Passages n° 64

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Hors limites Frontières mouvantes, perméables, invisibles L’art de Suisse à Kochi : à la Biennale indienne L’âge de la maturité en Afrique du sud : le projet de mémoire de Mats Staub Opération Iceberg : une initiative en faveur des jeunes musiciens LE MAGAZINE CU LT U R E L DE PR O H E LV E T IA, NO 6 4 , 1 / 2 0 1 5


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Frontières mouvantes, perméables, invisibles

Le récit en images de Matthias Gnehm nous emporte en Chine. Sur la base de ses propres expériences dans l’Empire du Milieu, l’artiste zurichois nous raconte une histoire qui rappelle les diverses façons dont peuvent être vécues les frontières : celles, concrètes, que tracent une terre et une culture étrangères impliquant un ici et un ailleurs, mais aussi


les autres, plus subtiles, séparant voir et être vu, image et texte, légalité et illégalité, humour et sérieux. Ce récit en images introduit ainsi une perspective supplémentaire dans ce dossier, une autre réflexion sur les frontières, sur la possibilité de les déplacer et sur leurs répercussions.


2 – 31 DOSSIER

H   ors limites Matthias Gnehm a réalisé, tout exprès pour Passages, les illustrations qui a­ ccompagnent ce dossier. Né en 1970 à Zurich, cet artiste a fait des études d’architecture à l’École polytechnique fédérale et travaille depuis 1999 comme bédéiste et architecte indépendant. Parues en allemand et en français, ses œuvres ont fait l’objet de plusieurs expositions. En 2014, les éditions Hochparterre ont publié son huitième album de B. D., « Die kopierte Stadt » (la ville copiée), dont l’action se déroule à Zurich et à Kunming. Les recherches effectuées pour ce projet l’ont mené jusqu’à la ville interdite de Pékin. L’histoire créée pour Passages est une transposition ludique des expériences qu’il y a faites. www.matthiasgnehm.ch

8 Les lisières, lieux de rencontre Sur la coexistence paisible des communautés par-delà les frontières culturelles et religieuses. Richard Sennett s’entretient avec Anne McElvoy 13 Premier rôle pour le spectateur Les mises en scène de théâtre « passe-muraille » sont de plus en plus fréquentes. Quelle conséquence pour le spectateur ? par Alexandre Demidoff 18 Libre et léger comme l’oiseau Le simulateur de vol Birdly permet une nouvelle forme de divertissement interactif et immersif, ouvrant des possibilités inédites au cinéma. par John Gaudiosi 20 Le mythe Van Gogh Un essai sur la lutte de l’art pour reculer les frontières. par Laurent Wolf

22 De si belles subtilités ! Sur l’intraduisibilité supposée du dialecte suisse alémanique et les expériences personnelles de l’écrivain en franchisseur de frontières linguistiques. par Pedro Lenz 26 Rock à géométrie variable Le rock et la pop sont devenus efficaces, ils écrivent ainsi une page de la réalité économique et sociale de notre temps. par Christoph Fellmann 29 Du labo à la scène Un regard vers l’Angleterre où les frontières entre art et science ont tendance à s’estomper. par Roland Fischer 31 Culture et physique des particules Le CERN et Pro Helvetia attribuent divers séjours d’atelier dans les domaines de la culture numérique. Un aperçu.

21 De quelles frontières parle-t-on ? Bref retour sur le programme transfrontalier Viavai – Contrabbando culturale Svizzera–Lombardia de Pro Helvetia.

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32 HEURE LOCALE New Delhi : Le temps et le fleuve Trois artistes suisses ont proposé un regard neuf à la Biennale de Kochi-Muziris. par Rosalyn D’Mello 34 Johannesburg : Une année décisive Pour son projet de mémoire 21, l’artiste suisse Mats Staub a interviewé de nombreuses personnes sur leur majorité. par Bongani Kona 36 REPORTAGE La pointe de l’ Iceberg Un regard sur la première année d’existence du programme de soutien aux jeunes musiciens pop. par Roderic Mounir (texte) et Carine Roth (photos) 40

ACTUALITÉS PRO HELVETIA La Quadriennale de Prague Le Design Day à Bâle Un nouveau blog artistique La Biennale de Venise

42 PARTENAIRE Le livre comme paysage par Elisabeth Jobin 43 CARTE BLANCHE Les coulisses du texte par Michèle Roten 44 GALERIE Une plateforme pour les artistes Transmissions par Emile Barret 47 IMPRESSUM


Où plaçons-nous nos frontières ? Impossible d’échapper aux frontières, qu’on vienne de les dissoudre, qu’on les renforce ou qu’on les redessine. Mais de quelles frontières parlons-nous en fait ? Des frontières nationales qui, hautes parfois de plusieurs mètres, cisaillent un paysage ou qui, à l’instar de celles dans l’espace européen, peuvent se franchir sans qu’on s’en aperçoive ? Des limites de la croissance économique ou des limites de ce qui est pensable et faisable ? Dans son article pour Passages, le critique de théâtre Alexandre Demidoff mentionne, par exemple, l’abolition de plus en plus fréquente de la ligne invisible séparant la scène et l’espace des spectateurs. Le sociologue Richard Sennett plaide pour une plus grande perméabilité des ­frontières internes de la ville tandis qu’à la suite d’un test sur l’incroyable simulateur de vol Birdly, le journaliste John Gaudiosi, spécialiste des jeux vidéo, imagine que l’avenir du cinéma pourrait bien se trouver dans la technologie des jeux. Enfin, dans son essai, le critique d’art Laurent Wolf évoque les conflits suscités par l’opposition de l’art aux normes courantes et à l’ordre établi et se demande où placer les limites du tolérable. Dans les activités de la Fondation suisse pour la culture aussi, les frontières occupent une place importante. Ainsi Pro Helvetia contribue au franchissement des frontières linguistiques en accordant des subsides de traduction et en favorisant les échanges à l’intérieur du pays. La Fondation motive également les domaines de la culture numérique et du design à investir de nouveaux territoires. Quant à son encouragement interdisciplinaire, il associe les secteurs et les disciplines. Et bien entendu, conformément à sa mission, elle fait connaître l’art et la culture de Suisse dans le monde entier et s’engage en faveur d’échanges culturels transnationaux. En vérité, le champ thématique choisi par Passages pour ce numéro est sans limites. Que les quelques sujets ici mis en lumière puissent inspirer de nouvelles conversations et discussions ! Alexandra von Arx Rédactrice en chef de Passages

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e sourire facile, Richard Sennett a quelque chose d’un Ces frontières des cités modernes, on peut les repérer dans leurs Homer Simpson enclin aux études avec son large crâne aires moribondes, qui ne se limitent pas pour Sennett aux déserts chauve et bombé – « pour ranger ses multiples cer- urbains autour de viaducs mal conçus ou aux zones interdites veaux », dit un collègue sur un ton malicieux. Le pro- ­environnant les HLM des pauvres. Lorsque je lui demande un fesseur de sociologie à la London School of Economics exemple, il cite le Barbican Estate à Londres, un réseau résidentiel (LSE) occupe un prestigieux bureau d’angle dans un immeuble ap- d’appartements haut de gamme en bordure du quartier des affaires pelé The Tower, appartenant au petit labyrinthe des bâtiments de et voisin du Museum of London. Les espaces proches du musée, la LSE non loin du Strand. À l’instar de l’homme lui-même, c’est qui attire des milliers de visiteurs, sont « morts, vides ». Il a travaillé un lieu de mélange éclectique, plutôt qu’un refuge dans une tour sur un projet de design visant à y remédier. Au Chili, il a aidé à d’ivoire. Des piles de journaux et de livres bien ordonnées se dé- concevoir une clinique destinée avant tout aux patients à bas ploient sur les étagères, une table est couverte de cartes de visite, ­revenus. « Nous pensions la mettre au cœur de la communauté, remises par les nombreux voyageurs venus consulter Sennett pour mais ce n’était pas la bonne solution. J’ai réalisé que nous aurions sa vaste expertise dans les divers domaines qui le passionnent : il dû la situer en bordure des quartiers pauvres de la ville, pour que vous parlera aussi bien du milieu de la classe moyenne s’y rende aussi. travail contemporain que de l’améParce que le meilleur moyen d’asnagement des villes, du sort de la surer que la clinique ait des stancourtoisie dans les sociétés modards élevés, c’est qu’elle serve aux deux communautés et non qu’elle dernes que de la malédiction des périphériques – révélant au passage sa soit placée loin des quartiers plus prédilection pour le brassage fécond favorisés. » des idées, comme dans son dernier Un mélange éclectique projet, Theatrum Mundi, qui réunit artistes, planificateurs et décideurs Dans un monde académique tenpour réfléchir à la façon de rendre dant à confiner ses intellectuels nos espaces urbains plus agréables. dans des fiefs toujours plus étroits, Richard Sennett est aujourd’hui Sennett affirme la diversité de ses l’un des plus éminents penseurs de la L’exemple des cellules champs de réflexion. Après des culture du travail et de la culture des Ce qui l’occupe en ce moment ? études de civilisation américaine, villes. Sociologue éclectique, il s’intéresse « Les lignes de rencontre entre il s’est rapidement tourné vers les communautés dans les villes », le champ naissant des études d’urtout particulièrement aux questions dit Sennett. Il est fasciné par le banisme, combinant son intérêt de la diversité et de la complexité. pour les questions de sociologie, thème des frontières et de leur impact sur les États-nations, les villes de culture et d’identité. Les villes propos recueillis par Anne McElvoy et les individus. C’est en tant que le fascinent et l’ont entre autres conduit à écrire des livres sur ­sociologue qu’il a commencé à penser au fonctionnement des villes, la culture et l’espace publics à avec leurs tensions et leur diversité. « Pour moi, il est clair que Londres, Paris et New York aux XVIIIe et XIXe siècles, ou encore noirs et blancs, chrétiens et musulmans devraient vivre ensemble, sur l’urbanisme à la Renaissance comme source de la planificaque c’est une manière de vivre souhaitable et en fin de compte, la tion urbaine moderne. meilleure pour tous. » Mais il aime faire muter les sujets acadéUne telle spécialisation suffirait à occuper nombre de ses miques et se croiser les disciplines. « J’ai donc pris du recul face classes d’étudiants, mais Sennett se consacre tout autant au thème aux problèmes pratiques et ­demandé à quelques biologistes ce du lieu de travail et de son effet sur la culture et le comportement. qu’ils pensaient. Ils ont introduit une distinction entre une bor- Son ouvrage Ce que sait la main : La culture de l’artisanat (The dure ou lisière, qui est comme la membrane d’une cellule – résis- Craftsman, 2008) a touché une corde sensible ; alors que dans les tante, mais perméable –, et une frontière, comme une paroi cel- sociétés modernes on est amené à travailler plus dur, plus rapidelulaire, moins poreuse et plus d­ ifficile à traverser. » ment (et souvent meilleur marché) pour rester compétitif, S ­ ennett Il pense que les villes ont besoin de se réorganiser, d’abandon- a exploré le désir enfoui en nous de façonner lentement une chose, ner les frontières rigides entre les communautés pour des lisières et la satisfaction qui en résulte, remontant aux sources anthropoplus perméables. « Nous avons des routes qui marquent une sépa- logiques d’un tel besoin. ration absolue entre communautés riches et pauvres. Nous créons Sennett, qui a grandi dans un quartier de Chicago où la quesdes campus universitaires complètement isolés de leur environ- tion de l’intégration raciale des blancs et des noirs n’était jamais nement. Nous laissons nos rues cesser d’être des espaces à usage bien loin, dit que cette expérience a marqué son engagement promixte. C’est une si mauvaise idée ! » Sennett considère une lisière fond envers « différents types et classes de personnes qui vivent encomme un lieu de vie, tandis qu’une frontière est « un espace qui semble plutôt que dans des zones séparées. » Je lui fais remarquer te dit : ‹ n’y viens pas, ici il y a un mur invisible ›. » que quand les conseils municipaux parlent d’une mixité sociale

Les lisières, lieux de rencontre

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animée, beaucoup de résidents pensent qu’on masque ainsi des difficultés ou tensions gênantes. Après tout, le grand changement dans les modes de vie partout dans le monde, c’est la suburbanisation. Et il y a tout autant de personnes à vouloir fuir la diversité dans les communautés plutôt que d’en faire partie. Sennett réplique : « Je n’ai rien contre l’aspiration à vivre dans un environnement douillet. Mais je pense que les enfants devraient apprendre à gérer leur environnement. Et malgré tout l’attrait de la périphérie, on y trouve autant de jeunes qui s’ennuient et sont mécontents que dans les villes. » Il cite l’instabilité et les tensions ethniques dans les banlieues de Paris comme exemple d’une division des communautés qui a mal tourné et semble difficilement réparable. Sphère publique et sphère privée La préoccupation majeure de nos sociétés, selon Sennett, est de savoir comment des groupes de cultures et de confessions différentes peuvent vivre ensemble paisiblement. « Pensons-nous vraiment que cela pourra marcher dans l’une ou l’autre de nos villes, si, disons, les Musulmans restent entre eux ou les ‹ vrais › Allemands se tiennent à l’écart des immigrants dans leurs quartiers ? Nous devons apprendre à gérer la complexité, parce qu’elle est incontournable. » D’un point de vue politique, voilà qui peut paraître un brin désinvolte, car les gens font des choix en matière de vie qui ne dépendent pas seulement de la compétence bienveillante des planificateurs. Mais cela ne dérange pas Sennett que je le qualifie d’« étatiste » parce que selon lui, on ne peut raisonnablement s’en remettre au marché pour déterminer ce qu’est le bon urbanisme. Si Sennett aime à intervenir en matière de conception des villes, il a une approche très différente de ce qui est public et de ce qui est privé à l’ère de Snapchat et de Facebook. « Entre ces deux sphères, il devrait y avoir une frontière étanche plutôt que perméable. Je refuse de partager des informations privées et ne suis donc pas sur Facebook, par principe. Exposer sa sphère privée à des inconnus n’est pas une bonne chose. On perd le sens de ce qui est public et de ce qui est strictement privé. » Est-ce simplement l’homme d’un certain âge qui s’exprime ici (Sennett a la soixantaine énergique) ? « C’est aussi une question de générations », concède-t-il. « Mais quand nous mettons nos vies privées à l’étalage, nous perdons des vertus telles que le tact et la réserve – et je pense vraiment que celles-ci ont leur importance. » Dans The Corrosion of Character : The Personal Consequences of Work in the New Capitalism (1998), Sennett relevait les inquiétudes que suscite l’évolution du travail, autrefois source de stabilité et d’identité, aujourd’hui domaine incertain et changeant. Dans ce qu’il nomme le « nouveau capitalisme » à l’échelle mondiale, nombre de gens sont « plus à la dérive et plus anxieux qu’ils n’osent l’admettre. L’évolution des structures économiques, une plus grande fluidité du travail et de la technologie remettent en question nos façons d’être, aussi bien que la manière dont nous gagnons notre vie. » Sennett serait-il quelque peu technophobe ? La culture du travail de Google ne le tente pas. « C’est merveilleux de pouvoir tout faire dans leur quartier général, mais cela signifie aussi qu’on peut se perdre, s’il n’y a pas de division entre vie professionnelle et vie privée. » Il n’aime pas « la fonctionnalité brutale du travail en FRO NT IÈR E S 10


ligne ». Il y a quelques années, il a été l’un des testeurs universitaires de Google dans un projet qui visait à créer un réseau de communication et de coopération en ligne proposant des solutions à des problèmes politiques. Cela n’a pas marché, selon Sennett, en partie parce qu’en examinant une question en ligne, on tend à magnifier les grands thèmes et à laisser de côté les sujets moins populaires, « ce qui n’est pas vraiment la bonne manière de procéder, dans une enquête ». Il est peu probable qu’il se porte une nouvelle fois volontaire pour le rôle de cobaye numérique. Faire avancer les choses Le grand prêtre des études urbanistiques pratique-t-il lui même ce qu’il prêche, s’agissant de son propre lieu de résidence ? « Vous ne me trouverez pas dans l’un de ces faubourgs avec leurs rangées de grandes surfaces », dit-il en riant. Lorsqu’il a été engagé à la LSE dans les années 1990, il a acheté un espace converti en loft dans l’ancien quartier des diamantaires de Londres, considéré comme un peu morne à l’époque. Il y vit avec sa compagne Saskia Sassen, une sociologue à la Columbia University qui étudie la mondialisation. Tous deux forment un couple convivial et dynamique, qui mène ce qu’un de leurs visiteurs appelle «un salon transatlantique perpétuel» : « Venant de New York, j’avais l’avantage de savoir comment vivre dans un loft et utiliser des cloisons », dit-il. « Mais presque tout le monde, courtiers d’hypothèques compris, m’a pris pour un fou. » Le quartier, qui mêle magasins, banques et logements, est à présent l’un des plus convoités de la ville. Sennett est un penseur qui incarne les limites floues entre les champs culturels, entre le travail et la maison, entre les villes et les pays. Musicien doué jouant du violoncelle, il a étudié à la Juilliard School of music mais a fini diplômé de Harvard en histoire des ­civilisations. Il continue d’étendre les limites de son sujet aux arts et à l’architecture. C’est un personnage affable, et je lui demande si quelque chose le fâche. Il explique qu’il est frustré par la réponse « grossière » des gouvernements européens aux problèmes de l’immigration. « J’ai des étudiants étrangers brillants qui luttent pour obtenir un visa parce que le gouvernement britannique s’inquiète d’objectifs migratoires auxquels, de toute façon, il ne satisfera pas. Les États-nations sont si poussifs, lorsqu’ils traitent les problèmes de frontières. Je sais combien il est difficile de changer cette politique. Mais il y a bien d’autres façons de faire avancer ce qu’on croyait ne pas pouvoir changer. Finalement, on découvre que c’est malgré tout possible. Et c’est le côté réjouissant de la chose. »

