restent en effet une représentation du pouvoir. Mais comme on le verra par la suite, cela n’est pas toujours le cas. Certains attributs du pouvoir peuvent être considérés comme privés, surtout si leur utilisation ne relève pas de l’intérêt public mais se présente plutôt comme un véhicule de manipulation politique. Le lieu ou l’édifice qui représente l’autorité est l’attribut du pouvoir le plus important. Son essence et ses fonctions sont très différentes en fonction du système politique et de la culture du pays. Ce lieu peut être considéré comme une mise en scène du pouvoir, qui varie selon la nature du pouvoir et l’image que le gouvernant cherche à donner de ses rapports avec les gouvernés. Le pouvoir monarchique magnifie la figure du souverain tandis que le pouvoir républicain veille à respecter les aspirations égalitaires des citoyens. Le problème de la légitimité du pouvoir influence également sa théâtralisation. Le pouvoir héréditaire n’a pas à se soucier de convaincre de sa légitimité, mais de la prouver. Au contraire, le dirigeant arrivé au pouvoir suite à un coup d’état ou à une révolution doit acquérir sa légitimité et l’affirmer. Il en va de même pour les changements de régime politique ou de statut du dirigeant.2 Il n’est pas étonnant que l’architecture soit utilisée comme propos assistant à l’appropriation du pouvoir ou au changement du statut politique. En effet, l’architecture est capable de redéfinir les rapports entre le souverain et le peuple, ainsi que de conforter son autorité. ANTIQUITÉ On peut observer un fort contraste entre l’architecture des régimes politiques en Egypte et en Grèce antique. En Égypte le pouvoir était concentré entre les mains d’une seule personne, le pharaon, et était parfois remis en question. Afin d’affirmer leur pouvoir et de souligner leur supériorité, les pharaons entreprenaient la construction d’ensembles majestueux de temples, qui étaient également les lieux de résidences et d’autorité politique. Ces édifices qui, pour la plupart restaient privés, avaient pour but de diviniser les pharaons en les parant des attributs divins propres au dieu du disque solaire Râ. Cela est particulièrement visible au Temple d’Amon à Louxor construit sous les XVIIIe 2

F.-B. Huyghe, Maîtres du faire croire. De la propagande à l’influence, Vuibert, 2008


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et XIXe dynasties. 3 La démocratie de la Grèce antique, au contraire, supposait l’égalité des citoyens. Les institutions politiques, la Boulè et les Prytanes entre autres, s’installaient sur l’Agora - le centre social et politique des polis grecs. Leurs allures et dimensions, conditionnées par des nécessités pratiques, ne pouvaient jamais prétendre à l’exubérance des temples-palais égyptiens. De plus, la quantité de personnes participantes à la vie politique en Grèce était bien supérieure à celle en Egypte. La concurrence politique en Grèce antique avait cours entre les différents polis - des communautés de citoyens libres et autonomes. Les symboles de puissance politique des polis étaient des monuments dédiés aux divinités grecques. Il s’agissait de temples qui servaient de trésoreries et de lieux de conservation des anciennes reliques, obtenues grâce aux campagnes militaires. Ces édifices représentaient, de par leur statut, une source plus riche de signification fondamentale que des édifices qui ne servaient qu’à la protection physique.4 Le plus implorant d’entre eux est le Parthénon d’Athènes. On observe une grande différence entre l’architecture de la République romaine et celle de l’Empire. Le changement politique, initié par Jules César puis mis au point par Auguste, premier empereur, nécessita d’importantes interventions architecturales, dont la construction du plus grand de forums de l’époque – Forum d’Auguste. Pourtant sa résidence resta modeste. Auguste procéda ainsi à une transition progressive, évitant toute association avec le terme de monarque et clamant que ses pouvoirs étaient authentiquement républicains.5 Ainsi les institutions républicaines furent conservées, et l’empereur considéré comme premier entre ses pairs. PALAIS ROMAIN C’est l’empereur Néron qui fut le premier à affirmer son pouvoir absolu par la construction de Domus Aurea, un immense palais impériale édifié sur le terrain libéré par le grand incendie de Rome de l’an 64. Les bâtiments de la Domus Aurea atteignirent un gigantisme inégalé et extraordinaire. Les voûtes intérieures culminaient à dix mètres de hauteur.

A. Fassone, L’Egypte, Paris, Hazan, 2008 C. Norberg-Schulz, La signification dans l’architecture occidentale, Mardaga, 2007, p.44 5 J.-P. Thuillier, Les empereur de la Rome Antique, éditions Errance, 1996. 3 4


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Fig.15. La hauteur du plafond dans la Domus Aurea, Rome.


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L’historien romain Suétone le décrit ainsi: Dans son vestibule on avait pu dresser une statue colossale de Néron, haute de 120 pieds ; la demeure était si vaste qu’elle renfermait des portiques à trois séries de colonnes, longs de mille pas, une pièce d’eau semblable à la mer, entourée de maisons formant comme des villes, et par surcroît une étendue de campagne où se voyaient des cultures, des vignobles, des pâturages et des forêts, contenant une multitude d’animaux domestiques et sauvages. Dans le reste de l’édifice tout était couvert de dorures, rehaussé de pierres précieuses et de nacre. Le plafond des salles à manger était fait de tablettes d’ivoire mobiles et percées de trous afin qu’on pût répandre sur les convives des fleurs ou des parfums. La principale salle était ronde et tournait continuellement sur elle-même, alternant jour et nuit comme l’univers. Dans les salles de bains coulaient les eaux de la mer et celles d’Albula.6

En homme d’une ambition démesurée, Néron dû lutter de toutes ses forces contre l’immense conjuration politique dressée contre lui. L’architecture était un moyen de démontrer sa supériorité et d’affirmer son pouvoir absolu en impressionnant le peuple romain et en hypnotisant les visiteurs du palais. Néanmoins il fut poussé au suicide par ses adversaires. L’image de sa grandeur était telle que le Senat vota damnatio memoriae, maudissant sa mémoire. L’espace occupé par le palais fut rendu aux Romains et progressivement réaménagé. Remblayée, la Domus Aurea disparut aux yeux des Romains, mais resta involontairement protégée dans les esprits de ceux qui ne l’ont jamais vu ou visité.7 Le nouvel empereur Vespasien créa un vaste jardin public et le forum de la Paix. Sur l’emplacement du lac de Néron asséché il construit le nouvel amphithéâtre Flavien, du nom de la nouvelle dynastie. Il prit ultérieurement le nom de Colisée, en référence à ses dimensions et à la statue colossale de Néron, édifiée à cet endroit et transformée par la suite en statue d’Hélios. En construisant de grands équipements public, les empereurs de la nouvelle dynastie voulurent souligner la primauté des intérêts public et cherchèrent à acquérir une certaine popularité auprès du peuple et du Sénat afin d’approuver leur pouvoir.

Suétone, Vie de Néron, 31 Y. Perrin, La Domus Aurea et l’idéologie néronienne - Le système palatial en Orient, en Grèce et à Rome, Strasbourg, 1987, p. 358-381. 6 7


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Fig.16. La reconstruction de la Domus Augustana. La loge impériale donne sur l’hippodrome Circus Maximus (en bas à gauche)


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LOGE IMPÉRIALE Domitien, le troisième et dernier empereur flavien, inspiré par Domus Aurea, entreprit la construction d’une véritable résidence impériale Domus Augustana. Fonctionnelle mais grandiose, elle occupait la quasi-totalité du Mont Palatin de Rome. En grande partie privé, le palais contenait une immense Aula Regia, salle d’audience des empereurs, qui donc était sa partie publique. 8 L’emplacement du palais et sa configuration étaient stratégiques. Il était doté d’une loge de l’empereur qui donnait sur Circus Maximus, le plus vaste et le plus ancien hippodrome de Rome. Principalement dédié aux courses de chars, le cirque pouvait également être utilisé pour d’autres types de spectacles ou lors des processions triomphales. Cette loge était une façon d’être réuni avec le peuple lors des différents évènements, de se rendre au public tout en étant en position de domination car le palais se situait sur une colline, en hauteur par rapport à l’hippodrome. Ce modèle de mis en scène de pouvoir a été également employé dans le Grand Palais de Constantinople. Néanmoins Domitien fut assassiné et comme Néron, banni de la mémoire collective. Le palais, quant à lui, resta la résidence officielle des empereurs jusqu’à la fin de l’empire romain et inspira, avec Domus Aurea, les constructions vouées à la représentation du pouvoir. Le terme « palais », initialement dérivé du Palatin, désigne désormais toute résidence d’importance. MOYEN ÂGE La fragmentation de pouvoir au Moyen Âge et l’expansion du christianisme modifient les rapports entre le dirigeant et les dirigés. Ainsi, les attributs du pouvoir changent également. Les souverains européens sont obligés d’être baptisés par l’église catholique de Rome afin d’assoir leur pouvoir. L’architecture carolingienne introduit les églises à double chœur symbolisant la complémentarité entre le pouvoir du monarque et celui du pape.9 A son tour, la résidence du monarque est dotée d’une chapelle. L’exemple du palais de Charlemagne à Aix-la-Chapelle en est le témoin le plus remarquable.

M. Royo, Le Palatium de Domitien dans Dossiers de l’Archéologie 2009, p.58 S. Frommel et L. Lecomte, La place du chœur. Architecture et liturgie du Moyen Âge aux Temps modernes, Paris et Rome, Éditions Picard, 2007, p. 300 8 9


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Fig.17. Bologna medievale, Toni Pecoraro, 2012. Une reconstruction speculative de la ville au Moyen Âge


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TOURS MÉDIÉVALES L’instabilité politique du Moyen Âge engendre des phénomènes intéressants. Vers le Xe siècle commence le processus de seigneurialisation: les grands propriétaires et les évêques s’accaparent des fonctions publiques et forment des seigneuries. Au XIe siècle, la charge papale est en décadence, disputée par les familles de Rome et par l’empereur. La querelle des Investitures polarise la société entre Guelfes et Gibelins, surtout sur les terres italiennes. Le concept de banque, tel qu’on le connaît aujourd’hui, apparaît. Dans de nombreuses provinces la forme politique oligarchique se met en place.10 Dans ce contexte apparait une nouvelle forme d’architecture. Les familles faisant partie de l’oligarchie dirigeante, les marchands et banquiers avec des ambitions, se lancent dans la construction de tours. Un phénomène qui va se reproduire, mais à toute une autre échelle neuf siècles plus tard à New York. Les tours des familles nobles dans les villes italiennes du Moyen Âge représentent le moyen de communication le plus spectaculaire de l’époque, une véritable publicité à l’échelle de la ville.Un grand nombre de tours sont érigées entre le XIe et le XIIIe siècle à Bologne, Florence, Gênes, San Gimignano, Pavie, Lucca et même à Rome. Les familles les plus riches, lors de la période de la querelle des Investitures, les utilisent comme instrument de communication de leur pouvoir par rapport aux autres familles de la ville. Ces familles voulaient rendre visible, par leur plus grand nombre, leur puissance en construisant des résidences impressionnantes. Le symbolisme de la hauteur était un signe explicite de puissance et sans doute les tours étaient beaucoup plus hautes qu’ils devaient être pour des raisons défensives. C’était une manifestation de la concurrence entre les hommes qui se disputaient, alors, entre eux, le contrôle des institutions publiques. Les banquiers et les marchands, détenteurs d’une fortune nouvellement acquise, utilisent l’architecture comme moyen de publicité. Chaque nouvelle tour, plus haute que l’autre était un geste pour s’affirmer auprès de l’oligarchie dirigeante. A San Giminiano, par exemple, il y avait 72 tours au point culminant de l’histoire. Aujourdhui on n’en compte que 14.11 L’aspiration verticale est une véritable rhétorique de puissance. Celui qui arrive à construire la tour la plus haute et réussit à la garder intact était effectivement puissant. Des scènes urbaines spectaculaires se présentent aux yeux des habitants de l’époque : des villes de gratte-ciels médiévales. 10 11

K. L. Jansen, J. H. Drell, F. Andrews, Medieval Italy, University of Pennsylvania Press, 2009 C. Jencks, Skyscrapers-Skycities, Rizzoli, 1980, p.57


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Fig.18. La vue depuis « la fenêtre sur l’Europe » de Pierre le Grand, Palais de Peterhof , Saint-Pétersbourg


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CHÂTEAUX L’apparition de la Chevalerie et de la Cour Royale modifie la représentation qui structurait la sphère publique. Les pouvoirs féodaux (l’Eglise, la royauté et les seigneurs) dont dépend directement la sphère publique structurée par la présentation, se décomposent au cours d’un long processus de polarisation. (Habermas page 23.) Mais, comme le souligne Habermas, le noble provincial du Moyen Âge, indépendant, appuyé sur son pouvoir seigneurial, perd sa force de représentation avec la centralisation du pouvoir à la fin de la Renaissance. La sphère publique structurée par la représentation se concentre alors à la Cour du monarque. Par rapport aux fêtes profanes du Moyen Âge ou même de la Renaissance, les activités publiques baroques sont moins soucieuses de Publicité. Tournoi, danse et théâtre se retirent des places publiques vers les dépendances du parc et des rues, dans les salles des châteaux. Le parc attenant au château apparaît aux milieux du XVIIe siècle et se répand rapidement sous l’impulsion de l’architecture du Grand siècle. Le château baroque, bâti autour de la grande salle de fêtes, ainsi que le parc permettent le développement d’une vie de Cour protégée du monde extérieur. L’exubérance de l’architecture baroque et les grandes fêtes de plus en plus privées qui prennent place dans les palais, servent moins le plaisir qu’une démonstration de la grandeur et du prestige de celui qui les ordonnait. A titre d’exemple, Nicolas Fouquet, surintendant des finances de Louis XIV, ordonne la construction du château de Vaux-le-Vicomte. Il y entretient sa propre cour et y donne des fêtes somptueuses. Le château de Versailles, inspiré par Vaux-le-Vicomte, est un exemple encore plus probant de cette théâtralisation de la vie quotidienne. En effet, la chambre royale devient le lieu de véritable spectacle. Le lit est placé sur une estrade surélevée, comme sur une scène. Il est séparé par une barrière du reste de la pièce où se trouve les spectateurs, prêts à assister aux cérémonies du lever et du coucher du Roi. Dans l’étiquette imposée par Louis XIV, le caractère public représentatif atteint le sommet de sa concentration à la Cour. 12 Versailles inspire toutes les Cours européen. Pierre le Grand de Russie entreprend au début du XVIII siècle des reformes drastiques de la Cour, dans le but de modifier son caractère archaïque. Après avoir gagné la guerre contre la Suède et conquis des territoires donnant accès à la mer Baltique, il fonde 12

J. Habermas, ibid., p.22


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l’Empire russe. Il ordonne alors la construction de sa nouvelle capitale – SaintPétersbourg. Il souhaite en réalité modifier la Cour en agissant sur son cadre. Construite de toutes pièces, Saint-Pétersbourg est destinée à devenir une ville de représentation du pouvoir impérial par excellence. Il construit sa résidence, le Palais de Peterhof, sur le bord de la mer Baltique. Sa salle centrale de réception donne sur un canal qui accompagne la vue vers la mer Baltique. C’est le lieu où Pierre le Grand reçoit les monarques européens en leur présentant sa véritable « fenêtre sur l’Europe ». ARCHITECTURE PUBLIQUE L’affirmation du pouvoir impérial par l’architecture est poursuivie par Napoléon III au cours de la deuxième partie du XIX siècle. Suivant les ambitions de son oncle, il entreprend de grands travaux à Paris. A la différence de Napoléon Ier, qui utilisa l’architecture commémorative pour affirmer son pouvoir, Napoléon III s’investit davantage dans les travaux publics. Il offre de nouveaux équipements publics à la ville, sans doute parce qu’il n’avait rien à commémorer. Il ordonne à Haussmann de redessiner la ville de Paris en hiérarchisant les voies afin de la rendre plus prestigieuse et fonctionnelle. Mais cela permet aussi un meilleur contrôle de la ville en cas de révolte. La mise en scène du pouvoir devient ainsi totale. La construction de l’Opéra Garnier illustre l’importance accordée au monde du spectacle, élément de la « fête impériale ». Dotées d’une forte pension officielle, les fêtes et les réceptions grandioses de l’empereur aux Tuileries, à Saint-Cloud ou à Compiègne confèrent aussi à la « fête impériale » un rôle de propagande.13 PROPAGANDE TOTALITAIRE Au vingtième siècle apparaît une nouvelle forme d’autorité – l’état totalitaire. C’est le résultat des révolutions et des changements de système politique. Cette forme de gouvernance a souvent recours à l’architecture afin d’affirmer et rigidifier son pouvoir. Les régimes totalitaires ont en effet accordé une grande place à l’architecture en tant qu’expression visible à la fois du changement et des valeurs des régimes : primauté de la communauté ou de la collectivité sur l’individu, ordre et cohésion autour d’un projet unique. Lénine parle dès 1918, à une époque où il n’était pas encore question de 13

