Passages n° 56

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passages

Papier, blog, tweet et tag Les avatars du journalisme culturel Le globe-trotter et son carnet d’esquisses: Cosey en Inde | Le design suisse de jeux vidéo à San Francisco | CoNCA: un vent de renouveau souffle sur la culture catalane Le magaz ine cu Lt u r e L de Pr o H e Lv e t ia, no 5 6 , 2 / 2 0 1 1


4 – 27 DOSSIER

Les avatars du journalisme culturel

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HEURE LOCALE San Francisco : Au carrefour de la technique, de la science et de l’art par Bettina Ambühl

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Shanghai : Tenter de trouver un langage universel par Stefanie Thiedig

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REPORTAGE

Le globe-trotter et son carnet d’esquisses par Janice Pariat (texte) et Ankur Ahuja (photos)

Tantôt facétieux, tantôt grostesques, les dessins de Ruedi Widmer et de Philippe Becquelin mettent le journalisme culturel en scène.

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ACTUALITÉS PRO HELVETIA La Suisse fait son théâtre / Entretiens sur la médiation culturelle / Dès 2012, les requêtes passent à l’électronique / La Ribot dans le Sud africain

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La critique alémanique en pleine mutation Les pages culturelles des médias suisses alémaniques ont changé : désormais, le souci des acteurs et des événements remplace celui des contenus par Pia Reinacher.

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Mais qui donc va lire tout cela ? L’époque des journaux Internet est révolue. Il n’empêche que, ces dernières années, certains blogs ont fondamentalement bousculé et recentré le discours culturel. par Christoph Lenz

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PARTENAIRE CoNCa – le nouveau Conseil barcelonais pour la culture et les arts par Cecilia Dreymüller

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Aucun de tes amis n’aime ça Les nouveaux systèmes de recommandation sur Internet sont supérieurs aux recensions ordinaires des critiques. par Kathrin Passig

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CARTE BLANCHE Redéfinir le rôle du théâtre par Carena Schlewitt

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« Avec la révolution, les gens sont devenus plus critiques et courageux » Le journaliste culturel égyptien Gamal El Gamal espère que la démocratisation en cours dans son pays entraînera une ranimation des débats culturels jusque-là étouffés. Susanne Schanda s’entretient avec Gamal El Gamal

GALERIE Une plateforme pour les artistes Zeichen und Wunder par Christoph Schreiber

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IMPRESSUM PASSAGES EN LIGNE À SUIVRE

Internet n’est pas une concurrence Les journalistes des rubriques culturelles classiques n’ont pas besoin de se faire du souci pour l’avenir de leur profession. par Thomas Steinfeld

Couverture : MIX & REMIX

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So m m air e

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Papier, blog, tweet et tag Ce numéro de Passages prend la température du journalisme culturel : la crise économique et le succès des nouveaux médias ont eu un fort impact sur cette profession. Il y a eu des licenciements, des suppléments culturels ont été éliminés, les rédactions ont fusionné. Parallèlement, l’offre d’informations culturelles prospère, voire déborde, sur Internet, et tout journal conscient de son importance assure sa présence en ligne par des blogs et autres services. Tourner les pages d’un journal est maintenant dépassé, aujourd’hui, on google, on blogue, on twitte et on tague. En effet, les lecteurs qui apprécient les opinions acérées des blogueurs ou souhaitent lire, dès potron-minet, la critique de la première théâtrale de la veille, qui aiment batifoler dans les espaces de débat numériques ou sont friands des richesses multimédias que recèlent les magazines en ligne, tous ces lecteurs-là ne se fermeront pas à Internet. Et ce, même si, dans sa confusion et son foisonnement, le réseau international nous donne sans peine ce que nous ne cherchions pas, mais nous rend impossible à trouver ce que nous cherchons vraiment. Nous avons besoin de repères pour arriver à distinguer les offres intéressantes des contributions toujours plus nombreuses d’agences culturelles et de marketing. Pour ce numéro de Passages, Christoph Lenz a fureté dans la jungle numérique à la recherche de sites culturels attrayants et nous présente quelques adresses à retenir. Deux auteurs, Thomas Steinfeld et Pia Reinacher, restent convaincus que, malgré la concurrence croissante d’Internet, les rubriques culturelles classiques parviendront à se maintenir, à l’avenir aussi. Car le besoin qu’ont les lectrices et les lecteurs de cette réflexion critique sur les questions de culture ou de société ne va pas disparaître sans autre. À la fièvre et à la fugacité d’Internet, les pages culturelles opposent leurs qualités de sources d’information fiables et de forums de réflexion sociétale. Il y a aujourd’hui un pays où les nouveaux et les anciens médias se complètent et se soutiennent avec succès, c’est l’Égypte. Le journaliste culturel Gamal El Gamal assure dans son interview que les nouveaux médias ont apporté une contribution décisive au processus de démocratisation. Il espère maintenant une nouvelle relance des débats culturels qui ont été, jusqu’à présent, étouffés dans l’œuf. Quant aux dessins de ce numéro, que nous devons à la plume de Ruedi Widmer et de Philippe Becquelin, ils nous montrent avec humour à quels autres excès comiques, sinon grotesques, les bouleversements du journalisme culturel ont conduit. Janine Messerli Rédactrice Passages

e dit o r iaL

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Le jo u rnaLism e c u Lt u r e L

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Question de culture Les rubriques culturelles des journaux suisses ont été soumises à de profonds changements ces dernières années, pourtant, avec le multimédia, le journalisme culturel adopte aujourd’hui des formes plus vivantes que jamais. Notre dossier vous dit pourquoi les pages culturelles conservent leur place en dépit de tous les chants du cygne. Il vous fait découvrir les blogs phares de la scène culturelle et vous en dit davantage sur les logiciels Internet qui sont tellement mieux informés sur vos goûts que vos propres amis. Un crochet par l’Égypte donne un aperçu du journalisme culturel dans un pays actuellement en route vers la démocratie.

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es critiques alémaniques établis ont accueilli la nouvelle comme une épine dans leur chair : la petite revue Schweizer Monat (avant sa relance, Schweizer Monatshefte) a annoncé début mai le lancement de son supplément littéraire, le Literarischer Monat (Mois littéraire), censé envoyer un signal à l’adresse de ceux qui se lamentent sur la diminution des pages culturelles dans une grande partie de la presse écrite. Sans aucun doute, le jeune responsable joue gros – même s’il faut acheter quelques-unes des belles interviews, des chroniques, correspondances, essais et critiques au prix d’une bouteille de bon Bordeaux. Une année auparavant déjà, le célèbre quotidien allemand Die Welt avait annoncé le renforcement de ses pages littéraires, tout comme, peu après, le magazine Focus : autant de signes que le démontage systématique des pages culturelles avait pris fin. La NZZ am Sonntag a choisi elle aussi de se profiler à l’aide de la culture : au moyen du supplément Bücher am Sonntag (Livres du dimanche).

damentaux : premièrement, les changements politiques, qui ne manquent jamais de se répercuter sur les pages culturelles. Exemplaire, à cet égard, la politisation de cette rubrique prétendument élitaire après la révolution de mai 1968 ou encore en 1989, après la chute du mur de Berlin. À la suite de ces événements, les pages culturelles des journaux suisses devinrent à leur tour le théâtre de débats politiques. Cette évolution, qui les a transformées en lieu privilégié de la réflexion politico-philosophique, se confirme aujourd’hui face aux récents événements de Fukushima ou aux révolutions arabes : les pages culturelles s’en sont fait l’écho. Deuxièmement, il existe une convergence étroite entre l’essor du « feuilleton » et le développement économique. Grâce à la prospérité des années 1990, les suppléments culturels ont pu se développer généreusement, le désenchantement est survenu avec la crise économique, bancaire et financière de 2007 – avec pour corollaires licenciements de rédacteurs et lutte pour une place désormais réduite. Troisièmement, l’influence des nouveaux médias ainsi que Des pages culturelles du comportement désorsous influence mais hybride des consomN’en déplaise aux nombreux pessimistes : mateurs est considérable. Cette évolution avait été la part de la culture dans les médias suisses n’a pas précédée, tout au long des La presse enrichit ou diminué. Mais elle a fondamentalement évolué. onze premières années approfondit sa propre Désormais, le souci des acteurs et des événements du siècle, d’une érosion offre culturelle par des continuelle des rubriques éléments supplémentaires remplace celui des contenus. Même les culturelles – conséquence donnés en ligne ; le rapaustères pages culturelles traditionnelles sont port ludique aux thèmes directe de la crise écodevenues plus souriantes. Le journaliste nomique qui suivit le 11 culturels y gagne en atculturel de l’avenir est un producteur flexible qui septembre 2001 et de l’extractivité grâce à la dimenplosion de la bulle éconosion interactive des galesaura jouer avec agilité des divers médias. mique –, entraînant une ries de photos, des vidéos diminution importante ou des blogs. De nompar Pia Reinacher des revenus des éditeurs breux éditeurs concurrende presse. La plupart du cent leurs propres rédactemps, la disparition des tions de presse par une pages culturelles classiques, considérées comme élitaires, s’était rédaction culturelle en ligne indépendante – ce qui ne va pas sans produite à pas feutrés, la suppression des ressources financières luttes de pouvoir internes pour la suprématie culturelle à l’intéet personnelles étant intervenue en toute discrétion ; économies rieur même de ces maisons. Le meilleur exemple est le réseau obligent, les suppléments consacrés à l’art, au cinéma, au théâtre Tagi-News, dont les articles culturels se retrouvent sur les pages ou aux événements littéraires s’effaçaient sur la pointe des pieds. Internet du Bund, de la Berner Zeitung et de la Basler Zeitung – L’ensemble du secteur des médias a connu des chamboulements ce qui favorise dans l’espace alémanique une dangereuse et terne énormes ces dernières années, et c’est ainsi que même les pages uniformité de l’information culturelle. Le réseau reprend quoticulturelles, la rubrique la plus prestigieuse des médias, ont connu diennement au maximum trois articles des pages culturelles de leur révolution. Tout est en mutation : l’identité des suppléments la version écrite du Tages-Anzeiger – les emprunts en sens inverse littéraires, le profil professionnel du rédacteur ou du journaliste se heurtent à une méfiance plus grande. Les textes en ligne ne culturel, et surtout, les attentes des consommateurs. trouvent que rarement place dans les pages culturelles de la presse Tout compte fait, l’évolution du « feuilleton » des journaux écrite correspondante, tant le réflexe de défense, ici, est viscéral. de langue allemande, depuis la naissance de cette fameuse ru- Les rédactions culturelles traditionnelles sont de plus en plus brique aux alentours de 1800, est le résultat de trois facteurs fon- dynamisées et démocratisées par des plateformes spécialisées

La critique alémanique en pleine mutation

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comme www.perlentaucher.de ou www.literaturkritik.de, www. Krimi-Couch.de ou www.nachtkritik.de et bien d’autres. Ces dernières concurrencent toujours davantage le « feuilleton » traditionnel.

en chef à se profiler – la critique est un facteur de prestige. Si l’on jette un coup d’œil sur les préférences thématiques, une étude récente montre que l’intérêt des lecteurs pour les thèmes culturels n’a nullement fléchi. Un sondage mené par Univox en 2009 atteste chez presque 60 pour cent des personnes interrogées une nette prédilection pour les thèmes culturels – qui devancent l’intérêt suscité par la politique intérieure et extérieure. L’analyse des contenus des journaux alémaniques à fort tirage est également éloquente. Dino Nodari, analyste zurichois des médias, constate dans son étude Kulturberichterstattung der Deutschschweizer Tagespresse (L’information culturelle de la presse quotidienne alémanique, 2006), que la tendance à illustrer les articles à contenus culturels se maintient et qu’à un grand nombre d’articles brefs, correspond une moindre quantité d’articles longs, mais que la préférence pour les rubriques classiques persiste. Spécialiste des médias, Heinz Bonfadelli parvient à une conclusion similaire dans son

Les lecteurs s’intéressent à la culture Rien d’étonnant à ce que dans ces conditions, l’identité des pages culturelles alémaniques se soit fondamentalement transformée. Toutefois – objectera-t-on immédiatement – le « feuilleton » réflexif classique ne va pas disparaître pour autant. Tout d’abord, parce que les pages culturelles restent le forum essentiel où se déroulent les processus de compréhension de soi et d’autoaffirmation de la société, et qu’elles proposent des points de repère dans un monde de plus en plus fragmenté. Et deuxièmement, parce que la compétition entre les journaux, aujourd’hui, se joue à travers les pages culturelles. La culture sert aux éditeurs et aux rédacteurs

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article Kulturberichterstattung im Wandel (L’information culturelle en mutation, 2008). Depuis les années 1980, l’information culturelle en général, et plus particulièrement celle des pages culturelles, n’a pas été démantelée, mais au contraire nettement développée. Dans le « feuilleton », l’attention continue de se porter sur la culture dite élitaire, et les recensions de type classique en restent le cœur. Pour sa part, Gernot Stegert prévoyait dans son étude Feuilleton für alle (Le « feuilleton » pour tous, 1998) un élargissement radical de la notion de culture ; il diagnostiquait une extension progressive du canon du « feuilleton » classique à des domaines comme la culture quotidienne, la mode et les vêtements ou le style de vie.

trale de Zurich (2008), produite entre les flots de pendulaires, l’opéra devenant un événement sonore en direct, à mi-chemin entre l’art et le quotidien. Une profession radicalement transformée