Le sociologue et historien américain Richard Sennett, né en 1943, enseigne à la New York University et à la London School of Economics and Political Science. Ensemble. Pour une éthique de la coopération (Together : The Rituals, Pleasures, and Politics of Cooperation , 2012) est son ouvrage le plus récent. www.richardsennett.com Anne McElvoy est rédactrice en chef du service Politiques publiques au magazine britannique The Economist. Également chroniqueuse politique, elle présente régulièrement des programmes sur BBC Radio. Née dans le nord-est de l’Angleterre, elle a fait des études de langue et littérature allemandes et de philosophie à Oxford et à la Humboldt Universität à Berlin. Traduit de l’anglais par Anne Maurer

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e théâtre est parfois un jeu auquel vous êtes invité à s’inscrit a priori dans une approche plus textuelle de la scène. Mais participer. Ce soir d’orage par exemple, au mois d’août ces créations illustrent un genre en soi, qu’on appellera le « théâtre 2003, au Centre d’art contemporain à Genève. On est passe-muraille ». Son trait distinctif ? Il abolit la frontière ancesune soixantaine dans une salle qui s’apparente à un loft. trale, ce mur transparent – le fameux « quatrième mur » – qui La foudre tombe – merveilleuse coïncidence – et vous fonde une partie de l’esthétique réaliste. Celle-ci prend racine à la découvrez soudain, couchée à même la dalle comme une gisante, fin du XIXe siècle avec l’acteur et metteur en scène français André la danseuse et performeuse La Ribot, enveloppée dans un linceul. Antoine, avant d’acquérir ses lettres de noblesse avec le Russe Elle tremble, comme secouée par un courant électrique. Puis elle Constantin Stanislavski, l’un des pères du théâtre d’art. Les voies se redresse, longue et maigre comme une ­sylphide. Vous la suivez, de ce théâtre passe-muraille sont multiples : dans les deux exemples aspiré par sa présence miraculée. Elle s’étrangle avec une corde- mentionnés, les artistes empruntent à la sphère des arts plastiques lette. Ressuscite encore. Parade ensuite en tenue d’Ève, trois pola- non seulement ses lieux de prédilection – la halle, le centre d’art – roïds à hauteur des seins et du pubis. Pendant près de trois heures, mais aussi sa dynamique déambulatoire. Vous êtes priés, en tant l’artiste enchaîne ainsi trente-quatre saynètes, autant de piezas que spectateurs, de jouer le jeu. Tout change dès lors pour l’amateur. Celui-ci n’est plus seudistinguidas comme elle les nomme. Originalité ? Chacune de ses œuvres mouvantes peut être achetée – par vous, par moi – et re- lement le témoin d’une action, le juge plus ou moins dégagé d’une jouée au bon gré du propriétaire. performance, l’esthète jouissant Ce soir-là, dans le cadre du festival d’une prouesse. Il est aussi agent de La Bâtie, La R ­ ibot présente l’ind’un mouvement, prié d’ordonner tégralité d’une production qu’elle sa liberté, encouragé à butiner, promène à travers l’Europe, de gaà élaborer ses clés de lecture, à leries en salles de spectacles. contribuer par ses va-et-vient à la Autre exemple, à l’automne construction d’un sens par nature 2006, au Grü, ce théâtre-laboraouvert. Le théâtre, ici, n’a plus votoire dirigé et animé avec panache cation à simuler une grand-messe, par la Zurichoise Maya Bösch et la mais à susciter des voies de traValaisanne Michèle Pralong entre verse individuelles. Est-ce un ha2006 et 2012 à Genève. Vous êtes sard si ce type de propositions se appelé en compagnie d’une dizaine multiplie à l’ère des écrans tout Et si le public était aujourd’hui l’acteur de personnes à prendre place sur puissants et hypnotiseurs ? principal du spectacle ? Des artistes un tronc, oui, comme en pleine Des artistes misent sur une conçoivent des dispositifs « passe-­ ­forêt. Des copeaux jonchent le sol. esthétique centrifugeuse : ils sugmuraille » qui sont autant d’invitations En face, un écran de cinéma. Vous gèrent que l’organisation centrià entrer dans leur jeu, autant de regardez. Six jeunes cuvent leur pète de l’espace et du monde est une fiction, rappellent que le remal de vivre dans un chalet. L’un systèmes qui interrogent leur activité. fugue sur une route déserte, gard est un choix, qu’une œuvre plonge dans un lac. Vous avez dit est d’abord un territoire, géograpar Alexandre Demidoff bizarre ? Ce film signé Frédéric phique, sensible, esthétique. De Lombard est le préambule du specce théâtre passe-muraille, on dira tacle Utzgur ! de la Belge Anna Van qu’il se distingue par l’attention Brée – costumière et scénographe qui travaille en Suisse romande. qu’il porte au spectateur, érigé au même titre que l’interprète, en Fin du premier acte. Et changement d’espace. Cette fois, vous êtes objet d’étude, ou du moins d’observation. dans un hall baigné par les néons, où s’étalent ici et là d’autres troncs, autant de bancs. Vous vous asseyez où bon vous semble. Un voyeur parmi les voyeurs Des inconnus – les ­acteurs – vagabondent entre les spectateurs. Considérons un spectacle-limite dans tous les sens du terme, De leur bouche coulent des morceaux d’un texte, journal de bord, ­Libido Sciendi du metteur en scène français Pascal Rambert. En agglomérat de pensées et d’événements, le tout né de la plume de juin 2008, le public du festival Montpellier Danse découvre une l’auteur valaisan Mathieu Bertholet. Vous attrapez au vol les éclats parade à forte charge érotique dans un espace béni pour cela, l’and’un texte qui prolifère de partout. cien couvent des Ursulines. Aux alentours de minuit, les danseurs Ikue Nakagawa et Lorenzo de Angelis se déshabillent. Ils ont la Fin de la grand-messe vingtaine, ils sont beaux et émouvants. Ils s’approchent dans le Ces deux pièces ne sont certes pas faites de la même matière. La silence, elle empoigne son pénis, ils s’embrassent. Ils se séparent première est issue d’une culture de la performance, celle qui s’en- un instant. Il la poursuit, l’empoigne, feint de la posséder. Penracine dans les expérimentations des années 1970. Artiste d’origine dant quelque quarante-cinq minutes, ils épuisent les gestes du madrilène, aujourd’hui établie à Genève, La Ribot renouvelle à sa désir, visages fermés, avec une précision anatomique, comme s’ils façon extravagante les codes de cette pratique. Anna Van Brée, elle, répétaient un Kama Sutra à blanc, dont la règle serait qu’ils ne

Premier rôle pour le ­spectateur

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passent jamais à l’acte. Tout fascine dans cette exécution qui confine à la démonstration de maîtrise. Mais c’est à Genève, au Grü encore une fois, en 2010, que ­Libido Sciendi prend toute sa dimension. Pascal Rambert change son dispositif : à la relation frontale classique de Montpellier, il substitue une halle où chacun se poste librement, qui assis par terre, qui adossé à un pilier. Ikue Nakagawa et Lorenzo de Angelis – couple dans la vie – renouvellent leur cérémonial. Les mêmes gestes qu’à Montpellier, le même silence chargé d’impatience, le même halètement. Mais ce qui frappe ici, ce n’est pas seulement l’alliance de l’esprit et de l’instinct, de la tête froide et du corps chaud, c’est le spectacle d’une communauté perturbée. Nous voici voyeurs et objets du voyeurisme de nos pairs. Nous nous regardons en train de nous repaître de deux érotomanes qui ont fait vœu de ne pas jouir. Nous guettons chez l’autre le trouble qui nous gagne – ou pas. Bref, nous cherchons à savoir qui nous sommes quand le théâtre se dépouille de ses garde-fous : la dualité scène-salle, la fiction, le costume … Le public en liberté Car tel est l’effet de ces dispositifs : ils surexposent le spectateur ; et la somme d’individus que nous formons devient un spectacle en soi, une fable ethnologique et politique. Au mois de septembre 2014, La Ribot, les acteurs-performeurs Juan Loriente et Juan ­Dominguez font scandale à La Bâtie. Ils signent à trois El Triunfo de la libertad (Le Triomphe de la liberté). Le programme annonce la présence des trois artistes sur la scène de la Comédie de Genève. Stupeur, le soir de la première, ils n’apparaissent pas. En lieu et place des artistes promis, trois prompteurs longitudinaux se chargent, posés sur le plateau à distance les uns des autres, d’accaparer l’attention du public. Le théâtre s’exhibe ici dans un dépouillement de cathédrale fantomatique : ses cintres, ses perches, ses poulies suggèrent un rituel ancien. Que voyez-vous au juste alors ? Dans votre fauteuil, vous lisez en silence le texte qui passe sur les écrans en lettres blanches. Il y est question notamment d’un jeune couple de mariés espagnols qui gagne un voyage de noces à Cuba. Sur l’île, ils passent une soirée mémorable dans un cabaret où un colosse noir casse des noix avec son phallus. Un demi-siècle plus tard, le même couple retourne dans ce cabaret et retrouve le phénomène incapable de renouveler l’exploit, parce que sa vue a baissé… La fable est potache. Elle est entrelacée de considérations sur l’ennui, le bonheur, empruntées à des philosophes. La Ribot et ses compagnons font farce de nos routines, celle du couple traditionnel, du touriste en quête d’exotisme, celle aussi du spectateur de théâtre. Pourquoi un tel dispositif fait-il scandale ? Pourquoi tant de gens s’estiment-ils floués, comme le rapporte Le Temps dans son édition du 4 septembre. Directrice de La Bâtie, Alya Stürenburg attribue ces réactions à ce qu’elle appelle un problème de communication. « Jusqu’à la veille de la première, les artistes pensaient monter sur scène. D’où le programme et la feuille de salle qui annoncent leur présence sur le plateau. Les spectateurs sont arrivés dans l’espoir de voir ces performeurs et la forte irritation de certains provient de cette frustration. » Admettons. Plus profondément, cet anti- spectacle perturbe parce qu’il renvoie le public à

lui-même, avec un cortège de questions rarement formulées : qu’attends-je d’une représentation ? Quelle est la signification de la communauté que nous formons dans un théâtre ? Quel est le prix de ce que je vois – question que La Ribot posait déjà à travers ses piezas distinguidas ? Puis-je me lever et quitter la représentation avant la fin ? Suis-je capable de me révolter ? Le soir de la première, la plupart des témoins resteront jusqu’au bout. Et beaucoup se demanderont, même après l’extinction des prompteurs, si le spectacle est bien fini. Interrogée dans Le Temps, La Ribot propose cette clé de lecture : « Et si la liberté n’était pas de notre côté – la liberté qu’on a prise – mais du côté des spectateurs – la liberté qu’on leur a donnée, celle de voir ce qu’ils veulent ? Un jour avant la première, on a réalisé que notre présence en scène allait être un filtre entre le public et notre discours. Un discours volontairement déceptif qui parle de l’éternelle répétition des choses. Ce sont les corps regardants de chaque spectateur qui constituent la part animée du spectacle. Et aussi le texte. Sa présence défilante, son rythme … » El Triunfo de la Libertad illustre sur un mode extrême ce théâtre passe-muraille. Une forme oblige le spectateur à se mouvoir – fût-ce mentalement. À prendre position. À reconsidérer son désir de fiction. Il devient surtout le sujet d’une histoire à écrire, la sienne, celle de son rapport à l’événement. En 2007, l’Association pour la danse contemporaine à Genève accueille Histoire(s) de la chorégraphe Olga de Soto. Sur scène, pas d’interprète, mais un écran où passe un film. De beaux visages parcheminés s’y succèdent. Ils racontent la première du Jeune homme et la mort, cette pièce légendaire signée Roland Petit et donnée le 25 juin 1946 au Théâtre des Champs-Élysées à Paris. L’artiste a retrouvé, près de soixante ans après sa création, une poignée de témoins. Chacun dit ce qui reste dans la mémoire d’une nuit de théâtre. Les lambeaux d’une émotion. Cette pièce-documentaire est un symbole : pour un certain courant, c’est le spectateur qui tient le haut de l’affiche.

Alexandre Demidoff est journaliste culturel, critique de théâtre et de danse depuis 1994, au Nouveau Quotidien, au Journal de Genève et à la Gazette de Lausanne, puis au Temps, dès son lancement en 1998 ; chef de la rubrique Culture & Société du Temps entre 2008 et 2015.