M. Gaillard, Paris au XIXe siècle, F. Nathan, 1981


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totalitarisme, de « propagande monumentale ».14 Le nouveau mouvement artistique, le constructivisme, se manifeste comme l’expression visible de la révolution bolchevique de 1917. Ainsi le Monument à la TroisièmeInternationale de Tatlin, haut de quatre cent mètres, devait être érigé à Petrograd, ancienne capitale. Il était censé devenir un symbole de la modernité, du nouveau système politique, innovateur à l’époque. La tour de Tatline devait abriter les quartiers généraux de l’Internationale communiste - un organisme crée par Lénine afin d’assister les révolutions communistes dans d’autre pays. La tour se présentait symboliquement comme un phare qui été censé guider des peuples internationaux vers une nouvelle utopie socialiste. L’art et l’architecture ne deviennent réellement « totalitaires » en URSS qu’avec l’arrivée au pouvoir de Staline.15 L’Italie fasciste se réfère quant à elle au nouveau style international, comme le montre la réalisation de la Maison du Fascisme de Côme par l’architecte Giuseppe Terragni. Une partie de la façade est pensée comme un écran pour de gigantesques panneaux de propagande fasciste. La construction massive dans les pays totalitaires était une rhétorique en soi. Par la création de nombreux emplois dus aux chantiers en cours, les régimes totalitaristes créent l’illusion de la prospérité et manipulent ainsi l’opinion publique. La plupart des constructions expriment la volonté d’imposer la supériorité du collectif sur l’individu, par une architecture monumentale et la réutilisation du vocabulaire de l’architecture classique. La construction d’édifices grandioses et monumentaux permet aux régimes totalitaires d’exprimer leur pouvoir et leur puissance. Les projets en témoignant sont nombreux : le Palais des Soviets à Moscou, nouveau symbole du communisme, situé près du Kremlin, sur le site de la cathédrale du ChristSauveur, qui fut démolie pour permettre cette construction ; Welthauptstadt Germania - le projet hitlérien de construction d’une capitale monumentale pour le Troisième Reich, qui devait voir la construction de grands bâtiments emblématiques témoignant de la puissance de l’Allemagne et reflétant la vision du monde national-socialiste ; le nouveau quartier de Rome EUR, érigé pour l’Exposition Universelle (annulée) de 1942, qui était pensé comme le nouveau Forum de Mussolini aspirant à la grandeur de l’Empire Romain.

14 J.-L. Cohen, Les Années 1930, l’architecture et les arts de l’espace entre industrie et nostalgie, Éditions du patrimoine, 1997, p. 20. 15 C. O. Хан-Магомедов, Сто шедевров советского архитектурного авангарда, Едиториал УРСС, 2005


Fig.19. La lumière « divine » dans la basilique Saint-Pierre du Vatican


Publicité divine

L’idée de considérer l’architecture et l’art religieux comme objet publicitaire peut sembler étonnante au premier abord. En effet, nous pouvons partir du fait qu’à l’époque de l’expansion du christianisme la notion même de publicité n’existait pas. Pourtant, Marco Vecchia, un théoricien italien, spécialiste de la communication publicitaire, parvient à démontrer, dans son livre Hapu, que la chapelle Sixtine de Michel-Ange, en était un parfait exemple.1 Cette approche rétroactive, avec l’appareil théorique développé dans la première partie, peut également être appliquée à l’architecture. L’objectif sera de comparer les méthodes et techniques que l’architecture religieuse utilise pour provoquer et accroître l’adhésion des personnes aux valeurs qu’elle présente à son assentiment. Nous comprendrons ainsi à quel point l’architecture a un pouvoir d’influencer le comportement et le mode de penser des êtres humains. 1

M. Vecchia, Hapù. Manuale di tecnica della comunicazione pubblicitaria, Lupetti, 2003, p.14


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PUBLICITÉ DIVINE

La création d’une nouvelle religion, comme n’importe quelle nouvelle entreprise, a besoin d’être promue. Son existence et ses principes fondateurs doivent être diffusés et communiqués afin de convaincre et de rassembler. Au moment de la création et de l’expansion du christianisme, les moyens de communication de masse (verbal, visuelle et manuscrite) étaient peu nombreux. A cette époque, la diffusion de livres était réservée à une certaine élite. C’est dans ce contexte que l’architecture se présente comme un moyen efficace de communication, pouvant toucher un nombre plus important de personnes. Chaque époque utilise des techniques architecturales différentes pour convaincre. Nous pourrions dire que le christianisme a permis, à deux reprises, à la civilisation occidentale de perdurer au cours de son histoire. D’abord, lorsque l’Empire romain a été détruit par les tribus barbares. Ensuite, pendant les âges sombres où le monde musulman conquérait l’Europe à une vitesse exponentielle et de nombreuses épidémies dévastantes détruisaient la population.2 Depuis sa création, la religion chrétienne a connu des périodes bien différentes. Chacune de ces périodes pourrait se distinguer par des étapes spécifiques, accomplis par l’église. Dans plusieurs cas, le christianisme s’est servi de l’architecture comme moyen de persuasion et de communication publicitaire. Pour mieux le comprendre, nous allons identifier les moments où l’architecture a accompagné d’importants changements, en fonction du contexte historique de l’époque d’abord. Il est également important de trouver des liens entre ces changements, et enfin d’y instaurer une logique directrice. QUADRIPORTIQUE Les premières églises sont nées sous l’Empire romain. Au départ, le christianisme était interdit et les chrétiens étaient chassés. Après la reconnaissance du christianisme par l’édit de Constantin en 313, la construction des premières églises à plan basilical a été entreprise. Le christianisme a été déclaré religion officielle de l’Empire romain en 392. Durant la christianisation de l’Empire romain, les lieux de culte se sont installés dans les basiliques civiles afin d’éviter l’association avec le paganisme. Les basiliques, plus vastes et plus grandes, pouvaient accueillir la foule de la cité et rassembler les fidèles plus efficacement que les anciens temples. 3 2 3

K. Clark, Civilisation: A Personal View by Kenneth Clark, The Great Thaw, BBC, 1969 G. C. Argan, L’architettura protocristiana, preromanica e romanica, Edizioni Dedalo, 1993.


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La première grande invention de l’architecture paléochrétienne était le quadriportique. Dans les premières églises chrétiennes, il constituait un espace principalement carrée ou rectangulaire, entouré d’un portique le long des côtés intérieurs. Il précède l’entrée sacrée du bâtiment. Il accueille souvent au centre une fontaine pour les ablutions. Cet espace était une véritable mise en scène de la liturgie qui prenait place à l’intérieur de l’église. Nous pouvons rappeler que l’accès aux intérieurs des églises à l’époque n’était autorisé que pour les personnes baptisées. En revanche, les catéchumènes - ceux qui s’intéressaient à la nouvelle religion mais qui n’étaient pas encore baptisés, étaient invités à assister à la cérémonie de la liturgie depuis l’extérieur, dans l’espace du quadriportique. Cette participation au culte, sans engagement réel, était une sorte de persuasion événementielle. En effet, en créant une certaine curiosité due à l’inaccessible, cela donnait envie de découvrir cette nouvelle vision du monde et de participer à ces cérémonies mystérieuses. La publicité pour le christianisme a été créée. Ainsi, en s’ouvrant vers l’espace public, l’église proposait un espace intermédiaire de persuasion. Ceux qui étaient convaincus pouvaient alors adhérer au christianisme, notamment grâce aux fontaines situées au sein de certains quadriportiques, permettant les ablutions. Les premières basiliques romaines dotées de quadriportiques étaient les basiliques Saint-Jean-de-Latran, Saint-Pierre de Vatican, Saint-Paul-horsles-Murs, ainsi que d’autres églises paléochrétiennes moins importantes. Aujourd’hui, elles ont presque toutes été détruites. La Basilique SaintPaul-hors-les-Murs a, elle, été reconstruite après un incendie au XIXe siècle, et n’est donc pas d’origine. L’utilisation du quadriportique a été moins fréquente au fur et à mesure de l’expansion du christianisme. Avec l’augmentation du nombre de fidèles au christianisme, il a été remplacé par le baptistère, un édifice de forme ronde ou polygonale spécialement destiné au baptême par immersion en cuve baptismale. A la fin du VIIIe siècle, Charlemagne entérine une adaptation du baptême catholique, désormais délivré dès l’enfance. 4

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André Gounelle, Le baptême : le débat entre les Églises, Les Bergers et les Mages, 1996


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CHANT GRÉGORIEN Il importe que le chantre soit remarquable par sa voix et par son art, de façon à entraîner les âmes des auditeurs par l’agrément du doux plaisir. Sa voix ne sera pas âpre et sourde mais sonore; elle ne sera pas rauque mais agréable, mélodieuse ; non pas fausse mais juste et nette et capable de tenir les hauteurs du registre ; formant une sonorité et un dessin mélodique qui exerce un ébranlement plus profond chez les auditeurs. 5 — Isidore de Séville, VIIe siècle

Une fois la conversion de la population au christianisme accomplie, il a ensuite été nécessaire d’assurer la compréhension de cette nouvelle religion, et de convaincre les gens de l’existence de Dieu, ainsi que de faire entendre la parole divine. Au début du christianisme, les cérémonies liturgiques se pratiquaient sous forme de rites romains pendant lesquels le prêtre sensibilisait les auditeurs avec un discours. Plus tard, te notamment pendant la renaissance carolingienne, apparaît une nouvelle forme de liturgie, soutenue par Charlemagne. Ce nouveau culte est le chant grégorien, un chant sacré anonyme, destiné à soutenir le texte liturgique. 6 L’idée principale de ce chant était de créer l’illusion de la parole divine, accentuée par l’acoustique spécifique dégagée par l’espace de l’église. Dans les églises romaines, un nouvel élément architectural a été introduit afin de rendre les chanteurs invisibles. Il s’agit de la cantoria, ou tribune des chantres, située au-dessus de la zone d’entrée, dans un espace spécialement réservé. Ainsi, les spectateurs de la messe ne voyaient pas les chanteurs, et avaient l’impression d’entendre un chant qui venait du ciel : une véritable parole divine. Il existait également d’autres configurations de la cantoria, mais le concept restait le même. C’est ainsi que la rhétorique de l’ordre du pathos divin a été mise en place.7 Le rôle des chanteurs, dans le lieu de culte catholique, a longtemps été considéré comme primordial pour faire entendre la parole divine. Le texte et la musique étaient liés selon tradition qui remonte à l’antiquité. Ce dispositif de persuasion a été permis grâce à l’architecture. Tout d’abord par la configuration et l’organisation de l’espace : les positions des prêtres sur la scène, des chanteurs dissimulés, et des spectateurs. Ensuite, par les qualités acoustiques spécifiques qui ont été fabriquées afin de rendre le chant plus impressionnant et résonant. 5 De institutione virginum (577-578), édi. et trad. esp. Jaime Velázquez (De la instrucción de las vírgenes), Madrid, Fundación Universitaria Española, 1979 6 Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes 7 Entrée «Cantoria» dans le Treccani Enciclopedia Online, www.treccani.it (4 fevrier 2017)


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A partir du XIIe siècle, avec l’expansion de l’architecture gothique, l’orgue remplacera la cantoria, et les chanteurs se déplaceront dans la zone du chœur. SCÉNOGRAPHIE DES RELIQUES Aux origines du christianisme, le culte des reliques était profondément influencé par des pratiques et des traditions gréco-romaines, celtiques et germaniques. Ceci vient de la croyance en des pouvoirs des thaumaturges qui seraient contenus dans les objets qui ont été en contact avec eux, et spécialement dans leurs ossements et dans leurs vêtements. La découverte de reliques était considérée comme un événement si important qu’il était parfois commémoré par une fête liturgique spéciale. Le développement du culte des reliques a provoqué l’expansion du pèlerinage-voyage effectué par le pèlerin, vers un endroit de dévotion tenu pour sacré, supposé contenir une communication directe avec une divinité grâce à une relique. Les églises et les cathédrales étaient édifiées afin d’abriter des reliques. Plusieurs monastères servaient de lieu de passage et de refuge lors du voyage du pèlerin. De grandes tours s’érigeaient afin de rendre les églises visibles de loin, et ainsi orienter le pèlerin.8 Les églises se dotant de reliques sont repensées. A l’intérieur, l’architecture devait répondre aux besoins de mieux faire sentir la présence du saint et de ses reliques par deux innovations architecturales du Moyen Age. Tout d’abord, à partir de l’époque carolingienne, par un déambulatoire qui permet aux pèlerins de circuler autour de l’autel principal (et simultanément d’accéder aux autels secondaires, dont chacun possède sa propre titulature et ses reliques). Ensuite, à l’époque romane apparaît la crypte, un espace souterrain qui permet de s’approcher encore plus près de la châsse, autrement invisible.9 A partir du XIIe siècle, les reliques sont de plus en plus fréquemment exposées à la contemplation des fidèles. Ce courant se traduit dans l’architecture gothique par l’adoption d’un espace unifié et mieux illuminé, grâce à la disparition d’un mur plein.10

G. Duby, Adolescence de la chrétienté occidentale, 980-1140, Skira Flammarion, 1984, p. 97 J. Wortley, The origins of Christian veneration of body-parts, Revue de l’histoire des religions, vol. 223, 2006, p. 5-28 10 E. Bozoky et A.-M. Helvetius, ibid, p. 149-157 8 9


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Fig.20. Vitraux narratifs de la Cathédrale Notre-Dame de Chartres, XIIIe siècle


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LUMIÈRE DIVINE Georges Duby, dans son ouvrage « Le Temps des cathédrales », décrit le concept de la théologie de la Lumière sur l’exemple de la basilique Saint-Denis, édifiée par l’abat Surger au XIIe siècle. Il constate que dans l’art gothique, Dieu est lumière. La réflexion sur la lumière pousse l’abat Surger à exploiter la technique de la croisée d’ogives, dans le choeur de l’abbaye de Saint-Denis. L’art gothique donne une nouvelle image de Dieu.11 Dans la théologie de la Lumière, cette dernière est chargée d’une force symbolique. Les vitraux des églises représentent des scènes de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament, de la vie des saints, ou de la vie quotidienne. Ils sont l’équivalent illustré du catéchisme moderne. Au Moyen Age, c’était l’un des moyens d’enseigner à des populations, très souvent illettrées. Lorsque la lumière du ciel passe à travers les vitraux, elle est symboliquement porteuse d’une manifestation divine. Les vitraux sont chargés de transformer la lumière physique en lumière divine, autrement dit de faire entrer la présence divine dans l’église. Les manifestations les plus éclatantes de la théologie de la Lumière apparaissent dans les vitraux de Chartres, ainsi que ceux de Bourges. L’abat Surger crée un nouveau modèle pour la Cathédrale gothique. Lorsqu’il incorpore les deux tours à la façade occidentale de Saint-Denis, il introduit dans l’édifice le principe de verticalité qui, jusqu’à la fin du Moyen Age, oriente l’église vers le ciel. La façade introduira la lumière du soleil couchant à l’intérieur par les façades ajourées des trois portails, ainsi que par une rose disposée au-dessus d’eux, éclairant les trois chapelles hautes. A l’autre extrémité de la cathédrale, au terme de la progression de la liturgie orienté vers le soleil levant, Surger situ le lieu des plus éblouissantes approches de Dieu : le foyer d’irradiation. Il décide de supprimer les murailles et introduit une séquence de chapelles disposée en demi-cercle, en vertu de quoi « toute l’église resplendit d’une merveilleuse lumière interrompue, répandue des plus lumineuses fenêtres ». Surger prend soin de rendre les murs poreux à la lumière du jour. En modifiant la structure des voûtes, il a pu ouvrir des baies, et substituer des piliers aux murs de séparation, et ainsi rendre unie la cérémonie liturgique par le moyen de la cohésion lumineuse. Il était nécessaire que l’irruption lumineuse puisse se diffuser sans obstacle, dans tout l’espace intérieur de l’église, et que l’édifice entier devient ainsi le symbole 11