La suppression de la frontière se retrouve partout – tantôt à l’avantage, tantôt au détriment de la culture. La frontière entre information, critique, relations publiques, marketing et conseil aux consommateurs s’est effacée en maints endroits. La diminution des ressources financières et personnelles a pour effet que faute de temps, de nombreux journalistes recourent plus souvent qu’ils ne le souhaiteraient aux informations mises à leur disposition par les services de communication des institutions culturelles. On reFinie l’ère des pages grises prend et on copie à qui mieux mieux. Des documentations parfaiIl ne faut pas oublier, face à ces faits, que la science ne fait que tement conçues ainsi que les recherches sur Internet facilitent une suivre la mutation rapide de la pratique des médias. Le « feuille- information instantanée, et permettent aux journalistes de faire ton » alémanique ainsi que les principaux médias nationaux, tout valoir dans leurs articles des compétences spécialisées, alors même comme les médias régionaux ou la presse de boulevard ont été sai- qu’ils ne disposent pas de connaissances préalables. Les médias sis, ces cinq dernières années, d’une nouvelle vague puissante de pensent souvent en termes de destinataires, ce qui transforme les popularisation et de « peopolisation ». La part de la culture dans les journalistes culturels en rédacteurs publicitaires. Situer et commédias ne s’est nullement amoindrie, comme on le prétend sou- menter un événement culturel reste ainsi le plus souvent en rade vent. Mais elle s’est réorientée, en quête d’une identité rajeunie. – on dissimule et embellit des demi-compétences en invoquant la Ce changement structurel ne touche pas seulement les médias primauté de la transmission sur la critique. Mentionnons, pour le grand public, mais également les médias dits élitaires : plus nette- bien des lecteurs de « feuilletons », la disparition du journalisme ment que jamais, la culture est présentée dans des textes de de type agenda. Là où la place est comptée, on recherche des thèmes plus généraux, on thématise les questions de fond, on mène de grands déLa diminution des ressources financières et personnelles bats, et on ne se perd plus aussi souvent a pour effet que faute de temps, de nombreux journalistes qu’autrefois dans les événements éphérecourent plus souvent qu’ils ne le souhaiteraient mères. La transformation en cours des médias va renforcer ces tendances. La proaux informations mises à leur disposition par les services duction croissante de « contenus » journade communication des institutions culturelles. On reprend listiques qui, à partir de salles de presse et on copie à qui mieux mieux. centralisées, sont répartis et diffusés sur La figure classique du critique, compétent et bien formé, tous les supports médiatiques, ainsi que le qui, dans sa tour d’ivoire, énonce un jugement multi-channel-publishing vont transformer radicalement le profil professionnel du sérieux et le communique à son public en belles phrases journaliste culturel. La figure classique bien tournées, est en voie de disparition. du critique, compétent et bien formé, qui, dans sa tour d’ivoire, énonce un jugement consommation facile, tels des portraits, des interviews ou des an- sérieux et le communique à son public en belles phrases bien tournonces de manifestations. L’attention se porte plus souvent sur les nées, est en voie de disparition. Aujourd’hui déjà, la relève fait déacteurs culturels que sur les contenus, l’événement isolé est célé- faut. Le « nouveau » journaliste culturel sera un producteur flexible bré, ou son caractère de service souligné. Même les pages cultu- qui saura jouer avec agilité des différents médias. Toute chose a relles les plus élitaires présentent aujourd’hui la culture de façon donc deux faces. Une face en tout cas est certaine : le « feuilleton », plus amusante, plus ludique et plus sensuelle – l’ère des pages dans les médias alémaniques, n’a rien perdu de sa vitalité – même grises est définitivement révolue. L’abolition définitive de la s’il a changé. Le lecteur ne peut que s’en féliciter. distinction entre culture élitaire et culture de masse est une chose, mais par ailleurs, on voit depuis quelque temps journaPia Reinacher est auteure, critique littéraire lisme populaire et journalisme de qualité fusionner sans états (Frankfurter Allgemeine Zeitung, Weltwoche) et d’âme. Exemple très réussi sur ce plan : la mise en scène simulta- chargée de cours (Culture et médias) à l’Université de Zurich. Elle est membre de la direction de MUELLER née de La Flûte enchantée sur deux chaînes (2007) de la télévision Consulting & Partner. Dernière publication : Kleider, alémanique, permettant aux spectateurs de suivre en temps réel Körper, Künstlichkeit. Wie Schönheit inszeniert wird. ce qui se passait sur la scène et ce qui se passait dans les coulisses Berlin, University Press 2010. – ou encore, la mise en scène géante de La Traviata à la gare cen- Traduit de l’allemand par Marion Graf

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Kult u rjo u r n alism u s

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Ku lt u r jo u r n alism u s

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n lundi ordinaire. Quelques dix millions de billets pos- du prix Grimme en 2003, est une revue de presse quotidienne, qui tés sur les blogs de la planète. Des consommateurs de offre un concentré précis de ce qui occupe les rubriques culturelculture qui font part de leurs découvertes et décep- les les plus renommées de la presse germanophone, dont celle du tions du week-end par centaines de milliers. Des dizai- quotidien zurichois Neue Zürcher Zeitung. Paraît également une nes de milliers de twitteurs qui référencent des arti- revue de livres quotidienne, avec ses comptes rendus – plus de cles de presse. À elles seules, les maisons d’édition allemandes 30 000 de ceux-ci sont à ce jour librement accessibles dans les arenvoient quelques milliers de tweets. Des dizaines de journaux qui chives du site. De nombreux intellectuels, écrivains et créateurs renvoient à des centaines de blogs. Des twitteurs qui bloguent des culturels renommés participent régulièrement à la plateforme, articles. Des rédacteurs qui twittent des blogs. Des blogueurs qui comme Jürgen Habermas, Imre Kertész et Götz Aly. Pourtant, Pertwittent. Et encore, on n’a pas parlé de Facebook ! lentaucher.de est surtout une machine à recycler, qui traite et préUn lundi parfaitement ordinaire. Et on se demande : « Mais sente de manière simple et rapide des contenus déjà publiés ailqui donc va lire tout cela ? » leurs, ce qui lui vaut depuis 2007 un litige avec la Frankfurter Selon une estimation de BlogPulse, le sismographe Internet, Allgemeine Zeitung. Sous signandsight.com, le magazine dispose il y a quelque chose comme 150 millions de blogs de par le monde. en outre d’un blog en anglais, qui opère de même comme passeur de littérature et de culture euL’invention du journal de bord ropéennes. en ligne marquait vers le milieu des années 1990 le passage au Un autre magazine en liWeb 2.0, l’Internet participatif. gne eurozine.com fait lui aussi Depuis, les formes de la comcharnière entre les « anciens » munication numérique se sont et les « nouveaux » médias. Il multipliées à l’infini. Toute tenrelie plus de 75 publications tative de vue d’ensemble est culturelles européennes influvouée à l’échec, tout essai de entes, parmi lesquelles la revue classement présomptueux. On suisse Du et la Revue Internaparle d’un océan de données, tionale des Livres et des Idées de la jungle de l’information, française, et met à la disposidu chantier multimédia, imation du visiteur un choix de Démodés, les journaux et carnets de bord leurs textes actuels. Sa caracges qui reflètent la configurasur la Toile ? Aujourd’hui, on twitte tion de base de l’être humain téristique ? Une notion de culet on facebooke. Et pourtant, il y a quelque face à l’espace numérique : un ture large et volontiers polichose comme 150 millions de blogs lieu inhospitalier que cet Intertique. net, de nos jours ! Surfer en alÀ recommander égalede par le monde. La plupart ne font qu’ajouter ment, lègre apesanteur sur la vague transcript-review.org, au bruit de la Toile, mais certains des données ? Du passé depuis une revue littéraire trimestriont fondamentalement bousculé et recentré longtemps. Qui s’aventure malelle basée sur le Web, cofinanle discours culturel. Petit tour d’horizon cée par l’Union européenne et gré tout sur la Toile aujourd’hui sans prétention. se déplace vite, sans bruit et avec qui paraît en allemand, anglais un but précis. et français. Tout y gravite autour des notions de patrie et Oui, ils existent, les blogs par Christoph Lenz phares de la scène culturelle, d’étranger, on y sonde les pourqui approvisionnent sûrement tours géographiques et linguiset sans délai les intéressés en informations utiles. Qui leur garan- tiques de l’Europe, publiant aussi d’impressionnants numéros tissent en outre qu’ils ne trouveront pas seulement ce qu’ils cher- spéciaux, comme ceux consacrés à la littérature de Macédoine, chent (c’est du ressort de Google), mais, combien plus important, du Pays basque ou de Lettonie. ce qu’ils n’auraient jamais eu l’idée de chercher. Du neuf, de Quatre ans après son lancement, nachtkritik.de fait partie l’inconnu, du bon, de l’essentiel. On présentera ci-après quelques- intégrante de la scène théâtrale germanophone. Le magazine tire uns de ces phares internationaux, nationaux et régionaux. Une sé- profit de l’avance d’Internet sur les médias imprimés : dès le lenlection incomplète, arbitraire – mais tout de même, c’est un début. demain d’une première, il soumet une création à une discussion critique aussi experte que fondée. Plus de 50 collaborateurs assisEntre analogique et numérique tent ainsi, week-end après week-end, à 20 premières et plus en AlParmi les plateformes culturelles Internet majeures, nombreuses lemagne, Autriche et Suisse. Au-delà, le magazine recense d’autres sont celles qui se situent à l’interface entre médias analogiques et critiques de représentations dans ses revues de presse, met à la numériques. Perlentaucher.de, par exemple. Depuis plus de onze disposition de tous des blogs où suivre les débats actuels et assure ans, ce magazine en ligne parle de littérature et de culture dans sa connexion au discours international sur le théâtre en invitant l’espace germanophone. La pièce maîtresse de ce portail, lauréat des auteurs d’un peu partout dans le monde.

Mais qui donc va lire tout cela ?

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Parmi les blogs internationalement les plus renommés à se consacrer aux arts visuels, il faut sans conteste citer artlog.com, un magazine en ligne de haute tenue où textes, interviews et vidéos animent le débat autour de la création contemporaine.

en ligne, espace de débat, échanges scientifiques, vidéos, bribes sonores, etc. etc. norient.com est par ailleurs toujours en phase avec l’actualité : quand les jeunes du printemps arabe descendaient dans la rue, il a fait le portrait des artistes dont la musique accompagnait les manifestations, rappeurs, rockeurs et avant-gardistes du Les blogs des médias établis Yémen au Maroc. Au-delà de ces plateformes indépendantes, presque chaque maiUn autre exemple très réussi : la plateforme 78s.ch de Zurich. son d’édition, magazine ou quotidien sérieux dispose de ses pro- Conçu au départ comme blog sur la scène musicale suisse, le pres blogs, professionnellement gérés. On relèvera que ces titres magazine s’est entre-temps fortement développé. Une nouvelle souvent riches de tradition se portent aussi garants, de par leur re- friandise musicale chaque jour, l’observation attentive de l’activité nommée, des textes qu’ils ne publient que sur Internet. L’équation pop et rock nationale, et le lancement prometteur en automne dernier du magazine culturel multimédia neuland-mag.net : reportages et chroOui, ils existent, les blogs phares de la scène culturelle, niques, mix-tapes et séries photos traitent qui approvisionnent sûrement et sans délai ceux de l’état politique et culturel de la nation sur un ton tantôt quelque peu léger, tantôt qui s’intéressent aux informations culturelles utiles. archi-sérieux. Qui leur garantissent en outre qu’ils ne trouveront Last but not least, un hommage est dû pas seulement ce qu’ils cherchent (c’est du ressort de aux blogs régionaux, qui se distinguent Google), mais, combien plus important, ce qu’ils la plupart du temps par une plus grande proximité aux créateurs culturels et qui n’auraient jamais eu l’idée de chercher. souvent fournissent un excellent travail de médiation et de réseautage. À nommer : générale est simple : plus la culture a de poids dans le média kulturteil.ch, un blog pour la Suisse centrale, KulturStattBern d’origine, plus la qualité de ses blogs culturels est élevée. Et qui sous l’égide du quotidien bernois Der Bund, kulturkritik.ch de la aime lire le Spiegel, le Monde Diplomatique ou la NZZ, appréciera Zürcher Hochschule der Künste pour l’espace zurichois, valaiségalement leurs blogs. mag.ch pour le Valais francophone, Schlaglicht (http://blog.bazThe Book Bench, le blog littéraire du magazine américain online.ch/schlaglicht) pour le nord-ouest de la Suisse et, pour l’est New Yorker (newyorker.com) est un autre exemple éminent dans saiten.ch. En Suisse romande, ce sont entre autres les blogs du cette catégorie, qui relie de manière exemplaire les avantages du magazine L’Hebdo, comme par exemple bonpourlesoreilles.net, journalisme en ligne aux exigences élevées d’un titre réputé. Les qui accompagnent les événements culturels. Alors que presque livres y sont discutés avant même que les presses du magazine ne toutes les régions disposent de leurs propres plateformes en ligne, se mettent en marche, de façon plus souple, souvent plus person- il n’y a pour ainsi dire pas de blog culturel adoptant un point de nelle aussi, avec plus de courage et d’humour que dans l’édition vue national. Belle ironie : dans la jungle sans frontières d’une inimprimée. Et ce qu’on y lit, on le retrouve à quelques jours formation aujourd’hui mondialisée, ce bon vieux « Kantönligeist » d’intervalle non seulement dans les blogs, mais aussi dans les ru- – la version helvétique de l’esprit de clocher – est encore et toubriques culturelles et les revues littéraires du monde entier. Sur jours aux commandes. Internet aussi, le leadership d’opinion existe. Sous l’égide du quotidien français Le Monde, l’écrivain et journaliste Pierre Assouline prend régulièrement la parole depuis sept ans sur son blog littéraire La République des livres, que l’on trouvera sous www.lemonde.fr/blogs/invites, avec d’autres, consacrés au cinéma, au théâtre, à l’art, à la photographie ou à la politique. On mentionnera encore l’offre bilingue de grande qualité de Arte Creative, divisée en culture pop, art, cinéma, design et architecture (http://creative.arte.tv), sous la direction d’Alain Bieber, l’inventeur du blog culturel et politique rebelart.net.

