Passages n° 58

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passages

Le goût de la liberté Les artistes égyptiens aux temps de la révolution Une expérience collective: dormir dans une galerie d’art New York: le Swiss Institute s’enracine en terrain difficile Paris: les œuvres du cabinet de curiosités d’Andreas Züst Le magazine cu Lt u r e L de Pr o H e Lv e t ia, no 5 8 , 1 / 2 0 1 2


4 – 27 DOSSIER

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L’Égypte en révolte

HEURE LOCALE New York : Rester hors des sentiers battus Gianni Jetzer, directeur du Swiss Institute, s’entretient avec Karin Kamp.

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REPORTAGE Dormir avec des étrangers par Liz Armstrong (texte) et Logan White (photos)

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ACTUALITÉS PRO HELVETIA La Suisse au miroir du monde / Jouer pendant les jeux / Vive le mythe ! / Transfert à Johannesburg / Le roi Bâbur à Londres

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PARTENAIRE Le Chili mise sur la culture par Mariel Jara

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CARTE BLANCHE L’Appel de la Forêt Fin de roman par Tommaso Soldini

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GALERIE Une plateforme pour les artistes Tennis Loan Nguyen

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IMPRESSUM PASSAGES EN LIGNE À SUIVRE

Le dossier montre comment les artistes égyptiens participent aux changements sociaux qui bouleversent leur pays et comment la révolution imprègne leur vie et leurs travaux. Sur cette photo, le groupe égyptien Eskenderella dont les chansons politiques célèbrent la démocratie. 6

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« Un film sur la révolution ne peut pas se planifier » Après la révolution, une équipe de cinéma helvéto-égyptienne a suivi trois artistes engagées au Caire, durant une année. par Marcy Goldberg Un souffle de renouveau vite retombé La liberté de l’art et la liberté d’expression restent une utopie en Égypte. par Sayed Mahmoud Hassan Le deuxième printemps arabe Beaucoup de ce qui nous paraît aujourd’hui caractéristique de l’islam n’est que le résultat de sa confrontation avec la mondialisation déclenchée par l’Occident. par Thomas Bauer

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La démocratie pierre à pierre Les instituts culturels étrangers du Caire renforcent leur engagement. par Astrid Frefel

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Créer, pour échapper au chaos L’écrivain Khaled Al Khamissi et la plasticienne Doaa Aly refusent de faire de l’art révolutionnaire. Double portrait. par Dalia Chams

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Le milieu culturel polonais en résistance Quel est le rôle des artistes dans les moments de révolution ? Retour sur la Pologne d’avant 1989. par Anda Rottenberg

S o m m air e 2

Couverture : Un acrobate au festival des arts de la rue El Fan Medan ; photo : Roger Anis Photo du sommaire : Eman Helal

Paris : Cosmos des passions Les œuvres du cabinet de curiosités d’Andreas Züst par Barbara Basting


L’art descend dans la rue Plus d’une année après la révolution, les débats et les disputes continuent d’aller bon train en Égypte : dehors dans les rues, sur la place Tahrir, dans les journaux, au Parlement. « Il règne une agitation continuelle et les positions les plus diverses sont défendues avec véhémence », assure Nevine Fayek, Cairote employée au bureau de liaison de Pro Helvetia. « Mais cette culture de débat ouverte n’existait pas avant la révolution. C’est nouveau ! » Depuis la révolution du 25 janvier 2011, de nombreux Égyptiennes et Égyptiens luttent pour la liberté et la démocratie. Parmi eux se trouvent des artistes qui s’engagent, eux aussi, pour la liberté d’expression et la liberté de l’art. Certains manifestent sur la place Tahrir, d’autres comme l’écrivain Khaled Al Khamissi, tentent de maîtriser le chaos par l’écriture. D’autres encore, comme la réalisatrice Laila Soliman, amènent la question de la révolution sur les planches. « On lutte avec les armes à sa portée », dit Soliman. Passages donne un aperçu des diverses positions que peuvent adopter les artistes dans les moments de révolte. L’art et la révolution sont descendus dans la rue, et depuis, le festival des arts de la rue El Fan Medan se déroule tous les mois. Il rassemble musiciennes, peintres, dramaturges et curieux sur les places publiques et invite aussi les amateurs à exprimer leurs opinions par les graffitis, la musique, la peinture et le théâtre de rue. C’est à eux tous que nous consacrons notre série de photos. Que la liberté de l’art reste encore une utopie dans l’Égypte d’aujourd’hui, c’est ce que confirment les recherches du journaliste Sayed Mahmoud Hassan. Astrid Frefel, correspondante en Égypte, s’est demandée comment les instituts culturels étrangers installés au Caire réagissent aux mutations sociales. Dans son essai, l’islamologue Thomas Bauer ouvre des perspectives inédites sur la culture islamique et sur son histoire surprenante, faite de pluralisme et de tolérance. Et un regard dans les coulisses de l’histoire de l’art en Europe de l’Est montre avec quelle énergie les artistes polonais se sont engagés dans les conflits sociaux antérieurs à 1989. Plusieurs articles de ce numéro ont été écrits fin 2011–début 2012, et étant donné le rythme accéléré des événements, la situation aura peutêtre changé lorsque vous aurez notre magazine entre les mains. Si nous avons tenu à ce sujet malgré tout, c’est que la question du rôle de l’art dans les périodes de troubles sociaux nous a semblé aussi universelle qu’intemporelle. Janine Messerli Rédactrice en chef de Passages

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L’Égypte en révolte

Quelle a été l’influence de la révolution sur la vie et le travail des artistes en Égypte ? Notre dossier montre comment ils participent et réfléchissent aux bouleversements sociaux. La liberté de l’art et la liberté d’expression continuent d’avoir un statut précaire. Dans les articles que nous vous proposons, vous apprendrez comment s’exerce la censure de l’art après la révolution, comment réagissent les instituts culturels présents au Caire et pourquoi on peut parler de cette révolution comme du deuxième printemps arabe.

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La révolution créative « Lorsque la révolution a éclaté en Égypte, elle a libéré une extraordinaire énergie artistique. Durant de nombreuses décennies, les gens ont été insatisfaits de leur situation politique et sociale. La révolution et son souffle de liberté ont déclenché chez les gens une furieuse envie d’exprimer leurs propres aspirations et espoirs par l’art – en paroles, en musique, en actions et en images. » Randa Shaath Pour notre dossier, nous avons demandé à Randa Shaath, photographe égyptienne, de rassembler une sélection de photos sur les diverses expressions artistiques qui fleurissent dans les rues du Caire, où elle vit et travaille comme photojournaliste pour le quotidien égyptien Al-Chorouk.

Le plaisir anticipé de la liberté: durant les 18 premiers jours de la révolution, les gens dansaient et chantaient sur la place Tahrir du Caire. Photo : Randa Shaath

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o Time For Art – Pas de temps pour l’art. Tel est le mières manifestations de la place Tahrir, Mohsen fit la connaistitre de la performance théâtrale interactive que la sance de Hala Elkoussy. À côté de son travail de cinéaste, elle metteuse en scène Laïla Soliman a présentée au participait à des manifestations pacifiques. Mohsen et Erne comThéâtre Rawabet du Caire, en juin 2011. Son thème mencèrent à tourner, pour la télévision suisse, de brefs portraits était le comportement brutal de l’armée à l’égard des d’artistes engagés. Lorsque l’équipe de tournage rencontra égalemanifestants. Un thème qui jusqu’alors était tabou dans la société ment Karima Mansour et Laïla Soliman, l’idée se fit jour de suivre égyptienne. Sur la scène, la frontière s’efface entre les acteurs et les trois femmes durant une année, afin de pouvoir se faire une les spectateurs, entre les témoins oculaires et le public. Dans l’une image différenciée des changements en cours. « Un film sur la des séquences, l’acteur Aly Sobhy raconte comment il a été inter- révolution ne peut pas se planifier. On ne savait pas quelle direcrogé et torturé par l’armée. En arrière-plan, simultanément, on tion cela prendrait », dit la cinéaste et productrice Sandra Gysi, qui voit un clip d’informations de la télévision d’État, où Sobhy et parle arabe couramment et qui a suivi le projet de très près. « Les d’autres activistes se font indeux derniers mois et demi, sulter et traiter de criminels. nous les avons passés dans Comme la version officielle ne une communauté de travail au cesse de donner une image Caire, pour le découpage du déformée des événements, le film. Chaque fois que quelque théâtre devient le lieu d’une chose se passait, nous sortions contre-représentation. Et c’est et nous tournions ». Le 25 janainsi que la pièce contredit son vier 2012, quatre jours seulement avant le délai de remise propre titre : c’est précisément l’art qui dans de tels moments du film, Mohsen filmait encore la célébration du premier annipeut jouer un rôle important, et proposer une histoire qui versaire du soulèvement , sur la fasse contrepoids à celle des auplace Tahrir. torités. Retour au Caire No Time For Art : un titre à la signification double. Une Au début du film, Karima Dès le début du soulèvement et jusqu’au Mansour jette un regard rérévolution est-elle un moment premier anniversaire de la révolution, peu propice aux activités artistrospectif sur les événements : une équipe de tournage helvéto-égyptienne tiques, ou bien les artistes en« C’était absolument inattendu. a suivi au Caire trois artistes engagées. gagés n’y trouvent-ils simpleQuelqu’un m’aurait demandé ment plus le temps d’exercer si une révolution allait éclater Le film documentaire qui en est résulté leur art ? Laïla Soliman joue vodans mon pays, je me serais montre comment art et protestation contentée de rire ». En janlontiers avec de telles questions peuvent se féconder réciproquement. vier 2011, elle était en Suisse, paradoxales. Mais quelle est la part que les acteurs culturels en pleins préparatifs d’une noupar Marcy Goldberg égyptiens ont vraiment prise à velle pièce conçue en collaborala révolution ? Et comment, en tion avec la danseuse bernoise retour, cette révolution a-t-elle Daria Gusberti. Karima Manmarqué la vie et les œuvres des artistes ? Une équipe de tournage sour, danseuse et chorégraphe internationalement reconnue, helvéto-égyptienne a voulu approfondir ces questions. Au Caire, n’avait pu se produire dans son propre pays durant sept ans : son durant une année, elle a suivi trois artistes : Laïla Soliman, la cho- style de danse contemporaine était banni d’une scène artistique régraphe Karima Mansour et la cinéaste Hala Elkoussy. contrôlée par l’État. Lorsque la nouvelle des manifestations lui parvint, ce fut une évidence immédiate : il lui fallait remettre à plus Une année d’art et de révolution tard le projet bernois, et retourner chez elle. C’était son devoir de Le documentaire de cinquante minutes, Laila, Hala und Karima citoyenne et d’artiste. Dans le film, elle s’exprime ainsi : « Je ne mé– Ein Jahr im revolutionären Kairo (Laïla, Hala et Karima – une lange pas forcément l’art et la politique ; je ne pense pas que l’art année dans Le Caire en révolution) a été diffusé le 29 janvier 2012 doive toujours comporter un message social ou politique. Néanà la télévision suisse alémanique, dans l’émission Sternstunde moins, je crois que l’on ne peut que difficilement séparer l’art du Kunst. La réalisation était signée Ahmed Abdel Mohsen, cinéaste contexte dans lequel nous vivons. Je suis danseuse, et je suis une qui vit à Zurich, et Eduard Erne, producteur de l’émission télévi- femme qui travaille avec le mouvement, avec son corps : ici, en sée Kulturplatz. Dès janvier 2011, Mohsen se trouvait sur la place Égypte, je ne peux pas me détacher de la politique, du contexte soTahrir avec sa caméra. Originaire d’Égypte, il a pu se fondre dans cial ». Et pourtant, tout en élaborant son nouveau projet chorégrales foules du Caire sans se faire remarquer, alors que des journa- phique, elle est inquiète de se laisser influencer excessivement, listes étrangers étaient intimidés, attaqués ou arrêtés. Lors des pre- dans son art, par l’atmosphère protestataire. Laïla Soliman, elle

« Un film sur la révolution ne peut pas se planifier »

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aussi, a quitté l’Europe pour retourner en Égypte, afin de prendre part aux manifestations. Pour elle, aucune hésitation non plus : « Il se produisait ce qu’on avait toujours voulu faire, mais sans jamais en trouver le courage ou la possibilité. C’est pourquoi la question de savoir si j’allais y participer ou non ne se posait même pas », ditelle dans le film, avant d’ajouter : « Chacun combat avec les armes qui lui sont propres ». Après No Time For Art, elle a mis sur pied une autre pièce, en collaboration avec son partenaire, le dramaturge Ruud Gielens, ainsi qu’avec des activistes de la scène culturelle cairote, parmi lesquels Karima Mansour. Cette pièce, dont le

avec l’équipe de tournage, tout au long de l’année, on sent très nettement à quel point elle est tirée à hue et à dia par les événements. À l’euphorie provoquée par le retrait de Moubarak succède la violence militaire. Après le scrutin de novembre 2011 – « j’ai trentesept ans et c’est la première fois de ma vie que j’ai voté ! » – survient la déception causée par la victoire des partis islamistes. Une année d’innocence perdue, résume-t-elle à la fin du film. Et que va-t-il se passer désormais ? On est sans cesse rattrapé par les événements. Au début de février 2012, il était prévu de projeter Laïla, Hala et Karima en avant-première au GoetheInstitut du Caire. Mais à cause des nouveaux troubles consécutifs aux bagarres du C’était absolument inattendu. Quelqu’un m’aurait stade de football de Port-Saïd, cette projecdemandé si une révolution allait éclater dans mon pays, tion a été repoussée à la fin avril. Laïla Soliman est fataliste mais confiante : « Nous je me serais contentée de rire. avons brisé le mur du silence et mis fin à une période de stagnation. Et quoi qu’il artitre est Lessons in Revolting, a été créée en août 2011 au Caire. rive maintenant, je pense que ce sera bien. Même si cela n’est pas On a pu la voir peu après dans le cadre du Theater Spektakel de parfait. Ce sera bien ». Zurich. Son titre propose lui aussi un jeu de mots : « Des leçons de Karima Mansour en juge de la même manière. Après sept ans, révolte », ou de rébellion, ou de répulsion. C’est un work in pro- elle peut à nouveau se produire dans son propre pays. Elle est chargress : à la fois performance, musique, vidéo et chorégraphie, cette gée de diriger, au Caire, un nouveau centre de danse contempoœuvre restitue les impressions et sentiments des artistes engagés, raine. Et en février, la nouvelle œuvre chorégraphique projetée pris dans le tourbillon des événements. avec Daria Gusberti, Whilst closely gazing at the soup…, a enfin Tout au long du film Laïla, Hala et Karima – une année dans été créée à la Dampfzentrale de Berne. Il reste encore beaucoup à le Caire en révolution, on montre comment les créateurs cultu- faire, et à court terme il faut s’attendre à des déceptions politiques. rels cairotes ne cessent de lutter pour que l’art indépendant par- Mais le peuple a maintenant goûté à la liberté. Il ne va pas s’en laisvienne à conquérir sa place – au-delà des restrictions qu’imposait ser déposséder si facilement. Y compris, bien sûr, la liberté de l’art. l’ancien Ministère de la culture. Ces créateurs se rencontrent ré- « L’art et la culture doivent être une part de l’identité égyptienne : gulièrement pour débattre ; ils organisent des festivals artistiques. non pas un à-côté, non pas une option ou un détail, mais en harDans le bureau du syndicat des journalistes, beaucoup des repré- monie avec le développement du pays. C’est une nécessité, et cela sentants les plus en vue des différents domaines artistiques se réu- n’a rien à voir avec l’arrivée au pouvoir de tel ou tel groupe. » nissent afin de rédiger un manifeste pour la liberté de l’art.

