Passages n° 54

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passages

Jeux vidéo : l’art du futur « Gäuerle » et « Chlefele » : la Suisse et sa culture populaire en Argentine p. 6 Chopin en terres orientales et expérimentales p. 36 Le poète fuyant : vaine recherche à Buenos Aires p. 41 le MagaZ iNe CU ltU r e l de pr o H e lV e t ia, N o 5 4 , 3 / 2 0 1 0


SoMMaire

10 – 35 Dossier : JEUX VIDÉO : L’ART DU FUTUR 3

EDITORIAL Next level : l’art par Pius Knüsel

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ACTUALITÉS PRO HELVETIA En quête d’une nouvelle identité / Une littérature suisse passefrontières / Destruction créatrice / Le cinéma expérimental suisse en Inde

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REPORTAGE « Chlefele » pour débutants par Hans Moser (texte) et Marco Vernaschi (photos)

Couverture : Mirage Jeu vidéo de Mario von Rickenbach, ZHdK 2010

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HEURE LOCALE Varsovie : Chopin en Orient – un songe contemporain par Florence Gaillard Paris : Un écrin pour les livres suisses par Florence Gaillard

Des jeux vidéo à forte valeur esthétique : notre dossier présente les travaux de fin d’études conçus dans le cadre de la filière game design de la Haute école des arts de Zurich. 12

The world is not enough par Nicolette Kretz

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La quête du Graal par Marc Bodmer

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GameCulture – le programme de Pro Helvetia

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L’art de l’immersion par Martin Burckhardt

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Sans prototypes, pas d’avancée Raffael Schuppisser s’entretient avec Malte Behrmann

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Homo ludens à l’ère des jeux vidéo par Thierry Wendling

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PARTENAIRE La Zuger Kulturstiftung Landis & Gyr : un engagement pionnier par Brigitte Ulmer

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IMPRESSUM PASSAGES EN LIGNE A SUIVRE

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CHRONIQUE Où est passé César Aira ? par Christoph Simon

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GALERIE Une plateforme pour les artistes Horizonville par Yann Gross


editorial

Next level : l’art Lorsqu’on inventa la presse à imprimer et que parurent les premiers livres, les grands de ce monde se lamentèrent, prédisant décadence et ruine, incriminant la patience du papier. Résultat : on instaura la censure. Mais rien ne devait faire obstacle à la genèse de la littérature. Lorsque parut le cinéma, les gardiens de la culture se mirent en rage. On parla de barbarie, du déclin de l’Occident face à un médium dont les obscénités fascinaient. Résultat : le cinéma servit à la propagande, ce qui ne l’empêcha pas de se soustraire à la politique pour devenir un art. Et aujourd’hui, les jeux vidéo sont là. Et de nouveau, des voix s’élèvent pour fustiger la brutalité croissante, la déchéance morale et l’incitation à la violence. Pro Helvetia serait une bien mauvaise institution d’encouragement à la culture si elle n’était pas persuadée que l’intelligence créatrice est capable de soutirer le meilleur de tout nouveau médium, pourvu qu’il vienne à maturité. Cela s’applique aussi aux jeux vidéo. La moitié des jeunes de moins de 25 ans joue régulièrement. La vision de l’interactivité, dont tellement d’artistes avaient rêvé, est enfin devenue réalité. Elle marquera la manière dont la prochaine génération abordera l’art. Le jeu vidéo élève le moi au rang de metteur en scène dans un théâtre fantastique. Les créateurs de jeux de la première génération, celle qui sort actuellement des écoles supérieures de Suisse, se considèrent comme des artistes, au même titre que les compositeurs ou les écrivains. Ils développent l’éventail des jeux vidéo bien au-delà des jeux de tuerie si obsédants pour l’opinion publique : jeux graphiques, jeux combinatoires, jeux narratifs riches en histoires complexes, en situations difficiles à démêler, en conflits moraux. Il n’est plus question de rester simple observateur, mais plutôt de faire ses propres expériences. Il est temps que l’encouragement à la culture se préoccupe du phénomène culturel prédominant de notre époque. Il est temps d’animer les forces créatrices du pays et de veiller à ce que paraissent de beaux jeux, spirituels, exigeants et esthétiques, et non seulement de banales superproductions. En lançant son programme GameCulture (2010–2012), Pro Helvetia explore une page d’avenir culturel. Ce numéro de Passages y contribue. Faites vos jeux ! Pius Knüsel Directeur de Pro Helvetia 3


a C t U alitÉS p r o H elV etia

Une littérature suisse passefrontières

La globalisation imprime sa marque sur notre société, bouleversant des structures qu’il avait fallu des siècles à mettre en place. Les migrations font que de plus en plus de personnes se sentent déracinées, éprouvent le sentiment de n’avoir plus ni langue ni patrie, mais sont aussi en quête de nouvelles identités. L’exposition Dislocación se consacre à ce phénomène mondial de notre époque et à toutes ses facettes : près de 15 artistes contemporains réputés de Suisse et du Chili présentent leur vision toute personnelle de la question – parmi eux, Ursula Biemann, Juan Castillo, Alfredo Jaar et Thomas Hirschhorn. L’exposition s’accompagne de conférences, de projections de films et de publications. Deux curatrices signent sa mise

en place : Ingrid Wildi Merino, Chilienne d’origine vivant à Genève, qui d’ailleurs participe aussi à l’exposition en tant qu’artiste, et Kathleen Bühler du Musée des beaux-arts de Berne. Jusqu’en novembre, ce projet binational a été exposé à Santiago du Chili. A partir du 15 mars et jusqu’au 19 juin 2011, l’exposition sera accueillie au Musée des beaux-arts de Berne. Elle constitue l’un des volets du programme culturel développé par Pro Helvetia, en collaboration avec le Chili et l’Argentine, à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance de l’Amérique latine. www.dislocacion.cl

L’exposition Dislocación aborde les thèmes de la globalisation et des migrations.

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Les histoires pour enfants de Franz Hohler sont accessibles aux lecteurs de langue espagnole.

Traduire des œuvres littéraires est une entreprise onéreuse pour les maisons d’édition. C’est pourquoi les écrivaines et écrivains de Suisse restent souvent ignorés en dehors des frontières de leur région linguistique. C’est là qu’intervient Swiss List, le projet que Pro Helvetia lance dans le cadre de Moving Words, sa priorité consacrée à la traduction. Grâce à l’aide de ses bureaux de liaison, des traducteurs et des médiateurs littéraires, elle noue, dans le monde entier, des liens avec des maisons d’édition désireuses de publier une série d’ouvrages littéraires suisses. C’est possible parce que la Fondation pour la culture se charge des frais de traduction et accorde un soutien à la promotion. Ainsi, la Translation Publishing House de Shanghai a publié dix titres suisses en chinois, dont Nach Hause schwimmen, le roman de Rolf Lappert qui a obtenu le premier Prix du livre suisse. La maison norvégienne Ganesa et la maison indienne Seagull Books publient également une Swiss List. La littérature pour la jeunesse a sa place dans ce programme : Das grosse Buch (Le grand livre), une anthologie d’histoires pour enfants de Franz Hohler, a déjà trouvé son public de lecteurs en espagnol et en catalan.

Photo : El espejo de Friedman de Rodrigo Araya

En quête d’une nouvelle identité


Destruction créatrice Under Destruction (En destruction) c’est le titre subtil d’une exposition collective qui, actuellement, fait halte au Museum Tinguely de Bâle avant de partir pour le Swiss Institute de New York dès mars 2011. La raison en est le 50e anniversaire de la performance que Jean Tinguely a donnée au Museum of Modern Art de New York avec sa machine autodestructrice. Avec les quelque vingt travaux d’artistes internationalement connus qu’elle présente, l’exposition montée par Chris Sharp et Gianni Jetzer, directeur du Swiss Institute, explore le rôle de la destruction dans l’art contemporain. Au début des années soixante, l’art autodestructeur était avant tout spectacle, protestation, manifestation politique. Les œuvres contemporaines réunies dans Under Destruc-

Dans l’installation de Jonathan Schipper, la technique devient son propre ennemi.

tion ont une intense valeur visuelle : pourtant détruire n’est pas tout à fait synonyme d’annihiler, ici. L’exposition collective démontre combien la destruction est liée à l’acte créateur et elle fait apparaître les fonctions qu’elle revêt dans l’art : la destruction comprise comme un memento mori, comme une transformation poétique ou comme créativité. L’exposition présente, entre autres, des

Photo du haut : Courtesy of the Artist & Pierogi, 2010

Le cinéma expérimental suisse en Inde

A voir en Inde : court-métrage de Werner von Mutzenbecher.

La Suisse, terre de cinéma, a d’autres atouts dans son jeu que les montagnes qui servent de coulisses exotiques à Bollywood. Pro Helvetia en fera la preuve cet hiver, avec un séduisant programme de courts-métrages présenté à New Delhi. Swiss experimental films from 1962– 1974 s’invite dès la fin février, pour deux semaines, à Pune, Mumbay et dans d’autres métropoles indiennes. Des projections de films, des ateliers et des tables rondes aideront le public à se faire une idée d’une période peu connue de l’histoire cinématographique de Suisse. Qu’il s’agisse de prendre position sur la Guerre du Viêt-Nam ou de créer des séquences

œuvres de Monica Bonvicini, Jimmie Durham, Michael Landy, Liz Larner, Christian Marclay, Roman Signer et Johannes Vogl. Under Destruction reste encore au Museum Tinguely de Bâle jusqu’au 23 janvier 2011, puis elle sera du 2 mars au 30 avril au Swiss Institute de New York. www.tinguely.ch www.swissinstitue.net

de visions hallucinatoires – dans le bouillonnement des années soixante, de nombreux artistes ont découvert les possibilités du cinéma. Les jeunes cinéastes de l’époque se moquaient des conventions et laissaient libre cours à leur créativité. Leurs expérimentations ont ouvert la voie au Nouveau cinéma suisse, dont faisaient partie des cinéastes aussi célèbres qu’Alain Tanner, Fredi M. Murer et Markus Imhoof. En 2006, ces courts-métrages sont réapparus sur les écrans pour la première fois depuis cette époque, après avoir végété des dizaines d’années dans les archives et les greniers. Ils ont été retrouvés et restaurés par reservoir, un collectif de curateurs réunis autour du spécialiste zurichois Fred Truninger, qui présentera en personne ces Swiss experimental films en Inde. Le programme détaillé se trouve à l’adresse www.prohelvetia.in

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« Chlefele » pour débutants Le « Chlefele », le lancer du drapeau, le claquement du fouet, le « Gäuerle » : un groupe d’artistes a été invité en Argentine pour présenter ces us et coutumes de la culture populaire suisse. Tandis que les jeunes Argentins abordaient avec enthousiasme une terre culturelle inconnue, ce moment marqua, pour l’ancienne génération des émigrés, des retrouvailles parfois mélancoliques avec un petit coin de leur patrie.

