Passages n° 57

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passages

Performance Le corps, le temps, l’espace Dan bau et schwyzerörgeli: rencontre douce-amère à Giswil Composition instantanée: Schaerer et Oester à Grahamstown L’écriture: génie ou métier? Le magazine cuLt u r eL de Pr o H eLv e t ia, n o 5 7 , 3 / 2 0 1 1


4 – 27 DOSSIEr

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Performance Le corps, le temps, l’espace

hEurE LOCALE New Delhi : La parole aux marionnettes par Elizabeth Kuruvilla

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rEPOrTAGE Rusticité helvétique et douceur asiatique par Christian hubschmid (texte) et Niklaus Spoerri (photos)

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ACTuALITéS PrO hELVETIA Des jeux vidéo récompensés / Un nouveau Conseil de fondation pour Pro Helvetia / Un emplacement de rêve pour l’art suisse / Les futures biennales gérées par Pro Helvetia

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PArTENAIrE Le Pour-cent culturel Migros par Christoph Lenz

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Irriter, éclairer : les performances politiques On ne déclenche pas de révolution avec une performance. Pourtant, cette forme artistique ne manque pas d’efficacité dans le domaine politique. par Eva Behrendt

CArTE BLANChE Peut-on apprendre à écrire ? par Michel Layaz

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Les mots, à la source du mouvement Visite à Simone Aughterlony, chorégraphe et danseuse, pendant une répétition. par Julia Wehren

GALErIE Une plateforme pour les artistes Catwalk par Sandrine Pelletier

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ENquêTE AuPrèS DES LECTEurS : BILAN

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IMPrESSuM PASSAGES EN LIGNE à SuIVrE

Ludique, biographique, éducative : notre dossier donne un aperçu de la scène contemporaine de la performance. Ici, Martin Schick et Laura Kalauz et leur Common Sense Project, 2011. 6

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Qu’est-ce qu’une performance au juste ? Tout aujourd’hui est qualifié de performance. Comment les sciences de la culture définissent-elles cette forme d’expression artistique ? par Gabriele Klein

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Peut-on faire confiance à son voisin dans la salle ? Le groupe Forced Entertainment considère le contact avec le public comme un élément essentiel de son travail artistique. Dagmar Walser s’entretient avec son directeur Tim Etchells

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Performance – Swiss made L’emploi des nouveaux médias, de la technologie et de la recherche donne un nouvel élan à la scène suisse de la performance. par Sibylle Omlin

S o m m air e 2

Couverture : gate c, Victorine Müller, 2003; Photo : David Aebi Photo page 2 : Gerhard F. Ludwig Photo page 4 : Simon Egli

Le Cap : « Jamais entendu une musique aussi hallucinante » par Chris Kabwato


un art hors-cadre L’art est dynamique – il se renouvelle continuellement, il est porteur de nouvelles visions sur son environnement social. Les artistes sont en avance sur leur temps, il est donc difficile de juger certains phénomènes artistiques en fonction des critères actuellement en vigueur. une constatation qui vaut particulièrement pour l’art de la performance. Comme ce dernier repousse les limites disciplinaires et qu’il mêle danse, théâtre, arts visuels, musique, littérature ou nouveaux médias, il risque de tomber à travers les mailles du filet de l’encouragement à la culture. En effet, il est souvent malaisé d’affecter ces projets à un domaine artistique donné et donc de décider dans quelle cassette prendre l’argent pour les soutenir. Voilà pourquoi Pro helvetia adopte une pratique d’encouragement flexible et demande aux responsables des diverses disciplines artistiques d’apprécier ensemble les projets de performance. L’essentiel est que l’art de qualité obtienne le soutien dont il a besoin. Etant donné le rôle pionnier joué par cette expression artistique interdisciplinaire, nous sommes curieux d’en connaître les formes les plus actuelles. Empruntant aux diverses disciplines artistiques, une scène de la performance jeune et dynamique s’est développée ces dernières années : elle expérimente avec de nouveaux formats, de nouveaux lieux de représentation et de nouveaux thèmes. Dans tous les domaines, les organisateurs n’hésitent plus à inscrire des projets de performance à leur programme ou même à leur en consacrer une section. Actuellement, la Suisse compte plus d’une demi-douzaine de festivals qui s’intéressent explicitement à l’art de la performance. Autant de raisons pour Passages de présenter la scène suisse de la performance, mais aussi d’explorer la force politique de cette expression artistique et de cerner le rôle du public. A une époque où, dans tous les domaines – économique, culturel, scientifique et sportif – la performance gagne en importance, on ne peut que se poser la question de savoir ce qu’est au juste une performance et en quoi réside son potentiel artistique. Andrew holland Directeur suppléant et chef de la promotion culturelle Pro helvetia

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Performance Ce qui fait le caractère de la performance et lui confère son pouvoir d’irritation, c’est sa façon de jouer avec l’être et le paraître, la mise en scène et l’authenticité. Quelles sont les possibilités artistiques de la performance à une époque où le mot recouvre de multiples formes d’événements, de la manifestation sportive à l’assemblée d’actionnaires en passant par le débat politique ? Dans ce dossier, nous nous interrogeons aussi sur la capacité de contestation politique de la performance, nous cherchons à comprendre quel est le rôle du public et tentons de découvrir ce qui agite la scène suisse de la performance.

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Les spectacles méditatifs de l’artiste Victorine Müller occupent une place particulière sur la scène suisse de la performance. Enveloppant son corps d’une seconde peau fantasque, elle crée des installations d’une extraordinaire poésie. Photo : performance return (Institut suisse pour l’étude de l’art, 2008). http//:victorinemueller.com

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L

es performances sont un élément essentiel des coutumes, pratiques et rituels des diverses cultures ; elles appartiennent à l’expérience de la culture quotidienne : comment nous nous habillons, comment nous soignons notre corps, célébrons nos fêtes, organisons nos manifestations, par exemple. Cette thèse d’anthropologie culturelle a été formulée conjointement dans les années soixante par l’ethnologue Milton Singer, l’anthropologue de la culture Victor Turner et l’anthropologue du théâtre Richard Schechner. Sur cette base, ils ont engagé une recherche très active sur les différentes formes sociales, culturelles et esthétiques que prennent les performances, comprises comme des représentations, au sens théâtral du mot. Leur objet de recherches, ce furent surtout les « cultural performances » (Singer), ces représentations qui imprègnent notre quotidien. Les performances, selon Victor Turner, sont une praxis dans laquelle une culture se reconnaît elle-même. L’omniprésence de la performance

tent pas de se comporter comme des acteurs, mais leur succès ou leur échec se mesure à leur « bonne performance » – en cela, ils ressemblent à des stars des médias. Dans la publicité aussi, le concept est omniprésent. Il couvre un large spectre de significations, de la fonction et de la prestation jusqu’au résultat, au rendement et au succès, en passant par l’entrée en scène, le comportement et la présentation : des produits aussi différents que des souris d’ordinateur, des haut-parleurs ou un magazine d’informations financières s’appellent « performance » ; une crème cutanée antirides promet une « performance 3D », des marques de vêtements sportifs, des agences de marketing ou de publicité se décrivent comme « active performance » ou « performanceadvertising ». BMW qualifie son équipement pour voitures de sport de « BMW Performance », Porsche promeut la « Porsche intelligent performance », tandis qu’un spot publicitaire Mercedes-Benz demande : « What Is Performance ? »

Qu’est-ce qu’une performance au juste ?

La performance artistique, un acte de résistance

Aujourd’hui, tout peut être perDe la manifestation sportive aux assemblées Dans la perspective de l’anthroformance : le business mirod’actionnaires en passant par le débat bolant, le discours politique, pologie culturelle, les perforpolitique, presque tout est décrit, aujourd’hui, mances sont donc thématisées l’exposé scientifique, le simple comme une performance. Gabriele Klein, comme une caractéristique divertissement, les rituels du quotidien, et jusqu’aux mises fondamentale des cultures husociologue de la culture, s’interroge en scène du corps et de soimaines et des pratiques cultusur la nature exacte de la performance, et sur relles. Le regard du sociologue même. Dès lors, on peut s’interle potentiel esthétique et politique de cette de la culture, lui, éclaire la siroger sur le potentiel politique forme d’art. gnification de la performance et esthétique de la performance dans l’histoire récente de la soen tant que forme artistique. ciété (post)moderne. À la suite Car depuis les années 1960, par Gabriele Klein de la transformation radicale de les performances – en tant que cette société depuis les années représentations – n’ont pas seu1960, les performances ont gagné en importance. Car avec l’infor- lement pris une importance croissante dans l’espace social. matisation, la virtualisation et la médiatisation, accompagnées D’abord et avant tout, elles se sont imposées comme praxis artisd’une théâtralisation du social qui se monnaie en « événements », tique scénique. La performance désigne ici un type de représentaun autre concept de la société s’est imposé. L’idée fondamentale tion qui déstabilise beaucoup de frontières : celles qui séparent est que la « performative society » (Kershaw) et la « modernité culture populaire et art, processus artistique et œuvre, auteur et fugace » (Bauman) favorisent la flexibilité plutôt que la stabilité, objet, acteurs et public. La performance artistique thématise le opposent la fragmentation à la cohésion, placent la pluralité avant lieu même de l’art et met en question la classification de l’art en l’unité et promeuvent la multiplicité culturelle au détriment d’une différents genres. Certes, on ne peut guère trouver de définition culture homogène. pour la performance – mais le théoricien du théâtre Hans-Thies L’importance croissante du phénomène de la performance Lehmann décrit en ces termes son plus petit dénominateur comse manifeste dans tous les domaines de la société : l’économie, la mun : « La performance, c’est ce qui est annoncé comme tel par politique, la culture, la science et le sport. Il peut s’agir de mani- ceux qui la font ». festations sportives ou de procès publics, de débats politiques, de Bien que les actions des dadaïstes, dans les années 1920, réunions de partis ou d’assemblées d’actionnaires : nombre de puissent déjà être décrites comme des performances, il n’est pas manifestations publiques sont mises en scène comme des perfor- surprenant que ce soit précisément au cours des années 1960 que mances. Politiciens, managers, avocats ou accusés ne se conten- la performance, dans l’art occidental, soit devenue une forme d’art Per fo r m ance 6


emblématique – dans le Performing Art, l’Action Art ou le Performance Theater. Durant cette décennie, la société industrielle commence à se transformer fondamentalement, tandis qu’avec la pensée (post)structuraliste, un nouveau paradigme s’impose dans les sciences. Le point de départ de la performance en tant que forme d’art, ce sont des avancées dans les arts plastiques et les arts de la scène. Des plasticiens comme Allan Kaprow, Wolf Vostell, Joseph Beuys, Yoko Ono, Nam June Paik et les actionnistes viennois de Happening, ainsi que Fluxus ou le Body Art, développent des formes qui s’apparentent à la performance, pour en faire des actes de résistance contre le marché de l’art. Avec eux, le canon formel des arts plastiques se transforme : il intègre le temps, c’est-à-dire la durée et l’instant décisif, la simultanéité, la non-répétabilité, la présence des corps. L’introduction de la performance dans les arts plastiques modifie aussi leur lieu. Elle conduit hors de l’atelier, vers le public, et présente alors le processus de la création figurée comme un événement théâtral. Tout particulièrement, la performance féministe devient, pour des artistes comme Marina Abramovic`, Valie Export ou Yoko Ono, un instrument important de mise en scène de l’art politique au moyen de leur corps. D’une manière comparable aux artistes plasticiens, les metteurs en scène de théâtre comme Peter Stein ou Peter Zadek, dans les années 1960, expérimentent de nouveaux concepts théâtraux. Sceptique vis-à-vis de la représentation mimétique, le théâtre se tourne vers le « postdramatique » (Lehmann). Autrement dit, il se détourne d’une œuvre conçue comme un produit renouvelable, au profit d’un acte irrépétable de com-

théâtral ne repose plus sur un préalable littéraire qu’il s’agit pour le metteur en scène d’interpréter, avant que ce ne soit le tour du public. Il ne surgit vraiment que dans le processus du jeu. Les spectateurs, durant la représentation, sont inclus, de manière toujours plus active, dans le jeu théâtral, et perdent ainsi leur rôle classique de public qui consomme et qui interprète la représentation, pour devenir un public de spectateurs « émancipés » (Rancière). Avec cette « dédramatisation », le théâtre se rapproche de la danse, tandis que la danse, de son côté, depuis les années 1970, avec le théâtre dansé qu’illustrent les noms de Pina Bausch, Johann Kresnik, Susanne Linke et Reinhild Hoffmann, se préoccupe du cadre théâtral de la chorégraphie. Dans le théâtre, lieu de « production de présence » (Gumbrecht) l’instant présent et l’éphémère, qui furent jadis les signes distinctifs de l’art corporel de la danse, deviennent des signes distinctifs du devenir théâtral, en même temps qu’un symbole de l’instabilité du social dans la « modernité fugace ». La performance artistique depuis les années 1970

La performance se modifie en fonction de son cadre esthétique, politique et social. Ainsi, avec les performances artistiques des années 1960 et 1970 dans les sociétés occidentales, les arts singuliers s’interpénètrent et les catégories perdent leur fixité. En revanche, l’art de la performance redécouvre dans les années 1980, avec une force nouvelle, la spécificité des arts singuliers. On avait proclamé hautement l’abolition des frontières, et voilà que fait retour une conscience renforcée des médias spécifiques : les objets dans les arts plastiques, et les textes dans les arts de la représentation. L’art de la performance, L’art de la performance est aujourd’hui sommé de dans les années 1980, combat avant tout la détermination du sujet par une instance trouver une stratégie esthétique qui sache interroger extérieure, et lui oppose l’autodéterminales frontières devenues de plus en plus subtiles, tion de l’artiste et du spectateur. En même dans la société, entre jeu et sérieux, être et paraître, temps, la performance cesse d’être action imaginaire et réel, et qui sache se montrer comme pour devenir représentation : le perfectionl’Autre, le dérangeant, l’étranger et l’étranger. nement technique, une nouvelle proximité au texte, une structuration dramaturgique plus forte et une distance croissante vismunication, d’un processus, d’un Situation Theater. La perfor- à-vis du public peuvent être considérés comme les signes distincmance, théâtre postdramatique, cherche de même une autre re- tifs essentiels de cette décennie. L’avant-garde des années 1980, lation avec le temps et l’espace : elle instaure une praxis qui ne comme Wooster-Group, Forced Entertainment et Needcompany définit l’espace théâtral que par la représentation elle-même. Dès transforment le texte en une intertextualité générale, qui s’inlors, il n’est pas étonnant que le jeune art de la performance, dès sère dans des discours sans auteur ou pluri-auctoriaux, et qui ne ses débuts, se définisse comme une pratique artistique émancipée vaut que comme un élément de la mise en forme scénique. En du cadre théâtral classique, et qu’il cherche ses lieux dans l’espace même temps, avec le « poetry slam », naît un nouvel art de la public. Ces lieux lui permettent de jouer avec les conventions du performance, à base littéraire, où, à titre de « lecture », tout ce qui théâtre bourgeois, d’interroger le lien entre acteurs et spectateurs, est possible à la voix et au corps devient permis. De manière anatexte proposé et interprétation, le moi et ses rôles, et de transfor- logue, dans les arts plastiques, et dans les œuvres des « Nouveaux mer le théâtre de la représentation en un spectacle public de la Fauves », on voit notamment apparaître une confiance renouvelée présence. L’art de la scène thématise et reflète la praxis sociale quo- dans la peinture. Dans les pays du bloc de l’Est, se développe un tidienne en tant que forme théâtrale. Le théâtre, ce n’est plus seu- art de la performance, la plupart du temps interdit, qui devient un lement le lieu d’une représentation bourgeoise, mais une expé- vecteur de critique sociale. L’art de la performance, dans les années 1990, témoigne d’un rience de la réalité qui se veut immédiate, une mise en scène de l’authenticité. Le théâtre se joue ici au-delà d’un développement nouvel essor. Il se caractérise par un travail collectif. Par exemple psychologique de l’action et des caractères. De même, le « texte » chez Gob Squad ou Rimini Protokoll, qui traitent des éléments

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Le collectif de performance She She Pop opère avec certains éléments de leurs biographies : dans la production Testament (2010), les performeurs font monter leurs propres pères sur scène. Puis ils se lancent dans des négociations sur l’amour, l’héritage et la question de savoir qui est redevable de quoi à qui. www.sheshepop.de

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modulables de leur propre vie, tandis que le groupe She She Pop met en scène des récits autobiographiques. Christoph Schlingensief, sans doute le performeur le plus connu dans l’aire germanophone, renoue avec les années 1970, effaçant radicalement, dans ses actions, les frontières entre art et politique. La danse conceptuelle européenne pratique une critique esthétique de la représentation, avec des chorégraphes comme Jérôme Bel, Xavier Le Roy, Boris Charmatz ou Thomas Lehmen. En même temps, l’art de la performance dans les pays naguère communistes se développe à très vive allure, et devient un porte-voix important des jeunes démocraties, tandis que dans des pays comme la Chine ou Cuba, la performance artistique devient un moyen de transmettre des messages politiques.