Au-delà de la violence En même temps, les artistes mettent en gardent contre le mythe de la « révolution pacifique », qu’ils dénoncent comme un cliché médiatique. En octobre 2011, Laïla Soliman a reçu en Allemagne le Prix spécial Willy Brandt, qui salue son exceptionnel courage politique. Dans son discours de remerciement, elle évoque les nombreuses victimes de la révolution, et la violence systématique de l’armée contre son propre peuple. Hala Elkoussy souligne aussi le rôle paradoxal de cette violence, qui pousse les adversaires du régime à continuer le combat. Dans le film, elle analyse cette actionréaction : « La révolution a réussi parce que tant de personnes sont mortes. Plus la violence était grande, plus les gens étaient nombreux à descendre dans la rue. La violence va à fins contraires, au sens où les gens disent : ok, puisque vous nous battez – nous n’avons pas peur, et vous aurez beau nous tuer, nous continuerons ». Cinéaste et photographe, Hala Elkoussy croit à la force des images. Des artistes de toute l’Égypte réalisent, en mémoire des martyrs de la révolution, des portraits de citoyens tués. Tandis qu’ils peignent, Hala les filme. Selon elle, le travail de ces portraitistes est « un premier geste que nous faisons, nous autres artistes, en hommage à la société tout entière ». Dans ses conversations

On peut trouver d’autres informations sur le film documentaire, l’équipe de tournage et les artistes à l’adresse suivante : http ://donkeyshot.ch/laila_hala_karima_de.htm Marcy Goldberg est historienne du cinéma, conseillère en médias et traductrice. Elle enseigne le cinéma et les sciences de la culture dans diverses Hautes Écoles artistiques de Suisse. Elle est en outre rédactrice de l’édition anglaise de Passages. Traduit de l’allemand par Étienne Barilier

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n Égypte, un épais brouillard règne sur la scène culturelle et dans le monde de la création plus d’un an après le déclenchement de la révolution du 25 janvier. La soif de liberté et de justice sociale des débuts rencontre encore sur le terrain une certaine résistance, qu’elle soit le fait d’individus ou d’institutions. Ainsi, des instances étatiques continuent à exercer la censure sans faire le moindre cas des changements introduits par la révolution ni des appels à la liberté de pensée et d’expression. De nombreux acteurs de la scène artistique sont même convaincus de l’imminence de dangers. De fait, la nouvelle majorité parlementaire qui s’est clairement dégagée des élections de janvier 2012, constituée des forces de l’islam politique, ne jouit décidément pas d’une bonne réputation en matière de liberté d’opinion et de liberté d’expression artistique.

parce que la censure ne voit pas d’un bon œil les publications imprimées à l’étranger. Certes, le vent du changement amené par la révolution a largement modifié les règles suivies dans les métiers de l’édition. On a dit, ici et là, que l’accord du ministère de l’intérieur et des services de la sûreté n’était plus nécessaire pour fonder une maison d’édition. Mais les éditeurs peinent encore à y croire et rappellent pour justifier leur méfiance ce qui s’est passé en novembre dernier, lorsque des agents des services de la sûreté ont pris d’assaut la maison d’édition Dar Kiyan, proche du ministère de l’intérieur, à la recherche d’exemplaires du recueil de poésie dialectale Anti min (Qui es-tu ?), première œuvre de Tamer Abbas. Cette démarche était sans lien avec un quelconque contenu politique des poèmes, que l’éditrice Samia Amer estime « dépourvus de toute connotation politique ». À son avis, le problème venait plutôt de ses positions poUne censure dépourvue de litiques à elle, parce qu’elle avait base légale été active précédemment au sein Depuis la révolution, les orde groupements opposés aux triganisations de défense des bunaux militaires et du comité droits de l’homme en Égypte « Rassad » (observation), émanaont relevé de nombreuses attion d’une association pour l’indéteintes à la liberté de pensée et pendance de la culture qui lutte Liberté artistique et opinions libres – telles d’expression. Il s’agit notamcontre la corruption d’État dans étaient les revendications des intellectuels et ment d’entraves à la diffusion le domaine culturel. des artistes durant la révolution de programmes télévisés ou Ce qu’il faut surtout retenir, égyptienne. Qu’est-ce qui a bougé depuis ? d’interventions en cours de c’est que ces mesures de saisie production visant à en orienter et d’interdiction ne reposent Terriblement peu de choses, selon le bilan le contenu selon les vues du jusqu’à présent sur aucune base du journaliste égyptien Sayed Mahmoud Conseil suprême des forces arlégale. Le service qui surveille Hassan : des journaux ont été saisis, mées (conseil militaire) qui diles œuvres imprimées à l’étrandes programmes télévisuels censurés, des rige encore les affaires du pays. ger exerce sa fonction à la paruDe même, des séquestres ont tion d’ouvrages entrant dans le maisons d’édition perquisitionnées. été prononcés à plusieurs repays sans délivrer aux distriprises envers des organes de buteurs des ouvrages incriminés par Sayed Mahmoud Hassan presse gouvernementaux tels le moindre document attestant qu’Al-Fagr (L’aube), Saout All’interdiction ou la saisie. CeuxOumma (La voix de la nation ci sont donc dans l’incapacité musulmane) et l’hebdomadaire Roz Al-Youssef, condamnés pour d’intenter un procès au gouvernement en se fondant sur le texte avoir critiqué le Conseil militaire et son mode de direction de légal pourtant impératif stipulant qu’aucune saisie ne peut être l’État. prononcée sans jugement. Ces pratiques, qualifiées de « très sévères » par l’organisation pour la liberté d’opinion et d’expression, « ramènent l’Égypte aux Théâtre, littérature et manuels scolaires dures mesures de répression qui avaient cours avant la révolution, Au chapitre des paradoxes notables, on relève aussi les déclarations et vont peut-être même plus loin encore », selon les propos du di- attribuées en mai 2011 à l’écrivain Mohammed Ali, président de recteur de l’organisation, Emad Moubarak. l’une des institutions étatiques encourageant le théâtre, lequel Dans le domaine de l’édition, la situation ne semble guère tentait de justifier l’interdiction d’une reprise de la pièce Dou’a meilleure. Fatima Alboudi, directrice de la maison d’édition el-karaouan (L’appel du courlis), adaptée par l’écrivaine Rasha Dar El-Aïn, indique avoir rencontré des difficultés à faire entrer Abdelmonem du célèbre roman éponyme de Taha Hussein, sous certaines de ses publications en Égypte en avril 2011, soit moins prétexte que la représentation comportait des scènes indécentes. de trois mois après le début de la révolution. Le roman Abna Ces déclarations ont toutefois été démenties après que le ministre el-Gabalaoui (Les enfants du Gabalaoui) de l’écrivain égyptien de la culture d’alors, Emad Abou-Ghazi, fut intervenu pour autoIbrahim Ferghali, a posé problème, par exemple, uniquement riser la représentation. Si une telle intervention est positive, elle

Un souffle de renouveau vite retombé

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ne reflète pas la tendance majoritaire au sein du ministère, dont certains dirigeants restent hostiles à la liberté d’expression et de création. Et comme pour accentuer encore le paradoxe, le président du service de la censure en charge des classifications artistiques, Essayed Khattab, a déclaré officiellement « la fin de l’époque de la censure politique ». De fait, M. Khattab considère qu’au lieu de censurer les œuvres culturelles, l’institution devrait agir davantage dans le domaine de la classification des films par âges et celui de la protection de la propriété intellectuelle. C’est une ambition soutenue par des artistes renommés comme le réalisateur Yousry Nasrallah. Et bien que le ministre de la culture démissionnaire, Emad Abou-Ghazi, ait défendu la liberté de création dans ses multiples entretiens relayés par la presse, il a toujours insisté aussi sur le fait qu’une éventuelle suppression de la censure nécessiterait des modifications de la loi, difficiles à mettre en œuvre durant la période de transition et en l’absence d’un parlement élu qui fonctionne. Cet ajournement n’empêche pas l’affaire de figurer à l’ordre du jour des nombreuses coalitions d’acteurs culturels indépendants qui demandent l’indépendance de la création culturelle vis-à-vis de l’État. La situation n’est pas meilleure du côté du ministère de l’enseignement, institution qui fait partie du domaine culturel au sens large. En mai 2011, une experte en pédagogie, responsable des secteurs des bibliothèques, y a été convoquée devant le « parquet administratif spécial » pour avoir donné son accord à l’acquisition du roman Tuyur al-‘anbar (Les oiseaux d’ambre) d’Ibrahim AbdelMéguid pour les bibliothèques scolaires dépendant du ministère. Le roman contiendrait, d’après ses détracteurs, des expressions de nature sexuelle. Dans la même veine, un avocat de la ville de Beni Souef a déposé auprès du procureur général un acte de délation accusant le militant des droits de l’homme Karam Saber, auteur du recueil de nouvelles Aïna Allah ? (Où est Dieu ?), d’offenser l’essence divine

cédent, une épée de Damoclès menaçant la création et la liberté d’expression, régime tombé par la volonté du peuple égyptien lors de la glorieuse révolution de janvier ». Craintes pour la liberté artistique sous l’influence des islamistes

Au chapitre des signaux d’alerte figure également le fait que ces évènements, malgré ce qu’ils dénotent, ont échappé au débat général, l’élite politique et culturelle étant trop absorbée par les affaires politiques depuis la révolution pour se préoccuper des questions culturelles et artistiques. Il est notable aussi que ces dernières sont complètement absentes des programmes des partis libéraux constitués après la révolution. Or le danger d’une telle omission est encore aggravé par l’imposante présence des pouvoirs religieux extrémistes, incarnés par des groupes islamistes politiques allant des Frères musulmans aux courants salafistes. Ces pouvoirs sont connus pour leur position outrancière en matière de liberté d’opinion et de création. Ils estiment que l’art se doit de jouer un rôle prédicateur et moralisateur dans l’éveil de la société. Les craintes exprimées par des intellectuels devant l’arrivée au Parlement des Frères musulmans et des salafistes semblent donc justifiées pour une grande part si l’on considère l’insistance des islamistes à ne pas prendre position de manière décisive sur la liberté d’expression littéraire et artistique. À cet égard, la participation des Frères musulmans au Parlement de 1995 à 2005 est loin d’être une référence encourageante. Leurs députés avaient adopté des points de vue extrêmes vis-à-vis de certaines œuvres. Ils ont été, par exemple, les plus vifs instigateurs du séquestre du roman Walima li ash’ab el-bahr (Festin pour algues de mer) de l’écrivain syrien Haydar Haydar après sa parution dans une collection du ministère égyptien de la culture consacrée à l’édition populaire. Les intellectuels, dont le célèbre romancier Gamel Ghitani, craignent que l’arrivée des islamistes au Parlement n’annonce un net recul de la liberté d’expression artistique et littéraire. De fait, les nouveaux élus tentent de faire adopter des textes législatifs réduisant la liberté d’exAinsi des instances étatiques continuent à exercer la pression et de création. Mais certains sont censure sans faire le moindre cas des changements convaincus que ces craintes sont exagérées introduits par la révolution ni des appels à la liberté de car elles reposent sur une méconnaissance du rôle qui attend le prochain Parlement : sa pensée et d’expression. durée de vie sera courte, selon les prévisions des spécialistes, et ses compétences sont reset de ridiculiser les rites religieux. Cette démarche a ravivé dans treintes. En effet, le Conseil militaire, qui a décrété la constitution les esprits la querelle traditionnelle autour des affaires de de ce Parlement, l’a notamment privé du droit de demander des hisba, c’est-à-dire la conformité à l’ordre moral1. Bien sûr, ces faits comptes au gouvernement qu’il a mis en place et de lui retirer sa ont été dénoncés par des organisations de défense des droits de confiance. l’homme connues et indépendantes. Le Réseau arabe pour l’inforNombre de créateurs craignent donc que l’Égypte n’entre mation sur les droits de l’homme, par exemple, a fait savoir dans dans une période sombre de son histoire avec un gouvernement un communiqué qu’il s’inquiétait « vivement du retour de la hisba composé de Frères musulmans et de salafistes. de nature religieuse et politique, après la révolution du 25 janvier Des faits significatifs récents vont d’ailleurs dans ce sens. Ainsi dont l’un des principaux buts était la liberté du peuple, ce qui la déclaration du dirigeant salafiste Abdel-Monem Ashshahat semble incompatible avec l’imposition de carcans à l’art et à la considérant que les œuvres de Naguib Mahfouz, prix Nobel, sont création. Personne ne peut être autorisé à jouer le rôle de tuteur à classer parmi « la littérature abjecte, qu’il faut combattre car elle pour ses concitoyens et à soumettre à leur place l’art à la justice, parle de bordels ». Ou les mesures prises par certains pour faire red’autant moins que les affaires de hisba étaient, sous le régime pré- couvrir des statues de sirènes dans un quartier d’Alexandrie au mo-

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tif qu’elles sont une représentation interdite (par la religion). Pour Ali Mabrouk, professeur de philosophie islamique à l’université du Caire, il est préoccupant que les représentants des courants islamistes tiennent « un discours de fermeture totale », un « discours de crise » qui exprime leur souhait de réintroduire la religion comme outil de contrôle moral et de surveillance du comportement individuel, ce qui placerait les citoyens en situation d’espionnage permanent. Cela peut aboutir à une dictature sans précédent, plus oppressive que celle du régime de Moubarak, d’autant plus que ces forces islamistes n’ont pas fait à ce jour la moindre déclaration rassurante quant à la liberté d’expression. Mais la question principale qui se pose aujourd’hui en Égypte est de savoir si les résultats des dernières élections signifient que ce pays se dirige vers une révolution islamique analogue à celle de l’Iran en 1979. Il s’ensuivrait alors une aggravation de la répression des libertés, dans un contexte de déroute totale du mouvement libéral ou moderniste à l’occidentale. L’historien Charif Younes, professeur à l’université Helwan du Caire, estime que le sentiment d’une défaite décisive des libéraux face aux islamistes est la pire conséquence possible du résultat des élections. Ce sentiment ne repose pourtant pas sur des bases solides car la situation actuelle de l’Égypte est très différente de celle de l’Iran à l’époque. La victoire des islamistes prend place dans le cadre d’un pays qui fonctionne, qu’il s’agisse de l’armée ou de l’administration (ce qui nous fait dire d’ailleurs que le régime n’est pas tombé avec la chute de Moubarak). En outre, elle oblige les islamistes à pratiquer la politique conformément aux règles officielles et à s’exposer à d’importants défis face à d’autres forces politiques. L’essentiel, en l’occurrence, serait la réforme des appareils étatiques de police et de censure. Dans tous les cas, la dynamique qui s’est emparée de la vie politique ouvre la porte à d’innombrables évolutions possibles.

Cet article a été rédigé entre fin 2011 et début 2012, durant la première période d’élections libres depuis la révolution égyptienne, élections dont les islamistes sont sortis vainqueurs. L’auteur a publié en avril 2011 un article sur le même thème dans Al-Ahram en ligne et a aussi présenté son analyse lors d’un symposium sur « les médias égyptiens et la force du changement », dans la capitale jordanienne Amman en décembre 2011. Sayed Mahmoud Hassan vit au Caire où il a également fait des études d’histoire à l’université. Il écrit régulièrement pour divers journaux arabes comme Al-Ahram. Il a obtenu en 2001 le premier prix du syndicat égyptien des journalistes pour sa critique du film Ayyam As-Sadate (Les jours de Sadate). Sayed M. Hassan est également scénariste de films documentaires et a publié plusieurs ouvrages d’histoire ou de poésie. 1 A l’origine précepte islamique exigeant la conformité intégrale à la loi divine, la hisba a pris diverses formes selon les pays et les époques : police des mœurs, coutume de délation d’actes irrespectueux envers la religion, etc. (NdT) Traduit de l’arabe par Catherine Bachellerie


Portraits de martyrs, caricatures, satires politiques – un dessinateur a installé un atelier improvisé sur la place Tahrir. Photo : Lobna Tarek

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Les gens inscrivent leurs exigences envers la nouvelle Égypte sur les murs, sur des banderoles ou sur leur propre corps, publiant ainsi ce qui ne se lit pas dans les médias officiels. Photo : Randa Shaath

Le célèbre artiste égyptien Mohamed Abla fait le portrait des visiteuses et visiteurs du festival des arts de la rue El Fan Medan. Photo : Roger Anis