Une valse entraînante dans le Club Suizo de Ruiz de Montoja, en Argentine. Barbara Betschart (violon), Markus Flückiger (accordéon schwytzois) et Stephan Keiser (contrebasse) présentent la musique poulaire de Suisse.

par Hans Moser (texte) et Marco Vernaschi (photos) Au quatrième essai, ils s’en tirent déjà très bien pour la prononciation. « Chlefele », dit encore une fois Robert Kessler, et les élèves répètent en chœur, avec une légère nuance d’accent espagnol, ce mot qui à leurs oreilles sonne pour le moins exotique. Au bout de dix minutes, les plus habiles parviennent même à tirer quelques sons de leurs deux planchettes de bois. Puis leur hôte venu de Suisse leur montre comment un maître de la spécialité manie la version helvétique des castagnettes, et les vingt jeunes essaient de l’imiter. « Combien de temps avez-vous dû vous exercer pour maîtriser ça si parfaitement ? ». Voilà ce que veut savoir Nicolá, 13 ans. « Une année », répond Kessler, avant de se saisir d’un fouet de cuisine et d’en frapper rythmiquement une caisse en bois. « Les familles, dans les montagnes suisses, n’avaient pas d’argent pour acheter de vrais instruments », raconte-t-il, « c’est pourquoi elles recouraient à tous les ustensiles de ménage possibles pour faire de la musique ». A quel point le résultat peut être bon, les élèves peuvent ensuite l’expérimenter eux-mêmes. Kessler leur met dans les mains, à chacun, une grande cuillère en bois, deux bouteilles en verre vides, un balai de riz et un morceau de bois, une « Rira », c’est-à-dire, justement, un « Chlefele ». Il demande qu’on ne cherche pas d’abord à jouer fort mais juste ; cependant, la plupart ne l’entendent plus, car ils sont complètement absorbés par la partie qu’ils tiennent dans 7


r ep o r ta ge

ce concert improvisé. Les sons discordants dominent. Pourtant Nicolá et ses camarades trouvent leur plaisir dans cette rencontre brève mais intense avec un monde que la majorité d’entre eux ne connaissait au mieux que par ouï-dire. Les coutumes suisses rencontrent le tempérament argentin L’atelier, qui a lieu dans l’Instituto Linea Cuchilla, une école professionnelle où l’on enseigne les techniques agricoles, dans la province argentine de Misiones, fait partie du projet Culture populaire aujourd’hui, développé à la demande de Pro Helvetia par l’agence suisse de management culturel AAA et le folkloriste Johannes SchmidKunz. Ce dernier, en compagnie de cinq autres artistes, est parti pour un voyage de trois semaines en Amérique du Sud, afin de transmettre la culture populaire suisse d’hier et d’aujourd’hui, dans des écoles, au sein d’associations, à la fête traditionnelle des immigrés d’Oberá (une ville du nord de l’Argentine), ainsi que dans d’autres manifestations publiques en Argentine et au Chili. Dans la salle polyvalente de l’Instituto Linea Cuchilla, Schmid-Kunz enseigne à un groupe de jeunes les pas d’une danse populaire. Les élèves, surtout les plus petits, se meuvent d’abord avec hésitation et maladresse. Mais guidés par leur professeur de danse, par l’accompagnement musical de Barbara Betschart, violoniste et professeur de musique, et de Markus Flückiger, qui joue de l’accordéon schwytzois, ils ont tôt fait de perdre leur timidité. « Dans cette école, on cultive la danse, et c’est réjouissant », constate le maître d’œuvre du projet, Schmid-Kunz, à la fin de l’atelier, « même si le bruit, parfois, était tel qu’on n’entendait plus la musique ». Que des enfants, dans une école sudaméricaine, réagissent avec plus de tempérament et plus de spontanéité que leurs camarades de la lointaine Suisse, c’est l’expérience que fait aussi le chanteur et jodleur Stephan Keiser, lorsqu’il enseigne à ses groupes le chant populaire Det obe of em Bergli. Le mot « Chueh » (c’est-à-dire « Kuh », « vache ») sera presque aussi difficile à prononcer pour eux que « Chlefele », mais cela ne fait qu’accroître, semble-t-il, leur fascination. La mélodie trouve rapidement son assise et malgré un ou deux lapsus, les élèves, à la fin, dominent les trois strophes. Keiser les récompense par 8

Plus drôle que les maths : les jeunes-filles de l’école professionnelle d’agriculture s’exercent aux danses populaires suisses.

un jodel, puis il demande aux enfants ce que c’était. Son visage s’éclaire d’un large sourire lorsque l’un d’eux répond : « un opéra ». Retrouvailles avec un petit coin de patrie Après les ateliers, l’on n’entend presque que des commentaires positifs. Beaucoup de jeunes sont simplement ravis de la diversion que les visiteurs venus de Suisse introduisent dans leur quotidien scolaire, en faisant sauter pour une fois l’heure de maths ou le cours d’histoire. Patricia, 13 ans, a particulièrement goûté la danse. Son camarade de classe, le très vif Alejandro, a de son côté trouvé fantastiques les démonstrations de « Chlefele » : « Incroyable, ce qu’on arrive à tirer d’instruments tout simples, et nous pouvions nous y essayer. J’ai déjà entendu de la musique populaire suisse à la télévision, mais live, c’est mieux, bien sûr. » Le directeur de l’école, Max Günthardt, ne tarit pas non plus d’éloges : « Parmi les 430 élèves de notre école internationale, on compte environ dix pour cent d’enfants de nationalité suisse », dit-il. « Pour eux, mais aussi pour tous les autres, nous essayons, avec un enseignement facultatif de l’allemand et d’autres activités, de transmettre la connaissance et la compréhension des spécificités culturelles de la Suisse. Dans des ateliers intensifs, près de 150 élèves des

deux sexes ont eu l’occasion d’apprendre à connaître la musique populaire suisse, de 1 danser une schottisch et d’essayer divers instruments à percussion typiquement suisses. » La plupart des jeunes, au cours de ces heures passées avec leurs hôtes venus de Suisse, foulent une terre culturelle vierge. Mais le soir, au Club Suizo local de Ruiz de Montoya, et le lendemain, à l’association suisse d’Eldorado, à une heure et demie de voiture, il s’agit de retrouvailles avec un petit coin de patrie, surtout pour les plus âgés. Beaucoup d’entre eux ont quitté la Suisse depuis des décennies, parce qu’ils n’y trouvaient pas de quoi assurer leur subsistance. Dans la province de Misiones, ils se sont bâti une nouvelle vie de paysans ou d’artisans. Ils sont devenus Argentins et sont pourtant restés Suisses, peu ou prou. Dans un local un peu sombre, à Ruiz de Montoya, l’atmosphère commence par être plutôt pesante. Celui qui vient de l’extérieur y perçoit une vague nostalgie, mais aussi quelque chose de la souffrance attachée au destin d’émigré. Mais il suffit que Robert Kessler fasse puissamment claquer son fouet, puis exécute avec brio, en compagnie de sa femme Margrit, un allègre « Gäuerle » (danse nuptiale traditionnelle), pour que la glace soit rompue, et que l’atmosphère se détende. Lancer du drapeau,


Le mot « Chueh » sera presque aussi difficile à prononcer pour eux que « Chlefele », mais cela ne fait qu’accroître, semble-t-il, leur fascination. jodel, chants, démonstrations de « Chlefele », danses : c’est ainsi que le groupe d’artistes présente un petit échantillon du riche fonds de la culture populaire suisse. A son répertoire, il compte aussi un morceau que Markus Flückiger, virtuose de l’accordéon schwytzois, a composé lui-même. Ce musicien professionnel de 41 ans a renouvelé la scène du folklore en s’alliant avec des formations comme Pareglish, qui combinent les musiques populaires des pays les plus divers. Des ländler se mêlent à de la musique classique, la polka s’allie au rock, et l’accordéon schwytzois à la musique électronique. Flückiger s’inspire d’éléments de la culture populaire d’origine

très ancienne, mais il les interprète dans un esprit contemporain, sans perdre le respect de la tradition. Autre aspect de la modernisation de la culture populaire suisse : le cor des Alpes de Stephan Keiser est en carbone, et pour le voyage on peut le raccourcir comme une lunette télescopique ; ainsi devient-il aisément transportable. Si la même chose avait été possible pour une contrebasse, la troupe aurait aussi apporté cet instrument de la mère-patrie. Peu avant le début du concert à Ruiz de Montoya, on a fini par en trouver une, non sans de longues recherches : une famille a déniché dans son grenier la contrebasse que les émigrés de 1938 avaient emportée dans la province de Misiones. « Todo genial » A Oberá, le cours de lancer du drapeau pour les jeunes et les adultes, mais aussi un happening de danse improvisé, avec le groupe de danse populaire suisse de l’endroit, furent des prestations couronnées de succès. La directrice, qui a vécu quelques années à Winterthur, convoque en un tournemain ses danseuses et ses danseurs par SMS. Il apparaît rapidement que les autochtones et leurs hôtes connaissent les mêmes danses, et c’est ainsi que le soir ils réalisent ensemble le grand spectacle de la Fiesta de los Inmigrantes. « Les gens d’Oberá ont ab-

sorbé tout ce que nous jouions, dansions et chantions, comme une éponge desséchée » : tel est le bilan que tire Johannes SchmidKunz. « Les gens sont extrêmement intéressés à en savoir davantage sur la Suisse ». De même Corinna Steinmann, directrice de la fondation culturelle argentino-suisse à Buenos-Aires et coorganisatrice de la tournée en Argentine, se félicite : « Cette présence conjointe sur scène, durant la fête, a permis un authentique échange culturel ». Tout bien pesé, la visite des Suisses en Argentine est cependant plus un rafraîchissement culturel pour émigrés qu’un véritable échange. Il est certain que le groupe suisse, de retour au pays, retire de ce voyage des impressions durables. Mais pour une réelle réciprocité, le projet aurait dû ouvrir davantage les yeux des visiteurs sur les transformations de la culture populaire argentine. Lors de la tournée du groupe suisse au chalet Suizo à Esperanza, dans la province de Santa Fe, le local est occupé jusqu’à la dernière place. Ici, le public est d’emblée enthousiaste. De même durant les cours du lendemain, dans deux écoles, les musiciens et les danseurs suisses s’étonnent de voir à quel point l’intérêt des douze-treize ans pour la culture populaire est plus grand que chez leurs camarades du même âge en Suisse. A la fin, les élèves réclament même des autographes aux artistes. « Todo genial – tout était génial » : Luis Megevand, l’organisateur local, résume ainsi ses impressions. Hans Welti, qui vit depuis six décennies dans la province de Misiones, s’est exprimé de manière un peu moins euphorique deux jours auparavant, lors du spectacle d’Eldorado. Mais dans son style réservé, il a lui aussi complimenté le groupe suisse : « Enfin », concède cet homme de 85 ans, « j’ai à nouveau entendu de la vraie musique de mon pays ». 1 Danse de salon d’origine germanique, malgré son nom, et apparentée à la polka. Hans Moser a été correspondant du quotidien zurichois Tages-Anzeiger pour l’Amérique latine entre 2001 et fin 2009. Il continue de vivre à Buenos Aires et travaille de manière indépendante pour différents médias.