G. Duby, Le Temps des cathédrales: l’art et la société, 980-1420, Gallimard, 1976


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de la création mystique. Les fidèles devenaient les témoins de l’existence de Dieu grâce à la lumière. En créant le modèle d’une cathédrale gothique grâce à l’avancement technologique de la construction (vitraux narratifs), Surger a créé une nouvelle rhétorique de lumière divine qui comprenait plusieurs techniques de persuasion religieuse. Grâce aux vitraux narratifs, il met en place un véritable storytelling comportant une rhétorique propre à lui-même. 12 A la fin du XIIe siècle, la théologie de la lumière de Surger est étendue dans tout le nord du royaume de France. Son influence rayonne également en Angleterre et en Allemagne. L’expansion de l’art de Saint-Denis accompagne celle de la puissance royale. Quand, dans la première moitié du XIIIe siècle, émerge une nouvelle génération de cathédrales, la théologie de la lumière est plus que jamais utilisée. Les cathédrales nouvelles s’illuminent encore plus, comme en témoignent la Saint Chapelle totalement libérée de cloisons, ou, encore les rosaces, symbole de perfection cosmique. Par ailleurs, une évolution dans la représentation s’avance vers le réalisme, ce qui s’explique par la lutte contre l’hérésie cathare. Cette idée sera poussée encore plus loin par les artistes et les architectes de l’époque baroque, mais d’une façon différente. PERSUASION BAROQUE L’art et l’architecture de la Renaissance, suivant l’époque gothique, faisaient appel à seulement un petit groupe d’humanistes et d’intellectuels, grâce à des moyens comme la géométrie, la perspective et la connaissance de l’antiquité. Il s’agissait donc de persuasion intellectuelle, peu accessible aux plus grands nombres. La vanité de l’église catholique, inspirée de l’antiquité romaine et du paganisme, a bouleversé le monde chrétien. Autour du XVIe siècle, Martin Luther a donné naissance à un autre mouvement chrétien : le protestantisme. Un nouvel antagoniste de l’église catholique est ainsi né. Après la période d’austérité de contre-réforme, de nouvelles techniques de persuasion ont dû être imaginées afin de préserver les fidèles. Une véritable propagande a été entreprises, d›abord en Italie, puis partout en Europe. Ce fut la naissance du baroque. L’architecture du baroque est inséparable de la peinture et de la sculpture, avec lesquelles elle forme un ensemble cohérent et complet. Contrairement à l’art de la Renaissance, le baroque, à travers les émotions, rassemble un public plus large. C’est pour cette raison que ce que nous appelons aujourd’hui baroque, 12

G. Duby, ibid., p.125


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était un véritable art populaire.13 Dans cet art, le spectateur est invité à participer aux manifestations surnaturelles, au lieu de les contempler simplement de l’extérieur. Certaines œuvres impliquent une vision double : la méthode de représentation suggère que l’image du saint s’inclut en entier dans une expérience surnaturelle du spectateur lui-même. Sainte-Thérèse du Bernin, dans son extase, semble flotter dans les airs, ce que ne peut apparaître comme réaliste qu’en admettant un état d’esprit visionnaire chez le spectateur. La source de lumière naturelle de la chapelle est cachée du spectateur, ce qui crée une illusion de voir apparaître la lumière de nulle part. La double vision devient une méthode de persuasion commune du baroque avec un arsenal de techniques illusionnistes, s’appuyant sur la scénographie, la lumière, les expressions, et la gestuelle. Tout était mise en œuvre pour inclure le spectateur dans le mode de la représentation de la divinité. Miracles, événements merveilleux, phénomènes surnaturels se verront donner un air de vraisemblance. Le baroque échappait de la réalité afin de persuader les esprits dans un monde d’illusions. 14 La représentation de ces doubles visions constitue la tentative la plus poussée pour captiver le spectateur, en faisant appel à ses émotions. La technique est celle de la persuasion « à tout prix ». Comme le constate Aristote, l’interprétation des émotions est l’élément de base qui permet à l’homme de persuader. Transmettre l’expérience émotionnelle était justement le principal objectif du baroque. En rhétorique, précise Aristote, les règles de la persuasion, si elles veulent être efficaces, doivent correspondre à des opinions partagées par tous.15 De même, l’artiste baroque répondait aux comportements affectifs du public, et développait une technique rhétorique qui permettait une communication aisée. C’est pourquoi l’artiste de cette époque faisait usage de convention narrative et d’un langage rhétorique de gestes et d’expressions qui peuvent choquer le spectateur d’aujourd’hui. De nouveaux dispositifs architecturaux ont été développés afin de mettre une scène la peinture, la sculpture, et la lumière, dans le but de persuader. MichelAnge, Francesco Borromini, Guarini Guarini, et Bernardo Vittone créent des espaces architecturaux révolutionnaires en introduisant de nouvelles configurations et de nouvelles formes géométriques à l’intérieur de l’église. Seule l’église Saint-Charles-des-Quatre-Fontaines à Rome, de Francesco K. Clark, Civilisation: A Personal View by Kenneth Clark, Grandeur and Obedience, BBC, 1969 R. Wittkower, Art et architecture en Italie 1600-1750, Hazan, 1991, p.150 15 Aristote, La Rhétorique, Edition A. Durand Paris, 1856 13 14


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Fig.21. L’Extase de sainte Thérèse dans l’Église Santa Maria Della Vittoria de Rome, Gian Lorenzo Bernini, 1647 - 1652


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Borromini, laisse une impression inoubliable. Borromini, suivant la leçon de Michel-Ange, a repoussé les limites de l’architecture en déformant des éléments classiques – jusqu’à provoquer des scandales – afin de créer des espaces totales et dynamiques. L’architecture excentrique servait davantage à attirer l’attention, ainsi qu’à persuader. Les coupoles baroques, à titre d’exemple, étaient aussi bien un symbole qu’une construction spatiale. Afin de dominer le cadre urbain et de faire passer leurs messages symboliques, elles apparaissaient beaucoup plus hautes vue de l’extérieur que de l’intérieur.16 Il est intéressant de remarquer que la construction de la nouvelle basilique de Saint-Pierre de Rome a été commanditée après l’achèvement de la coupole de Santa Maria del Fiore de Filippo Brunelleschi. La raison en est simple : le Pape ne pouvait pas admettre que la cathédrale de Florence soit plus haute que la plus importante basilique de Rome. Un trait caractéristique de l’architecture baroque est la théâtralisation. Le Bernin a été connu pour son utilisation novatrice d’éléments classiques, ainsi que de différents médias artistiques, pour créer un effet théâtral dans l’espace. Il combinait la sculpture, la peinture, l’éclairage dramatique, et l’architecture, pour créer une expérience spirituelle transcendante qui visait à remettre les gens dans le droit chemin du catholicisme. Son église Saint-André du Quirinal de forme ovale est une parfaite illustration de sa conviction qu’à travers la théâtralité, l’architecture agissait comme la mise en scène d’une expérience divine. Cependant l’œuvre ultime du baroque et du Bernin est la colonnade de SaintPierre au Vatican, le lieu le plus emblématique du catholicisme. En s’inspirant du concept paléochrétien du quadriportique, Le Bernin propose d’édifier deux grands « bras » dessinés par les colonnades en forme d’ovale, qui représentait pour lui l’expression de la solennité et de la majesté requise en ce lieu. Cette forme géométrique simple contenait un concept bien précis. Elle évoquait les bras maternels de l’église, qui, selon Le Bernin, « entretint les catholiques pour que leur conviction soit encore plus forte, les hérétiques (c’est-à-dire les Protestants) pour qu’ils viennent rejoindre l’Eglise, et les agnostiques pour qu’ils soient illuminés par la vraie foie ».17

16 R. Venturi, D. Scott Brown, S. Izenour, Learning from Las Vegas - Symbolism of Architectural Form, MIT Press, 1977, p.32 17 R. Wittkower, Art et architecture en Italie 1600-1750, Hazan, 1991, p.205


Fig.22. La destruction des tours jumelles à New York par Al-Qaïda en 2001


Destruction de l’architecture comme publicité

— Je le connais votre type, me dit-il. Il s’appelle Érostrate. Il voulait devenir illustre et il n’a rien trouvé de mieux que de brûler le temple d’Éphèse, une des sept merveilles du monde. — Et comment s’appelait l’architecte de ce temple ? — Je ne me rappelle plus, confessa-t-il, je crois même qu’on ne sait pas son nom. — Vraiment ? Et vous vous rappelez le nom d’Érostrate ? Vous voyez qu’il n’avait pas fait un si mauvais calcul.1 Érostrate, Jean-Paul Sartre

La destruction de l’architecture comme un moyen pour se faire de la publicité a ses origines dans l’antiquité. Vers 356 av. J.-C. le temple d’Artémis à Éphèse a été incendié volontairement par Érostrate, qui voulait se rendre célèbre. Puis dans le Rome antique, le fabuleux palais de Néron Domus Aurea a été remblayé démonstrativement par l’empereur Trajan. Ou encore à la fin du XIIème siècle, le sultan Al-Aziz Uthman a voulu démolir la pyramide de Menkaure, il n’y est pas pourtant parvenu. La Révolution française avec la destruction de symboles de royauté et du patrimoine religieux a donné naissance au phénomène de la « propagande par le fait » - une stratégie d’action politique développée par les anarchistes à la fin du XIXe siècle, qui s’associe avec la propagande écrite et verbale. Elle proclame le fait insurrectionnel comme moyen de propagande le plus efficace et vise à sortir du terrain légal pour passer d’une période d’affirmation à une période 1

J.-P. Sartre, Nouvelle Érostrate dans « Le Mur », Alger républicain, 1939


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Fig.23. La démolition de la Bastille en 1789

d’action. Les actions de propagande par le fait sont destinées à attirer l’attention et à provoquer une prise de conscience populaire.2 Détruire un bâtiment pendant la guerre est considéré comme quelque chose de « normal ». Détruire un bâtiment pendant un temps de paix est un geste militant. La rhétorique de la terreur est forte et violente. Elle touche les sentiments les plus profonds, les instincts de base et de survit. Elle permet de prendre conscience de la pure contingence de la vie, tel le propos décrit dans l’existentialisme de Jean-Paul Sartre.3 Pour être publicité, le geste de la destruction doit prendre une dimension symbolique, il est donc important qu’il n y ait pas de vraie raison matérielle. La condition de paix est cruciale – elle permet de créer un contraste entre le bien vivant et la geste destructif avec relativement peu de moyen. Si la construction de l’architecture est un processus long et couteux, sa destruction est un événement dont l’effet est immédiat. Il ne nécessite pas beaucoup de ressources matérielles et humaines. C’est pour ca que ceux qui ne peuvent pas se permettre de communiquer par des moyens conventionnels optent pour les actions de propagande par le fait. 2 3

C. Beuvain et. all, Révolution, lutte armée et terrorisme, tome 1, L’Harmattan, 2006 J.-P. Sartre, La Nausée, Gallimard, 2007 (1938)


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Fig.24. La destruction de la Colonne Vendôme à Paris en 1871

La destruction de l’architecture symbolique crée une résonance sur tous les niveaux de la société et provoque un effet médiatique durable. L’organisme derrière la destruction attire une attention immédiate du public. Il communique son existence et ses valeurs d’une manière militante. Les récits et les images de destruction circulent et provoquent des réactions qui entrent dans la mémoire collective. La démolition de la Bastille était un acte militant crucial pour communiquer le point culminant de la Révolution Française. La prise de la Bastille par le peuple en 1789 n’aurait pu être qu’un événement sans lendemain si la vieille forteresse n’avait pas disparu rapidement du paysage parisien. De nombreuses destructions du patrimoine religieux sont entreprises pour revendiquer le nouveau pouvoir national. La Commune de Paris en détruisant en 1871 le Palais de Tuilerie, symbole de la monarchie, marque le moment d’écœurement de la population française envers un régime politique autoritaire. La destruction de monuments associés avec le monarchisme par la Commune était une rhétorique politique sensée à promouvoir les valeurs républicaines parmi la population de Paris.4 4

B. Tillier, La Commune de Paris, Champ Vallon, 2004


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Fig.25. La destruction du siège de Los Angeles Times en 1911

Au début du XXème siècle, la première compagnie de communication par la destruction d’architecture a été lancée. A cette époque aux Etats-Unis l’existence de l’Association internationale des ouvriers des ponts, ornements et structures métalliques était menacée par un puissant groupe de propriétaires d’entreprises possédant d’importantes relations politiques. Des dirigeants syndicaux désespérés se sont tournés vers la destruction de l’architecture industrielle pour lutter contre les puissants dirigeants qui ne voulaient pas respecter les droits des ouvriers. À partir de 1906, une campagne de dynamitage a été lancée. Son but était d’attirer l’attention et d’amener les entreprises à la table des négociations, et non de détruire des plantes ou de tuer des gens. Entre 1906 et 1911, les ouvriers ont fait sauter 110 ouvrages en fer, mais seulement quelques milliers de dollars de dommages ont été causés. Le plus connu entre eux est la destruction du siège de Los Angeles Times en 1911, dont le rédacteur menait une campagne médiatique intensive contre les syndicats des ouvriers. De nuit, une explosion massive a détruit le bâtiment et tué 21 personnes dans le centre-ville de Los Angeles. Cet évènement a été appelé le «crime du siècle» par the Times.5

5 H. Shapiro, The McNamara Case: A Crisis of the Progressive Era, Southern California Quarterly, vol. 59, no. 3, 1977, pp. 271–287.


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Fig.26. L’incendie du Reichstag à Berlin en 1933

RÉGIMES POLITIQUES Certains régimes politiques autoritaires ont eu recours à ce type de communication, souvent, au début de leur ascensions au pouvoir. L’Incendie du parlement allemand (Reichstag) en 1933, une semaine avant les élections législatives voulues par Hitler, est considéré par de nombreux chercheurs comme une mise en scène orchestrée par les nazis. Présenté par eux comme le signe avant-coureur d’un vaste complot communiste, l’événement a servi de prétexte pour un décret exceptionnel qui a suspendu les libertés individuelles et a engendré des répressions dirigées contre les communistes allemands. Ce décret, qui marque la fin de la démocratie allemande, est resté en vigueur jusqu’en 1945.6 En Union Soviétique un autre type de rhétorique militante s’est formé : celui de la destruction des églises. En reprenant littéralement la citation de Karl Marx « La religion est l’opium du peuple » les communistes russes ont lancé une propagande antireligieuse contre l’Église orthodoxe russe, l’un des piliers 6 C. Baechler, L’Allemagne de Weimar, 1919-1933, Fayard, 2007


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Fig.27. Tirs de feu au bâtiment du Parlement russe en 1993

de l’ancien régime. En 1931 la Cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou est dynamitée afin de construire à sa place un nouveau palais des Soviets. L’église du Sauveur-sur-Sennaya à Saint-Pétersbourg et de nombreuses autres églises sont ainsi détruites. Au total pendant l’époque soviétique des dizaines de milliers d’églises et environ mille monastères ont disparus. Après la dissolution de l’union soviétique, le nouveau président russe Boris Eltsin se retrouve dans un conflit constitutionnel avec le Congrès des députés du peuple. Il déploie dix chars devant le bâtiment du Parlement russe et commande des tirs de feu - le bâtiment est immédiatement enflammé. Ce spectaculaire aboutissement d’une crise, véritable performance théâtrale, met fin à toute la structure du pouvoir soviétique, qui existait depuis 1917. Cette rhétorique de la terreur a permis à Eltsin de mettre en place un système politique dans lequel tout le pouvoir est concentré dans les mains du président.7

7 А. Н. Тарасов, Провокация. Версия событий 3-4 октября 1993 г. в Москве. М.: Центр новой социологии и изучения практической политики «Феникс», 1993


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Fig.28. Explosion de la cathédrale SvetaNedelja de Sofia en 1925

Fig.29. Déstruction de l’hôtel King David à Jérusalem en 1946

GROUPES TERRORISTES A l’instar des régimes politiques, des groupes de terroristes ont entrepris de nombreux actes de violence visant l’architecture représentative afin de communiquer leurs points de vue et de revendiquer leurs valeurs. L’explosion de la cathédrale Sveta-Nedelja de Sofia, perpétré en 1925 par des membres du Parti Communiste Bulgare, est l’acte terroriste le plus meurtrier qu’ait connu le Royaume de Bulgarie. Il se déroule pendant les funérailles d’un général assassiné deux jours auparavant par des bolcheviks. En conséquence le dôme principal de la cathédrale tombe sur l’assemblée provoquant la mort de cent cinquante personnes, dont de nombreux hommes politiques et officiers supérieurs.8 En 1946 l’hôtel King David est détruit à Jérusalem par l’organisation extrémiste juive l’Irgoun visait les autorités britanniques qui défendaient les intérêts de la Palestine.9 8 Wikipedia, Attentat de la cathédrale Sveta-Nedelya, consulté le 27 janvier 2017 9 Wikipedia, Attentat de l’hôtel King David, consulté le 27 janvier 2017


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Fig.30. Le portique médiéval détruit de l’Église San Giorgio in Velabro à Rome