Internet et le fédéralisme Quant à la blogosphère suisse, difficile même là d’en avoir une vue d’ensemble. On a choisi de la représenter par deux portails musicaux et un blog culturel plus général. Norient.com, d’origine bernoise et conduit en allemand et anglais, peut revendiquer le statut de forum de pointe en matière de musique populaire underground. On y trouve absolument tout ce qu’il faut : blog, magazine

Christoph Lenz, né en 1983 à Schaffhouse, est rédacteur culturel au quotidien bernois Der Bund. Il ne blogue ni ne twitte, mais écrit parfois des cartes postales. Traduit de l’allemand par Anne Maurer

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l n’y pas d’indicateur de sympathie moins trompeur et plus dans l’état actuel de la technique du e-book, n’a de toute façon plus incorruptible que la musique. On est ce qu’on écoute, ou ce guère de sens. Le dommage est minime, car recommander ou qu’on a écouté. Et si quelqu’un, des années durant, s’est com- prêter, c’est surtout se faire plaisir à soi-même. Le bénéficiaire y plètement trompé dans ses choix musicaux, eh bien, il n’y a trouve rarement le profit que nous souhaiterions. plus rien à faire ». Ainsi s’exprime Frank Schäfer dans Ich bin Le phénomène ne se cantonne pas aux recommandations dann mal weg. Streifzüge durch die Pop-Kultur (Je pars en voyage. qu’on échange dans le cercle de ses amis. La plupart des recensions Excursions dans la culture pop). Je ne le cite pas ici parce qu’il au- se bornent à nous informer que l’objet commenté a plu ou n’a pas rait particulièrement tort, mais parce que son idée est exemplaire plu à l’auteur du commentaire, qui nous vante, en prime, sa comd’une croyance à laquelle la plupart des gens adhèrent, consciem- pétence culturelle. Lorsqu’il justifie son jugement de goût, il ne ment ou non : nos amis aiment fait guère que rationaliser après les mêmes choses que nous. coup une impression subjective Combien cette croyance est dont la valeur d’usage, pour le destinataire, est là aussi fort liéloignée de la réalité, cela saute aux yeux si l’on recourt aux posmitée. Dans une large mesure, les sibilités de la mise en réseau, telles qu’elles se sont développées offres culturelles, sur la Toile et au cours de ces dernières années sur le papier, remplissent des fonctions dont l’utilité décroît (mais après la parution du livre Qui a encore besoin des critiques, de Schäfer, reconnaissons-le). rapidement. Voilà peu d’années aujourd’hui ? Les systèmes de Avant qu’Internet ne m’éclaire encore, on avait peine à s’inforrecommandation sur Internet sont bien ainsi, je ne soupçonnais pas du mer simplement sur les noutout à quel point, dans les quesveautés, comme à subodorer ce meilleurs conseillers des consommateurs tions de goût, nous vivons sous qui pourrait correspondre à nos de culture que ne le seront jamais les le signe du désaccord, mes amis propres intérêts. Ces deux becritiques de cinéma, la libraire du coin ou et moi. Cela tient notamment soins étaient couverts par les remes amis sur Facebook. Ils sont plus précis. au fait que dans la première censions, le commerce de détail jeunesse, les choses se passent et le prêt – dans les limites étroiEt ils en finissent avec l’illusion que peut-être effectivement comme tes des surfaces à disposition. Or nous faisons partie d’une communauté ces deux besoins sont obsolètes : l’écrit Schäfer : on découvre enculturelle qui partagerait nos goûts. semble, avec des amis, tels grouau manque d’information sur les pes, tels films ou tels auteurs, si produits culturels s’est substipar Kathrin Passig bien que les préférences, pour un tuée une surabondance d’infortemps, se développent en paralmation. Les publications dont la lèle. L’illusion que cet état dure fonction consiste à rendre attentoute la vie provient de ce qu’on prend ses désirs pour des réalités, tif aux nouveautés et à les mesurer à l’aune de ceux qui les recenet du fait que nous discutons plus volontiers de nos convergences sent, ont été remplacées par des offres techniques. Et chaque indid’intérêts que de nos divergences. Je ne veux pas dire par là que mes vidu, dès lors, peut tirer profit de leur surabondance. goûts littéraires, cinéphiliques ou musicaux sont d’un tel raffinement que nul ne peut les partager ; dans beaucoup de domaines, je Les logiciels de recommandation

Aucun de tes amis n’aime ça

De tels systèmes, pour produire des recommandations individuelles, existent en gros sous deux variantes : d’une part la comparaison entre produits similaires, comme fait la radio en ligne Pandora, où des intelligences humaines trient chaque nouveau morceau de musique selon plusieurs centaines de critères de genre : est-ce qu’on entend des artefacts vinyle, y a-t-il d’importants solos pour flûte nasale ? Sur la plateforme de films jinni.com, la même chose se passe grâce au dépouillement automatique de descriptions de films. Mais la plupart des fournisseurs tablent sur des « filtres collaboratifs », qui trient les caractéristiques communes des utilisateurs. Cela présuppose que ces utilisateurs laissent saisir automatiquement leurs préférences de consommateurs – comme sur last.fm – ou qu’au contraire ils formulent des appréciations. Plus le logiciel de recommandation aura rassemblé de données, plus il touchera juste. La plupart de ces offres distinguent entre les amis, à savoir les utilisateurs que l’on connaît personnellement ou que l’on trouve sympa-

nage en plein mainstream. Mais même les amis avec lesquels j’ai des points communs relativement nombreux cultivent par ailleurs des intérêts tellement peu compréhensibles à mes yeux que j’ai dit adieu à l’idée de pronostiquer ce qui leur plaît ou non. Le goût des machines L’utilité des offres culturelles sur le papier et sur le Net décroît rapidement. Cette constatation n’est pas sans conséquences. Depuis que, sur last.fm, une radio Internet qui s’adapte progressivement au goût de l’auditeur, j’ai pu voir pour la première fois à quel point je me trompais sur l’importance des communautés de goûts dans un cercle d’amis, je n’ai plus offert de CD. Je crois encore moins qu’auparavant au sens des recommandations, recensions, listes de préférences et autres exclamations : « à lire/voir/écouter absolument ! », sur Twitter ou Facebook. Je m’efforce de formuler moins de recommandations et de prêter moins de livres ; ce dernier geste,

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thiques, et les voisins – les gens avec lesquels on a effectivement des machines, s’il vous plaît, doivent être limitées et sans originaquelque chose de commun dans le domaine du cinéma, du livre ou lité, celles des humains irremplaçables. La deuxième raison tient de la musique. Les recoupements, entre ces deux groupes, sont au fait que beaucoup d’instruments, au premier chef les recomplutôt rares. mandations d’achat d’Amazon, se limitent effectivement, de maLa maturité, la diffusion et l’importance économique de ces nière étroite, à ce que l’utilisateur connaît et apprécie déjà. Cela systèmes ne sont cependant pas très connues en dehors des cercles provient peut-être de ce qu’on n’a pas investi autant de temps et de spécialistes. Chez Amazon, en 2006 déjà, un tiers des ventes a d’argent dans ces instruments que, par exemple, pour Netflix, mais été induit par les recommandations de la maison elle-même, et c’est peut-être aussi délibéré. Car troisièmement, nous inclinons à durant cette même année 2006, le site Netflix, qui prête des films ignorer précisément les suggestions qui élargissent notre horizon, en ligne, a mis au concours le Netflix Prize, doté d’un million de et que par conséquent nous ne pouvons pas classer au premier coup dollars, pour l’amélioration de son logiciel de recommandation d’œil. Après avoir lu le résumé de Printemps, été, automne, hiver… Cinematch. Il s’agissait d’augmenter de dix pour cent la précision de ses conseils ; le prix La plupart des recensions se bornent à nous informer fut décerné trois ans plus tard à une équipe que l’objet commenté a plu ou n’a pas plu à l’auteur internationale de développeurs. Comme des recommandations fiables contribuent du commentaire, qui nous vante, en prime, sa compétence de manière essentielle à ce que le plaisir culturelle. Lorsqu’il justifie son jugement de goût, d’emprunter des films ne faiblisse pas chez il ne fait guère que rationaliser après coup une impression les clients après quelques mois, on peut parsubjective dont la valeur d’usage, pour le destinataire, tir de l’idée que la mise au concours de Netflix lui a rapporté une somme supérieure à est là aussi fort limitée. celle qu’il a investie dans le prix. (Au cas où vous voudriez devenir client sans plus tarder, je dois vous décevoir : Netflix – comme Pandora – n’est pas dis- et printemps, je ne l’aurais sûrement pas regardé. Que la recomponible en dehors des États-Unis. L’un comme l’autre, je les ai cités mandation ait, de fait, touché si juste, je le sais seulement parce que à titre d’exemples). j’avais déjà vu le film auparavant, par hasard. J’ai certainement rejeté beaucoup d’autres recommandations tout aussi bonnes. Le Les machines sont priées de ne pas être originales conservatisme n’est pas dans la machine, mais dans la tête, et les « Mais fureter dans une librairie ! Mais la découverte, le hasard heu- développeurs de logiciels sont devant la décision de donner à reux ! », se lamentent les critiques. « Les ordinateurs nous recom- l’utilisateur ce qu’il souhaite secrètement (c’est-à-dire encore plus manderont toujours la même chose, encore et encore, au lieu de de la même chose) ou au contraire de le confronter à du neuf, au nous conduire – comme fait un bon ami ou un bon spécialiste – risque de le voir passer à la concurrence, qui lui livrera des recomvers ce qui pourrait élargir notre horizon ». Je crois que cette cri- mandations moins obscures. Nous sommes obligés de nous accommoder de deux choses : tique ne procède pas d’un usage effectif des logiciels de recommandation, mais se nourrit plutôt de circonstances fortuites, à moins nos préférences les plus secrètes peuvent être prévues à partir du qu’elle ne soit de nature théorique. comportement consommateur d’autres personnes – comme cela À tout le moins, je ne peux pas confirmer cette impression par se produit sur last.fm ou sur Netflix – et en même temps, elles nous ma propre expérience. Last.fm a longtemps essayé de m’intéresser isolent. Nous ne faisons pas partie d’une communauté culturelle, au reggae contre ma volonté expresse ; et mes préférences musica- comme l’imagine Frank Schäfer. Cette communauté était une illes, en quelques années d’usage de last.fm, se sont nettement dé- lusion, toujours plus chancelante. Nos amis ne sont pas nos voisins placées (même si ce n’est toujours pas en direction du reggae). Le de goût, nos voisins de goût ne sont pas nos amis, et les gens avec site de recommandation de films criticker.com – après que je me lesquels nous sommes souvent d’accord quand il s’agit du septième suis inscrite et que j’ai donné mon évaluation pour une trentaine art, ont des préférences musicales inacceptables. Mais nous réusside films – m’a enjoint, à ma surprise, de regarder Printemps, été, rons bien à fonder une autre communauté, qui ne réunira plus ceux automne, hiver… et printemps du réalisateur sud-coréen Kim Ki- qui trouvent bons ou mauvais tels ou tels produits culturels. PeutDuk. Ce film n’avait rien à voir avec les évaluations que j’avais four- être en copulant en chœur, comme font les bonobos, ou bien en nies, et rien non plus avec mes autres préférences cinématogra- portant une plainte collective contre le manque de fiabilité des phiques, qui vont plutôt vers les zombies et les flots d’hémoglobine. transports en commun, ou qui sait : on pourrait réunir, en une méJe l’avais vu par hasard dix ans plus tôt dans une avant-première, et tacommunauté, tous ceux qui refusent de disputer des goûts et des j’en avais été alors enthousiasmée. La recommandation était donc couleurs. aussi correcte qu’insolite. Kathrin Passig (*1970) vit à Berlin, entre autres de la L’objection selon laquelle les recommandations générées par rédaction d’ouvrages pratiques. Sa dernière publication : logiciels sont conservatrices resurgit néanmoins dans presque tou- Verirren – Eine Anleitung für Anfänger und Fortgeschrittene, Rowohlt 2010, en collaboration avec Aleks Scholz. tes les contributions non techniques à ce thème, probablement pour trois raisons. La première, c’est un vœu pieux : les capacités Traduit de l’allemand par Étienne Barilier

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L’Égypte présente un taux élevé d’analphabètes. Qui lit le journal ici ? Gamal El Gamal : Sur 80 millions d’habitants, seuls deux à trois millions lisent les journaux. Plusieurs quotidiens et hebdomadaires se font concurrence. Les plus grands sont Al-Ahram et Al Akhbar, des journaux d’État tirés à un million et un demi-million d’exemplaires. Au troisième rang, on trouve le quotidien Al-Masry al-Youm, qui a vu s’accroître massivement son nombre de lecteurs au cours de la révolution et tire aujourd’hui à près d’un demi-million d’exemplaires. Vous êtes rédacteur culturel pour Al-Masry al-Youm. Qu’est-ce que ça signifie, de travailler pour un journal indépendant en Égypte ? Les journaux indépendants traitent des mêmes sujets que les journaux d’État, mais ils adoptent un autre point de vue. Alors que les journaux d’État ne représentent et ne propagent que la façon de voir du régime, les journaux indépendants, eux, offrent un éclairage multiple sur ces thèmes ; ils les analysent avec précision et sans œillères.

hommes d’affaires ne va pas défendre les idées socialistes ou communistes, il va suivre les idées de l’économie libérale. Ces journaux-là exercent une fonction de passerelle entre l’Égypte et le reste du monde en ce qu’ils traitent des relations économiques internationales. Si l’un des propriétaires se retrouve sous les feux de la rampe au niveau politique, le journal va faire preuve d’une certaine réserve. Lorsqu’un des propriétaires de Al-Masry al-Youm s’est porté candidat au Parlement en 2005, le journal n’en a pas fait un sujet, il s’est tenu sur la réserve.

«Avec la révolution, les gens sont devenus plus critiques et courageux» La critique culturelle traverse une crise en Égypte. Le journaliste culturel Gamal El Gamal espère que la démocratisation en cours dans son pays entraînera une ranimation des débats culturels jusque-là étouffés. Inspiré par la jeune scène des blogueurs de son pays, il souhaite ouvrir thématiquement les pages culturelles de son journal.

Quel rôle la radio, la télévision et les nouveaux médias jouent-ils ? Font-ils de l’ombre aux médias écrits ? Non, au contraire, ils se complètent et se soutiennent mutuellement. Les journaux renvoient leurs lecteurs à des sites Internet ou à des émissions de radio et de télévision, et même à des personnes qui y travaillent. Ainsi, les journaux profitent de la popularité des nouveaux médias, qui ne leur ont pas fait perdre de lecteurs. En plus de l’édition papier, les journaux possèdent une édition en ligne ; ils s’en servent pour montrer par exemple les images des manifestations qui se sont déroulées quelques minutes auparavant.