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fin de comprendre le présent, il est parfois nécessaire Le poème recourt à deux procédés stylistiques qui relèvent de l’amde retourner au passé. En l’occurrence, au Moyen biguïté, donc d’une signification double ou multiple. D’abord, le Âge. On découvre alors que dans le monde islamique, nom de l’aimé, Nasim, est en même temps le mot qui désigne le l’époque ainsi désignée n’a pas été telle qu’on l’ima- « souffle du vent ». Donc le poète ne veut pas seulement envoyer le gine dans les représentations et les clichés occiden- souffle du vent, alias Nasim, auprès de l’aimé, mais aller avec lui. taux : ainsi, on ne persécutait pas les homosexuels. Au contraire, Ensuite, si l’iqtibas est en lui-même un procédé stylistique de l’amon écrivait des poèmes homo-érotiques. Car on vivait sous le règne biguïté, c’est parce qu’au texte du Coran, il surajoute un deuxième d’une culture pluraliste et tolérante, dont la littérature nous four- sens qui n’est pas le sens propre. Voilà un procédé stylistique relinit de nombreux témoignages. Par exemple, le procédé stylistique gieusement explosif. Mais Ibn Abdazzahir n’encourut pas la cenqui consiste à « allumer son feu [au feu d’autrui] » (iqtibas). Il s’agit sure d’une fatwa, et cela non seulement parce qu’il était lui-même d’introduire une citation littécadi (juge), mais aussi parce rale du Coran dans un poème qu’il s’agissait là d’un procédé stylistique hautement ou un texte en prose, où cependant elle prend un sens apprécié. complètement différent. Mais De manière générale, les moyens stylistiques de a-t-on seulement le droit de l’ambiguïté jouèrent un procéder ainsi ? A-t-on le droit de soumettre la parole divine grand rôle dans la littérature à un sens nouveau, qui n’est arabe depuis le XIIe siècle. pas le sien ? Certains savants Inventer, en se jouant, des théologiens trouvaient cela propos ambigus, énigmadéplacé, d’autres non, et les tiques, propres à susciter la lettrés (lesquels étaient sousurprise et l’ébahissement, En Occident, on associe souvent la culture vent théologiens eux-mêmes) tel est le but d’innombrables arabo-islamique à une tradition rigide, épigrammes et morceaux de en faisaient l’usage le plus à la soumission à l’autorité et à l’intolérance – ce zélé. C’est ainsi que le foncprose, jusqu’au XIXe siècle. qui, dans les médias, est volontiers décrit comme tionnaire et théoricien de la Au tournant du XXe siècle, tout change. D’abord, les littérature cairote Ibn Hidjdja un « retour au Moyen Âge ». Mais l’analyse al-Hamawi (1366–1434) étuorientalistes européens se réde la littérature à laquelle se livre l’islamologue die à fond la question. Il dispandirent en commentaires Thomas Bauer montre que le « Moyen Âge » tingue l’iqtibas licite de l’illiméprisants sur la littérature islamique était pluraliste et beaucoup cite, mais il ne craint pas, pour arabe du temps des Mameillustrer l’usage prohibé de ce louks et des Osmans. Elle replustolérant qu’on ne l’admet généralement. procédé stylistique, de menposait, si l’on en croit August tionner avec délectation des von Kremer, « sur la pompe par Thomas Bauer exemples où des citations du vaniteuse, se complaisant Coran sont introduites dans aux mots et jeux de mots redes poèmes obscènes. Je ne cherchés… comme aux artime risquerai pas à illustrer ici ce genre de réemploi. Je vais plutôt fices défiant l’imitation ». L’époque où l’architecte Adolf Loos anproposer un exemple de ce qu’Ibn Hidjdja trouvait convenable. La nonça que « l’ornement est un crime » n’était pas une bonne citation du Coran provient de Q 25 : 27, où il est raconté comment époque pour l’ambiguïté. La dimension ludique, dont l’historien ceux qui commettent l’injustice regrettent, au jour du Jugement néerlandais Johan Huizinga soulignait en 1938 qu’elle est essenDernier, de n’avoir pas suivi, durant leur vie, l’Apôtre (Mahomet) : tielle à toute culture, fut mise à mal, comme jamais, au cours des « Et ce jour-là, l’Injuste se mordra les mains en disant : « Plût au XIXe et XXe siècles. « S’il y eut un siècle qui prit au sérieux le monde Ciel que j’eusse fait le chemin avec l’Apôtre ! » (traduction de Régis entier, et d’abord lui-même, c’est bien le dix-neuvième ». Bien enBlachère). Le secrétaire d’État Ibn Abdazzahir (1223–1292) com- tendu, ce fut justement à cette époque que la vague de la mondialisation, surgie d’un Occident devenu dominant sur les plans écopose alors ce poème d’amour dédié à son bien-aimé Nasim : nomique et militaire, ne cessa de s’amplifier, allant jusqu’à Les amoureux envoient contraindre le Proche-Orient à s’y adapter tant bien que mal. Très souvent, celui-ci réagit en reprenant à son compte les jugements Tel un apôtre, le souffle du vent, de l’Occident. Beaucoup d’Arabes se mirent à leur tour à trouver Qui touchera le très aimé. que l’ancienne littérature était trop ludique, insuffisamment héroïque pour la modernité qui s’annonçait. Je dis, dans mon espérance : Le contenu des œuvres, lui aussi, commença d’être mal vu. Plût au Ciel que j’eusse fait Les anciens auteurs, dans leur tolérance à l’ambiguïté, avaient Le chemin avec l’Apôtre !

Le deuxième printemps arabe

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estimé qu’on pouvait, sans contradiction aucune, être de bons musulmans tout en composant malgré tout des poèmes sur le vin et l’amour des jeunes hommes. À partir du milieu du XIXe siècle, il apparut de plus en plus souhaitable de bannir toute ambiguïté. Les normes et les valeurs, une fois reconnues, devaient s’imposer sans restriction dans toutes les manifestations de la vie. Dès les années 1840, sous l’influence occidentale, les poèmes d’amour homo-érotiques commencèrent de disparaître de la littérature arabe. Et là, ce n’étaient pas des chefs religieux qui levaient l’index du moraliste, mais des intellectuels influencés par l’Occident, tels Taha Hussein (1889–1973), qui diffamèrent les anciennes époques de la littérature, considérées comme décadentes et moralement dévoyées. Des siècles entiers furent rayés de l’histoire littéraire arabe. La relation des Arabes à leur propre tradition littéraire commença de devenir ambivalente. Seul celui qui sait à quel point les Arabes aiment la poésie peut comprendre quelles blessures leur furent alors infligées. L’ambiguïté, un enrichissement

que le Coran possédait au moment où il fut proclamé. En revanche, l’idée que Dieu, dans sa révélation, puisse avoir introduit une multiplicité de sens à jamais inépuisables, selon l’expression de l’érudit coranique Ibn al-Djazari (1350–1429), leur paraît impensable. Tolérance à l’ambiguïté dans la religion, le droit et la politique Ce qui vaut pour l’accès au Coran vaut aussi pour le droit islamique, car celui-ci se fonde pour l’essentiel sur l’interprétation des sources normatives que sont le Coran et les Hadith. Comme il y a toujours plusieurs possibilités d’interprétation, les savants juristes classiques n’ont pas prétendu que leur lecture correspondait à la vérité et qu’ils étaient en possession du savoir définitif sur la manière dont Dieu juge les actions humaines (la charia), mais uniquement que leurs lectures présentaient un haut degré de vraisemblance. C’est à seule fin de garantir la sécurité du droit que l’ambiguïté devait être plus strictement encadrée. Il s’agissait de la maîtriser, mais non de l’éliminer. Même lorsque des juges tombaient largement d’accord, c’était sur l’arrière-fond d’une théorie juridique selon laquelle leur jugement ne représentait jamais qu’une possibilité parmi beaucoup d’autres. D’autres interprétations du droit auraient conduit à des jugements différents, qui n’auraient pas été moins légitimes. Dès lors, la différence d’opinion des experts juristes est essentielle dans la théorie islamique du droit. On y admirait la « faveur de Dieu pour sa communauté ». Aujourd’hui, les érudits, bridés par la tradition, doivent se battre avec des groupes puissants (souvent salafistes), qui récusent le pluralisme traditionnel des écoles juridiques. S’agissant de la politique, des discours très différents ont cohabité dans la « culture de l’ambiguïté » : des discours théologiques, juridiques, philosophiques et pragmatiques, les deux derniers

Cependant, cette relation ambivalente au passé ne se limite pas au domaine de la littérature. Elle s’étend à la plupart des domaines culturels, en tout premier lieu la religion, le droit et la politique. Car la culture arabo-islamique de ce millénaire, avant le milieu ou la fin du XIXe siècle, se signalait (presque) toujours et (presque) partout par une grande tolérance à l’ambiguïté. Les sens doubles ou multiples étaient ressentis comme un enrichissement, et le voisinage de systèmes de valeurs différents, souvent contradictoires, était accepté. L’ambiguïté n’était pas éprouvée comme une menace. C’est pourquoi l’on se bornait à l’apprivoiser, plutôt qu’on ne tentait de l’éradiquer (entreprise de toute façon désespérée). Mais cette « culture de l’ambiguïté », à partir du XIXe siècle, on se mit à l’aborder avec une méfiance de plus en plus grande, ce qui finit par conduire à son déclin progressif. Tous Ce fut justement à cette époque que la vague de la les domaines de la vie en fournissent des mondialisation, surgie d’un Occident devenu dominant exemples, mais c’est dans la religion que sur les plans économique et militaire, ne cessa de cette évolution est la plus frappante. s’amplifier, allant jusqu’à contraindre le Proche-Orient Ainsi, la plupart des commentaires au Coran qui remontent à l’époque clasà s’y adapter tant bien que mal. Très souvent, celui-ci sique proposent, pour chaque passage, réagit en reprenant à son compte les jugements de l’Occident. plusieurs interprétations possibles, sans prétendre en donner une pour la seule bonne. Et lorsqu’un commentateur suggérait sa propre interprétation, c’était pour compléter les d’entre eux étant presque totalement, voire totalement dépourvus autres, sans jamais prétendre les supplanter. Simplement, il était de contenus religieux. Des intellectuels comme Ibn Nubata (1287– fier d’avoir ajouté sa pierre à l’édifice. 1366) et Ibn Khaldun (1332–1406) ont développé, avant même la En revanche, les commentaires modernes au Coran pré- Renaissance européenne, des concepts historiques selon lesquels tendent beaucoup plus souvent détenir la vérité. Des courants l’homme est le maître de l’histoire. Pour la première fois depuis fondamentalistes, comme les salafistes, partent du principe qu’on l’Antiquité, l’histoire n’était plus considérée comme une partie de peut comprendre « littéralement » le Coran, un texte qui se dis- l’histoire sainte, avec Dieu pour conducteur, mais comme le protingue par son extrême plurivocité (les anciens philologues arabes duit de l’action humaine ; le fruit des passions des hommes (Ibn auraient ri d’une telle prétention). Mais les exégètes du Coran for- Nubata) et de la dynamique sociale (Ibn Khaldun). Ces deux samés à l’herméneutique occidentale croient eux aussi que le texte vants étaient des musulmans pieux, mais la politique ne leur pade la Révélation ne peut être qu’univoque, et qu’on doit se raissait pas avoir grand-chose de commun avec la religion. C’est contenter de dégager par des méthodes historico-critiques le sens ainsi qu’Ibn Nubata, deux cents ans avant le Prince de Machiavel,

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composa un manuel de conseils à l’intention du souverain, intégralement séculier, aussi machiavélien que possible. L’islamisme, réaction au colonialisme C’est encore au XIXe siècle qu’on se mit à proclamer que l’islam était Din wa-daula (religion et État). C’était une manière de réagir au colonialisme européen, une tentative d’opposer à l’expansion occidentale une idéologie indigène. Les idéologies islamiques ainsi nées étaient à beaucoup d’égards en contradiction avec la tradition de l’islam, mais la tolérance à l’ambiguïté n’était pas la réponse adaptée à l’Occident moderne, qui n’abordait pas le Proche-Orient avec l’idée de la démocratie et des droits de l’homme, mais par la guerre et le colonialisme. Beaucoup de ce qui nous apparaît aujourd’hui comme caractéristique de l’islam est né à cette époque récente, fruit de la confrontation avec une mondialisation d’origine occidentale. Cela vaut précisément pour des positions particulièrement dures et apparemment rigides, qui sont volontiers décrites dans les médias comme un « retour au Moyen Âge ». Pourtant, à l’époque où l’Europe connaissait son Moyen Âge (il n’y a guère de sens à transposer ce concept dans l’histoire islamique), aucune femme adultère n’était lapidée au ProcheOrient. C’est au contraire au milieu du XIXe siècle que l’islam a commencé de se durcir, tendance qui s’est aggravée au début du XXe, lorsque des pays de plus en plus nombreux tombèrent sous la domination coloniale. Aux colonisateurs succédèrent les dictateurs militaires (y compris des rois), qui gouvernèrent par la torture et la répression. La littérature fut censurée, beaucoup d’œuvres ne purent paraître qu’à l’étranger, et certains auteurs arabes préférèrent écrire directement en français ou en anglais. La science se figea en soumission à l’autorité ; et la religion, jadis bastion de la bourgeoisie contre l’oppression du souverain, fut tenue en bride par le pouvoir. Redécouvrir la pluralité La fin de cette époque est proche. Même si la plus grande incertitude règne sur l’issue du soulèvement arabe, une chose est sûre : un retour à l’ancienne sclérose ne peut plus survenir. Dans son dernier discours, le 10 février 2011, Moubarak dit à son peuple qu’il lui parlait « comme un père à ses enfants ». Mais les Égyptiens n’avaient plus l’intention d’être des enfants. Ils lui ont crié, avec un irrespect inouï jusqu’alors : « Dégage ! ». Voilà qui montre assez que ce n’était pas seulement un régime qui s’effondrait, mais une mentalité qui changeait. Les gens, désormais, veulent être maîtres de leur destin. Un retour à la vieille soumission à l’autorité n’est plus guère pensable. Qu’est-ce que cela signifie pour la culture, la science et la religion ? Le scénario idéal d’une utopie optimiste (peut-être trop) pourrait être le suivant : les artistes et les écrivains critiques, très nombreux aujourd’hui, cesseront d’être des francs-tireurs et seront largement discutés. Les sciences, en particulier les sciences humaines, actuellement mal en point, vont découvrir qu’elles ont quelque chose à dire et seront écoutées. Les textes arabes classiques ne seront plus censurés comme c’est souvent le cas aujourd’hui. Bien plus, on trouvera une nouvelle relation, détendue, avec la tradition. Au lieu d’invoquer des autorités du passé, parti-

culièrement étroites, ou de suivre d’une manière tout aussi peu critique les idéologies de l’Occident, on redécouvrira l’étonnante pluralité de l’islam classique, dont on tirera des fruits pour le présent. Les développements libéraux du droit islamique, sur lesquels a travaillé par exemple le juge égyptien Tariq al-Bishri, contribueront à réconcilier le droit islamique avec la démocratie et les droits de l’homme. Voilà ce qui peut survenir, mais qui ne surviendra pas nécessairement. Le danger menace de plusieurs côtés. Aujourd’hui encore, des pans entiers de l’ancien système restent debout. Les intérêts géopolitiques des Etats-Unis et de l’Europe se sont rarement révélés favorables aux pays arabes, et finalement, beaucoup de choses dépendent du développement économique. Le plus grand danger ne vient pas, comme beaucoup le craignent, des politiciens qui s’orientent en fonction de l’islam, et qu’on ne devrait pas tous mettre dans le même paquet, sous le même concept d’« islamistes », lequel interdit toute différenciation. Car le spectre est large. Il va des démocrates islamiques libéraux d’un parti de taille modeste, mais intellectuellement important, le parti du « milieu » (al-Wasat), jusqu’aux salafistes, qui avant 2011 se sont tenus très tranquilles, si bien que le régime Moubarak les a mieux traités que les Frères musulmans (ainsi, contrairement à ces derniers, ils ont pu obtenir leur canal satellite, ce qui a certainement contribué à leur succès dans les urnes). Entre les deux se trouve le grand bloc des Frères musulmans, dont les courants très hétérogènes ont gardé jusqu’à présent une certaine cohésion du fait de la pression politique, mais qui maintenant sont obligés de se repositionner. Désormais – et, on l’espère, sans répression politique – on peut mener des débats sur la religion, la culture et la politique, sous un signe nouveau. Mais là aussi, on se dispute âprement sur la relation à son propre héritage culturel : comment la tradition islamique, dans sa pluralité, peut-elle irriguer le présent ? Il faut s’attendre à des débats animés. La liberté de pensée, de presse et d’information sera donc, avec le développement économique, la garante principale d’un heureux avenir.