Fig.31. La déstruction de la gallerie d’art contemporain à Milan par la mafia italienne en 1993

En 1983 les Quartier généraux américain et français sont détruits à l’aéroport international de Beyrouth par le Mouvement de la révolution islamique libre. Puis une voiture chargée d’explosifs détruit l’ambassade américaine causant l’onde de choc qui se propage à plusieurs kilomètres de l’épicentre. L’attentat est revendiqué par le groupe Djihad islamique.10 Entre 1992 et 1995, des membres de la scène black métal norvégienne ont organisé une vague d’incendies criminels contre des vieilles églises chrétiennes médiévales. En 1996, il y a eu au moins 50 attaques et destructions de l’héritage religieux en Norvège. En 1993, en Italie, le clan mafieux Cosa Nostra organise une série d’explosions visant la destruction partielle du patrimoine architecturale et culturel. Un attentat endommage la Galerie des Offices à Florence, un autre détruit le portique médiéval de l’Église San Giorgio in Velabro à Rome, et le troisième explose la gallerie d’art contemporain à Milan. Ces événements font partie d’une campagne militante échouée pour forcer l’État à relâcher le régime pénitentiaire sévère pour les gangsters condamnés. 11 10 L’attentat du Drakkar au Liban en 1983, sur nouvelObs.com, 13 Juillet 2008 11 G. Pipitone, Trattativa Stato mafia, PM in aula, IlFattoQuotidiano.it, 26 Septembre 2013


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Fig.32. La déstruction du bâtiment fédéral Alfred P. Murrah dans le centre-ville d’Oklahoma City en 1995

En 1993, une voiture piégée explose sous la tour Nord du World Trade Center, à New York, dans l’intention de faire basculer la tour Nord sur la tour Sud, afin de détruire ainsi le complexe et de tuer des milliers de civils. Malgré l’échec, ce sera l’un des premiers attentats organisé par Al-Qaïda. 12 En 1995, un sympathisant du Mouvement des miliciens, une mouvance anarchiste américaine, détruit à l’explosif le bâtiment fédéral Alfred P. Murrah dans le centre-ville d’Oklahoma City. L’attentat est programmé pour coïncider avec le deuxième anniversaire du siège de Waco, résidence d’une secte religieuse, exécuté par le gouvernement fédéral.13 En 1998, les attentats à l’encontre des ambassades américaines en Afrique se déroulèrent à Nairobi, au Kenya, et à Dar es Salaam, en Tanzanie. Ces attaques-suicides dont les auteurs étaient liés à des membres locaux d’Al-Qaïda, apportèrent à Oussama ben Laden une attention particulière, notamment de la part des États-Unis qui le placèrent dans la liste des dix fugitifs les plus recherchés du FBI.14 12 Wikipedia, Attentat du World Trade Center en 1993, consulté le 27 janvier 2017 13 Wikipedia, Attentat d’Oklahoma City, consulté le 28 janvier 14 Wikipedia, 1998 United States embassy bombings, consulté le 28 janvier


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Fig.33. La déstruction de trois grandes statues de Bouddhas en Afghanistan en 2001 par les talibans

En 1999, une série de cinq attentats se déroulèrent dans plusieurs villes en Russie contre des immeubles d’habitations. Ces attaques commises à l’explosif et à la voiture piégée ont été officiellement attribuées par les autorités russes à des indépendantistes caucasiens qui voulaient se manifester suite au conflit en tchétchénie. Cependant, plusieurs observateurs indépendants prétendent que les autorités russes auraient organisé ces attentats pour justifier l’invasion du Daghestan et le déclenchement de la Seconde guerre de Tchétchénie.15 En 2001, à Bâmiyân en Afghanistan, trois grandes statues (la plus haute mesurant 53 m) de Bouddhas datant du Ve siècle, inscrites au Patrimoine mondial de l’UNESCO, sont dynamitées par les talibans. Cette destruction est le résultat de l’envoi de la police religieuse saoudienne en Afghanistan pour aider le nouveau gouvernement des talibans à former leur police de répression du vice et de promotion de la vertu. Après la destruction, le leader afghan se rend public et déclare qu’il était « fier de tous les talibans qui avaient participé à la destruction de cette horreur impie synonyme d’une religion pour dégénérés. »16 15 Wikipedia, Attentats en Russie en 1999, consulté le 30 janvier 16 G. Véron, La face cachée des bouddhas de Bamiyan , CNRS, no 222-223, juillet-août 2008


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Fig.34. La déstruction d’une aile du Pentagone à Washington en 2001 par l’Al-Qaïda

Le 11 Septembre 2001 deux avions sont projetés sur les tours jumelles du World Trade Center à New York et un troisième sur le Pentagone, siège du Département de la Défense à Washington, tuant toutes les personnes à bord et de nombreuses autres travaillant dans ces immeubles. Les deux tours, symbole du capitalisme américain, s’effondrent moins de deux heures plus tard. Les événements du 11 septembre ont été vécus presque en temps réel par des centaines de millions de téléspectateurs à travers le monde et ont provoqué un choc psychologique considérable, les images de l’avion heurtant la deuxième tour du World Trade Center ainsi que celles de l’effondrement complet en quelques secondes des deux tours du WTC ayant été diffusées en direct.17 Un spectacle traumatisant, plus fort que n’importe quel construction ou publicité, c’était un moment ou plusieurs personnes se sont rendu compte de l’existence d’Al-Qaïda, l’organisateur des attaques. C’était probablement la publicité la plus spectaculaire pour un groupe terroriste.

17 Wikipedia, September 11 attacks, consulté le 30 janvier


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Fig.35. La déstruction de l’antique ville de Palmyre par l’Etat Islamique

En 2015, le monde est secoué par la progression de l’État islamique qui produit les destructions volontaires de ruines antiques en Irak et en Syrie. Apres avoir conquis l’antique ville de Palmyre, patrimoine mondial de l’UNESCO, l’État islamique entreprend la destruction de vestiges imposants avec le temple de Baalshamin, celui de Baal, 18 puis sept tours funéraires, dont trois qui étaient particulièrement bien conservées. L’Arc triomphal et des colonnes, vestiges pourtant non reliés au culte, sont également détruits.19 La destruction du patrimoine est utilisé par l’Etat Islamique comme véritable campagne publicitaire ou propagande religieuse afin d’attirer l’attention et sensibiliser ceux qui pourraient joindre le nouveau califat pour mener la guerre sacrée. La propagande par le fait est devenu l’arme principale de l’État islamique. Son expansion inédite pour un groupe terroriste a été rendue possible grâce à cette stratégie.

18 À Palmyre, le temple de Baal a bien été détruit par l’EI, Le Monde, 1er septembre 2015 19 Daesh poursuit sa destruction de Palmyre, Le Point avec AFP, 4 septembre 2015



Fig.36. Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple, 1830


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La Nation comme souveraineté ultime du pouvoir a été imposée par la Révolution française en 1789. C›était Emmanuel Sieyès parmi les révolutionnaires qui l’a théorisée et fait mettre en pratique, que ce soit par la République, le Consulat ou l’Empire. « Le titulaire seul est changé. La souveraineté qui appartenait au Roi passe à la nation », où selon l’article 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 « elle réside essentiellement ».1 Le concept d’«État nationale» désigne la juxtaposition d’un «État» à une «Nation». Il apparaît comme l’évolution de l’«État princier» dont la conception politique principale est l’existence de la souveraineté princière comme pouvoir en dernier ressort. L’État national reprendra le concept de souveraineté mais soustraira celle-ci au profit de la Nation. Cependant comme on l’a vu dans le chapitre précédent, le changement de concept n’a pas changé la scène politique, et le principe national s’est affirmé plutôt comme un nouveau moyen de légitimation du pouvoir. En effet, dès sa naissance, il a été verrouillé dans son expression : « il n’y a pas de différence entre la volonté nationale et celle de ses représentants. ». 2 En outre, l’état national a introduit la propagande nationaliste, nouveau sentiment répandu parmi les philosophes depuis le début du XIXème siècle. L’évolution du nationalisme au XXème siècle échappa à ses prévisions.

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G. Lescuyer, Histoire des idées politiques, Dalloz, 1994. p. 328 M. Albertini, L’État national, 1960, traduction française: Fédérop, 1978


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De nombreuses stratégies vont être mises en place pour glorifier la nation, dont plusieurs par l’intermédiaire de l’architecture. Les constructions des expositions universelles marqueront de nombreuses capitales mondiales dans le but d’exposer leurs savoir-faire technologiques. Les équipements publics et culturels comme les musées ou les bibliothèques vont rendre hommage à la culture des pays. Les villages olympiques des équipements sportifs vont impressionner des millions des personnes lors des Jeux. Enfin, les aéroports et les infrastructures d’envergure marqueront les esprits comme des portes d’entrée sur le territoire. EXPOSITIONS UNIVERSELLES La première exposition universelle se tient à Londres en 1851. Née du modèle français de l’Exposition nationale périodique qui a été inventée sous la Révolution française en 1798, c’est le résultat de la compétition économique et politique de pays qui témoigne de leur croyance commune au progrès. Depuis son origine, l’Exposition universelle est une extraordinaire collection de mises en scène nationales. Pour les expositions à Paris, jusque dans les années 1870, la plupart des stands étaient rassemblés sous la voûte d’une gigantesque ellipse occupant la plus grande partie du Champ-de-Mars. L’exposition parisienne suivante, en 1878, met en place une « Rue des nations », qui identifie chaque pays par des portiques distincts. Enfin, à partir de l’exposition de 1889 apparaît le concept du « pavillon national ». Dès lors, c’est un concours incessant entre les grandes et les petites puissances. 3 Les gouvernements en place au moment de la tenue de l’Exposition font tout pour en faire une opération de propagande à leur avantage. C’est le cas pour le Second empire, qui s’exhibe en jeune régime moderniste en 1855. Dans ce but, Napoléon III organise les travaux les plus ambitieux pour l’agrandissement du Louvre. Un énorme effort est requit pour que le gros œuvre du nouveau palais soit terminé au début de l’exposition. 4 Le Louvre tel qu’on le connaît aujourd’hui est née de cette publicité du nouveau régime politique en place. Dès la première exposition universelle, les gouvernements s’aperçoivent que derrière l’enjeu technologique se profile un enjeu politique. En démontrant Ory P., Les expositions universelles de Paris, Paris, Ramsay, 1982 E. Jacquin, La réunion du Louvre aux Tuileries, p. 220-239 dans « Louis Visconti 1791-1853, Délégation à l’action artistique de la Ville de Paris», Paris, 1991 3 4


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son savoir-faire industriel, le pays accueillant l’exposition montre son avance et sa supériorité sur les autres puissances mondiales. Le premier bâtiment représentatif en fonte et en verre, le Crystal Palace, a été construit en vue de l’exposition universelle de Londres en 1951 qui marqua le sommet de la puissance britannique de l’époque victorienne. Lors de l’Exposition universelle de Philadelphie en 1876 les ingénieurs américains Clark et Reeves imaginent un projet de tour de 300 mètres de hauteur. Faute de financement, ce projet ne voit pas le jour. À partir d’une idée émise aux États-Unis, l’ingénieur français Sébillot et l’architecte Jules Bourdais conçoivent un projet de « tour-phare » en granit, haute de 300 mètres. Cette tour, concurrente de celle de Gustave Eiffel, connaît plusieurs versions, mais ne sera jamais construite. Enfin en 1889 la tour Eiffel, conçue comme le « clou de l’Exposition se tenant à Paris », salue le centenaire de la Révolution française et donc de l’état national.5 Le Grand Palais, La galerie des machines et d’autre édifices importants ont été érigé également pour démontrer le savoir faire technologique de la nation. L’Union Soviétique se présente publiquement pour la première fois en 1925 lors de l’Exposition Internationale des Arts décoratifs de Paris avec le pavillon dessiné par Konstantin Melnikov. Il était constitué d’un agencement de toits à pente unique de différentes tailles et a été accueilli comme l’une des réalisations les plus novatrices de l’Exposition.6 En 1937 lors de L’Exposition universelle à Paris se confrontent deux pouvoirs totalitaires: le pavillon du IIIe Reich, surmonté d’un aigle énorme, fait face au dynamique, presque agressif, pavillon de L’URSS que domine un gigantesque couple musclé brandissant une faucille et un marteau. La Foire internationale de New York de 1939 intitulée «Le monde de demain» a été l’une des plus grandes Expositions universelles de tous les temps. Elle poussera à l’extrême l’architecture commerciale publicitaire. Les édifices de l’exposition évoquaient autant que possible par leur aspect extérieur leur futur emploi. Le meilleur exemple – le pavillon de National Cash Register, se présentait en tant que la caisse enregistreuse la plus monumentale du monde. L’Union Soviétique, à son tour, s’est manifestée comme « maître de l’acier inoxydable ». 7 Cette exposition témoignera également d’une nouvelle tendance : la construction de pavillons par de grandes entreprises, comme Ford C. de Bures, La tour de 300 mètres, Lausanne, André Delcourt, 1988 С.О. Хан-Магомедов., Константин Мельников, M, p.102, 2006 7 Le livre des expositions universelles 1851-1989, Union Centrale des Arts Décoratifs , 1983, p.161

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Fig.37. Le pavillon allemand d’Albert Speer fait obstacle au pavillon soviétique de Boris Iofane en 1937 à Paris


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ou RCA (Radio Corporation of America), qui, elles aussi, vont profiter de l’événement pour se faire de la publicité. Après la deuxième guerre mondiale la tendance continuera lors de l’Expo 58 de Bruxelles. Le Pavillon Philips dessiné par Le Corbusier et Iannis Xenakis restera dans l’histoire comme l’un des meilleurs exemples de la publicité tridimensionnelle. La construction s’élevait comme un « cluster » de neuf paraboles hyperboliques où la musique et le poème électronique d’Edgar Varèse par exemple, ont été diffusés spatialement par des projecteurs sonores utilisant des cadrans téléphoniques. L’Exposition universelle de Bruxelles de 1958 fut l’événement historique sensé transformer et glorifier la nouvelle capitale de la Communauté Économique Européenne, instaurée en 1957 par le traité de Rome, future Union Européenne. L’Exposition universelle de 1970 à Osaka marque la réhabilitation morale et économique du Japon d’après-guerre – le miracle qui a fait de cette nation le pays le plus riche après les États-Unis. 8 Pour cette occasion, Kenzo Tange dessine « Le Grand Toit » - le plus grand cadrant spatial du monde qui orne l’énorme statue du soleil de Taro Okamoto. Les pavillons nationaux formaient une parade d’ icônes - bienveillantes, populaires et compétitives: de véritables vitrines des nations exposées. 9 Le Comité d’Organisation de l’exposition a éliminé toutes les restrictions en ce qui concernait les pavillons corporatifs, encourageant les participants à s’exposer de manière aussi individualistes et expressionnistes que possible. Ainsi des publicités tridimensionnelles impressionnantes émergent pour Fuji, Pepsi, Rioch, Hitaci et Toshiba. En conséquence, les queues pour les pavillons corporatifs étaient plus longues que pour les pavillons nationaux. 10 L’Expo ‘70 voit émerger les réalisations les plus représentatives des idées du mouvement métaboliste et est probablement l’exposition la plus innovante jamais organisée. Les perturbations économiques des années soixante-dix feront craindre une interruption définitive après Osaka. Il a fallu surmonter le scepticisme récurrent des acteurs décisifs, qui auraient R. Koolhaas, H.-U. Obrist, Project Japan. Metabolism Talks, Tachen, 2011, p.507 Ibidem, p.511 10 Ibidem, p.535 8 9


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Fig.38. La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de 1936 sur la stade olympique de Berlin