Qui finance les journaux indépendants ? Essentiellement des hommes d’affaires dont les idées, les opinions et les rêves diffèrent de ceux que diffusent les méVous êtes journaliste culturel. Pouvez-vous nous exdias d’État. Cela se reflète dans pliquer ce que l’on entend, leurs journaux. Mais les jouraujourd’hui, par culture en nalistes ne sont pas contraints Égypte ? de partager ou de relayer les propos recueillis par Susanne Schanda intérêts des hommes d’afEn Égypte, on trouve des profaires. Ils analysent, discutent duits culturels, mais pas de et écrivent librement en prinscène culturelle. D’un côté, cipe. Toutefois, ils sont influencés, jusqu’à un certain point, par la on y publie presque un livre toutes les trois heures ; il y a de plus mentalité de leurs bailleurs de fonds, qu’ils en soient conscients en plus de maisons d’édition, de projets de promotion de la lecture ou non. et de projets de traduction étatiques. Mais d’un autre côté, on y manque d’analyses et de commentaires sur la politique culturelle, Les propriétaires tentent-ils de peser sur le contenu du journal ? tout comme de débats littéraires de qualité. Les traditions n’atCela arrive. J’ai travaillé une année pour Al-Dustour et j’ai senti tirent plus grand monde : personne ne s’intéresse plus aux grands très clairement l’ingérence du propriétaire. Il disait explicitement noms littéraires d’autrefois. On a toujours attendu des acteurs ce qui devait figurer dans son journal ou non. C’est pour cette rai- culturels et des intellectuels qu’ils jouent un rôle au niveau de la son que j’ai donné mon congé. À Al-Masry al-Youm, les journa- société. Ils souhaitaient le faire d’ailleurs, mais ne pouvaient pas listes sont professionnels et indépendants. Certes, les propriétaires se le permettre à cause des menaces de répression. Cela va certaiexercent une certaine influence en faisant des propositions. Mais nement changer au cours des années à venir. Actuellement, nous la rédaction n’est pas contrainte de les accepter. Toutefois, les travaillons à mettre en place des structures démocratiques et à délignes directrices sont claires : un journal qui appartient à des velopper la conscience qui va avec. Les avatars du jo u r n aL ism e c u Lt u r e L

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Je suis surprise. Cela fait des années que des intellectuels comme Alaa El Aswany, l’auteur de best-sellers, publient dans les journaux indépendants des analyses critiques de la société et du régime. À mon avis, les intellectuels ont trahi la culture. Ils ont cessé de relater, en écrivains, leurs propres expériences et se sont mis à écrire, en politiciens, sur des thèmes généraux. Depuis la chute de Moubarak le 11 février, Alaa El Aswany écrit pour Al-Masry alYoum en tant que politicien et membre d’un parti, pas en tant qu’écrivain. On peut comprendre que les écrivains ressentent aussi de temps à autre le besoin de vider leur sac. Ce genre de textes, beaucoup d’Égyptiens les adorent, parce qu’ils s’identifient à eux et qu’ils ont le sentiment que quelqu’un dit ce qu’ils pensent. Mais il ne s’agit pas ici de littérature, ce sont des manifestes politiques. Youssouf al-Qaid par exemple est un écrivain médiocre, mais les gens aiment lire ses romans parce qu’il y critique le régime. Le roman d’El Aswany, L’Immeuble Yacoubian, aussi n’est qu’une simple critique sociale. Ces livres-là n’ont aucune qualité littéraire. Mais leurs auteurs deviennent des stars et passent souvent à la télévision. Ibrahim Issa se sert de ce besoin qu’ont les lecteurs d’insulter Moubarak. Tout comme le populaire Hisham Abu al-Nasr n’est pas un bon réalisateur, mais ses films prennent clairement position, sur le plan politique, contre la normalisation des rapports avec Israël, ce qui plaît beaucoup.

que les auteurs égyptiens ne gagnent plus tellement de prix internationaux. Comment concevez-vous votre rôle de rédacteur culturel ? Le compte rendu culturel est en crise. Il n’existe plus de vrais magazines culturels, on ne trouve plus que quelques pages spéciales dans les quotidiens. À la rédaction d’Al-Masry al-Youm, nous projetons de créer un cahier, L’Éditeur, qui réunira toutes sortes de créations dans toutes les disciplines. En plus de publier des critiques et des nouvelles, nous souhaitons aussi y traiter de projets de loi et de travaux de recherche. Vous voulez donc ouvrir la rubrique culturelle à d’autres thèmes. Quel but visez-vous ? Nous souhaitons revivifier l’idée de la culture dans la rue. La jeune scène du blog a montré l’exemple, il y a quelques années déjà. Les blogueurs expérimentent sur le plan stylistique et recourent à des formes mêlant l’arabe littéraire, l’arabe standard et la langue parlée. Le but étant que les gens simples ou moins instruits comprennent eux aussi ces textes ou ces chansons. Bon nombre de ces blogs ont paru sous forme de livres par la suite et ont eu du succès. On a pu mesurer leur efficacité au moment de la révolution. Ils ont réussi en peu de temps ce que des partis politiques bien établis n’ont pas réussi en plusieurs décennies : ils ont réveillé la population et l’ont poussée à prendre son destin en main.

Ces intellectuels déclenchent des débats et ils ont du succès. Qu’est-ce que vous leur reprochez ? Ces films et ces livres sont un genre de marchandise politique qui se vend, ce ne sont pas des œuvres artistiques. Nous avons perdu beaucoup d’auteurs comme écrivains. C’est le cas aussi de Youssouf

Dans quelle mesure la culture du blog influence-t-elle les médias traditionnels ? L’exemple le plus connu est sans doute le blog de Ghada Abdelaal, Je veux me marier, où l’auteure parle du marché matrimonial égyptien et des problèmes des jeunes femmes modernes. Ce blog est aussi paru sous forme Nous souhaitons revivifier l’idée de la culture dans la rue. de livre, un best-seller, et a débouché sur une série télé. Du coup, les journaux ont voulu, La jeune scène du blog a montré l’exemple, il y a eux aussi, s’associer de tels blogueurs et les quelques années déjà. Les blogueurs expérimentent sur ont invités à écrire pour eux.

le plan stylistique et recourent à des formes mêlant l’arabe littéraire, l’arabe standard et la langue parlée. Le but étant que les gens simples ou moins instruits comprennent eux aussi ces textes ou ces chansons. Bon nombre de ces blogs ont paru sous forme de livres par la suite et ont eu du succès. On a pu mesurer leur efficacité au moment de la révolution.

N’importe qui peut rédiger un blog. Il n’y a pas de rédacteur ou de lecteur. Que devient le contrôle de qualité ? La diversité des blogs est immense. La société est devenue très dynamique. Il n’y a plus d’orientations et de critères clairs. Cela vaut aussi pour les blogs. On y trouve de tout, du très bon au très mauvais. Et l’on se sert de la langue de multiples manières. Certains alignent les gros mots et d’autres font dans la nuance. Dans les journaux, les blogueurs peuvent aussi commenter ce qu’ils ont lu ou vu. Tout cela, nous le tolérons sans que la rédaction ne s’en mêle ou censure des textes. Car le public est assez grand pour décider de ce qui est bon et de ce qui ne l’est pas. Les blogueurs en revanche doivent encaisser les réactions que leurs commentaires suscitent. C’est un genre de contrôle de qualité par le lectorat. Je suis favorable à tout cela. Les bonnes choses vont finir par s’imposer et les mauvaises, par être écartées.

Idriss qui rédige une chronique hebdomadaire dans Al-Ahram, mais qui ne fait plus guère de littérature. La politique a gagné les auteurs que la littérature a perdus. Naguib Mahfouz était plutôt faible dans ses prises de position politiques, mais il n’en était que meilleur écrivain : il a gagné le Prix Nobel, parce qu’il écrivait des livres d’une grande qualité littéraire. Il faisait partie d’une génération qui tendait plutôt à jouer les médiateurs qu’à critiquer haut et fort. Aujourd’hui, nous n’avons quasiment plus de bons écrivains, mais ils sont forts dans leur engagement politique. C’est pour cela

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Y a-t-il des débats sur la politique culturelle dans les médias égyptiens ? Non, les débats ont été largement étouffés. Il n’y a pas de politique culturelle qui s’occupe d’autre chose que d’argent. Le travail culturel est considéré par beaucoup comme un genre de garantie de revenu. Ceci remonte à l’époque du gouvernement d’Anwar alSadat, au milieu des années 1970, et de son concept de Libéralisme et capitalisme. Tout ce qui avait trait à l’esprit, l’art, la beauté, la critique, a été anéanti. L’être humain devait se contenter de manger, de boire et de gagner sa vie, pas la peine de réfléchir. Dans les universités, on a interdit aux étudiants de s’occuper de politique. Les syndicats de journalistes ou d’avocats ne se battaient que pour le droit à la retraite. L’argent et les façons d’en gagner sont devenus le thème central, tandis que la culture est passée à la trappe. Même dans les associations d’écrivains, on ne parlait plus que de rentes, de revenus et d’appartements bon marché. Durant l’ère Moubarak, le ministre de la culture, Farouk Hosni, a résolument poursuivi cette ligne. C’est alors qu’est né le concept « d’écurie culturelle », où les acteurs culturels étaient parqués et nourris comme du bétail dans l’écurie du ministère.

recouru, pour ce faire, au terme « maître de danse ». Or en arabe, le mot « maître » possède une connotation religieuse. Le rédacteur en chef est donc intervenu et a décidé que le mot « maître » ne devait pas être utilisé en rapport avec la danse. Finalement, il a supprimé la page entière. La censure s’exerce donc aussi au sein du journalisme culturel ? Oui, mais la plupart du temps, il s’agit d’autocensure.

Et la critique culturelle, au sens d’une réflexion critique sur l’art et la culture, où s’exerce-t-elle aujourd’hui ? Jusque dans les années 1990, il y a eu des tentatives de critique culturelle, mais les revues culturelles qui s’y livraient ont perdu beaucoup d’argent et certaines d’entre elles ont même fait faillite. La critique culturelle s’exerce encore dans les couloirs des académies. Mais dans les médias, il n’y a pas de réflexion critique sur la littérature, la musique ou l’art. Il ne s’agit que de publicité pour des livres, rédigée par leurs auteurs eux-mêmes. La critique littéraire est une tâche difficile qui exige beaucoup de savoir et de talent. La revue littéraire d’État Al-Akhbar al-Adab n’a plus du tout la même importance. Ses critiques littéraires officiels sont des fonctionnaires qui gagnent leur vie avec leurs colonnes, pas des personnes qui ont une approche sérieuse des livres et les lisent deux fois. Je crois toutefois que dans les années à venir, bien des choses vont changer, parce qu’avec la révolution, les gens sont devenus plus critiques et courageux. En Europe, les débats sur des questions de société, l’Islam par exemple, se déroulent aussi dans les pages culturelles. Qu’en est-il en Égypte ? On ne peut séparer la culture des questions de société. Les articles conseillant les lecteurs sur les divers aspects de la vie en font partie aussi. Nos cahiers société abordent des thèmes élémentaires comme les rapports entre parents et enfants, entre homme et femme. Nous constatons que la famille perd de son importance. Les amis que l’on retrouve au club deviennent plus importants.

Cet entretien a été réalisé le 12 mars 2011 au Caire, un mois après la chute d’Hosni Moubarak. Ola Abdel Gawwad a fait office de traductrice durant l’entretien. Gamal El Gamal est né au Caire en 1959. Il a étudié à la faculté d’archéologie de l’Université du Caire et possède un Master of Arts. Aujourd’hui, il est rédacteur culturel et critique à Al-Masry al-Youm, le premier et le plus grand quotidien indépendant d’Égypte, qui existe depuis 2004.

Et les thèmes tabous, comme la religion par exemple ? Il y a toujours des thèmes délicats, comme les rapports entre les sexes par exemple. On essaie de désamorcer un peu le sujet à l’aide de formulations prudentes. Mais alors qu’on a brisé les tabous en politique, la religion et le sexe demeurent problématiques. Un exemple : un journaliste a voulu écrire un article sur la danse et a

Susanne Schanda, née en 1960, s’occupe du Proche et du Moyen-Orient en tant que journaliste free-lance. Grâce à de nombreux séjours prolongés, elle connaît de l’intérieur la vie quotidienne, la culture et la société égyptiennes. Elle travaille pour divers médias papier et en ligne de langue allemande, ainsi que pour la radio suisse DRS. Traduit de l’allemand par Patricia Zurcher

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ien des commentaires sur la littérature ou la critique l’amateur, au sens propre de celui qui aime, dispose souvent de et les activités littéraires, lisibles aujourd’hui sur In- vastes connaissances intéressantes. Dans la presse écrite, en tout ternet feront peut-être un jour partie des documents cas, la rubrique culturelle en général et la critique en particulier, les plus dignes de conservation en ce qui concerne la n’ont enregistré aucune perte ces dernières années à cause de la vie culturelle. Mais nous en sommes loin. Ne serait-ce concurrence d’Internet. Ce qui ne signifie pas que l’on ne puisse que parce que, en dépit de l’enthousiasme suscité par les possibi- trouver sur des blogs et dans des revues électroniques des critiques lités et les perspectives d’Internet, la conscience historique pour meilleures, plus fondées, plus précises dans leur argumentation, les genres, les techniques d’écriture et les types de textes qui s’y que dans la presse écrite. affichent, demeure encore rudimentaire. C’est vrai, par exemple, Internet est un espace ouvert, où chacun peu apparaître pour les archives, la chronique et le journal individuel destiné au moins de manière semi-publique, ce qui ne facilite pas la mise au public – autant de genres relevant de la documentation écrite en place de structures permanentes, voire de classements et de qui, une fois sur Internet, sont perçus comme spécifiques à ce hiérarchies. Beaucoup s’y sont essayés, mais dans la sphère germoyen technique (sous forme de blogs ou de banques de données manophone plus encore que dans l’espace anglophone, il semble numériques notamment), sans que l’on ait pris conscience qu’ils difficile de mettre en place une infrastructure intellectuelle existent depuis des siècles. Les grandes idées de la dernière décen- stable, susceptible de s’imposer. Ce défaut se traduit aussi par le nie – le blog considéré comme fait que les sites culturels du un nouvel instrument de débat domaine germanophone – du foncièrement démocratique Perlentaucher à S.P.O.N. (le sur tout et avec chacun, les site commun des journalistes organes de recension libre sur culturels en ligne du Spiegel) – la Toile, le roman numérique vivent pour l’essentiel des ru– toutes ces rubriques électrobriques culturelles de la presse niques ont agité les esprits, écrite, puisqu’ils consistent pour perdre ensuite de leur imen grande partie en commenportance (notamment le portaires des articles écrits par tail literaturkritik.de) quand leurs collègues. Le ton ironique, souvent dépréciatif, ce n’est pas pour disparaître parfois haineux, qui revient tout bonnement, comme le Les blogs culturels sur la Toile, les plateformes régulièrement dans les comportail Internet des écrivains de recension, le roman numérique ampool.de, autour d’Elke mentaires publiés sur la Toile ont momentanément agité les esprits. Naters et Christian Kracht, ou (dans le Perlentaucher noPour Thomas Steinfeld, presque tout cela est tamment) peut s’expliquer encore la salle de lecture nudevenu insignifiant ou inexistant. objectivement : on s’efforce mérique Lesesaal du quotidien Frankfurter Allgemeine de compenser une infériorité Les journalistes des rubriques culturelles Zeitung. structurelle par un plus grand classiques n’ont pas besoin de se faire degré de subjectivité. de souci pour l’avenir de leur profession. Les rubriques électroniques vivent des médias imprimés Les vertus de la contingence matérielle Le Perlentaucher, le chasseur par Thomas Steinfeld Il y a trois raisons à la supériode perles, le projet le plus ambitieux du genre, destiné non rité de la presse écrite dans le seulement à donner un aperçu quotidien des pages culturelles des domaine de la critique, dont aucune n’est nécessairement liée à la grands journaux, mais à devenir une sorte d’hyperrubrique cultu- qualité des textes. La première est la rareté : la place disponible relle, demeure réservé à des lecteurs pour le moins semi-profes- pour la critique dans la rubrique culture est limitée. Celle-ci dissionnels. Qui plus est, la plupart d’entre eux l’utilisent comme un pose tout au plus d’une ou deux pages par jour. Le fait qu’il y ait sommaire – à l’image de artsandlettersdaily.com – et non comme concurrence pour occuper cet espace ne signifie nullement que la un organe intellectuel autonome. En termes de vente de livres, on meilleure critique s’imposera, mais que cette seule limite fait accordera déjà plus d’importance aux comptes rendus de lectures prendre conscience de l’importance du choix et de la différenciad’Amazon, sans savoir clairement toutefois si les textes publiés sur tion. Ce discernement appartient à la logique interne de la presse ce site relèvent de la critique ou du témoignage de lecture. Il y a quotidienne écrite. Il y a quelque chose de vrai dans l’étonnement une dizaine d’années, on pensait que le critique amateur ou le exprimé au début du XXe siècle par le comique munichois Karl blogueur ferait sérieusement concurrence à la critique ou au jour- Valentin, quand il dit qu’il se passe chaque jour autant de choses nalisme culturels professionnels. L’idée a fait long feu : ce dilettante sur la Terre qu’il y a de place dans le journal. Si la presse écrite existe certes, et la critique professionnelle prudente le lira de temps transmet moult nouvelles, commentaires, comptes rendus, opià autre, pour peu qu’elle le trouve, ne serait-ce que parce que nions et recensions, elle enferme aussi toute cette diversité dans