Cuillères en bois, fouet, planchettes de bois, « Chlefele », flûte à bec et « Rira » : ces appareils modestes surprennent souvent par leurs étonnantes sonorités.

Marco Vernaschi est d’origine italienne et vit depuis 2005 à Buenos Aires. Lauréat de nombreux prix, ce photographe travaille surtout en Afrique et en Amérique du Sud, entre autres pour Geo, Newsweek et National Geographic. www.marcovernaschi.com Traduit de l’allemand par Etienne Barilier

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Jeu x vidéo  : L‚AR T DU FU T UR

Colorize de Christoph Jörg, ZHdK 2010

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Jeu x v idéo  : L‚AR T DU FU T UR

Du jeu à l’art Les jeux vidéo font partie de la culture du quotidien, impossible d’imaginer le monde d’aujourd’hui sans eux. Concepteurs de jeux, scénaristes et compositeurs ­travaillent main dans la main à l’élaboration de ces paradis numériques qui procèdent à la fois de l’art et de l’économie. Découvrez, en lisant le dossier de Passages, comment une joueuse invétérée passe ses vacances avec une famille virtuelle, où les scientifiques bricolent leurs avatars plus vrais que nature et pourquoi les jeux vidéo pourraient bien devenir l’avenir de l’art.

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Jeu x vidéo : L ’AR T du F u T u R

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Il y a des jours où le monde est Aussi m’arrive-t-il, s’il pleut sur mes sont pour eux des choses qui comptent, car tout simplement « not enough ». vacances, de pousser la porte d’un game- chaque Sim a un but. Par exemple être parOù les choses ne sont pas tout shop plutôt que d’une librairie pour me ticulièrement populaire, connu, être un à fait telles qu’on l’imaginait procurer un moyen de fuir la réalité. Et jour un espion de calibre international, quand les autres disaient « vous c’est, tout récemment, le sourire aux lèvres avoir le jardin le mieux tenu du quartier… verrez, ça finira par s’arranger ». et les Sims 3 dans mon sac à main que je Mais comme dans la vraie vie, l’ordinaire Alors vous prenez un livre. Vous allez au suis rentrée chez moi. Contrairement à un du quotidien occupe la plus grande partie cinéma. Au théâtre. Vous allumez la télé. livre, que l’on peut déjà commencer à lire de leur journée : manger, dormir, toilettes, Vous prenez de la dope. Ce qui est décon- dans le tram, un jeu vidéo demande quel- passer sous la douche, faire des rangeseillé par les lois. Ou vous glissez un jeu que préparation. Rien de bien méchant. ments, nettoyer, jeter des vieux papiers, vidéo dans votre lecteur de disques. Ce Juste quelques clics, histoire de faire le mé- manger, dormir, toilettes, passer sous la qui est déconseillé par les tenants de la nage sur le disque dur et d’installer le jeu, douche, faire des rangements, nettoyer, jeculture. et c’est parti. En respectant, j’en ai la ferme ter des vieux papiers. Et voilà déjà qu’arrive C’est pourtant ce que m’a appris le mi- intention, les instructions du fabricant : un message de la meilleure amie disant lieu dans lequel je vivais. Les parents des « Ne pas jouer si l’on se sent fatigué ou qu’elle se sent négligée – dans le jeu comme autres enfants fréquentaient dans la vraie vie. les Eglises libres, mon père Le joueur donne luitravaillait chez IBM. Ce qui même aux protagonistes de revient au même. Les deux cette maison de poupées bidimarquent une enfance et, mensionnelle leur apparence par contagion, toute une vie. et leur caractère. Comme j’en Le dimanche, tandis que les suis à mon premier essai, j’opte pour la modération et filles de l’Assemblée évangélique des Frères et les garçons me compose un couple plutôt de l’Eglise pentecôtiste se Fuir un peu la réalité, n’est-ce pas le sel dans passe-partout : la fille – appelons-la Sonia – a un sens cerrendaient au culte, nous dela soupe du quotidien ? Attention tout vions, nous, accompagner tain de l’humour, s’emballe de même : à se recroqueviller dans le monde notre père au bureau. Penpour un rien, embrasse bien, virtuel des Sims, on risque de faire tanguer dant qu’il expédiait du travail mais elle est un peu désordre. en souffrance, nous avions Le garçon – appelons-le méchamment son équilibre jeu–vie. Chronique le droit de nous installer Mikhaïl – est un bourreau de d’une joueuse sur le plus ordinaire des à un PC, scotchés à Styx, travail charismatique, doué quotidiens, dans la vraie vie comme dans le jeu. Digger, Q-Bird ou Frogger, pour tout ce qui est artistique. jeux d’adresse ultrabasiques, Son rêve : être aimé de tous, graphiquement nuls, musice qui, dans le monde du virpar Nicolette Kretz calement exaspérants et à tuel, signifie avoir au moins une vingtaine d’amis. Son fort potentiel addictogène. Quand, faisant sa ronde, passait le qu’on manque de sommeil et intercaler rêve à elle : « langue d’or, doigts d’or ». Rien garde Securitas, nous esquissions, tout toutes les heures une pause de 10 à 15 mi- à voir avec le fait qu’elle embrasse bien ; reapeurés, un signe en direction de notre nutes. » On verra bien. traduit du « virtuel », cela signifie qu’elle entend cultiver en elle les attributs « chapère, assis à l’autre bout du grand bureau risme » et « guitare », exceller en somme open-space brun beige. Nous avions déjà * dans l’art du showbiz. Etiquetés « jeunes la vague intuition de faire quelque chose d’interdit ou de marginal, voire de réprouvé Jeu vidéo évoque sans doute pour vous des adultes », Sonia et Mikhaïl n’ont guère eu le par la société. Une expérience que je ne re- rafales de mitraillette ou la récolte de piè- temps de mettre de l’argent de côté et doigrette pas, bien au contraire ! A l’instar des ces d’or, de pommes ou de pierres précieu- vent se contenter d’une maison modeste. enfants de paysans, qui ne font pas d’aller- ses. Rien de tel avec les Sims, où le jeu Chambre à coucher, living avec cuisine gies aux gros animaux et ne les craignent consiste à piloter une famille à travers un ouverte, salle de bains et un peu de dégagepas, je me sens parfaitement à l’aise avec quotidien presque toujours proche de la ment. Gentil, même sympa en y mettant un les appareils techniques et ne vois rien en réalité, à lui expliquer ce qu’on doit man- peu de déco et de fantaisie, mais pas un eneux de foncièrement mauvais. J’ai pour ger, quand il est l’heure d’aller se coucher droit où passer ses vieux jours. ainsi dire ingurgité du pixel avec le lait de et qu’il faut se précipiter au petit coin s’il ma nourrice. Le matin, tant que mon lap- vous prend un besoin urgent de faire pipi. * top n’est pas allumé, je ne me sens pas tout Et, comme dans la réalité, les Sims ne se à fait éveillée. Et voyager en train sans faire contentent pas de vivre au jour le jour. Ils La première des choses : trouver un job, joujou avec mon portable relève pour moi sont décidés à faire quelque chose de leur sous peine d’en être rapidement réduit à tide la torture. vie. Carrière, éducation, famille et amis rer le diable par la queue. Mikhaïl opte

The world is not enough

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Jeu x v idéo : L‚AR T du Fu T u R

pour la politique. Il fait ses débuts comme « polisseur d’estrade », comptant bien être rapidement promu scrutateur. Sonia fera carrière dans la musique. Je lui laisse donc le temps de trouver une ouverture dans les