Ainsi, la performance peut être vue non seulement comme critique mais aussi comme le pendant esthétique d’une économie néolibérale ; elle n’en est pas moins une praxis qui met à l’épreuve les nouvelles valeurs du monde globalisé, comme la mobilité, la fugacité, l’absence de fixation dans un lieu, la flexibilité, la redécouverte permanente de soi-même.

En mettant l’accent sur le travail collectif, le processus artistique commun et l’interaction entre les acteurs et le public, l’art de la performance apparaît comme une pratique artistique démocratique. Elle se veut – nos exemples l’ont montré – une instance politico-critique, en face du marché de l’art ou des relations sociales. Elle institue une forme d’art réflexif qui fait mieux comprendre quel est le lieu social de l’art contemporain, en interrogeant ses conditions fondamentales d’existence, dont elle fait le contenu de sa représentation. Parce que sa praxis est radicalement liée au moment présent et à son caractère non répétable, à la corporéité et à la présence, elle problématise le statut du musée et du théâtre, lieux d’une réalité illusoire et d’une représentation bourgeoise. C’est précisément pourquoi des théoriciens de la performance comme Baz Kershaw et Peggy Phelan la comprennent comme un art politique : elle ne représente pas l’idée de la liberté, mais elle montre comment se produit la liberté. La performance, selon Phelan, offre une résistance contre les objectivations, elle est une forme artistique fugace, inutile au sens économique du terme. Dès lors, elle ne peut pas être entraînée dans la ronde de la fabrication d’images, de la représentation et de la reproduction. Mais comment l’art de la performance peut-il être critique si le fugace, le présent, l’éphémère et le théâtral sont eux-mêmes devenus la caractéristique première de la société contemporaine ? Le cadre social de la critique esthétique La dimension politique de la performance ne se reconnaît pas en soi, mais en référence à quelque chose – et cette référence, c’est le cadre social et artistique. Car contrairement à la situation qui prévalait encore dans les années 1960, les performances artistiques, au début du XXIe siècle, sont confrontées à l’omniprésence du théâtral : le déplacement et la déstabilisation des ordres sociaux, des conventions et signes culturels, la provocation politique et esthétique, la recherche des utopies, des lieux hétérotopiques, l’expression de l’absence, la quête des traces du refoulé, de l’oublié – tout cela, au vu de cette situation sociale, n’est plus si facile à faire exister esthétiquement. C’est pourquoi l’art de la performance est

société où le corps et la présence, l’aura et l’authenticité, l’actualité et l’événement sont devenus des impératifs de la mise en scène de soi, dans une société où les lois globales du néolibéralisme exigent la production permanente de la nouveauté perpétuelle, la performance, précisément à cause de sa non-reproductibilité, correspond aux nouvelles lois de la politique néo-libérale et du marché global. On pourrait dire, de manière plus abrupte, que cet art avant-gardiste explore en quelque sorte les principes néolibéraux. Ainsi, la performance peut être vue non seulement comme critique mais aussi comme le pendant esthétique d’une économie néolibérale ; elle n’en est pas moins une praxis qui met à l’épreuve les nouvelles valeurs du monde globalisé, comme la mobilité, la fugacité, l’absence de fixation dans un lieu, la flexibilité, la redécouverte permanente de soi-même. Pour que la performance – comme la danse – en tant que forme d’art, présente parce que fugace, puisse développer sa force critique et ses ambitions artistiques, il faut des stratégies esthétiques qui lui permettent de se distancer de la « société du spectacle » (Debord) : son attitude de refus peut alors se traduire en immobilité, en lenteur, ou dans une mise en scène de l’absence. Ainsi donc, ce n’est qu’en référence au cadre, c’est-à-dire au contexte interprétatif, et à la situation singulière où s’accomplit la performance artistique, qu’on peut savoir si cette performance est socialement critique, résistante ou innovatrice sur le plan de l’art.

Gabriele Klein, sociologue et spécialiste en sciences de la culture, est professeur à l’Université de Hambourg et directrice du Zentrum für Performances Studies de cette Université. www.performance.uni-hamburg.de Traduit de l’allemand par Étienne Barilier

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Photo page 8 : Dorothea Tuch ; page 11 : Katrin Schoof

L’aspect politique de la performance

aujourd’hui sommé de trouver une stratégie esthétique qui sache interroger les frontières devenues de plus en plus subtiles, dans la société, entre jeu et sérieux, être et paraître, imaginaire et réel, et qui sache se montrer comme l’Autre, le dérangeant, l’étrange et l’étranger. Jean-Luc Nancy voit dans le désir de « présence » l’exigence de produire « un peu plus de sens » – et ce surplus de sens est engendré par la constance et la surabondance d’offre interprétative dans une société des médias et de la mise en scène. Sur l’arrièreplan de cette thèse de la théorie des médias, qui s’oppose à celle de Phelan, on pourrait aussi tirer la conclusion suivante : dans une


Les créations chorégraphiques de Xavier Le Roy se fondent sur une investigation du corps et de l’art. Photo extraite de la production Giszelle (2001), conçue par Le Roy et dansée par Eszter Salamon. www.xavierleroy.com

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U

n beau matin de juin 2002 : dans une banlieue de Düs- mêmes. Comme aussi dans le rituel religieux, le focus porte bien seldorf, le metteur en scène Christoph Schlingensief, davantage sur l’action-même réalisée par le performeur : dans portant long manteau et lunettes de soleil, décharge l’exemple cité, sur une série d’actions arrachées à leur contexte un piano devant le siège de la firme Web/Tec. Il l’en- habituel, qui acquièrent un sens propre par leur agencement et le sevelit sous de la poudre à lessive, répand un sac de lieu de la représentation. plumes dans le jardin à l’entrée, place un poulet vivant sur le piano Par ailleurs, l’auto-mise en scène de l’artiste-protagoniste et met le feu à une poignée de livres, dont plusieurs éditions de en manteau et lunettes de soleil, renvoyait à Joseph Beuys, dont Mort d’un critique de Martin Walser ; les livres sont placés sous la performance I like America and America likes me (1974) avait une poupée de paille ; collée sur son visage, une photocopie mon- elle aussi été bien plus qu’un exercice d’art ésotérique. Le coyote trant le premier ministre israélien, Ariel Sharon. Assistent à cette vivant, que Beuys avait cherché à apprivoiser plusieurs jours performance, intitulée Aktion 18, non seulement une petite foule durant dans une galerie new-yorkaise, symbolisait l’Amérique de spectateurs et de journalistes, mais encore la police et les ser- autochtone, et que l’artiste se soit expressément et exclusivement vices de protection de l’État, occupé de cet animal lors de qui filment l’action. Car le son voyage aux États-Unis relève bien sûr de la prise de po« rituel de purification » vausition politique. douesque de Schlingensief se rapporte au propriétaire L’Aktion 18 de Schlingende la firme Web/Tec, Jürgen sief se référait elle aussi à la réalité politique allemande, Möllemann, homme d’affaires soignant ses contacts avec par le choix des mots et du lieu le monde arabe, mais aussi et parce qu’elle s’emparait de président du Parti libéral-déprocédés à connotation antimocrate (FDP) de Rhénaniesémite comme l’autodafé. De du-Nord-Westphalie, qui fait manière significative, un pascampagne électorale et la sant a brandi pendant toute une des journaux avec ses l’action une pancarte avec l’inscription « Schlingensief positions antisémites. est-il fou ? Non ! Fascistoïde ? L’action ne dure que dix On ne déclenche pas de révolution avec des Oui ! », sans toutefois qu’on minutes et se déroule plutôt performances politiques. Cette forme artistique a calmement. Les seuls à avoir sache vraiment s’il faisait parnéanmoins un pouvoir d’irritation qui se les nerfs à vif sont les politie de la mise en scène ou s’il révèle dans le domaine du politique, précisément. ciers chargés de la protection agissait librement. Mais alors que les performances de du bâtiment (et du jardin). Il Le mélange entre réalité et fiction, sérieux et futile, est fort possible que le « Tuez Christoph Schlingensief suscitaient encore le « gauche » et « droite » ou enMöllemann ! » prononcé par tollé, la génération actuelle a baissé le ton. Schlingensief quelques jours core art et non-art semble d’ailDes performeurs comme Rimini Protokoll, auparavant dans un théâtre leurs être un élément constiMilo Rau et Gob Squad agissent en tutif du pouvoir d’irritation de Duisbourg les ait rendus particulièrement vigilants. qu’une performance peut déchercheurs, qui expliquent et éclairent. Mais pour qui connaît l’arvelopper dans le domaine du tiste et son travail, l’exclapolitique. Ce mélange explique par Eva Behrendt mation ne s’accompagne pas également pourquoi certaines plus d’intentions de meurtre performances ont des suites pénales – même s’il n’est pas réelles que le « Tuez Helmut Kohl ! » vociféré précédemment à la documenta X. Pour Schlin- toujours possible de trancher entre la simple application d’un sysgensief toutefois, ces dix minutes ne sont pas sans conséquences : tème de droit valable pour tous ou l’intervention de dirigeants cheril est poursuivi en justice et doit payer une forte amende, bien qu’il chant à neutraliser de fâcheux critiques. Mais d’un point de vue ait lui-même rappelé le contexte artistique de son action. éthique, du côté des artistes aussi, il peut y avoir des limites entre art et réalité à ne pas franchir, comme lorsque le compositeur KarlLa performance comme prise de position politique Heinz Stockhausen qualifie l’attentat contre le World Trade Center Si on mentionne Aktion 18, c’est qu’il s’agit d’un véritable clas- d’œuvre d’art. sique de la performance politique. Au contraire d’une pièce de Dans l’art de Christoph Schlingensief, il y avait à la source de théâtre traditionnelle, la performance n’est pas centrée sur un ce pouvoir d’irritation un calcul non pas criminel, mais toujours texte dramatique, pour la représentation duquel des acteurs se politique : fonder un parti (Chance 2000) et se porter lui-même glissent dans des rôles et font comme s’ils étaient d’autres qu’eux- candidat à la Chancellerie allemande (où il obtient tout de même Per fo r m ance 12

Photos : David Baltzer (en haut) ; IIPM – International Institute of Political Murder (en bas)

Irriter, éclairer : les performances politiques


L’art actionniste de Christoph Schlingensief résultait d’un calcul politique : à Vienne, dans son action Ausländer raus ! (2000), il a demandé à des téléspectateurs de choisir les étrangers qu’ils voulaient expulser et a ainsi provoqué des émeutes publiques. www.schlingensief.com

Pour la performance Die letzten Tage der Ceausescus, l’écrivain et dramaturge suisse Milo Rau a conduit de nombreuses interviews avec des témoins de l’époque ; il a ensuite minutieusement reconstruit sur scène le procèsspectacle du couple présidentiel. http://international-institute.de

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60 000 voix), laisser le public décider tout à fait démocratiquement de l’expulsion de requérants d’asile ou faire intervenir dans une mise en scène zurichoise de Hamlet de prétendus néonazis repentis. Les réactions des médias et du public ont montré que ce calcul fonctionnait avec une belle régularité. L’extrême rapidité et la sûreté de tir de Schlingensief, qui ont bien souvent assuré à ses performances les gros titres de la presse, restent à ce jour inégalées dans l’espace théâtral germanophone. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a plus de théâtre ni de performances politiques, mais dans l’ensemble, le ton et les exigences ont baissé. D’un point de vue idéologique aussi, les temps ont changé. Alors qu’un Schlingensief se référait largement à l’art avant-gardiste des années 1960 et 1970, le regard que portent les créateurs d’aujourd’hui sur cet art ne se contente pas de transfigurer, il est critique aussi. En effet, aussi passionnantes et marquantes qu’aient souvent été les nouvelles formes, aussi douteux fut parfois leur contexte idéologique. C’est peut-être également pourquoi la génération des créateurs nés après 1970, post-soixante-huitarde, n’a pas un rapport aussi détendu à leur égard que ne le fut celui de Schlingensief, décédé en 2010. La performance comme mise en lumière

angle, d’un événement spécifique ; la récompense, ce sont souvent de nouvelles révélations ou même un décalage par rapport à la version historique officielle. La reconstruction à effet cathartique C’est une autre approche qu’adopte quant à lui l’auteur et créateur de théâtre suisse Milo Rau, né en 1977. Pour la performance Die letzten Tage der Ceausescus (Les derniers jours des Ceausescu), il a mené de nombreux interviews avec des témoins d’époque ayant participé à la révolution de 1989, entre autres avec le général Stanculescu, qui trahit le dictateur et sa femme, et le soldat Dorin Calan, qui les fusilla. À partir de ces interviews et de documents cinématographiques historiques, Rau et son équipe, dont des acteurs professionnels, ont tenté une minutieuse reconstruction sur scène du procès-spectacle et de l’exécution des Ceausescu dans une caserne militaire. Formellement, la mise en scène s’inspire d’un passe-temps pratiqué par les passionnés d’histoire et appliqué depuis quelques années au théâtre : dans ce qu’on appelle le reenactment (reconstitution), des personnes parfaitement ordinaires rejouent des batailles militaires ou des combats sociaux sur leurs lieux historiques. Que ces reconstructions puissent avoir un effet cathartique pour les participants, du moins lorsque les événements sont relativement récents, Jeremy Deller et Mike Figgis l’ont montré dans leur documentation filmique The Battle of Orgreave : lors du reenactment de la lutte de 1984 entre mineurs en grève et police britannique, les acteurs d’hier, en inversant leurs rôles, ont vécu l’événement sous un jour nouveau. Le spectacle de Milo Rau développa lui aussi, du moins lors de sa représentation à Bucarest (dans un théâtre toutefois), un certain potentiel explosif : un des fils Ceausescu intenta un procès, qu’il perdit, visant à interdire l’utilisation de son nom de famille. Mais avant tout, il donna l’occasion aux spectateurs et acteurs de

On remarque en tout cas que de nombreux performeurs de la scène théâtrale actuelle se présentent comme des chercheurs-enseignants agissant de façon (apparemment) objective plutôt que comme des artistes-sujets radicaux. Ils préfèrent montrer des attitudes plutôt que de les représenter publiquement et délèguent au spectateur la tâche de se faire une opinion ou de se positionner politiquement par rapport au matériau offert à leur regard. Leur intention est d’éclairer, leurs instruments sont les techniques du journaliste, de l’historien ou du sociologue, telles que l’interview, l’enquête et l’étude de sources. Ils travaillent également avec des comédiens amateurs, mettant toutefois l’accent sur le renseignement biographique – vie quotidienne, profession, pratiques religieuses – plus que sur Le mélange entre réalité et fiction, sérieux et futile, leurs compétences artistiques. « gauche » et « droite » ou encore art et non-art semble Quand par exemple le metteur en scène Hans-Werner Kroesinger planifie un noud’ailleurs être un élément constitutif du pouvoir veau projet, il commence par un travail de d’irritation qu’une performance peut développer dans le lecture intensif. Depuis la fin des années domaine du politique. Ce mélange explique également 1990, le spectre de ses thèmes va des crimes pourquoi certaines performances ont des suites pénales. de la politique coloniale aux chroniques familiales exemplaires (comme celle des Flick, grands industriels qui ont toujours soutenu sans vergogne les dirigeants politiques du moment), en faire ressurgir un passé tout proche, y compris les modèles d’inpassant par les génocides historiques comme celui des Arméniens terprétation et images que nous en avons. Dans un pays tel que par les Turcs (avec un focus particulier sur le rôle des Allemands). la Roumanie qui, comme de nombreux autres dans l’ancien Bloc À l’instar d’un historien, Kroesinger (né à Bonn en 1962) dégage de l’Est, n’a pas le temps de cultiver sa mémoire ni de soigner le sa matière à partir de textes primaires et de sources, qu’il assemble débat sur le passé, cela suffit à être un acte provocateur. – ici dans le rôle du dramaturge – en un collage polyphonique. Comme les sources ne sont pas citées lors de la représentation et Capituler devant la révolution que les acteurs n’incarnent pas de rôles clairement définis, les Au sens étroit cependant, ni les mises en scène de Hans-Werner performances de Kroesinger constituent un théâtre de réflexion Kroesinger, ni le reenactment de Milo Rau ne sont des perforexigeant, à l’opposé de l’« histotainment » : le spectateur doit être mances politiques, car elles restent dans l’enceinte protectrice du extrêmement attentif, s’il veut comprendre qui parle, et sous quel théâtre. Le théâtre de mise en scène et le théâtre littéraire de la