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pu estimer cette manifestation comme désormais obsolète. 11 Pourtant, en 1992, après de nombreuses expositions spécialisées, la même formule est reprise pour la célébration du 500e anniversaire de la découverte de l’Amérique à Séville. Les expositions internationales et universelles continuent à servir de publicité pour les états, les nations et les grandes firmes internationales. JEUX OLYMPIQUES Originellement tenus dans le centre religieux d’Olympie, dans la Grèce antique, les Jeux ont été réinstaurés par Pierre de Coubertin en 1894 avec la fondation du Comité International Olympique. Des compétitions artistiques prenaient aussi part aux Jeux Olympiques modernes durant ses premières années, de 1912 à 1948, mais elles furent abandonnées en 1954. Des médailles étaient décernées à des disciplines artistiques, dont l’architecture et l’urbanisme. Le stade olympique d’Amsterdam, construit par Jan Wils, un architecte du mouvement De Stijl y a, par exemple, reçu la médaille d’or en 1928.12 L’accueil des Jeux olympiques est vécu comme un événement prestigieux créant une opportunité afin de promouvoir l’image du pays ainsi que celle de la ville.13 D’après les études menées, ils ont un impact économique et social positif sur les villes et les pays hôtes, ce qui est perçu comme un investissement pour le futur. 14 Quant au financement des Jeux Olympiques et de la construction des équipements sportifs, c’est la ville hôte qui est chargée de trouver des fonds de manière à ce qu’ils soient conforme à la Charte olympique établie par le Comité. Le potentiel de la télévision et celui de la publicité sont largement employés. En effet, l’importante croissance des médias de masse a apporté aux Jeux des sources de financement considérables à partir des années soixante. 15 La construction des équipements sportifs est le point crucial de P. Ory, Les Expositions universelles, de 1851 à 2010 : huit fonctions de la modernité, 2010 B. Kramer, In Search of the Lost Champions of the Olympic Art Contests, Journal of Olympic History, vol. 12, no 2,‎ mai 2004, p. 29–34 13 Pierre Lagrue, Le Siècle Olympique. Les Jeux et l’Histoire, Encyclopædia Universalis, 2012 14 A.K. Rose, The Olympic Effect, The Economic Journal. Spiegel MM, 2011, pp. 652–677 15 A. Cooper-Chen, Global Entertainment Media: Content, Audiences, Issues, Routledge, 2005, p. 231 11 12


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Fig.39. Le Parc olympique de Montréal: L’«éléphant blanc» et les pyramides derrière, 1976


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l’organisation des Jeux Olympiques. C’est l’architecture qui devient le visage de l’événement et du pays. Elle nécessite donc une attention particulière. Dans ce but sont construits de majestueux quartiers et des équipements sportifs, authentiques lieux d’éloquence. Le pôle principal gravite autour du grand stade olympique, qui devient le porte-drapeau de l’événement. C’est le bâtiment le plus important qui reçoit les cérémonies d’ouverture et de fermeture – véritables One Man’s Show pour la nation. En effet, au cours du XXème siècle des stades de plus en plus exubérants ont été construits pour les Jeux Olympiques, afin d’ attirer plus d’attention et, ainsi, promouvoir l’image du pays. Le révolutionnaire Yoyogi National Gymnasium imaginé par Kenzō Tange pour les jeux olympique de Tokyo en 1964 a marqué l’architecture olympique. Construit pour abriter les épreuves de natation, il est remarquable par la forme de son toit en suspension. Le concept du bâtiment inspira Frei Otto pour les bâtiments des Jeux Olympiques de 1972, à Munich. Une véritable toile en verre a été inventée pour couvrir presque la totalité des équipements sportifs. Une attention particulière a été aussi donnée au Village Olympique. Ainsi un ensemble impressionnant a été érigé pour marquer le contraste entre l’Allemagne de l’Ouest et de l’Est. Le Parc olympique de Montréal construit pour les Jeux Olympiques de 1976, à l’instar de Olympiapark de Munich, se distingue par son architecture exubérante. Le Stade principal avec la tour inclinée la plus haute du monde, demeure un édifice controversé, perçu à la fois comme un chef-d’œuvre d’architecture et comme un « éléphant blanc ». Le village olympique est composé de deux hauts bâtiments en forme de pyramide. Le contraste frappant entre les pyramides et les formes organiques des équipements sportifs attire beaucoup d’attention. L’ensemble provoque des associations très particulières qui sont facilement mémorisées. 16 Après la période d’instabilité économique des années soixante-dix et quatrevingt, d’autres constructions d’envergures ont été érigées afin de glorifier les nations lors de l’événement. Tel en est l’exemple du Stade olympique de Nagano construit en 1998 en forme de fleur, ou encore la collaboration entre Herzog & de Meuron et Ai Wei Wei pour le Nid d’Oiseau des Jeux Olympique tenus à Pékin en 2008.

16 C. Phaneuf, L’ingérieur du Stade Olympique, raconte le projet du Parc des Sports tel qu’imaginé par le Maire Jean Drapeau. sur www.stadeolympiquemontreal.ca (consulté 10 février 2017)


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L’organisation des Jeux Olympiques peut être considérée comme la campagne publicitaire la plus dense et intense imaginable et, en plus, à l’échelle la plus gigantesque. Pendant deux semaines l’événement et les équipements sportifs représentant la nation sont diffusés sur les chaînes de télévision et sur internet dans tout les pays du monde. Ceux qui viennent en personne à l’événement séjournent dans d’ impressionnants quartiers glorifiant la nation qui n’échappent pas à l’œil. CITY MARKETING L’ économie des villes a complètement évolué pendant les dernières décennies, en particulier en occident. D’abord, le déplacement de grandes industries dans les pays en voie de développement a délocalisé la production des biens matériels. Puis, grâce à l’émergence des compagnies aériennes low-cost comme Easy Jet et Ryanair, les voyages à longue distance sont devenus beaucoup plus accessibles. La globalisation, qui s’est développée grâce à une nouvelle logistique et aux technologies de l’information, a entraîné une croissance des villes tellement importante que elles sont devenues plus importantes que des pays. 17 Aujourd’hui, l’économie des métropoles est dominée par le secteur des services, en particulier celui du tourisme et des loisirs. Contrairement à la production industrielle, le secteur des services est beaucoup plus flexible et adaptable. Il représente une économie immatérielle qui peut se déplacer d’un point à l’autre à la vitesse d’un avion. Ce phénomène fait que les villes se trouvent face à une compétition toujours plus croissante dans le but d’attirer des personnes du monde entier et à les inciter à dépenser. Le développement des villes en tant que « produit commercialisable » a entraîné une concurrence entre elles en ce qui concerne les investissements et le financement public afin d’encourager certaines activités à y avoir lieu. Cette compétition se manifeste souvent par des tentatives de modification de l’aspect de la ville pour encourager le tourisme, attirer la migration des résidents ou permettre la relocalisation des entreprises. Dans ce contexte, le développement de La Défense en tant qu’ un «Manhattan sur Seine» visait explicitement à attirer des bureaux d’entreprises de villes concurrentes telles que Londres, New York et Bruxelles. La mondialisation a 17 Produit intérieur brut de Paris est plus grand que celui des Pays-Bas. Banque Mondiale, « Gross domestic product 2011 »


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engendré une concurrence entre les villes sur trois niveaux : régional, national et international. 18 Cette réflexion permet de comprendre les vrai rasions de la constriction de la Grande Arche de La Défense. En dehors de la compétition avec d’autres métropoles, il fallait d’abord attirer les populations du centre ville de Paris. C’est alors que se construit pour la promotion de ce nouveau quartier une arche géante mais fonctionnellement inutile et que se mettent en place des aménagements ambitieux. Pour attirer de grandes entreprises à s’installer dans la banlieue parisienne, il a fallu créer un nouveau pôle avec sa propre identité, assuré par le gigantisme. Enfin, grâce à son échelle, La Défense est le seul exemple où la charte d’Athènes et les principes urbains modernistes ont réellement fonctionnés. Un autre exemple d’un projet médiatique, destiné à stimuler les investissements des quartiers adjacents, est la High Line à New York. Imaginée par Diller Scofidio + Renfro, la réhabilitation de la ligne de chemin de fer en un parc, a participé à une véritable renaissance des alentours : depuis son ouverture progressive entre 2009 et 2014, au moins trente nouveaux projets ont été prévus dont onze sont déjà en cours de construction.19 Une autre caractéristique particulière du city marketing est le développement de nouveaux pôles culturels et la construction de bâtiments emblématiques. Le plus connu de ces exemples est la construction du musée Guggenheim de Bilbao. La construction du musée a été décidée par le gouvernement basque afin de donner une nouvelle image à la région et à la ville, qui a perdu de son importance lors de la reconversion de l’industrie lourde. Le célèbre architecte Frank Gehry a conçu le nouvel édifice inauguré en 1997. Son ouverture a attirée énormément de touristes et, par conséquent, a permis de créer de nouveaux emplois dans le secteur des services. Le musée est devenu l’une des attractions les plus visitées d’Espagne et les investissements relatifs à sa construction ont été compensés en trois ans. Il a engendré également la croissance économique de la ville de par l’attraction d’autres activités collatérales.20 Une véritable politique urbaine a accompagné le musée, et d’autres architectes internationaux ont été convoqués: Norman Foster pour 18 I. Gordon, Internationalisation and Urban Competition, Urban Studies, Vol. 36, 1999, pp.1001-1016. 19 J. Barbanel, The High Line’s ‘Halo Effect’ on Property, Wall Street Journal, 7 août 2016 20 Bilbao, 10 Years Later, The New York Times, 23 septembre 2007


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Fig.40. Dongdaemun Design Plaza à Seoul de Zaha Hadid, 2014


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la rénovation du métro ; Santiago Calatrava pour réaliser un terminal ainsi qu’une passerelle, Philippe Starck pour transformer l’ancienne halle aux vins en centre culturel. 21 Ces interventions, qui s’ajoutent au succès inédit du musée, ont réintroduit la ville sur la carte européenne. L’exemple de Bilbao a encouragé d’autres villes à utiliser la construction d’un bâtiment d’exception pour se faire de la publicité. Dans le nord de la France, le Louvre a ouvert une filiale à Lens, dessiné par SANAA. À Metz, le nouveau Centre Pompidou a été conçu par Shigeru Ban. Une autre filiale du Louvre imaginé par Jean Nouvel est en cours de construction à Abou Dabi. Cependant, aucun autre bâtiment pour le moment n’a su générer un effet similaire à celui de Bilbao. De grandes métropoles asiatiques se dotent également de bâtiments emblématiques, dessinés par des architectes occidentaux, afin d’attirer davantage de touristes internationaux. A Taipei un bâtiment « cyclopéen » pour le Centre des arts et du spectacles est en train d’être érigé par Rem Koolhaas. Son allure clairement occidentale, inspirée par le Club Roussakov de Constantin Melnikov, marque la capitale taiwanaise de manière violente Le gigantesque complexe multifonctions Dongdaemun Design Plaza à Seoul, dessiné par Zaha Hadid, a été comparé à un « vaisseau spatial argenté ».22 Son apparence néo futuriste révèle de puissantes formes courbes et allongées. À la fois temple du design, palais des congrès et pôle de divertissement, l’édifice est un symbole majeur du développement urbain et touristique de la capitale sudcoréenne.23

21 Effet Bilbao et stratégie urbaine,Agence d’urbanisme de l’agglomération lyonnaise, Septembre 2013 22 52 Places to Go in 2015, The New York Times, 7 juillet 2015 23 L. Seung-ah, Séoul, destination 2015 recommandée par le New York Times, korea.net, 19 janvier 2015


Fig.41. L’espace public de publicité du Times Square à New York


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L’utilisation de l’architecture comme support de panneaux publicitaires est un exemple classique de l’interaction entre l’architecture et la publicité. Du Times Square à New York au quartier Shibuya à Tokyo la publicité a envahi l’espace public qui est devenu un véritable champ de bataille cognitive de la communication publicitaire. Ainsi l’architecture passe au seconde plan, débordée par des enseignes des marques et de grands panneaux animés de toutes les couleurs. Le caractère du nouveau espace public est défini par la publicité. Son contenu crée des liens symboliques qui se superposent avec la thechtonique de l’architecture. Pourtant les édifices qui fabriquent cet espace ne sont pas associés aux compagnies présentées dans la publicité, ce qui affirme le fait que l’architecture dans ce cas n’a pas de fonction communicative. Elle sert seulement d’élément de support. C’est là que l’on retrouve la différence fondamentale avec l’utilisation de la sculpture et des bas-reliefs dans l’architecture classique, dans laquelle ils se présentent comme éléments indissociables et forment une composition architecturale.


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Dans les années soixante-dix le mouvement britannique Archigram proposait des projets spéculatifs qui emploient le langage inspiré de la publicité et du Pop Art. À travers leur intérêt pour la culture populaire en rapport avec la société de consommation, le mouvement a imaginé comment l’architecture peut se créer à partir des médias et de l’univers informatique. Son architecture visait la conquête spatiale en combinant des réseaux, câbles, structures gonflables, électroniques, robotique et reflète ainsi la société de consommation hypertechnologique.1 Le rapport entre l’architecture et les panneaux publicitaires a été étudié aux Etats-Unis par Robert Venturi, Denis Scott-Brown, Steven Izenour et les étudiants de l’Université de Yale sur le cas de Las Vegas des années soixante. Las Vegas est ainsi présenté avant tout comme un phénomène de communication régit par des symboles. Les enseignes des casinos en sont les principaux signes et deviennent l’architecture du paysage. La communication domine l’architecture et l’espace. Las Vegas, ville créée dans le désert, si on en retire les grandes enseignes, le lieu n’est plus. Il ne reste qu’une route et les petits bâtiments.2 Rem Koolhaas, à son tour, a travaillé sur le rôle du commerce dans la mutation de l’architecture et de la ville. Il a publié ses recherches dans un ouvrage écrit en partenariat avec les étudiants de l’Université de Harvard – « Project on the City II : The Harvard Guide to Shopping ». Dans cette étude, Koolhaas a notamment réexaminé la ville de Las Vegas 30 ans plus tard, pour observer la mutation de la ville et le rapport entre l’architecture et la communication par les symboles et l’affichage publicitaire. Ils ont découvert que la modification de la ville a été écrasante et que la ville a atteint un état hypersubstantiel. L’accumulation des masse brutales et l’échelle des objets ont fini par écraser tous les messages. Le signe s’est hyperophilé. Il a été écrasé par la substance. Le constat qu’ils ont fait c’est que la découverte de Learning from Las Vegas a apparemment été broyée par la masse brute de l’architecture commerciale.3 Aujourd’hui on témoigne de nouveaux phénomènes et interprétations. L’animation évènementielle des façades par des projections de type mapping, des façades interactives et amovibles fabriquées avec des LED créent une nouvelle façon de communiquer et donc d’intégrer la publicité dans l’architecture. 4 Ils peuvent être considérés comme interprétations contemporaines de basD. Crompton, A guide to archigram 1961-74, Garden City, 2003 R Venturi, Learning from Las Vegas - Symbolism of Architectural Form, MIT Press, 1977 3 C.J. Chung, J. Inaba, R. Koolhaas, S. T. Leong, Project on the City II: The Harvard Guide to Shopping, Taschen, 2002 4 Susanne Fritz, Media Façade, Architonic, 28 Septembre 2009 1 2


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reliefs et de sculptures des constructions du passé. Pourtant sa place dans l’architecture commerciale est encore à confirmer. Par la suite nous allons considérer comment l’architecture de commerce et du capitalisme peut elle même devenir publicité. GRANDS MAGASINS Les grands magasins apparaissent sur les boulevards des grandes villes au début du XIXe siècle. Sur de vastes surfaces, ils disposent de comptoirs multiples, sont mieux approvisionnés et renouvellent régulièrement l’assortiment des produits offerts. Ces magasins se présentent comme un nouvel espace de liberté pour les femmes bourgeoises dont la vie sociale se limite encore à l’époque aux fêtes familiales et à quelques sorties au théâtre.5 De la Samaritaine aux Galeries Lafayette à Paris, de la Gallerie de Vittorio Emmanuelle à Milan jusqu’au Macy’s à New York, ces grandes boutiques attirent par sa position centrale et les dimensions, accompagnant l’émergence des classes bourgeoises et de leur pouvoir d’achat. La nouvelle architecture est ainsi générée pour attirer plus d’attention du public aux capitales. En témoigne la construction, entre autres, de la magnifique Gallérie de Vittorio Emanuele II à Milan en 1878 et de l’immense coupole des Galeries Lafayette à Paris en 1912. Ces nouveaux édifices marquent la naissance de la véritable architecture de consommation qui, par ces innovations, était sensée redéfinir l’expérience de l’achat et faire monter les bénéfices. La possibilité d’avoir le contact physique direct avec la marchandise et plus tard l’introduction de l’escalier mécanique ont augmenté considérablement la quantité de temps que les gens passaient dans les grands magasins.6 L’application de technologies numériques a introduit les boutiques en ligne. La concurrence croissante ne laisse pas le choix aux entreprises qui doivent constamment innover afin de vendre leurs produits. Le concept du magasin ne cesse d’évoluer de nos jours.

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Bernard Marrey, Les Grands magasins des origines à 1939, Picard, Paris, 1979 R. Koolhaas, I. Boom, Escalator (Elements of Architecture #13), Marsilio, 2014


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Fig.42. Apple Store dans la Cinquième Avenue à New York. Architecte Bohlin Cywinski Jackson, 2006.