Les parents des autres enfants fréquentaient les Eglises libres, mon père travaillait chez IBM. Ce qui revient au même. journaux ou sur Internet. Au bout de quelques jours, elle tombe, faute de mieux, sur une place de fan. Petit à petit l’argent commence effectivement à rentrer, mais sa vie n’en est pas plus simple pour autant. Comme dans la réalité, un Sim ne performe jamais aussi bien que quand il a bien dormi, bien mangé, qu’il a pris une douche et arrive de bonne humeur au boulot. Et sa journée, comme la nôtre, ne compte que 24 heures. Ne serait-ce que pour assurer les fonctions de base d’un Sim et maintenir dans le vert ses voyants faim, besoin d’uriner, énergie, vie sociale, hygiène et délassement, il faut déjà, mine de rien, être rompu à la gestion d’un emploi du temps. Je deviens plus ambitieuse. J’achète une guitare à Sonia. A-t-on jamais vu de rock-star sans guitare ? Je fais s’entraîner Mikhaïl à tenir des discours devant la glace. Maintenant, je veux tout ! La carrière, la maison, les enfants, et dans cet ordre-là. Mon plan est arrêté : percer le plus rapidement possible, amasser suffisamment d’argent pour m’acheter une grande maison et faire un enfant tout de suite après. Et ça roule du tonnerre. Mikhaïl fait en quelques semaines une ascension fulgurante. L’ex-scrutateur et assistant de campagne est élu conseiller municipal, puis maire et, enfin, gouverneur. Sonia part en tournée, dirige un groupe, écrit des chansons, fait la choriste et finit guitariste solo. Ils ont maintenant assez d’argent pour s’offrir une aide ménagère et organiser régulièrement des parties, qui dopent encore leur popularité. Ma nana branchée et son Mister Popular ont enfin atteint ce que l’on considère dans la plupart des milieux comme une réussite. Voilà soudain que tout est comme je l’avais imaginé. Mais j’ai à peine le temps de m’y faire que mes Sims passent du stade de « jeunes adultes » à celui d’adultes tout

court, le suivant étant – ô horreur – celui de seniors. Et l’enfant dans tout ça ? Je m’empresse donc d’allonger Sonia et Mikhaïl sur le lit et de cliquer sur « faire un bébé ». Mais les voilà qui se rebiffent, qui, irrités voire indignés, font non de la tête. A vouloir à tout prix pousser leur carrière et organiser des réceptions, j’ai complètement oublié de prêter attention à leur relation de couple ! Je leur octroie donc quelques jours de gros câlins et de cajoleries. A la troisième tentative, le tour est joué : enveloppés d’un nuage formé de petits cœurs, nos deux tourtereaux se glissent sous la couette et ont tout l’air de bien s’y amuser. Pour ressurgir tout sourire, comme il se doit, au bout de quelques instants. * Quand je dis « quelques jours », je veux parler de jours Sim, qui durent… combien de temps durent-ils au fait ? Le jeu vous ôte aussitôt toute notion du temps. Oubliées les instructions du fabricant. Ce n’est d’ailleurs pas la seule chose que l’on oublie. A la cuisine refroidissent des tasses de thé où baigne encore le sachet, dans la boîte à lettres s’accumulent les courriels. Maman s’inquiète de ce que personne n’appelle. Au bout de quelques jours, je ressens un curieux tressaillement dans le bras droit. Inquiète, je passe pour une journée la souris de la main droite dans la main gauche. Ce

pression de faire pour de vrai ce que font aussi mes Sims. Je vais au frigidaire. J’appelle des amis. Je nettoie les toilettes, et quand il ne me reste vraiment plus rien d’autre à faire, je me mets au lit. Je vois même, en pensée, mes voyants de besoins tomber dans le rouge avant de me précipiter aux toilettes. Et quand il m’arrive malgré tout de rencontrer des amis, je m’aperçois que je n’ai pas grand-chose à leur dire. Le fait que les Sims ont acheté un nouveau téléviseur ne semble pas vraiment les intéresser. La dramaturgie du jeu est celle d’un bon feuilleton télévisé. Il n’arrive jamais que tous les problèmes soient résolus en même temps, de sorte que le jeu s’arrête. Il reste toujours un objectif à atteindre. Maintenant que Sonia et Mikhaïl ont réussi sur le plan professionnel (elle est une icône de la pop, lui le président du monde libre) ils ont un enfant, le petit Woïcek (traits de caractère : génie et folie), qui a toute la vie devant lui. Je me fixe pour plus de sûreté un rappel calendrier pour la fin de mes vacances. Après quoi j’enterrerai le jeu au jardin. Le moment venu, il faut savoir s’arrêter. Nicolette Kretz (*1977) vit à Berne. Elle travaille comme auteure et performeuse de textes indépendante, mais aussi comme dramaturge pour le festival de théâtre auawirleben. Traduit de l’allemand par Michel Schnarenberger

Mais comme dans la vraie vie, l’ordinaire du quotidien occupe la plus grande partie de leur journée : manger, dormir, toilettes, passer sous la douche, faire des rangements, nettoyer, jeter des vieux papiers… qui me permet de poursuivre sans encombre. Pas question de pause, surtout maintenant que tout marche si bien ! Le jeu prend rapidement le dessus, et au lieu de passer un moment par-ci par-là à jouer, je découpe ma (vraie) vie en brèves interruptions de jeu, lorsque l’ordinateur est en train de charger ou que mes Sims sont couchés. Et moi qui, au commencement, faisais dans le jeu ce que je fais également dans la vie, j’ai maintenant l’im13


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Crowned de Gregor Falk, ZHdK 2010

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orsque Wall-E, le petit monde », explique Markus Gross, directeur et graphisme interactif, secteurs spécialisés robot, louvoie entre les de Disney Research Zurich, dont la place de en jeux vidéo et informatiques. « Notre obmontagnes de déchets travail est décorée de scènes et d’esquisses jectif est de soutenir les artistes afin de leur pour mettre de l’ordre sur tirées de Peter Pan. « Disney s’assure de la permettre de travailler de manière encore la terre, il est entouré d’une sorte la présence de nouveaux talents et un plus créative. C’est l’une des raisons pour fine pellicule de poussière. pool étendu de connaissances. » Markus lesquelles l’initiative GameCulture de Pro Quoi de plus logique, se diront bien des Gross lui-même a contribué de façon dé- Helvetia me réjouit beaucoup, puisqu’elle fans de cinéma, le sol est archisec, et les terminante à l’excellence de cette réputa- confère aux jeux vidéo le même statut chenilles du robot font virevolter la pous- tion internationale. Il travaille depuis plus culturel que celui qu’elle attribue au cisière, voilà tout. Rares sont les spectateurs de vingt ans dans le domaine du graphisme néma. » qui se préoccupent de savoir que dans informatique et a mis sur pied à l’EPFZ au Le département des jeux vidéo de un film d’animation ou un jeu vidéo, le milieu des années nonante un pôle de re- Disney Interactive dispose de six gamebrouillard, la fumée ou justement la pous- cherche consacré à cette discipline. « Nom- studios disséminés dans le monde entier. sière requièrent maints calculs alambi- bre de travaux déjà réalisés à l’époque se « Il s’agit de studios autrefois indépendants qués. Voilà pourtant le casseet de petite taille, que Disney a tête auquel s’adonne plus d’un achetés au cours des dernières scientifique à l’ouvrage dans années », poursuit Sumner. une petite villa rénovée située à Le studio le plus proche du laun bon jet de pierre du bâtiboratoire de recherche zuriment principal de l’Ecole polychois est le Blackrock Studio à technique fédérale (EPF) de Brighton, en Angleterre. Les Anglais ont fait parler d’eux Zurich. Comme de nombreux cette année grâce à leur jeu bâtiments de la région, la maison fait partie du campus uniOffrir une reproduction fidèle du visage de course automobile baptisé versitaire, or à la différence de Splitsecond. Disney Research humain ou d’un nuage de poussière représente ses semblables, c’est le sourire Zurich a-t-il contribué au sucl’une des tâches les plus exigeantes amusé de Mickey qui figure sur cès de ce jeu de bolides ? – auxquelles sont confrontés les concepteurs de « Non, pas directement », réla plaquette argentée : Disney pond Sumner. « Nous nous Research, Zurich (DRZ), peutfilms d’animation et de jeux vidéo. on y lire. consacrons à la recherche et à Dans le laboratoire de recherche de Disney Dans le bureau de Bob des questions qui vont au-delà Research inauguré depuis peu à Zurich, Sumner, senior research sciendu quotidien difficile de la proles chercheurs s’attèlent à l’illusion tist, la vieille sorcière de Blanduction. » C’est pourquoi Suche-Neige appâte les visiteurs mner rend régulièrement viparfaite et jettent les fondements techniques avec une pomme délicieusesite aux différents studios et des jeux vidéo de demain. ment empoisonnée, tandis que parle avec leurs membres des dans la bibliothèque, des titres projets en cours et des difficulcomme Game Design Workstés rencontrées, car même le par Marc Bodmer hop, Action! Cartooning et The graphisme informatique, qui Animators Survival Kit se font peut sembler tout-puissant au concurrence. « Nos bureaux ont été conçus sont avérés intéressants pour Disney », premier abord, est confronté à ses propres par un architecte d’intérieur de la maison confie Gross. limites. A partir de ces discussions, le cherDisney », dit Sumner en indiquant que chaA l’heure actuelle, Disney Research cheur cristallise les problèmes qui se poque pièce s’est vu attribuer son propre Zurich occupe vingt-six personnes et huit sent : « Nous contribuons d’une part à thème de dessin animé. doctorants de l’EPFZ. « Ces derniers sont circonscrire le problème, d’autre part à payés entièrement ou en partie par Disney », chercher la solution. Le simple fait d’appréDes game-studios partout dans le fait remarquer Gross. « C’est un élément du hender une difficulté revêt une valeur monde entier contrat, ce qui est naturellement formida- scientifique avérée. » Disney Research Zurich est l’un des ble. » En ce moment, septante projets sont deux seuls laboratoires externes de recher- en cours, de la conversion de divers formats L’ambition de créer l’illusion parfaite che au monde appartenant à la Walt Disney vidéo à l’optimisation de représentations Dès le début, Disney se distingue par Company. Le second laboratoire se trouve 3D en passant par les technologies desti- sa faculté de mettre des innovations techsur le campus de la Carnegie Mellon Uni- nées aux parcs d’attractions comme Disney- nologiques au service du divertissement versity à Pittsburgh, USA. Mais pourquoi land. « Le laboratoire se divise en différents audiovisuel. Steamboat Willie (1928), le précisément Zurich, la question se pose. – secteurs, dont les senior researchers sont premier film d’animation à bande sonore « L’EPFZ est la meilleure haute école tech- les centres de gravitation », explique Bob présenté au public avec le personnage nique d’Europe et l’une des meilleures au Sumner, qui dirige les secteurs animation de Mickey, compte ainsi au nombre des