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Photo : Manuel Reinartz


Ils descendent dans la rue et poussent les passants Ă faire la rĂŠvolution : le groupe de performance germano-britannique Gob Squad avec Revolution Now ! (2010). www.gobsquad.com

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dernière décennie ont eux aussi fréquemment pris position sur des thèmes politiques, laissant parfois loin derrière eux le théâtre dramatique – comme par exemple lorsque Volker Lösch accompagne ses mises en scènes d’auteurs classiques de chœurs composés de chômeurs ou de prostituées, qu’Elfriede Jelinek commente les faits sociaux et politiques d’une plume féroce ou que René Pollesch souffre avec malice de l’état du « Je » sous l’influence du capitalisme. Rares sont pourtant les créateurs qui osent l’intervention spontanée, peut-être même agressive, hors le cadre protecteur du théâtre, du musée ou de l’exposition d’art. Le collectif de performance germano-britannique Gob Squad connaît le dilemme et cherche dans presque tous ses travaux à franchir le seuil séparant l’espace artistique de la rue, sans se faire d’illusion sur la portée de sa force de frappe artistique. Dans Revolution now ! (2010), l’une de leurs performances les plus récentes à la Volksbühne de Berlin, sise place Rosa-Luxemburg, les performeurs quittaient le théâtre pour interroger les passants et les encourager à l’acte révolutionnaire – le tout retransmis en direct par vidéo. L’issue de ce jeu auto-ironique était vraisemblablement connue d’avance, les artistes ne croyant pas eux-mêmes qu’un changement de société soit réalisable – encore moins sur la base d’une intervention artistique. Le « peuple » de la rue leur a donné raison, avec esprit. Après un allègre parcours de l’iconographie révolutionnaire, le collectif a donc capitulé et renoncé au grand changement. Peut-être s’est-il rendu la tâche trop facile ? Mais ne serait-ce pas en fin de compte assez symptomatique ?

tiens menés à l’extérieur de la salle de réunion. Manifestation de routine pour les magnats de l’économie, l’assemblée générale se mua pour certains spectateurs en cours d’initiation à l’économie, au marketing et à la manipulation – ici encore, un projet éclairant, dans le meilleur des sens. Actuellement, on ne peut aller plus loin.

Un changement de perspective efficace Le collectif Rimini Protokoll, lui, a tout au moins su créer un certain émoi au sein de la direction de Daimler. Lors de l’assemblée générale de la société à Berlin en 2009, le président du conseil de surveillance Manfred Bischoff, apparemment pressé de mettre les choses au clair, accueillait les actionnaires par une phrase inhabituelle : « Ceci n’est ni un spectacle, ni une pièce de théâtre ! ». En effet, tout juste au moment de la crise financière, Helgard Haug, Stefan Kaegi et Daniel Wetzel, soutenus par le théâtre berlinois Hebbel am Ufer (HAU), avaient eu l’idée de qualifier la réunion des actionnaires de ready-made intitulé Assemblée générale, et de donner accès à la manifestation à 150 spectateurs par transfert du droit de vote des actionnaires. Au regard des quelque 7000 actionnaires réunis, il s’agissait là d’une infime minorité, mais le président du conseil avait clairement reconnu le danger potentiel : qui verrait la manifestation d’un œil d’« observateur participant » (Clifford Geertz), et non de participant, en tirerait d’autres conclusions et percerait éventuellement à jour ce rituel pseudo-démocratique. C’était justement l’effet escompté par Rimini Protokoll, qui dans ses travaux ne cesse de questionner le rapport entre apparence et réalité. Leur acte artistique se résumait à un déplacement de perspective des plus efficaces, par lequel ils ne voulaient pas « dénoncer comme show » « l’auto-présentation d’un global player », mais permettre de vivre la manifestation « en tant que rituel d’une assemblée aux intérêts divers ». Ils y parvinrent de main de maître, abandonnant le spectateur à lui-même tout en lui offrant la possibilité d’approfondir la matière avec des spécialistes dans des entre-

Eva Behrendt (*1973) est critique de théâtre et rédactrice au magazine spécialisé Theater heute. Elle vit à Berlin. Traduit de l’allemand par Anne Maurer

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épéter, organiser, répondre aux questions, allaiter – Simone Aughterlony n’a pas la tâche facile par cette journée d’août caniculaire. Elle prépare sa nouvelle pièce We need to talk à la Dampfzentrale de Berne. Quelques étages plus haut, ses enfants l’attendent dans l’appartement réservé aux artistes, tandis qu’on teste la lumière et la musique pour les derniers passages à reprendre ce jourlà. Tout en étant fatiguée, Simone Aughterlony est pleine d’énergie. Tout à l’heure elle était encore couchée sous une bâche de plastique étouffante et rigide, à dire d’une voix sourde : « Dans dix minutes, je n’aurai plus d’air, j’ai oublié ma bouteille d’oxygène. » Plus tard, assise sur un juke-box, elle racontera l’histoire de l’Alien. En spectatrice, on écoute d’abord, captivée, puis on perd le fil, mais on le retrouve au moment où l’ambiance s’alourdit, quand l’Autre n’est plus cajolé et protégé par la communauté, mais battu, et que la danseuse esquisse de singuliers paysages corporels. Ici, elle s’interrompt et va s’asseoir près de son dramaturge, au bord de la scène. Très bien. C’était épique, cette fois. Raconter durant vingt minutes, effectuer un petit tour dans l’univers de la science-fiction et revenir.

ment sur des gémissements de plus en plus insistants. Tout cela dans un espace saturé d’énergie, malgré la dilatation du temps. Simone Aughterlony est très forte. Pleine de fougue et d’assurance, elle laisse en même temps paraître quelque chose de fragile et de blessé. *

L’une et l’autre facette, la fougueuse et l’inquiétante, font la réputation de la danseuse dès le début de sa carrière. Néo-Zélandaise d’origine anglaise, elle rejoint en 2000 la compagnie de Meg Stuart, Damaged Goods, puis passe avec celle-ci de Bruxelles au Schauspielhaus de Zurich. Elle y danse, tremble et chante comme s’il y allait de sa vie, dans Highway 101 (2000–2001), dans Alibi (2001) et Visitors only (2004). Elle ne tarde pas à devenir la figure centrale du travail de Meg Stuart, reformule à sa manière Disfigure Study, le solo génial de cette dernière, créé en 1991. La collaboration entre Meg Stuart, sa compagnie, et l’équipe du Schauspiehaus dirigée par Christoph Marthaler, dure quatre ans. Suffisamment longtemps pour que Simone Aughterlony se fasse des amis et noue des contacts à Zurich. Engagée comme per* formeuse et chorégraphe pour les Danse ou performance ? Pour la Beaucoup plus tôt, dans la pièce, créations théâtrales de Stephan danseuse et chorégraphe Simone Pucher et Falk Richter, elle fait la bâche de plastique gonflée Aughterlony, les deux genres sont esthétiquereprésentait un immense globe. ses propres recherches chorégrament inséparables. Ils jouent tous Une planète lointaine ? La Terre phiques dès 2003. Le Theaterhaus mère ? On l’ignore encore et cela de la Gessnerallee lui offre la platedeux avec le temps, l’espace, la présence ne sera sans doute jamais dit forme dont elle a besoin ; elle y d’un public. Et la présence des corps, précisément. Simone Aughterprésentera son premier solo, Pubien entendu. Portrait. lony n’a pas envie d’imposer des blic Property. D’autres coproducimages arrêtées au public, elle tions suivent, avec le HAU à Berpar Julia Wehren (texte) et préfère le laisser réfléchir tout lin, la Schouwburg à Rotterdam, Fabian Unternährer (photo) seul. Elle considère son vis-àla Dampfzentrale à Berne, des colvis comme son égal. Dans sa laborations qui perdurent. Tout première pièce, Public Property bien compté, neuf œuvres ont vu (2004), elle avait déjà rapproché sa chaise tout près de la rangée de le jour depuis lors, des duos, des pièces de groupe, mais aussi des spectateurs pour mettre à l’épreuve les liens entre public et actrice. travaux réalisés en commun avec d’autres artistes comme Isabelle « Pourquoi les spectateurs seraient-ils là et me prêteraient-ils at- Schad et Jorge León, lequel l’accompagne souvent comme dramatention, si je ne m’adresse pas à eux ? », demande-t-elle. Être face à turge. C’est avec lui que voit le jour, en 2010, To serve, une trilogie face, regarder droit dans les yeux des autres, rire et raconter, redire sur la situation des employées de maison, composée d’un film, encore, proposer des variations sur ce qui est immuable – tout cela d’une pièce et d’un programme de performances qu’elle dirige. fait partie des caractéristiques de cette artiste vivant à Zurich. Elle À la fois un succès et un tour de force. Après la naissance de son met les scènes bout à bout en faisant de longs détours dramatur- second enfant, Simone Aughterlony veut revenir à la petite forme, giques, pendant lesquels les deux parties, performeurs et specta- au solo, et donc au début de sa carrière. trices, doivent tenir bon. Et cela, jusqu’à ce que surviennent de pe* tites transformations qui provoquent presque imperceptiblement un tournant. Par exemple, lorsqu’un anniversaire bascule dans un Elle passe en revue tout ce qu’elle a fait jusqu’ici, écrit de petits adieu au bonheur et finit par retrouver le chemin de la fête, dans textes, se demande quels sont les motifs récurrents de son travail The best and the worst of us (2008). Ou dans Performers on Trial et où poursuivre sa recherche. Ne pas écarter le connu, dit-elle, (2005), quand des pas de danse aériens sont effectués mécanique- mais l’explorer sous un autre angle ou « faire de ses fantômes des

Les mots, à la source du mouvement

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La confrontation directe, un regard de défi lancé droit dans les yeux de ses vis-à-vis, du rire et des histoires, mais aussi des variations toujours renouvelées sur le même thème – tels sont les signes distinctifs de l’artiste Simone Aughterlony.

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invités. » Ses principales interrogations concernent la représentation et la feinte sur scène, la frontière entre fiction et réalité, l’authenticité des gestes et des émotions. Avec We need to talk, c’est la première fois que des éléments autobiographiques se glissent dans son travail. Née en Nouvelle-Zélande en 1977, l’artiste a obtenu le diplôme de la New Zealand School of Dance en 1995. 1977 est aussi l’année où les États-Unis envoient dans l’espace les sondes Voyager 1 et 2. Avec, pour échantillon terrestre, le Golden Record, un disque d’images et de sons attestant de la vie humaine, déchiffrable à l’échelle intersidérale pour ainsi dire, censé témoigner un jour des réalisations de l’humanité. Y figurent notamment quatre-vingtdix minutes de morceaux choisis, allant de Beethoven et Bach à la musique populaire, en passant par Chuck Berry. Simone Aughterlony les a choisis pour servir de cadre à son solo, un canevas à la fois contraignant et inspirant. Son idée d’un avenir dans le grand tout, elle l’associe à des histoires de science-fiction, dont les structures temporelles et spatiales la fascinent depuis longtemps. « La science-fiction transporte toujours le passé dans l’avenir, dit-elle, elle ne crée pas quelque chose de vraiment nouveau. » Car avec toute l’imagination du monde, un ailleurs hors du présent est tout simplement inconcevable. * Simone Aughterlony effectue de nombreuses et longues recherches pour son travail, elle lit et va au théâtre, même si c’est de moins en moins souvent, à son grand regret. Elle s’efforce de suivre au moins les spectacles de danse vraiment importants. Les derniers solos de Jérôme Bel par exemple, ou le travail de Tim Etchells et de sa compagnie Forced Entertainment, pour qui elle a aussi joué en 2007 dans Bloody Mess. Elle est très attachée à son réseau. Elle travaille souvent avec les mêmes artistes, avec son partenaire Thomas Wodianka, avec Nic Lloyd, Kate McIntosh et Phil Hayes, qui sont musiciens, performeurs et acteurs. Simone Aughterlony aime collaborer avec des artistes dont le corps n’a pas été formé spécifiquement à la danse. Cela crée une proximité particulière avec le public, qui s’identifie plus facilement à la manière dont ces corps communiquent, réussissent à faire quelque chose ou non. En tant que chorégraphe, elle s’inspire volontiers des autres compétences artistiques de ses collaborateurs. Il s’opère ainsi une sorte de transfert de connaissance : « Nous échangeons nos qualités, nous discutons, nous apprenons les uns des autres. » Mais c’est la chorégraphe qui garde la haute main, dit-elle, elle qui propose les thèmes des improvisations et décide à la fin ce qu’on verra sur scène. Elle dit aussi « arranger, opposer » pour décrire son activité ; quand on lui demande quel est son métier, elle répond « chorégraphe et faiseuse de performances ». * Son propre corps de danseuse, éduqué et formé à l’aune du ballet classique et contemporain, elle le comprend comme une possibilité bienvenue d’explorer des mouvements. Elle le remettra sérieusement à contribution dans son nouveau solo. « La musique classique fait remonter des expériences de la danse enfouies », dit-elle en riant, toute contente que son corps fonctionne encore si bien.

Après cette semaine de répétitions, elle devra tout de même se pencher d’abord sur des textes, passer des heures à visionner du matériel vidéo : les notes du dramaturge et ses improvisations filmées devront se distiller lentement jusqu’à l’aboutissement d’une forme solide. C’est Simone Aughterlony qui définira presque tous les éléments, les mouvements comme le texte : « Je sais à chaque instant ce que je fais et où », dit-elle. De manière assez claire pour pouvoir ensuite en user sur scène en toute liberté. Qu’elle danse, parle ou chante ne fait pas une grande différence pour elle. Parfois les mots viennent plus vite que le mouvement : « Parler, marmonner m’aide à trouver le mouvement », dit-elle. Danse ou performance ? Simone Aughterlony estime que ces deux genres sont désormais esthétiquement inséparables. La scène actuelle de la danse emprunte des stratégies qui sont propres à la performance, au théâtre, aux arts visuels. Rattacher une production à l’une ou l’autre scène dépend en fin de compte de l’idée que se font les artistes de leur propre travail, de la manière dont ils aimeraient être perçus, du type de promotion et d’organisation, du marché où ils tiennent à évoluer. De leur côté, les institutions ont besoin de définir des catégories où ranger les artistes. « Mais en dernier ressort, les deux genres jouent avec le temps, avec l’espace, avec la présence d’un public », dit-elle. Et la présence des corps, bien entendu. « Peutêtre le corps d’un danseur produit-il plus facilement du sens, il est peut-être plus expressif », ajoute-t-elle. Ce qui est sûr, c’est que la formation artistique est toujours lisible à même le corps. C’est ce qui rend le mélange, le croisement des formes d’expression si passionnant pour Simone Aughterlony, qui est danseuse de métier.

www.aughterlony.com Julia Wehren (*1975) est danseuse et historienne de la danse. Elle a été journaliste de rubriques culturelles jusqu’en 2007, puis assistante à l’Institut d’études théâtrales, à Berne. Elle prépare actuellement une thèse grâce à une bourse du Fonds national suisse de la recherche scientifique. Fabian Unternährer (*1981) vit et travaille comme photographe indépendant à Berne. Formé à la Zürcher Hochschule der Künste et à l’École Supérieure d’Arts Appliqués de Vevey, il a présenté ses travaux dans plusieurs expositions individuelles et de groupe, surtout en Suisse. www.fu-photo.ch Traduit de l’allemand par Ursula Gaillard

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Ce qui m’intéresse, c’est d’impliquer les gens pour qu’ils soient complètement présents et attentifs, pour pouvoir les amener à une autre manière de voir, qui séduit et trouble, qui plaît et contrarie. Je crois que nous devons toujours partir de cet élément de base, de cette notion simple de la présence. C’est ensuite que se produit le passage à la fiction, au flirt, au mensonge, que l’on prétend que ce dont on parle peut vous emmener en voyage loin d’ici, loin de maintenant. C’est comme si chaque performance devait mettre à nu ce qui pourrait se passer maintenant. Avec toute la fascination que je ressens pour la présence et la transparence, je suis aussi saisi par le fait que les acteurs peuvent être distants, renfermés, incompréhensibles, insondables. Voilà une autre facette intéressante de la relation entre le spectateur et la scène : percevoir les acteurs sous cet aspect plus distant peut vous amener à vous poser des questions, vous étonner. Ça peut aussi déranger, troubler, ennuyer ! Mais ce qui est intéressant, c’est que ces états d’incertitude, ces zones d’ombre renferment un potentiel de transformation, peuvent apporter la lumière d’une autre manière, ouvrir d’autres possibilités.