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résenté au Festival du film de Sundance 2015 à Park Encore fallait-il trouver les moyens techniques – et c’est aussi cela City, Utah, un simulateur de vol de réalité virtuelle (RV) qui m’intéressait – de recréer les sensations que l’on peut éproudéveloppé par deux professeurs et un étudiant de l’Ins- ver en volant, donner par exemple l’impression de vitesse et jouer titut de recherche en design de la Zürcher Hochschule sur les mille et une facettes qui font d’une immersion complète der Künste (ZHdK), l’école d’art de Zurich, a volé la ve- quelque chose d’inoubliable. Il suffit d’un rien, avec ce genre dette à des pointures telles que Keanu Reeves, Kevin Bacon et Ryan d’exercice, pour tout gâcher et ruiner l’impression de réalisme. » Reynolds. Birdly a été littéralement plébiscité par les visiteurs de Cherchant à restituer la sensation de liberté qu’a un oiseau l’exposition New Frontier, qui ont patienté plus de deux heures glissant dans les airs, complètement maître de ses trajectoires, pour éprouver, cinq minutes durant, les sensations d’un oiseau vo- Rheiner et quelques-uns de ses étudiants ont testé plusieurs types lant dans le ciel de San Francisco. Offrant une expérience d’im- de vol. Des expériences en soufflerie ils sont sortis le dos endolori. Un étudiant a appris à piloter un mersion tout à fait inédite, ce vol, que l’on exécute allongé sur le hélicoptère, mais il était telleventre, les bras étendus comme ment crispé sur ses commandes des ailes pour planer entre les que le projet n’en a retiré aucun gratte-ciel, a fait pâlir les autres bénéfice. Même les pilotes d’avion projets de RV. n’éprouvent pas vraiment de plaiLes origines de Birdly sont sir, tant ils sont absorbés par leurs en fait antérieures au casque Ocucheck-lists et leurs instruments. lus Rift qu’il utilise, et sans lequel Dépitée, l’équipe, du coup, a on concevrait difficilement l’imlaissé là le monde réel, lui préfémersion. Ce qui rend ce simularant le subconscient et le rêve. teur de vol tellement incroyable, « En étudiant les rêves, nous Les outils ultramodernes dont elle dispose c’est l’impression de vertige qu’on nous sommes aperçus que la pluaujourd’hui propulsent la technologie ressent lorsqu’on regarde les rues part des gens rêvent qu’ils volent, de la réalité virtuelle vers de nouveaux pics tout en bas. En tournant la tête à et que la moitié environ en de sophistication et changent du même gardent un excellent souvenir. droite ou à gauche, on aperçoit Là, pas besoin d’entraînement, des ailes qu’on contrôle à l’aide coup la façon de fabriquer et de consommer de ses propres bras. Un contrôle on s’élance et on se laisse porter. du divertissement. Présenté par la Haute intuitif, faisant qu’on fusionne Comme les oiseaux. Et c’est exacécole zurichoise des arts, Birdly a presque instantanément avec ce tement ce que nous cherchions à ­littéralement survolé le Festival du film monde virtuel. Produit par un reproduire avec le simulateur. ventilateur monté en face du viSes commandes pourraient être de Sundance 2015. sage, un vent, dont la force varie beaucoup plus sophistiquées, mais nous voulions qu’elles deavec votre vitesse de vol dans le sipar John Gaudiosi mulateur, ajoute encore au réameurent intuitives et qu’il ne lisme de la chose. Plongez en pifaille pas plus de trente s­ econdes qué vers les rues que vous voyez pour apprendre à s’en servir. Une au-dessous, vous sentirez alors le vent cingler votre visage et le son fois envolés, les gens planent, regardent autour d’eux et font changer dans le casque pour rendre plus intense encore l’impres- comme s’ils étaient des ­oiseaux. » sion de voler. Le but du projet, dit Max Rheiner, cheville ouvrière de Birdly, Surfer sur la vague de la RV était d’explorer l’interface homme–ordinateur en mettant un corps Pour Shari Frilot, curateur de l’exposition New Frontier de Sunentier en état d’immersion dans un espace virtuel. Comme le dance, Birdly illustre à merveille le don qu’a la réalité virtuelle de casque Oculus Rift lui-même, à peine vieux de deux ou trois ans, réveiller en l’humain les rêves les plus anciens et les plus secrets. ce travail sur l’immersion complète est nouveau. Si les premiers Sans en avoir l’air, le simulateur raconte une histoire. « Tu survoles jeux et les premiers petits films de réalité virtuelle misaient sou- San Francisco et tu as le choix entre mille façons de voler, de t’élevent sur le visuel et le son, explique-t-il, l’immersion du corps tout ver, de plonger dans le goulet des rues, voire de t’écraser au sol et entier, en revanche, est un territoire pour ainsi dire inexploré. de prendre feu. Bien sûr que c’est là tout le langage du gaming, mais c’est en même temps une histoire qui nous parle de ce qu’il Métamorphose et envol y a de plus profondément enfoui en nous. Birdly est vraiment une « J’avais en tête un simulateur faisant littéralement de l’homme expérience qui te transforme. » un oiseau. Avec Birdly, ce n’est pas qu’on dirige ou chevauche un L’an dernier, Shari Frilot s’est rendu en avion à San Francisco oiseau, c’est qu’on est un oiseau. Le but était de faire du corps hu- pour y tester l’un des trois simulateurs Birdly avant de décider de main un corps d’oiseau et de lui faire éprouver les sensations le présenter au festival de Sundance. C’est là, à San Francisco, dans qu’éprouve un oiseau. Ça, c’était l’ambition artistique du projet. le cadre de Swissnex, que le monde du high-tech l’a vu pour la

Libre et léger comme l’oiseau

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Elle ne sera commercialisée qu’une fois parfaitement au point. À l’instar de Max Rheiner et de son équipe, qui ont mis et remis Birdly mille fois sur le métier avant de lui laisser prendre son vol. Brendan Iribe, CEO d’Oculus VR : « Nous avons vu défiler ici quelques-uns des plus grands réalisateurs ; la démo terminée, ils retiraient leur casque en nous disant qu’ils voulaient faire un film. C’est dur, vous savez, de résister à la RV une fois qu’on y a goûté. Nous allons faire nous-mêmes, avec Oculus Story Studio, de ces films d’animation générés sur ordinateur, histoire d’apprendre de quoi un film de RV doit être constitué pour être convaincant. Et quand nous serons au point, nous en parlerons, nous irons partout dire ce que ces grands réalisateurs pourraient faire de leur créativité et quels films prodigieux ils pourraient créer avec la RV. » Avec Birdly, ce n’est pas qu’on dirige ou qu’on chevauche Dans 1979 : Revolution, un jeu vidéo un oiseau, c’est qu’on est un oiseau. Le but était de faisant évoluer ses personnages dans les rues de villes iraniennes en révolution, le faire du corps humain un corps d’oiseau et de lui faire développeur Navid Khonsari, pour ne citer éprouver les sensations qu’éprouve un oiseau. que lui, utilise déjà des techniques cinématographiques pour animer ses arrière-plans, et inventé le Rift. Chargée de recherche senior à l’école de commu- tirés de jeux de Rockstar Games comme Grand Theft Auto et Max nication et de journalisme (Annenberg School) de l’Université de Payne. On ne fait pas mieux pour raconter une histoire, et c’est Californie du Sud, Nonny de la Peña se souvient d’une nuit où aussi, dit-il, une sensation formidable pour le joueur ou les spectoute la minutie de Palmer Luckey et des kilomètres de ruban iso- tateurs : ils vivent cette histoire, regardent autour d’eux et exlant n’avaient pas été de trop pour faire tenir ensemble le prototype plorent ce monde en ayant l’impression d’avoir leur destin parfaiqui devait être présenté au Festival du film de Sundance. Quatre tement en main. mois seulement après cette première, Kickstarter déclenchait un De leur côté, les créateurs de Birdly continuent d’explorer les raz-de-marée de la RV dont le résultat fut que Facebook s’offrit possibilités du simulateur de vol. Ils ont fondé une start-up dont ils espèrent qu’elle leur permetra de fabriquer prochainement en Oculus VR pour 2 milliards de dollars US en 2014. série des simulateurs destinés à des centres de loisirs, des galeries L’avenir du cinéma marchandes ou des parcs à thème. Qui n’a pas rêvé qu’il volait ? Aujourd’hui, la RV attire aussi bien des cinéastes indépendants Avec ce simulateur virtuel, ce rêve est devenu réalité. que des studios hollywoodiens qui, tels Fox Searchlight ou Legendary Pictures, cherchent de nouvelles formes de narration. Même Oculus s’est mis au « movie business ». Oculus Story Studio s’est jeté à l’eau à Sundance, avec d’anciens créatifs de Pixar à sa tête. Son seul but : raconter des histoires en utilisant les techniques et les effets virtuels les plus récents et créer des personnages qui frappent l’imagination. Lost, première des quatre fictions produites par le studio, a fait ses débuts à Sundance. Son sujet : les errances d’une main mécanique cherchant à retrouver le robot auquel elle appartient. Producteur à Oculus Story Studio, Edward Saatchi voit dans les films en RV présentés dans l’expositon New Frontier au Sundance, les premiers pas d’une communauté dont l’influence pourrait égaler celle des pionniers qui ont donné au cinéma une grammaire. Le potentiel que la RV porte en elle en termes d’empathie, de documentation, de found footage, de narration, d’activisme, d’imagination et d’exploration est vraiment sensationnel, assure-t-il. Essayer Oculus Rift ou Crescent Bay VR, la nouvelle techno- John Gaudiosi couvre la scène des jeux vidéo depuis 25 ans, que ce soit pour la presse écrite, la presse en ligne ou la logie haute définition, c’est comme être touché par la grâce, on télévision. Il est cofondateur de la syndication Gamerhub ne peut plus s’en passer, dit-on chez Oculus VR. Oculus propose Content Network et directeur éditorial de Shacknews.com. des kits de développeur que tout le monde peut acheter. Pour ce Il vit en Caroline du Nord. qui est de la version grand public, l’entreprise prend son temps. Traduit de l’anglais par Michel Schnarenberger ­ remière fois et lui a réservé un accueil délirant avant qu’il ne p poursuive sa route, direction Vancouver, pour le congrès annuel de la SIGGRAPH. À Sundance, Birdly n’avait pas seulement des célébrités pour concurrents. Frilot avait réuni pour l’occasion une douzaine d’expériences de RV, et si beaucoup d’entre elles utilisaient des technologies Oculus Rift, ce fut également l’occasion de voir le casque Galaxy VR de Samsung ou Cardboard, le casque en carton de Google. Un premier prototype d’Oculus Rift a vu le jour en 2012, dans le cadre de Hunger in Los Angeles, un projet pour New Frontier signé Nonny de la Peña. Un projet auquel collaborait Palmer ­Luckey, l’homme, alors âgé de vingt ans, qui avait créé Oculus VR

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n 2012, l’artiste russe Piotr Pavlensky, né en 1984, se jusqu’à la Première Guerre mondiale, ce renversement conduit à coud les lèvres devant une église de Saint-Pétersbourg une bataille permanente entre les principes académiques, la mopour protester contre la condamnation des Pussy rale ou les goûts dominants d’une part, et les buts que les artistes Riot. En 2014, juché sur le toit d’un hôpital psychia- commencent à fixer eux-mêmes d’autre part. On est passé d’une trique et nu comme dans ses autres actions, il se situation d’ordre plus ou moins consenti à une situation de conflit coupe le lobe d’une oreille afin d’attirer l’attention sur l’usage dans laquelle les limites à respecter ou à outrepasser se déplacent ­politique des internements. Piotr Pavlensky n’est pas fou. Il dit être sans cesse, où le mouvement de l’art se heurte à l’inertie de l’ordre. peu sensible à la douleur. Ses performances politico-artistiques Le XXe siècle, depuis les années 1920, a la réputation d’être ont fait le tour du monde grâce à Internet. Elles semblent surgir le siècle des provocations artistiques, dadaïstes puis surréalistes d’une situation inextricable à laquelle fait face un individu parti- ­notamment. À partir des années 1960, il serait même devenu ceculièrement résolu. Elles ont des précédents dans l’histoire de l’art lui des provocations généralisées. Cette notion signifie bien l’exisauxquels Pavlensky fait lui-même référence. tence du conflit, mais elle l’exprime du point de vue de l’ordre. Le 23 décembre 1888, à Arles, après une soirée agitée et une Elle ne rend pas compte du travail titanesque auquel sont confrondispute avec Paul Gauguin, Van Gogh se réveille dans son lit avec tés les artistes depuis la fin du XIXe siècle, l’injonction à dire et à l’oreille gauche tranchée. Il existe faire ce que sera l’art. plusieurs hypothèses sur les cirQuelques-uns iront jusqu’à mettre en jeu leur propre corps constances et sur l’auteur de cette mutilation. La version canonique, pour répondre à cette question. En sur laquelle r­epose le mythe de 1969, 45 ans avant les actions de Van Gogh, est que l’artiste s’est Piotr Pavlenski, Michel Journiac ­infligé lui-même cette blessure. crée Messe pour un corps, perforL’Autoportrait à l’oreille bandée mance pendant laquelle le public qu’il peint en 1889 a contribué consommera du boudin cuisiné Entre nécessités individuelles et avec son propre sang. En 1971, à fixer le modèle d’un génie torordre établi, jusqu’où repousser les limites turé par lui-même et par la société, Gina Pane monte sur une échelle dans l’art. Un aperçu. voué à la souffrance à cause de son dont les barreaux sont munis de engagement total dans la création lames affûtées pour Action Escaartistique. lade non-anesthésiée. La bataille par Laurent Wolf La date du 23 décembre 1888 avec les limites, c’est-à-dire avec indique un tournant symbolique leur définition, est une exception sans précédent dans l’histoire de l’art. Elle laisse l’image d’un in- de moins de deux siècles dans une histoire de l’art millénaire. Elle dividu livré à lui-même et à sa propre expérience du monde, sans est farouche mais elle n’est pas terminée. autre recours que l’art auquel il se sacrifie. Celle d’un art en conflit nécessaire avec l’ordre et les règles, contraint de définir les siennes et sa propre finalité.

Le mythe Van Gogh

De la transgression à l’affranchissement Pendant longtemps, en Occident, la définition de l’art existait en dehors de la volonté individuelle des artistes. Ils devaient se conformer aux programmes iconographiques énoncés par l’Église et aux exigences de leurs commanditaires, ce qui ne les empêchait pas de faire évoluer leur art à l’intérieur de règles qu’ils n’avaient pas déterminées. Quand ils s’y soustrayaient, ils en subissaient les conséquences comme ce fut le cas de Rembrandt ou du Caravage. Et quand ils produisaient des images représentant des actes interdits ou des souffrances, c’était dans un but d’édification. Ainsi les scènes terrifiantes de tortures infligées aux saints martyrs, ou la noria de transgressions punies dans le Jugement dernier comme celui du Jardin des Délices (1503 –1504) de Jérôme Bosch où un personnage est figuré avec un objet enfoncé dans l’anus. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les limites dans lesquelles s’exerce la création des images sont précises. À partir du début du XIXe siècle, les artistes entreprennent de faire de la place à leur propre expérience. Il se produit alors un déplacement des rôles, l’artiste devenant seul maître à bord. Pendant plus d’un siècle,

Laurent Wolf est titulaire d‘un doctorat de sociologie sur le design industriel; il travaille comme journaliste et critique d’art, et se consacre au dessin. Il est collaborateur du quotidien Le Temps (Suisse) et de la revue Études (France).

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De quelles frontières parle-t-on ? Le programme Viavai – Contrabbando culturale Svizzera-Lombardia approche de son terme. Rétrospective sur deux années de travail, 150 manifestations et de nombreux passages de frontières.

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haque programme d’échanges culturels est inévitablement et par définition confronté au thème des frontières : dans la recherche de la compréhension, tâtonnante, riche en péripéties et couronnée de succès, il y a toujours un ici et un ailleurs, un je et un autre, un texte et un contexte, un « do ut des ». Empruntant les chemins de contrebandiers, Viavai – Contrabbando culturale Svizzera-Lombardia n’a pas non plus échappé à cet ­élément obligatoire des échanges culturels. Le thème en était une frontière, tracée sur la carte, consolidée par les différences politiques, économiques et sociales qui jalonnent l’histoire mouvementée de la Suisse et de l’Italie. Mais c’est aussi une frontière qui ne cesse d’être abolie parce que les peuples, les idées et les biens qu’on partage l’enfreignent, grâce à la proximité et en dépit de la séparation. Après deux années de préparatifs intenses et son lancement en septembre 2014, le projet Viavai approche aujourd’hui de son terme. Les 18 projets sélectionnés ont produit de beaux fruits : sur le sol helvétique et en Lombardie, 150 manifestations ont eu lieu. Dans le projet ArTransit, par exemple, la traversée de la frontière a littéralement été le moteur du train régional qui a servi de plateforme mobile de performances. La ligne de démarcation entre les régions et entre les disciplines a ainsi été annulée – le trajet entre les deux terminus urbains, Milan et Zurich, a tout absorbé, de l’écho idyllique préalpin à la rumeur de la ville. Le projet Vedi alla Voce de l’École Cantonale d’Art du Valais (ECAV) a interprété la frontière comme lieu de la migration ou

comme scène de transit pour les expériences et le vécu. Partant d’une recherche dans des archives historiques, les artistes visuels impliqués dans le projet ont élaboré un discours sur ce que signifiait aujourd’hui le franchissement des frontières. De son côté, Arte Riprogrammata, un atelier de la Scuola universitaria pro­ fessionale della Svizzera italiana (SUPSI), a permis au public de modifier les mécanismes des œuvres du Gruppo T et d’ignorer les limites disciplinaires et le fameux « Défense de toucher », clas­ siquement brandi par les musées et l’académie. Les mécanismes mis en branle par Viavai se transformeront maintenant en un défi collectif, par-delà les limites temporelles et la fin du programme. La continuation, la préservation et l’extension du réseau instauré ces derniers mois est maintenant dans les mains des partenaires et des institutions culturelles. Dans l’attente de la cérémonie de clôture de Viavai à l’automne 2015, le programme laisse la place au spectacle Expo 2015, qui durant les mois d’été s’installera à Milan. Enfin, un élément subsistera : le guide de voyage littéraire Gli immediati dintorni, qui couvre le trajet du train transfrontalier TILO. Publié par Casagrande et doppiozero, c’est la lecture idéale lorsqu’on souhaite se remémorer les frontières traversées.