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FLAGSHIP STORES Dans les années quatre-vingt-dix du vingtième siècle une nouvelle tendance apparaît afin de redéfinir le shopping du nouveau monde numérique – « flagship store ». Magasin de grande surface dédié à une seule marque, il propose une gamme très large de produits de l’entreprise en question. Ce magasin « portedrapeau » se veut la vitrine de la marque à laquelle il est dédié ; il symbolise la matérialisation de son territoire, de sa mission, de son image, de ses valeurs, mais aussi une revendication tangible de sa notoriété. Magasin de ce type sont lancés principalement par des marques puissantes et qui n’ont pas pour seul objectif de gagner de l’argent, mais plutôt pour communiquer et développer son image.7 En effet, un flagship store est une boutique qui doit dépasser son simple rôle d’espace de vente. Il représente un véritable instrument de communication, ou une publicité, qui renforce considérablement la notoriété de la marque. Le flagship store, pour être un outil de la communication publicitaire, doit être conçu pour mettre en scène la marque et son récit. A titre d’exemple, dans le Nike Town de New York, une vitrine a été consacrée à l’histoire de la marque avec des expositions de la toute première paire de Nike.8 Comme pour un grand magasin, la première chose importante pour un flagship store est son emplacement. Ces boutiques sont généralement situées dans des secteurs centraux des grandes villes. Avoir une adresse dans les rues prestigieuses à un impact positif sur l’image d’une marque. Les rues centrales attirent une clientèle particulière composée de visiteurs spontanés, de touristes, de gens qui font du shopping et des habitants généralement fortunés. Le lieu central offre un cadre particulier, souvent empreint d’histoire, qui peut contribuer au prestige de la marque. En s’installant dans un lieu historique, la marque revendique d’une certaine manière une part de l’héritage, du cachet et du statut de ce qui était présent dans le bâtiment ou dans le quartier.9 A titre d’exemple on peut citer l’installation des boutiques Apple à Paris : en face de l’Opéra Garnier et au-dessous de la pyramide renversée du musée du Louvre. Les dimensions des « flagship stores » sont également importantes car la taille illustre la puissance de la marque. Parfois cette particularité, ne sert pas à l’exposition de la marchandise mais reste de caractère purement ostentatoire. M. Chevalier et M. Gutsatz, Luxe & Retail : le point de vente, lieu d’excellence, 2003, p.102 G. Lewi,J. Lacoeuilhe, Branding management : branding et e-branding: la marque, de l’idée à l’action, Pearson France, 2012, p.101 9 A. E. Kirby, A. M. Kent, “Architecture as brand : Store design and Brand Identity” in Journal of Product and Brand Management, 2010, Vol.19, 6, pp.432-439 7

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L’utilisation extravagante de l’espace libre définit une expression de splendeur. En disposant d’espace commercialement inactif la marque renvoie un message d’exclusivité, ce qui affirme le propos de Rem Koolhaas selon lequel « The ultimate luxury is wasted space ».10 Aujourd’hui les marques sont présentes partout dans le monde et elles doivent faire un choix entre plusieurs stratégies pour mettre en place leurs flagship stores. Certaines marques font le choix de formater le cadre de la vente pour s’assurer une image la plus homogène possible. Les Apple Stores et les boutiques de Telsa Motors en sont un bel exemple. D’autres compagnies optent pour une collaboration avec un architecte pour plusieurs boutiques afin de rester dans le même style architectural. On peut citer l’exemple de la collaboration entre Prada et Rem Koolhaas, Valentino et David Chiperfield, Aésop et Cigüe. D’autres compagnies vont faire appel à des architectes différents en fonction des pays et de leurs valeurs corporatives, comme par exemple Dior qui a collaboré avec SANAA au Japon et avec Christian de Portzamparc en Corée du Sud. L’influence de l’architecture de point de vente sur le visiteur pousse les compagnies à investir dans les bâtiments qui se distinguent parmi les autres. L’architecture et le design sont les premiers liens entre la marque et le consommateur car ils créent une vraie proximité et transmettent des valeurs, ils donnent vie à la marque par les formes et les couleurs. L’architecture de flagship stores est donc un outil stratégique pour donner une vision globale de la marque au consommateur. De plus en plus d’entreprises d’importance font appel aux architectes mondialement connus pour la création de leurs nouveaux bâtiments. Une telle collaboration permet à la compagnie de se différencier de marques concurrentes grâce à l’usage d’une architecture innovatrice. La collaboration avec un architecte mondialement connu permet également de profiter de la notoriété de ce dernier. L’architecture devient ainsi un instrument de communication auprès d’un public plus large et la compagnie s’assure une couverture médiatique plus importante : dans les publications sur l’architecture, le design et parfois même dans les guides touristiques. Cela permet de toucher le public qui n’a pas forcement l’habitude de s’intéresser au produit de la marque en question mais qui pourrait éventuellement être attiré par son architecture, qui le poussera à découvrir ce qui est à l’intérieur.11 Ainsi les compagnies créent des boutiques qui n’ont généralement pas une rentabilité immédiate mais qui représentent des édifices qui attirent l’attention par ses caractéristiques esthétiques et ainsi ouvrent la voie à une nouvelle 10 11

R. Koolhaas, J. Hommert, M. Kubo, Projects for Prada, Fondazione Prada, 2001 N. Prévôt, Identité, image de marque et architecture, ENSA Paris Val de Seine, 2016, p.40


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clientèle. Chaque détail de ces édifices est pensé avec le plus grand soin.Le langage architectural, les matériaux et les concepts employés par les architectes doivent représenter l’image de la marque d’une manière innovante. C’est le cas de la boutique Prada à Tokyo de Herzog & de Meuron construite en 2003. Le volume et l’enveloppe cristalline du bâtiment renvoient à l’image solide du cristal et crée des associations avec les diamants et donc le luxe. La boutique de Dior à Seoul de Christian de Portzamparc donne toute une image – celle d’une fleur qui reflète l’intérêt de la marque pour les parfums. Renzo Piano collabore avec la maison Hermès pour son flagship store à Tokyo en proposant une façade en briques de verre qui marque le paysage urbain de la capitale japonaise. Le concept de flagship store a été perfectionné par la compagnie Apple. En 2006 Apple présente son flagship store dans la Cinquième Avenue de New York qui prend la forme d’un cube en verre avec le logo flottant au milieu. C’est le magasin le plus innovant d’Apple qui représente la perfection des produits et l’esprit novateur de la compagnie. Lui, comme la plupart des magasins de la marque, est doté d’un escalier en verre, destiné à attirer les clients pour visiter les différents étages du magasin. Plusieurs brevets ont été déposés pour la construction des spectaculaires escaliers en verre d’Apple.12 Certaines boutiques même possèdent des ponts en verre. Il est difficile de ne pas être convaincu par une telle ambiance représentant les valeurs corporatives de la compagnie. Apple a reçu de nombreux prix d’architecture pour la conception de ses boutiques. Rem Koolhaas, en collaborant avec Prada, propose une autre stratégie de la communication publicitaire par l’architecture - un concept d’épicentre. Les épicentres créent la surprise et renouvellent l’identité de la marque. Ce concept pousse plus loin le propos de flagship store et permet de redéfinir une image de marque. Son agence OMA dessine alors trois nouveaux épicentres pour Prada, à New York, Los Angeles et San Francisco.13 Il a également proposé un nouveau concept pour l’architecture évènementielle de la marque – Prada Transformer - une structure modulable érigée en 2009 à Séoul. Le pavillon se compose de quatre formes géométriques de base - un cercle, une croix, un hexagone et un rectangle – reliées ensemble et enveloppées dans une membrane translucide. En fonction de l’évènement la structure peut être soulevée par une grue et 12 M. Helft, S. Carter, Apple Patents Show Steve Jobs’s Attention to Design, The New York Times, 25 Aout 2011 13 A. J. Artemel, A Look At OMA And Prada’s History Of Collaboration, Architizer, 6 Aout 2013


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Fig.43. Flagship Store de Dior à Seoul, Christian de Portzamparc, 2015


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Fig.44. Prada Transformer à Seoul, OMA, 2009


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Fig.45. Fondation Prada à Milan, OMA, 2015


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reconfigurée afin de changer d’orientation selon quatre thématiques chères aux dirigeants de la maison de couture: la mode, le cinéma, l’art et la culture. Une véritable machine publicitaire, cette architecture futuriste est inspirée de travail du groupe britannique Archigram et reste un des projets les plus populaires de l’architecte.14 FONDATIONS La création d’une fondation pour la promotion de l’art et de la recherche est une entreprise qui emploie souvent l’architecture comme véhicule de communication publicitaire. Construire un bâtiment éminent, capable de promouvoir une jeune institution non lucrative, est un luxe que peu de marques peuvent se permettre. Curieusement ce sont souvent les entreprises de l’industrie du luxe qui s’investissent dans ce type d’activité. Dans la plupart des cas, la création d’une fondation représente un type de stratégie de marketing qui est celle de l’association de l’entreprise en question avec le monde de l’art et avec le milieu intellectuel. D’un autre coté ce geste peut être considéré comme du mécénat quand le dirigeant d’une grande enseigne décide de faire don d’une certaine somme de son capital. La création de toutes les grandes fondations a été orchestrée par la construction d’édifices remarquables qui ont marqué l’histoire de l’architecture contemporaine. Tel est l’exemple la Fondation Solomon R. Guggenheim, dont le premier bâtiment, conçu par Frank Lloyd Wright, a été inauguré en 1959 à New York. Le musée, construit pour abriter la collection de Solomon R. Guggenheim, a tout de suite attiré l’attention par son architecture avant-gardiste et l’approche révolutionnaire de l’exposition des œuvres d’art. L’espace muséal a une structure en hélice. Le visiteur entre par le sommet, puis descend progressivement jusqu’au niveau du sol par une rampe légèrement inclinée : la notion de salle d’exposition disparaît au profit d’une continuité de présentation. Le musée Guggenheim à Bilbao conçu par Frank Gehry et inauguré en 1997, a rencontré un très grand succès et a donné une nouvelle vie à la fondation et sa notoriété. La Fondation Solomon R. Guggenheim a commémoré le nom et l’activité de collectionneur d’art de son créateur par la construction des architectures remarquables.15 C. Walker, 5 Years Later, A Look Back on OMA’s Prada Transformer, ArchDaily, 25 April 2014 H. Ballon, The Guggenheim: Frank Lloyd Wright and the Making of the Modern Museum, Thames and Hudson, 2009 14 15


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En 1994, Cartier, la maison du secteur de luxe, installe sa Fondation pour l’art contemporain à Paris, dans un bâtiment de verre et d’acier commandé à Jean Nouvel. Faire appel à un grand nom de l’architecture était alors un geste fort. Revendiqué comme un « monument pour Paris », le bâtiment répond à un parti-pris audacieux, celui de concevoir un espace muséal ouvert et transparent qui remplace les murs par la possibilité infinie de toujours réinventer le lieu d’exposition. Ce geste radical a souvent inspiré les artistes qui ont répondu de façon d’autant plus puissante aux contraintes offertes par l’architecture et à la liberté qu’elle impose.16 La création de la fondation et son activité, mise en avant par l’architecture, a permis de renforcer considérablement l’image et la notoriété de la maison Cartier. Grâce à la promotion et au soutien de la création artistique contemporaine internationale, la fondation s’est retrouvée à l’origine de nouveaux courants artistiques, chaque année de nombreux événements culturels prennent place dans le bâtiment. Le groupe LVMH, à son tour, a investi des centaines de millions d’euros dans la construction du bâtiment pour la Fondation Louis Vuitton conçu par l’architecte Frank Gehry. Le musée de l’art contemporain, représente le chef de file mondial de l’industrie du luxe. L’édifice prend l’allure d’un voilier aux voiles de verre gonflées par le vent d’Ouest, donnant ainsi l’illusion du mouvement. La réalisation de ce projet sans précédent a nécessité des développements technologiques extrêmement innovants.17 C’est un bâtiment controversé. Il a déjà créé énormément de publicité et continue à promouvoir la marque Louis Vuitton auprès des amateurs d’art, visiteurs de musée et des touristes. Le temps montrera l’efficacité de cette approche pour l’affirmation de la société dans la mémoire collective. A l’instar de l’ensemble de bâtiments de la Fondation Prada à Milan, dessiné par OMA ou encore de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé de Renzo Piano qui marque le succès du magnat de cinéma, plusieurs autres compagnies suivront l’exemple de Cartier et créeront leurs propres fondations pour le soutien de l’art ou d’autres industries associées.

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« Jean Nouvel », sur le site de la Fondation Cartier (consulté le 3 fevrier 2017) « Les bâtisseurs », sur le site de le Fondation Louis Vuitton (consulté le 3 fevrier 2017)


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SIÈGES SOCIAUX Le siège social, l’endroit où les plus importantes fonctions d’une organisation sont concentrées, assume la responsabilité du succès de la société et assure la gouvernance d’entreprise. Il se trouve dans un bâtiment représentatif qui reflète la culture organisationnelle de l’entreprise, c’est à dire, les valeurs, les croyances et les principes collectifs de l’organisation.1 Les sièges des entreprises sont généralement situés dans les centres d’affaires de grandes villes. Contrairement aux flagship stores qui sont ouverts au public, les sièges sont d’habitude destinés au milieu professionnel : les employés, les partenaires de business, ou encore les investisseurs. On distingue alors de typologies de bâtiment différents ; si l’architecture commerciale peut être considérée comme partie intégrante de la stratégie marketing, l’architecture des sièges sociaux a tout un autre objectif, puisqu’elle sert à attirer des talents du milieu professionnel et des investisseurs. Quelles sont ses méthodes? Rem Koolhaas, dans son ouvrage New York Deliré décrit un phénomène de congestion : « Son architecture favorise un état de congestion à tous les niveaux possibles et exploite cette congestion pour inspirer et soutenir des formes particulières de rapports sociaux qui forment ensemble une culture unique de congestion. » 2

Ainsi, il suggère que la congestion et la concurrence du monde capitaliste jouent un rôle important dans l’architecture des villes, ce qui explique par exemple l’expansion verticale des gratte-ciels de New York et d’autres métropoles internationales. La dominance verticale, symbole de puissance, continue à pousser des grandes entreprises et des investisseurs à construire des bâtiments impressionnants et de plus un plus haut. De ce fait, les villes ne cessent de prendre de la hauteur partout dans le monde, de Chicago à Dubaï, et de Londres à Shanghai. Pour identifier ces constructions verticales, un grand logo sur la façade associe directement l’architecture à l’entreprise en question.

1 D. Needle, Business in Context: An Introduction to Business and Its Environment, Cengage Learning, 2004 2 R. Koolhaas, Delirious New York: A Retroactive Manifesto for Manhattan, Oxford University Press, 1978


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Fig.46. Les aigles du Chrysler Building à New York. Architecte William Van Alen, 1930.