Peut-on faire confiance à son voisin dans la salle ?

Et comment créez-vous ce partage, en tant que membre de la troupe ? Les acteurs qui réalisent la performance ont aussi des efforts à faire – pour être là, occuper l’espace, être présents avec le public de la soirée, négocier ce qui se développe entre nous et lui, entre les différents acteurs sur scène. Dans une performance, le pire piège dans lequel tomber, c’est de se laisser prendre Le contact avec le public, pour la célèbre par la routine ou par une Votre image du public acompagnie britannique Forced Entertainment, est sorte de rêve, et de ne pas réat-elle changé pendant le un moment essentiel de son travail artistique. liser ce qu’on est en train de quart de siècle où vous avez Tim Etchells, auteur dramatique et directeur artisfaire. Pour nous en particutravaillé avec Forced Entertique de la troupe raconte comment les performeurs tainment ? lier, avec nos tournées de performances qui nous mènent Ça a beaucoup changé au ne cessent d’explorer la limite entre la scène cours des années. Tout au d’un théâtre à l’autre, nous et les spectateurs, et mettent parfois à l’épreuve la pouvons facilement être pris début, dans les années 1980, relation entre la performance et son public. par les questions techniques je pense que nous étions franchement timides, nous ou les soucis de la représentation d’hier plutôt que celle ne percevions pas vraiment Propos recueillis par Dagmar Walser d’aujourd’hui. Il nous faut le public, nous étions comme vraiment être présents au puderrière un mur. Nous nous blic réel qui est là en ce moment. L’accent mis sur cette implica- passionnions pour le cinéma, nous aurions voulu faire des films. tion, sur la présence, c’est un combat contre l’idée d’un public qui Réaliser qu’il y avait un public était embarrassant, en quelque serait le consommateur passif d’un spectacle, contre l’idée d’une sorte. Nous étions dans une bulle, jusqu’au jour où nous nous performance où les spectateurs ne sont pas impliqués, pas vrai- sommes mis à l’entrouvrir. Et voilà que, les années suivantes, nous ment présents. Je sais bien que c’est une façon cruelle d’imaginer n’avons plus cessé d’être en relation avec les spectateurs. Tout allait le public : un animal affamé qui veut que quelque chose se passe, vers eux. Nous étions en rang devant la scène, les lumières étaient assoiffé de sang, désireux de plaisirs rapides. allumées, et nous avions envie de leur parler directement. Cette relation a passé par divers états – depuis First Night, qui joue sur Quand je songe aux performances de Forced Entertainment, l’agression et s’amuse à causer des problèmes aux spectateurs. je remarque que vous vous adressez souvent directement au C’est une performance qui explore une notion du public comme public : vous flirtez avec lui, vous le taquinez, vous le repoussez, un monstre tyrannique, terrifiant et oppressif. Un an ou deux plus et il ne cesse de se demander ce que les acteurs peuvent bien tard, nous avons joué une longue histoire, And on the Thousandth fabriquer sur la scène. Vous donnez vraiment à faire aux spec- Night…, qui est très différente, chaleureuse et généreuse envers tateurs… le public. Notre traitement du public, l’image que nous nous Per fo r m ance 20

Photos : Hugo Glendinning

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maginons que les perfomeurs et le public soient liés par un contrat, quel en serait à votre avis le principal élément ? À mon avis, l’essentiel pour les spectateurs est leur disponibilité à être là – à regarder et à expérimenter ce qui se passe. Ça paraît tout simple, mais je crois qu’en fait c’est difficile pour la plupart des gens, moi y compris, parce qu’on vient avec un tas de choses en tête, avec ses attentes et ses préoccupations, et on risque bien de confondre ce que l’on voit et ce que l’on souhaite voir se passer. Je suppose que, d’une certaine façon, toute performance s’efforce de créer ce contact fondamental, ce contrat, ce qui revient à dire : nous sommes ici, vous êtes là, et c’est un moment que nous partageons.


« Rappelez-vous que vous êtes bien plus nombreux que nous. Si on en vient aux mains, c’est vous qui gagnerez, aucun doute… » Dans Showtime, Richard Lowdon s’adresse directement aux spectateurs, thématisant ainsi les rapports de force qui existent entre performeurs et public.

Chaque représentation théâtrale crée une communauté car les spectateurs se sentent liés par ce qu’ils vivent. Dans Speak Bitterness, les performeurs se mettent en tête de détruire cette unité et de diviser le public.

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faisons de lui a donc complètement changé, et continue de changer. J’ai l’impression que notre mission à long terme, c’est d’explorer toutes les manières dont on peut habiter cette relation et de changer les temps de cette relation, de changer sans cesse sa température, sa texture. Dans vos performances, vous avez souvent travaillé sur l’épuisement des acteurs, notamment dans les durational performances. Mais vous avez aussi réalisé Thrill of it All, par exemple, qui commence par vingt minutes de danse, après lesquelles les acteurs sont épuisés : c’est intéressant, parce que cela semble aussi faire effet sur le public. Quelle est la relation entre ce qui se passe sur scène et ce qui se passe dans le public ? Chaque pièce est construite comme un déploiement d’énergie ; quand on pousse des acteurs à faire quelque chose de physiquement épuisant ou exaltant, ou à utiliser un langage épuisant ou excitant, leurs défenses tombent – jusqu’à un certain point. Un acteur vif et reposé maîtrise généralement ce qu’il fait, gère et contrôle son apparence, mais s’il s’épuise physiquement ou intellectuellement, il se met en charpie, il n’arrive plus à se dominer, et le spectateur commence à voir des choses que les acteurs auraient cachées autrement ; la fatigue les ouvre. Et quand cela se produit pour les acteurs, les défenses du public s’abaissent elles aussi un peu, c’est comme s’il était un peu soûl, sans défense, ce qui ouvre des possibilités qui n’existaient pas quand les spectateurs se sont assis. Le public est en quelque sorte un miroir de la scène. Showtime est centré très directement sur cette frontière entre le public et la scène. Richard Lowdon dit aux spectateurs : « Il y a un mot pour vous définir : le public. Le public vient au théâtre peut-être pour voir des choses qui le choqueraient s’il les voyait dans la vie réelle… Peut-être êtes-vous venus ce soir pour voir quelque chose que vous ne faites que dans l’intimité de vos foyers, ou que vous rêvez de faire dans cette intimité. Un public aime être assis dans le noir et regarder d’autres le faire, justement. Eh bien, si vous avez payé votre billet d’entrée, bonne chance. Mais par ce côté-ci de la lorgnette, les choses sont différentes – vous avez l’air tout petits, très loin, et vous êtes très nombreux. Rappelezvous que vous êtes bien plus nombreux que nous. Si on en vient aux mains, c’est vous qui gagnerez, aucun doute. » C’est une sorte de rapport de force… Je l’ai déjà dit, le public est un monstre tyrannique ! Il impose ses exigences. Et, en un certain sens, le déroulement de la soirée dépend de notre manière d’aborder ces exigences, de les négocier, de les satisfaire ou de les repousser. Bien sûr, tout le travail que nous faisons explore à fond les rapports de force avec le public, le pouvoir de la scène sur le public, celui du public sur la scène. Il faut reconnaître ce jeu de rapports de force, l’examiner scrupuleusement, le mettre en question de toutes les manières possibles – ce qui est possible quand on connaît les règles du jeu. Dans Showtime, il y a aussi cette phrase que Richard dit aux specta-

teurs : « Nous allons faire ce que nous allons faire, à vous de faire ce que vous allez faire. » Ce sont les règles, les attentes ; mais la nuit est fragile, tout peut arriver. Que voulez-vous qu’il se passe ? Cherchez-vous la confrontation avec le public ? Non, ce serait trop facile de provoquer une bagarre, je m’intéresse bien plus au processus de tension et de séduction, j’aime qu’on fasse des propositions et qu’on en fasse des problèmes. C’est un processus architectural ou musical, bien plus que le risque d’en venir aux mains ! Il se passe quelque chose de collectif. Le théâtre conventionnel désire réunir tout le monde. Ce à quoi nous avons travaillé, depuis bien longtemps, c’est à une remise en question de cette entité, en même temps qu’à la constitution en groupe des individus isolés qui entrent. Dans une performance théâtrale, on s’occupe toujours de la formation de la communauté, on construit l’espace social de l’auditoire, c’est une expérience qui le lie et le relie. Mais c’est aussi très intéressant de diviser le public. Plusieurs de nos pièces posent le problème de cette idée d’un NOUS collectif des spectateurs. Qui sommes-nous, assis ici ? Pourquoi sommesnous ici ? Dans Speak Bitterness, les acteurs font toutes sortes de confessions, et mettent les spectateurs dans une situation où ils doivent décider s’ils font partie ou non du NOUS dont on parle. Quand les acteurs disent « nous ne nous sommes jamais bien lavés, nous n’avons jamais sorti le chien », les spectateurs sont généralement d’accord. Ce n’est pas si difficile à admettre. Mais quand les acteurs disent « nous avons glissé des crottes de chien sous les portes des étrangers », le public va probablement prétendre qu’il n’a rien à voir avec cette situation – le « nous » social devient un problème. Au théâtre, on suppose souvent que le public est bon et

Le public est un monstre tyrannique ! Il impose ses exigences. Et, en un certain sens, le déroulement de la soirée dépend de notre manière d’aborder ces exigences, de les négocier, de les satisfaire ou de les repousser.

convenable, mais peut-on faire confiance à son voisin dans la salle ? Peut-on être sûr qu’il ne fait pas des razzias racistes, les nuits où il ne va pas au spectacle ? Bien sûr que non. Pouvez-vous dire ce que vous souhaitez que les spectateurs disent ou pensent à la sortie du spectacle ? Pas concrètement. Je crois que ce qui m’intéresse, c’est d’ouvrir un espace contradictoire et ambigu. Ce que j’aime le mieux, c’est quand le sol semble irrégulier, imprévisible – lorsque les questions n’obtiennent pas toutes des réponses. Non pas que je veuille que les gens ressentent ceci ou cela : je veux plutôt qu’ils ressentent les tensions entre diverses possibilités. Je voudrais qu’ils restent dans une sorte d’espace vague. J’aime l’idée que le travail que nous faisons, quand il est fini et que le public s’en va, reste une affaire non conclue. Comme si l’hameçon vous restait dans la peau.

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Aujourd’hui les arts de performance tendent à quitter l’espace théâtral, à briser les conventions théâtrales. Ils s’installent sur un site particulier ou ils impliquent dans la performance des gens qui n’ont pas décidé d’y participer. Vous, vous travaillez surtout dans l’espace artistique, dans des théâtres ou des galeries. Pourquoi ? J’ai fait des projets qui sortent de ces cadres – mais je m’intéresse surtout aux structures, aux rencontres, aux formes culturelles où les deux parties connaissent les règles. Une fois accepté le cadre

mances, un langage qui exigerait qu’on sache tout sur l’histoire de la performance contemporaine pour être compris. Ce que vous voyez, c’est une bande de personnes assez ordinaires qui marchent sur la scène et qui se mettent à vous parler – vous voyez ce que je veux dire ? Ça n’a rien d’exclusif – et je crois que les spectateurs l’apprécient.

Je n’aime pas qu’on fasse semblant de briser les règles, qu’on le fasse à la légère, en apparence. Je me bats contre la prétention du théâtre à ne pas être du théâtre, à ne pas connaître ses règles ou ses cadres, tout en faisant du théâtre.

conventionnel – un public constitué dans une salle de spectacle, une scène, le public regarde ce qui se passe sur la scène – je peux commencer à ouvrir l’espace et les possibilités. Travailler en acceptant ces contraintes formelles pose des limites et des paramètres utiles, à partir desquels je peux travailler sur le public.

Illustration: Elizabeth Traynor

Est-ce pour une raison morale que vous voulez des règles claires pour tout le monde ? Peut-être bien. C’est lié à l’idée que nous devrions tous connaître le terrain sur lequel nous nous tenons. Je n’aime pas qu’on fasse semblant de briser les règles, qu’on le fasse à la légère, en apparence. Je me bats contre la prétention du théâtre à ne pas être du théâtre, à ne pas connaître ses règles ou ses cadres, tout en faisant du théâtre. Ça se voit beaucoup – dans le théâtre d’immersion ou de promenade, dans les performances en face à face, où on prétend faire de la pantomime, de la « nouveauté », briser les règles, mais où la réalité reste tout aussi conventionnelle, où le rapport de force est le même que dans un spectacle classique. Il s’agit, je l’ai dit, essentiellement de pouvoir ; mais quand on connaît les règles, on peut s’affronter au pouvoir, le remettre en question, lui rentrer dedans. Est-ce que cette vision du public est une attitude politique ? Bien sûr, pour moi c’est franchement politique. J’ai vu quantité de spectacles qui se disent politiques, mais la manière dont ils traitent leur public est juste réactionnaire, ou malhonnête. Ce qui m’intéresse le plus, c’est quand la politique s’intègre complètement à la forme : la nature de la relation avec le public, l’intégrité et la transparence des choses dont nous avons parlé – c’est la manière dont la performance ouvre un espace dans le public, sa manière de traiter la collaboration du public dans la création. Peut-être aussi cette idée de règles claires, d’une présence toute simple et directe face aux spectateurs, est-elle ce qui permet à notre travail de passer au plan international. Au cœur de ce que nous faisons sur scène, il y a notre présence sans baratin. À Sheffield, nous n’avons pas inventé un langage artificiel, symbolique, compliqué pour nos perfor-

Tim Etchells est auteur, artiste visuel, dramaturge et acteur. Il est surtout connu pour son travail d’auteur et de directeur artistique du groupe de performance britannique Forced Entertainment. Il réfléchit depuis plus de 25 ans sur l’art de la performance, à travers des livres, des essais, des expositions et des spectacles. Son roman The Broken World est paru en 2008. www.forcedentertainment.com ; www.timetchells.com Dagmar Walser est rédactrice et critique de théâtre à la Radio-Télévision suisse alémanique. Elle produit surtout des émissions de radio sur le théâtre et la performance. Traduit de l’anglais par Marianne Enckell

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Q

uiconque souhaite acquérir une vue d’ensemble de la scène de la performance en Suisse sera surpris de découvrir la variété des techniques de l’art performatif dans notre pays. Depuis le début des années 1980, qui ont vu naître des centres importants de la performance tels que le Festival de la Bâtie à Genève, le Theater Spektakel à Zurich, le Festival du Belluard à Fribourg , le festival Bone à Berne, autour de Norbert Klassen, et à Lucerne avec Ruedi Schill et Monika Günther, la scène s’est diversifiée et multipliée. Les nouveaux festivals et espaces off, tels le Kaskadenkondensator à Bâle, les Stromereien à Zurich, l’International Performance Art à Giswil et Les Urbaines à Lausanne ont donné un immense élan à cette forme d’expression au cours des dix dernières années.

entre autres, nécessitent aussi de plus en plus de nouveaux formats dans le domaine des manifestations. L’art performatif est une pratique très répandue aujourd’hui parce qu’il peut se dérouler n’importe où et qu’il ne nécessite pas à tout prix une scène ou un « white cube ». Avec la pression économique qui s’exerce sur l’espace urbain et l’ouverture croissante de l’espace public à la culture événementielle, la performance, aux actions si diverses, s’offre comme une solution idéale pour jouer tous les thèmes dans tous les espaces et toutes les brèches possibles. Une nouvelle génération : recours à la dramaturgie et à une technique complexe