Pour de plus amples informations, voir : www.viavai-cultura.net

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ans la vie de tous les jours, il m’arrive d’observer les gens qui lisent. Et je constate que dans la plupart des cas, les livres qu’ils ont en main sont des traductions. Dans le train, au café, à la salle d’attente, à la bibliothèque, les gens lisent des traductions allemandes de livres suédois, états-uniens, brésiliens, français, russes, italiens, japonais, anglais ou espagnols. Il est peu probable que l’un ou l’autre de ces lecteurs ou lectrices se soit jamais demandé si, disons, le japonais ou le russe était vraiment traduisible en allemand. Mais pour peu que je raconte à quelqu’un que mon roman Der Goalie bin ig a été, par exemple, traduit en français et en italien, je me heurte toujours aux mêmes réactions. Le plus souvent, ce sont des questions incrédules ou même méfiantes : « Quoi ? Le roman est traduit ? Mais il est en dialecte ! Ça ne se traduit pas ! Comment traduire le suisse allemand ? Impossible ! Toutes ces subtilités, toutes les nuances du dialecte, ce vocabulaire si riche, impossible de rendre tout cela ! » Question de littérature

un « café pomme ». Il peut bien arriver que des auditrices ou des auditeurs discutent, à l’issue de la lecture, de la liberté des traducteurs et de ses limites, et de savoir s’il est préférable d’adapter les noms de lieux et de personnes, ou s’il vaut mieux les maintenir dans la langue originale. Pour ma part, je laisse toujours les traducteurs trancher. La seule chose qui compte pour moi, c’est que la langue cible garde une fluidité naturelle. Pourtant, les langues ne se prêtent pas aussi aisément les unes que les autres à faire entendre l’oralité. J’ai été particulièrement frappé, au cours de soirées de lecture en Suisse romande, par le fait que les lecteurs s’efforçaient de donner au texte littéraire une ­certaine solennité, inadéquate. Souvent, j’ai eu l’impression que le comédien auquel on avait confié la lecture de la traduction française voulait rehausser le contenu à force de pathos. Là où les ­traducteurs s’efforcent, avec succès, de reconstituer la fluidité orale naturelle de la langue, les lecteurs paraissent vouloir en souligner la dimension artistique. Il en

De si belles subtilités !

De toute évidence, la plupart de mes compatriotes alémaniques, quand ils me parlent de cette traduction, partent de l’idée que la langue couramment parlée en Suisse alémanique est bien la seule langue du monde qu’il soit impossible de traduire. Il est difficile d’enDu franchissement des frontières linguistamer leur conviction, persuadés tiques et de la prétendue intraduisibilité qu’ils sont que nos dialectes font du dialecte suisse alémanique. partie intégrante de ce Sonderfall, de ce cas particulier helvétique, que par Pedro Lenz l’on défend si jalousement dans notre pays. Ce qui est intéressant, c’est que cette exaltation presque résulte pour moi, qui écoute, l’imreligieuse de notre langue parlée est pratiquée aussi bien par des pression que ce n’est plus mon personnage, issu du monde des gens ouverts, qui ont voyagé, et qui sont d’un niveau culturel élevé. bistrots, qui parle, mais un bourgeois pétri de culture, soucieux de Avec ça, en même temps, je rencontre le phénomène inverse, à convaincre le public qu’il s’agit vraiment de littérature, et non pas savoir que le suisse allemand n’est pas seulement idéalisé, mais de ragots autour d’une chope de bière. trivialisé. Ce qui s’exprime par une question, toujours la même : « Comment veux-tu faire de la littérature avec une langue qui ne Différences culturelles et proverbes connaît même pas le futur ? » Ces gens-là aussi, en raison d’autres préjugés, bien entendu, sont persuadés que le dialecte est intraduisible. À leur avis, il est impossible, même en traduction, de faire de la littérature à partir d’une langue dont ils nient, fondamentalement, le potentiel littéraire. En Suisse romande ou au Tessin, les réactions sont assurément bien différentes. Là-bas, lorsqu’il y a des lectures publiques, les gens se réfèrent directement au texte traduit, sans s’arrêter à la question de la traductibilité du dialecte suisse alémanique. Les discussions tournent plutôt autour de la question de savoir par quels moyens l’oralité de l’original a été remodelée dans les différentes langues cibles. Souvent, lors des rencontres organisées en Suisse romande ou au Tessin, il s’agit de points de détail. Alors que la traductrice italienne, par exemple, a laissé l’expression Kafi fertig telle quelle, tout en l’expliquant en note, le couple de traducteurs français, Daniel Rothenbühler et Nathalie Kehrli, a décidé d’en faire

Probablement que parmi les six langues dans lesquelles le roman a été traduit jusqu’ici (l’italien, l’allemand standard, l’anglais d’Écosse, le lituanien, le français, le hongrois), c’est le français qui présentait la plus grande difficulté. Cela tient sans doute au fait que le français est une langue très strictement normée. Il ne semble pas y avoir beaucoup de modèles littéraires qui se distancient de cette norme. Mes efforts pour recourir avec autant de naturel que possible à des impuretés formelles, tels des anglicismes, des proverbes librement inventés, des métaphores singulières, semblent entrer en contradiction avec l’idée francophone de ce qu’est la ­littérature. C’est ainsi du moins que je m’explique l’embarras d’un lecteur lors d’une rencontre à Morges. L’homme, qui semble-t-il assure régulièrement des lectures à voix haute dans la bibliothèque de cette ville, s’interrompit à plusieurs reprises pour assurer au public que ce qu’il venait de lire correspondait bien à ce qui se trouvait dans le roman.

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Pour la traduction italienne, j’ai discuté au préalable avec la ­traductrice, Simona Sala, pour savoir s’il serait indiqué de traduire le roman en dialecte tessinois. Mais nous y avons renoncé, car la traductrice estimait que les personnages décrits dans le roman ne s’exprimeraient sans doute plus guère en dialecte. Partant de l’idée

ment renoncé à viser une traduction viennoise ou berlinoise, par exemple, car le but de cette traduction en allemand était de ­disposer, dans un premier temps, d’une version accessible à tous les lecteurs et lectrices de langue allemande. Urweider, dès lors, se préoccupa davantage des sonorités que du choix de la langue. Il me demanda de lire les chapitres traduits en version originale, puis en traduction. Les différentes traductions ont démontré que le personnage Pendant que je lisais, il procédait à des de Goalie et son histoire ne sont pas liés à certaines ajustements, pour que sa traduction rende ­circonstances géographiques ou linguistiques. aussi fidèlement que possible la mélodie de la langue. Cela m’aide, à présent, quand je que l’histoire se passait en milieu urbain et à la fin du XXe siècle, lis le roman en Allemagne ou en Autriche, à le lire comme j’ai l’hail lui semblait peu crédible de faire parler les personnages en bitude de lire l’original. ­tessinois. Mes expériences à ce propos recoupent ce diagnostic. Si les quatre langues mentionnées jusqu’ici me sont à peu près Ainsi, le choix de l’italien m’a pleinement convaincu. La première familières, je ne comprends pas un mot de lituanien ou de honesquisse me laisse en mémoire un amusant problème de traduc- grois. Là, ma contribution aux traductions se limita à dialoguer tion : il s’agit de la locution, fréquente en dialecte, « a d Kasse cho ». avec les traducteurs Markus Roduner et Rimantas Kmita (lituaLorsqu’en Suisse alémanique, nous disons nien), et Lajos Adamik (hongrois) sur la position du personnage du que quelqu’un est passé « à la caisse », nous narrateur et sur le contexte décrit. Lors des présentations du livre voulons dire qu’il a dû payer pour quelque dans ces deux pays, j’ai essayé, en écoutant, de me concentrer exchose, au sens propre comme au sens figuré. clusivement sur la mélodie de la langue pour capter les moments La traductrice, à laquelle cette expression où cette mélodie s’éloignait ou se rapprochait de l’original. Je était inconnue, l’interpréta au premier ­prétends que même sans connaissances linguistiques, je perçois abord exactement dans le sens inverse. Elle quelque chose de la qualité de la traduction. partait de l’idée, peut-être plus logique, que Pour conclure, il reste à noter que les traductions du roman quelqu’un qui passe à la caisse touche de Der Goalie bin ig ont eu des retombées à des niveaux très différents. l’argent. Le malentendu fut vite dissipé. Mais Tout d’abord, en travaillant avec les traducteurs, j’ai redécouvert il me reste en excellente mémoire, comme mon texte. Par ailleurs, j’espère que grâce à l’adaptation à différents un exemple des différences culturelles. espaces culturels et linguistiques, les préjugés relatifs à l’intraductibilité de la littérature en langue orale ont pu être démontés. Tous des types de Glasgow Et last but not least, on aura pu démontrer que le personnage de En anglais, la question du choix de la langue ­Goalie, avec son histoire, n’est pas lié à certaines circonstances fut résolue tout différemment du français ou de l’italien. En effet, ­géographiques ou linguistiques. l’anglais utilisé dans la traduction n’est pas l’anglais standard, mais se rapproche de la langue que l’on parle couramment dans la ville de Glasgow. Ce choix linguistique faisait sens dans la mesure où mes personnages, s’ils avaient vécu à Glasgow, auraient bel et bien utilisé cette variante de l’anglais. En outre, une traduction d’un dialecte à un autre s’imposait du moment que dans la littérature écossaise, l’emploi de tournures familières n’a rien d’exceptionnel. Avec son choix linguistique, le traducteur écossais Donal McLaughlin a trouvé le ton juste, la réaction inattendue d’un ­lecteur lors de la présentation du livre à Glasgow nous en apporta la confirmation. L’homme, après la lecture, me demanda comment j’en étais venu, moi, Suisse, à écrire une histoire sur les gens de sa ville. Il s’agissait d’un malentendu, ai-je tenté d’expliquer. J’avais trouvé l’inspiration pour mes personnages dans ma ville, en Suisse. Il n’en croyait rien, insista cet homme, il connaissait les personnages que j’avais décrits dans le roman, c’étaient tous des types de Glasgow. Il n’aurait pas pu faire un plus beau compliment Écrivain et performeur, Pedro Lenz, né à Langenthal en 1966, vit à Olten. Avec son roman Der Goalie bin ig (paru en français à la traduction. sous le titre Faut quitter Schummertal), il a donné jusqu’ici Dans le cas de la traduction en allemand standard, j’ai de- plus de 200 lectures, certaines accompagnées de musique. mandé à Raphael Urweider, le traducteur, de choisir une langue Environ vingt d’entre elles avaient pour objet les traductions allemande, italienne ou française. aussi neutre que possible, donc, de faire preuve de retenue du côté des helvétismes ou autres régionalismes. Nous avons consciem- Traduit de l’allemand par Marion Graf

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ersonne ne pourra dire qu’il n’a rien vu venir. Ce jour guitares dures marquent la rupture avec les rapports traditionnels, de février où Sam Smith a reçu quatre Grammy Awards créer un groupe permet de quitter le cocon familial – en partageant à Los Angeles n’a fait que confirmer les pronostics. Le quand même l’excitation des expériences nouvelles. Comme le chanteur de soul de 22 ans venu de Londres ne figu- montre particulièrement bien le nomadisme du « car de groupe », rait-il pas au sommet de la liste des talents pops les plus le band, formé le plus souvent de jeunes mâles, refuse les valeurs prometteurs publiée l’année précédente – en décembre, comme bourgeoises comme le confort, l’ordre, la propreté et préfère la toujours – par la BBC britannique et attendue avec impatience par poussière de la route aux quartiers de maisons mitoyennes poustoute la branche musicale ? Car ce ne sont pas moins de 200 cri- siéreuses. Le temps du moins de devenir adultes, d’asseoir leur tiques, blogueurs, producteurs et D.J. qui dispensent leurs conseils goût musical et de fonder à leur tour une famille. Moment tout pour établir ce classement. Adele, Lady Gaga, Azealia Banks, Mika, ­désigné par la nature pour dissoudre le groupe. Lana Del Rey, Ellie Goulding ou justement Sam Smith ont tous fini en bonne position ou même en tête de cette liste – c’est dire si Confirmation de pronostics la sélection annuelle de la BBC est davantage qu’une lubie parta- Le band est un concept qui a sans doute fait ses preuves, mais peutgée par quelques accros. être est-il devenu trop romantique pour notre époque. Ne ­serait-ce Ce qui frappe dans ce classement, ce n’est pas seulement la que pour des raisons financières. Même des groupes très connus valeur marchande des noms retenus. C’est aussi le fait qu’il s’agit ne vivent plus de l’enregistrement et de la commerciali­sation de de solistes. Certes, Hurts, un duo leur musique. La vente de disques, électro pop qui s’est imposé tant le téléchargement, le streaming, tout cela ne constitue plus un bien que mal sur le circuit, y figure aussi. Ou Haim, un groupe de filles moyen de subsistance. Les musisolidement implanté dans les clubs. ciens du Grizzly Bear d ­isaient ­récemment dans une interview Mais en dix ans, la tête de liste n’a qu’ils allaient plutôt bien. Ce été occupée qu’à deux r­ eprises par groupe de Brooklyn, vénéré par un band, et pour 2015 le classement comporte onze solistes, un d’innombrables fans de rock induo et seulement trois groupes. dépendant, fait salle comble aux C’était bien différent auparavant. États-Unis, mais seuls deux de ses Sur les listes de la BBC de 2003, quatre membres peuvent s’offrir Les structures collectives rigides de la 2004 ou 2005, les groupes étaient une assurance maladie. En Suisse, encore en nette majorité. Le constat c’est la même chose : Züri West, un musique pop disparaissent. Le musicien est intéressant, parce que les prodes groupes chantant en dialecte abouti d’aujourd’hui n’est plus le fidèle nostics de la BBC ont un poids non parmi les plus connus de ces trente membre d’un groupe, mais plutôt négligeable et qu’ils ont tendance à dernières années, ne nourrit que un soliste disposant d’un bon réseau. son chanteur et auteur Kuno se confirmer. L’Ultimate Chart, un hit-parade mondial établi par la Lauener. Les autres membres décompagnie BigChampagne en Capendent, pour vivre, de revenus par Christoph Fellmann d’appoint (musiciens de studio, lifornie offre un tableau semblable : producteurs ou professeurs de cette liste établie à partir de méga données – ventes, téléchargements de songs et d’albums, mais musique). Rien d’étonnant si, dans la musique rock, on assiste à aussi streaming, nombre de visiteurs sur Youtube et sur les réseaux un redimensionnement : la nouvelle formule glamour de ces dersociaux, diffusion radio et nombre de billets de concert vendus – nières années est le duo, à croire que les conseillers de McKinsey donne une image assez précise des stars les plus populaires du mo- ont passé par les caves où les musiciens font leurs armes. Chez les ment : le 19 février 2015, le top ten se composait de neuf solistes et White Stripes, les Black Keys, les Ting Tings ou Royal Blood : une d’un groupe, et le top cent de 83 solistes, 3 duos et 14 groupes. guitare, une batterie, et c’est tout. Le rock n’est pas mort, il est juste devenu efficace. Rimes douteuses et guitares dures Mais les nouvelles réalités économiques du business musical Mais si les listes de la BBC et les Ultimate Charts donnent effecti- n’expliquent pas à elles seules le déclin des groupes. Il est un autre vement une idée de ce qui est prometteur sur le marché de la pop, facteur, tout aussi important : le rock joue aujourd’hui un rôle soce n’est pas une bonne nouvelle pour tous ces adolescents pleins cial tout différent qu’il y a encore vingt ans, quand Kurt Cobain d’espoir sur le point de créer un groupe. Le diagnostic est sans mettait un point final sarcastique à douze années de dérégulation ­appel : le band, modèle emblématique de la subculture de la reaganienne avec Smells Like Teen Spirit. Chanter une chanson ­musique rock depuis les années 1960, est en crise. Cela, après rock ne fait plus de vous un outsider qui cherche à se rattacher à avoir fait ses preuves pendant des décennies. Le groupe est une d’autres marginaux à l’intérieur d’un groupe. La pop, le rock ou le invention extraordinaire parce qu’il transforme la marginalité en punk ont peut-être été synonymes d’un style de vie. Aujourd’hui, expérience collective. Au moment même où rimes douteuses et ils donnent matière à des ateliers spécialisés : faire de la musique