Depuis 2000, Thomas Bauer est professeur de culture arabe et d’islamologie à l’Université de Münster. Son domaine principal est l’histoire de la culture et de la littérature du monde arabophone. Son dernier livre, Die Kultur der Ambiguität. Eine andere Geschichte des Islams (la culture de l’ambiguïté : une autre histoire de l’islam) traite du refoulement de la culture araboislamique classique, tolérante à l’ambiguïté, comme conséquence de sa confrontation avec la mondialisation des XIXe et XXe siècles, en provenance de l’Occident. Traduit de l’allemand par Étienne Barilier

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Théâtre de rue politique : dans les ateliers et sous la conduite d’artistes, de jeunes Égyptiens fabriquent des marionnettes géantes – ici un représentant de l’armée. Photo : Randa Shaath

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Les peintures murales se réapproprient l’enceinte que la police et l’armée ont érigée autour du Ministère de l’intérieur. Avec la révolution, les graffitis sont devenus l’un des moyens d’expression les plus importants de la jeune génération. Photo : Randa Shaath

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Un soldat monte la garde auprès d’un bureau de vote durant les premières élections libres de décembre 2011. Derrière, des écoliers ont peint une image de Oumm ad-Dunya, la mère du monde, puisque c’est ainsi que les Égyptiens appellent leur capitale, Le Caire. Photo : Thomas Hartwell

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S

on nom déjà est un programme. Le Tahrir Lounge se prouve aussi la liste impressionnante de centres culturels étranvoue corps et âme au changement politique. Il se situe gers qui sont installés depuis longtemps au Caire et y proposent tout près des événements, dans une rue transversale qui une offre variée. Ils proviennent de plus d’une vingtaine de pays du débouche, à quelque cinquante mètres seulement, sur monde entier. Cet attrait montre que les Égyptiens ont le regard l’iconique place Tahrir, au centre du Caire. Ici, sur le ter- tourné vers les quatre coins du monde, et pas seulement vers l’Eurain du Goethe-Institut, on sent battre le pouls de la révolution. rope et les États-Unis. Bon nombre des institutions européennes ont renforcé leur Mais le portail est resté fermé à plusieurs reprises. Le séminaire sur L’Art d’interagir avec les autres a dû, lui aussi, être repoussé de engagement en Égypte sur le plan financier et l’ont étendu aussi, quelques jours à cause de la troisième vague révolutionnaire de la pour certaines, sur le plan du contenu. « La révolution a inspiré mi-décembre. C’était le groupe Salafyo Costa qui avait lancé beaucoup d’artistes et d’acteurs culturels. Les formes d’expression l’invitation à ce séminaire. Son nom lui vient des Costa Coffee- de l’art se sont accrues, tout comme le sentiment de liberté. Dans shops, situés dans les quartiers chics de la ville, où ses membres les années à venir, la liberté de l’expression artistique sera l’indice se rencontrent. Leur objectif est de modifier la façon dont les sa- clé de la liberté en Égypte », déclare avec conviction Antonino Crea, lafistes, ce courant puritain de responsable des affaires cultul’islam, sont perçus publiquerelles au sein de la délégation de ment. Ses partisans veulent l’Union européenne au Caire. prouver qu’ils sont des citoyens Le dialogue culturel étatique comme les autres et qu’ils n’ont est paralysé rien à voir avec l’extrémisme, voire le terrorisme. Ce groupe a Les troubles révolutionnaires ont déjà 50 000 fans et amis sur la conduit toutefois à ce qu’au sein Toile. Parmi ses fondateurs, on des services publics surtout, bien compte aussi un chrétien copte. des choses changent constamLa révolution a modifié aussi le travail des ment. Ainsi, la fonction de mi« Nous reconnaissons que nous instituts culturels étrangers au Caire. présentons de nombreuses difnistre de la culture a été réattriNombre d’entre eux ont revu leur budget à la férences avec d’autres groupes buée quatre fois en une année. hausse et certains ont étendu leur offre. C’est pour cela, par exemple, en Égypte, qu’elles soient d’ordre politique, social, cultuque le dialogue sur la politique Souvent, les limites entre culture et politique rel ou religieux, et que nous deculturelle de l’État que menait sont floues. Mais au sein de la nouvelle vons apprendre à vivre avec », l’UE avec le gouvernement a dû Égypte non plus, les fonds étrangers ne font voilà comment ils résument être suspendu. « Depuis la révopas l’unanimité. lution, les instituts culturels des leur mission. pays européens discutent et se La liberté de l’art comme concertent davantage, afin de ne par Astrid Frefel baromètre pas tous faire la même chose et « Chez nous, tout le monde a sa de pouvoir aussi financer des projets de plus grande enverplace, des libéraux aux communistes, en passant par les salafistes, et aussi bien les partis que les gure », constate Karen Daly-Gherabi, la directrice suppléante du organisations non gouvernementales », dit Mona Shahien, la direc- British Council. En 2012, Le Caire assistera aussi à la création trice du Tahrir Lounge. Les programmes sont centrés sur la forma- d’EUNIC, le réseau européen des instituts culturels nationaux. tion d’une conscience politique. Les impulsions viennent des deux Lorsque la révolution a éclaté, la Fondation suisse pour la côtés : parfois, ce sont les collaborateurs du Tahrir Lounge qui sou- culture Pro Helvetia a tenté d’abord, en discutant avec les acteurs mettent des idées à des groupes, comme par exemple l’établisse- culturels et les partenaires locaux, de saisir quels étaient les besoins ment d’un guide des élections, ou alors, ce sont des activistes qui des Égyptiens. « Cette révolution n’est pas seulement d’ordre polirecourent à l’aide du Lounge parce que ce dernier dispose de salles tique. Elle touche à tous les domaines de la société. C’est pourquoi et d’un vaste réseau de relations. Ce projet est un enfant spirituel de nouveaux besoins sont apparus aussi au sein de la scène cultudu Goethe-Institut. Mais le Lounge travaille de façon autonome et relle », dit Hebba Sherif. Il est ressorti que l’une des principales deil est égyptien à cent pour cent. « La clé du succès, c’est la confiance. mandes était la décentralisation dans la culture. De nos jours, près Une fois qu’on l’a instaurée, tout se passe bien », tel est le bilan po- de 80 % des événements ont lieu au Caire, quelque 15 % à Alexansitif que tire Mona Shahien au bout de sept mois. Sa communauté drie, et le reste se répartit sur l’ensemble du pays. De l’avis de la Facebook compte à présent près de 18 000 membres, qui ont responsable de Pro Helvetia Le Caire, le fait que la population rupresque tous entre 15 et 35 ans et appartiennent donc à la généra- rale soit largement coupée de la culture est « mauvais et dangetion qui fut le moteur de la révolution sur la place Tahrir. reux ». Le second thème ressorti était la question de l’indépenLe Caire est souvent qualifiée de Oumm el-Dunya, de mère dance de la culture par rapport au gouvernement. En dehors des du monde arabe, dont elle est le centre culturel incontesté. Ce que grands centres, il n’est pas facile de trouver des partenaires indé-

La démocratie pierre à pierre

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pendants. C’est pourquoi Pro Helvetia est en pourparlers avec les « Palais de la culture » disséminés dans tout le pays. Certes, ces derniers font partie de l’appareil étatique. « Mais nous savons qui est actif et qui n’est qu’un bureaucrate qui fait ses heures. Il y a des gens qui usent de cette nouvelle liberté, qui sont motivés et qui s’engagent », a constaté Hebba Sherif. Pro Helvetia prévoit, en collaboration avec les Palais de la culture, un projet d’ateliers dans le domaine du théâtre et de la danse. Toutefois la Fondation suisse pour la culture continuera à mettre l’accent sur l’art visuel, et elle ne compte pas engager des fonds plus importants. Des besoins immenses dans un grand pays En tant que bénéficiaire d’une aide financière étrangère, Basma el-Husseiny, la directrice d’al-Mawred al-Thaqafy (Culture Resource – une organisation locale à but non lucratif qui promeut la création artistique et l’échange au sein de l’espace arabe) souhaiterait que soit soutenue avant tout l’infrastructure culturelle – théâtres, cinémas ou salles de congrès appartenant à la société civile – plutôt que les seules institutions de l’État. Elle est d’avis que les instituts culturels étrangers pourraient aider à accélérer le processus de démocratisation en soutenant des acteurs qui ne font pas partie de l’élite centrale et ne viennent pas des grandes villes, ainsi qu’en offrant une visibilité à des initiatives populaires. Le réalisateur Ayman Hussein, lui, plaide sans détours pour le remplacement de la promotion culturelle traditionnelle par un travail politique plus important, afin d’aiguiser chez les gens le sens de la politique et de leurs droits. « Les propositions de projets dans le domaine des libertés fondamentales pourraient être parfois un brin plus osées et insolentes », estime Alejandro Ramilo-Rodriguez, chef de programme auprès de la délégation de l’Union européenne. Avec pour devise Revolution meets the Arts, cette dernière a appelé à déposer des projets encourageant la culture de la coopération et des droits de l’homme. À cette occasion, le budget de ce programme a été doublé cette année pour atteindre les 500 000 euros. « Notre intervention n’est pourtant qu’une goutte d’eau dans l’océan, les besoins sont grands dans cet immense pays », nuance Antonin Crea. Le British Council aussi dispose de plus d’argent depuis la révolution, entre autres pour les artistes souhaitant poursuivre leur formation en Angleterre. Mais son offre, dont les cinq piliers sont l’éducation, la société, l’anglais, les sciences et l’art, demeure inchangée. Les programmes réunis sous le titre Citoyens actifs, où des jeunes gens apprennent à assumer des tâches de direction dans diverses communautés, sont nettement plus demandés. On s’y exerce à mener des négociations et des débats constructifs, afin que ceux-ci ne dégénèrent pas en duels verbaux. « Nous travaillons à établir les bases de la démocratie. Nous apportons nos pierres à son édification. Les jeunes doivent comprendre qu’ils peuvent jouer un rôle dans la société », dit Karen Daly-Gherabi. Selon elle, ce travail-là est encore plus important après la révolution. Polémique autour des fonds étrangers Le soutien financier de l’étranger destiné à accélérer la démocratisation n’est pourtant pas toujours bien perçu en Égypte, il est sou-

vent ressenti comme une ingérence. Formellement, seules les organisations non gouvernementales enregistrées sont autorisées à percevoir des fonds étrangers, et cela après autorisation du ministère. Fin décembre, la police a fouillé les bureaux de dix-sept O.N.G. Pour les personnes concernées, il est évident que les arguments juridiques n’étaient qu’un prétexte pour intimider ceux qui critiquent le conseil militaire au pouvoir. Jusqu’ici, les instituts culturels étrangers n’ont pas été touchés par cette polémique. Mais toutes les organisations sont inquiètes. « Après tout, la culture fait partie d’un plus grand tout », rappelle Antonin Crea. L’inquiétude est palpable chez les acteurs de la scène culturelle égyptienne bénéficiant de soutiens financiers étrangers. « Nous nous attendons à des tracasseries et nous nous battrons contre cela », dit Basma elHusseiny. Beaucoup d’acteurs contournent l’obstacle juridique en

Nous travaillons à établir les bases de la démocratie. Les jeunes doivent comprendre qu’ils peuvent jouer un rôle dans la société.

travaillant non pas sous la forme d’une organisation non gouvernementale, mais sous celle d’une entreprise commerciale. Cellesci, tout comme le réalisateur Ayman Hussein, ne sont soumises à aucune restriction juridique concernant les fonds étrangers. Parallèlement à la polémique des fonds étrangers, les premières élections libres après la chute du régime Moubarak, avec la victoire des frères musulmans islamistes et les résultats étonnamment bons des salafistes conservateurs, ont fourni matière à discussion dans les cercles culturels. Mais à court terme, personne ne s’attend à des changements dramatiques. Comme le constate Karen Daly-Gherabi, auparavant, les instituts culturels étrangers étaient déjà attentifs à adapter leurs programmes à la « température ambiante de la société », même s’ils ont tenté avec prudence de repousser des limites. C’est pourquoi elle est persuadée qu’à l’avenir aussi, il existera une certaine liberté d’action et que les changements ne se feront que progressivement. « Nous ne sommes pas inquiets. La société égyptienne est construite de telle sorte qu’il existe de nombreuses scènes vivantes et différentes sphères de culture ». Tel est le scénario tout à fait optimiste qu’esquisse la directrice du British Council pour le travail des instituts culturels étrangers en Égypte en ces temps de troubles post-révolutionnaires.

Astrid Frefel vit au Caire depuis douze ans. Elle y travaille comme correspondante pour divers médias de Suisse, d’Allemagne et d’Autriche. Elle a conduit les recherches pour cet article en novembre/décembre 2011. Traduit de l’allemand par Patricia Zurcher

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C’

est inévitable : seul le temps fait bien les choses. Et le rôle du créateur, dans les circonstances actuelles ou face au pouvoir, c’est d’être lui-même. En dépit de leur âge, de leur itinéraire et de leur nature très différents, l’artiste plasticienne Doaa Aly et l’écrivain Khaled Al Khamissi s’en rendent parfaitement compte. Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. « Ce n’est pas uniquement une question de recul, mais comment voulez-vous que j’écrive alors que je suis submergé par les événements et en rapport trop direct avec eux ? » s’exclame Khaled Al Khamissi. Auteur du best-seller Taxi, il peine à se remettre au travail depuis voilà un an. Même chose pour Aly : 2011 a été pour elle une période de révision, une occasion de peser le pour et le contre de ses théories, de relire son journal, sans vraiment se lancer dans de nouvelles aventures artistiques. « La révolution est une chose refermée sur elle-même ; on ne peut la fragmenter. Personne, jusque-là n’a réussi à se la réapproprier... Toutes les créations actuelles ne font que ressasser les idées et émotions ressenties pendant la révolution, sans vraiment les assimiler », dit Aly. Elle rejette le jargon de l’activisme artistique, celui qui renvoie au rôle didactique de l’art, à sa mission ; elle y voit une sorte d’arbitraire et beaucoup de prétention.

téresse vivement aux aspirations des hommes telles que les traduisent leurs gestes et leurs postures, bref au langage de leur corps ; ce qui lui donne l’occasion d’observer les manifestants et de se poser des questions sur leurs buts : ceux qui cherchent à incarner le stéréotype du révolutionnaire, ceux qui font semblant d’être insouciants ou les autres repliés sur eux-mêmes, en pleine foule… L’art est spirituel

Son attention permanente au corps remonte à l’âge de 15 ans, alors qu’elle venait de rentrer de Paris où elle vivait avec sa mère, diplomate… Un vrai chamboulement : code vestimentaire différent, école religieuse de filles remplaçant son lycée mixte, harcèlement sexuel dans la rue,… Le corps dérange sans doute, ce qui éveille sa curiosité. « Je ne faisais plus un avec mon corps. Nous avons été séparés au Caire, et il me posait problème. J’ai compris qu’il fallait le dissimuler, vivre à l’intérieur, le contraindre pour communiquer des messages précis à la société ». En observant les autres, elle a découvert que c’était le cas de tout le monde. L’adolescente a commencé à lire les mouvements et les esthétiques des corps autour d’elle, et l’artiste diplômée des Beaux-Arts a poursuivi sa quête, pensant que l’art est une fin en soi, quelque chose de spirituel. Aujourd’hui, elle s’inspire surtout Que signifie être artiste dans un pays de textes littéraires, des nouL’énergie de la place Tahrir velles de Maupassant ou encore en révolution ? L’écrivain Khaled Al Khamissi Son atelier se trouve à deux pas des Métamorphoses d’Ovide, et l’artiste Doaa Aly se distancient cette œuvre mettant en scène des affrontements qui se sont de l’activisme de l’art révolutionnaire dans déroulés rue Qasr El-Eïni, dans des centaines de fables depuis le l’Égypte d’aujourd’hui. Assimiler les environs du Conseil des chaos originel jusqu’à l’apoministres et du siège du Parlethéose d’Auguste César. Le propar l’art les événements bouleversants ment… C’est-à-dire au cœur des duit final est souvent très éloidu printemps arabe demande du temps mouvements de protestation et gné du texte de base, mais elle et du recul. de boycott qui ont secoué, en s’en inspire pour son adaptacette journée de décembre, le tion chorégraphique. centre-ville cairote. Il y a deux La jeune brunette depar Dalia Chams ans environ, ses trois amis armande à des inconnus, des non tistes et elle ont bien choisi leur professionnels, de tourner avec lieu de travail, dans une boucle paisible de la rue Qasr El-Eïni. De elle ; son imagination s’exalte afin d’atteindre de nouvelles exlà-haut, on n’entend rien du tout, alors que les émeutes battent périences visuelles, partant toujours du corps en mouvement. « Je leur plein. Un peu à l’abri, Doaa Aly est assise à proximité de son veux que l’image renferme en elle-même sa charge émotionnelle, radiateur électrique, tirant des bouffées de sa cigarette… La fumée qu’elle parvienne à elle seule à toucher, sans recourir à autre chose, s’échappant doucement de sa bouche donne à la vie une certaine comme c’est le cas pour la bonne musique », explique Doaa Aly qui liberté. Une large planche en bois lui sert de bureau… assez rangé, divise son parcours en deux phases distinctes : au départ, elle était avec un ordinateur et très peu de choses, ce qui en dit long sur le comme une plume au vent, alors qu’en ce moment elle ressemble style ou l’histoire de la jeune vidéaste, dessinatrice, peintre… qui, plutôt à un arbre bien enraciné dans ce terroir. Dans un premier dans ses dix ans de carrière, a privilégié le corps et ses mouve- temps, par exemple, elle a été fascinée par la célèbre Madison avements. « Mon travail n’est pas une réaction aux incidents en cours. nue de New York, où elle a séjourné pendant un an environ. En Quand je me rends place Tahrir, cela m’insuffle une nouvelle éner- 2002, elle passait tous les jours devant des boutiques de mode qui gie comme à tout le monde, mais l’artiste en moi est mise en veille. commémoraient les évènements du 11 septembre tout en présenJe m’en tiens à l’observation », précise-t-elle. N’empêche : elle s’in- tant en même temps leurs collections d’automne. « Les magasins