La quête du Graal

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premiers dessins animés sonorisés. A l’époque, le fondateur de l’entreprise Walt Disney s’était demandé si les gens croiraient qu’un personnage de dessin animé puisse vraiment produire des sons. Son objectif fut de créer une scène la plus réaliste possible. Cette ambition de créer l’illusion parfaite règne aujourd’hui encore dans l’entreprise de la célèbre souris et elle anime aussi l’esprit chercheur de la filiale à l’EPFZ. C’est là que sont jetés les fondements techniques du film d’animation et des jeux vidéo de demain. Au fond, la technique utilisée pour les films d’animation en images de synthèse et les jeux vidéo (dont la représentation tend à devenir de plus en plus réaliste) est la même. Mais comme le confie Bob Sumner, c’est sur des détails que cela coince, et il nous renvoie à ce qui les différencie foncièrement : « Dans un jeu, tout doit être calculé en temps réel. On ne sait jamais l’angle qui sera choisi l’instant d’après, c’est le joueur qui décide. La caméra doit donc suivre un input spontané et individuel, tandis que dans un film, tout est fixé d’avance. » Ce que jeu et film ont en commun, c’est l’exigence que l’affichage soit rapide et efficace. « Aucun graphiste ne souhaite devoir attendre plus d’une heure que l’ordinateur ait achevé une image. » Ce processus, appelé rendering (rendu, en français) représente une discipline à part entière, à laquelle s’adonnent également des spécialistes comme Wojciech Jarosz au Disney Research de Zurich. Créer de la lumière diffuse par images de synthèse requiert une multitude de calculs, la lumière se réfractant d’innombrables façons en minuscules particules différentes. Jusqu’à il y a peu, la finition de tels effets durait une éternité, mais « grâce à une nouvelle technologie développée par nos soins, nous pouvons concevoir le rendu de façon bien plus efficace, et offrir ainsi aux artistes une plus grande liberté de conception », explique Bob Sumner. 44 muscles et 5000 expressions différentes La représentation de la peau humaine est aussi difficile à calculer que la diffusion de la lumière à travers le brouillard. Si l’on regarde les images de synthèse d’êtres humains d’il y quelques années, leur enveloppe corporelle paraît pleine et dure comme du plastique. Or quand la lumière

tombe sur notre peau, cette dernière ne se contente pas de la réfléchir : la lumière pénètre la peau, laquelle la rejette de manière diffuse et l’absorbe en partie, en fonction de ses aspérités. Les ordinateurs « détestent » tout ce qui dévie d’un modèle donné, or ils sont contraints d’interpréter ces di-

« Dans un jeu, tout doit être calculé en temps réel. On ne sait jamais l’angle qui sera choisi l’instant d’après, c’est le joueur qui décide. » vergences et de les prendre en compte dans leurs calculs. Les procédures utilisées proviennent en partie de l’astrophysique et ont servi à l’origine à l’interprétation du brouillard d’étoiles au sein d’autres galaxies. Or il n’y a pas que la peau humaine qui confronte chercheurs et scientifiques du laboratoire de l’EPFZ à des défis sans cesse renouvelés. L’une des priorités du DRZ est de modeler des visages humains, ce qui aux dires de Markus Gross reste le « Graal » du film d’animation. Pour ce faire, l’un de ses groupes de travail a développé un scanner permettant d’explorer un visage humain jusqu’à soixante fois par seconde avec plusieurs caméras installées dans des positions différentes par balayage optique. Cette forme de photographie à haute vitesse permet de rendre visibles des changements minimes de mimique. Le visage humain est animé de 44 muscles et il est capable de refléter 5000 expressions, plus subtiles les unes que les autres. Si l’on considère en outre les influences externes, une gifle par exemple, alors « la physique de déformation du visage est d’une complexité inouïe », fait remarquer le directeur du DRZ. A l’image de l’impact d’un météorite en pleine mer, c’est un vrai tsunami de rides qui déferle sur la face humaine et fait tressaillir joues et lèvres pour une fraction de seconde. L’œil humain perçoit sans relâche ces informations visuelles innombrables et minimes, et le cerveau, formé depuis des millénaires à la technique de survie, livre les interprétations qui en découlent. Cette forme très précise de la perception contribue à la difficulté de générer l’illusion parfaite d’un être humain. La tentative aboutit souvent dans l’uncanny valley, la « vallée dérangeante » qui s’ouvre sur

la voie qui mène aux images de synthèse très proches de la réalité. Dans cette vallée règne un sentiment désagréable, celui qui nous envahit lorsque l’on est confronté à une animation qui au premier abord semble réaliste, mais s’avère finalement bien loin de l’original. La simulation du regard est particulièrement traîtresse. La plupart du temps, les yeux représentés dans les images de synthèse semblent sans vie, figés. Or ce sont justement eux qui nous livrent le plus d’informations sur l’état émotionnel de la personne qui nous fait face lorsque nous cherchons à la jauger. Bob Sumner est malgré tout convaincu que l’uncanny valley fera un jour partie du passé : « On ne distinguera plus un être humain d’un avatar. » Collaboration avec les hautes écoles de Zurich Alors que tout cela semble être de la musique d’avenir, l’équipe se penche sur le thème à la mode de la représentation en 3D, qui après son succès triomphal au cinéma, veut conquérir l’univers des jeux vidéo. « La recherche stéréoscopique est très importante », trouve Markus Gross. « L’effet stéréo devrait toujours se cantonner à la zone de confort et rester agréable. » L’expérience montre que les séquences rapides s’avèrent problématiques, comme on peut l’observer dans les jeux vidéo. « Au cours des séquences rapides, l’impression de profondeur doit

A l’image de l’impact d’un météorite en pleine mer, c’est un vrai tsunami de rides qui déferle sur la face humaine et fait tressaillir joues et lèvres pour une fraction de seconde. être modifiée, respectivement réduite, afin que la qualité n’ait pas à en souffrir. » La synchronisation des systèmes de caméras joue également un rôle décisif au niveau de la perception de la tridimensionnalité simulée – en fait, un bon dix pour cent des gens ne perçoivent pas l’effet tridimensionnel : « Si la synchronisation est mauvaise, les spectateurs se sentent mal », explique le professeur de la haute école. Les collaborateurs du laboratoire de Disney Research ne se consacrent pas seu17


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lement à la recherche dans le domaine de la technologie de pointe, ils enseignent également à l’EPFZ. Au centre des filières bachelor et master en visual computing figure un cours de développement de jeu vidéo basé sur un projet. Ce cours permet d’approfondir des thèmes issus des sciences informatiques ainsi que des formes particulières du graphisme informatique. Avec l’aide du programme XNA de Microsoft, un véritable jeu vidéo est mis en application, et dans le meilleur des cas diffusé dans le monde entier via la plateforme en ligne Xbox 360, la console de Microsoft. « Le fait de pouvoir programmer pour une vraie plateforme hardware enthousiasme les étudiants », confie Bob Sumner. « De cette façon, ils investissent volontiers plus de temps dans les exercices, ce qui contribue au succès des programmes élaborés et à l’approfondissement de l’effet d’apprentissage. » Enfin, des conférenciers célèbres vont et viennent au DRZ, notamment Ed Catmull, cofondateur et président des studios de Pixar Animation (Toy Story, WallE). Les designers et programmeurs des studios de Disney Interactive invités auprès du DRZ prodiguent des critiques et des conseils concrets sur les projets des étudiants de l’EPFZ et le cours en conception de jeux de la Hochschule der Künste Zürich (ZHdK). Quiconque fait de la recherche pour le plus grand groupe de divertissement du monde n’est pas seulement confronté en permanence à des problèmes complexes, mais a aussi un jour l’occasion d’apprécier la solution lors d’une agréable soirée au cinéma, en jouant à un jeu vidéo ou en visitant l’un des Disneylands. Difficile d’imaginer sentiment plus réconfortant dans le secteur plutôt aride de l’informatique. Marc Bodmer (*1963), juriste de formation, travaille depuis vingt-cinq ans comme journaliste indépendant spécialisé dans les jeux vidéo et les médias numériques. Depuis 2009, il est responsable du projet de recherche Encouragement de la compétence média auprès de la Hochschule für angewandte Wissenschaften Zürich (ZHAW). Traduit de l’allemand par Anne Schmidt-Peiry

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GameCulture – le programme de Pro Helvetia Les jeux vidéo exigeants et sophistiqués s’imposent dans le monde entier comme une nouvelle forme d’art et de divertissement. Les possibilités artistiques, techniques et thématiques de ces games sont cependant loin d’avoir toutes été explorées. La création de ces mondes numériques représente souvent une forme d’art à part entière, fruit de la collaboration interdisciplinaire entre designers, scénaristes, animateurs et compositeurs. Cette combinaison des arts de la scène, de la musique et du cinéma incite les institutions d’encouragement à la culture à s’intéresser à la question. Avec le programme GameCulture, Pro Helvetia se penchera ces deux prochaines années sur les questions esthétiques, sociales et économiques liées aux jeux vidéo. Le coup d’envoi du programme, doté d’un budget global de 1,5 millions de francs, a été lancé cet automne dans le cadre du Call for Projects : Swiss Games – en collaboration avec l’Office fédéral de la culture, le Festival international du film d’animation Fantoche et la Fondation SUISA pour la musique. L’appel de projets recherche des jeux vidéo dont la conception novatrice répond à une exigence artistique. Les projets peuvent être déposés jusqu’au 15 mars 2011. Expositions et tables rondes Le programme GameCulture s’accompagne d’expositions et de tables rondes qui éclairent le thème des jeux vidéo sous diverses perspectives. Jusqu’en novembre 2011, le Stapferhaus de Lenzburg abrite l’exposition HOME – Willkommen im digitalen Leben, consacrée à la numérisation croissante de notre quotidien, du clavardage au surf sur Google, en passant par les textos et les jeux. Dès l’automne 2011, l’exposition itinérante sur DVD Swiss Game Design se consacrera à la création suisse dans le domaine des jeux vidéo, des technologies du jeu électronique, des simulations et des jeux sérieux. La Maison d’Ailleurs à Yverdon proposera à partir de janvier 2012 l’exposition Playtime/Game mythologies. Enfin, des discussions autour des jeux vidéo se dérouleront dans le cadre du Festival du Film Fantastique à Neuchâtel, en juillet 2011, et du Festival du film d’animation Fantoche à Baden, en septembre 2011, où les lauréats de l’appel de projets seront désignés. www.gameculture.ch La plateforme en ligne www.gameculture.ch offre non seulement des détails sur les manifestations du programme mentionnées ci-dessus, mais également de précieuses informations de fond. Une étude de la Hochschule für angewandte Wissenschaften Zürich (ZHAW) s’interroge par exemple sur le potentiel de violence et de dépendance des jeux vidéo, et la Hochschule der Künste Zürich (ZHdK) dresse l’inventaire de ce qui se fait en Suisse dans l’univers (méconnu) de la conception de jeux. La plateforme renseigne en outre sur les possibilités de formation dans le domaine du game design (conception de jeux) et est alimentée par Pro Helvetia en collaboration avec ses partenaires, à savoir : l’Ecole supérieure des arts de Zurich, l’Ecole des sciences appliquées de Zurich, l’Association des développeurs suisses de jeux vidéo et le Swiss Gamers Network.