Rock à ­géométrie variable

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dans la dignité. Ironie du sort, il est devenu plus simple de prolonger une carrière artistique de manière intéressante avec les méthodes actuelles. Si Radiohead a conservé son niveau à couper le souffle c’est aussi parce que, pendant les pauses du groupe, le chanteur Thom Yorke a passé beaucoup de temps dans des clubs avec ses amis D.J., pendant que le guitariste Jonny Greenwood étudiait la nouvelle musique et écrivait des bandes son. Damon Albarn, de Blur, a aussi dû commencer par dissoudre son groupe, quitter l’Angleterre et trouver de nouveaux amis musiciens dans le monde entier avant de devenir une des stars de la pop les plus polyvalentes d’aujourd’hui (ce Dans la musique rock, on assiste à un redimensionnement : qui ne veut pas dire qu’il devrait continuer à croire que les conseillers de McKinsey ont passé par les à composer des opéras). caves où les musiciens font leurs armes… Le rock n’est pas Le groupe n’est même plus compétent pour ce qui faisait l’essence du bon vieux mort, il est juste devenu efficace. rock’n’roll. Aujourd’hui, ce sont justement les solistes se produisant dans des collectifs d’un groupe prend souvent la forme d’une longue liste de « pro- informels qui exercent et incarnent avec tant de charme et de virjets » aujourd’hui, et il n’est pas rare de voir un jeune musicien tuosité les qualités premières du genre. Jack White par exemple, qui avait diversifié sa carrière et réparti son sound blues cabossé jouer dans trois, quatre, huit, quinze groupes différents. Une évolution qui est aussi le reflet de la pression écono- sur trois groupes – les White Stripes, Dead Weather et les Ramique. Seules quelques rares stars privilégiées peuvent vivre d’une conteurs –, avant de fonder en plus un label pour des disques viactivité unique. Les musiciens d’Animal Collective, un groupe nyles et de démarrer une carrière en solo. Ou Matthew E. White, ­célèbre de Baltimore, ne jouent pas seulement dans leur groupe un artisan virtuose, qui a utilisé à fond la crise de sa branche pour d’origine, mais aussi pour les disques de musiciens amis. Et en lancer non seulement une firme de disques, mais construire un ­parallèle, ils poursuivent tous une carrière en solo. Une vie de mu- studio et engager un groupe de musiciens maison. Ainsi, quelquessicien repose donc sur un « je » qui est à lui seul une véritable so- uns des plus beaux disques soul de notre temps ont été créés chez ciété anonyme. Et sur un réseau social composé de musiciens, Spacebomb Records à Richmond, Virginia, peu importe que ce soit mais aussi de cinéastes, de designers, de graphistes, de techniciens sous son propre nom ou sous celui de Natalie Prass, que White du son et de publicitaires. Les échanges se font sur le mode direct connaît depuis les jours lointains de l’école secondaire. La musique ou numérique. Noah Lennox, le batteur d’Animal Collective, vit pop n’a nullement perdu sa c­ apacité à faire revivre sans cesse ses depuis de nombreuses années à Lisbonne, où il enregistre aussi ses vieux mythes ou à célébrer de façon nouvelle les sonorités d’antan. disques en solo sous le nom de Panda Bear. Mais quand il travaille Seulement, ses méthodes ont changé, et même avec le son doucesur un album avec son groupe d’origine, les fichiers musicaux vont ment rétrophile de Jack ou Matthew E. White, la pop parle des rétout droit dans Dropbox pour traverser l’Atlantique. De même pour alités économiques et sociales de notre temps. Personne ne pourra la chanteuse britannique M.I.A. Elle transforme à Londres les dire qu’il n’a rien entendu venir. ­fichiers sonores envoyés par des partenaires vivant aux quatre coins du monde. Lady Gaga, quant à elle, est la figure centrale d’un collectif d’artistes, la House of Gaga, qui travaille à New York, c’està-dire dessine des scènes et des costumes, conçoit des vidéos et des scandales. est depuis longtemps une voie reconnue vers la réussite pro­ fessionnelle, enseignée dans les hautes écoles d’art et de musique. Et le principe régisseur de cette voie n’est pas la complicité, mais la concurrence. Ce n’est pas un hasard, si le gros des talents de la pop distingués chaque année par la BBC a étudié dans des art schools. Ce sont des solistes diplômés. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils tracent leur voie en égocentriques. Ils s’inscrivent plutôt dans des réseaux artistiques et jouent dans un groupe par intermittence. Ce qui se présentait autrefois comme la biographie

En réseau plutôt qu’en  band C’est ainsi que se font les choses au XXIe siècle en dehors de la scène pop aussi : au sein de collectifs informels justement, qui glissent aisément de l’amitié à l’activité professionnelle. En travaillant de manière connectée plutôt que contraignante, pragmatique plutôt que pathétique. De quoi devenir sentimental en voyant les Rolling Stones conjuguer inlassablement leurs guitares comme il y a cinquante ans, ou AC/DC, ébranlé par la démence, et qui continue quand même à jouer. Si ces groupes-là existent encore, ce n’est parce qu’il se sont juré fraternité à vie, mais parce qu’ils rapportent de jolies sommes. La création d’un groupe fut un modèle prometteur pendant des décennies, certes. Mais parmi ces groupes, rares sont ceux qui ont fait plus de trois ou quatre bons disques et vieilli

Christoph Fellmann, né en 1970 à Lucerne, travaille comme journaliste et texteur à Lucerne et Zurich. Il est responsable de la rubrique Pop pour le Tages-Anzeiger depuis 2008. Traduit de l’allemand par Ursula Gaillard

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U

n soir de fin janvier à Londres, on s’agite dans le foyer l’a bien compris dans toute l’Angleterre. C’est pourquoi, depuis dix du Bloomsbury Theatre. Dans une demi-heure se ans, des initiatives de public engagement financées par l’État jouera la dernière du Festival of the Spoken Nerd. En voient le jour un peu partout dans le pays, et à leur suite, de noudépit de son nom, il ne s’agit pas vraiment d’un festi- velles formes et idées imaginées pour que le public puisse expérival, mais d’un des shows scientifiques les plus appré- menter la science sur un mode divertissant. Pour ce faire, on mise ciés du moment en Angleterre. Le Bloomsbury ne fait pas partie volontiers sur la créativité des artistes. Steve Cross a lancé diverses formes de shows au cours desdes grandes scènes du West End londonien ; il n’est « que » le théâtre du University College London (UCL), mais n’est pas petit pour au- quels des scientifiques présentent les résultats de leurs recherches tant : la salle peut accueillir plus de 500 personnes et dans les ran- de façon accessible tout en essayant de divertir un public déjà bien gées de sièges complètes ce soir-là règne une atmosphère franche- servi en matière de comédies. Certaines de ces formes ont été ment détendue. C’est qu’à Londres, une présentation scientifique inaugurées au Bloomsbury, d’autres, comme le Science Showoff, n’est pas nécessairement une affaire silencieuse et distinguée, et un genre de science slam anarchique, Steve Cross les a conçues encore moins une affaire sérieuse. Le show du jour est un best of dès le départ pour des scènes non universitaires. Elles font des du divertissement scientifique et tournées dans les caveaux de pubs ou dans de petites salles d’un bout trois coryphées de la branche se sont associés pour l’occasion. Steve à l’autre de la Grande-Bretagne. Mould qui, en tant qu’animateur Leur particularité : les chercheurs télé, est le seul profane de l’équipe, ne sont pas livrés à eux-mêmes, ils est aussi celui qui aborde la matière sont suivis par des professionnels de la scène et accueillent avec sur le mode le plus facétieux : il joue l’apprenti sorcier téméraire qui se ­gratitude leurs conseils en matière lance sans cesse dans de nouvelles de di­vertissement, car il règne sur « Divertissement scientifique » – voilà expériences et ne s’épanouit véricette île une tradition de la « vulgaqui paraît une contradiction dans tablement que lorsque les choses risation » du savoir exempte de tout les termes. Mais en Angleterre, certaines déraillent. ­ Helen Arney et Matt jugement négatif. initiatives transdisciplinaires ont Parker, eux, sont des scientifiques. Un terreau fertile Tandis qu’elle explique et enjolive la été lancées qui rapprochent recherche de Le groupe Guerilla Science quant physique à l’aide du chant et d’un laboratoire et créativité artistique, ukulélé, lui joue le mathématicien à lui traite la science avec un faisant passer les concepts scientifiques qui ne comprend pas bien pourquoi peu moins de respect. Formé de dans le langage de tous les jours. le public ne partage pas sa fasci­ jeunes scientifiques et d’artistes, nation pour les formules, mais qui il a inscrit dès le départ sa devise dans son nom : ici, on se bat avec finit toujours, malgré tout, par par Roland Fischer trouver des voies extravagantes des moyens non conventionnels. À pour déclencher l’enthousiasme. Et l’aide d’installations théâtrales, ils leurs blagues, tous deux vont les puiser principalement dans les explorent la manière dont un public d’amateurs réagit aux champs hauts et les bas de leur propre expertise… et de celle de leur public. thématiques scientifiques, et souvent marginaux aussi, tels que Il est vrai que les rangs sont occupés essentiellement par des uni- l’expérimentation animale ou la physiologie des lèvres vaginales, versitaires, mais à part cela, le public est étonnamment mélangé : et cela dans un cadre aussi détendu que possible. Récemment par tous les groupes d’âge sont représentés, de l’étudiant de première exemple, le public a été invité à jouer les rats de laboratoire que des année survolté au sage professeur d’informatique senior. expérimentateurs, déguisés en rats, ont guidé ensuite d’un bout à l’autre d’une procédure d’expérimentation labyrinthique. Les terLa science divertissante rains de jeu favoris de ces guérilleros de la science, ce sont les fesLe public engagement, car c’est ainsi que se nomme ce secteur de tivals open air comme celui de Glastonbury où le public se rend, promotion, n’a pas encore d’équivalent chez nous, bien qu’il soit du moins le pensait-on, pour la musique. Mais Jen Wong, une des établi depuis longtemps déjà en Angleterre. Au UCL, c’est Steve directrices de Guerilla Science, corrige  : « L’atmosphère des festiCross qui en est le responsable. Ce scientifique et humoriste dirige vals est parfaite pour nos shows. Les visiteurs quittent leur trainun petit bureau qui organise, indépendamment du département train quotidien et sont prêts à expérimenter les choses autrement, bien plus important des relations publiques, des events qui tentent la science aussi. Tant qu’on les inspire et qu’on les divertit, le genre volontiers le grand écart entre sciences et art. Commercialiser leur importe peu. » l’université, rendre accessibles les résultats de ses recherches à un La plupart de ces initiatives interdisciplinaires proviennent public aussi large que possible, est un vrai défi. Mais combler le du milieu scientifique même. Bénéficiant d’un soutien étatique fossé entre experts et amateurs, trouver les moyens de parvenir à par le biais du public engagement, elles se développent principaun échange fructueux entre eux, de débattre de la science dans le lement grâce au terreau fertile de la Wellcome Trust. Cette fondadomaine public – et cela d’égal à égal –, en est un tout autre. Et on tion d’intérêt public, qui occupe le troisième rang à l’échelon mon-

Du labo à la scène

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dial, est non seulement le sponsor le plus important de la recherche médicale en Grande-Bretagne (bien plus important que les pouvoirs publics), mais dispose aussi d’un département bien doté ­financièrement qui subventionne les projets artistiques, en particulier ceux qui ont un lien avec des thèmes médicaux. Ariane Koek, qui a mis sur pied le programme Arts@CERN (voir page suivante) et a travaillé auparavant dans ce domaine à Londres, qualifie ­rétrospectivement l’engagement de la Wellcome Trust de game changer, d’aiguilleur et de donneur d’impulsions en ce qui concerne les projets interdisciplinaires. Depuis bien vingt ans, cette fondation invente de nouvelles formes permettant de rapprocher la science et l’art. Elle a connu d’ailleurs une évolution intéressante. Ken A ­ rnold, responsable des offres de médiation de la Wellcome Collection, le musée de la fondation, explique : « Au départ, les projets étaient encore très centrés sur la communication de contenus scientifiques. Mais peu à peu, les positions artistiques se sont émancipées. » Entretemps, la Wellcome Trust finance aussi des projets artistiques sans exiger d’eux qu’ils aient une utilité ­directe pour la science, ce qui permet une plus grande liberté et, selon lui, des débats plus captivants. Le musée, qui examine des thèmes médicaux sous un angle inhabituel et possède en outre une importante collection de pièces d’exposition d’artistes contemporains, passe pour être l’une des galeries les plus intéressantes et les plus courues de Londres. L’exposition de printemps sur l’histoire de la sexologie, qui aborde le thème sur un mode très narratif et s’intéresse, ce faisant, aussi bien aux contextes médicaux qu’à l’histoire de la culture, est bondée même les jours de semaine.

conscience sur le plan neurophysiologique. Au National Theatre, les représentations, toutes à guichet fermés, sont comme un adoubement qui fait clairement apparaître une chose : les thèmes pertinents d’aujourd’hui proviennent des laboratoires de recherche. Mais pour qu’ils atteignent le public, le meilleur chemin passe peut-être par l’art.

Sur un pied d’égalité En ce qui concerne la fusion de l’art et de la science, l’Angleterre abrite aussi l’un des plus grands précurseurs dans le secteur de la promotion de l’art : The Arts Catalyst. Un nom qui en dit long. L’organisation, qui a fêté l’an passé son vingtième anniversaire, s’est fait connaître bien au-delà de la Grande-Bretagne et collabore avec les grands musées d’art et de nombreuses universités. Elle promeut l’art « qui aborde la science de manière expérimentale et critique », comme on peut le lire dans sa charte. Le fait que l’art comme la science ont tout à gagner d’une ­réflexion inspirée et critique, les principaux acteurs de ces deux domaines en Grande-Bretagne s’en sont convaincus ces deux dernières décennies. En Suisse, l’idée d’une rencontre d’égal à égal demande encore à être apprivoisée, surtout par les scientifiques. En Grande-Bretagne, les chercheurs font rarement opposition, et c’est au contraire avec une grande curiosité qu’ils acceptent les défis que leur lance l’art. Daphna Attias du groupe théâtral Dante Or Die a enquêté, par exemple, sur la manière dont une liste détaillée de notre consommation de médicaments tout au long de notre vie peut être lue comme une biographie cachée. Au cours de sa recherche, elle a rencontré une grande ouverture d­ ’esprit chez les scientifiques et elle ajoute : « À partir du moment où nous sommes obsédés par une question, nous ne parlons plus des ­langues si différentes. » Dans sa dernière pièce The Hard Problem, Tom Stoppard, un des plus célèbres auteurs dramatiques anglais contemporains, aborde un thème scientifique, à savoir comment se forme notre

Roland Fischer est journaliste scientifique, tient un blog culturel et travaille lui aussi régulièrement à la frontière de différentes disciplines. Il est l’organisateur du Mad Scientist Festival de Berne et monte parfois sur scène avec des comédiens et des musiciens pour transmettre un peu de savoir sauvage ou Wildes Wissen. Traduit de l’allemand par Patricia Zurcher

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Culture et physique des particules Berceau du World Wide Web, le CERN constitue un haut-lieu de la culture numérique. Pro Helvetia et le programme Arts@CERN permettent à des artistes d’y effectuer des séjours de recherche de un à trois mois, afin de développer un projet de création interactive.