Créer pour échapper au chaos

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présentaient alors des installations… J’adorais le style Alexander McQueen ! J’accumulais les catalogues et de retour en Égypte, je ne savais pas quoi en faire ». La réponse ne se fit pas attendre : Puppet fashion show, une vidéo exposée en 2003 à la galerie Town House du Caire. Il était temps d’entrer de plain-pied dans la phase « d’enracinement » en 2004, après de longues réflexions. « Avant 2004, j’étais encore à la recherche d’une voie, plusieurs choses pouvaient m’attirer. À partir de ce moment-là, les choses ont changé. Cela fait un an que je n’ai pas fait de vidéos. Il y a juste un mois, je me suis mise à dessiner… Je participe à une exposition collective à New-York. Pour pouvoir me concentrer, je dois arrêter de regarder les informations. Avant, je m’isolais beaucoup plus facilement », dit Doaa Aly, ajoutant : « L’art politique, l’art de la rue a davantage partie liée avec la culture populaire visuelle, on en a certes besoin, mais c’est très différent de l’art visuel contemporain. Les manifestations artistiques qui se déroulent dans les rues, depuis la révolution, sont plutôt à mettre sur le compte de la liberté d’expression ». L’écriture comme thérapie On tente de rentrer dans sa coquille, mais ce n’est pas toujours évident vu les circonstances. Et pour échapper au « bouillonnement actuel », Khaled Al Khamissi, qui ne regarde pratiquement plus la télévision depuis belle lurette, a essayé de s’isoler, en acceptant de partir en France et de s’installer dans une résidence d’écrivains jusqu’à la fin janvier 2011. L’auteur de Taxi, qui fait office de chroniqueur de l’Égypte contemporaine et qui a constitué depuis le 25 janvier dernier l’un des principaux relais de la révolution égyptienne auprès des médias français, a voulu faire une halte. Il s’était aperçu qu’il régnait en lui un désordre complet, un chaos épouvantable. Et pour y remédier, il fallait absolument se remettre à écrire. « J’y ai enfin réussi, dans ma résidence d’écrivains, loin de l’Égypte. Je me suis laissé aller et d’un coup, mon nouvel ouvrage a pris forme. Je ne sais pas si le résultat est satisfaisant, mais je suis content d’écrire car c’est une sorte de thérapie. Tous les écrivains que je connais ont du mal à le faire en ce moment. Si le produit n’est pas bon, je le jetterai à la poubelle », lance Al Khamissi qui possède lui aussi un bureau au centre-ville cairote. C’est là qu’il travaille habituellement, loin de ses trois enfants et de son épouse Maïssa qui, eux, logent dans le quartier d’Agouza, à proximité de la maison d’un autre écrivain, Naguib Mahfouz, décédé en 2006. Dans cet appartement familial d’Agouza, au décor oriental et lambrissé de boiseries, les bouquins s’entassent en pile. Sociologie, politique ou histoire, tout est bon pour mieux percer les secrets de ce monde en mutation. L’auteur qui a fait des études de sciences politiques n’aime-t-il pas inventer des fictions sociologiques, faisant de l’homme de la rue un héros ? Si dans Taxi, Contes d’itinéraires, il avait repéré les signes avant-coureurs de l’effritement du pouvoir égyptien, en s’entretenant avec cinquante-huit chauffeurs de taxi du Caire, dans l’Arche de Noé (à paraître chez Actes Sud) il évoque le drame des immigrants ravagés par le sentiment que le pays ne peut plus les intégrer, qui partent à la recherche d’autres destinations. L’auteur recourt toujours à la forme littéraire du maqâma, fondée sur des dialogues, un genre de récits narratifs qui dressent un état des lieux de la société et réfléchissent

son âme. « Mon écriture est très spontanée, elle surgit de l’inconscient. À chaque fois que je décide de traiter un sujet, je me retrouve en train d’en aborder un autre ». Mais le politique s’impose comme un constat. En fait, Khaled Al Khamissi pense que c’est le dénominateur commun qui unit les générations, la sienne et celle de son père, également écrivain et scénariste (mort en 1987). « La littérature en Égypte a toujours eu un lien organique avec le sociopolitique… On ne peut les dissocier, contrairement à l’Europe. Ici, la préoccupation politique persiste, malgré nous. Gamal El-Ghitany par exemple faisait partie des communistes, Naguib Mahfouz était partisan du Wafd libéral, etc. Il y a eu une sorte de parenthèse entre 1990 et 2003, avec l’émergence de certains noms qui ont voulu séparer les deux contextes, mais leur écriture n’a pas eu beaucoup d’échos, car ils vivaient dans un ghetto », fait remarquer Al Khamissi, issu d’une famille d’intellectuels. Les signes du soulèvement culturel Le temps de l’écriture n’étant pas celui de la révolution, il faut quand même du temps et de la distance pour que l’écrivain parvienne à réinventer l’imaginaire et repenser l’événement qu’est le printemps arabe. Al Khamissi avance l’exemple de la Trilogie de Mahfouz qui se déroulait sur fond de révolution, celle de 1919, mais qui n’a été conçue que trente ans plus tard. Il ajoute : « Il faut que le vase déborde pour commencer à écrire. Le roman et la nouvelle exigent un certain temps de décantation. Contrairement à la poésie dont la création est plus impulsive, car elle relève de l’exubérance des sentiments, de l’émotion ». Le chant également reflète à ses yeux un véritable art de la révolution, à même de dépeindre les mouvements sociaux des cinq dernières années. Le boom des groupes underground en témoigne, en effet. « Ces formations mélangent chants et poèmes avec brio. D’autres compagnies théâtrales associent narration ou contes aux formes plus classiques. Sans oublier le ‹ stand up comedy ›. De même, le nombre d’éditeurs et de libraires s’est considérablement accru. Il s’agit là d’indicateurs du soulèvement culturel, exprimant un certain degré de hargne ». Pour Al Khamissi, ce sont ces mêmes personnes, à la recherche d’alternatives culturelles, qui ont fait la révolution. « Un noyau dur de 5 à 10 millions de personnes qui ont la capacité d’opérer un changement et qui, pour un bon moment, seront en conflit avec le reste des 80 millions, soit l’ensemble de la population. Les œuvres littéraires répercuteront ce conflit, à travers notamment des créations de résistance, jusqu’à l’avènement ou l’échec d’un État plus rationnel. Les quelques publications sorties jusqu’à présent ont été médiocres, sinon catastrophiques », précise l’auteur. Le processus est encore long, et en attendant on aura droit à des démarches instantanées dont le but n’est pas de créer des œuvres d’art durable, mais de faire écho aux revendications et préoccupations populaires.

Dalia Chams est journaliste égyptienne et travaille à l’hebdomadaire francophone Al-Ahram Hebdo et au quotidien arabe Al-Chorouk. Elle vit au Caire et ses articles ont souvent pour thèmes la culture, les médias et la société.

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Un message pour les Égyptiens, mais davantage encore pour le reste du monde : durant les premiers jours de la révolution, aucun média égyptien ne rendit compte des évènements, au contraire des médias étrangers. Photo : Lobna Tarek

Le festival des arts de la rue El Fan Medan a lieu tous les mois: ses organisateurs invitent toujours, outre des musiciens modernes et engagés politiquement, un orchestre populaire: la formation Hasaballah joue, depuis des années, dans les mariages, les écoles et les festivals. Photo : Magdi Ibrahim

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D

epuis qu’au XIXe siècle, les Polonais se sont engagés dans la lutte pour l’indépendance, la résistance à la domination étrangère s’est inscrite au cœur de la tradition. Sauf durant la période, relativement courte, du stalinisme (1949–1954), la Pologne de l’aprèsguerre s’est inventé des formes de liberté que peu d’autres pays du bloc communiste ont connues. Un mouvement auquel ont constamment participé les milieux culturels, les artistes et les intellectuels du pays.

les moyens des jeunes artistes. C’est sans doute pour cela que le conceptualisme s’abattit sur la Pologne tel une déferlante, donnant lieu à un foisonnement d’événements qui se déroulèrent, presque sans exception, en dehors d’une scène officielle de plus en plus sclérosée. Sa rigueur intellectuelle se fit d’ailleurs sentir dans le travail des générations suivantes, en quête de modèles reflétant les questions philosophiques et éthiques posées par l’art de leur époque. Raidissement de la censure

Parmi les interventions publiques les plus significatives des années 1970 et 1980, citons celles de la troupe de performance Akademia Le dégel culturel et artistique avait commencé dès 1955, et les mi- Ruchu (Academy of Movement). Ayant pour cadre les lieux les plus lieux réduits au silence par l’avènement du stalinisme, en 1949, divers, le spectacle avait souvent le caractère de tableaux vivants, avaient repris leurs activités. Groupes, clubs et galeries émergeaient certains faisant allusion, sous une forme ritualisée, à des faits dans plusieurs villes, et le pays historiques. Le groupe essayait entier bouillonnait des expésouvent d’impliquer des pasriences artistiques les plus disants dans ses performances de verses. Rejetant le réalisme sorue, de façon à révéler les aspects du quotidien les moins cialiste, seul style officiellement reluisants ou les plus ouverteadmis, beaucoup d’artistes se tournèrent vers l’art abstrait. ment scabreux. C’est la veille du Des groupes soudainement poréveillon de Noël 1979, avec pulaires reprirent des galeries pour toile de fond l’immense municipales qui servirent duet très stalinien palais de la culture, qu’il donna, par un rant toute la décennie suivante de plateformes aux représenfroid glacial, devant des gens faitants les plus extrêmes du jeune sant la queue à la porte de bouart polonais. Cette effervescence tiques mal achalandées, l’émoupréfigurait les changements povante interprétation d’Europa, Quel rôle les artistes peuvent-ils jouer en litiques et sociaux à venir. N’oupoème d’Anatol Stern écrit en 1929. Éclairés par des phares blions pas que les révoltes oupériode de bouleversement social et politique ? vrières de Poznán n’ont eu lieu d’automobiles, des personnages Alors que les yeux sont tournés vers l’Égypte, qu’en juin 1956 et les vraies répauvrement vêtus brandissaient l’histoire de l’Europe de l’Est ressurgit formes seulement en octobre de des banderoles sur lesquelles telle une référence. Historienne de l’art et était écrit le vers du poème de cette même année. Dans les années 1970, la Stern « Nous qui mangeons de curatrice, Anda Rottenberg se souvient du Pologne vit une nouvelle péla viande une fois par mois… » passé politique de son pays, la Pologne, et de riode d’intenses conflits soRenvoyant aux pénuries perla part que les artistes, avec une énergie peu ciaux, pour la plupart larvés. manentes dont souffrait l’écocommune, ont prise au combat. nomie communiste, ce mot Inquiètes des mouvements ouvriers les plus visibles, les auto« viande » était alors fort mal vu rités fermèrent les yeux sur des de la censure polonaise car il par Anda Rottenberg expériences artistiques jugées mettait le doigt sur la plaie. Un an plus tard, la réalité allait déanodines, laissant du coup une relative liberté aux arts visuels. L’art abstrait ne fut plus considéré passer la fiction : les magasins du pays n’avaient plus en stock que comme une menace pour le régime, occupé maintenant à faire la du vinaigre. Quinze mois plus tard, des véhicules de transport de chasse à toute œuvre porteuse d’un message social ou politique troupes blindés et des braseros autour desquels se pressaient les clair. La première liberté visée fut celle de créer, au demeurant dif- soldats firent leur apparition dans les rues. Comme la plupart des ficile à dissocier, dans un régime socialiste, de la liberté civique en Polonais opprimés, les artistes se joignirent au mouvement de progénéral. Il est apparu, avec les années, que le régime craignait testation contre la loi martiale imposée le 13 décembre 1981 par moins l’art purement formel que l’art socialement engagé. l’armée. Un mouvement conduit par Solidarnosc. Un autre facteur d’émancipation fut le conceptualisme. Il investit la photographie, les actions publiques, les performances, les Épanouissement artistique dans les années 1980 objets de tous les jours, les tracts, les papillons. Plus besoin, du coup, Vers 1980 apparut, toutes tendances précédentes confondues, une pour avoir une pratique artistique, de fournitures dépassant souvent nette cassure dans l’art polonais. Seule une minorité d’artistes, le L’art anticipe le changement social

Le milieu culturel polonais en résistance

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plus souvent médiocres, optèrent pour le traitement de faveur proposé sous la loi martiale. Les autres essayèrent d’exprimer leur désaccord, sans pour autant adhérer par milliers au même mouvement alternatif. Tout en perpétuant la tendance esthétisante des années 1950 et 1960, les artistes cherchèrent de nouveaux canaux où exprimer leur liberté artistique. Dans le champ séparant l’art officiel de l’underground se profila également l’art patriotique,

la première à apprendre le métier sans aucune aide financière ni soutien d’aucune sorte des pouvoirs publics. Une génération, on le comprit, déterminée à n’être redevable de rien à l’État. Ce mouvement d’émancipation gagna la musique, le théâtre, la littérature et le journalisme (à savoir la presse underground). Quand la culture polonaise pratiquement tout entière se fut affirmée indépendante, l’État n’eut d’autre choix que de se mettre à discuter sérieusement avec l’opposition, ce qui permit aux forces politiques du pays d’interagir librement au sein de la nouvelle démocratie et conduisit aux élections du 4 juin 1989.

Renvoyant aux pénuries permanentes dont souffrait l’économie communiste, ce mot ‹ viande › était alors fort mal vu de la censure polonaise car il mettait le doigt sur la plaie. avec son fatras d’icônes idéologiques. Sur ce paysage la toute dernière génération d’artistes fit souffler un vent nouveau, elle dont les jeux sémantiques postmodernes dynamitaient pathos et grandiloquence. Ayant fait ses débuts sous la loi martiale, cette génération avait davantage de raisons que ses contemporains étrangers d’adopter le néo-expressionnisme. Malgré les difficultés qu’éprouvaient dans les années 1980 une société et une sphère artistique polonaises divisées et peinant à trouver leur souffle, la nouvelle génération se montrait vigoureuse, pénétrante et déterminée. Partout où c’était possible se tenaient des expositions alternatives, souvent dans des lieux en rapport avec l’Église, mais aussi dans de simples appartements ou des institutions tant soit peu indépendantes des autorités. Les conditions sociales qui prévalaient sous la loi martiale conduisirent à l’émergence de nombreux groupes d’artistes nouveaux. Les institutions qui jusque-là avaient soutenu le circuit artistique ayant pratiquement disparu, les artistes, instinctivement, se regroupèrent pour défendre leurs intérêts, mais aussi pour se donner une plus grande résonance. Grâce aux groupes ainsi constitués, des artistes parvinrent à générer ensemble une valeur ajoutée que n’eût jamais permise la solitude des studios. On leur doit des performances et des récitals basés sur une poésie de l’absurde, sans précédent dans l’art polonais. De mauvais goût, souvent vulgaires et choquantes, transgressant allègrement les limites de la bienséance, ces productions tenaient de la sous-culture anarchisante étroitement liée à la musique punk qui se développait alors dans les zones urbaines. Ce n’est qu’après plusieurs années de cette manifestation d’indépendance collective – chère à tous les groupes – que les artistes commencèrent à prendre des voies séparées et à s’affirmer individuellement. Expression of the Eighties, exposition organisée durant l’été 1986 à la galerie d’art contemporain Sopot, censée offrir une vitrine à une génération parvenue à maturité dans un contexte politique difficile, fut la première rétrospective digne de ce nom consacrée aux jeunes artistes de cette décennie. Le mot « expression » s’avéra mal choisi, trop général pour s’appliquer à la totalité des œuvres présentées, au nombre desquelles les groupes dont il vient d’être question et beaucoup d’autres, venus de toutes les régions de la Pologne. L’exposition fut en tout cas un hommage à la fécondité de la génération d’artistes polonais des années 1980,

Historienne de l’art, critique d’art et auteur, Anda Rottenberg vit à Varsovie. Traduit de l’anglais par Michel Schnarenberger

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Vision de liberté en dépit des murs: de jeunes artistes et activistes se fraient, par la peinture, un chemin à travers les barrages routiers érigés par l’armée près du Ministère de l’intérieur. Photo : Achmed Abdel Latif

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H eu R e L o Ca L e

san francisco

new york

paris

rome

VarsoVie

le caire

joHannesburg

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sHangHai

La Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia entretient plusieurs permanences dans le monde entier. Celles-ci ont pour tâches de stimuler les échanges culturels et de développer des réseaux culturels.