Il y a dix ans, les écoles d’art suisses ont inséré la pratique de la performance dans leurs programmes de cours et se sont mises Les conditions et les tendances qui sont à l’origine de ce mouve- en réseau par le biais d’ACT, la plateforme de performance pour les ment sont multiples. Le décloisonnement des genres artistiques étudiants créée en 2003, ce qui assure à cette forme d’expression traditionnels et, du même coup, des espaces de présentation s’est une relève active et un intérêt durable. De nos jours, souvent, ce fait clairement sentir depuis l’an 2000. Il y a longtemps que les ar- ne sont plus seulement les artistes eux-mêmes qui mettent sur tistes actifs dans le domaine de pied des initiatives de perforla performance ne se limitent mances, mais également les curateurs et les intendants plus à la représentation centrée sur le corps ; désormais, ils de théâtre. La génération des œuvrent aussi bien dans en pionniers est ainsi relayée par salle qu’en extérieur, et les dudes protagonistes plus jeunes. rées prévues ne sont plus les Parmi eux se trouvent des armêmes non plus. L’art perfortistes aux talents prometteurs matif est capable de gravir les comme Anne Rochat, Simon La scène de la performance en Suisse plus hauts sommets des Alpes Kindle, Sophie Hofer, Domeou de sonder les profondeurs nico Billari, Mio Chareteau, a pris son essor ces dix dernières Mélodie Mousset, Michael les plus sombres d’une canaliannées. Certains parlent même d’un Kimber et bien d’autres. Ils sation. L’artiste Katja Schenvéritable boom de cette forme d’art. ker par exemple, qui allie dans constituent la nouvelle généLe décloisonnement, les arrangements techses performances force huration de performeurs suismaine, matériaux et forces ses pour qui le recours à la niques coûteux et le recours à de nouveaux physiques, élabore en live des dramaturgie et à un matériel médias ne sont que quelques-unes paysages de papier qui emcoûteux dans des mises en des caractéristiques de la nouvelle génération. scène techniques souvent plissent tout l’espace, creuse des fosses dans la terre ou étale complexes va de soi. Pour son de grandes surfaces d’asphalte travail o.T. (2007), le perforpar Sibylle Omlin à la main. meur bâlois Domenico Billari L’interactivité et l’appel à a ainsi engagé un hélicoptère de nouveaux médias sont aussi devenus monnaie courante. Le per- chargé d’apporter un grand réservoir d’eau et de le vider sur lui. formeur lausannois Gaspard Buma recourt, par exemple, aux ins- Mais ce travail de performance montre aussi clairement qu’en détruments de mesure et de transmission de données des domaines pit des nouveaux médias et des nouveaux lieux, l’engagement phyde la technique médicale et de la communication afin que son sique direct demeure le pivot du travail performatif. corps, lors de l’action performative, se mue en un instrument de Les projets de recherche et la commercialisation musique électronique artificiel. En tant que forme en action et agissant sur le plan physique, accroissent les chances de survie Décloisonnement et recours à de nouveaux médias

l’art performatif reste étroitement lié à la quête d’images de l’art visuel et de la représentation théâtrale, mais aussi à la musique, à la danse, au spoken word, ainsi qu’à l’art centré sur le processus artistique.1 Les nouvelles formes spécifiques à la performance, telles que les interactions dans l’espace public, les installations performatives dans les espaces off et les long duration performances,

Il existe aujourd’hui de nombreuses structures différentes présentant des performances artistiques : les festivals qui ont lieu à intervalles réguliers, les laboratoires de performances durablement installés comme le Kaskadenkondensator à Bâle ou le Progr à Berne, ou encore les plateformes temporaires comme le Kunstexpander à Aarau. Étant donné cette évolution, il n’est pas difficile de perce-

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Photos : Martin Stollenwerk (en haut) ; Raoul Gilibert (en bas)

Performance – Swiss made


Pour sa Partition pour 8 muscles et 1 sampleur (2004), Gaspard Buma utilise un ordinateur, des électrodes, un adaptateur, différents câbles, un amplificateur et un haut-parleur. Ce Lausannois, artiste performeur, se sert donc d’une technique moderne pour altérer son corps et le transformer en un instrument de musique. www.gaspardbuma.org

Choc, identité et malentendus interculturels : ce sont les phénomènes sur lesquels Yan Duyvendak et Omar Ghayatt portent leur réflexion artistique dans la production Made in Paradise. Ils y explorent la culture musulmane et le monde des Musulmans, censés représenter l’Autre absolu. www.duyvendak.com

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Installations performatives et performance dans l’espace social Depuis l’exposition d’Angelika Nollert et Silvia Eiblmayr sur les installations performatives en Allemagne et en Autriche en 2003, mais aussi depuis les études muséales de l’art performatif par des institutions suisses comme le Musée Migros ou le Centre PasquArt, la performance s’est émancipée de l’instant de l’événement et ancrée dans l’espace et l’objet, ce qui est devenu un sujet de réflexion en soi. L’artiste zurichoise Victorine Müller, que l’on connaît pour ses performances durant souvent jusqu’à une heure dans des objets gonflables et transparents, expose aussi après coup ces objets poétiques dans les salles de musée. Même des projets commandés au titre de l’intégration de l’art en milieu construit recourent aujourd’hui à l’art performatif ; c’est le cas, par exemple, de l’hôpital cantonal de Zoug où Susann Wintsch a installé une exposition permanente de huit objets réalisés par des artistes alémaniques lors de leurs performances. L’art performatif est un champ ouvert aux activités conditionnées par une situation et un lieu et qui concernent tous les domaines de la vie. Dans cette mesure, la dimension participative de la performance joue également un rôle important et l’on s’y intéresse sur le plan théorique ; le concept d’« art relationnel » du théoricien français Nicolas Bourriaud est de plus en plus utilisé par les artistes, désireux aujourd’hui d’agir en intégrant des groupes, des

voisinages, des sociétés et des environnements sociaux : pour son projet Auf dem Hinweg (2005), la Zurichoise Anne Lorenz a travaillé avec les 140 habitants d’un village de Haute-Autriche afin de rendre visibles les petits gestes du quotidien dans les rues. L’acte performatif est un acte social. C’est aussi devenu un argument pour les bailleurs de fonds. La composante « live » de l’art performatif répond à la volonté de favoriser la médiation de l’art et l’intégration de différents groupes de visiteurs. Le fait que le contexte – donc le lieu de représentation, l’espace et le public – influence directement la performance, constitue l’un des grands défis lancés à cet art. Par « directement », on entend : plus rapidement, de façon plus réactive et impitoyable que ce n’est le cas pour d’autres formes d’art comme la peinture, la musique composée ou le théâtre. Ce qui fait apparaître aussi que le vaste champ de la performance exige que l’on opère une différenciation. Les rapports historiques, médiaux et contextuels sont de plus en plus importants pour se positionner clairement dans la masse des offres et des interprétations. « Le fait qu’il s’agisse d’une initiative temporaire d’artistes dans des espaces temporaires ou d’une performance d’institutions établies comme des théâtres ou des festivals de théâtre, influence la façon dont ces artistes sont perçus et agit aussi en retour sur les travaux eux-mêmes », souligne la performeuse Dorothea Rust, qui œuvre aussi en tant qu’organisatrice. L’art performatif demeure malgré tout une stratégie artistique permettant aux performeurs de surprendre, de créer des moments intenses et de susciter l’étonnement, la confusion, voire l’incompréhension. Souvent, dans des situations et des environnements hors-institution, la performance touche le public et le provoque. On est impatient de voir comment cet art souple et alerte saura conquérir à l’avenir de nouveaux terrains, précisément dans le domaine de la médiation de l’art et de sa commercialisation.

Les principales adresses de l’art performatif en Suisse : Festival La Bâtie, Genève : www.batie.ch Théâtre de l’Usine, Genève : www.usine.ch Théâtre Arsenic, Lausanne : www.theatre-arsenic.ch Festival Les Urbaines, Lausanne : www.urbaines.ch Festival des Arts Vivants, FAR, Nyon : www.festival-far.ch Festival Belluard Bollwerk International, Fribourg : www.belluard.ch Festival International Performance Art, Giswil : www.performanceart.ch Festival Migma, Lucerne : www.migma.ch Festival Stromereien, Zurich : www.stromereien.ch Theater Spektakel, Zurich : www.theaterspektakel.ch Festival Perform Now !, Winterthur : perform-now.ch Festival Bone, Berne : www.bone-performance.com Progr/Stadtgalerie, Berne : www.stadtgalerie.ch ; www.progr.ch Kaskadenkondensator, Bâle : www.kasko.ch Kaserne Basel, Bâle : www.kaserne-basel.ch 1 Voir : Le « performatif ». Les arts de la performance en Suisse, éd. Sibylle Omlin, Pro Helvetia, Zurich, 2004. Sibylle Omlin (*1965) est historienne de l’art, curatrice et autrice. Elle dirige depuis 2009 l’École Cantonale d’Art du Valais. Traduit de l’allemand par Patricia Zurcher

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Photo: Viktor Kolibàl

voir un véritable « boom » dans cette profusion d’occasions, de protagonistes et de scènes, comme l’affirme Muda Mathis, elle-même performeuse. Pourtant, plusieurs initiatives lancées par des performeurs ont aussi disparu au cours de la dernière décennie (Der längste Tag au Kunsthof Zürich, par exemple), ce qui ne fait que renforcer le caractère toujours éphémère de cette forme artistique. On a pu observer que survivent surtout les festivals ou les institutions qui parviennent à donner à leur contenu une orientation claire et à trouver, du même coup, un financement stable ainsi qu’une attention suffisante. Les festivals qui perdurent sont associés à des structures communales, à des fonds publics ou à des institutions financées par les fonds publics (La Bâtie à Genève ; Theater Spektakel à Zurich ; Festival Belluard à Fribourg). Ces dernières années, on assiste à une stabilisation et à une institutionnalisation de cette expression artistique. Ceci est dû en bonne partie à des projets de recherche impliquant des performeurs et des théoriciennes dans les hautes écoles : on peut citer le projet Perform Space de la Haute École d’Art de Bâle ou le projet Performance Saga d’Andrea Saemann et Katrin Grögel. Aujourd’hui, l’art performatif a également fait son entrée dans les galeries, les expositions d’art et les collections de musées, ce qui lui donne accès au marché. Ainsi, le performeur zurichois San Keller conçoit pour chacune de ses actions un autocollant, un objet ou une reproduction graphique qui sont mis en vente. Cet art qui, du temps de ses pionniers, se servait surtout de la photographie et de la vidéo pour conserver des traces des actions et éventuellement, des images susceptibles d’être exposées dans les galeries et les musées, cherche et trouve à présent de nouvelles formes de médiation et de commercialisation.


Un artiste décolle : dans sa performance Walking on the moon but on earth, Domenico Billari se laisse emporter dans les airs par des ballons remplis d’hélium, dans le marché couvert de Bâle. L’engagement corporel en direct, de même que l’expérience de la « légèreté de l’être » sont des aspects essentiels et récurrents des performances de Billari. www.domenicobillari.com

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H EU r E L o CA L E

saN fraNcisco

New york

paris

rome

VarsoVie

le caire

le cap

New Delhi

shaNghai

La parole aux marionnettes New Delhi

Bangalore, Calcutta et New Delhi : 3 étapes dans la tournée de la marionnettiste Margrit Gysin. Dans les ateliers organisés pour ses collègues indiens, elle a montré comment insuffler de la vie à des objets ordinaires.

par Elizabeth Kuruvilla, New Delhi – Il y a une histoire dans chaque boule d’argile, dit la marionnettiste suisse Margrit Gysin. Elle en prend un peu dans sa main et, la pressant contre le haut de son bras droit, commence : « C’était l’hiver (elle laisse tomber une pluie de petits bouts de pétales de bougainvillée), il neigeait très fort. Il y avait ici un arbre solitaire (elle pique une brindille dans un coin) ainsi qu’une maison (elle forme un bourrelet d’argile) où vivaient une fillette et sa famille. La maison avait une fenêtre (elle fait une ouverture dans l’argile) à travers laquelle on voyait brûler un feu (elle allume une bougie dont

on voit dans l’ouverture le vacillement). Le père et la mère meurent (elle souffle la bougie) et la fillette se retrouve seule. Elle sort de la maison en pleurant (des petits bouts d’argile tombent comme des larmes). Un jour, l’orage se lève et renverse la maison (elle soulève la maison et la jette de côté). Il ne restait que le lit de la fillette. Arrive une oie, qui la chasse de l’endroit où se trouvait la maison. Elle s’en va (remontant le long du bras de la conteuse), se retourne tout en marchant mais ne reviendra jamais sur ses pas… » Silence autour de la table, tandis que Margrit Gysin replie l’argile contre son bras. La quinzaine d’éducateurs et de marionnettistes indiens participant à l’atelier que Pro Helvetia a organisé la dernière semaine de juillet dans ses bureaux de New Delhi sont visiblement émus, mais aucun n’ose poser la question que tous ont sur le bout de la langue : Et le happy end ? L’importance de l’aspect thérapeutique Alors que Margrit Gysin, 62 ans, mime, marionnettiste et jardinière d’enfants, montre dans la chaleur étouffante de l’après-midi comment donner vie à ce que l’on a sous la main – argile, brindille, feuille de papier –, le côté sombre de son conte s’explique peu à peu. Sa fascination pour les contes de fées, que subit aussi l’âme de l’enfant, y est pour beaucoup. « Ils y puisent », raconte-telle, « la force de se confronter à des vérités dérangeantes, pouvoir que n’ont pas les histoires vraies. Un jour où il était question, dans un spectacle, d’un enfant qui vivait seul avec sa mère, une fillette lança de sa petite voix que son père à elle aussi ne venait les voir qu’une fois par an. Ce dont ne s’étaient jamais doutés les enseignants heur e lo cale 28

de la petite fille. » La fonction thérapeutique des marionnettes est aujourd’hui encore l’une des principales motivations de Margrit Gysin, qui s’est lancée dans le métier il y a une quarantaine d’années, après avoir suivi, à Paris, les cours de l’École internationale de théâtre de Jacques Lecoq. Son atelier de marionnettes pour enfants et Mimi et Brumm, spectacle de marion-

Photos : Mridul Batra

La Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia entretient plusieurs permanences dans le monde entier. Celles-ci ont pour tâches de stimuler les échanges culturels et de développer des réseaux culturels.

Les marionnettistes et pédagogues indiens les marionnettes sont de plus en plus souvent


nettes à gant que Margrit Gysin a donné dans trois villes indiennes arrivent à un moment où beaucoup d’écoles et de parents indiens explorent des méthodes d’éducation alternatives, donnant aux enfants l’espace de créativité et de liberté émotionnelle dont ils ont besoin pour découvrir le monde dans lequel ils vivent. rompant avec l’enseignement mécanique sorti des manuels scolaires, des écoles new age découvrent l’aisance avec laquelle les marionnettes permettent d’expliquer des concepts généraux dès l’âge du jardin d’enfants. Les ateliers de Margrit Gysin attirent du coup des enseignants venant d’écoles expérimentales telles que la Heritage School et la Delhi Public School, ainsi que des gens du Ishara Puppet Theatre Trust de Dadi Pudumjee ou du Katkatha Puppet Arts Trust d’Anurupa roy, deux acteurs bien connus du théâtre de marionnettes indien contemporain, qui organisent, eux aussi, des ateliers dans les écoles. « Margrit possède une expérience formidable, dont les jeunes marionnettistes ne peuvent que profiter. C’est

une conteuse innovante, un modèle du genre par sa façon d’interagir avec le public et le psychisme de l’enfant », dit Chandrika Grover ralleigh, directrice de Pro Helvetia Inde, expliquant les raisons pour lesquelles elle invite des enseignants à assister à son atelier.