L

e CERN (Conseil européen pour la recherche nucléaire) n’est pas seulement le cœur mondial de la recherche en physique des particules et l’hôte du fameux Large Hadron Collider, il est aussi à l’origine de la révolution du Net. En effet, c’est là que, dans les années 1980, Tim Berners-Lee et Robert Cailliau développèrent les composantes du World Wide Web. Depuis son introduction dans le domaine public en 1993, le web a métamorphosé notre quotidien. Sous forme de fichiers numériques, les biens culturels y sont devenus accessibles partout et tout le temps, incitant les créateurs et les industries culturelles à repenser certaines de leurs pratiques. Les plus téméraires se sont vite emparés de l’espace du web pour développer des œuvres inédites. C’est à l’exploration toujours ouverte des nouvelles possibilités d’interaction que le programme Arts@CERN et la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia invitent, à travers une série d’appels à projets. Leur objectif est de permettre à des créateurs suisses issus de toutes les disciplines artistiques de se plonger dans les laboratoires du CERN, parmi les chercheurs, pour y concevoir un projet exploitant les ressources du web. Accelerate@CERN, une première initiative d’une durée limitée à un mois, a collisionné physique des particules et jeu vidéo. En novembre 2014, Nadezda Suvorova et Mario von Rickenbach ont ainsi pu s’immerger parmi

les chercheurs, les machines et le flot de ­données du Data Center du CERN. Le jury avait en effet choisi le projet de ces jeunes game designers qui, à eux deux, cumulent déjà un nombre impressionnant de distinctions sur la scène internationale du jeu vidéo indépendant. Les jeux Mikma de Nadezda Suvorova et Krautscape de Mario von Rickenbach ont notamment été présentés à San Francisco à la Game Developers Conference, événement phare dans ce domaine. Durant leur séjour au CERN, physiciens et informaticiens ont bombardé les deux créateurs d’informations et d’idées qu’ils doivent encore mettre en forme. Le second volet de la collaboration entre le CERN et Pro Helvetia s’amplifie et s’ancre dans un programme de résidences de trois mois, lancé par Arts@CERN en 2012 sous le titre de Collide@ CERN. Cette initiative a déjà permis l’accueil d’artistes renommés comme Julius von Bismarck, Ryoji Ikeda ou Gilles Jobin. Le lauréat de l’appel à projets « Collide@Cern – Pro Helvetia » résidera au centre fin 2015.

Blog de Nadezda Suvorova et Mario von Rickenbach ­documentant leur passage au CERN : playatcern.tumblr.com Informations complémentaires : arts.web.cern.ch www.prohelvetia.ch/mobile

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H EU R E L O CA L E

SAN  FRANCISCO

NEW  YORK

PARIS

ROME

LE  CAIRE

JOHANNESBURG

NEW  DELHI

SHANGHAI

VENISE

La Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia entretient plusieurs permanences dans le monde, dont la tâche est de développer les échanges et les réseaux culturels.

Le temps et le fleuve NEW DELHI

par Rosalyn D’Mello – Nous sommes au début du XXIe siècle. Une guerre nucléaire a rendu la Terre inhospitalière pour toute végétation. En prévision d’une époque où l’atmosphère pourra à nouveau accueillir les végétaux, diverses espèces sont installées dans de gigantesques serres hémisphériques portées par des vaisseaux spatiaux. Dans la position avantageuse qu’occupaient les États-Unis en 1972, ce genre d’anticipation n’était pas complètement farfelu. Ce synopsis n’est autre que l’intrigue du film de science-fiction Silent Running, réalisé par Douglas Trumbull : il s’agit d’un conte dystopique autour de l’instinct obsessionnel d’un homme soucieux de préserver les espèces végétales dont il a la charge. C’est par cette référence prophétique que commence un déroulement futuriste du temps prédit rétroactivement dans la littérature du XXe siècle. L’artiste suisse Marie Velardi

Julian Charrière et les 13 globes de sa contribution à la Biennale, We Are All Astronauts Aboard a Little Spaceship Called Earth.

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Photos: Menika van der Poorten

À la deuxième édition de la biennale de Kochi-Muziris, trois artistes suisses ont offert des perspectives inédites sur le temps et l’espace, la géographie et l’astronomie.


est à l’origine de cet ordonnancement chronologique des prédictions fictives. Intitulée Les futurs antérieurs, XXIe siècle, son œuvre déroule ses cinq mètres de papier sur une longue table rectangulaire, prédisant des évènements situés entre 2001 et 2099 et mentionnés dans des romans ou des films de science-fiction du XXe siècle. La mémoire du futur Exposée à la deuxième édition de la Biennale de Kochi-Muziris et dévoilée par Marie Velardi, la cartographie du futur imaginé s’inscrit dans la thématique majeure choisie par le directeur artistique Jitish Kallat, Whorled Explorations (explorations en spirales), et se veut « guide pour qui voyage dans le temps ». Les scénarios rapportés vont de l’effondrement complet de la civilisation à un univers où tout le monde parle portugais en passant par une migration vers Mars. À Fort Kochi – baigné par les eaux de la Periyar mouchetées de filets de pêche chinois, dans un paysage architectural syncrétique attestant de son passé de ville colonisée par les Hollandais, les Portugais et les Britanniques –, le fil du temps de Marie Velardi aurait pu sembler déplacé de par ses références essentiellement occidentales qui évoquent l’avenir comme extension du postcolonialisme. Et pourtant, comme le monde de fiction à partir duquel sont prédits ces futurs, l’œuvre tire sa valence imaginative de la force double de la probabilité et de la plausibilité. Les ­Futurs antérieurs de l’artiste sont une méditation sur la perception du futur à travers la lorgnette certes limitée mais imaginative du présent. À travers une autre de ses œuvres exposées, Marie Velardi s’adonne à la voyance qui

la pousse, au-delà de sa mission artistique d’archivage des prophéties, à créer ce qu’elle appelle « la mémoire du futur ». Une pièce toute bleue, figurant un globe terrestre ouvert, dont chaque mur représente un océan avec des méridiens tracés dans leur longueur, abrite un Atlas des îles perdues (2007). Au centre de l’œuvre, des dessins à l’encre d’îles inhabitées en cours de submersion de par le monde saisissent la fragilité de ces écosystèmes engloutis ; ces îles sont placées sur les murs selon un ordre géographique approximatif. Posé sur un socle, un volume relié, censé venir du futur, réunit les dessins de toutes ces îles. Sa couverture porte la date supposée de son impression : 2107, une époque où, selon l’estimation de Marie Velardi, toutes les îles répertoriées auront disparu. Son œuvre gagne encore en intensité dramatique dans le paysage de Kochi, une ville dont l’existence cartographique remonte à l’année 1341, lorsqu’elle a été construite pour remplacer la cité portuaire historique de Muziris noyée par les eaux de la rivière Periyar.

La Terre immobile C’est aussi le site de la Biennale qui a agi comme un catalyseur pour la contribution de Christian Waldvogel. À l’origine du projet, l’artiste découvre que pour quelqu’un qui est à Kochi, le point le plus septentrional de l’Inde se trouve à 125 kilomètres sous la ligne d’horizon, soit « une descente égale à 15 fois la plus haute montagne de l’Inde ». Selon l’artiste, son installation, spécifique au site de l’exposition et intitulée Recently, the non-flat-earth paradigm, est une représentation sculpturale de sa « redécouverte » et figure la partie de la surface convexe de la Terre, délimitée par les frontières ­politiques de l’Inde, telle que l’apercevrait une personne située à Kochi. L’atmosphère, convexe elle aussi, est rendue par une couche de nuages tout à la fois abstraite et réaliste. Autre installation de Christian Waldvogel à la ­Biennale, The Earth Turns ­Without Me est une œuvre plus complexe, qui traverse les frontières entre espace et ­ temps, chronique de la quête de l’artiste désireux de se tenir un bref instant à l’écart de la rotaPhoto de plateau du projet documentaire de Christian Waldvogel, The Earth Turns Without Me. tion terrestre. Christian WaldH E U R E LO CALE 33

Marie Velardi devant son axe du temps prophétique Les futurs antérieurs, XXIe siècle.

vogel a voulu nier le mouvement de la Terre vers l’est en volant lui-même vers l’ouest à la même vitesse à bord d’un avion. Son but était d’atteindre un état stationnaire par rapport au soleil et de faire du cockpit une caméra à sténopé afin d’obtenir une exposition statique de quatre minutes au soleil, preuve que la Terre avait effectivement tourné un moment sans lui. La présentation incluait les deux images en lightbox Earthstill et Starstill, qui avaient déclenché la recherche. La première, prise avec un ­appareil photo ordinaire, montre les étoiles devenant des traits lumineux sous l’effet du mouvement de la Terre, tandis que la seconde, prise avec un appareil d’astronomie, est une image nette des étoiles où le mouvement de la Terre est annulé. L’installation très élaborée résulte d’un voyage réel que Christian Waldvogel a fait à bord d’un supersonique des forces armées suisses volant plein ouest à la vitesse de rotation de la Terre (1158 km/h en Suisse). Outre les images en lightbox, l’installation comportait une vitrine de documentation détaillée sur la démarche, la vidéo de la surface de la Terre en mouvement filmée de l’avion immobile à proximité d’elle et un positif de la pellicule exposée dans le cockpit, révélant l’image du soleil non comme un trait mais comme un point concentré. Des mondes en suspens À l’instar des œuvres de ses contemporains suisses, celle exposée par Julian Charrière,


We Are All Astronauts Aboard a Little Spaceship Called Earth, a connu un franc succès auprès des nombreux visiteurs de la Biennale. Elle était à voir dans une pièce intérieure du Durbar Hall, monument restauré à Ernakulam, à quelques encablures en ferry du Fort Kochi, site principal de la Biennale. À leur arrivée à l’exposition, les visiteurs se trouvaient soudain transportés par ses dimensions et par la poésie inhérente à sa composition : treize globes fabriqués entre 1890 et 2011 sont suspendus entre le plafond et le dessus empoussiéré d’une table. À ceci près que les globes, qui représentent la Terre, ont été dépolis au « papier de verre international », un matériau que l’artiste a créé en utilisant des échantillons minéraux de tous les États du monde reconnus, qui lui restaient de sa composition artistique de 2013 intitulée Monument – Sedimentation of Floating World. Le tableau onirique de Julian Charrière paraît éthéré, les poussières éparses arrachées au papier de verre formant sur l’étendue plane de la table une délicate et fragile pellicule granuleuse. Les sphères désormais décapées flottent en apesanteur, comme débarrassées par miracle de leur fardeau, celui de contenir les myriades de frontières qui constituent l’expérience humaine de la Terre. « Mon œuvre s’intéresse au concept d’espace presque comme s’il s’agissait d’une production archéologique traitant de questions culturelles plutôt que de géographies politiques spécifiques », explique Julian Charrière. « Exposer We Are All ­Astronauts dans le contexte indien ­permet d’en faire de nouvelles lectures, c’est-à-dire des interprétations liées à une culture. Ce n’est ni l’œuvre qui s’adapte à l’espace ni le contraire, c’est la combinaison des deux qui génère de nouveaux sens. » Ancienne rédactrice en chef de BLOUIN ARTINFO Inde, Rosalyn D’Mello est une écrivaine et journaliste indépendante installée à New Delhi, et. Son prochain ouvrage, à paraître bientôt sous le titre A Handbook For My Lover, sera publié en Inde aux éditions Harper Collins. Traduit de l’anglais par Catherine Bachellerie

Une année décisive JOHANNESBURG

Dans son projet à long terme intitulé 21, l’artiste suisse Mats Staub explore les souvenirs que les gens ont gardé du temps où ils ont atteint leur majorité. Après plusieurs expositions à travers l’Europe, il a maintenant installé son projet en Afrique du Sud. par Bongani Kona – Kent Lingeveldt ­soupire avant de parler dans le micro. « J’ai eu vingt et un ans en 2000 », dit-il, « mais c’était une époque difficile, tragique même. » Depuis tout jeune, le skate-board était sa passion, et sa demi-sœur, qu’il adorait, faisait du roller. Cette année-là, un jour de l’été long et brûlant, il dévalait une rue en pente raide, en plein vent, dans un quartier de la banlieue sud du Cap. Sa sœur le suivait de près, lorsqu’elle a dérapé et heurté de plein fouet les pierres alignées sur le bord. Elles lui ont transpercé les ­poumons. « Elle est morte dans mes bras », raconte-t-il en se repassant ce moment où il a senti la vie quitter le corps de sa sœur. Skateur et photographe professionnel, Kent est l’un des protagonistes du projet 21, dans lequel l’artiste Mats Staub invite diverses personnes à se souvenir de ce qu’ils ont ressenti quand ils ont atteint leur majorité. Au départ, l’artiste suisse a conçu ce projet audio-vidéo à l’occasion de la ­réouverture en 2012 du Künstlerhaus ­Mousonturm de Francfort-sur-le-Main, en Allemagne. Il avait alors d ­emandé aux ­résidents d’un foyer pour personnes âgées, ­situé à proximité du théâtre, de se remémorer le jour de leur majorité. Puis il a continué à interroger des dizaines de personnes dans différentes villes de toute l’Europe, de Belgrade à Zurich. Le virage « Je me vois comme quelqu’un qui écoute », m’explique Mats Staub lorsque nous nous rencontrons pour l’interview au Cap, en Afrique du Sud. « Je pense qu’écouter est une bonne chose ». Nous avons pris place dans un bureau à l’ameublement spartiate au quatrième étage du centre Pan-African HEUR E LO CALE 34

Market, sur Long Street, l’artère animée qui traverse tout le centre-ville du Cap. C’est le début de l’été, mais le ciel est gris et couvert. Bien que les grands-parents de Mats Staub se soient rencontrés en Tanzanie, y soient tombés amoureux et y aient vécu quelque temps, c’est la première visite de l’artiste sur le continent africain. Son ­assistante, Andrea Brunner, l’a accompagné et ils s’apprêtent à enregistrer une série d’entretiens pour le projet. « L’année de mes vingt et un ans a été cruciale pour moi », précise l’artiste pour expliquer la source personnelle de son projet. Né à Berne en 1972, il a étudié le théâtre, le journalisme et les sciences des religions. Il a été journaliste et dramaturge au Theater Neumarkt à Zurich durant quelques ­années, avant de s’intéresser à l’art de plus près en 2004. « Je n’ai pas compris ça à vingt et un ans, mais dix ans plus tard, je me suis peu à peu aperçu que c’était bien cette année-là », celle qui a marqué son entrée dans l’âge adulte. Tout comme à Kent, l’artiste demande à chaque participant de commencer le récit de son histoire en indiquant l’année de son vingt et unième anniversaire. Pendant l’interview audio, Mats Staub se fait discret, orientant parfois la conversation, mais se contentant la plupart du temps d’écouter. Ces entretiens sont enregistrés pour faire plus tard l’objet d’un montage. Ensuite, l’artiste rend à nouveau visite aux parti­ cipants afin de filmer l’expression de leur ­visage pendant qu’ils écoutent leur témoignage enregistré. Leurs émotions vont de la joie à la tristesse tandis qu’ils repensent à leur trajectoire de vie, à leurs réussites et à leurs chagrins. L’installation vidéo ­présente des narrateurs en train d’écouter


Mats Staub, un artiste à l’écoute. Au cours de notre conversation, il assure que les gens qu’il rencontre pour son projet 21 lui donnent du courage.

Photo : Kent Lingeveldt

leurs propres souvenirs. Ainsi, le visiteur qui voit la vidéo entre à son tour dans l’expérience d’écoute, partageant ce moment intime avec la personne qui se raconte. Abolir les frontières « Parfois, je me sens extrêmement proche d’une personne en écoutant son histoire », déclare Andrea Brunner, qui a fait le montage de certains enregistrements. « Quelle que soit la situation difficile qu’ils aient eu à traverser, ils ont tous eu dans leur vie des problèmes avec les mêmes choses, avec la famille, avec l’amour. » C’est là l’aspect transcendant du projet : il abolit les frontières ethniques, sociales, culturelles, et permet à des personnes ayant grandi dans les régions du monde les plus diverses, et parfois dans des situations très différentes, de se sentir profondément en connexion avec un autre être humain.