Rester hors des sentiers battus new york

Se faire une place sur la scène artistique new-yorkaise n’est pas facile. après des débuts modestes – deux pièces exiguës et un staff de volontaires –, le Swiss Institute New York (SINY) s’enorgueillit aujourd’hui d’un ample espace d’exposition dans un des lieux les plus branchés du SoHo. Directeur et curateur du SINY, Gianni Jetzer a réussi à en faire une galerie respectée, connue pour l’originalité de ses sujets d’exposition.

Propos recueillis par Karin Kamp

Représentant un petit pays européen, comment êtes-vous parvenu à vous faire un nom sur une scène aussi concurrentielle que New York ? Tout naturellement, en somme, car le design, l’architecture et l’art contemporain « made in Switzerland » ne doivent rien à personne. C’est un de nos premiers produits d’exportation et nous avons des artistes remarquables. Notre succès ? Nous avons pris l’option, il y a dix ans, de privilégier l’art contemporain, et ceci explique sans doute cela. Le tout est de trouver des sujets qui intéressent les New-yorkais.

S’intéressent-ils vraiment à l’art suisse ? La preuve en est que beaucoup d’artistes suisses y réussissent sans notre aide. Pipilotti Rist expose au Museum of Modern art, urs Fischer au New Museum, Christian Marclay au Whitney Museum of american art. olaf Breuning, Christoph Büchel, Fischli/Weiss, Thomas Hirschhorn, Valentin Carron, andro Wekua, Pamela Rosenkranz et Hubbard/Birchler ont tous leurs entrées dans les galeries de New York. Mais la concurrence est rude ; on n’a pas attendu les Suisses pour faire voir de l’art contemporain. Il faut être très inventif, titiller constamment une curiosité naturelle. La notoriété est à ce prix. Notre mission est de montrer l’art suisse sous de Heu r e lo cale 28

nouvelles perspectives, à la fois surprenantes et rafraîchissantes. Vos stratégies ? Nous sommes les seuls à encourager par le biais de l’art contemporain le dialogue entre les communautés artistiques américaine et suisse. Nous exposons également des artistes américains. Par exemple, tout récemment, le cinéaste américain Harmony Korine et la peintre hongroise Rita ackermann, qui vit à New York. ayant appris qu’ils travaillaient à titre privé sur des projets communs, je leur ai proposé de faire une exposition ensemble, ce que personne d’autre, je pense, ne fait actuellement. Ce sont deux artistes connus, et leur offrir l’occasion d’exposer ensemble était un pari un peu fou. Nous leur avons donné carte blanche. Ils ont pris des plans fixes de films, qu’ils ont gonflés sur du vinyle et de la toile, puis ils ont peint par-dessus. C’était extraordinaire et l’exposition a été un succès. Développer des partenariats a également été pour nous une stratégie très importante. Quel genre de partenariats ? J’ai par exemple appris l’an dernier que l’éditeur new-yorkais Rizzoli allait sortir un livre sur Karlheinz Weinberger, un photographe suisse, aujourd’hui décédé. J’ai toujours été passionné par cet homme, mais le livre, qui contient surtout des tirages récents, sur du papier neuf, m’a un peu laissé sur ma faim. Je me suis rendu en Suisse, où j’ai vu toutes ses anciennes épreuves des années 1950 et 1960, un peu rayées et tachées, tirées sur le papier photo très épais qu’il utilisait à l’époque. J’ai obtenu l’autorisation de les exposer, et j’ai tout de suite pensé à utiliser des cadres


Photo : Swiss Institute New York

caissons, solution idéale pour donner à sentir le poids du papier. Idéale, mais chère. Il me fallait donc absolument trouver un partenaire qui aide à financer l’exposition. Je me suis adressé à la Presentation House Gallery de Vancouver, institution photographique sans doute la plus prestigieuse du Canada, qui a été d’accord de s’associer au projet. après le Canada, cette exposition, la première pour les anciennes épreuves de Weinberger jamais mise sur pied par une institution, a fait étape à New York et, en janvier dernier, à Bâle. Nikola Dietrich, le curateur du Museum für Gegenwartskunst de Bâle, qui l’a vue à New York, l’a trouvée formidable. Le plus important dans ce métier est de prendre le temps d’écouter sa voix intérieure. À moi, cette voix a dit : « J’adore Weinberger, mais où donc sont passées ses anciennes épreuves ? »

À propos de voix intérieure, il arrive aussi que l’on se trompe, non ? Ce n’est pas la même chose que piloter un hélicoptère, où l’erreur ne pardonne pas. Il faut tout le temps corriger le tir, chercher la bonne voie ; chaque exposition est différente. Ma toute première expérience newyorkaise de curateur, en 2006, avait pour titre Housewarming (pendaison de crémaillère). elle n’a pas eu le succès que nous espérions mais elle m’a fait comprendre qu’il fallait aux New-Yorkais des titres plus accrocheurs, plus flamboyants. La fréquentation est-elle votre plus grand problème ? Depuis que nous avons pignon sur rue, ce n’est plus vraiment un problème. au début, en 2006, nous avions environ 4000 visiteurs par an. Maintenant, nous en avons le triple et en attendons 15 000 pour 2012.

« Je m’intéresse aux positions hautement originales et à la qualité artistique. » Gianni Jetzer et son équipe : de droite à gauche, Stephanie Krueger, Clément Delépine et Piper Marshall.

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Tout ce qui est mesurable – visiteurs, financement et couverture de presse – a fait un bond spectaculaire au cours des cinq dernières années. Directeur depuis septembre 2006, quelle a été votre expérience la plus importante ? Il est tout même étonnant que nous nous trouvions aujourd’hui dans de tels locaux. C’est le fruit de beaucoup de travail, de magnifiques expositions et d’une belle rigueur financière. Sans quoi on ne nous aurait jamais permis de déménager, car nous payons ici un loyer beaucoup plus élevé. Le bâtiment, indépendant et ouvert sur la rue, dans lequel nous nous trouvons depuis septembre était autrefois un centre de service pour poids lourds au long cours. Il a été refait spécialement pour y exposer de l’art contemporain. C’est un lieu magnifique, avec des plafonds de huit mètres de haut, dans lesquels des ouvertures vitrées laissent passer la lumière du jour. La devanture change complètement la donne. Nous étions avant au troisième étage d’un immeuble d’une zone très animée de Broadway. Le temps de sonner, d’attendre l’ascenseur, il fallait bien compter cinq minutes avant de parvenir à la galerie. Il y a ici beaucoup plus de place et beaucoup plus de monde qui pousse la porte par curiosité. La première exposition que nous y avons organisée a duré six semaines et nous avons eu 2600 visiteurs. Et quels sont maintenant vos projets ? L’important, je pense, est de ne pas faire d’une galerie une entreprise, de ne pas trop lisser notre profil et devenir trop design. Nous garderons une certaine rugosité. À New York, avoir une grande galerie signifie que vous avez beaucoup d’argent et que les artistes que vous exposez font également partie de cette catégorie-là. Ce qui n’est pas notre cas. Je ne tiens pas à plaire aux foules ni à faire comme tout le monde. Je m’intéresse aux positions hautement originales et à la qualité artistique. Idéalement, notre galerie doit être un lieu où l’on bouscule les conventions, où s’entrecroisent des idées et des mentalités. Notre mission consiste pour partie à encourager le dialogue entre les communautés new-yorkaises, et nous devrions donc accentuer ce côté où les gens viennent ici pour passer un moment à discuter d’art. Nous avons le projet d’inviter à la galerie des enfants qui appren-


Comment vous êtes-vous positionné relativement à d’autres instituts nationaux ? La plupart ont une optique beaucoup plus nationale, alors que nous exposons, nous, de l’art contemporain. et nous sommes indépendants. au début, nous étions entièrement financés par des particuliers, sans aucun argent public. Pro Helvetia n’est arrivée que beaucoup plus tard. et quand elle est arrivée, elle nous a laissé toute la liberté dont nous avions besoin pour être crédibles sur la scène artistique, ce qui n’est pas rien. Ils savent, à la Fondation, que le XXIe siècle n’est pas celui des iconographies nationales. La Suisse fait partie du monde, et c’est cela que nous voulons représenter et que veut représenter Pro Helvetia. Il ne s’agit pas de fondue au fromage et de jodel. Il en va de notre avenir à tous. Vous bénéficiez également d’un financement du département new-yorkais des affaires culturelles ainsi que du Council on the Arts de l’État de New York. Est-ce inhabituel ? oui. Cela a commencé il y a quatre ans, et la valeur symbolique de cet argent – il ne s’agit pas d’une grosse somme – est très importante. C’est un signe de notre qualité, un signe que l’on reconnaît que nous fournissons une contribution importante à l’art contemporain qui se fait à New York. C’est un immense compliment, car ce ne sont pas les institutions en quête de fonds qui manquent. www.swissinstitute.net Gianni Jetzer a pris ses fonctions de directeur et de curateur du Swiss Institute New York en 2006. Il avait été auparavant le directeur de la Kunsthalle St. Gallen et le curateur du Migros Museum für Gegenwartskunst à Zurich. Il sera commissaire, en 2012, de la section art unlimited de art Basel. Karin Kamp est journaliste indépendante et productrice, elle vit à New York. elle a travaillé pour le Public Broadcasting Service (PBS), la radio et swissinfo.ch. Traduit de l’anglais par Michel Schnarenberger

Cosmos des passions paris

amateur d’art, expert en sciences naturelles, noctambule et photographe – le Centre Culturel Suisse de Paris expose en grande première les œuvres du cabinet de curiosités d’andreas Züst.

La nature morte de Walter Pfeiffer, datant de 1993, est l’une des œuvres de la collection Züst présentée dans l’exposition parisienne.

par Barbara Basting – Collectionneur de cercles et de giratoires, il a sillonné le monde pour les photographier. Mille curiosités et autres merveilles, de la dent de cétacé à la pierre en forme de tête de mort, ont attisé son intérêt. Disques et livres, cela va de soi, et de préférence ceux consacrés aux nuages et au temps. un mélange des plus insolites : dans sa bibliothèque comptant 12 000 titres désormais répertoriés en ligne, l’International Cloud Atlas de 1896 ou la Meteorologia Philosophica-Politica de Franciscus Reinzer de 1712 côtoient La ballade de la neige de Gerhard Meier ou Le Faiseur de temps de Peter Weber. Heu r e lo cale 30

Qu’andreas Züst ait été un collectionneur passionné de livres et de disques était connu de ses amis. Mais seule une exposition au Kunsthaus d’aarau, inaugurée après sa mort, a révélé l’enthousiasme avec lequel il fut également amateur d’art. au fil des ans, il fit l’acquisition de quelque 1500 œuvres, non pas suivant la mode du moment, mais parce qu’il connaissait les artistes et qu’il se sentait lié à leur personne et à leur œuvre. Il semblerait qu’il se soit découvert des affinités avec certains de ces artistes, dont les œuvres acquises par ses soins sont désormais exposées au Centre Culturel Suisse de Paris : Dieter Roth notamment, avec son plaisir baroque pour

Photo : David aebi; © aargauer Kunsthaus

draient à servir de guides à d’autres enfants et donneraient leur sentiment sur ce qui y est exposé. Le but est de les aider à se faire leur propre opinion et à se défaire de l’idée qu’il y a une seule « bonne » façon de considérer l’art.


Photo : autoportrait d’andreas Züst

l’expérimentation, Jean-Frédéric Schnyder et son intuition pour le côté absurde du quotidien ou encore alex Hanimann, l’analyste minutieux de la langue et de l’image. Le collectionneur d’individus or l’activité de collectionneur d’andreas Züst, fils d’un éditeur fortuné, recèle également un aspect monstrueux, mis à jour comme une évidence dans sa collection d’art constituée presque en passant : ce que Züst collectionnait, c’était les gens. Dans sa tournée des bars zurichois et sur la scène culturelle alternative, il les dénichait et accueillait ceux qui le fascinaient sur le plan artistique dans son réseau de relations. Si la sympathie était au rendezvous, il les invitait dans sa maison Spiegelberg à Wernetshausen ; là, il leur achetait des œuvres. et il les prenait tous en photo. Ces photographies, il les a publiées dans d’épais volumes semblables à des annuaires téléphonique : Connaissances connues et Connaissances connues 2. un honneur à double tranchant : que signifiait le fait de figurer dans ces annuaires ? S’agissait-il d’un label de qualité, de la preuve qu’on « en était » ? Mais être de quoi ? et pourquoi ? Faisait-on partie d’une sorte de collection de papillons, désormais livrée au voyeurisme d’une scène culturelle vaniteuse ? Züst se considérait-il peutêtre comme le documentariste d’une ère en plein bouleversement ? Qui était réellement ce collectionneur chercheur ou chercheur collectionneur ? Sur le site consacré à sa personne et à ses œuvres posthumes, on trouve une première information : « andreas Züst (1947–2000) fut photographe, peintre, collectionneur d’art, noctambule, éditeur, producteur de films, bibliomane, expert en sciences naturelles et mécène ». une énumération qui nourrit un soupçon : ayant fait des études de glaciologie, Züst connaissait parfaitement le mode de pensée des sciences modernes. or son activité de collectionneur renvoie davantage aux chambres d’art et de merveilles : créées au début de l’époque moderne, elles célébraient non seulement la curiosité et l’esprit de chercheur de leur propriétaire, mais aussi l’étendue de son savoir, et elles étaient considérées comme une attraction loin à la ronde.

De nos jours, elles représentent une vision du monde prémoderne, dans laquelle la soif d’expérimentation scientifique et l’élan artistique vont encore de pair. Dans les cabinets de curiosités d’autrefois, des appareillages de perception de toutes sortes, comme des verres taillés grossissants ou des « camera obscura », faisaient déjà le lien entre les différents domaines. on les retrouve chez Züst sous la forme d’appareils photo ou de caméras avec chambre noire. un autre coup d’œil dans la bibliothèque de Züst renforce encore cette impression : les volumes consacrés aux phénomènes météorologiques côtoient des ouvrages de géologie, biologie et botanique (sans oublier une collection de premier choix sur la recherche polaire, aujourd’hui vendue). Mais par ailleurs, on découvre de nombreux titres sur le cannabis, les hallucinogènes, les beatnik et l’underground, brûlante antithèse à la froideur de la science. D’autres parties de la bibliothèque contribuent à cet effet dialogique-dialectique : 26 titres sont consacrés au folklore et coutumes de Suisse – 11 aux embrouilles financières et à la corruption dans son pays. Les bandes dessinées sont loin d’être en reste, et pas moins de 900 titres sont dédiés à la photographie. L’existence comme œuvre d’art totale au travers des collections d’andreas Züst point l’image d’un homme déchiré entre

deux interprétations du monde, la scientifique et l’artistique. Il semblerait qu’il ait cédé à la nostalgie de recréer, ne serait-ce qu’une seule fois, pour lui-même et pour son cercle d’amis, une cohérence du monde sécurisante, afin de vaincre un savoir en passe de voler en éclats et l’implosion des représentations du monde. Chaque collectionneur se crée son petit univers privé. or andreas Züst a transcendé cette forme d’autoréflexion : il a conçu un microcosme aux entrées, sorties et rapprochements les plus divers, permettant ainsi à autrui d’y accéder. un projet social, une utopie en petit format. Le fossé entre les « deux cultures », les sciences et les humanités, diagnostiqué pour la première fois dans les années 1950 par Charles P. Snow, caractérise plus que jamais notre vision du monde. Loin d’être naïf, andreas Züst en était tout à fait conscient. Mais il pressentait que l’expérimentation esthétique, du moment qu’elle incluait, comme ce fut le cas pour lui, une forme de vie, représentait l’ultime tentative de franchir ce fossé. Dans ce contexte, l’œuvre la plus réussie de Züst est sans doute la série de diapositives intitulée Ciel et consacrée aux phénomènes célestes. Clins d’œil légèrement ironiques, ces diapositives essaient de concilier les contradictions entre description scientifiquement précise et fascination esthétique, entre document et monde évanescent des rêves. elles conduisent au centre névralgique d’une œuvre d’art totale, miroir de son existence. L’exposition Météorologies mentales : Œuvres de la collection Andreas Züst sera présentée au Centre Culturel Suisse de Paris jusqu’au 15 juillet. on y verra en particulier des œuvres de David Weiss et de Dieter Roth. Les 30 et 31 mai, Peter Mettler et Fred Frith donneront une performance cinématographique et musicale. www.ccsparis.com www.andreaszuest.net Barbara Basting a étudié les langues et littératures allemande et romane ainsi que la philosophie à Constance et Paris. elle est rédactrice culturelle en chef auprès de Schweizer Radio DRS2. Traduit de l’allemand par anne Peiry-Schmidt

Qui était-il réellement, ce collectionneur chercheur ou chercheur collectionneur ?