Internet n’est pas une concurrence

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un format sévère d’une grande constance. Sur Internet en re- sa structure, cette presse est proche du livre, puisqu’elle se lit d’en vanche, chaque intervention peut non seulement prendre une haut à gauche jusqu’en bas à droite, de la première à la dernière longueur infinie, elle fait aussi partie d’une Toile potentiellement page. Pour cette raison, la critique littéraire (ou culturelle) écrite infinie. Et le fait que le contenu d’un journal Internet paraisse sous partagera l’avenir du livre, ce que l’on ne saurait dire de la critique forme de livre à intervalle régulier (avec plus de succès que le de la musique populaire – la critique musicale classique ne semble même texte sous forme de blog, comme c’est le cas pour celui de pas beaucoup plus menacée que la littéraire– ou de la critique cil’écrivain berlinois Rainald Goetz), atteste une fois encore de l’ef- nématographique (par exemple, aintitcool.com ou slate.com). Car ficacité du principe de raréfaction. il existe une affinité entre le cinéma et la critique cinématograIl est des blogs littéraires qui tirent de ce problème structurel phique en ligne, qui n’est probablement pas due au simple fait que la conclusion que publier plus et plus fréquemment est une réac- les clips s’intègrent facilement au moyen numérique, mais aussi à tion adaptée pour s’imposer sur la Toile et gagner en visibilité. C’est le contraire qui est vrai : un quotidien signifie aussi que des Il y a une dizaine d’années, on pensait couramment textes en quantité limitée se trouvent réunis que le critique amateur ou le blogueur ferait physiquement dans un espace (et là encore sérieusement concurrence à la critique ou au journalisme donc soumis à une limite) pour une durée culturels professionnels. L’idée a fait long feu : ce dilettante plus ou moins limitée. L’assujettissement au papier est la seconde raison de la constance existe certes, et la critique professionnelle prudente le – et peut-être aussi de la supériorité intrinlira de temps à autre, pour peu qu’elle le trouve, ne serait-ce sèque – de la presse écrite dans le domaine de que parce que l’amateur, au sens propre de celui qui aime, la culture et de la critique. Car un moyen de dispose souvent de vastes connaissances intéressantes. communication n’est pas déterminé par sa seule accessibilité et sa capacité d’adaptation aux besoins individuels, par la seule ampleur de sa diffusion et par sa vitesse – autant de qualités qui relèvent l’intersection sociale plus vaste entre amateurs de cinéma et plus d’Internet que de la presse écrite –, il est aussi tributaire de adeptes de blogs ou de magazines numériques qu’entre lecteurs coordonnées telles que la lourdeur et la légèreté, la stabilité et la de livres et visiteurs d’Internet. péremption. Le papier a l’avantage d’être infiniment souple à cet égard : il La culture, espace de réflexion sur la société

peut être très lourd ou très léger et se retrouver dans la poubelle le lendemain, ou très léger et durer quand même des siècles. Il peut servir de véhicule sur de grandes distances temporelles et spatiales. Ainsi nous avons nommé le troisième argument qui plaide pour la supériorité de la presse écrite dans le domaine de la critique : par

Les critiques littéraires et les journalistes spécialisés dans la culture n’ont donc pas de souci à se faire quant à l’avenir de leur profession dans les médias classiques. Jusqu’à nouvel avis, aucune concurrence ne vient les menacer sur Internet – son rôle jusqu’ici, du point de vue professionnel, réside avant tout dans la qualifica-

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visuels et d’Internet en particulier. Ils réagissent en accordant de la place à des formes plus lentes et plus longues : l’analyse contextuelle, le reportage, le dossier, le portrait – et la critique : bref, des genres réflexifs et narratifs. La rubrique culturelle, qui en relève, n’est pas forcément plus volumineuse pour autant. Mais les techniques, les styles et les manières de travailler qui lui sont propres sont repris par les autres rubriques : politique, économique, et même sportive. À bien des égards, nous revenons à une situation que nous avons connue par le passé, quand la culture était le lieu où se discutaient tous les aspects de la vie en société – à ceci près que la culture, en regard du sport, des heurs et malheurs des vedettes, de l’activité politique souvent réduite à une fonction purement symbolique (les décisions réelles relevant de l’économie), ne bénéficie plus que d’une fraction de l’attention sociale qui était la sienne à la fin du XVIIIe siècle encore. Cela dit, les perspectives du journalisme culturel ne sont pas mauvaises pour autant. Mais pour savoir où l’on en est, il vaut mieux connaître l’histoire de son métier.

tion et le recrutement de jeunes journalistes spécialisés ainsi que dans la consultation d’écrits volumineux, et donc peu maniables. Certes, ces dernières années, Internet apparaissait comme le moyen qui l’emporterait à cause de son important taux de croissance : de nombreux managers de l’édition ont appliqué aux formats traditionnels les critères de la présence numérique. Cette erreur ne pouvait déboucher que sur des formes hybrides qui n’ont pas avantagé la rubrique culturelle sur papier. Mieux vaudrait suivre la logique propre de chaque média et s’en servir en la respectant. Surtout depuis que le décalage horaire entre un événement et sa relation peut être réduit à un strict minimum par le biais des réseaux sociaux. D’ailleurs, plutôt que de tous se focaliser sur le support le plus rapide avec plus ou moins de succès, les médias commencent à se différencier selon leur logique propre. On le voit déjà avec Internet, qui remplit souvent non seulement la fonction d’archives gigantesques, mais héberge aussi de très longs textes dans des espaces prévus à ce seul effet. Et il y a des périodiques ou hebdomadaires imprimés comme Die Zeit qui tirent désormais profit de leur relative lenteur, car le différé est mis au bénéfice du recul et de la réflexion. Mais c’est dans les quotidiens que le changement est le plus frappant : ils sont de plus en plus souvent déchargés de l’événementiel, car ils ne peuvent concurrencer la rapidité des médias audio-

Thomas Steinfeld (*1954), est directeur de la rubrique culturelle de la Süddeutsche Zeitung à Munich et professeur titulaire des sciences de la culture à l’Université de Lucerne. Traduit de l’allemand par Ursula Gaillard

Les dessinateurs

Ruedi Widmer (*1973) est graphiste, dessinateur, humoriste et écrivain satirique. Il dessine et écrit régulièrement pour les journaux et revues Tages-Anzeiger, Der Landbote, WoZ Wochenzeitung, TITANIC, SALDO et de nombreux autres. Ruedi Widmer vit et travaille à Winterthur. ll compte plus d’un critique de cinéma et plus de deux critiques musicaux parmi ses amis et c’est avec plaisir qu’il partage des bières et des discussions avec eux, qu’on aurait pu d’ailleurs retransmettre à la télévision si la voiture d’enregistrement avait eu la permission de s’arrêter devant le bistrot (parking interdit, hélas !). C’est un facebooker passionné et un twitteur dangereusement indifférent. www.ruediwidmer.ch

Philippe Becquelin (*1958) vit à Lausanne. Après des études aux Beaux-Arts de Lausanne, il se consacre au dessin de presse. Il dessine sous le pseudo de Mix & Remix dans le magazine romand L’Hebdo ainsi que pour l’émission de la Télévision suisse romande Infrarouge. À l’étranger, on peut voir ses dessins dans Le Courrier International, les magazines Lire, Clés et L’internazionale. Philippe Becquelin n’est pas un grand consommateur de biens culturels. Il va quelquefois au cinéma et achète un ou deux disques. Les critiques de films, il ne les lit que rarement parce qu’elles ont une fâcheuse tendance à raconter toute l’histoire ou même à divulguer le dénouement. En matière de musique, il suit les conseils de sa fille ou il regarde sur Facebook ce que ses amis recommandent. http://mixremix.ch

Adaptation française par Marielle Larré

Les avatar s du jo u r n aL ism e c u Lt u r e L

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H eU r e l o cA l e

san fr ancisco

new york

paris

rome

VarsoVie

le caire

le cap

new delHi

sHangHai

la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia entretient plusieurs permanences dans le monde entier. celles-ci ont pour tâches de stimuler les échanges culturels et de développer des réseaux culturels.

Au carrefour de la technique, de la science et de l’art san francisco

swissnex San Francisco branche de jeunes designers de jeux électroniques suisses sur l’effervescente scène du gaming de la côte ouest des États-Unis. De leur côté, les Suisses présenteront en octobre une exposition itinérante à San Francisco. par Bettina Ambühl, San Francisco – Jeux de simulation sur ordinateur, sudoku sur le téléphone mobile, entraîneur de yoga numérique – l’offre de jeux et d’applications électroniques n’en finit pas de s’enrichir. Game Culture, un programme de Pro Helvetia, explore le phénomène chatoyant

Une mise en abyme critique : Game Over de l’artiste Yan Duyvendak incite à une réflexion sur le jeu.

des jeux vidéo et fait voir en Suisse comme à l’étranger ce que l’Helvétie produit en la matière. Une exposition itinérante intitulée Swiss Game Design fera halte en octobre sur la côte ouest des États-Unis. la collaboration avec l’organisation partenaire swissnex San Francisco en fera un H e u r e lo c ale

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événement interactif s’adressant aussi bien aux professionnels qu’aux profanes avertis. Haut lieu du numérique, toute proche de Silicon Valley, la ville de San Francisco constitue pour l’industrie du jeu électronique une plateforme particulièrement animée et stimulante. Alors qu’en Suisse la


première réaction au mot « jeu vidéo » est souvent faite de réserves et de crainte qu’ils ne favorisent la violence, c’est, en californie, aux potentialités de développement de ce secteur que l’on s’intéresse en premier. c’est ici qu’est organisée depuis déjà 25 ans la Game Developers Conference, qui attire chaque année quelque 18 000 spécialistes. Un coup d’œil au programme de mars 2011 en dit long sur la diversité des sujets abordés dans le cadre de cette manifestation, où les ateliers sur les dernières nouveautés techniques en matière de développement voisinent en bonne intelligence avec des exposés sur les aspects juridiques, éthiques et psychologiques des jeux. Par exemple, celui de Mia consalvo, professeure au Massachusetts Institute of Technology, qui s’interrogeait sur la réalité des interactions sociales que l’on prête aux jeux dits sociaux. Serious Games : plus qu’un passe-temps Grâce à Pro Helvetia, la Suisse a participé cette année à la conférence et tenu, pour la première fois, son propre stand à San Francisco. swissnex, antenne du Secrétariat d’État à l’éducation et à la recherche pour l’encouragement de l’innovation suisse à l’étranger, a complété cette présence par une exposition interactive concoctée par la section game design de la Haute école d’art de Zurich et une présentation des dernières nouveautés sorties des studios de

Orbital, un jeu iPhone au succès retentissant, a été développé par le Suisse Reto Senn.

développement suisses. Pour reto Senn, cofondateur et coo de la société rapperswiloise Bitforge AG et développeur de Orbital, jeu iPhone dont on sait la brillante carrière, cette participation des game designers suisses à la grande foire aux idées qu’est la conférence de San Francisco constitue, dans la perspective d’une indus-

trie du jeu électronique proprement suisse, un grand pas en avant. Selon lui, le principal mérite de Game Culture est toutefois d’avoir également catalysé les échanges entre les développeurs suisses de jeux électroniques. conçue par le musée bâlois Haus der elektronischen Künste Basel, l’exposition itinérante Swiss Game Design permet de comprendre instantanément que l’intérêt suscité par les jeux, que ce soit en Suisse ou ailleurs, va bien au-delà du divertissement. Quand, collaborant avec l’antenne zurichoise de Disney research, des informaticiens de l’École polytechnique fédérale de Zurich ePFZ s’efforcent de rendre les animations toujours plus réalistes, il y a main dans la main entre la science et l’industrie du divertissement. Quand des patients font, par le biais de jeux électroniques, des exercices qui accélèrent la récupération fonctionnelle, les jeux et leur développement sont au service de la science. exemple, le logiciel Gabarello. Issu, en 2009, à la Haute école d’art de Zurich, d’une collaboration avec l’Hôpital des enfants de Zurich, l’ePFZ et l’Université de Zurich, il est utilisé pour la récupération des fonctions motrices chez les personnes ayant subi un accident vasculaire cérébral. la technique consiste à transmettre les mouvements que font ces personnes à un personnage qui doit triompher à l’écran de toute une série d’épreuves. en essayant d’aller le plus loin possible dans le jeu, les patients exercent la motricité de leurs jambes dans le but de réapprendre à marcher.