Jeu x v idéo  : L‚AR T DU FU T UR Mirage de Mario von Ricken­bach, ZHdK 2010

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Dainas Herbarium de Dario Hardmeier et Raffaele de Lauretis, ZHdK 2010

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Dainas Herbarium de Dario Hardmeier et Raffaele de Lauretis, ZHdK 2010

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es jeux vidéo pourraient-ils comprendre, dans l’art, ce qui vibre et ce médiatique et synesthésique (qui de surreprésenter la forme d’art qui change. croît porte en lui la possibilité d’une répéde l’avenir ? Certainement. tition ou de variations ad libitum). Et Mais pourquoi cette simple Le jeu vidéo, œuvre d’art totale pourtant, l’accomplissement de ce rêve a idée provoque-t-elle une leTout comme on ne demande pas à suscité de la crainte plutôt que de l’envie. vée de boucliers ? Le grand l’écran vide ce qu’est une image, la ques- Pourquoi ? L’une des raisons pourrait en public cultivé s’effraie instinctivement de- tion sur le caractère artistique d’un jeu vi- être que dans le jeu vidéo, la position de vant la nouveauté, et les arts établis sont déo n’a de sens que si l’on cherche à savoir l’auteur s’est dissoute. Sans doute, les arrebutés par un nouveau venu bâtard et ce qu’un tel jeu peut apporter de neuf à tistes ont-ils pu flirter naguère avec l’idée technologiquement supérieur. Finalement l’art. Si l’on porte un regard sans préjugé que c’est le lecteur ou le spectateur qui – tel est le préjugé – ne s’agit-il pas d’une sur ce « meilleur des mondes », une fenêtre écrit un texte ou qui développe une vision, recherche d’effet de la plus grossière es- s’ouvre sur l’avenir, et sur un paysage qui mais l’inversion des rôles, dans le jeu vidéo, pèce, exploitée par une industrie avide de répond en somme à toutes les exigences de a pris une réalité presque angoissante. Pas profit, sans parler du fait que le complexe l’« œuvre ouverte » (Umberto Eco). Car seulement parce que l’auteur semble avoir militaro-industriel se fabrique ici des Ego- avec les possibilités de ce média, se posent disparu, mais parce qu’en outre l’usager Shooter1 à sa merci ? Il peut arriver que des questions qui (du côté des auteurs tout comprend qu’il se meut dans un monde ces reproches touchent juste. virtuel où l’on ne peut plus dire Mais faire la revue du pandéque chacun de ses mouvemonium des horreurs n’a ments sera simplement la réaguère d’autre effet que de délisation d’un programme prétourner notre regard de la fabriqué. nouveauté du média. Cette ignorance n’est pas nouvelle. Immersion : l’enveloppement Si l’on recule un brin dans complet du joueur Si le joueur peut s’imagil’histoire, on voit que les genLes jeux vidéo, est-ce de l’art ou du loisir de res artistiques auxquels nous ner que c’est lui qui réalise tout accordons ce titre de gloire bas étage ? Les esprits sont partagés. Pour Martin cela, nous nous heurtons à ce (la photo ou le cinéma, par paradoxe : l’art suprême pourBurckhardt, théoricien de la culture, exemple) ont dû lutter jadis rait consister en sa propre disla valeur artistique de ces jeux tient à l’illusion contre l’opprobre qui accable parition. Et de fait, cette logiaujourd’hui les jeux vidéo. Il que d’intensification de l’effet sensorielle qui immerge entièrement fut un temps où Alfred Hitcha déjà conduit Richard Wagner le joueur dans les événements. Les espaces cock, le grand maître du à plonger son orchestre dans envoûtants que créent les concepteurs de jeux cinéma, avait la réputation la fosse, donc à le faire dispad’un metteur en scène du rendent cette illusion parfaite. raître. D’autre part, c’est préstyle Pulp-Fiction. Ce dédain cisément cette disparition de témoigne du caractère prol’artiste qui est cause de la par Martin Burckhardt blématique qui s’attachait fascination que le jeu exerce sur beaucoup de jeunes : car alors à l’art cinématographimaintenant ce sont eux qui que : un genre hybride, qui devait se réclamer explicitement de la au moins) n’ont encore jamais été posées, peuvent sans retenue s’immerger dans le haute culture (la littérature ou le théâtre) et surgissent des réponses qui n’ont en- jeu. Quand le joystick vibre dans la main pour prétendre à la valeur artistique. Ainsi core jamais été conçues. Il apparaît alors comme le manche à balai d’une jeep, quand l’on qualifiait d’art ce qui était du théâtre d’autant plus étonnant que le jeu vidéo soit les inégalités de la route se transmettent filmé, tandis que les vraies lois de l’art du l’objet d’un discours qui le taxe d’asocialité au corps, quand le moteur hurle et que cinéma se développaient souterrainement. fondamentale et lui attribue le rôle du pa- les lunettes en 3D simulent, pour les yeux, A vrai dire, l’ignorance des contemporains ria. Cette marginalité ne concerne pas seu- la profondeur, le joueur ne se trouve plus n’a strictement rien de nouveau. Déjà lement le présent. Elle fait aussi perdre de dans l’ici et le maintenant ; mais il a, Walter Benjamin l’avait épinglée, en se vue qu’on est en présence d’une tradition comme Alice, traversé le miroir. Le concept demandant, non sans hérésie, « ce que les qui se continue. Car si l’on retraverse à artistique qui préside à cette illusion se Allemands lisaient au moment où leurs l’accéléré l’histoire de l’art moderne, on nomme « immersion » (un terme techniclassiques écrivaient ». Et comme, dans s’aperçoit qu’un de ses moteurs essentiels que, mais qui exprime bien la manière dont cette perspective, ce n’est pas à Gœthe ou est l’imbrication de diverses formes d’art : on « est plongé » dans le jeu). ConcrèteSchiller, mais au chef des brigands Rinaldo vu sous cet angle, le jeu vidéo serait à com- ment, l’immersion suppose l’enveloppeRinaldini2 qu’on aurait eu affaire, cela si- prendre comme l’accomplissement tech- ment entier du joueur, et lui donne, le gnifie qu’on aurait été, par définition, com- nique du rêve d’œuvre d’art totale – le temps du jeu, le sentiment de se trouver plètement aveugle au présent, incapable de miracle de la Pentecôte d’un appareil trans- dans un vaisseau spatial ou de se balancer

L’art de l’immersion

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à une hauteur vertigineuse, sur l’arête d’un toit. Si la peinture figurative s’en est tenue au trompe-l’œil, ici l’illusion des sens est complète. Elle n’englobe pas seulement l’appareil sensoriel, mais aussi la mémoire et la perception de l’individu. Au fond, il n’y a pas d’ambition artistique plus radicale que celle-ci précisément : on exige que l’environnement sonore dans lequel se meut le joueur le ravisse en pensée dans un autre monde, tout comme les espaces qu’il traverse doivent prendre une évidence et une autonomie puissamment persuasives. Le génie des ingénieurs Le critique de la culture met ici en garde contre une déchéance médiatique, mais pourquoi ne salue-t-il pas au contraire un triomphe de l’art ? Car le jeu vidéo parvient à ravir le joueur à son monde quotidien pour le transporter dans un pays des merveilles et du fantastique, dans lequel les lois de la pesanteur paraissent abolies. Certes, le jeu vidéo nous confronte au fait que l’on a moins affaire ici à l’œuvre d’artistes qu’au génie des ingénieurs : tous ces esprits anonymes qui conçoivent des machines pour le son 3D, pour le shading

Le grand public cultivé s’effraie instinctivement devant la nouveauté, et les arts établis sont rebutés par un nouveau venu bâtard et technologiquement supérieur. (l’« ombrage ») et la tangibilité des objets (ce qu’on appelle physics-engine ou « moteur physique »). Si l’on rabaisse ce travail au rang d’une pure technique, on oublie un peu vite que la peinture de la Renaissance, elle aussi, comportait un aspect technique de ce genre – ils n’étaient pas rares, les peintres qui travaillaient avec la camera obscura, donc avec un équipement optique. Cependant, nous ne sommes plus aujourd’hui dans le domaine de l’artisanat, mais à la pointe de l’abstraction technique. Ce n’est pas un hasard si l’industrie des jeux vidéo occupe ici une position d’avantgarde, sans laquelle, par exemple, les films historiques ou fantastiques de la dernière décennie auraient été impensables. Qu’il s’agisse du Seigneur des anneaux, d’épo-

pées filmées comme The Aviator de Martin Scorsese ou d’une production d’un style aussi traditionnel que Letters from Iwo Jima de Clint Eastwood – la force de persuasion de ces films est toujours un effet de ces espaces virtuels qu’ils doivent à l’univers des jeux vidéo, bien qu’on en crédite le cinéma. En fait, le set-design (la scénographie, ou comme le dit le terme technique : le level-design ou « réalisation des niveaux ») de la plupart des jeux vidéo est bien le signe distinctif le plus frappant de ce nouvel univers. Car ici, nous sommes en présence d’images que nous pouvons parcourir, qui nous permettent d’entrer dans des espaces pensés de part en part (on pourrait aussi dire : objectivement hallucinés). Malheureusement, le monde de l’art a manqué l’arrivée de ce nouveau type d’images. Sans doute, on peut trouver lamentable la mécanique monotone du jeu d’un EgoShooter comme Half Life II. Cependant, l’art et la manière dont le jeu évoque une atmosphère de tristesse postsocialiste sont magnifiques, tout comme la façon de faire revivre la Jérusalem médiévale dans Assassins Creed, l’architecture d’un vaisseau spatial dans Mass Effect ou l’éveil de l’Ouest sauvage dans le nouveau jeu intitulé Read Dead Redemption. Si l’apparence des premiers jeux vidéo était encore largement inspirée des décors de cinéma, la relation désormais s’est inversée. Non seulement des espaces absolument inédits sont apparus, mais ces espaces, en outre, sont métamorphiques : ils peuvent se transformer en quelque chose d’autre (comme le temple tibétain dans Uncharted II ). Voilà qui témoigne d’une souveraineté nouvellement conquise. Pour les jeux actuels il ne s’agit déjà plus de souligner leur opulence visuelle : leur qualité majeure, c’est, clairement, l’expérience qu’ils font vivre au joueur. Une intense fascination Si l’immersion signifie qu’on se plonge entièrement dans un autre monde, il est alors clair qu’on ne peut pas s’en tenir à des illusions purement sensorielles. Sans doute, le level-design est une condition préalable, essentielle, pour la réussite de cette illusion, aussi importante qu’une musique et des bruitages convaincants, des animations fluides et des cutscenes (des scènes cinématiques, c’est-à-dire ces

séquences intermédiaires filmées qui sont insérées dans le cours du jeu comme des supports de l’action, et jouent le même rôle que les intertitres dans les films muets). Pour donner au joueur le sentiment qu’il est lui-même le héros de l’histoire (c’est-àdire celui qui l’écrit dans l’instant où il la vit), il fallait remplir une exigence encore