H e u r e lo cale 31


R EP oR TAGE

Dormir avec des étrangers Une installation et performance de trois jeunes artistes suisses donne au public l’occasion d’explorer les frontières entre rêve et réalité, entre expérience individuelle et collective : Trouble Rainbow, une expédition en pays onirique à Los Angeles. par Liz Armstrong (texte) et Logan White (photos)

Nous avons abandonné nos chaussures, sacs ou téléphones portables à l’entrée. C’était la condition de notre accès à un environnement conçu pour explorer le cœur de la réalité, invoquant une intimité immédiate qui allait durer douze heures complètes. Nous étions là pour rêver, littéralement, et cela en compagnie de n’importe qui d’autre présent ce même soir. L’installation complexe, qui bénéficie du soutien de Pro Helvetia et de swissnex San Francisco, s’intitule Trouble Rainbow. Le projet a démarré en 2011 à Rome, par un abri pour un ermite imaginaire. Pour son deuxième volet, dédié au sommeil, les artistes suisses Claudia Comte, Athene Galiciadis et Mélodie Mousset ont transformé la galerie Favorite Goods, située dans le Chinatown de Los Angeles, en ce qu’elles nomment un « dortoir fantastique inspiré du modernisme ». Car l’installation implique une série de sleepovers, autrement dit de soirées pyjama. « Nous ne savons pas ce qui va se passer, en proposant ce type d’événement social », dit Athene Galiciadis. « Nous ne voulons pas montrer

quelque chose aux gens, nous souhaitons plutôt les voir participer et expérimenter avec nous, par exemple sur la façon dont nos rêves sont influencés par la présence des autres. » Cette nuit-là, nous étions invités à dormir dans le cadre de performances musicales, la proposition, affichée comme événement social onirique, voulant investiguer l’inconscient collectif. Jouer le jeu C’est lorsque nous dormons que nous sommes le plus vulnérable ; nos sens, pendant les phases de sommeil léger, travaillent au ralenti. Et lorsqu’elle est dans cet espace entre veille et sommeil, dit Mélodie Mousset, il lui arrive souvent de ne pouvoir distinguer entre les deux. Des études sur le sommeil montrent cependant que l’information peut être perçue sans attention consciente. Familière du sleep concert, tout à la fois comme performeuse et auditrice, la programmatrice invitée, Kristin Thora Heraldsdottir, avait donc choisi des artistes qui créent « de la musique favorable au sommeil, attentive du


Pour leur expérience collective Pour leur expérience de rêve, les collective artistes de suisses rêve, les ont artistes transformé suisses la ont galerie transformé Favorite la galerie Favorite Goods Goods de Losde Angeles Los Angeles en un en un « dortoir fantastique, inspiré du modernisme modernisme». ».

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point de vue sonore aux états conscients sait penser à une batterie dégringolant des fonde relaxation. Il était autour de minuit, et inconscients ». escaliers dans le lointain. Cela m’a rappelé heure à laquelle toute autre fête un saLe phénomène est populaire depuis le léger crépitement que produit le cerveau medi soir commence à battre son plein. quelques années au California Institute of avant qu’il ne se calme véritablement, des La troisième performance, un mélange the Arts, que Mousset a fréquenté : les étu- sons qui ont finalement cédé la place au de synthétiseurs, s’est accompagnée de diants tiennent de grands sleepovers ac- tintinnement de clochettes et aux pulsa- danse. Deux femmes, Busy Gangnes et compagnés de performances sonores dans tions hypnotiques de xylophones. Fermant Alexa Weir, vêtues de pyjamas rayés et des maisons, mais aussi en plein air dans les yeux par intermittence, j’ai commencé partageant une immense culotte, se sont les collines alentour. Trouble Rainbow est à me sentir installée. Quand je les ai rou- lentement et méthodiquement dévêtues toutefois le premier événement pour entamer ensuite une de ce type dans une galerie, danse de somnambules synspécialement aménagée pour chrones. Lorsqu’elles se sont faciliter l’état de rêve. écroulées puis ont ressuscité, L’espace clos où l’on dort elles semblaient suggérer que est une cabine cubique, dont dans le monde des rêves, nous les murs sont faits de simples sommes libres. strates de gaze suspendues au plafond. Selon Galiciadis, Atmosphère onirique, entre veille et sommeil le tout représente « une grille ouverte, qui peut s’agrandir ou À ce moment donné, ne pouvant consulter mon portable, se rétrécir, comme un système vivant. » À l’intérieur, des maj’ai perdu la notion du temps. telas de mousse sur des plateTout ce que je sais, c’est que formes basses en bois sont dès la quatrième performance, disposés sur le pourtour, tanvocale cette fois-ci – odeya Nini modulait des syllabes dis que la literie dans des tons pastel forme de doux montid’une voix légèrement rauque, cules sculpturaux. Ludique magnifique –, tout le monde mais calme, le décor a inversé était silencieux et introspectif. le comportement qu’on a d’haLe grattement du stylo ou le clic de l’appareil photo m’ont bitude lorsqu’on entre dans soudain paru très inopporle lieu d’une réception ou d’un vernissage : nous étions appetuns. Je me suis laissé dériver. lés à nous asseoir côte à côte Est venue Chiara Giovando, sur des lits et à nous détendre, qui a simplement produit des ce qui est fondamentalement sons sinusoïdaux d’une pureté contraire à la logique d’un fortifiante, tout en nous enévénement social. courageant de la voix à ouvrir Quand le premier musinotre œil intérieur. J’étais parcien, le percussionniste expévenue au point où il fallait rimental Corey Fogel, a comdécider soit de rester éveillée et mencé à jouer, Mousset s’est d’écouter, soit de tenir compte exclamée : « Mettons-nous sous des besoins de mon corps et les couvertures et jouons ! » Je Les performeuses Busy Gangnes et Alexa Weir exécutent de m’endormir. Assez vite, ces leur danse de somnambules synchrones. me suis blottie à ses côtés, alors derniers l’ont emporté, et à qu’elle était encore à cet instant partir de là, je ne peux dire une étrangère, décidée à me avec certitude qui a joué quoi, laisser prendre au jeu de la familiarité im- verts pour voir où en étaient mes voisins, ce que j’ai peut-être manqué ou ce que j’ai médiate et de l’expérience ouverte. Ce fai- j’ai noté que certains regardaient la perfor- saisi ; mes notes se font erratiques et frôlent sant, je me suis sentie étonnamment à mance comme s’il s’agissait d’un concert l’incohérence. l’aise. Les participants ont formé de petits habituel, continuant à se focaliser sur l’exJ’allais et venais entre veille et sommeil, mais la journaliste en moi restait groupes accueillants, s’appuyant les uns térieur plutôt que sur l’intérieur. contre les autres, s’allongeant par-dessus ont suivi les sons superbes et an- alerte et j’ai réussi je ne sais comment à me des jambes, murmurant à l’oreille du voi- géliques de Cory Hanson. J’ai ôté mes réveiller par à-coups pour faire l’inventaire sin, le tout dans un cliquetis de ferraille lunettes et laissé mon regard se perdre, de ce qui se passait autour de moi. À les passée sur des tambours, des cymbales et tandis que les harmoniques doucement consulter par la suite toutefois, mes notes autres instruments de percussion, qui fai- frémissantes me berçaient vers une pro- ne portent pas sur mon environnement, Re po R tag e 34


Corey Fogel est un percussionniste expérimental dont les cliquètements, les tintements et les tapotis font penser à une batterie dégringolant les escaliers.

mais sur mes rêves. « Est-il dangereux d’aimer si fort qu’on en exploserait ? Est-ce soutenable ? Ne vaut-il pas mieux aimer à petit feu ? Un lent écoulement de ce qui s’échappe en premier, voilà le rebut du destin. Est-ce qu’on est alors en sûreté ? »

Coucher dans un lit à côté d’étrangers et se détendre au son de carillons éoliens : l’expérience de l’intimité.

Et ensuite : « L’amour crée des espaces qui vous masquent la vérité, puis les efface quand on est prêt. » Ah bon ! Le thème de l’amour. J’étais dans une expérience collective, je participais à une étude de nos interactions, et mon subconscient interprétait cela comme une expression de l’amour. À mes côtés, deux personnes qui s’étaient apparemment

rencontrées pour la première fois ce soir-là s’embrassaient gaiement, avec force petits rires, butant contre moi dans mon sommeil. Et à un moment donné, je me suis réveillée tenant la main d’un homme que je ne connaissais pas. Le lendemain matin J’ai ouvert les yeux aux alentours de neuf heures, tandis qu’une forte lumière blanche diffusait dans la pièce au son de ce qui ressemblait à un mariage au bord de l’eau. Deux femmes, chacune tenant un carillon à vent, ont alors soufflé sur leur instrument. Il était temps de me réveiller, et ce ne sont pas les petits murmures satisfaits qui me l’ont signalé, mais les assiettes en carton avec leurs restes de grappes de raisin : apparemment, j’avais raté le petitdéjeuner. Les doux carillons ont fait place au tintement du triangle, suivi de joyeux et bruyants coups de cymbale. L’événement était officiellement clos. Mais personne n’avait hâte de partir. J’ai parlé avec quelques-unes des personnes ayant passé toute la nuit là : des étrangers qui avaient en quelque sorte partagé ma couche. La plupart d’entre elles ne se souvenaient pas du tout de leurs rêves. Peu semblaient avoir eu un sommeil aussi profond que le mien. L’actrice, musicienne et orfèvre Zumi Rosow dit n’avoir presque pas dormi, préférant regarder les gens R e po Rtag e 35

émerger de leur somnolence puis sombrer à nouveau, selon des rythmes quelque peu chaotiques mais jamais violents. Elle a eu l’impression d’être comme un voyeur observant les gens entrer et sortir des différentes pièces. « Je me souviens que je me suis assoupie, puis réveillée au son d’instruments à corde venant de la chambre voisine. Et c’était si beau, je n’avais encore jamais rien entendu de pareil. » Pour Rosow, l’expérience a révélé des parallèles avec les vols de nuit : « on est dans cette situation bizarre d’intimité avec des étrangers, dans un endroit extra-ordinaire où la réalité est suspendue. Et nos modes de communication sont tellement liés à l’espace, quand on est si proches, on communique d’autres choses que d’habitude. » Dans notre cas toutefois, nous n’allions nulle part. La destination, s’il y en avait une, existait dans notre esprit, ou quelque part dans notre corps. Pourtant, après minuit, il y eut une heure où l’événement est devenu mouvement lucide, transférant les réalités du rêve à celles de l’état éveillé et inversement. Qui peut dire ce qui vaut plus la peine d’être exploré : nos mondes intérieurs ou nos expériences externes ? Trouble Rainbow a combiné les deux, nous emmenant en un lieu où nous n’avions pas à décider. Trouble Rainbow III sera montré à Zurich, Galerie Bolte Lang, en septembre 2012. www.favoritegoodslosangeles.com www.swissnexsanfrancisco.org L’écrivaine Liz Armstrong vit à Los Angeles et se consacre aux arts, à la culture et à la spiritualité, explorant dans son travail les méthodes subtiles de la perception et de la communication. Elle est actuellement rédactrice au magazine VICE, responsable pour la côte ouest des États-Unis. www.lizzyarmstrong.com Née à Macon dans l’État de Géorgie, Logan White vit et travaille actuellement à Los Angeles. Elle pratique la photographie depuis un cours d’été qu’elle a suivi à l’âge de 13 ans, a construit sa propre chambre obscure quand elle en avait 15 et a obtenu son diplôme de photographie en 2007 à la Rhode Island School of Design. www.loganwhitephoto.com Traduit de l’anglais par Anne Maurer


AC T UA L I T é S PRO H ELV E T I A

L’affiche d’une exposition sur Giovanni Segantini à Tokyo et Kobe, en 1978.

Voilà un site Internet riche de presque 300 documents – pour la plupart inédits et témoignant de la présence de la culture suisse dans le monde. Réalisés au cours du dernier siècle, articles de presse, émissions de radio, photos et affiches illustrent les échanges culturels de la Suisse avec l’étranger. On y trouve, par exemple, les affiches des premières expositions d’art suisse organisées au Japon dans les années 1970, un panorama de l’histoire du cinéma du XXe siècle, des émissions de radio portugaises sur la landsgemeinde de Glaris ou une émission en arabe sur Heidi, le livre de Johanna Spyri. On y entend également Paysmusique, l’installation sonore créée par Pierre Mariétan pour la présentation de la Suisse à l’ex-

position universelle de Séville en 1992. Autant de trouvailles offertes par cette plateforme qui s’articule autour des disciplines artistiques. A l’origine de ce site Internet, un projet de recherche du Fonds national suisse de la recherche scientifique et une thèse sur Pro Helvetia. La Suisse au miroir du monde a été créé en allemand, en français et en italien par l’Université de Fribourg afin que les nombreux documents soient accessibles à un large public : la programmation, la visualisation et la réalisation sont signées par l’Ecole des Métiers art et communication de Fribourg. www.miroirdumonde.ch

ACTU ALITÉS pr o h e Lv e T IA 36

Jouer pendant les Jeux Toutes les nations du monde se mesureront à Londres cet été, au cours des Jeux olympiques. La Suisse sera présente, non seulement sur les stades, mais aussi dans la House of Switzerland. Cette dernière accueille, en effet, dans ses murs le Swiss Game Lounge, où les jeux électroniques suisses les plus novateurs seront exposés. Ces dernières années, grâce à GameCulture, son programme de développement de jeux, Pro Helvetia a mis en place pour les acteurs de ce secteur un réseau dans lequel elle puise maintenant pour le Game Lounge : on verra à Londres ce qui se fait de mieux actuellement en Suisse en matière de design de jeux. Bitforge, un collectif de développeurs, présentera un jeu créé tout exprès pour l’occasion : un jeu d’adresse, un jeu jump’n’run et un jeu de réalité augmentée. Le 23 juillet, le Swiss Game Lounge deviendra le point de ralliement des spécialistes. Ce creative day rassemblera les spécialistes de l’industrie et des hautes écoles, le but étant de favoriser les échanges entre Suisses et Britanniques et de lancer de nouveaux projets et coopérations internationales. Le Swiss Game Lounge a été réalisé sous la conduite du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et de Présence Suisse, en collaboration avec la ville de Zurich, Pro Helvetia et la Haute école d’art et de design de Genève (HEAD). www.houseofswitzerland.org www.gameculture.ch Photo : Archives fédérales suisses

La Suisse au miroir du monde


Vive le mythe ! Guillaume Tell est l’un des drames politiques les plus anciens de langue allemande, mis en scène pour la première fois il y a 500 ans. Pour fêter cet anniversaire, Altdorf a décidé de jeter un œil par-dessus ses montagnes vers l’Iran, car la littérature perse connaît également un héros de la liberté. Le Shâh Nâmeh ou Livre des rois (vers 1000 apr. J.-C.) raconte l’histoire de Kaveh et du cruel souverain Zahhak. Dans la pièce Mythentausch (échange de mythes), les troupes de théâtre Mass & Fieber (Suisse) et Don Quixote (Téhéran) s’emparent chacune de l’épopée de l’autre culture et la mettent en scène. Ce faisant, elles s’encouragent mutuellement, participent à la pièce de leurs collègues ou les aident dans la traduction. Les deux représentations terminées, c’est au tour du public d’intervenir : ses échanges

avec les artistes dramatiques de Suisse et d’Iran lui permettent de clore la soirée sur une note toute personnelle. Par ailleurs, comme Altdorf, cette commune de Suisse centrale, souhaite aussi rappeler la longue tradition des « Jeux de Tell », elle propose la version originale de Guillaume Tell, Ein hüpsch Spyl gehalten zu Ury in der Eydgnoschafft, sous forme de théâtre de marionnettes. A cette occasion, la troupe de marionnettistes Gelb-Schwarz a adapté la version en moyen haut-allemand pour le public du XXIe siècle. Enfin, cet anniversaire ne pouvait se fêter sans le Guillaume Tell de Friedrich Schiller. Volker Hesse, lauréat de l’Anneau Hans Reinhart, offre une nouvelle mise en scène du drame, flanquée de musique et d’un chœur puissant. La première de Mythentausch aura lieu le 27 juillet, les Jeux de Tell d’Altdorf se déroulent du 18 août au 20 octobre. www.tellspiele-altdorf.ch