De Mahabharata à Bollywood Pour les enseignants de Heritage School, le travail de Mar« Les enfants puisent dans les contes la force de se confronter à des vérités dérangeantes. » grit Gysin s’inscrit dans la continuité du processus initié par le marionnettiste indien Varun Narain – premier bénéficiaire, façon dont Margrit Gysin s’y prend pour soit dit en passant, du programme artiste établir à travers la marionnette un lien in residence de Pro Helvetia en Suisse – émotionnel avec les enfants. « Les marionqui, depuis quelques mois, leur apprend à nettes sont pour nous un outil d’enseignefaire des marionnettes un usage éducatif. ment, mais nous avons également une Trupti Khanna, enseignante du 3e degré à sorte d’atelier où nous utilisons un muppet la Heritage School, s’intéresse surtout à la pour faciliter l’interaction avec les enfants. Les réactions sont étonnantes. Les enfants lui racontent des histoires et font comme s’il les comprenait et partageait leurs émotions », dit-elle. Le théâtre de marionnettes indien est riche d’une longue histoire, mais, en Inde, la façon dont Margrit Gysin travaille en Suisse commence tout juste à se développer. « Ses spectacles s’adressent à un public peu nombreux, c’est un théâtre intimiste, qui serait ici un luxe. Le théâtre de marionnettes spécifiquement conçu pour les enfants ou les adultes est un concept occidental, que nos marionnettistes modernes ont assimilé », dit Dadi Pudumjee. Profondément religieux, le théâtre de marionnettes indien traditionnel était effectivement un spectacle tout public – hommes, femmes et enfants – généralement donné à l’occasion de grands rassemblements religieux. Composante importante de la tradition orale indienne, il empruntait ses grands thèmes à des poèmes épiques tels que le Mahabharata et le ramayana ou à des textes sacrés comme les puranas. « Margrit, qui connaît le riche héritage culturel du théâtre de marionnettes populaire, a eu l’occasion de rencontrer ici des marionnettistes contemporains et de voir comment leur travail s’insère dans le paysage artistique actuel », manifestent beaucoup d’intérêt pour les ateliers de Margrit Gysin. Dans les écoles indiennes, utilisées comme auxiliaires didactiques. explique Chandrika Grover ralleigh. h e u r e lo cale 29


Le métier de marionnettiste ne nourrit pas son homme et la génération actuelle pourrait bien lui tourner le dos. En tant qu’art performatif, en revanche, les marionnettes ont la cote. Les montreurs contemporains mettent volontiers le sexe et les fables bollywoodiennes à leur répertoire. «En Inde, pays culturellement plus extroverti que la Suisse, les références sont crues et explicites», dit Varun Narain en soulignant le caractère plus personnel des thèmes qu’il a vu traiter durant son séjour en Suisse, par exemple la relation père-enfant, l’obsession de la perfection, voire le racisme. Prenez par exemple Mimi et Brumm, une souris et un ours qui vivent dans un livre. Brumm, l’ours, manifestement le plus âgé des deux, se montre tantôt protecteur (promettant à la jeune Mimi de veiller sur son sommeil et la rassurant en lui disant que sur chaque enfant veille une étoile) tantôt indifférent (quand il prend son café, il ne fait pas attention à moi, pleurniche Mimi). Le spectacle est amusant, on rit beaucoup dans la salle et les enfants lèvent la main, chacun voulant être le suivant à monter sur scène pour aider Margrit Gysin. Mais, sans que cela ne soit jamais dit explicitement, il y a aussi entre les deux amis de chiffon, ainsi qu’entre eux et le public, des allusions à l’abandon, à la solitude, à la négligence parentale. Dans le courant de la journée, Margrit Gysin avait mis de côté un petit bout de papier sur lequel un enfant avait griffonné: «Les enfants ne veulent pas faire un beau dessin; ils veulent être dans une émotion.» Elle sait que ses marionnettes et les enfants qui les écoutent vont poursuivre tout tranquillement leur conversation.

«Jamais entendu une musique aussi hallucinante» le cap

«Fantastique et résolument avant-garde», s’exclament les hôtes sud-africains à propos des musiciens Andreas Schaerer et Bänz oester. Le festival de Grahamstown a suscité des collaborations inspiratrices. par Chris Kabwato, Grahamstown – Je vis dans un endroit bizarre, qui tient du village victorien plus que de la ville africaine. Grahamstown se trouve entre East London et Port Elizabeth, dans la province sud-af sud-africaine d’Eastern Cape. Comme son nom l’indique, elle date de l’époque coloniale. Elle s’enorgueillit aujourd’hui de posséder l’une des meilleures universités d’Afrique (rhodes University) ainsi qu’une stupéfiante culture littéraire et organise depuis 37 ans le National Arts Festival. Ce festival fait défiler en dix folles journées ce que le théâtre, la danse, la poésie, les arts visuels ainsi que, bien entendu, la musique d’Afrique du Sud et du monde produisent de mieux. Festival dans le festival, d’une grande variété stylistique, le Standard Bank Jazz Festival réunit, sou-

lignent ses organisateurs, «250 des meilleurs jeunes musiciens de jazz de la province ainsi que 35 éducateurs et 80 artistes de jazz d’Afrique du Sud et d’ailleurs ». Le Standard Bank Jazz Festival est depuis 25 ans un espace de création où trouve à s’épanouir la nature très collaborative du jazz. C’est dans cet espace de diversité – concerts, jam sessions, ateliers et intense interaction sociale – que débarquent, par une froide semaine de juillet, le phénomène vocal suisse Andreas Schaerer et son non moins excentrique double-bassiste Bänz oester. Grahamstown était la première étape d’une tournée qui allait les emmener à Johannesburg, Le Cap et Maputo (Mozambique). Le duo suisse était accompagné de Mark Fransman, saxophoniste ténor et pia-

www.prohelvetia.in www.figurentheater-margrit-gysin.ch Elizabeth Kuruvilla (*1976) est rédactrice de la rubrique livres et arts de l’hebdomadaire indien Open (www.openthemagazine.com). Elle vit à New Delhi.

Improvisation et spontanéité nourrissent la musique d’Andreas Schaerer et Bänz Oester.

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Photos : Chris Kabwato

Traduit de l’anglais par Michel Schnarenberger


niste accompli vivant au Cap. La rencontre Schaerer-Fransman avait été ourdie par Pro Helvetia Le Cap, bureau de liaison de la Fondation suisse pour la culture. Schaerer et Fransman s’étaient parlé au téléphone et avaient échangé des courriels. Chacun avait écouté la musique de l’autre. Il n’y avait aucun doute que la mayonnaise allait prendre. Avant de monter sur scène à Grahamstown, les trois hommes n’ont répété qu’une seule fois, dans un esprit d’improvisation. Schaerer, musicien de jazz et improvisateur connu, est un spécialiste, comme il le dit lui-même, de la « composition instantanée ». Il trouve dans les éléments fondamentaux du jazz – improvisation et spontanéité – une flexibilité permettant de produire une musique allant du superstructuré à l’improvisé et d’avoir avec des musiciens tels que Fransman et Kinch des collaborations à haut voltage. oester, l’un des double-bassistes les plus doués de Suisse, avait déjà eu l’occasion de jouer avec des musiciens sud-africains. Pour le premier concert donné à Grahamstown s’était jointe à eux la chanteuse parisienne Deborah Tanguy. Sur une scène baignant dans une lumière violette du plus étrange effet, le quartette entame son premier morceau – 22 minutes de la musique la plus hallucinante que j’aie jamais entendue, Schaerer émettant des grincements de porte mal huilée, puis se lançant avec Tanguy dans une suite de grognements, de mélopées et de vrombissements pour en arriver, au bout de huit bonnes minutes, au jazz standard avec un solo de Fransman. Comme il me l’a expliqué par la suite, ce genre de numéro vocal constitue de sa part une provocation délibérée. « Quand tu provoques, le public réagit, et en le faisant réagir tu changes la nature du spectacle, le public devient acteur. » C’est ce qu’il allait faire tout au long de la semaine. Le premier soir, le beatboxing d’Andreas avait un peu pâli de la comparaison avec Tanguy, mais Schaerer avait retrouvé toute son énergie et repris toute sa place pour le concert du lendemain, avec le saxophoniste et chanteur britannique Soweto Kinch. Au début, fusion parfaite de la voix et du saxophone. Quand Kinch passe en freestyle rap, Schaerer est là qui beatboxe en arrière-plan. Il enchaîne avec une de ses compositions, Knock Code 3, caricature

rythmée et énergique des essais de son (1-2-3-4). Le public lui fait un triomphe. Sur scène, Schaerer est comme un lion en cage. Dans ses veines pulse une énergie qui ne demande qu’à s’évacuer. Il arpente le plateau, s’arrête pour écouter un instrument, rassemble ses ressources vocales, s’imbibe du rythme (et de quantités d’eau),

Dans les ateliers, de jeunes Sud-Africains s’exercent aux percussions vocales.

puis se lâche. Le spectacle terminé, il dit que le public et ses musiciens lui ont communiqué une énergie incroyable, après quoi il ne reste qu’à sortir à l’air libre et à contempler les étoiles. « Une collaboration comme celle-là est pour un musicien une mine d’idées et d’énergies nouvelles. Elle a été pour tous les deux une expérience inspiratrice. Il est très intéressant d’observer les différences d’approche que les musiciens ont de la musique et de l’improvisation. La scène jazzistique sud-africaine semble être très amicale, avec des musiciens qui s’encouragent beaucoup les uns les autres.» De l’atelier à la composition – sans feuilles de partition Les professeurs que sont Schaerer et oester ont en outre donné deux ateliers, l’un de composition vocale, l’autre de composition instrumentale. À la vingtaine de jeunes d’horizons musicaux très divers qui participèrent au premier Schaerer fit prendre place en fer à cheval et les groupa ensuite selon leur type de voix – ténor, basse, soprano. Sans qu’ait été prononcée une seule parole intelligible, les jeunes, ravis de l’aubaine, se trouvèrent embarqués dans un tourbillon de beatbox humaine et de percussions vocales d’une trentaine de minutes. Schaerer se prêta ensuite à une séance de questions-réponses au cours de laquelle ils voulurent savoir d’où lui venait h e u r e lo cale 31

sa prodigieuse vitalité, comment il faisait pour reposer sa voix, comment il s’entraînait, pourquoi il avait choisi cet incroyable numéro de prouesse vocale, s’il pensait que le beatboxing serait un jour une discipline musicale reconnue et si sa gestuelle de scène était étudiée ou spontanée. Du second atelier, un professeur de musique de l’Université de Witwatersrand dit à la fin que c’était « ainsi que l’on devrait enseigner la musique ». Sans jamais s’adresser formellement à la vingtaine de jeunes participants armés d’instruments de musique divers et variés (clarinettes, trompettes, saxophones et baguettes de tambour), Schaerer et oester commencent à jouer quelques mesures, puis Schaerer se dirige vers un musicien, imite un son avec la bouche, le musicien se met à jouer et Schaerer le fait gentiment monter sur scène. Trois quarts d’heure plus tard, le tour était joué, un morceau était né sans qu’aucune note n’ait été écrite. Schaerer et oester se sont fait à Grahamstown quantité de fans. « Fantastique, complètement différent et résolument avant-garde » ont dit le professeur de musique Cameron Andrews et Thembinkosi Mavimbela, un étudiant qui a participé à l’atelier. Même son de cloche de la part de Bokani Dyer, musicien local lauréat du prix Standard Bank du jeune artiste de l’année : « Andreas Schaerer est parmi les musiciens avec lesquels j’aimerais travailler – un talent incroyable », a-t-il déclaré au micro d’une radio. Fransman m’a dit par la suite que la rencontre avec Schaerer et oester aboutirait sans doute, la tournée terminée, à l’enregistrement d’un disque commun. Schaerer n’a pas été moins élogieux pour les musiciens sud-africains : « Ce serait formidable de former un orchestre mi-suisse mi-sud-africain, qui composerait de la musique et ferait une tournée européenne. Ce serait immensément enrichissant pour les uns et les autres sur le plan musique et exploration. » www.schaerer-oester.com www.prohelvetia.org.za Chris Kabwato est journaliste et photographe. Il a créé le Zimbabwe in Pictures Trust et a une rubrique hebdomadaire à NewsDay, un quotidien du Zimbabwe. Il est le coordinateur de Highway Africa, première conférence de journalisme d’Afrique. www.highwayafrica.com Traduit de l’anglais par Michel Schnarenberger


Rusticité helvétique et douceur asiatique Pour les accordéonistes du groupe Siidhang, la musique populaire fait partie du quotidien comme la fourche à fumier et la Subaru devant la fermette. À la Fête des cultures populaires d’Obwald, leur « ländlermusique d’avenir » a pour la première fois partagé la scène avec des musiciennes populaires académiques du Vietnam. Rencontre douce-amère dans la clairière de Giswil. par Christian Hubschmid (texte) et Niklaus Spoerri (photos)

Le silence règne jusque dans les derniers rangs lorsque Thu Thuy (au premier plan, à gauche) entame l’intro rêveuse de Eliah, le morceau de Dani Wallimann (troisième en partant de droite).

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R EP OR TAGE Thu Thuy se cramponne. Le téléphérique Stäfeli-Usser Äbnet plonge dans la vallée. À gauche et à droite, des cascades se précipitent sur les rochers ; par la fenêtre, le regard monte vers les glaciers. La cabine oscille dans le vide. Surtout ne pas regarder en bas. Thu Thuy laisse échapper un léger cri. Mi-apeurée, mi-ravie, elle lance : « Switzerland, I am ready ! » Thu Thuy est prête pour l’aventure helvétique. Ce soir a lieu la première répétition à Giswil (Obwald). Trois musiciennes vietnamiennes rencontrent le groupe autochtone de ländler Siidhang. Elles ont fait le voyage de la Suisse centrale pour la Fête des cultures populaires d’Obwald, un festival qui rassemble les musiques populaires de différentes régions du monde et de divers cantons suisses, avec pour objectif de découvrir la musique populaire authentique, vécue, loin du folklore et des clichés patriotiques. À la recherche de l’essence commune des cultures populaires du monde entier. Paysage de carte postale avec figures étrangères Alp Usser Äbnet, 1673 m d’altitude. Thu Thuy et ses amies passent l’après-midi sous un ciel bleu de carte postale en savourant fromage, lard et jambon. Elles avalent le fromage avec la croûte, tant elles sont enthousiasmées par ce produit laitier peu courant au Vietnam. Elles photographient tout : les fleurs alpines, le Pinzgauer devant la cabane, le panorama. Sous le jaune des parasols Eichhof, Thu Thuy et les autres Vietnamiennes entonnent une douce chanson. Aux autres tables, les randonneurs écoutent fascinés les souples harmonies de cette musique séculaire. Le décor de carte postale prend soudain des traits étrangers. Et se détache avec encore plus de netteté. Dans sa sixième édition, la Fête des cultures populaires d’Obwald mélange pour la première fois les cultures sur la scène. Normalement les groupes, qui vivent à des milliers de kilomètres de distance, se succèdent. Par exemple d’abord un orchestre du pays hôte, cette année le Vietnam. Puis un chœur ou un orchestre de la région suisse invitée, cette année

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« Les rudes ländler de Siidhang acquièrent sous le jeu sensible des Vietnamiennes une profondeur et une émotion qu’ils n’avaient pas auparavant. Surtout ne pas trop répéter maintenant. Sinon la magie de la spontanéité se perdra. Alors on continue la soirée au bistrot à Giswil. » donc le Toggenbourg. Mais maintenant le simple énoncé du programme a déjà un son étrange : Siidhang mit Thu Thuy, Thuy Anh & Le Giang. Le groupe de ländler Siidhang ne peut répéter que le soir. Dani Wallimann, le clarinettiste, travaille dans le bâtiment. Les joueurs de schwyzerörgeli Michi Wallimann et Hugo Barmettler sont paysans. Pour eux, la musique populaire fait partie du quotidien comme la fourche à fumier et la Subaru devant le heimetli. À six heures, Michi doit encore aller nourrir les cochons. Au milieu des couinements assourdissants des joyeux porcins, il adore jodler. Il lui vient alors des mélodies dont on entend qu’elles sont nées du quotidien. Une musique sans apprêt, qui est plus insolite et plus raffinée que le pain-fromage traditionnel. Martin Hess, le directeur du festival, l’appelle « ländlermusique d’avenir ». Plus personne en Suisse ne mange de cœur ni de langue de porc À 63 ans, le natif d’Engelberg a fait plusieurs fois le voyage de Hanoï au cours des derniers mois. Il apportait aux musiciennes et musiciens vietnamiens des partitions et des DVD de Siidhang. La musique populaire suisse, sautillante et dansante, se distingue fortement de la vietnamienne, qui est douce et a toujours une nuance narrative. Les musiciennes de Hanoï n’ont encore jamais entendu de musique populaire suisse, mais ce n’est pas un problème pour elles. Elles

jouent les polkas et les valses sur partition et les parent de leurs propres arrangements. Martin Hess était déjà enthousiaste à Hanoï quand il a assisté aux répétitions. Maintenant il revient juste de chez le boucher de Giswil, avec qui il a discuté le programme culinaire de la troupe vietnamienne, forte de onze membres. La langue de porc et le cœur, il a fallu les commander. Plus personne n’en mange en Suisse, on les a pour une bouchée de pain. Mais ils sont indispensables pour concocter une authentique soupe pho. Les Vietnamiennes, qui passent une semaine à Giswil pour « le plus étrange festival de Suisse », selon les mots de la presse helvétique, font elles-mêmes leurs repas dans les cuisines de l’hôtel.