Dans le jeu de simulation Spore, le joueur invente ses propres créatures. Christian Lorenz Scheurer a participé à la conception visuelle.

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Un art qui est aussi réflexion sur le jeu le gaming ne met pas seulement la technologie et la science au service du divertissement, il intègre également des aspects artistiques. Quant à savoir si les jeux numériques peuvent prétendre à l’appellation d’œuvres d’art, voici ce qu’en pense christian lorenz Scheurer, un poids lourd suisse du design de jeux de console et de films d’animation, établi depuis plusieurs années à Hollywood : « Tout jeu n’est pas


une œuvre d’art, pas plus que tout film, mais il existe pour le moins un potentiel artistique. » Un potentiel qui dépend évidemment de la créativité du designer. Quand christian lorenz Scheurer assure le design, comme c’est le cas pour un projet de film encore tenu secret, naissent sous sa direction des mondes entiers, d’après lesquels sont construits les décors du film et que l’action rend vivants pour le spectateur. Mais il n’existe pas encore, dit-il, pour cette forme d’art, de métacritique telle qu’en produisent par exemple les œuvres d’un Joseph Beuys. on peut également voir dans le cadre de Swiss Game Design quelques œuvres qui suscitent cette sorte de métaréflexion sur soi-même et sur le jeu. Par exemple Game Over, jeu vidéo de Yan Duyvendak, dans lequel on voit celui-ci tirer sur des ennemis invisibles. Dès lors qu’ils comportent un espace de réflexion, ces jeux s’éloignent toutefois du but premier : offrir à celui qui joue une occupation avant tout divertissante. Hésitant entre jeu et installation, la plupart confrontent la personne qui joue ou qui regarde à des contenus prétendant exister par euxmêmes, quel que soit le déroulement de la partie. D’où possibilité de distinguer entre la culture du jeu électronique en tant que telle et des formes d’art qui sont une réflexion sur cette culture. le fait que ces œuvres proposent une réflexion critique montre bien que le gaming est aujourd’hui perçu comme un contenu important de la vie de beaucoup de personnes.

Tenter de trouver un langage universel sHangHai

la série d’expositions Action and Video – CH/CN Art Now à Shanghai présente l’art vidéo de Suisse et de chine et offre aux artistes des deux pays une plateforme d’échanges.

par Stefanie Thiedig, Shanghai – Performance et vidéo, forme et médium : voici les thèmes auxquels se consacre la série d’exposition Action and Video – CH/CN Art Now qui se tient à Shanghai d’avril à décembre 2011. D’un côté se trouvent le musée Minsheng Art et les artistes chinois qui y exposent, de l’autre les artistes suisses invités par le bureau de Pro Helvetia à Shanghai, et entre les deux, li Zhenhua, le commissaire d’exposition qui partage sa vie entre Zurich et Beijing et fait le lien entre tous les acteurs de l’exposition. Sans oublier l’esprit de conciliation interculturelle régnant et qui requiert, de la part des

deux parties, une bonne dose de patience et la volonté de s’ouvrir à l’autre. Contrastes et parallèles Depuis l’été dernier, les rétrospectives d’art chinois contemporain ont le vent en poupe. Au mois de septembre, le musée Minsheng Art a montré un vaste aperçu de l’art vidéo chinois. le nouveau bureau de Pro Helvetia à Shanghai et le commissaire li Zhenhua se sont ralliés à ce thème actuel. en confrontant l’art vidéo contemporain de Suisse et de chine, le projet Action and Video – CH/CN Art Now entend révéler des contrastes et des parallèles et offrir aux

Pour trouver des informations sur d’autres manifestations : www.swissnexsanfrancisco.org Bettina Ambühl a fait des études de germanistique à l’Université de Zurich. Depuis un an, elle vit avec son mari en californie, où elle travaille comme correspondante du quotidien zurichois Neue Zürcher Zeitung.

Des étudiants des beaux-arts de Shanghai aident à la mise en place des œuvres sous la conduite des artistes.

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Photos: Jin Jingyi

Traduit de l’allemand par Michel Schnarenberger


artistes des deux pays une plateforme d’échanges. À cette occasion, les artistes suisses Yves Netzhammer, Bernd Schurer, roman Signer, Yan Duyvendak et Marc lee, de même que l’historien d’art Beat Wyss rencontreront les artistes chinois liu Wei, lu Jie, Aaajiao, Zhang Peili et lu chunsheng. la série d’expositions a été inaugurée le 19 avril par le conseiller fédéral Didier Burkhalter. c’est Yves Netzhammer, accompagné de Bernd Schurer, artiste plasticien et numérique, qui a ouvert les feux – le titre initial Die Anordnungsweise zweier Gegenteile bei der Erzeugung ihres Berührungsmaximums a été traduit sans ambages en anglais par Nature Fear Entity. L’effet papillon la série d’expositions ne saurait servir d’objet classique de représentation, mais plutôt de moyen de communication grâce auquel l’acte créateur et sa genèse deviennent tangibles. c’est pour cette raison que les responsables du projet ont également choisi d’impliquer le musée Minsheng Art et un grand nombre d’étudiants en art de Shanghai. Une fois les premiers dessins muraux peints, les installations spatiales montées, les vidéos intégrées, les sons synchronisés, soit les bases de l’exposition posées, les artistes peaufinent l’exposition avec les étudiants. en chine, même si les écoles d’art enseignent en premier lieu des méthodes et des processus de production – le système d’éducation chinois ne laisse guère de liberté de mouvement –, c’est justement par leurs aspects formels que les points de vue des artistes peuvent être reconnus dans l’art contemporain. Au regard de la discipline régnant au sein des écoles chinoises, li Zhenhua déclare : « Notre tentative ne prétend pas changer le système chinois, mais qui sait, il en résultera peut-être un effet papillon. » Des ateliers, des conférences, des visites d’écoles et d’institutions doivent y contribuer dans la foulée. les deux cultures ont beaucoup à apprendre l’une de l’autre : « Même si cela fait déjà un certain temps que je travaille avec des artistes suisses, je me trouve dans un processus d’apprentissage permanent résultant des différentes manières de travailler des artistes chinois et suisses », confie

li Zhenhua. le mantra chinois du manman lai (« sans se départir de son calme ») vise au cœur même de malentendus d’ordre culturel, et les européens ont souvent bien du mal à le saisir. ce d’autant plus qu’en chine, bien des choses sont planifiées et mises en place très rapidement – pour la série d’expositions, les deux parties se sont donc entendues sur le principe du work in progress. Un nouveau bureau Pro Helvetia à Shanghai Dans la mesure où les œuvres de Netzhammer ne sont guère compréhensibles

Matérialisation d’expériences sensorielles : Yves Netzhammer au travail.

au premier abord, les étudiants avancent avec retenue quelques rares commentaires et tentent souvent d’accéder aux thèmes de l’artiste par le biais des figures animales. « en tant qu’éléments non codifiés et se situant en deçà de tout jugement de valeur, les animaux sont des vecteurs d’émotions idéaux et ils permettent les associations d’idées », relève Netzhammer. chez lui, la prise en compte de l’individu, de la culture et de la nature soulève des questions d’ordre existentiel : impossible de se fier à la surface – elle ouvre le regard à l’espace psychologique des profondeurs : nos peurs devant l’affranchissement des conventions, l’instabilité de notre appréhension du monde. Tout n’est pas lisible pour tout le monde, mais les expériences sensorielles H e u r e lo c ale

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exposées dans les scènes disposent d’une force d’expression aussi puissante qu’étendue, donnant ainsi la possibilité aux participants des deux cultures de se retrouver dans une sorte de langage universel. Voilà ce qu’espère aussi le nouveau bureau de liaison de Pro Helvetia officiellement inauguré à Shanghai en octobre 2010. Depuis 2008, une septantaine de projets artistiques ont permis de récolter des expériences pour les échanges culturels entre la chine et la Suisse. Trois collaboratrices locales y travaillent : Sylvia Xu, responsable, est épaulée par cathy Fu à Shanghai et eliza Wang à Beijing, laquelle relie Pro Helvetia Shanghai à la capitale. « Notre bureau est petit, donc extrêmement flexible, et les structures ne connaissent pas la rigueur hiérarchique qui règne dans la plupart des pays où Pro Helvetia a une permanence », confie Xu. Au niveau du contenu, l’accent est redéfini chaque année : art vidéo cette année, design et architecture l’année prochaine. Toutefois, les artistes ne bénéficient que très rarement d’un soutien direct. Au lieu de cela, Xu collabore essentiellement avec des institutions chinoises qui soutiennent des projets particuliers au plan financier et par l’intermédiaire de leurs réseaux. le musée Minsheng Art, partenaire du projet actuel, effectue à cet égard un authentique travail de pionnier, puisqu’il s’agit du premier et seul musée d’art chinois contemporain entièrement financé par une banque. « entre-temps, d’autres banques projettent également de fonder des musées », révèle son directeur Zhou Tiehai. « Pour nous en chine, c’est encore l’inconnu – pour le moment, nous nous consacrons encore aux processus fondamentaux du travail de musée et à la mise sur pied d’expositions. » Pour plus de détails sur les expositions actuelles et les manifestations liées à Action and Video, voir www.prohelvetia.cn. Stefanie Thiedig (*1980) travaille comme médiatrice culturelle indépendante sous le nom de Kulturgut à Beijing. en septembre 2010, elle a publié avec Katharina Schneider-roos l’ouvrage Chinas Kulturszene ab 2000, consacré à la scène artistique chinoise des années zéro, aux éditions christoph Merian. Traduit de l’allemand par Anne Schmidt-Peiry


R EP oR tAGE

Le globe-trotter et son carnet d’esquisses Cosey, l’auteur suisse de bandes dessinées, est en résidence de plusieurs mois en Inde ; il s’est souvent rendu dans ce pays qu’il aime beaucoup. Il séjourne dans la capitale, New Delhi, où empêtré dans la foule et le chaos, il cherche l’inspiration pour ses prochaines œuvres graphiques. par Janice Pariat (texte) et Ankur Ahuja (photos)

Un chaud après-midi de mars, l’air sent la fin de l’hiver. Des rayons de soleil couleur de miel dessinent des motifs sur le sol à travers les longues fenêtres. Dehors, tout est tranquille ; Lajpat Nagar, quartier généralement animé du sud de Delhi, sommeille sous une brume de poussière jaune. « Ça se réveille le soir », me dit Cosey en connaisseur : il y a près de trois mois qu’il habite ici. Cosey est en résidence en Inde grâce à Pro Helvetia, la Fondation suisse pour la culture. Il se plaît dans ce quartier et s’est fait des amis parmi les bédéastes de Delhi, comme Vishwajyoti Ghosh, l’auteur de Delhi Calm, Sarnath Banerjee, l’auteur de Corridor, The Barn Owl’s Wondrous Capers et récemment de The Harappa Files,

ou Anindya Roy qui dirige Manic Mongol, une maison d’édition de B. D. Cosey les trouve « pleins de talent et charmants. Et drôles ! » « Le maître de l’aquarelle » Cosey a apporté sa touche personnelle à l’aménagement de son logement : il a choisi des stores de bambou et de tissu pour les fenêtres, aligné sur le divan toute une série d’objets achetés ici : un rickshaw jouet, un tableau coloré, un Ganesha sur sa monture (Ganesha est la divinité hindoue qui lève les obstacles), un coussin pelucheux représentant une tête de tigre et une magnifique tenture brodée du Rajasthan ainsi que des taies de coussins. Sa table de travail, dans Re po R tag e

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Absorber la ville, tous sens en éveil : l’auteur de bandes dessinées Cosey (en haut, à gauche) retient ses impressions à la pointe de ses crayons. Nizamuddin (au centre) est un lieu de pèlerinage musulman de Delhi.

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un coin de la pièce, est encombrée de papiers et de tubes de peinture. Un pot de terre cuite contient un assortiment de pinceaux. « Je travaille actuellement à une histoire qui se passe au Japon », dit-il, « le livre doit paraître à la fin de l’année. » Cosey me montre une page en cours – des dessins à l’encre noire sur une feuille de plastique transparente, des couleurs sur une autre. Placées l’une sur l’autre, elles révèlent le tableau complet, une page de bande dessinée. Cela me fait penser à ce que dit Samath de son œuvre : « Cosey est le maître de l’aquarelle. Il travaille dans la tradition des grands albums européens et raconte de magnifiques histoires poétiques, presque métaphysiques, et dessinées avec grande finesse. » Avant même de lui poser ma question suivante – « Est-ce que vous projetez une histoire sur Delhi ? » –, je devine la réponse. Cosey voyage à travers le monde depuis trente ans, du tibet et de la Birmanie aux États-Unis et au Népal ; et il a une méthode de travail bien à lui. Plutôt que de se jeter tête baissée dans un projet inspiré par les lieux qu’il visite, il préfère laisser tout cela reposer, comme dans un chaudron de sorcière où il préparerait des choses mystérieuses et magiques. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’il dise : « C’est trop tôt pour que je réponde à cette question. Pour le moment, je suis en train d’absorber la ville,

Cosey Né en 1950 à Lausanne, Bernard Cosendai dit Cosey est un auteur de bande dessinée bien connu. Il a commencé à travailleur comme illustrateur pour une agence publicitaire, avant de rencontrer Derib (Claude de Ribaupierre), alors le seul auteur professionnel de bande dessinée en Suisse, et de devenir son apprenti. tous deux s’intéressent à la philosophie orientale et sont devenus grands amis. Après diverses collaborations à des journaux, Cosey est entré en 1975 à Tintin, où il a créé son personnage le plus célèbre, Jonathan, dont les aventures lui ont assuré un succès rapide. Cosey s’est rendu au Ladakh en 1976 et n’a pas cessé de voyager depuis lors : États-Unis, Népal, Vietnam, Laos, Cambodge, Birmanie, tibet. Ses voyages inspirent ses histoires magnifiquement illustrées, pleines de détails, de scènes vivantes et d’aperçus de la vie des lieux. Il a reçu nombre de prix, l’Alfred du meilleur album au festival d’Angoulême, le Grand Prix Soleil d’or à Solliès, le Bonnet d’âne récompensant une carrière au festival Quai des Bulles de Saint-Malo, entre autres. Cosey a été en résidence à New Delhi de janvier à avril 2011, grâce à Pro Helvetia. http://cosey.rogerklaassen.com

de l’inhaler. Dans un an peut-être, ou plus tard, j’utiliserai ce que j’ai vu et récolté. » Voilà comment fonctionne la créativité de Cosey ; le voyage est au cœur de celle-ci. « Le voyage m’aide à mieux connaître mon sujet ; je peux ramener des objets que je ne trouverais pas dans le meilleur des guides touristiques. » on peut les voir dans ses albums précédents, Saigon–Hanoi, Le Bouddha d’Azur, Joyeux Noël, May ! ou Le

Amour du détail et précision : portrait d’un fakir musulman.