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Le logo, comme une représentation graphique de l’entreprise, est un élément fondamental de l’identité visuelle. Il reprend très souvent le nom de la entreprise dans une typographie simple ou spécifique. Ce visuel unique permet d’être mémorisé et reconnu instantanément par un public parfois non-averti. En effet, le logo est souvent la première chose que l’on remarque sur la façade d’un bâtiment et peut être utilisé comme élément constitutif de son architecture. Il existe pourtant un autre moyen de lier l’architecture à l’entreprise ; plus durable, il est aussi plus complexe puisqu’il fait intervenir des symboles associés à l’activité de l’entreprise dans la conception du bâtiment. Pour illustrer ce propos, prenons l’exemple du Chrysler Building construit en 1930 à New York, une époque où la ville s’engageait dans une course folle vers la dominance verticale. Walter Chrysler, le président de la société industrielle américaine, a demandé à son architecte William Van Alen de concevoir le plus haut bâtiment du monde. Il l’a finalement été pendant un an seulement, jusqu’à la construction de l’Empire State Building. De style Art Déco, l’édifice a été construit à la gloire de Chrysler et la décoration extérieure comme intérieure symbolise les véhicules de la célèbre marque américaine. Nous pouvons par exemple remarquer les huit aigles en acier disposés autour du 61ème étage du bâtiment, identiques à ceux que l’on pouvait voir sur les capots des voitures de l’époque, ou encore la représentation des bouchons de radiateur chromés de la marque symbolisée par deux ailes d’aigle au 31ème étage. Le hall d’entrée, lui, est doté de décorations réalisées dans des matériaux nobles comme le granite, le marbre marocain et le marbre jaune.3 De ce fait, même si le bâtiment n’appartient plus à la société Chrysler aujourd’hui, il la représente toujours d’une manière permanente et non changeable. A contrario, une entreprise identifiée sur un bâtiment uniquement par un logo est représentée de manière éphémère puisque ce dernier est remplacé à chaque changement d’entreprise. Prenons un exemple contemporain, avec la construction de la Tour Gazprom à Saint-Petersbourg, le projet de gratte-ciel le plus haut de Russie et d’Europe. Son propriétaire, la société anonyme russe Gazprom qui s’occupe principalement de l’extraction et du transport de gaz naturel, est le premier exploitant et le premier exportateur de gaz au monde.4 Cette domination mondiale sera ainsi représentée par un gratte-ciel de dimensions gigantesques qui prendra la forme d’une flamme de brûleur à gaz, qui n’est autre que le symbole de la société Gazprom. La ville de Saint-Pétersbourg, connue pour 3 4

J. J. Korom, The American skyscraper, 1850-1940: a celebration of height, 2008, p. 416, Site officiel du Gazprom http://www.gazprom.ru/about/


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son conservatisme et pour son architecture classique du XIXème siècle, obtiendra son premier gratte-ciel, ce qui marquera la ville d’une manière imprévisible, même si l’édifice se construit à 12 km du centre ville. 5 CAPITALISME PASTORAL Aujourd’hui Silicon Valley a son moment Versailles.6 — Louise Mozingo

Au cours du XXIème siècle, on observe une tendance de construction des sièges dans les banlieues des villes et des milieux ruraux, un phénomène du à la densification excessif des centres-villes, mais aussi à l’apparition de la nouvelle culture organisationnelle du Silicon Valley à la fin du XXème siècle. C’est cette culture qui a refusé l’idée de la dominance par la verticalité en proposant une dominance de la créativité. Il est également intéressant de constater comment certaines entreprises comme Google, Facebook ou Apple tentent d’utiliser leurs bâtiments et leurs campus afin d’attirer des gens remarquables. L’architecture contribue à convaincre les professionnels de venir travailler dans l’entreprise en communiquant sa culture organisationnelle. Ce point est essentiel, en particulier dans le contexte du Silicon Valley par exemple, là où la concurrence est très forte ; en effet, un bâtiment spectaculaire et représentatif d’une marque peut influencer dans le choix du futur lieu de travail. C’est donc l’une des raisons pour lesquelles les compagnies sont prêtes à investir dans la construction de ses sièges et ses bureaux. L’autre raison concerne les relations entre les investisseurs et les partenaires de business. Le bâtiment, représentatif de la qualité de l’entreprise, communique sa santé et sa puissance, ce qui permet de rassurer les investisseurs qui par conséquent, agrandissent leurs parts dans la compagnie. Aussi, quand il s’agit de prendre certaines décisions lors des réunions, chaque détail d’un bâtiment peut influencer ces prises de positions. De ce fait, le siège devient la manifestation du succès de la compagnie qui doit être communiqué à tout prix.

Site officiel du Lakhta Center http://lakhta.center/ru/about/project/ L.Mozingo, Pastoral Capitalism : A History of Suburban Corporate Landscapes, MIT Press, 2014

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La collaboration avec des architectes est ainsi très importante. Les dirigeants des sociétés portent beaucoup d’importance à l’architecture de ces bâtiments et aux collaborations. Par exemple, dans sa biographie, Steve Jobs commentait la conception du siège de la compagnie Pixar : Si un bâtiment n’incitait pas la collaboration, vous perdrez beaucoup d’innovation et la magie qui est déclenchée par le hasard. Donc, nous avons conçu le bâtiment pour faire sortir les gens de leurs bureaux et se mêler à l’atrium central avec des gens qu’ils ne pourraient pas voir autrement.7

Jobs participait activement à la conception du bâtiment qui a été realisé par Bohlin Cywinski Jackson, la même agence qui a plus tard dessiné l’Apple Store de New York. Une attention particulière a été donné aux espaces extérieurs, conçues comme de véritables virages paysagers afin d’attirer les gens talentueux. Pour construire le nouveau siège d’Apple, Steve Jobs a fait appel à Norman Foster, l’architecte de renom dont l’œuvre s’associe le mieux avec les produits de la compagnie. Foster a proposé un bâtiment ressemblant à une soucoupe volante venant d’atterrir. Cette image est à la fois une expression ostentatoire de la richesse d’Apple et un sanctuaire élégant de la vision de Steve Jobs. L’édifice peut être considéré comme une réinterprétation de l’innovation révolutionnaire de l’interface introduite par l’iPod (le cercle de navigation figurant sur le produit étant une longue obsession de Steven Jobs). De plus, la perfection étant le moteur de la compagnie, le cercle en soi représente une forme parfaite qui ne nécessite pas de justification symbolique. Jobs a consacré une partie considérable des deux dernières années de sa vie à la conception de ce bâtiment, et il le commentait en 2011 : C’est un cercle parfait, il est donc courbé tout le tour. Il n’est pas facile à construire un bâtiment comme celui-ci : chaque panneau de verre dans le bâtiment sera courbé. Nous avons une ambition de construire le meilleur immeuble de bureaux dans le monde. Je pense vraiment que les étudiants en architecture viendront ici pour le voir. 8

A son tour, Mark Zuckerberg, chef d’entreprise et co-fondateur du réseau social Facebook, a demandé à Franck Ghery de dessiner son nouveau siège. Ce choix peut paraître paradoxal, puisque l’esprit Facebook et celui de son dirigeant ne correspondent pas tout à fait au style de l’architecte. De ce point de vu, au delà 7 8

W. Isaacson, Steve Jobs, Simon & Schuster, 2011 Cupertino City Council Presentation, 2011


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Fig.47. Frank Gehry presente le futur siège de Facebook à Mark Zuckerberg


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d’un réel besoin de collaboration, cela peut être considéré comme un geste médiatique vis à vis de la signature et de la notoriété de l’architecte. Au final, le bâtiment camouflé par la végétation se présente comme un compromis entre la volonté d’anonymat de Facebook et l’exubérance de Franck Ghery. Ressemblant à un gigantesque entrepôt, c’est le plus grand bureau de type « open space » dans le monde.9 Au contraire, le choix de Google semble plus cohérent : l’entreprise monté par deux associés, Sergey Brin et Larry Page, a choisi deux architectes de renom pour la construction de son nouveau siège, Bjarke Ingels et Thomas Heatherwick, tous les deux connus pour leur approche innovatrice vis à vis de l’architecture. Leur idée est de construire un ensemble de bâtiments avec des fçades amovibles en verre qui pourrait s’agrandir et se déplacer comme des pièces de Lego en fonction des exigences des différents départements de la compagnie. Une grue spécialement conçue sera nécessaire pour réorganiser ces structures. Mais il semble que Google, après avoir perturbé de nombreuses industries, veut maintenant repenser le concept principal de la proposition et concevoir ses bâtiments de manière immobile.10 D’autres sociétés de technologie comme Nvidia, Samsung et Uber, dépenseront collectivement plus d’un milliard de dollar pour construire les nouveaux bâtiments qui diffuseront leurs succès. Ces projets ambitieux vont ainsi transformer le paysage architectural fade des parcs de bureaux génériques des milieux ruraux.

9 R. Stott, Facebook Moves into New Headquarters with the «Largest Open Floor Plan in the World», ArchDaily, 30 Mars 2015 10 A. Suich, Versailles In The Valley, The Economist 1843 Magazine, Mai/Avril 2016


Fig.48. La cérémonie de remise des Oscars dans le Théâtre Dolby à Los Angeles


Parrainage en architecture

Le phénomène de parrainage en architecture s’appelle le « naming ». Il peut être défini comme une technique par laquelle une entreprise acquiert le droit de donner son nom ou celui d’une de ses marques à un équipement ou un lieu en vue d’atteindre des objectifs de communication publicitaire.1 Autrement dit, c’est un phénomène de dénomination publicitaire d’un équipement qui vise à remplacer un nom ancien par un nouveau nom dans un but publicitaire. Le naming peut aussi désigner un investissement immobilier dans une construction ou rénovation d’un équipement à condition que le lieu reprenne le nom de la compagnie à la fin des travaux. Le contrat de naming représente un mode de recettes annexes non négligeable permettant une baisse du coût de construction ou d’exploitation de l’équipement, notamment dans le cadre des contrats de partenariat public-privé. Les concessions des noms sont accordées pour des périodes s’étalant de 10 à 30 ans.2 1 C. Derbaix, P. Gérard et T. Lardinoit, Essai de conceptualisation d’une activité éminemment pratique : le parrainage, Recherche et Applications en Marketing, 9, 2, 1994, pp. 43-67. 2 E. Delattre, Isabelle Aimé, Le naming : une forme de parrainage originale , Management & Avenir, n° 35, 2010, pp. 51-70.


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PARRAINAGE EN ARCHITECTURE

Reposant donc sur une association entre une entreprise et une entité parrainée, le naming répond à des objectifs de communication, principalement en termes de notoriété et d’image, au travers d’un message très court se résumant à la citation du nom du parrain – le logo. Le naming s’inscrit généralement dans un contexte sportif ou culturel non directement commercial. FONCTIONS ET CARACTÉRISTIQUE Le naming est particulièrement intéressant en terme d’image d’entreprise. L’objectif est de bénéficier de certains traits d’image associés à l’architecture et la fonction de l’entité parrainée. Ce transfert d’image trouverait son origine dans deux principes : le principe de l’endossement et celui du conditionnement.3 D’après le principe de l’endossement, l’association d’une marque à une architecture porteuse d’une « signification culturelle » permet de transférer certaines de ces significations au produit ou à la marque. 4 Au-delà de l’association avec l’architecture, ce transfert pourrait exister en cas d’association avec un événement sous certaines conditions. Selon le principe du conditionnement, les émotions et sentiments ressentis lors de l’événement dans l’entité parrainée pourraient être à nouveau éprouvés lors d’une exposition au nom du parrain. Le fait que le naming s’inscrive dans la durée favorise ces transferts d’image. Nous pouvons identifier donc deux canaux de cette communication publicitaire et par conséquence deux types d’influence sur le récepteur. Ceux qui portent seulement attention périphérique et ceux qui l’utilisent. Habituellement l’architecture des équipements utilisés dans le naming est une architecture imposante qui attire l’attention par ses dimensions et son échelle par rapport au bâti environnant. Dans plusieurs cas le logo de la compagnie parrain s’incruste dans l’architecture faisant ainsi la publicité visuelle. Tout ceux qui fréquentent, traversent ou viennent aux alentours de cette architecture sont exposés à cette présence visuelle des insignes, qui renvoie a la marque en question. La fusion du nom de la marque et de l’équipement fait connaître cette 3 S. Ganassali et L. Didellon, Le transfert comme principe central du parrainage, Recherche et Applications en Marketing, vol. 11, n° 1, 1996, pp. 37-48. 4 G. McCraken, Who is the Celebrity Endorser? Cultural Foundations of the Endorsement Process, Journal of Consumer Research, vol. 16, n° 3, 1989, pp. 310-321.


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dernière au plus grand nombre de personnes. Ce type de publicité fonctionne grâce à la fréquence avec laquelle on utilise le nom de ce lieu, mais aussi grâce à ses caractéristiques architecturales - c’est l’architecture même qui devient l’image avec laquelle on associe la marque sponsorisée. En deuxième lieu c’est la rencontre constante de ce nom dans la vie quotidienne liée à la nécessité de sa désignation par ceux qui l’utilisent ou qui en parlent. L’effet le plus intéressant du concept de conditionnement se trouve parmi les utilisateurs de cette architecture, plus précisément entre ceux qui vont assister aux évènements de ses équipes ou musiciens préférés. Ces événements, encadrés dans l’architecture, dont la nomination est entre autre marque sur le billet, incitent les émotions d’une force considérable qui vont être attachées à ce lieu et mémorisées en association avec la marque sponsorisée. La présence concrète du nom sur le lieu de l’événement ainsi que sur tous les supports liés à l’entité parrainée constitue un élément important de ce type de communication publicitaire. EXEMPLES A l’instar de l’Emirates Stadium à Londres et de l’Allianz Arena à Munich plusieurs entreprises ont donné récemment leur nom à un stade. Cette pratique n’est cependant pas nouvelle. Le premier cas recensé de naming a eu lieu en 1926 à Chicago : William Wrigley, propriétaire d’une marque de chewing-gum et d’un club de base-ball, les Chicago Cubs, avait décidé de renommer «Wrigley Field» le stade où jouait son équipe après avoir d’abord acquis une participation minoritaire.5 Un des premiers accords de parrainage portant spécifiquement sur le nom du stade a été signé en 1971 par Schaefer Brewing Company aux Etats-Unis. Le contrat prévoyait que le nouveau stade des New England Patriots soit dénommé Schaefer Stadium. En 1973, la Rich Products Corporation obtient que le nouveau stade des Buffalo Bills porte le nom de Rich Stadium pour une période de 25 ans.6 Depuis, les opérations de naming se sont multipliées. Aujourd’hui aux EtatsUnis la majorité des stades de 4 grandes ligues (baseball, basket, hockey et 5 L.M. McCarthy et R. Irwin, Names in Lights: Corporate Purchase of Sport Facility Naming Rights, Cyber-Journal of Sport Marketing, vol. 2, n° 3, 1998 6 J. L. Crompton et D. R. Howard, The American Experience with Facility Naming Rights: Opportunities for English Professional Team, Managing Leisure, vol. 8, n° 4, 2003, pp. 212-226.


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PARRAINAGE EN ARCHITECTURE

Fig.49. Allianz Arena à Munich, Herzog & de Meuron, 2005


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football américain) portent le nom d’une entreprise. En Europe, la formule est appliquée surtout en Grande-Bretagne : l’Emirates Stadium d’Arsenal, l’Etihad Stadium de Manchester City, le Macron Stadium de Bolton. Elles concernent aussi une majorité des stades en Allemagne, comme par exemple Allianz Arena à Munich. On trouvera d’autres exemples comme Mediolanum Forum de Milan en Italie et Gazprom Arena de Saint-Pétersbourg en Russie. En France, la technique du naming devient de plus en plus utilisée. Pendant la rénovation et construction de stades entreprises pour l’Euro 2016, le naming a été prouvé de source de financement non négligeable. La technique est utilisée pour l’Allianz Riviera de Nice, le Matmut Atlantique à Bordeaux, MMArena du Mans. Le Palais des sports de Rouen devient la Kindarena, nom dérivé de la marque Kinder du groupe Ferrero.7 Au-delà du sport, les théâtres, opéras, musées, mais aussi centres de convention et centres commerciaux, ainsi que d’autres institutions comme les hôpitaux ont également commencé à trouver dans la vente de leur nom une nouvelle source de financement importante. C’est le cas par exemple du très renommé Théâtre Dolby à Los Angeles conçu spécialement pour la cérémonie de remise des Oscars, des trois Théâtres Microsoft aux Etats-Unis 8 et également du Shibuya C.C. Lemon Hall au Japon. La convention portant occupation du domaine public peut être un contrat accessoire aux partenariats public-privé ou à la délégation de service public conclue entre le partenaire et le propriétaire de l’équipement en charge de son exploitation. L’un des pas majeurs du développement de cette pratique en France, a été l’inauguration de l’ancien Palais omnisports de Paris-Bercy rebaptisé « Accor Hotels Arena ». C’est le premier naming signé par la Ville de Paris qui a eu lieu en 2015 suite à la rénovation du Palais Omnisports. D’une durée de dix ans, renouvelable pour cinq années supplémentaires ce parrainage prévoit le versement de 4,15 millions d’euros par an à la société gestionnaire de la salle, dont 30% reviendront à la ville de Paris.9 Une vitrine éclatante du groupe hôtelier européen est ainsi ouverte sur le monde. Et la possibité de flatter ses centaines de milliers de clients en France, qui pourront profiter d’avantages divers quand ils souhaiteront aller à l’AccorHotels Arena.