Thu Thuy et ses collègues musiciennes viennent d’un pays qui a aiguisé sa culture millénaire aux influences de la France et des autres puissances impérialistes. Le Vietnam a certes un gouvernement communiste, mais il s’est lancé comme la Chine dans l’économie de marché. La croissance du produit social brut est fulgurante. Dans la capitale Hanoï, les gens fendent la foule sur leurs fringants scooters, le mobile à l’oreille. Les temps sont durs pour la musique populaire traditionnelle. Thu Thuy et ses amies ont rarement l’occasion de jouer en public, car le peuple préfère les tubes et la pop music vietnamienne moderne. La musique populaire est au Vietnam quelque chose de très universitaire. Thu Thuy enseigne à l’Académie de musique de Hanoï et le gouvernement vietnamien l’envoie souvent à l’étranger pour représenter la tradition. Elle a suivi une formation de huit ans, maîtrise plusieurs instruments et est une virtuose accomplie. En Suisse c’est l’inverse : la musique populaire n’est guère encouragée au niveau universitaire, mais elle vit dans les nombreuses fêtes de jodel et stubete. À Giswil, les Vietnamiennes jouent avec des hommes qui savent à peine déchiffrer une partition.

La musique des Suisses est sautillante et dansante, celle des Vietnamiennes douce et narrative.

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Avant le concert, une excursion dans le paysage de carte postale de l’alpe Usser Äbnet.

Les professionnelles rencontrent des amateurs, l’art et la culture du Vietnam se frottent à la rude roche primitive helvétique. Approfondir la tradition au contact des cultures étrangères La première répétition de ce lundi soir est aussi la dernière. Les solides gaillards de Siidhang arrivent avec un léger retard à la clairière où a lieu le festival. Les saluts échangés entre les ours suisses et les ravissantes Vietnamiennes sont brefs. Les uns et les autres ne parlent que des rudiments d’anglais. Michi Wallimann remarque : « Moi qui croyais que chez eux tout était en bois, mais il y a de l’électronique dans cet instrument ! » Le dan bau est l’instrument vietnamien le plus typique. C’est une cithare à une corde, dont le corps de résonance est en bambou ou en bois. Pour le concert, il faut l’amplifier. Les Vietnamiennes s’agenouillent sur le sol. Les Suisses, jambes écartées, se calent sur leurs chaises. Thuy Anh démarre simplement. Son violon à deux cordes a une sonorité humaine, comme une voix de femme. Magnifique, mais avec schwyzerörgeli, dan bau et contrebasse, le morceau de Dani Wallimann, qu’elle joue sur partition, sonne trop massif, il y en a trop d’un coup. Les femmes commencent à papoter. Dani Wallimann se tient à sa clarinette et fait : « On se retient d’abord un peu ».

Actuellement, un débat resurgit en Suisse à propos de la nature véritable de la culture populaire. Pour les uns, il n’y a plus de tradition, seulement du folklore. La nostalgie d’un monde intact et un kitsch patriotique dépourvu de sens, sans rapport avec la réalité d’aujourd’hui. Martin Hess n’est pas d’accord. Dans la préface du programme du festival, il écrit : « Pour la Fête des cultures populaires d’Obwald, la tradition est quelque chose de vivant que nous voulons transmettre au futur. Au contact des autres régions du pays et des cultures étrangères, la tradition va ici s’approfondir, s’affiner et se développer. » À Giswil, on voit vite qui porte la culotte. Ce sont les Vietnamiennes. Avec une douce détermination, Thu Thuy commence à arranger le morceau. C’est le hackbrett vietnamien qui commencera, puis le violon et le schwyzerörgeli, la contrebasse et le dan pau se joindront à lui à tour de rôle. Le plan fonctionne. La tension monte. Le ländler lent et lourd commence à danser, les instruments étrangers s’enroulent autour des méandres de la mélodie locale. On ne parle presque plus. La musique flirte. Une heure plus tard, la montagne s’est teintée de rose en arrière-fond. La clairière plonge dans l’obscurité. Sur la scène, la troupe multicolore joue avec une aisance évidente, comme si elle n’avait jamais rien fait d’autre. Les rudes ländler de Siidhang acquièrent sous le jeu sensible des VietnaR e po Rtag e 35

miennes une profondeur et une émotion qu’ils n’avaient pas auparavant. Surtout ne pas trop répéter maintenant. Sinon la magie de la spontanéité se perdra. Alors on continue la soirée au bistrot à Giswil. À la stammtisch, le temps passe vite. Les hommes prennent congé des Vietnamiennes avec une youtse dans la nuit. Quand le festival commence, plus rien ne peut aller de travers. L’ambassadeur du Vietnam est là, il a emmené avec lui ses collègues indonésien et thaïlandais. Le canton d’Obwald, qui subventionne le festival, a lui aussi envoyé un délégué. Josef Gnos, président de la commission culturelle cantonale, se déclare fan du festival. À l’automne 2011, le canton décidera s’il prolonge le crédit de trois ans accordé à la Fête des cultures populaires, également soutenue par Pro Helvetia. Il est convaincu que le crédit passera. Siidhang mit Thu Thuy, Thuy Anh & Le Giang est un triomphe. Aux tables sont installés surtout des gens de la région, mais aussi des citadins intéressés par la culture. Ils tapent des pieds sur le plancher, réclament un bis. Il n’y en a pas, les musiciens n’ont répété que trois morceaux. Alors Thu Thuy entame pour la deuxième fois l’intro rêveuse du morceau de Dani Wallimann Eliah. Elle porte une longue robe jaune, sa parure de tête lui fait comme une auréole. Le silence règne jusqu’au dernier rang. www.obwald.ch Christian Hubschmid (*1965) est rédacteur culturel à l’hebdomadaire SonntagsZeitung. Il y parle de musique populaire, du jodel naturel à Lady Gaga, et aussi de théâtre, de café-théâtre et de show business. Il habite avec sa femme et ses deux enfants à Zurich. Niklaus Spoerri (*1965), photographe, vit à Zurich et gagne sa vie depuis son diplôme de photographe à la Kunstgewerbeschule de Zurich (aujourd’hui ZHdK) en réalisant des documentaires, des portraits et des reportages. En septembre, son recueil de portraits de sosies professionnels who is who? est paru aux éditions Verlag für moderne Kunst de Nuremberg. www.niklausspoerri.ch Traduit de l’allemand par Christian Viredaz


AC t UA L I t É S PrO H ELv E t I A

Des jeux vidéo récompensés

Krautscape – un jeu de course multijoueur, à la rapidité fulgurante, pour Mac et PC

Pro Helvetia tire un bilan provisoire positif de son programme GameCulture: en septembre, un jury international a récompensé sept développeurs suisses de jeux vidéo et leur a attribué une bourse d’œuvre de 50 000 francs maximum qui leur permettra de continuer à développer les jeux jusqu’au stade de prototypes. Les jeux ont un énorme potentiel, dit Guillaume Juppin de Fondaumière, président du jury et Co-CEO du studio français de jeux Quantic Dream: «À plus ou moins longue échéance, ils perceront tous sur le marché.» Ce sont des jeux pour ordinateurs, iPhones, iPods ou iPads, qui expérimentent avec le média: il peut s’agir de paysages peints à la main et parcourables ou de jeux de course à plusieurs joueurs où le parcours ne se découvre qu’au cours du jeu. Il est réjouissant que le premier call for projects ait eu une telle résonnance. En 2012, la Fondation pour la culture projette de lancer un nouvel appel à pro-

jets: elle décidera ensuite de la politique d’encouragement qu’elle suivra à l’avenir dans ce domaine. Le programme GameCulture a démarré en 2010 et devrait durer deux ans: il a pour but d’encourager la créativité et un design exigeant. v voici la liste des lauréats : • Daina : The Herbarium de Dario Hardmeier et raffaele de Lauretis • Feist de Florian Faller et Adrian Stutz • Jump N Roll de Games2Be (Gerhard Oester) • Krautscape de Mario von rickenbach et Michael Burgdorfer • Macrocosm de Klaas Kaat • MokMok de t twobeats (Samim Winiger, Marc Lauper) • POP de Bitforge (reto Senn, Andreas Hüppi) www.gameculture.ch

Un nouveau Conseil de fondation pour Pro Helvetia En 2012, Pro Helvetia se verra dotée d’une nouvelle structure qui dissociera le stratégique de l’opérationnel. Ce changement est voulu par la nouvelle Loi sur l’encouragement de la culture, adoptée en 2009 par le Parlement. Dans sa forme réduite, le Conseil de fondation ne se préoccupera que de la direction stratégique de la fondation. Composé de neuf personnalités de la vie culturelle, provenant de toutes les régions linguistiques de Suisse, il travaillera sous la présidence de Mario Annoni pendant encore deux ans. Pour les quatre années à venir, le Conseil fédéral a nommé au Conseil de fondation: Marco Franciolli, directeur du Museo Cantonale d’Arte Lugano; Guillaume Juppin de Fondaumière, Co-CEO de Quantic Dream; Claudia Knapp, curatrice de projets artistiques et journaliste indépendante; Johannes Schmid-Kunz, gestionnaire de la culture et directeur de la Fédération nationale des costumes suisses; Nicole Seiler, danseuse et chorégraphe; Peter Siegenthaler, expert financier et président du Groupe des banques cantonales; Anne-Catherine Sutermeister (sortante), Haute École de théâtre La Manufacture; Felix Uhlmann (sortant), professeur de droit public et administratif à l’Université de Zurich. Sur le plan opérationnel, une commission de 13 spécialistes secondera le secrétariat dans l’évaluation des requêtes et des projets propres de la Fondation. Cette commission à la composition interdisciplinaire émettra ses recommandations pour tous les projets dépassant 50000 francs. Il sera possible de faire appel à d’autres experts selon les besoins. www.prohelvetia.ch

ACTU ALITÉS pr o h e Lv eT IA 36


Un emplacement de rêve pour l’art de Suisse

Au Swiss Institute de New York : la Schnapsparade de Frédéric Schnyder

Le Swiss Institute vient d’ouvrir ses nouveaux locaux, dans une rue très fréquentée en plein cœur de Big Apple, à SoHo. L’art suisse aura ainsi à sa disposition, pour se faire entendre sur la riche scène culturelle new-yorkaise, de généreux espaces situés au rez-de-chaussée. Le SINY y présentera à un public exigeant ce que la Suisse fait de mieux en matière d’art contemporain. Par exemple : l’autodidacte Jean-Frédéric Schnyder (*1945).

Photo du bas : Davide Legittimo

Les futures biennales gérées par Pro Helvetia À l’heure actuelle, le pavillon suisse de venise a été débarrassé des derniers rubans adhésifs. Accaparant intégralement l’espace de son installation, thomas Hirschhorn a représenté la Suisse à la Biennale cette année. À partir de 2012, c’est Pro Helvetia qui se chargera de nommer les artistes qui représenteront la Suisse à la Biennale. La nouvelle loi sur l’encouragement de la culture lui confie la responsabilité d’organiser les contributions suisses aux biennales d’art et d’architecture de venise ainsi qu’à la biennale d’art du Caire – autant de tâches qui jusqu’à présent étaient remplies par l’Office fédéral de la culture (OFC). Ainsi la traditionnelle mission de Pro Helvetia – faire connaître la culture de Suisse à l’étranger – se trouve augmentée d’un mandat important. En 2012, conformément au système de rotation, la biennale de venise sera consacrée à l’architecture et elle aura lieu d’août à décembre. Pour faire honneur à la notoriété internationale de la

C’est du reste la première exposition de Schnyder aux États-Unis. Or Gianni Jetzer, le directeur du SINY, trouve injuste cette absence de reconnaissance internationale envers ce Bâlois qui vit à Zoug depuis 1966. L’exposition de New York durera jusqu’au 19 février et se compose de 35 paysages, Landschaft I-XXXV (1991) : elle offre un point de vue singulier sur la Suisse, tout à la fois plaisant et inquiétant. On pourra également voir Schnapsparade, la dernière vidéo de l’artiste : une douzaine de bouteilles de schnaps défile sur des carrioles de bois sculptées à la main par Schnyder, au son d’une musique militaire qui fait basculer le tout dans l’absurde. www.swissinstitute.net Nouvelle adresse du SINY : 18 Wooster Street, New York, NY 10013

manifestation, le jury d’experts a nommé une personnalité de renom : architecte et théoricien, Miroslav rik gère son propre bureau à Zurich et enseigne à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, et il brisera une lance en faveur de l’architecture contemporaine de Suisse dans la ville lagunaire. En le sélectionnant, le jury affiche sa volonté d’engager la discussion sur les théories de l’architecture contemporaine. Le jury responsable de la nomination des artistes et des architectes pour les trois biennales se compose de sept membres spécialistes des deux disciplines. A Pro Helvetia, le projet sera suivi par l’historien de l’art Sandie Pauci et la gestionnaire de la culture rachel Guiducci Legittimo. www.prohelvetia.ch

Vue de l’installation de Thomas Hirschhorn Crystal of Resistance dans le pavillon suisse.

ACT U ALIT ÉS pr o h e Lv e T IA 37


Le commerce et la culture ont les mêmes droits La continuité est un bien rare dans l’en­ couragement de la culture. Il est donc d’autant plus remarquable qu’une entre­ prise du secteur privé, confrontée de sur­ croît à un marché où la concurrence fait rage, se donne les moyens d’honorer le but qu’elle s’est fixé. Depuis 54 ans, le géant orange investit un pour cent de son chiffre d’affaires dans la création de valeurs cul­ turelles et sociales. L’objectif poursuivi est loin de se limiter au seul marketing. Les statuts de la coopérative considèrent le Pour­cent culturel Migros comme un ob­ jectif d’entreprise, au même titre que le commerce de détail. À l’heure actuelle, le Pour­cent cultu­ rel Migros dispose d’un budget de quelque 115 millions de francs. Seul un tiers de cette somme est alloué à des projets cultu­ rels au sens strict du terme. En effet, l’en­ gagement de la Migros se veut plus large, et elle soutient également l’accès à la for­ mation et aux loisirs. Cette tâche revient aux dix coopératives régionales, comme Migros Aare ou Migros Suisse orientale, qui agissent de manière autonome et ini­ tient des projets régionaux tels que les écoles club, les projets d’intégration, mais aussi l’exploitation des aires de détente bap­ tisées «Parcs Prés Verts».

PA r T E N A I r E

Le Pour­cent culturel Migros Le Pour­cent culturel Migros encourage la formation, les loisirs, le dialogue et la culture contemporaine. À coup de montants considérables ou de simples coups de pouce.