Cet opéra contemporain, avec Omar Ebrahim dans le rôle du roi Bâbur, partira en tournée en Angleterre cet été, en Inde l’hiver prochain. Photo : Brigitte Fässler

Le bureau de liaison de Pro Helvetia en Ville du Cap a fait ses valises et déménagé à Johannesburg le 1er février 2012. Ce déplacement au centre de l’Afrique du Sud rapproche la Fondation de ses partenaires les plus importants au Zimbabwe et en Mozambique et lui permet de renforcer les échanges culturels dans la région. Cela fait maintenant treize ans que la Fondation suisse pour la culture est présente en Afrique du Sud : le bureau de liaison s’engage en particulier dans les domaines de la danse, de la musique et de la médiation culturelle. Il encourage les contacts entre les milieux culturels de Suisse et ceux de l’Afrique méridionale, promeut les arts de Suisse en Afrique du Sud et réalise des programmes d’échanges pour les artistes des deux pays. www.prohelvetia.org.za

Le roi Bâbur à Londres

Qu’est-ce qui pousse des jeunes bien éduqués à devenir extrémistes ? Avec Babur in London, Jeet Thayil, écrivain indien, et Edward Rushton, compositeur

Transfert à Johannesburg

britannique vivant à Zurich, mettent en scène un opéra qui s’interroge sur les motifs du terrorisme moderne. Babur in London explore les relations complexes ACT U ALIT ÉS pr o h e Lv e T IA 37

unissant la foi, la politique et l’identité culturelle dans la société moderne. Le livret parle de quatre jeunes qui projettent un attentat. Apparaît alors Zahêr al-Din Muhammad Bâbur, le fondateur du premier Empire moghol de l’Inde. L’usage de cet artifice consistant à ressusciter Bâbur et le XVIe siècle et à les situer sur les bords de la Tamise est volontaire : personnage haut en couleur, Bâbur était à la fois un guerrier sanguinaire, un intellectuel et un poète. La nouvelle production de The Opera Group London a été créée en Suisse par l’Ensemble für Neue Musik Zürich. Soutenu par Pro Helvetia et le British Council, ce projet partira en tournée en Grande-Bretagne durant l’été puis en Inde en novembre, où l’opéra sera représenté dans cinq villes. Parallèlement, la production cherchera à nouer le dialogue avec le public, auquel elle proposera des débats publics et des ateliers, le but étant de le motiver – les jeunes surtout – à réfléchir au contenu de l’opéra. www.theoperagroup.co.uk/babur


Mesures d’incitation pour la promotion de la culture par des privés Le CNCA soutient la création artistique dans quatre secteurs : les livres et la lecture, la musique, l’audiovisuel et le Fondart, qui finance des projets régionaux et nationaux dans les domaines de la danse, du théâtre, des arts visuels et de l’artisanat. Suite à de nombreuses demandes, les arts du cirque, l’architecture, le dessin et les nouveaux médias sont venu s’y ajouter en 2011. D’autres moyens sont investis pour doter les régions et les provinces d’espaces appropriés pour la formation et pour la diffusion des arts. 51 centres culturels sont en construction dans tout le pays, ainsi que cinq grands théâtres régionaux. Parallèlement, le CNCA stimule les investissements privés pour la réalisation

PA R T E N A I R E

Le Chili mise sur la culture En seulement neuf années d’existence, le Conseil national de la culture et des arts (CNCA) a connu un développement considérable, tant sur le plan de la qualité des projets réalisés que du budget à sa disposition.

de projets culturels. Une stratégie pour la­ quelle son président, Luciano Cruz­Coke, ne ménage pas ses efforts. « Depuis 1991, une loi permet aux entreprises de déduire de leurs impôts 50 % de l’argent qu’elles versent pour des projets culturels (après approbation). En ce moment », indique Cruz­Coke, « nous procédons à une ré­ forme qui doit profiter à la fois aux dona­ teurs et aux bénéficiaires de cette aide. » La loi en vigueur a rendu possible des initiatives telles que la « Bibliothèque vi­ vante » (dix bibliothèques installées dans des centres commerciaux pour promou­

voir la culture, les livres et la lecture au­ près d’un public qui vit dans des régions en marge des circuits culturels) ou, par exemple, des concerts gratuits du violo­ niste Itzhak Perlman et du compositeur Ennio Morricone. « Une étude du CNCA a démontré que la culture participe avec 1.6 % au PIB na­ tional, un pourcentage supérieur à celui des secteurs de la pêche et des communi­ cations. Nous prouvons ainsi que le mythe de ‹ l’inutilité › des dépenses pour la culture est faux puisqu’elle fournit un apport réel au développement du pays. Les investisse­ ments étatiques ou privés destinés à pro­ mouvoir la culture sont une nécessité fon­ damentale », souligne le ministre. Encourager les échanges au niveau in­ ternational est un autre élément­clé des ac­ tivités du CNCA. Cette année, par exemple, le Chili sera l’invité d’honneur de la Foire du livre de Guadalajara – la plus importante de l’Amérique hispanophone – et en 2014, il organisera le Sommet mondial de la Fé­ dération internationale de conseils des arts et agences culturelles publiques (FICAAC). « Les statistiques montrent que ces dernières années, la production artistique a augmenté de manière exponentielle dans tous les domaines, de l’architecture contemporaine au théâtre en passant par le cinéma, avec des œuvres régulièrement présentées dans des festivals de grand re­ nom. Des manifestations culturelles, des salons des arts, de la musique et des festi­ vals de cinéma sont maintenant organisés dans des endroits aussi inhabituels que l’Île de Pâques », précise le ministre. Et d’ajouter qu’en 2010, année du tremblement de terre, « nous avons eu peur que le public intéressé diminue, mais il a au contraire légèrement augmenté, ce qui confirme que la culture est un élément fondamental de nos vies même lorsque des catastrophes naturelles nous affectent ». www.consejodelacultura.cl Mariel Jara est journaliste et gestionnaire de la culture, elle a étudié les sciences de la communication. Depuis cinq ans, elle est la correspondante de swissinfo au Chili et elle écrit aussi en tant que journaliste indépendante pour diverses publications locales. Traduit de l’espagnol par Marianne Honegger

PARTENAIRE : CoNsEIl NATIo NAl dE lA Cu lT uR E E T dE s AR T s 38

Illustration : Raffinerie

par Mariel Jara – « Nous avons effective­ ment connu un développement ‹ explosif › ! Pour nous, il était indispensable de rattra­ per le retard vécu pendant la dictature Pinochet ! Pendant ces années, les mani­ festations artistiques étaient considérées comme ‹ suspectes ›, ce qui a freiné toutes les activités dans le domaine des arts », nous dit Claudia Toro Caberletti, la respon­ sable du Fondart, institution embléma­ tique au sein du CNCA, organisme de l’État chilien chargé de promouvoir la culture. Dans les années 1990, Claudia a joué un rôle très actif dans la mise en place d’institutions culturelles au Chili, partici­ pant à la création du Fondart – premier fonds public pour la culture – et du CNCA en 2003. « C’est à cette époque que nous avons réellement commencé à fonctionner comme une structure publique, avec notre propre budget », se souvient­elle. En neuf années, cet organisme a pra­ tiquement quadruplé son budget. Il s’élève, pour 2012, à 66 milliardss de pesos chiliens (137,5 millions d’USD). « Nous savons que beaucoup de nos pays voisins aimeraient pouvoir disposer d’un tel budget », nous dit Claudia. Le Chili est actuellement le pays d’Amérique latine dont le pourcentage des dépenses publiques pour la culture est le plus élevé, soit 0,28 % (Argentine 0,2 ; Bré­ sil 0,18 ; Colombie 0,06 et Pérou 0,26). En chiffres réels, le Chili est en deuxième po­ sition après le Brésil.


CA RTE BL A NCHE

L’Appel de la Forêt Fin de roman

par Tommaso Soldini – Buck est en proie à un conflit intérieur, partagé entre son amour pour Jack Thornton, qui l’avait sauvé des ignobles brimades de ses an­ ciens maîtres, et l’appel de la forêt. Depuis quelque temps, il quitte le camp de base de ses amis humains pour s’aventurer dans les fourrés, à la recherche de ses nouveaux compagnons, de la bande de loups dont il est en train de devenir le guide. Mais sur lui plane Jack, son image, sa voix, qui pro­ nonce de douces insultes en le prenant par les oreilles et en le secouant de droite et de gauche. Et si le roman s’arrêtait là ? Avec un Buck déchiré par ce double appel, qui ne lui permet d’être ni un chien de traîneau fort et fidèle, ni un libre exterminateur de proies ? Jamais plus profondément lui­ même ? Je ne peux même pas m’imaginer combien d’encre aurait coulé sur les pages pour commenter, critiquer un choix aussi irrésolu. Ou peut­être que personne n’en aurait parlé, parce que L’Appel de la Forêt fait partie de ces livres relégués au rôle de récits pour enfants et, on le sait, la jeu­ nesse a besoin de certitudes. Comment expliquer aux générations futures que le sens de la vie est dans l’acceptation de constantes pulsions opposées ? Non. Il faut choisir. Couper. Oublier ce qui a été et plonger dans le nouveau, avec une paisible détermination. C’est peut­être pour cela que Jack London fait surgir du néant une troupe de peaux­rouges assoiffés de sang, qui tels une bande de prédateurs attaquent Jack Thornton et ses compagnons, les tuant tous. Buck arrive, il arrive et saisit entre ses crocs quelques Indiens, dans une tentative désespérée de rendre la pareille à son an­ cien sauveur. Mais il est trop tard, Jack est mort, il est parti, emportant avec lui le der­ nier lien avec la vie civilisée. À présent Buck est libre, il est loup. Peut­être que son hur­

lement à la lune gardera une note de mé­ lancolie différente, chargée de ce qui a été, mais qui saura la reconnaître ? C’est une fin certaine, indiscutable. Quand le lecteur referme le livre, il ne par­ vient pas tout de suite à se lever de son siège, de l’existence duquel il ne se rend à nouveau compte que maintenant, encore plongé qu’il est dans la vision des ronces traversées par la furie grise du chien dans la pénombre. C’est l’heure du souper, et les yeux embrumés errent à la recherche des casseroles et des ingrédients. Il y a de la résignation face à l’inéluctable, mais aussi une odeur de destin, la vision d’une griffe du chaos. Une fin aussi péremptoire, c’est vrai, empêche le lecteur de modeler sa propre vérité : il ne peut achever le récit à sa guise, mais combien de fois ne le fait­il pas ? Com­ bien de fois, arrivé à la fin, ne se sent­il pas écrasé entre une potentialité et l’autre, incapable de choisir, de savoir ? Le héros sort­il vainqueur ou vaincu ? Je ne suis pas un austère détracteur des fins ouvertes, mais il est une chose dont je suis assez convaincu : de temps en temps il est libéra­ teur de savoir comment cela finit, ne fût­ce CAR T E b lANCh E 39

que pour dire que nous aurions fait autre­ ment, ne fût­ce que pour être certain de quelque chose. Buck est dans la forêt, chaque fois que j’y pense, il est là­bas. Et parmi toutes les incertitudes du monde d’aujourd’hui, cette certitude un peu ma­ gique me réconforte. Tommaso Soldini, né en 1976, auteur de récits et de poèmes, est l’un des fondateurs de la revue culturelle tessinoise GroundZero. Il vit et travaille à Bellinzone. http ://c­comunicazione.ch/groundzero/ Pour lire la version originale italienne, consultez www.prohelvetia.ch/passages/it Traduit de l’italien par Christian Viredaz Illustration : Rahel Nicole Eisenring


Per fo r m ance 40


GA LERIE

Loan Nguyen Tennis, 2004 Série Mobile. Tirage photographique sur papier jet d’encre. 80 × 64 cm Durant ses études, Loan Nguyen a réalisé de nombreux autoportraits, des images parlant d’elle, de sa vie, de son entourage. Dans la série Mobile, en partie publiée, elle apparaît de loin, sans qu’on puisse la reconnaître, sous forme de petit personnage faisant un geste souvent ludique ou poétique, au milieu d’un paysage ou d’un lieu vide ou très graphique. Elle y voit une manière d’« habiter » le monde, d’y poser son empreinte le temps d’une photographie, mais aussi une façon plus universelle d’explorer ce que cela signifie pour tout un chacun d’« être dans le monde ». Loan Nguyen (*1977) vit et travaille à Lausanne. Elle a étudié à l’Ecole d’Arts Appliqués de Vevey et y a obtenu son diplôme en 2000. Après avoir participé à plusieurs expositions collectives, elle a présenté ses images dans une exposition individuelle à la galerie Esther Woerdehoff à Paris, qui la représente depuis lors. À partir de 2003, son travail est exposé à Berlin, à Los Angeles et au Fotomuseum de Winterthur. En 2007, elle a publié son deuxième livre, De retour, où elle raconte l’histoire de son père revenant au Vietnam après 38 années passées en Suisse. Elle projette de publier un nouveau volume de photographies extraites de la série Mobile. www.madameloan.com

La rubrique « Galerie » met en lumière l’œuvre d’un ou d’une artiste suisse.


Passages, le magazine de la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia, informe sur l’art et la culture de Suisse et sur ses échanges culturels avec le reste du monde. Passages paraît deux fois par an et il est diffusé dans plus de 60 pays – en allemand, français et anglais.


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Devenir artiste Être Artiste : une profession de rêve pour de nombreux jeunes, aujourd’hui. Or, la plupart du temps, la voie royale de l’épanouissement personnel se révèle être un parcours du combattant : peu parviennent à vivre de leur art, encore moins à accéder à la gloire tant convoitée. Comment devient-on artiste aujourd’hui ? Et comment les hautes écoles d’art préparent-elles leurs étudiants à leur vie professionnelle ? L’artiste du futur devra-t-il se faire entrepreneur ? Quelle part l’encouragement de la culture fera-t-il à la relève – en Suisse et ailleurs dans le monde ? Telles sont les questions que le prochain numéro de Passages se propose d’aborder. Il paraîtra fin novembre.

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Performance : le corps, le temps, l’espace No 57

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Papier, blog, tweet et tag No 56

Papier, blog, tweet et tag Les avatars du journalisme culturel Le globe-trotter et son carnet d’esquisses : Cosey en Inde | Le design suisse de jeux vidéo à San Francisco | CoNCA : un vent de renouveau souffle sur la culture catalane L E MAGAZIN E CU LT U R E L D E PR O HE LVE T IA, N O 5 6 , 2 /2 0 1 1

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Créativité et confrontation Les échanges culturels autour du monde Sur le canal de Suez : un artiste en quête d’indices | Objets de design : voyage au cœur de la créativité humaine | Expérimentations musicales : face à face entre chercheurs et bidouilleurs L E M AGAZ I N E C U LT U R E L D E P R O H E LV E T I A, N O 5 5 , 1 / 2 0 1 1

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« Un film sur la révolution ne peut pas se planifier » Marcy Goldberg, p. 6

Ainsi, des instances étatiques continuent à exercer la censure, sans faire le moindre cas des changements introduits par la révolution ni des appels à la liberté de pensée et d’expression. Un souffle de renouveau vite retombé Sayed Mahmoud Hassan, p. 8

Nous travaillons à établir les bases de la démocratie. Les jeunes doivent comprendre qu’ils peuvent jouer un rôle dans la société. Karen Daly-Gherabi La démocratie pierre à pierre Astrid Frefel, p. 19

D’autres compagnies théâtrales associent narration ou contes aux formes plus classiques. Sans oublier le ‹ stand up comedy ›. De même, le nombre d’éditeurs et de libraires s’est considérablement accru. Il s’agit là d’indicateurs du soulèvement culturel, exprimant un certain degré Créer pour échapper au chaos de hargne. Khaled Al Khamissi Dalia Chams, p. 21 www.prohelvetia.ch/passages

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