Le récit de Kent racontant la mort tragique de sa sœur a incité Mats Staub à parler ­enfin de sa propre difficulté à accepter le décès de son unique frère, disparu en ­décembre 2014. « J’ai la sensation d’être derrière une vitre à cause de la mort de mon frère », a-t-il dit à Kent, assis à l’autre bout d’une longue table en bois. « Parler aide beaucoup. » Bien que le projet 21 encourage les participants à se souvenir de leur passé – un thème récurrent dans la plupart des projets de Mats Staub – ce dernier affirme être « plus intéressé par le ­présent que par le passé ». Et plus parti­ culièrement par l’influence du passé sur le présent, ou comment notre mémoire ­façonne les personnes que nous devenons. Courage et résilience Le traumatisme est omniprésent dans les histoires que les gens racontent sur le H E U R E LO CALE 35

temps de leur majorité. Quelques jours plus tard à Johannesburg, Mats Staub dit avoir interviewé une femme dont les vingt et un ans remontent à 1977, une époque d’une violence notoire dans l’histoire de l’Afrique du Sud, puisque le régime d’apartheid avait alors durci la répression dans une tentative désespérée de se maintenir au pouvoir. Un an plus tôt, en 1976, les révoltes avaient secoué Soweto et la police avait ouvert le feu, tuant et blessant des centaines d’écoliers. Arrivée à l’âge adulte dans une période aussi incertaine, dans le vacarme des tirs qui résonnaient, « elle ne savait vraiment pas comment la vie continuerait », dira Mats Staub quand j’ai repris l’interview avec lui plus tard via Skype. « Il y avait tant de ­funérailles à ce moment-là ». Aujourd’hui, vous voyez une femme qui « a réellement traversé des choses difficiles » et ne pouvait pas à l’époque imaginer un avenir « où elle sourirait ». « La résilience m’inspire une admiration grandissante », a écrit la poétesse américaine Jane Hirshfield dans son poème Optimisme. « Non la simple résistance de l’oreiller dont la mousse, indéfiniment, reprend sa forme d’origine, mais la ténacité sinueuse de l’arbre : devant l’obstacle lui coupant subitement la lumière d’un côté, il se tourne de l’autre ». Le courage et la résilience de l’être ­humain face aux défis sont un fil rouge ­reliant les histoires que les gens racontent à Mats Staub sur leur passage à l’âge adulte. « Lorsque vous voyez les gens, ils ont survécu », dit-il. « Tout le monde survit, vous les voyez en vie. Vous les voyez à présent et c’est encourageant. » Même s’ils gardent parfois une trace de tristesse pour les personnes et les choses perdues en chemin, ils ont survécu. Et c’est peut-être là ce qui importe le plus. www.matsstaub.com Bongani Kona est un auteur indépendant, installé au Cap. Ses textes ont, entre autres, paru dans l’édition sud-africaine de Rolling Stone ainsi que dans les journaux Mail & Guardian et Sunday Times. Il publie aussi régulièrement des chroniques dans Chimurenga, un magazine panafricain dédié à la culture, à l’art et à la politique. Traduit de l’anglais par Catherine Bachellerie


De brillantes perspectives  pour la musicienne vaudoise Verveine, qui a travaillé d’arrache-pied dans le cadre du projet Opération Iceberg.

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R EP OR TAGE

La pointe de l’Iceberg L’Opération Iceberg plonge dix jeunes artistes dans le bain, avec résidences, formations et concerts. Un laboratoire transfrontalier, qui se veut accélérateur de carrières. Rencontre avec ses acteurs. par Roderic Mounir (texte) et Carine Roth (photos)

Seule en scène, Verveine s’affaire sur son attirail électronique dressé sur une table, micro posé au milieu des câbles. Blonde androgyne vêtue de noir, la Vaudoise baigne dans un univers synthétique fascinant, sombre mais faussement glacé. Sa voix riche en modulations rappelle Björk, sa musique a des réminiscences trip-hop et des lignes de basses robotiques qui renvoient aux années 1980 de Depeche Mode, Yazoo et Kas Product. Ce soir-là, à l’Usine de Genève, elle tisse ses climats envoûtants en première partie du trio new-yorkais Blonde Redhead, devant un public peu à peu conquis. Le charme opère. Verveine a le vent en poupe. Bosseuse, elle est l’une des artistes sélectionnés pour participer à la première Opération Iceberg. Iceberg ? Après l’Eisbär des frères ­Eicher et le chanteur Polar, la nouvelle métaphore boréale en vogue au « Pôle Pop » ? L’Opération Iceberg est en réalité un coaching innovant pour jeunes artistes de Suisse romande et des régions françaises de Franche-Comté, de Bourgogne et d’Alsace. Ses capitaines sont les Eurockéennes de Belfort, l’un des plus gros festivals d’été ­européens, et la Fondation romande pour la chanson et les musiques actuelles (FCMA). L’appellation « Iceberg » se réfère R E PO R TAG E 37

aux notions d’émergence et de circulation dans un bassin commun. En mutualisant leurs compétences, les porteurs du projet espèrent encourager l’innovation et la diversité culturelle en aidant de jeunes talents à se professionnaliser. Lancée en 2013, l’expérience pilote s’achève ce printemps. Ses bénéficiaires ont été dix artistes pop-rock, folk, électro et hip hop. Quatre Romands : Verveine (Vevey), Billie Bird (Lausanne), Murmures Barbares (Neuchâtel) et Schwarz (Porrentruy / La Chaux-de-Fonds). Et six Français : Cotton Claw (Besançon), Pih-Poh (Belfort), Sunless (Dijon), The Wooden Wolf (Mulhouse), D-Bangerz (Mulhouse) et Valy Mo (Mulhouse). Leur sélection revenait aux programmateurs des clubs partenaires du projet : côté suisse, les Docks et le Romandie à Lausanne, la Case-à-chocs à Neuchâtel, le Bikini Test à La Chaux-de-Fonds et le SAS à Delémont. En France, la Poudrière à ­Belfort, la Rodia à Besançon, la Vapeur à ­Dijon et le Noumatrouff à Mulhouse. Directeur de la FCMA, Marc Ridet s’est lancé avec enthousiasme dans le projet : « Développer les réseaux et former les acteurs du milieu musical sont les raisons d’être de la FCMA ». Basée à Nyon, soutenue par les collectivités publiques et des


festivals comme Paléo et Festi’Neuch, la FCMA encourage déjà les échanges transfrontaliers via Walk The Line et Les Trans­ voisines, les cousines pop des manifestations pionnières que sont JazzContreband et Suisse Diagonales Jazz. Pour Jean-Paul Roland, directeur des Eurockéennes, ces échanges sont une évidence : « Malgré les pôles attractifs que sont les agglomérations de Genève et de Lausanne, les artistes romands évoluent dans un bassin restreint et sont donc contraints de s’exporter pour faire carrière. » Les Eurockéennes ont beau jouir d’un rayonnement national, voire international, « leur ancrage et leur légitimité se bâtissent d’abord à l’échelon local. Favoriser l’émergence des talents de demain fait donc partie de nos missions. Cela nous permet aussi de solliciter des fonds auprès des collectivités publiques. » Un mariage de raison, et plus si affinités. Un effet d’entraînement Concrètement, comment se déroule l’Opération Iceberg ? Trois étapes sont prévues : un temps de résidence avec des intervenants extérieurs, des formations sur des thèmes tels que le droit d’auteur, le numérique, la mobilité artistique à l’heure de la mondialisation, et enfin, des concerts dans l’espace transfrontalier. Chaque étape s’accompagne d’un carnet de bord (blog, reportage radio, vidéos, etc.) partagé sur le site de l’opération et sur les réseaux sociaux. Un CD compilant un titre par artiste a été pressé à 2000 exemplaires et distribué aux médias ainsi qu’aux professionnels. Ni contraintes ni contrats. Le seul cadre posé par Iceberg est une charte qui engage l’artiste à se rendre disponible pendant la durée de l’opération – entre un et deux ans en fonction du cycle choisi –, à participer aux formations et à fournir les informations utiles à la promotion. Transports, hôtels, repas, défraiement (150 francs par jour et par personne), tout est pris en charge. Le budget de l’Opération Iceberg se monte à peu plus d’un million de francs. Une moitié est issue de la valorisation des prestations et du temps de travail fournis par les salles partenaires, le reste provient de subventions. L’Union européenne et certains instruments transfrontaliers sont mis à contri­bution, tels le fonds de coopération Belfort-Jura ou le fonds ­vaudois Interreg. Pro Helvetia et Suisa, le Paléo Festival, l’organe de promotion Swiss

Les deux Jurassiens de Schwarz et la chanteuse de folk lausannoise Billie Bird ont profité de cet encouragement individuel.

Music Export, les villes de Lausanne, Neuchâtel, la Chaux-deFonds et le canton de Neuchâtel sont également de la partie. On mesure le défi logistique d’un tel assemblage ! Les initiateurs tirent un bilan très positif de l’expérience. « Au final, les concerts ont été beaucoup plus nombreux que prévu  », constate Jean-Paul ­Roland. « L’Opération Iceberg a produit un effet d’entraînement. » Les artistes ont joué le jeu et sont ravis. À l’image de RE PO R TAG E 38


Verveine, dont la carrière a connu un coup d’accélérateur depuis son passage aux Transmusicales de Rennes, en décembre dernier. Libération lui a consacré un portrait dithyrambique. La Veveysanne s’est produite au Café de la Danse, à P ­ aris, en première partie de Chapelier Fou, son partenaire de résidence : « Je connaissais mal son travail mais ce choix s’est avéré judicieux. Chapelier Fou se sert aussi de machines et maîtrise la technique sur le bout des doigts. On a bossé comme des fous ­durant trois jours et trois nuits. Depuis, je maîtrise bien mieux mes machines. » Verveine a encore travaillé la pose de sa voix avec l’auteure-compositrice flamande An Pierlé : « Une rencontre incroyable. J’ai beaucoup échangé avec cette artiste qui a vingt ans de carrière derrière elle. » Quatre ans après ses premières ébauches et un ­album paru fin 2013 (Peaks), la chanteuse et pianiste de formation classique a rejoint l’écurie lausannoise Creaked Records (OY, Larytta, Gaspard de la Montagne). Elle vient de publier Antony, son nouvel EP avec sept titres. Les dates s’enchaînent, de Paris à Athènes. Perspectives radieuses qui n’excluent pas quelques angoisses : « Il y a un monde entre les fantasmes et la réalité de musicienne professionnelle. En tant qu’artiste solo, j’ai dû prendre en compte bien plus d’aspects que je ne l’imaginais. L’Opération Iceberg m’a permis de rompre l’isolement, de bénéficier de conseils et d’intégrer un réseau. » Une grande latitude Même sentiment chez Billie Bird. Pour la Lausannoise au folk écorché, « une carrière artistique est en partie affaire de réseau ». Des concerts comme ceux qu’elle a donnés en ouverture de Camélia Jordana à Dijon ou au Festival Antigel à Genève, avec le prodige britannique Benjamin Clementine, pèsent de tout leur poids. Photos de coulisses postées sur Facebook et likes à la clé. « Avec la chute des ventes de disques, on n’est plus dans l’opulence, mais plutôt dans la qualité d’un rapport avec une communauté fidélisée. » Pour une artiste émergente, les réseaux sociaux sont primordiaux. « Je me pose pas mal de questions sur leur utilisa-

tion. Lorsque je publie mon actualité, j’en vois très vite l’impact. Mais il ne faut pas non plus en dépendre. On finit par se demander si on a été assez actif, si l’on devrait ajouter des infos pour exister. » L’Opération Iceberg a mis Billie Bird face aux réalités du marché. « Certaines formations ont été très instructives, par exemple sur la gestion des droits d’auteur. J’ai demandé aux représentants de la Sacem s’il fallait s’inscrire chez eux pour pouvoir jouer en France, ils m’ont dit que Suisa s’occupait de la collecte auprès des sociétés de gestions à l’étranger. » Pour les résidences de Billie Bird, les coordinateurs ont tenu compte de ses besoins. L’artiste écrit en anglais sans être anglophone. De précieux conseils et un réseau : c’est tout ça, et plus encore, qu’offre Opération Iceberg. Elle a donc passé deux jours au SAS de Delémont avec Matt Elliott, song­ writer et arrangeur britannique au style mise avant tout sur l’énergie et la spontatout différent du sien. « Lui écrit des chan- néité. Avec la musique pop c’est différent. Il sons à boire de dix minutes, moi des textes faut travailler dur pour se distinguer, car les sur des états d’âme, dans la pure tradition codes sont hyper-établis. » Schwarz a publié folk. C’était amusant de confronter nos fin 2014 son album éponyme sous le label univers. On a passé une première soirée jurassien Hummus Records. à discuter à bâtons rompus. Ensuite, on a Chacun a pu développer son langage tout mis à plat, r­ emodelé des textes, testé propre. Le projet pilote terminé, quel avedifférentes manières d’exprimer une idée. » nir pour Iceberg ? « Nous souhaitons pérenUne autre r­ ésidence s’est concentrée sur les niser le projet, en faire un moteur d’intéarrangements sous la baguette de Marcello gration transfrontalière », répond Jean-Paul Giuliani, membre du quartet d’Erik Truffaz Roland. « Nous travaillons avec des juristes et réalisateur d’albums pour Sophie Hun- et des programmateurs à un ‹ kit de mobiger, Anna Aaron, The Young Gods. lité artistique › qui faciliterait l’engagement Pour les Jurassiens de Schwarz, qui des musiciens provenant de l’autre côté de jouent une « dark pop électro » accrocheuse la frontière. Ce qui, pour l’heure, se heurte et sophistiquée, l’expérience a été d’autant à des obstacles liés aux lois françaises sur le plus profitable que le groupe venait à peine statut social des artistes, d’autorisation d’éclore quand il a intégré le projet. « Cer- préa­lable pour l’organisation de concerts, tains d’entre nous avaient 800 concerts à etc. » Iceberg espère s’étendre aux cantons leur actif, d’autres cinq », explique le guita- romands qui n’y participent pas encore, riste Jonathan Nido, rompu aux tournées voire à d’autres, proches de la frontière de ses deux formations hardcore/metal, française, tel Bâle. En pleine ébullition, Coilguns et The Ocean. La résidence de mais relativement isolée, la scène romande Schwarz à la Rodia de Besançon a servi à devrait y trouver matière à rayonner. peaufiner la cohérence du set, la présence Roderic Mounir est musicien et journaliste au scénique et la fluidité des transitions. « Tout quotidien Le Courrier, en charge des musiques dépend de ce que l’on cherche », estime Joactuelles. Il est le coauteur de l’ouvrage Post Tenebras Rock, une épopée électrique – 1983– nathan. « Cela n’aurait pas de sens de faire 2013, paru aux éditions La Baconnière en 2013. une résidence avec un groupe hardcore, qui

« Il y a un monde entre les fantasmes et la réalité de musicienne professionnelle. » Verveine R E PO R TAG E 39

Carine Roth est photographe et iconographe ; elle vit et travaille à Lausanne. Elle crée par ailleurs des installations qui allient image, texte et son.


AC T UA L I T É S PRO H ELV E T I A

Nouvelles perspectives à la Quadriennale de Prague

Under the Tail of the Horse : tel est le titre générique des différentes contributions suisses à la Quadriennale de Prague, l’événement international le plus important en matière de scénographie. Une équipe de ­curatrices et curateurs signe la parti­cipation suisse, sur mandat de Pro ­Helvetia. Ils inaugureront l’exposition ensemble, le 18 juin, sous la statue équestre de saint Venceslas qui, à la fin du XIXe siècle, a donné son nom à la place des parades. L’installation Wenceslas Line de Markus Lüscher et Erik Steinbrecher, longue de plusieurs

centaines de mètres, ouvre le regard sur cette place chargée d’histoire et aujourd’hui noyée sous le flux de la circulation, afin de nous la faire vivre ­autrement. Une même intention anime Eric Linder. Il investit l’imposante piscine olympique Podolí avec une performance-­ concert des groupes suisses OY et ­Sunfast. Le public peut assister à Podoli Wave du haut des tribunes ou dans la piscine emplie d’eau. Reception est le titre du troisième volet de la contribution suisse : on y voit les travaux photoACTU ALITÉS PR O H E LV E T IA 40

graphiques d’Iren Stehli et de Rishabh Kaul, exposés dans le palais Clam Gallas, l’un des centres de la manifestation. Pour tous ceux qui ne peuvent se rendre dans la capitale tchèque, il vaudra la peine de faire un détour par la Suisse centrale : en parallèle à la Quadriennale de Prague, dans le Haus für Kunst d’Uri, le duo d’artistes Lang / Baumann intervient de façon ludique dans la scéno­ graphie du musée, proposant également des perspectives inédites. www.sharedspace.ch

Photo : Eric Linder

Un volet de la présentation suisse à la Quadriennale de Prague se joue dans la piscine olympique où d’ordinaire les nageurs font leurs longueurs : Eric Linder y met en scène Podoli Wave, une performance-concert.