Wikipedia, Naming (parrainage), (consulté le 27 janvier 2017) M. Kapko, What’s in a Name?, RCR Wireless News, vol. 26, n° 32, 2007, pp. 20-21 9 Henri Seckel, Naming : au nom du fric, sur lemonde.fr,‎ 29 octobre 2015 7 8


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PARRAINAGE EN ARCHITECTURE

Fig.50. Atrium de Trump Tower à New York, Architecte Der Scutt, 1984


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PARRANAGE DE DONALD TRUMP I like thinking big. I always have. To me it’s very simple: if you are going to be thinking anyway, you might as well think big.10 — Donald Trump

Au vingtième siècle une tendance de l’expansion des grandes sociétés anonymes s’est manifestée de manière explicite. De taille gigantesque, gérées par des comités de direction, ces grandes sociétés excluent toute association à un personnage en particulier. Ainsi la communication publicitaire est réalisée pour accroitre la reconnaissance du nom de la société anonyme. Dans les années quatre-vingt du siècle passé, en contradiction avec toutes les tendances, un phénomène intéressant se produit : une société lie directement son image à un personnage public – Donald Trump. C’est la naissance de la spectaculaire compagnie publicitaire par le biais du parrainage de l’architecture et des investissements immobiliers. En effet, l’empire immobilier de Donald Trump s’articule autour de la notoriété de son nom qui est construite grâce au parrainage de bâtiments. Tous les bâtiments dont il est propriétaire portent glorieusement son nom. C’est le cas de douzaine de gratte-ciels aux Etats-Unis, mais également de bâtiments dans d’autre pays du monde, qui ne lui appartiennent pas forcément. La question qui se pose donc : Quel est le rôle que tient l’architecture dans la promotion de son nom ? Le bâtiment le plus emblématique, la Trump Tower, située dans le quartier prestigieux de New York, est un exemple d’une architecture contemporaine exubérante, qui incarne parfaitement la personnalité excentrique de son propriétaire. Construite dans les années quatre-vingt par Der Scutt, tout dans ce bâtiment exprime la vision de Trump du luxe et de l’exubérance. De l’extérieur, le bâtiment est conçu comme un diamant noir, avec une façade en accordéon réfléchissante qui permet d’augmenter la surface vitrée.11 Les espaces « publics » à l’intérieur du bâtiment sont recouverts de marbre rosé, un atrium somptueux de 5 étages est éclairé de manière zénithale. Quatre ascenseurs dorés donnent accès aux étages supérieurs. Un critique a décrit cet atrium comme étant «l’espace public intérieur le plus agréable construit à New York depuis des années ».12 D. Trump, The Art of the Deal, Ballantine Books, New York,1987, p. 46 Der Scutt, Trump Tower, sur Mimoa (consulté le 19 janvier 2017) 12 Trump Tower Was Never Actually That Tacky, Atlas Obscura,‎ 11 mars 2016 10 11


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PARRAINAGE EN ARCHITECTURE

Fig.51. Trump International Hotel à Las Vegas, Architecte Bergman, Walls & Associates, 2008.


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Trump Tower est un lieu où les personnalités de Trump, celle de l’homme d’affaires et celle de personnalité politique, coïncident, que ce soit quand il attaque un de ses adversaires pour marquer des points politiques, ou quand il vend des marchandises que d’autres ne feront plus. Un endroit où il y a autant d’or et de marbre qu’il y a d’hyperboles dans les discours de Trump. Trump Tower est un lieu qui sert de toile et de fond à un jeu opulent, avec Donald Trump comme seul personnage. Elle devient une Mecque pour les gens toujours inspirés par la vieille idée de l’American Dream. La rhétorique du luxe est la raison ultime de cette architecture. Le gout de Donald Trump est contradictoire. Même ses amis ont convenu que ses choix architecturaux parfois étaient au-dessus du dessus. Par exemple, Philip Johnson, avec qui Trump a travaillé en étroite collaboration disait: Son goût est bon, mais il est parfois submergé par son sens de la publicité. Il deviendra de moins en moins lugubre. Il m’écoutera.13

Son penthouse aux derniers étages de la Trump Tower peut être considéré comme un chef-d’œuvre du post-modernisme. Il a aménagé le château de Versailles presque entier sur trois étages d’un gratte-ciel moderne. L’intérieur de l’appartement est décoré de façon luxueuse avec des dorures et des fresques d’inspiration mythologique. Dans le grand salon de réception se trouvent des vases grecs, une statue moderne d’Éros et Psyché et un tableau représentant Apollon guidé sur son char par Aurore.14 Cependant il n’y a pas une seule Trump Tower à New York mais bien neuf, toutes nommées d’après leur propriétaire : Trump Tower White Plains, Trump International Hotel Tower, Trump World Tower, The Trump Building, Trump Park Avenue, Trump SoHo Hotel, Trump Parc et Trump Parc East.15 En 2008, Trump inaugure une tour dorée à Las Vegas qui ressemble un lingot d’or basculé sur une tranche. Elle ressort de manière spectaculaire sur le panorama de la ville pourtant déjà très chargé par l’architecture commerciale. Un énorme logo fait étalage du nom Trump. Cette tour est sans doute la plus représentative de l’héritage architecturale du milliardaire : elle domine le paysage de la ville, à la fois simple et en même temps exubérante.16 W. E. Geist, The Expanding Empire Of Donald Trump, New York Times, 8 Avril 1984 Q. Périnel, Visitez le luxueux penthouse de Donald Trump à Manhattan, lefigaro.fr, 1 Mars 2016 15 Wikipedia, List of things named after Donald Trump (consulté le 20 janvier 2017) 16 M. J. Mishak, Trump’s tower a sore spot on the Strip. Los Angeles Times, 30 Avril 2011 13 14


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Fig.52. Trump International Hotel and Tower à Chicago, Architecte Skidmore, Owings and Merrill, 2009.


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En 2000 Donald Trump annonce son intention de construire le plus haut gratte-ciel du monde à Chicago. Mais après les attentats du 11 septembre 2001, il est décidé de réduire la hauteur de la tour de façon à ne pas attirer d’autres attaques terroristes. Le design de la tour est confié à Skidmore, Owings and Merrill. Le cabinet d’architecture a dû réaliser une cinquantaine de modèles avant d’en trouver un correspondant au gout du propriétaire et des habitants de Chicago. 17 En 2009 Trump inaugure la Trump International Hotel and Tower, le quatrième plus haut bâtiment des Etats-Unis mesurant 423 mètres de haut. Le gratte-ciel comprend trois parties, chacune censée arriver au niveau du toit d’une tour se trouvant à proximité. Cette tour représente un compromis entre les architectes, le propriétaire et les habitants de la ville et reste proche du style qu’ont les bâtiments de Chicago. Le signe avec le mon de Trump sur la façade du bâtiment fait 6 mètres d’hauteur. Son installation a provoque beaucoup de désaccords de la part des architectes et des habitants de la ville.18 D’autre bâtiments aux Etats-Unis et au Canada affichent glorieusement le nom du milliardaire: Trump International Hotel à Washington, Miami, Honolulu, New Orleans, Phoenix, Toronto et Vancouver.19 L’Europe n’échappe pas à la mégalomanie de Donald Trump. En 2000, en même temps qu’aux Etats-Unis, le milliardaire crée un buzz à travers l’Allemagne avec son idée de construire la « Trump Tower Europe » à Francfort, qui doit devenir le plus haut bâtiment résidentiel du monde. Mais le magnat de l’immobilier se retire finalement du projet, brisant « les espoirs » du centre financier de l’Allemagne. Ses raisons pour renoncer à un tel projet pourraient avoir inclus les restrictions sur la hauteur du bâtiment et le changement de l’emplacement souhaité par les autorités de la ville.20 La présence médiatique de Donald Trump a énormément contribué à la notoriété de son nom. Mais il faut souligner que dans ses interventions médiatiques Trump fait toujours référence à ses bâtiments. A titre d’exemple, dans son programme télévisé, The Apprentice, Trump met l’accent sur son héritage architectural. Le programme, entre autres, a été tourné dans la Trump Tower.

R. Lacayo, Tall Order, Time, Inc. 25 Juillet 2004 S. Yaccino, Chicago Winces After a Jewel Is Stamped «Trump»,The New York Times,13 Juin 2014 19 Wikipedia, List of things named after Donald Trump (consulté le 20 janvier 2017) 20 The Local, How Trump planned Europe’s tallest tower in Frankfurt, sur www.thelocal.de, 4 Fevrier 2016 17 18


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PARRAINAGE EN ARCHITECTURE

En effet, d’un point de vue psychologique, l’architecture représente un élément stable et fiable. Quand un nom est associé aux nombreux gratte-ciels américains, cela crée un sentiment de crédibilité et de fiabilité qui peut être utilisé dans d’autres domaines comme le montrent des exemples de branding dans n’importe quel domaine avec le nom du milliardaire : Trump Golf, Trump University, Trump Golden Ale, Trump Vine, Trump Vodka, Trump Steaks.21 Cette notoriété du nom créée par l’architecture et sa réussite d’investissement immobilier lui a permis de vendre des droits de parrainage pour les gratte-ciels à l’étranger. Ainsi la plupart des bâtiments parrainés par le nom Trump hors les États-Unis en réalité ne lui appartiennent pas. Contrairement à la pratique commune du naming où la compagnie qui parraine paye le propriétaire du bâtiment pour se faire de la publicité, dans le cas de Donald Trump, c’est lui qui est payé en faisant de la publicité pour les bâtiments d’autres individus ou sociétés. Ainsi le concept contractuel de parrainage est totalement renversé. Mais pas le concept de base: la plupart des gens pensent que les bâtiments lui appartiennent, ce qui glorifie davantage son nom et crée un mythe autour de sa richesse et de sa réussite internationale. Ainsi les bâtiments parrainés par Donald Trump sont présents à Dubaï (Émirats Arabes Unis), à Séoul (Corée du Sud), à Istanbul (Turquie), à Baku (Azerbaijan), à Mumbai et Pune (Inde), à Makati City (Philippines) et à Panama City (Paname).22 Toutes ces propriétés autour du monde portent son nom et lui donnent de gros bénéfices toute en permettant d’éviter la responsabilité dans le cas où elles échouent. La réussite de Trump est basée sur la communication efficace autour de sa richesse, plutôt que dans sa richesse elle-même. Donald Trump, même s’il est riche, est très loin d’être l’homme le plus riche des Etats-Unis. Même dans sa niche de business - l’investissement immobilier, il rentre à peine dans la liste des tops. Toute sa carrière peut être vue comme la promotion d’une marque, qui est son propre nom. Et si on regarde en profondeur, derrière cette marque il n’y a rien à part son motto « Think big and Kick Ass ». Quelqu’un qui aspire à penser grand, n’est pas forcément intelligent, mais le mal qu’il peut causer est apte à être grand. Ce que Donald Trump vend grâce à son nom n’est pas la réalité, mais une illusion.

21 22

Wikipedia, List of things named after Donald Trump (consulté le 20 janvier 2017) Ibidem.


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Enfin c’est la communication de son succès à travers les médias comme la télévision, les livres, les magazines et les réseaux sociaux qui l’a rendu célèbre. Cependant cette communication ne serait-t-elle possible sans le parrainage de son architecture, qui, finalement, lui a permis de devenir le 45e président des Etats-Unis.


CONCLUSION

Dans le cadre de cette étude deux approches à l’analyse de l’architecture en tant que publicité ont été proposées, théorique et pratique. La première partie, théorique, a démontré en détails comment les sciences sociales, telles que la sémiologie, la linguistique, la rhétorique et les théories de la communication publicitaires, peuvent expliquer le rapport entre l’architecture et la publicité. Elles ont également fournis les outils pour la partie pratique de cette étude. Puis, dans la deuxième partie, nous avons pu observer comment l’architecture a servi en tant que forme de communication à partir de l’époque où d’autres moyens de communication de masse n’existaient pas. L’architecture a pu glorifier le pharaon égyptien pour préserver son pouvoir, ou l’empereur romain pour assurer le changement de régime. Elle a été employée pour informer le public des réussites des ses gouverneurs. Tout de même, la construction des résidences fut un sujet de controverse. Par conséquent, une autre manière de la mise en scène du pouvoir politique fut inventée – l’architecture publique grandiose. L’église catholique utilisa l’architecture afin de promouvoir ses valeurs et ses idées. D’autres organismes, ne possédant pas de moyens, augmentèrent leur notoriété en détruisant les édifices célèbres. L’architecture a démontré ainsi sa capacité d’influencer le procès politique et de servir de propagande.


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L’État national, quant a lui, commercialisa l’architecture en organisant les évènements à grande échelle et en apportant des gros investissements et une couverture médiatique impressionnante. L’architecture joue un rôle important dans la promotion des villes, tout en apportant des bénéfices économiques. Le monde capitaliste, inspiré par ses possibilités communicatives, utilise davantage son potentiel publicitaire. L’avancement de la technologie et les nouveaux moyens de communication développés au cours du XXème siècle ont repensé complètement la fonction communicative de l’architecture. Les sculptures et les bas-reliefs ont cédé la place aux murs lisses qui n’avaient plus besoin de communiquer. Dés lors, toute l’information narrative et figurale peut être transmise de manière beaucoup plus efficace par d’autres moyens : les journaux illustrés, la radio, la télévision, etc. Le sommet du Style international coïncide d’une manière étonnante avec l’épanouissement de la télévision et de la nouvelle publicité de Madison Avenue dans les années cinquante et soixante. Ainsi, le nouveau paradigme architectural est celui de la grandeur. Afin de se distinguer et d’attirer l’attention, des bâtiments de plus en plus hauts se construisent, en provoquant un état de congestion.1 On assiste donc à l’émergence de nombreuses métropoles. Dans le monde contemporain, virtuel et connecté, où la quantité d’information transmise dépasse tout, l’architecture se propose comme un médium alternatif. Les médias conventionnels sont surchargés de publicité, bien que les gens ne s’y intéressent plus. Par conséquent surgit la question : comment attirer l’attention du public dans un tel contexte ? L’architecture donne une réponse en permettant de revenir au « commerce physique » et de faire ressentir des émotions grâce à la présence réelle. Finalement, l’architecture contemporaine est en train de devenir partie intégrante de la société du spectacle, où la communication doit provoquer un effet d’étonnement de plus en plus croissant.2 Cependant de nouveaux dispositifs sont en train de se développer, comme par exemple, la création des fondations, le parrainage ou les façades amovibles et interactives, inspirés par les idées du groupe Archigram. Le temps montrera comment l’architecture et sa fonction publicitaire évolueront. 1 R. Koolhaas, Delirious New York: A Retroactive Manifesto for Manhattan, Oxford University Press, 1978 2 G. Debord, La Société du spectacle, Buchet/Chastel, 1967


Bibliographie sélective

LIVRES 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16.

Marshall McLuhan, Understanding Media: The Extensions of Man, Ginko Press, 2003 (1964) Roland Barthes, Les Elements de la Semiologie, Oeuvres complètes, Seuil, 2002 (1964) Jean Castex et Philippe Panerai, Structures de l’espace Architectural, dans « Sémiotique de l’espace » par J. Zeitoun, Denoël-Gonthier, Paris, 1979 Charles Morris, Foundations of the Theory of Signs, University of Chicago Press, 1938 Noam Chomsky, Aspects of the Theory of Syntax, MIT Press, 1965 Aristote, La Rhétorique, Edition A. Durand Paris, 1856 Chaïm Perelman, Lucie Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation, la nouvelle rhétorique, Université de Bruxelles, 2008 (1958) Marco Vecchia, Hapù. Manuale di tecnica della comunicazione pubblicitaria, Lupetti Milano, 2003 Gillian Dyer, Advertising as Communication, Routledge, 1982 Jürgen Habermas, L’Espace public, Payot, 1993 (1962) Charles Jencks, Meaning in Architecture, Barry Jenkins, 1970 Charles Jencks, The Language of Post-Modern Architecture, Revised Enlarged Edition, Rizzoli, 1977 Christian Norberg-Schulz, La signification dans l’architecture occidentale, Mardaga, 2007 Georges Duby, Le Temps des cathédrales: l’art et la société, 980-1420, Gallimard, 1976 Rudolf Wittkower, Art et architecture en Italie : 1600-1750, Hazan, 1991 Robert Venturi, Denise Scott Brown, Steven Izenour, Learning from Las Vegas Symbolism of Architectural Form, MIT Press, 1977


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ARTICLES 1.

2. 3. 4. 5.

Bernadette Collenberg-Plotnikov, « ›... things that people don’t need to have but that – for some reason – would be a good idea to give them.‹ Discussions on drawing the line between art and advertising», in «Advertising and Design: Interdisciplinary Perspectives on a Cultural Field », Transcript-Verlag, 2014 Isabelle Rouge-Ducos, Les arcs de triomphe de l’Antiquité au XXe siècle. Essai sur la postérité artistique et idéologique du monument triomphal, Sociétés & Représentations 2008/2 (n° 26) Pascal Ory, Les Expositions universelles, de 1851 à 2010 : huit fonctions de la modernité, 2010 Ian Gordon, Internationalisation and Urban Competition, Urban Studies, Vol. 36, 1999, pp.1001-1016. Eric Delattre, Isabelle Aimé, Le naming : une forme de parrainage originale , Management & Avenir, n° 35, 2010, pp. 51-70.


Remerciements

Je voulais remercier le directeur de la recherche Nabil Beyhum pour son encouragement et l’expertise ainsi que Anna Beliaeff, Sophie Bonjean, Elsa Colin, Sarah Galhardo, Manuella Grosjean, Lucile Ink-Vandermarcq, Anastasia Krizwanovski, Antoine Leboucher, Jessica Macor, Florine Segaert, Anastasia Tsarkova, Sandra Tassin, Julia Valvé et Caroline Vanier de ses conseils précieux quand à la rédaction de cette étude.



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