Vu sous cet angle, le jeu vidéo serait à comprendre comme l’accomplissement technique du rêve d’œuvre d’art totale – le miracle de la Pentecôte d’un appareil transmédiatique et synesthésique. plus grande. Car cette illusion ne s’installe qu’à partir du moment où l’on parvient à investir l’imagination du joueur, sans qu’il éprouve cet investissement comme une contrainte. C’est avec cette tâche-là que se pose en toute clarté la véritable question artistique liée aux jeux vidéo. Elle se formule ainsi : comment peut-on raconter une histoire qui n’a pas été déterminée d’avance, mais où la décision du joueur prend une place essentielle ? Ou pour le formuler positivement : comment est-il possible que le joueur lui-même puisse devenir le héros de l’histoire ? C’est précisément sur cette question que les jeux vidéo, jusqu’à présent, ont échoué, pourrait objecter le critique. Un reproche peut-être pertinent, mais on pourrait simplement rétorquer que dans chaque genre artistique, l’échec est toujours annonciateur d’une avancée. Un exemple intéressant, à cet égard, pourrait être celui du réalisateur français David Cage, et de son troisième jeu vidéo, Heavy Rain. On est impressionné de voir que Cage y affronte franchement la problématique du récit. La plupart des jeux vidéo obéissent à une logique de l’offre relativement simple, où l’on met l’accent sur la liberté de mouvement du joueur. Cage, lui, réduit sa marge de manœuvre, on peut même dire qu’il le coince systématiquement dans des situations qui le contraignent à prendre une décision morale. Et comme le joueur comprend que cette décision n’est nullement marginale, mais détermine le cours du jeu de manière décisive, le phénomène 25


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d’interactivité se charge de tension morale. Le procédé dont se sert Cage inverse par conséquent le processus des scénarios antérieurs. Alors qu’en règle générale, l’interactivité était un appel au défoulement, et donnait un permis de tuer, Cage exige de

Si la peinture figurative s’en est tenue au trompe-l’œil, dans les jeux vidéo, l’illusion des sens est complète. son joueur un sacrifice. Ainsi – lorsqu’il est le père d’un enfant victime d’un rapt – lui est-il demandé de se couper un doigt s’il veut revoir son fils vivant. Voilà comment Cage fait de la mécanique du jeu une instance morale, ou plus exactement, un laboratoire dans lequel le joueur peut vivre différents drames. Du coup, le joueur individuel vient occuper une place centrale – et cesse d’être un consommateur insensible pour devenir un auteur vulnérable. Si le public a accueilli avec enthousiasme ce jeu qui pourtant viole toutes les règles du genre, c’est parce que Heavy Rain répond à un besoin : celui d’être un acteur de sa vie. L’interactivité n’est donc pas du tout le simple produit d’une industrie qui cherche seulement à vendre. Dans ce cas, les usagers n’auraient qu’une envie : presser frénétiquement sur un bouton et massacrer au hasard tout ce qui bouge. Non, l’interactivité signifie d’abord que le joueur veut se glisser dans la peau d’autrui, afin de pouvoir vivre des moments exemplaires, dans l’action et la compréhension du monde, ce qui lui est interdit dans sa vie quotidienne. Cependant, il est certain que les dilemmes que Cage présente à ses joueurs ne sont pas le dernier mot en la matière. Ils annoncent bien plutôt les débuts d’une nouvelle technique narrative, qui recourra dans l’avenir à des moyens beaucoup plus subtils. Mais la fascination du jeu procède de cette immersion dans une histoire, et ce fait est trop souvent négligé, précisément parce que la plupart des jeux ressemblent au cinéma. Or l’organe principal qu’atteint le jeu vidéo n’est pas la rétine. C’est bien plutôt cette dimension qu’on néglige souvent, et qui s’appelle imagination. En ce sens, chacun de ces jeux (que dans une belle méconnaissance de cette caractéris26

tique, on appelle précisément jeu vidéo) se rapproche davantage du roman que du film de cinéma. Car ce qui fait son cadre, ce n’est pas l’opulence de l’environnement, c’est bien plutôt le sentiment d’être enveloppé dans une certaine structure d’actions et de significations. Voilà pourquoi le jeu peut renoncer à subjuguer le joueur par des stratégies comme les plans de coupe rapides ou les poursuites endiablées, que le cinéma a perfectionnées. Contrairement aux films, les jeux vidéo ont du temps – une grande quantité de temps, dont seul le roman dispose. Si le lecteur classique a pu s’identifier en imagination avec tel personnage de roman, le joueur est libre de se métamorphoser dans un personnage de son choix. Et c’est exactement cela, la nouveauté du genre : un roman dans lequel on peut véritablement entrer. 1 Désigne le joueur d’un « jeu de tir en vue subjective », qui voit le monde au travers de son viseur (ndt). 2 Allusion à un mauvais roman inspiré des Brigands de Schiller, et dont l’auteur était le beau-frère de Goethe (ndt). Martin Burckhardt (*1957) est théoricien de la culture et auteur d’écrits sur les médias, il vit à Berlin. Il a écrit une histoire de la culture en plusieurs volumes à propos de la généalogie de la machine. Dernières publications : 68. Die Geschichte einer Kulturrevolution (sur les mouvements de mai 1968) et Eine kleine Geschichte der grossen Gedanken (une petite histoire des grandes idées). Traduit de l’allemand par Etienne Barilier


Jeu x v idéo  : L‚AR T DU FU T UR Icebox carrots de Michael Burgdorfer, ZHdK 2010

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Monsieur Behrmann, vous défendez la promotion officielle de jeux vidéo, pourquoi leur création mérite-t-elle un soutien ? Les jeux électroniques jouent indéniablement un grand rôle dans nos sociétés. Ils sont une composante non négligeable de la technologie. Et l’informatique – dans le domaine des processeurs notamment – a connu un développement massif ces vingt dernières années grâce à eux. Ils ont aussi une valeur économique, car ce segment connaît une croissance rapide. L’année dernière, parmi les cinq entreprises allemandes les plus dynamiques, il y avait deux fabricants de jeux vidéo. Mais leur signification principale est d’ordre culturel. Les jeux vidéo influencent nos structures de pensée et la manière dont nous percevons les choses. C’est un média qui fait désormais partie de notre vie.

Quant aux innovations, souvent elles se situent également à l’interface entre l’homme et la machine : les commandes sensibles au mouvement, par exemple. Comment se fait la promotion des jeux vidéo en Allemagne ? A l’échelle nationale, nous continuons à nous battre pour une promotion digne de ce nom. Mais il existe tout de

« Sans prototypes, pas d’avancée »

rons que la promotion du jeu vidéo connaîtra une évolution analogue. Dans les Länder, la politique d’encouragement est plus avancée, elle prend plusieurs formes. Sur quels projets les Länder concentrent-ils leur promotion ? Ils encouragent principalement des prototypes. Le prototype est la première version brute jouable d’un jeu. Pour convaincre un éditeur, il faut lui présenter un prototype. Or pour en réaliser un, il faut déjà disposer d’un noyau de collaborateurs, c’est une affaire coûteuse qui revient en moyenne à 200 000 euros. Pour cette raison, il faudrait soutenir un studio de développement présentant un bon projet dès la phase initiale. Quand le studio parvient à conclure un contrat avec un éditeur, l’argent octroyé doit en principe être remboursé.

S’agit-il de promotion éconoL’Allemagne a une longueur d’avance mique ou culturelle ? Quels sont les critères de dans la promotion de prototypes : Ça dépend. A Hambourg, la qualité pour promouvoir un les Länder investissent chaque année promotion est purement éconojeu ? plusieurs millions dans la création mique, en Bavière et à Berlin, Il y en a plusieurs : l’un elle est à la fois économique et d’eux, c’est sa qualité narrative. de jeux vidéo. Malte Behrmann, directeur culturelle. Et dans le BadeLa narration a profondément de la branche allemande des développeurs Wurtemberg, il est question de marqué notre culture occidende jeux électroniques, parle de la promotion purement technolotale, à commencer par le théâgique. tre grec. Il faut donc que cette politique d’encouragement de son pays dimension soit présente dans et des enseignements que l’on peut D’où vient l’argent pour la un jeu vidéo. Un autre critère, en tirer pour la Suisse. promotion et à combien se c’est la dimension ludique, qui a chiffre cette dernière ? trait à l’interactivité, à la mécaIl vient des caisses fédéranique du jeu. Un troisième Propos recueillis par Raffael Schuppisser les ou régionales : les Länder critère, c’est l’innovation : le consacrent de trois à cinq milcréateur d’un bon jeu devrait lions à la promotion. L’Etat fédéral, qui même un prix allemand du jeu vidéo tenter quelque chose de nouveau plutôt participe au prix du jeu vidéo, débourse depuis deux ans. Le ministère d’Etat à la que de réchauffer un concept qui a fait seulement quelque 300 000 euros. culture récompense chaque année le ses preuves. Mais dans le domaine de la promotion, le goût de chacun reste déter- meilleur jeu développé en Allemagne. Le La France semble en avance dans la prix est doté de 500 000 euros en tout, minant. promotion du jeu vidéo. Comment s’y répartis en plusieurs catégories. Les lauréats sont obligés d’investir cet argent prend-elle ? Qu’est-ce concrètement qu’une L’Etat français consacre chaque dans de nouveaux projets. Le système « bonne » narration ? Et qu’est-ce qu’un année quatre millions d’euros à la provient de l’industrie du cinéma : le prix jeu « novateur » ? motion des prototypes. Cela permet de allemand du cinéma a été décerné pour Il faut partir de projets concrets financer chaque année 20 projets difféla première fois dans les années 1950, pour en parler. Le jeu Heay Rain est par rents. La France connaît aussi les crédits mais la première structure de promotion exemple célèbre pour ses qualités narrad’impôt, qui subventionnent des produccinématographique a vu le jour seuletives. Pour la mécanique du jeu, cela tions. ment quinze ans plus tard. Nous espédépend du genre et du groupe cible. 28