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voyage en Italie : des paquets de cigarettes, des étiquettes de bière, des panneaux routiers, mille petits détails qui font vivre le monde de Cosey.

Le premier festival de B. D. de Delhi – plutôt commercial Pendant le temps passé à Delhi, Cosey a été bien occupé. Il a participé à la première Comic Conference de la capitale – « C’était plutôt commercial, mais pourquoi pas ? Les albums doivent se vendre, et les auteurs vivre », dit-il. « C’est drôle de penser que les premiers festivals en France, à Angoulême, étaient très intellectuels et élitistes, et que maintenant Angoulême est un énorme événement commercial. Delhi va peut-être suivre la voie inverse ? » Il a aussi visité nombre de sites, la tombe de Humayun, le quartier pittoresque de Purani Dilli (la vieille ville), et le chaos du marché central, à deux pas de là où il habite. Au cours de ses expéditions, il a pris quantité de photos (« ça m’aide à recréer par la suite des détails architecturaux et le paysage urbain », explique-t-il) et fait des croquis à l’encre ou au crayon de myriades de détails. Il me les montre : une main décorée au henné, un acteur gracieux dansant le Kathakali (une danse indienne classique très stylisée) à Khajurâho (ville du Madhya Pradesh connue pour ses temples jaïns et hindous, inscrits au patrimoine


mondial), une statue de Kali aux dix bras cial riche et vibrant. Le long des chemins, (la déesse indienne du temps et du change- des échoppes de fortune vendent des ment), beaucoup de portraits. Sarnath dit images de La Mecque, des tentures imprid’eux que ce sont « des observations sym- mées de prières musulmanes, des éditions pathiques et fines de la vie quotidienne en du Coran, des souvenirs. Cosey, plume et Inde ». Les dessins ont un trait délicat ; une bloc à la main, cherche l’inspiration. Nous image en particulier, celle d’un fakir mu- passons par le réservoir d’eau dont on dit sulman, est une aquarelle exquise. Elle a qu’il a plus de trente mètres de profondeur, été dessinée avec soin jusque dans les moindres détails ; voilà pourquoi peut-être Cosey suggère que nous nous rendions à la Dargah de Nizamuddin, l’endroit qui l’a inspirée. « Je l’ai choisi à cause des gens et du paysage », dit-il, « et aussi parce qu’il me rappelle la vieille ville de Delhi. » Ce lieu de foi intense pour les musulmans de tout le pays, proche du complexe historique de Humayun, reçoit des milliers de visiteurs chaque semaine. C’est un labyrinthe de chemins sombres bondés de monde tout autour du mausolée de Nizamuddin Auliyah, l’un des plus grands saints soufis du monde, enterré ici au XIVe siècle. La dargah forme le cœur du labyrinthe, elle fourmille de dévots et de petits marchands. Le soir tombe quand nous nous mettons en chemin. Des chariots de légumes apparaissent au bord des rues, le parc voisin est plein de promeneurs et de garçons jouant au cricket. Au fur et à mesure que l’atmosphère fraîchit, la « Qu’est-ce qu’il fabrique le firang (étranger) ? » Cosey demeure imperturbable. ville revient à la vie. En chemin, Cosey fait part de ses sentiments ambigus pour Delhi. « Je ne sais pas où je suis, à Istanbul, à Londres ? C’est un par le tombeau du poète Mirza Ghalb, creuset où se mélangent tant de choses. Il et entrons enfin dans le sanctuaire, avec n’y a rien de typiquement indien ici, ce sa mosquée et ses parois en treillis. Des n’est pas comme Hampi par exemple (un femmes en burqa sont assises à l’extérieur village du Karnataka, site des ruines du (les femmes ne sont pas admises dans la royaume de Vijayanagar) ou Khajurâho ; dargah) où elles prient et bavardent, des peut-être parce que Delhi est une ville fakirs demandent l’aumône, une foule de d’immigrants et de réfugiés. » gens attachent des rubans orange aux Nous laissons nos sandales à l’entrée, treillis. J’explique que cela devrait perauprès d’un homme qui vend des mon- mettre à leurs vœux de se réaliser. Nous tagnes de pétales de rose et de bougies. Il continuons d’avancer, et finalement Cosey insiste pour que nous en achetions, mais trouve sa place dans un coin, en face d’un Cosey refuse poliment et fermement. groupe de femmes et d’enfants. Il se met Quand nous entrons dans la dargah, c’est à dessiner, et vite un attroupement se comme si nous nous trouvions dans un forme. J’entends les gens chuchoter : autre temps, un autre monde. Cosey a rai- « Qu’est-ce qu’il fabrique ? » « Regarde le fison : Delhi est faite de plusieurs cultures, rang (l’étranger), il fait des dessins. » Un cousues ensemble pour faire un tissu so- groupe de jeunes gens le dévisagent. L’un R e po R tag e

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d’eux s’approche, regarde par-dessus son épaule. Derrière moi, une femme demande timidement : « D’où vient-il ? » Imperturbable, Cosey dessine, fait le portrait d’une femme en burqa. La foule regarde, patiente. À ce moment, comme si l’on était dans un film d’époque, on entend dans le lointain, à l’autre bout de la dargah, le son sourd de percussions. Les qawwalis du jeudi soir, la musique mystique des soufis, vont commencer. Sous le haut dôme de la mosquée, avec cette musique envoûtante, on se croirait vraiment au cinéma ! Son dessin terminé, Cosey prend des photos tout autour de lui avec son petit appareil numérique : les arches du bâtiment, des enfants qui jouent, une femme en prières. Rien n’échappe à son œil. Juste des couleurs et des formes « Si je travaille à un livre sur l’Inde », me dit Cosey lorsque nous partons, « ce sera entièrement différent de mes autres albums. Le style ne sera pas celui d’une bande dessinée ni d’un roman graphique, il n’y aura pas de personnages. Ce sera peut-être une documentation visuelle, juste des couleurs et des formes. C’est ce que j’ai ressenti au long de cette résidence. » Il veut être « libre de dessiner tout ce qui l’inspire . Dans une histoire, il faut suivre le script, et même si c’est toi qui l’as écrit, tu n’es pas complètement libre. » Au sortir du sanctuaire, un vol de pigeons s’élève dans le ciel. Cosey s’arrête pour admirer une amulette sur laquelle est calligraphiée une prière musulmane. Il poursuit son chemin. tôt ou tard, il donnera vie à ces détails. Janice Pariat est auteure indépendante ; elle vit, selon les saisons, à Shillong, Delhi ou Calcutta. Elle a publié notamment dans OPEN magazine, Art India, Outlook Traveller et Forbes India. Elle travaille actuellement à un recueil de nouvelles. www.janicepariat.blogspot.com Ankur Ahuja travaille depuis dix ans comme réalisatrice, photographe et rédactrice. Elle réside à New Delhi. Elle a réalisé plusieurs documentaires, courts-métrages, vidéos musicales et films publicitaires. Elle explore actuellement l’art vidéo. www.ankurahuja.com; http://oddends.wordpress.com traduit de l’anglais par Marianne Enckell


AC T UA L I T É S PRO H ELV E T I A

La Suisse fait son théâtre À ceux qui s’intéressent aux arts dramatiques contemporains de Suisse, on ne peut que conseiller de se rendre… en France, en décembre. La Comédie de Saint-Étienne, à soixante kilomètres au sud-ouest de Lyon, met l’accent sur la création dramatique et chorégraphique de Suisse, en l’invitant pour un programme pluridisciplinaire : Made in Suisse. Du 5 au 17 décembre, seront présentées des productions qui se distinguent par leurs approches artistiques expérimentales, leur esthétique et leur impertinence. Participeront à ce festival non seulement des artistes performeurs célèbres comme Yan Duyvendak et Massimo Furlan, mais aussi de jeunes et nouveaux talents comme Eugénie Rebetez et François Gremaud. Pour compléter ce programme suisse, une

série de films de fiction et de documentaires seront projetés. De plus, diverses manifestations de musique, de littérature et d’architecture sont prévues. Made in Suisse est issu du programme de Pro Helvetia La belle voisine qui, depuis 2007, encourage les échanges entre institutions et artistes de Suisse et de la région Rhône-Alpes. Ce festival prolonge les rencontres et les partenariats mis en place à cette époque-là. www.comedie-de-saint-etienne.fr et www.prohelvetia.ch

Entretiens sur la médiation culturelle La médiation culturelle est sur toutes les lèvres en ce moment ; il faut dire qu’elle acquiert de plus en plus d’importance, que ce soit dans la création, l’aide ou la formation culturelles. Or, il semblerait qu’il n’existe pas de consensus sur de nombreuses questions essentielles : Qui la médiation culturelle devrait-elle atteindre ? La médiation culturelle relève-telle de la politique éducative ou de la politique culturelle ? Et qui devrait la financer ? Telles sont les questions de fond que des experts de Suisse et de l’étranger discuteront lors de quatre tables rondes, de septembre à mars. Ces échanges scientifiques ont pour objectif de contribuer à la prise de conscience et de renforcer la qualité de la médiation culturelle. Pro Helvetia a lancé cette série de débats dans le cadre de son programme Médiation culturelle et s’est assuré, pour ce faire, la collaboration de quatre partenaires de deux régions linguistiques : le Canton du Valais et les villes de Berne, Bâle et Bienne. Ces forums s’adressent aux décideurs des domaines culturels et éducatifs ainsi qu’aux directrices et directeurs d’institutions culturelles, mais ils sont bien entendu ouverts au grand public intéressé.

Il sera l’invité de la Comédie de Saint-Étienne en décembre : Massimo Furlan – ici avec Anne Delahaye, dans un pastiche du Concours Eurovision de la chanson.

ACTUALIT ÉS pr o h e Lv e T IA

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Photo: Pierre Nydegger

9 septembre 2011 : www.ferme-asile.ch 25 novembre 2011 : www.dampfzentrale.ch 20 janvier 2012 : www.literaturhaus-basel.ch 1 mars 2012 : www.theater-biel.ch


Dès 2012, les requêtes passent à l’électronique Vous êtes musicien de jazz et vous avez besoin d’un soutien financier pour votre tournée à l’étranger ? Vous êtes écrivaine et vous désirez vous consacrer à un projet littéraire pendant un certain temps sans soucis financiers ? Eh bien, il vous suffit de déposer votre requête en ligne, sur www.myprohelvetia.ch. Le portail de requêtes de la Fondation suisse pour la culture vous guidera dans votre saisie, rapidement, simplement et sans tracas administratifs ; il vous informera des délais et des critères de soutien spécifiques à votre projet. Vous aurez à tout moment et partout accès à vos données. Ainsi l’organisateur new-yorkais pourra-til tout aussi bien compléter votre dossier que le comptable de l’Emmental. Jusqu’à l’envoi de leur requête, les requérantes et requérants ont la possibilité de remanier

leurs données sans difficulté et de compléter leur dossier en y ajoutant des extraits audio ou vidéo et d’autres documents. Ouvert en quatre langues, en 2008, le portail myprohelvetia a été continuellement adapté aux besoins des requérantes et requérants. Depuis, près de la moitié des artistes ont déposé leurs requêtes de soutien en ligne, et ce chiffre va croissant. À partir du 1er janvier 2012, les requêtes ne pourront plus être déposées que par le biais de myprohelvetia. La saisie électronique de la requête facilite le déroulement des processus et permet ainsi de traiter les demandes avec plus d’efficacité.

Déposer une requête : l’enfance de l’art sur la plateforme en ligne myprohelvetia !

www.myprohelvetia.ch

Photos: Anouk Fürst (en bas) et Tamara Lorenz, Velvet (en haut)

La Ribot dans le Sud africain La Ribot – danseuse, chorégraphe et plasticienne – est en tournée du 7 au 22 septembre en Afrique méridionale. Cette Genevoise d’adoption montrera, lors de festivals en Ville du Cap, à Johannesburg et à Maputo, trois spectacles mêlant performance, vidéo et art vivant. Elle y mêle la danse et les arts plastiques. Ainsi, dans Llámame Mariachi, elle cherche un nouveau langage dramatique capable d’associer étroitement la danse et le cinéma : tandis qu’une caméra mobile enregistre les expériences chorégraphiques, les danseuses ralentissent leurs mouvements jusqu’à l’abstraction. Dans Laughing Hole aussi, La Ribot défie les conventions ordinaires, titube pendant des heures

Les danseuses croulent sous le poids des mots dans la pièce de La Ribot, Laughing Hole.

dans l’espace, en proie à un rire incontrôlable, et l’occupe avec des pancartes de carton, écrites à la main. PARAdistinguidas, sa nouvelle pièce, renoue avec la série des pièces distinguées réalisées dans les années 1990 – des spectacles performatifs que La Ribot vendait à l’époque aux collectionneurs, comme des œuvres d’art. AC T U ALIT ÉS pr o h e Lv e T IA

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Outre sa participation aux festivals, La Ribot et les danseuses qui l’accompagnent conduiront des ateliers, des master classes et des discussions publiques. Cette tournée bénéficie du soutien de Pro Helvetia Cape Town. www.prohelvetia.org.za


Des propositions qui engagent l’ensemble des acteurs culturels D’autant plus louable est l’initiative de l’ancien maire socialiste de Barcelone, Pascual Maragall, qui, connaissant le népotisme ambiant, a insisté lors de la création du CoNCA pour que ses membres soient désignés par le parlement et que la commission soit indépendante des partis politiques. Francesc Guardans, son président, en définit ainsi la mission : élaborer des directives pour la politique culturelle catalane et aider tous les artistes non rattachés à des institutions publiques comme le Théâtre national ou l’Orchestre national de la Catalogne. « Les structures d’encouragement sont fragiles, le CoNCA doit en prendre soin et ne pas exister uniquement sur le papier ; il doit avoir pour la vie culturelle de la société catalane une action qui se voit. » Les conditions de sa réussite paraissent réunies. Ses propositions et ses expertises s’imposent à l’ensemble des acteurs

PA R T N E R

CoNCA CoNCA – le nouveau Conseil barcelonais pour la culture et les arts. Récemment créé à Barcelone, le CoNCA porte quelques fruits doux-amers et donne un coup de jeune au paysage culturel catalan.

une productrice de théâtre, mais aussi des visages connus, comme la comédienne Silvia Munt, à qui l’on doit également des documentaires – se réunissent trois fois par semaine. Au programme : procéder à un état des lieux complet de l’art et de la culture en Catalogne, réalisé par le biais d’entretiens personnels avec les acteurs culturels et les artistes, et assurer la coordination entre les artistes et les instances d’encouragement publiques. Explication de Xavier Antich, historien de l’art à l’Université de Gérone et membre de la commission : « Nous invitons les artistes à nous exposer leur situation et à faire eux-mêmes des propositions, dans nos locaux des Ramblas. Ce n’est pas ainsi que procédaient les fonctionnaires de la culture du gouvernement catalan et de la ville de Barcelone », fait-il remarquer. Les prises de bec et les conflits de compétence avec la bureaucratie en place font partie de l’ordinaire, constate Francesc Guardans sans trop s’en émouvoir. « Si le CoNCA ne dérangeait pas et ne bousculait pas les habitudes, cela signifierait que nous ne faisons pas correctement notre travail ! » Il met ces difficultés sur le compte d’un processus auquel il faut laisser le temps de trouver ses marques. « Il y a un début à tout, et je tiens tout de même à signaler que le rapport au parlement de cette année a été salué, pour la première fois, par des applaudissements ! » www.conca.cat

culturels : à l’Institut culturel de la Catalogne, aux écoles et aux universités, de même qu’aux auteurs des programmes d’encouragement destinés aux musiciens, aux danseurs, aux philosophes, aux gens de théâtre, aux artistes visuels et aux artistes de cirque. Le CoNCA examine aussi bien les contenus culturels des programmes scolaires que les raisons de soutenir un projet d’art numérique ou un ensemble musical, et son président se rend une fois par année au parlement, y faire rapport aux députés.