Entre design et économie Comment des designers peuvent-ils changer l’entreprise ? Comment fonctionne le rebranding, ce renouvellement de l’image de marque ? Telles sont les questions au centre du Design Day, qui s’est déroulé le 17 juin 2015 pour la seconde fois en parallèle aux Prix suisses du ­design, dans les locaux de la Foire de Bâle. L’objectif est de coordonner l’encouragement du design et de jeter un pont entre création et ­marché. Pro Helvetia y invite un groupe de spécialistes à s’entretenir avec les jeunes designers et à répondre à leurs questions. Il est également prévu d’y p­ résenter les marques et les œuvres de jeunes talents. Le Design Day est une i­ nitiative de quatre acteurs ­nationaux de l’encouragement public et

Discussions entre experts et designers lors du Design Day de l’an dernier.

privé du ­design : Pro Helvetia, l’Office ­fédéral de la culture, le Creative Hub d’Engagement Migros ainsi que le Prix suisse du design. www.prohelvetia.ch

Photos : Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia ; timbre-poste : © La Poste suisse

Un nouveau blog artistique

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Photos extraites des projets Offscreen et Setting de Gabriela Löffel: Collection Cahiers d’Artistes 2015, série XII.

La Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia soutient des artistes suisses ­prometteurs en leur offrant une première publication, une façon pour elle de renforcer tous les deux ans sa promotion des arts visuels. Désormais cette mesure d’encouragement est flanquée d’un blog moderne qui signale les expositions et les publications actuelles des artistes. Par ailleurs, on y trouve la liste de toutes les monographies qui ont été publiées depuis 1984, de Fischli / Weiss et Pipilotti Rist, Valentin Carron, Davide Cascio ou Claudia Comte aux artistes de la série XII, 2015: Thomas Bonny, Delphine ­Chapuis Schmitz, Daniel Karrer, Gabriela Löffel, Sara Masüger, Filib Schürmann, Miki Tallone und Benjamin Valenza. Les huit derniers Cahiers d’Artistes sont présentés à la LISTE | Art Fair Basel de cette année, qui aura lieu du 16 au 21 juin, simultanément au démarrage du nouveau blog d’art. cahiers.ch

Matériaux, ­humains et ­autres Le monde comme construction, l’humain comme mesure de toutes choses : c’est avec ces idées que le réalisme ­spéculatif veut rompre. Ce courant de pensée se reflète dans des œuvres où le matériau joue un rôle déterminant, ­faisant passer l’importance de l’artiste au second plan. Our Product, c’est le nom de l’exposition de Pamela Rosenkranz, l’artiste qui investit le pavillon suisse cette année pour la 56e Biennale d’art de Venise. Les matériaux sont pour elle tout aussi importants que la question de l’« humain ». Pour son exposition dans le pavillon suisse, cette Uranaise ­d’origine a rempli un bassin de liquide couleur chair, bassin qui occupe toute la pièce et dont la surface est agitée de vaguelettes. En remettant en cause notre consom­ mation effrénée, notre délire sportif, la chirurgie plastique et l’immortalité numérique, elle interroge l’auto­nomie de l’être humain et de son corps. L’exposition a pour commissaire ­Susanne Pfeffer, directrice du Fridericianum de Kassel. Le Salon Suisse, programme d’accompagnement officiel dans le Palazzo Trevisan, invite de plus à réfléchir au dadaïsme : ­intitulé S.O.S. DADA – The World Is A Mess, ce cycle est conçu par Le timbre-poste spécial Juri Steiner et de Pamela Rosenkranz. Stefan Zweifel. Pro Helvetia est en charge de la présen­ tation suisse à la Biennale de Venise qui dure jusqu’au 22 novembre. En complément, Pamela Rosenkranz a créé un timbre-poste à l’effet tactile particulier : il a une structure qui rappelle la peau humaine quand on le touche – alliant ainsi matérialité et humanité sur une surface minuscule. www.biennials.ch

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PA R T E N A I R E

Le livre comme ­paysage La Fondation Jan Michalski pour l’Écriture et la Littérature à Montricher.

sur les langues originales et privilégiant d’éventuelles traductions françaises, ce fonds est renforcé par le souci de l’actualité du livre que couvrent une centaine de revues littéraires. Le Prix de la Fondation, remis annuellement par un jury entièrement composé d’écrivains de langues et d’affinités variées, distingue également la diversité des écritures. Le livre, à Montricher, est le sujet d’explorations et de questionnements ­ constants. La scénographie modulable de la salle d’exposition présente des œuvres graphiques qui opèrent un trait d’union entre le mot et l’image, tandis que l’auditorium programme des rencontres publiques avec des auteurs qui font l’actualité. « C’est un mécénat poussé jusqu’au bout », commente Pierre Lukaszewski, directeur de la Fondation. « De son écriture, au soutien et à sa diffusion, de sa réception à son économie, tous les efforts ont été déployés pour magnifier le livre ». La Fondation, en construction depuis quatre ans, s’enrichit peu à peu de nouvelles composantes. De part et d’autre de la canopée seront bientôt amarrées des « cabanes », sortes de coffres maintenus surélevés à l’aide de câbles, tous imaginés par différents architectes. Ils abriteront sept résidences pour écrivains du monde entier dès 2016. Avec ces cabanes, le programme architectural achèvera de matérialiser l’acte symbolique de l’écriture, selon l’image du geste et de la pensée en suspens. Elisabeth Jobin (née en 1987) a étudié à l’Institut littéraire suisse avant de suivre des études d’histoire de l’art ­ contemporain à l’Université de Berne. Elle travaille comme auteure et pigiste.

triplé au cours de l’année dernière et la somme allouée aux aides et subventions a été revue à la hausse jusqu’à atteindre 1,5 million de francs en 2014. Au cœur du bâtiment, la bibliothèque forme une impressionnante structure de galeries en chêne massif, aménagée sur quatre étages. Ouverte au public depuis janvier 2013, elle réunit déjà près de 50 000 livres, tous acquis auprès de libraires indépendants de Suisse et d’Europe, soit un p­ anorama de la littérature moderne et contemporaine du monde entier. Misant

PARTENAIRE : FO NDAT IO N JAN M ICH ALSK I 42

La rubrique Partenaire présente des institutions engagées dans l’encouragement de la culture, qu’elles soient privées ou publiques, nationales ou internationales.

Illustration : Raffinerie

par Elisabeth Jobin – On ne vient pas par hasard à la Fondation Jan Michalski pour l’Écriture et la Littérature. L’endroit est aussi retiré qu’emblématique. Situé à Montricher, au pied du Jura vaudois, son siège regarde la chaîne des Alpes qui s’étendent au-delà du Léman. À ce paysage ouvert, l’architecture imaginée par le Jurassien Vincent Mangeat répond par des formes tout en légèreté, qui théâtralisent la rencontre de la nature et de la littérature. De loin déjà, on aperçoit la structure ajourée de son toit, une canopée qui couvre comme une toile la bibliothèque, la salle d’exposition et l’auditorium. Cette promesse de calme, qui s’adresse tant aux lecteurs qu’aux auteurs, a été­ ­formulée par la mécène Vera Michalski-­ Hoffmann. Un nom connu dans le milieu littéraire : les éditions Noir sur Blanc, qu’elle a fondées en 1986 avec son époux, ont pour vocation de mettre en réseau les cultures de l’Europe orientale et ­occidentale. Elle a poursuivi le travail de son mari disparu trop tôt, en créant en 2004 en son hommage la Fondation Jan Michalski pour l’Écriture et la Littérature. Celle-ci puise son identité dans la diversité de la création littéraire, mais se distingue de l’engagement éditorial par une ambition de représentation totale : l’ensemble des étapes qui font la vie d’un livre est visible à Montricher. L’entreprise philanthropique poursuit une politique de promotion culturelle où le livre se révélerait par le truchement d’une littérature vivante, d’échanges et de mises en dialogue entre l’auteur et son public. « Nous avons construit en partant de zéro pour créer un microclimat autour de la littérature. À terme, notre objectif est de freiner l’érosion de la lecture », explique Vera Michalski. « J’avais remarqué un manque de ce côté-là en Suisse romande », poursuit-elle, « et j’ai voulu y suppléer. » La Fondation prend ancrage dans la scène ­littéraire romande tout en soignant l’ambition d’un rayonnement international. Depuis 2007, soit deux ans avant les débuts des travaux à Montricher, la Fondation a financé salons du livre ou événements ponctuels, autant d’occasions de rencontres pour ceux qui ne seraient pas naturellement confrontés au livre. Les demandes ont


CA RTE BL A NCHE

Les coulisses du texte par Michèle Roten – Je termine ces jours ma première pièce de théâtre et je dois reconnaître que j’en éprouve une certaine tristesse. Je n’aurais pas pensé en arriver là. Car il faut bien l’avouer : le théâtre et moi, ça fait deux , je ne l’­apprécie pas trop. L’idée m’a toujours énormément plu. Mais dans la pratique, cela n’a jamais été un véritable coup de foudre. Il faut dire que j’ai souvent assisté à des représentations mettant en scène, à mon grand dépit, tous les clichés possibles : tous les protagonistes sont nus à l’exception de l’officier nazi, ou les ­acteurs crient en permanence, ou encore du sang artificiel coule à flot sans ­vraiment de raison valable à mes yeux. Et souvent, il régnait tout simplement trop de confusion. Quand de longs passages ne sont que jeux de mots, que pendant plus de 10 minutes, je ne comprends pas qui parle, ni où nous nous trouvons, ni pourquoi la femme s’enfonce en riant une lame dans le vagin, c’en est trop pour moi : je déclare forfait. Mais le plus grand problème que j’ai avec le théâtre, c’est que je m’en suis très souvent sentie exclue. J’avais le sentiment d’assister à une fête d’entreprise sans faire partie des employés. Le théâtre est un système fortement autoréférentiel. Cette impression s’est renforcée quand j’ai pu me glisser dans les coulisses. Désemparée, j’ai quitté plus d’une discussion parce que je ne comprenais pas les allusions et les références à d’autres pièces, régisseurs, auteurs et représentations. Tout me paraissait abstrus : « Au niveau de la mise en scène, j’imagine ça comme blablabla» – « Oui, comme au théâtre Blabla, avec le directeur artistique Bla » – « Pour moi, c’était trop bla, j’aurais aimé plus de blabla » – « Ou bien alors blablabla » Et tout le monde d’éclater de rire. Sauf moi. D’un côté, j’avais donc des doutes au début de ce projet. Mais de l’autre, j’en avais immensément envie. Parce que je commençais à en avoir assez du journalisme. Parce que j’aime écrire des dialogues par-dessus tout. Et parce que j’avais juste

envie de me lancer dans quelque chose de complètement différent. Sans être pressée par le temps. Une année. Génial ! Au début, j’ai longtemps porté en moi l’idée que je devais écrire une pièce de théâtre. Je prenais des notes. Je surlignais des passages intéressants dans les livres et les magazines. J’imaginais que l’idée d’une pièce de théâtre se révélait à son auteur comme une épiphanie. Une lumière claire, un picotement, eurêka ! Mais rien ne se ­passait. Un jour, une amie me raconta une expérience vécue qui se grava dans mon ­esprit. L’idée de m’en servir pour ma pièce de théâtre ne s’imposa que bien plus tard, au bout de plusieurs semaines. Puis vint le moment où il fallut commencer à écrire. Là encore, j’avais une idée bien précise de la façon dont ça se passerait. Je me voyais partir en retraite. Quelque part dans les montagnes, sans distraction, deux semaines pour écrire, tôt au lit, levée aux ­aurores, écrire, écrire, écrire. Lorsque l’organisation de cette pause commença à s’avérer compliquée, je compris qu’il fallait me lancer. Comme pour un article, comme pour une chronique, comme pour un texte « tout à fait normal ». Au début, j’ai eu des difficultés colossales. Entre excuses et fauxfuyants, le temps s’accéléra et tout à coup, CAR T E B LANCH E 43

ce fut quand même une course contre la montre. Zut et flûte ! Je finis par m’y mettre grâce à un ­programme que j’avais déniché. Un programme qui facilite, du seul point de vue formel, l’écriture de dialogues. Je l’essayai, tapai quelques lignes et quand je m’arrêtai, j’avais tout à coup une scène sous les yeux. Et maintenant, j’ai presque terminé, et quelque part cela me rend triste. Parce qu’au bout d’un moment, les personnages étaient devenus comme des amis. Ils ­évoluaient, changeaient, souvent, ils me surprenaient. C’était là les plus beaux ­moments : quand les choses survenaient d’elles-mêmes, quand j’étais davantage spectatrice. Quand j’observais en oubliant tout ce qu’il y avait autour de moi, tandis qu’une histoire se jouait sous mes yeux. Comme au théâtre, ma foi. Michèle Roten, 35 ans, a été chroniqueuse et rédactrice du Magazin, supplément hebdomadaire du journal Tages-Anzeiger, jusqu’en 2014. Elle a fait des études de littérature allemande, sociologie et criminologie et vit à Zurich. D ­ urant la saison 2014 / 2015, elle est l’auteure associée du Konzert Theater Bern. Sa pièce Wir sind selig a été créée le 5 juin 2015 à la Heitere F ­ ahne, Berne. Traduit de l’allemand par Anne Schmidt-Peiry Illustration : Alice Kolb


GA LERIE

Emile Barret Transmissions : La Psychologie (Syndrome du Collectionneur) La Philosophie (Tetrapharmakon) La Linguistique (Orateur) 2013 105 × 139 cm


Né en 1989, Emile Barret a grandi dans les environs de Paris. En 2012, il a obtenu son diplôme en communication visuelle et photographie à l’École Cantonale d’Art de Lausanne (ECAL). Son travail de fin d’études a été couronné d’un Swiss Design Award en 2013. La même année, il a obtenu le Prix du public au Festival de Mode et de Photographie de Hyères. Emile Barret travaille souvent de grands formats. Ses compositions foisonnantes donnent libre cours aux associations. Combinant les systèmes

de référence les plus divers, elles déstabilisent nos habitudes visuelles et renvoient le spectateur à lui-même. L’artiste a montré ses travaux dans ­diverses expositions individuelles et col­ lectives en Europe, mais aussi en Afrique et en Asie. Jusqu’au 20 juin, la Galerie d’(A) de Lausanne présentait Macération des Simples, Darkroom, Lis Popolit Sacàrides, Nootropics Fitness, des phénomènes préoccupants…, une exposition qui réunissait Emile Barret et Fabrice Schneider. G ALE R IE 45

LLIAISONS, le projet montré jusqu’au 23 août au Musée de l’Élysée de Lausanne dans le cadre de l’exposition reGeneration3, a vu le jour à l’occasion d’une bourse d’atelier à Londres. www.emilebarret.com

La rubrique Galerie présente, dans chaque numéro, l’œuvre d’une ou d’un artiste de Suisse.


Passages, le magazine de la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia, informe sur l’art et la culture de Suisse et sur ses échanges culturels avec le monde. Passages paraît deux fois par an et il est diffusé dans plus de 60 pays – en allemand, français et anglais.


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Dramatiser l’espace No 63

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La scénographie dans tous ses états À Rome : l’art et la science en dialogue À New York : les œuvres de jeunesse de l’artiste David Weiss À Saint-Pétersbourg : une coproduction helvético-russe L E M AG AZI NE C ULTUR E L DE P R O HE LV E TI A, NO 6 3 , 2 /2 0 1 4

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Bouillon de cultures No 60

Bouillon de cultures Arts, migrations et société Acrobatie, surréalisme et poésie : Daniele Finzi Pasca à Montréal Biennale de Venise : Valentin Carron dans le Pavillon suisse Varsovie : Rébellion scénique contre le contrôle tous azimuts

La Fondation Pro Helvetia soutient la culture suisse et favorise sa diffusion en Suisse et dans le monde. Elle s’engage pour la diversité de la création culturelle, elle aide à définir les besoins de la culture et concourt à l’existence d’une Suisse culturelle multiple et ouverte.

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Nous avons des routes séparant ­communautés riches et pauvres, nous créons des campus isolés de leur environnement, nous laissons nos rues cesser d’être des espaces à usage mixte. C’est une si mauvaise idée ! Les lisières, lieux de rencontre Richard Sennett interviewé par Anne McElvoy, p. 8

C’est ainsi que se font les choses au XXIe siècle en dehors de la scène pop aussi : au sein de collectifs informels qui glissent ­aisément de l’amitié à l’activité professionnelle. En travaillant de manière connectée plutôt que contraignante. Rock à géométrie variable Christoph Fellmann, p. 26

Les thèmes pertinents d’aujourd’hui proviennent des laboratoires de recherche. Mais pour qu’ils ­atteignent le public, le meilleur chemin passe peutêtre par l’art. Du labo à la scène Roland Fischer, p. 29

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