Plus audacieux, plus rapide, plus conséquent La Fédération des coopératives Migros, dont le siège est à Zurich, assume de nom­ breuses tâches au niveau national. Y est notamment rattaché l’Institut Gottlieb Duttweiler, qui propose des échanges scientifiquement fondés sur des thèmes so­ ciaux et économiques. Le siège zurichois abrite également la Direction des Affaires culturelles et sociales, dont l’activité maî­ tresse ne se confine pas au seul encourage­ ment de la culture. Peuvent espérer un

soutien financier les artistes des beaux­ arts, de la bande dessinée, du théâtre pour enfants et la jeunesse, ainsi que du cinéma, pour n’en nommer que quelques­uns, mais aussi les organisateurs de projets liés à la santé. Des disciplines on ne peut plus di­ verses. Et pourtant, quelles que soient les requêtes qu’elle évalue, Hedy Graber privi­ légie trois aspects majeurs : « pertinence, actualité et innovation ». L’examen des demandes ne représente qu’un volet de l’activité du Pour­cent cultu­ rel Migros. Le géant orange intervient lui­ même en tant que créateur dans le paysage culturel suisse là où cela s’avère nécessaire. Le festival Steps en est un exemple, qui offre tous les deux ans au printemps et dans toute la Suisse une scène sur laquelle la danse contemporaine se produit. Ou en­ core la manifestation m4music se dérou­ lant sur trois jours et qui a tôt fait de s’im­ poser comme forum et laboratoire de la musique pop suisse. Ces exemples illustrent la force de l’en­ couragement de la culture mis en œuvre par Migros : cet encouragement est plus indépendant que celui des institutions pu­ bliques. Donc plus audacieux, plus rapide, plus conséquent. Dans les années 1990, Migros s’aventurait en terre inconnue en soutenant des productions de musique pop. Dans l’intervalle, les subventions pour les enregistrements CD sont connues dans la plupart des communes. Le Pour­cent culturel Migros con­ centre désormais son soutien sur l’aide aux groupes confrontés à de moindres res­ sources : quiconque a besoin d’une caméra pour tourner un clip vidéo, d’une photo­ copieuse pour imprimer des flyers ou d’un bus pour se rendre au concert, peut s’adres­ ser à l’un des quatre bureaux culturels cofinancés par Migros et situés à Bâle, Berne, Genève et Zurich. Ce qu’il en penserait ? Sans doute que bien des grandes histoires ont commencé par un simple coup de pouce.

PARTENAIRE: lE PouR - cE NT cu lT u R E l M I g R o s 38

www.pour­cent­culturel­migros.ch Christoph Lenz (*1983) est rédacteur pour la culture au quotidien bernois Der Bund. Traduit de l’allemand par Anne Peiry­Schmidt

Illustration : raffinerie

par Christoph Lenz – Non, le portrait du patriarche n’orne pas les murs de son bu­ reau. À quoi bon d’ailleurs, puisque sa pré­ sence ne cesse de rayonner ? Une fois le dic­ taphone en marche, Hedy Graber, cheffe de la Direction des Affaires culturelles et so­ ciales de la Fédération des coopératives Mi­ gros, avoue qu’à sa table de conférence, la discussion finit toujours par revenir à lui. Lui, c’est bien entendu Gottlieb Dutt­ weiler, fondateur de Migros, politicien, citoyen. Et c’est à lui, Dutti, que nous de­ vons l’idée du Pour­cent culturel Migros : en 1950, le patron a donné comme mot d’ordre à son entreprise, « vu sa puissance matérielle croissante, de fournir des pres­ tations sociales et culturelles d’autant plus importantes ». En 1957, le Pour­cent cultu­ rel Migros est ancré dans les statuts de la coopérative. Depuis, il s’est établi en tant qu’institution fondamentale de la vie cultu­ relle suisse.


CA rTE BL A NCHE

Peut­on apprendre à écrire ? par Michel Layaz – A écrire quoi ? De la lit­ térature, évidemment. Parce qu’apprendre à écrire dans sa langue, ceci l’école se doit de nous l’enseigner. Mais écrire de la litté­ rature à partir de sa langue (souvenons­ nous de Karl Kraus qui affirmait : je n’écris pas en allemand mais à partir de l’alle­ mand), l’affaire se complique. Pourquoi ? Parce que cela nécessite de définir ce que l’on peut considérer comme de la littéra­ ture aujourd’hui. Et là­dessus – à une époque où chacun pense fondé ce qu’il pense pour la simple raison que c’est lui qui le pense –, le débat serait long, contra­ dictoire et mouvementé. Peut­on apprendre à écrire de la litté­ rature ? Mais à qui ? Ne sont concernés que des gens habités par l’écriture, des gens prêts à s’engager dans ce qui les passionne. Et que les autres passent leur chemin. Ceci clarifié, tentons de répondre à la question posée. On connaît les arguments, plus ou moins rabâchés des uns et des autres, tous défenseurs d’une idéologie, voire d’une philosophie. À ma droite, l’« école française » où prédomine l’idée du génie inspiré, de l’écrivain médium qui toutefois, dès qu’on lui pose une question sur son art, se sent paradoxalement obligé de déplier toute l’histoire littéraire, des origines jusqu’à aujourd’hui. Imaginer qu’écrire puisse un tantinet s’enseigner, ce serait retirer à l’écrivain sa gloire, sa su­ perbe et son génie. À ma gauche, l’« école américaine », décomplexée, ouverte aux expérimentations les plus diverses, mais qui ne craint pas non plus de prôner des canevas efficaces, performants et con­ venus pour structurer un récit. Foi dans l’apprentissage et dans le progrès. Pour­ quoi les écrivains seraient­ils différents des plasticiens, des musiciens ou des comé­ diens qui depuis longtemps perfectionnent leur art dans des écoles ? Si certains jours je me sens très amé­ ricain, d’autres jours je me sens presque

français. En revanche, ce dont je suis sûr c’est qu’il existe de jeunes et belles per­ sonnes qui ont choisi de mettre l’écriture au centre de leur vie et qui ont en elles des potentialités magnifiques. Qu’un insti­ tut littéraire leur tende la main est une chance, pas de doutes. En un tel lieu (outre les ateliers d’écriture qui imposent des contraintes qui éveillent), elles pourront non seulement mener en priorité les tra­ vaux qui leur tiennent à cœur, mais aussi profiter des remarques et des questions des autres membres de l’école et surtout des commentaires d’écrivains, c’est­à­dire de gens qui tirent une légitimité de leur propre pratique d’écriture. Ces derniers rappelleront, par exemple, combien il im­ porte de se montrer intransigeant envers soi­même quant à la qualité d’un texte produit. Pour cela, il faut être capable de laisser son amour­propre de côté pour développer une réflexivité salutaire. En se confrontant à une critique suivie, cons­ tructive, et qui a pour but de signaler des écueils, des dysfonctionnements, mais aussi de mettre en avant ce qui est parti­ culièrement réussi, l’étudiant verra mieux comment un texte est plastique, mouvant, perfectible. Il ne s’agit nullement, on l’aura compris, de subir une autorité, mais de profiter de rencontres privilégiées où tout cAR T E b lANch E 39

peut se dire et où l’on n’a de compte à rendre qu’à la littérature. L’écrivain qui suit avec respect le travail que mène un étudiant peut l’inciter à découvrir toutes sortes d’incohérences qui minent plus ou moins le texte en train de se former, il peut lui faire prendre con­ science de certaines voies marécageuses dont il s’agit de s’écarter au plus vite sous peine d’enlisement, il peut encore lui rap­ peler de ne jamais oublier que, comme le dit Erri de Luca, « l’écriture est une île, non pas la mer infinie ». Si tout cela compte beaucoup, son rôle premier demeure toutefois de servir de sti­ mulant. Est stimulant tout ce qui invite à être soi­même. Michel Layaz est écrivain. Il publie ses livres chez Zoé et chez Points­Seuil. Il enseigne à l’Institut littéraire suisse de Bienne. Deux sœurs, son ouvrage le plus récent, est sorti en février 2011. Illustration : rahel Nicole Eisenring


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GA LERIE

Sandrine Pelletier Catwalk, 2005 Installation in situ, composée de 60 chats (nylon, textile, verre, acrylique, pâte à modeler, moquette), dimensions variables Sandrine Pelletier recourt à de nombreux médias dans son travail : la sculpture, le textile, le dessin, les installations, la performance et la musique. Elle emprunte aux modes d’élaboration et de production de l’art populaire et de l’artisanat, dans leurs diverses acceptions. Son travail se distingue par certains éléments comme l’illusionnisme et le trompe-l’œil et ses installations témoignent de ses interrogations sur les thèmes de la métamorphose, des rituels et des légendes. Catwalk est l’une des premières installations d’envergure de Sandrine Pelletier : il s’agit d’une commande de la marque japonaise Tsumori Chisato. Composée d’un « escadron » de chats fabriqués à partir des tissus du label de mode japonais et d’autres matériaux, pleine d’humour et légèrement onirique, l’œuvre flotte dans l’espace. Sandrine Pelletier (*1976) vit et travaille à Genève. Elle est diplômée de l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL) et enseigne, depuis 2010, à la Haute école d’art et de design de Genève (HEAD).

La rubrique « Galerie » met en lumière l’œuvre d’un ou d’une artiste suisse.


Un bon point pour Passages

En juin de cette année, la rédaction de Passages a effectué une enquête auprès des lectrices et des lecteurs du maga­ zine. T Trois ans après le lancement de la nouvelle formule, elle souhaitait connaître les réactions de son lectorat. C’est un plaisir de voir que les retours sont positifs. Une majorité des lecteurs est satisfaite de la qualité journalistique de Passages : 80% apprécient le choix des thèmes et 74% trouvent que les articles stimulent souvent ou presque toujours la réflexion. 80% des lecteurs sont souvent ou presque toujours en­ chantés de la présentation graphique. Plus de 80% trouvent que Passages leur fait connaître les tâches et les réa­ lisations de Pro Helvetia. Plus de 80% des lectrices et lecteurs regrette­ raient que le magazine cesse de paraître. La durée moyenne de lecture approche les 40 minutes.

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594 personnes ont pris part à l’enquête. Parmi elles, les artistes et acteurs culturels forment le groupe le plus im­ portant (30%), le deuxième groupe comprenant les amateurs de culture (26%). Le reste inclut des organisateurs, des institutions, des journalistes, des politiciens et autres. Hommes et femmes sont représentés à part égale et – c’est peut­être le résultat le plus surprenant – les lecteurs se partagent de manière à peu près homogène entre les divers groupes d’âge, de 25 à 64 ans. Cette enquête encourage la rédaction de Passages à poursuivre dans la voie choisie. L’heureux gagnant de la photo de T L’heureux Tom om Huber est le lecteur de Passages Peter Niklaus, à Olten. Nous le félicitons de ce prix!

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Papier, blog, tweet et tag Les avatars du journalisme culturel Le globe-trotter et son carnet d’esquisses : Cosey en Inde | Le design suisse de jeux vidéo à San Francisco | CoNCA : un vent de renouveau souffle sur la culture catalane L E M A G A Z I N E C U LT U R E L D E P R O H E LV E T I A , N O 5 6 , 2 / 2 0 1 1

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Dans chaque numéro du magazine culturel Passages, vous lisez: 1.2% 31.3%

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• presque tous les articles • plutôt plus de la moitié • plutôt moins de la moitié • seulement quelques articles • aucun

Vous pourrez ainsi vous informer sur l’art et la culture de Suisse, sur l’actualité et les projets de Pro Helvetia et sur les échanges culturels entre la Suisse et le reste du monde. Passages paraît trois fois par an, en allemand, en français et en anglais et compte des lectrices et des lecteurs dans plus de 60 pays.

En envoyant vos coordonnées à passages@prohelvetia.ch ou en vous rendant sur notre site Internet www.prohelvetia.ch › publications, vous pourrez souscrire un abonnement gratuit.


IMPRESSUM

PA S S AG E S E N L IG N E Passages le magazine culturel de Pro Helvetia en ligne : www.prohelvetia.ch/passages

Editrice Pro Helvetia Fondation suisse pour la culture www.prohelvetia.ch

Actualités Pro Helvetia Projets actuels, concours et programmes de la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia : www.prohelvetia.ch

Rédaction Rédaction en chef et rédaction de la version allemande : Janine Messerli Assistance: Martha Monstein, Sandra Suter et Juliette Wyler

Permanences Pro Helvetia Paris/France www.ccsparis.com

Rédaction et coordination de la version française : Marielle Larré

Rome, Milan, Venise/Italie www.istitutosvizzero.it

Rédaction et coordination de la version anglaise : Rafaël Newman, Marcy Goldberg

Varsovie/Pologne www.prohelvetia.pl Le Caire/Egypte www.prohelvetia.org.eg

Adresse de la rédaction Pro Helvetia Fondation suisse pour la culture Rédaction de Passages Hirschengraben 22 CH–8024 Zurich T +41 44 267 71 71 F +41 44 267 71 06 passages@prohelvetia.ch

Le Cap/Afrique du Sud www.prohelvetia.org.za New Delhi/Inde www.prohelvetia.in New York/Etats­Unis www.swissinstitute.net

Conception graphique Raffinerie AG für Gestaltung, Zurich

San Francisco/Etats­Unis www.swissnexsanfrancisco.org

Impression Druckerei Odermatt AG, Dallenwil

À SUIV RE

L’Égypte en pleine mutation Quels sont les effets de la révolution sur la culture en Égypte ? Et quelle influence les artistes peuvent­ils exercer en retour sur la marche de la politique ? L’art a­t­il le pouvoir de contribuer aux mutations sociales ? Dans le prochain numéro de Passages, nous nous rendrons en Égypte. Nous demanderons à des artistes égyp­ tiens de nous dire comment ils com­ prennent leur rôle dans la situation so­ ciale actuelle, nous parlerons de l’élan de créativité imprimé par la révolution à la scène artistique, nous informerons sur la politique culturelle et l’encourage­ ment de la culture en Égypte et sur le mode de travail des institutions de sou­ tien étrangères. Le prochain Passages paraîtra en mai 2012.

Shanghai/Chine www.prohelvetia.cn

Tirage 18 000

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Passages Derniers numéros parus :

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Les articles nommément signés ne reflètent pas forcément la position de l’éditrice. Les droits des photos restent propriété des photographes.

Papier, blog, tweet et tag No 56

Papier, blog, tweet et tag Les avatars du journalisme culturel

La Fondation Pro Helvetia soutient la culture suisse et favorise sa diffusion en Suisse et dans le monde. Elle s’engage pour la diversité de la création culturelle, elle aide à définir les besoins de la culture et concourt à l’existence d’une Suisse culturelle multiple et ouverte.

Le globe-trotter et son carnet d’esquisses : Cosey en Inde | Le design suisse de jeux vidéo à San Francisco | CoNCA : un vent de renouveau souffle sur la culture catalane L E MAGAZIN E CU LT U R E L D E PR O HE LVE T IA, N O 5 6 , 2 /2 0 1 1

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Créativité et confrontation No 55

Créativité et confrontation Les échanges culturels autour du monde Sur le canal de Suez : un artiste en quête d’indices | Objets de design : voyage au cœur de la créativité humaine | Expérimentations musicales : face à face entre chercheurs et bidouilleurs L E M AGAZ I N E C U LT U R E L D E P R O H E LV E T I A, N O 5 5 , 1 / 2 0 1 1

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Jeux vidéo : l’art du futur No 54

Jeux vidéo : l’art du futur « Gäuerle » et « Chlefele » : la Suisse et sa culture populaire en Argentine p. 6 Chopin en terres orientales et expérimentales p. 36 Le poète fuyant : vaine recherche à Buenos Aires p. 41 L E M A G A Z I N E C U LT U R E L D E P R O H E LV E T I A , N O 5 4 , 3 / 2 0 1 0

L’abonnement à Passages est gratuit, de même que le téléchargement de la version électronique à l’adresse www.prohelvetia.ch/passages. Pour toute commande ultérieure d’un unique exemplaire, une somme forfaitaire de 15 francs est perçue (frais d’administration et de port).

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L’art de la performance est aujourd’hui sommé de trouver une stratégie esthétique qui sache interroger les frontières devenues de plus en plus subtiles, dans la société, entre jeu et sérieux, être et paraître, imaginaire et réel, et qui sache se montrer comme l’Autre, le déran­ geant, l’étrange et l’étranger. Qu’est­ce qu’une performance au juste ? Gabriele Klein, p. 6

On remarque que de nombreux performeurs de la scène théâtrale actuelle se présentent comme des chercheurs­enseignants agissant de façon (apparemment) objective plutôt que comme des artistes­sujets radicaux. Irriter, éclairer : les performances politiques Eva Behrendt, p. 12

Le public est un monstre tyrannique ! Il impose ses exigences. Et, en un certain sens, le déroulement de la soirée dépend de notre manière d’aborder ces exigences, de les négocier, de les « Peut­on faire confiance à son voisin dans la salle ? » Tim Etchells en conversation avec Dagmar Walser, p. 20 satisfaire ou de les repousser. www.prohelvetia.ch/passages

La Fondation Pro Helvetia soutient la culture suisse et favorise sa diffusion en Suisse et dans le monde.


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