Cecilia Dreymüller vit et travaille comme journaliste indépendante et critique littéraire à Barcelone. Traduit de l’allemand par Michel Schnarenberger

Déranger et ne pas craindre de déplaire Les onze membres du Conseil – parmi eux des professeurs et des critiques, un architecte, un musicien de jazz, une galeriste et

pArTeNAIre : CoNSe IL po U r LA C U LT U r e e T Le S Ar T S

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Illustration: Raffinerie

par Cecilia Dreymüller – N’attends pas de l’orme qu’il donne des poires, dit un proverbe espagnol, que fait pourtant mentir la politique culturelle de la Catalogne. Il y a deux ans, se mettait au travail à Barcelone le Consell Nacional de la Cultura i de les Arts (CoNCA), qui vient de présenter son deuxième et volumineux rapport annuel. Créé en 2008, sur le modèle des arts councils anglo-saxons, le CoNCA est la seule institution de son genre en Europe du Sud. En rompant avec le jeu de chaises musicales politiques pour promouvoir un encouragement de la culture et des arts indépendant, la Communauté autonome de Catalogne a fait preuve de courage. La chose est d’autant plus remarquable que la Catalogne, nation certes prospère, mais peu nombreuse, consacre à la culture des budgets très largement supérieurs à la moyenne espagnole. Si la tradition culturelle catalane a réussi à survivre au franquisme en s’opposant à lui, une fois l’autonomie acquise, en 1978, elle n’a pas toujours brillé par son ouverture au monde et un esprit particulièrement novateur. À Barcelone, où Convergencia, parti conservateur, est au pouvoir depuis vingt ans, les institutions culturelles sont tenues de main ferme par des hiérarques de l’establishment qui se serrent les coudes.


CA RTE BL A NCHE

Illustration: Rahel Eisenring

Redéfinir le rôle du théâtre par Carena Schlewitt – On a beaucoup débattu ces dernières années, dans l’espace germanophone, de la crise du Stadttheater, du théâtre municipal, de son orientation artistique, de son public, de ses finances et de ses bâtiments. Pour moi, la question de la crise du théâtre municipal est celle de sa vocation sociétale actuelle. Le théâtre « municipal » doit être davantage qu’une institution traditionnelle des Lumières et jouer un rôle progressiste actif dans la société urbaine d’aujourd’hui. Un bref regard rétrospectif le montre : la bourgeoisie a édifié au XIXe siècle ses propres scènes pour s’émanciper de la noblesse et a fait du théâtre un institut de formation de la nation allemande, et « de la scène une institution morale » (Schiller). L’équivalence théâtre municipal = bourgeoisie = nation a été dès le départ remise en question par des formes alternatives de théâtre : le théâtre populaire au XIXe siècle et le théâtre indépendant (freie Szene) au XXe. Depuis l’Antiquité, le théâtre est la forme qui traite artistiquement, face au public, les questions importantes pour la société. L’interaction entre le théâtre et la société est décisive pour les formes artistiques et structurelles dans lesquelles il est produit. Aujourd’hui, le théâtre (municipal) ne rencontre plus un public bourgeois homogène, mais une société urbaine mêlée et turbulente : un public hautement différencié, d’origines, de langues et de cultures diverses. La technicisation dynamique de tous les domaines du travail et de la vie quotidienne, et les mutations géopolitiques de l’Europe après 1989, et du monde après le 11 septembre 2001, ont élargi l’éventail du théâtre : il a répondu par des esthétiques nouvelles ou renouvelées et a tenté de construire une nouvelle relation avec la complexité et la diversité grandissantes de la société. La freie Szene a réagi esthétiquement et structurellement au changement de la situation sociétale depuis le milieu des années 1990. Elle a élaboré un autre théâtre

pour la ville et elle mise sur des formes participatives de communication avec un public changeant. Elle reprend d’autres formes artistiques et d’autres pratiques culturelles : théâtre pop et live art, théâtre documentaire, théâtre médiatique, coopérations internationales et projets urbains caractérisent la nouvelle avant-garde théâtrale. Ces nouvelles formes participatives vont de pair avec un mouvement de recherche dynamique. Le théâtre essaime : il recherche, d’une part, de nouveaux acteurs et de nouveaux spécialistes dans d’autres domaines de vie et de travail, et fait ainsi monter sur scène la nouvelle société urbaine. Et, d’autre part, il se cherche de nouveaux espaces dans la ville et, du même coup, de nouvelles communautés. On joue, entre autres, dans des appartements, dans la rue, sur des places, dans des chantiers, dans les trams et les cafés. Je plaide pour un théâtre contemporain nomade : pour les coproductions, le réseautage, les échanges, l’internationalisme et la reconnaissance de nouveaux espaces théâtraux temporaires. Le théâtre a le potentiel de former des communautés capables de fonctionner au-delà des professions, des classes sociales et des générations. Il peut développer des formes de communication qui sortent des schémas C Ar T e b LAN C h e

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habituels de la société. En ce sens, le théâtre doit instaurer un forum qui fonctionne comme une place du marché : il offre toutes sortes de couleurs, d’odeurs, de récits et de sons et remplit une fonction sociale de rencontre. Ce n’est pas de prendre parti pour ou contre le théâtre municipal, pour ou contre le théâtre indépendant, qui définit le théâtre nomade. Il est temps, dans l’esprit d’un développement structurel commun, de réfléchir à un théâtre moderne de l’avenir. Le théâtre municipal doit se transformer, s’ouvrir et redéfinir son rôle dans la ville. Le théâtre indépendant doit obtenir davantage de possibilités de production par rapport aux théâtres municipaux, pour continuer de développer son potentiel. Et peut-être qu’un jour les deux formes de théâtre se rencontreront d’égal à égal. Carena Schlewitt est, depuis 2008, directrice artistique du centre culturel bâlois Kaserne. Elle a travaillé comme directrice artistique dans diverses maisons de production et dans des théâtres accueillant des spectacles en tournée, ainsi que pour des festivals, notamment de 2003 à 2008 au théâtre berlinois Hebbel am Ufer. Traduit de l’allemand par Christian Viredaz


SCH AU FE N ST E R

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GA LERIE

Signes et prodiges Zeichen und Wunder, 2009 (Signes et prodiges) impression lambda sur aluminium Dibond, 60 cm × 71 cm par Christoph Schreiber Pour ses travaux, Christoph Schreiber puise dans les photographies réalisées, dans son studio ou chemin faisant, avec son appareil de moyen format. Il crée ensuite, par une sorte de technique de collage sur ordinateur, des mondes empreints d’une poésie singu­ lière – des instants où le temps semble se figer. L’univers de Christoph Schreiber com­ prend aussi des œuvres vidéo et des instal­ lations. Christoph Schreiber (*1970) a fait ses études à Zurich, l’art à l’école des beaux­arts et le droit à l’Université. Ses œuvres, qui lui ont valu de nombreux prix, ont été présentées dans des expositions en Suisse et à l’étranger. www.christoph­schreiber.com

La rubrique « Galerie » met en lumière l’œuvre d’un ou d’une artiste suisse.


Passages, le magazine de la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia, informe sur l’art et la culture de Suisse et sur ses échanges culturels avec le reste du monde. Passages paraît trois fois par an et il est diffusé dans plus de 60 pays – en allemand, français et anglais.


IMPRESSUM

PA S S AG E S E N L IG N E

Editrice Pro Helvetia Fondation suisse pour la culture www.prohelvetia.ch

Passages le magazine culturel de Pro Helvetia en ligne : www.prohelvetia.ch/passages Actualités Pro Helvetia Projets actuels, concours et programmes de la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia : www.prohelvetia.ch

Rédaction Rédaction en chef et rédaction de la version allemande : Janine Messerli Assistance: Isabel Drews, Elisabeth Hasler et Juliette Wyler

Permanences Pro Helvetia Paris/France www.ccsparis.com

Rédaction et coordination de la version française : Marielle Larré

Rome, Milan, Venise/Italie www.istitutosvizzero.it

Rédaction et coordination de la version anglaise : Rafaël Newman

Varsovie/Pologne www.prohelvetia.pl Le Caire/Egypte www.prohelvetia.org.eg

Adresse de la rédaction Pro Helvetia Fondation suisse pour la culture Rédaction de Passages Hirschengraben 22 CH–8024 Zurich T +41 44 267 71 71 F +41 44 267 71 06 passages@prohelvetia.ch

Le Cap/Afrique du Sud www.prohelvetia.org.za New Delhi/Inde www.prohelvetia.in New York/Etats-Unis www.swissinstitute.net

Conception graphique Raffinerie, AG für Gestaltung, Zurich

San Francisco/Etats-Unis www.swissnexsanfrancisco.org

Impression Druckerei Odermatt AG, Dallenwil

À SUIV RE

Performance La scène de la performance s’est considérablement développée ces dix dernières années : elle a conquis de nouveaux espaces de représentation et fait aujourd’hui preuve d’une étonnante diversité dans les festivals. Les frontières séparant les disciplines artistiques traditionnelles s’estompent, donnant l’impression que presque tous les spectacles aujourd’hui ressortissent plus ou moins de la performance. Le prochain numéro de Passages se demande ce qu’est véritablement une performance et pourquoi cette forme d’expressions est tellement à la mode – pas uniquement en Suisse. Il évoquera son potentiel politique et cherchera à découvrir quel rôle le public peut ou doit jouer dans la performance. Le prochain numéro de Passages paraîtra à la mi-décembre.

Shanghai/Chine www.prohelvetia.cn

Tirage 18 000

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© Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture – tous droits réservés. Reproduction et duplication uniquement sur autorisation écrite de la rédaction. Les articles nommément signés ne reflètent pas forcément la position de l’éditrice. Les droits des photos restent propriété des photographes.

Passages Derniers numéros parus :

passages

Créativité et confrontation No 55

Créativité et confrontation Les échanges culturels autour du monde Sur le canal de Suez : un artiste en quête d’indices | Objets de design : voyage au cœur de la créativité humaine | Expérimentations musicales : face à face entre chercheurs et bidouilleurs L E MA G A ZI N E C U LT U R EL D E P R O H ELV ET I A , N O 5 5 , 1 / 2 0 1 1

La Fondation Pro Helvetia soutient la culture suisse et favorise sa diffusion en Suisse et dans le monde. Elle s’engage pour la diversité de la création culturelle, elle aide à définir les besoins de la culture et concourt à l’existence d’une Suisse culturelle multiple et ouverte.

passages

Jeux vidéo : l’art du futur No 54

Jeux vidéo : l’art du futur « Gäuerle » et « Chlefele » : la Suisse et sa culture populaire en Argentine p. 6 Chopin en terres orientales et expérimentales p. 36 Le poète fuyant : vaine recherche à Buenos Aires p. 41 LE MAGAZINE CULTUREL DE PRO HELV ETIA, NO 54, 3/2010

passages

Dans l’art, le bonheur No 53

Dans l’art, le bonheur Confessions dans une boîte de Pétri p. 6 Le murmure des murs : l’art sonore de Suisse à San Francisco p. 36 S’inspirer de Rome et changer le temps en art p. 38 L E M A G A Z I N E C U LT U R E L D E P R O H E LV E T I A , N O 5 3 , 2 / 2 0 1 0

L’abonnement à Passages est gratuit, de même que le téléchargement de la version électronique à l’adresse www.prohelvetia.ch/passages. Pour toute commande ultérieure d’un unique exemplaire, une somme forfaitaire de 15 francs est perçue (frais d’administration et de port).

imPreS Su m / PaSSag e S e n lig n e / à Su iVr e

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La plupart des recensions se bornent à nous informer que l’objet commenté a plu ou n’a pas plu à l’auteur du commentaire, qui nous vante, en prime, sa compétence culturelle.

” Oui, ils existent, les blogs phares de la scène Aucun de tes amis n’aime ça Kathrin Passig, p. 15

“ culturelle, qui approvisionnent sûrement et

sans délai les intéressés en informations utiles. Qui leur garantissent en outre qu’ils ne trouveront pas seulement ce qu’ils cherchent, mais, combien plus important, ce qu’ils n’auraient jamais eu l’idée de chercher.

Mais qui donc va lire tout cela ? Christoph Lenz, p. 12

On reprend et on copie à qui mieux mieux. La figure “ classique du critique, compétent et bien formé, qui,

dans sa tour d’ivoire, énonce un jugement sérieux et le communique à son public en belles phrases bien La critique alémanique en pleine mutation Pia Reinacher, p. 6 tournées, est en voie de disparition.» www.prohelvetia.ch/passages

La Fondation Pro Helvetia soutient la culture suisse et favorise sa diffusion en Suisse et dans le monde.


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