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En Suisse, on commence seulement à parler de promotion culturelle pour les jeux vidéo. Quel type d’encouragement nous faut-il ? Je ne connais pas assez les développeurs de jeux vidéo en Suisse pour pouvoir répondre à cette question de manière fondée. Mais se concentrer sur un domaine précis, pour commencer, me semble judicieux. Les jeux pour enfants par exemple, ou des créations ayant une valeur culturelle particulièrement forte. Ou sur des jeux pour téléphone mobile, dont les coûts de développement sont moindres ? Ce serait une erreur, à mon sens. En ce moment l’industrie des jeux pour mobile est bien sûr en plein essor. Mais j’ai assisté à trois effondrements dans cette branche au cours des sept dernières années. Ce sont des produits très volatiles, parce que les systèmes d’exploitation des téléphones mobiles changent sans cesse. Les jeux pour mobile ont un potentiel indéniable, c’est vrai, mais je considère les remous suscités par l’iPhone comme un simple effet de mode. Une étude commandée par Pro Helvetia a montré que l’on développe bel et bien des jeux vidéo en Suisse, mais que la scène ne bénéficie pas d’un bon réseau. Que peut faire une association de secteur à cet égard ? Le principal résultat d’un regroupement comme G.A.M.E. et EGDF, c’est que les créateurs croient davantage dans ce qu’ils font, ils ont pris de l’assurance. Quand nous avons fondé G.A.M.E., il y a sept ans, les développeurs en Allemagne constituaient un troupeau d’intellos égarés. Et puis, il y a les victoires politiques : la reconnaissance de la valeur culturelle du jeu vidéo dans l’accord de coalition du gouvernement par exemple, ou la promotion économique de l’industrie du jeu. G.A.M.E. est une association qui ne travaille pas seulement pour les créateurs allemands, mais aussi pour l’Autriche et la Suisse. Nous avons des membres autrichiens, mais pas de Suisses pour l’instant. La création d’un prix suisse du jeu vidéo aiderait-elle l’industrie d’ici ?

S’il est suffisamment doté, certainement. Mais je ne crois pas à l’efficacité d’un prix purement symbolique. Un prix bien doté n’encouragerait-il pas simplement des créateurs de jeux déjà établis ? Un studio établi qui a gagné un prix est placé, lui aussi, devant le problème de la recherche de fonds parce qu’il doit retrouver beaucoup d’argent pour développer un nouveau projet. Un succès y suffit rarement. Ces deux dernières années, deux studios allemands – Ascaron et Radon Labs – ont fait faillite, alors que les jeux qu’ils avaient créés avaient eu du succès et se vendaient bien. Et comment encourage-t-on de nouveaux créateurs de jeux ? En promouvant leurs prototypes. Mais pour cela, il faut veiller à ce que les studios dignes d’être soutenus sortent effectivement quelque chose et que l’argent ne soit pas simplement dilapidé. Faut-il promouvoir les prototypes pour qu’une industrie nationale du jeu vidéo puisse exister durablement en Suisse ? Absolument. Si l’on n’encourage pas le développement de prototypes, il ne se passe rien.

Nous en avons débattu cette année, lors de la remise du prix allemand. Personne n’ignore que le jury voulait décerner le grand prix à un jeu réservé aux adultes. Il a fallu de grosses pressions politiques pour l’amener à changer d’avis et récompenser plutôt un jeu qui n’était pas violent. Je crois que ce débat est nécessaire, il faut faire preuve d’une certaine tolérance quand les gens ont des avis différents. Mais en tant qu’association économique – je parle en tant que directeur de G.A.M.E. – nous pensons clairement que des jeux à contenu violent peuvent être culturellement très intéressants. Malte Behrmann est directeur de l’association allemande des développeurs de jeux vidéo G.A.M.E. et secrétaire général de la Fédération européenne des développeurs de jeux vidéo EGDF. Il travaille comme avocat à Berlin, enseigne dans plusieurs instituts en France ainsi qu’à la Games Academy en Allemagne, il est aussi l’auteur de Kino und Spiele (éditions Ibidem, 2005). Raffael Schuppisser vit à Baden, il est journaliste indépendant et publie des articles sur les jeux vidéo et Internet dans les journaux zurichois Neue Zürcher Zeitung et NZZ am Sonntag. Traduit de l’allemand par Ursula Gaillard

En Suisse, on se demande s’il faut interdire les jeux vidéo violents. L’Allemagne en débat depuis longtemps. La discussion contribue-t-elle à faire avancer la promotion des jeux vidéo ? Certainement. L’association G.A.M.E a toujours eu pour stratégie politique de faire valoir ses revendications dans le débat sur les jeux violents. Nous avons visiblement réussi à faire évoluer l’attitude du public par rapport à l’industrie du jeu, pour passer du rejet total à une vision plutôt positive. La culture est un thème plus porteur que les jeux violents, parce qu’elle offre une perspective et ne se fonde pas seulement sur des interdits : « promouvoir au lieu d’interdire » a toujours été notre devise. Il me semble que c’est aussi la voie à suivre en Suisse. Les institutions de promotion doiventelles se démarquer radicalement des jeux violents ou peut-on envisager d’encourager ce type de création ? 29


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Beat Fleet de Filip Kostovic, ZHdK 2010

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a révolution informatique certains jeux vidéo. Il reste que dans les ges des représentations. De même, la danactuelle constitue l’un des sociétés occidentales, le discrédit qui a gerosité des jeux vidéo repose sur deux grands moments de l’his- longtemps frappé les jeux a pu se reporter interprétations complémentaires : le joueur toire de l’humanité. Pro- sur les jeux vidéo qui créeraient une confu- se détruirait lui-même ou reporterait sur longement de l’essor in- sion dramatique entre virtuel et réalité, autrui la violence attribuée aux jeux vidéo. dustriel du XIXe siècle, encourageraient l’expression de la violence D’un côté, on ressasse le cas exceptionnel l’informatique s’impose dans quasiment et occasionneraient des comportements d’un Sud-Coréen mort d’épuisement en tous les domaines de la vie humaine. Le addictifs. 2005 après avoir joué plus de cinquante jeu, composante essentielle de l’existence Quelques comparaisons instructives heures à Starcraft dans un café Internet, humaine, n’a pas manqué d’être concerné permettent de poser un regard distancié mais on oublie de comparer le nombre de par cette révolution technologique et on a sur ces critiques. On remarquera que l’op- décès qui résultent de la pratique vidéomême pu dire qu’il contribuait à la porter position virtuel–réalité opacifie la compré- ludique à celui d’autres activités de loisir car il constitue souvent la principale rai- hension des jeux vidéo en leur attribuant (le ski étant par exemple endeuillé chaque son, avouée ou cachée, dans l’acsaison par plusieurs morts) ; quisition d’un nouvel appareil, autrement dit, l’affichage de la dangerosité signale moins un plus riche en mémoire, plus rapide en calcul, plus beau graphirisque vital qu’une plus ou moins quement, plus prestigieux sociagrande légitimité sociale. D’un lement. autre côté, on met en avant la A partir de Pong, le premier pratique de jeux vidéo chez cerjeu commercial apparu en 1972, tains auteurs de crimes en série les jeux électroniques ont suscité tout en négligeant de rappeler que 99,99 % des amateurs de un engouement sans égal, encourageant la remarquable créaCounter-Strike (ou autres jeux tivité ludique qui a accompagné de guerre) ont un comportement Le jeu, composante essentielle de l’existence le développement informatique. tout à fait ordinaire qui réfute De même que l’invention de l’imtout lien de causalité direct. humaine, s’est trouvé renouvelé avec primerie avait permis l’éclosion Il est enfin intéressant de la révolution numérique. Malgré les débats replacer le diagnostic d’addicdes jeux de cartes, l’informatique incriminant les dangers de l’addiction tion aux jeux vidéo dans ses a rendu possible l’apparition de contextes sociaux d’utilisation. nouvelles familles de jeux et reet la fuite devant le réel, les jeux vidéo se sont nouvelé profondément la dynaD’une part, la mise en avant de e bel et bien installés dans la société du XXI mique et la sociabilité ludiques. cette nouvelle catégorie nososiècle. Pac-Man, Supermario et les Sims graphique crée une spécialisasont devenus les compagnons de jeu toujours tion qui permet à certains psyEntre interdits et passions chiatres et psychologues de se Toujours présents sous une disponibles de l’homme moderne. forme ou sous une autre, les jeux construire une clientèle spécifique. D’autre part, des parents et revêtent une importance variable par Thierry Wendling selon les sociétés. Si les religions des éducateurs expriment parfois, sous l’idée d’addiction, les du Livre ont souvent porté des jugements critiques à l’égard des inquiétudes qu’ils éprouvent face jeux, nombre de religions traditionnelles une nature ontologique radicalement dif- aux comportements des enfants ou des les valorisent, intégrant par exemple des férente de toutes les autres expériences adolescents dont ils ont la charge. jeux rituels dans les cérémonies funérai- attribuées à la soi-disant réalité, indépenAvides d’explorer ce continent naisres. Mais il paraît difficile de poser une ap- damment de l’extrême diversité de celle-ci. sant, et largement incités en cela par la préciation globale sur le rapport d’une so- En quoi une relation avec un autre joueur propagande publicitaire comme par la ciété au ludique en général : selon la société, par l’intermédiaire d’un jeu vidéo serait- pression des cours de récréation, enfants tel jeu sera valorisé, tel autre condamné elle plus virtuelle et moins réelle qu’une et adolescents ont été parmi les premiers à par les autorités religieuses ou politiques communication téléphonique ? Et les ima- s’adonner à ces passions inédites. Parents mais passionnément pratiqué, tel autre né- ges d’un jeu en ligne diffèrent-elles fon- et éducateurs se sont alors souvent retrougligé… Les évolutions historiques, techni- damentalement de celles d’un dessin vés en porte-à-faux, cumulant le rôle de pourvoyeurs (en ordinateur, console de ques et économiques transforment de plus animé ? Plutôt que de postuler une altérité ra- jeux, etc.) et celui de censeurs face à des le rapport que les sociétés entretiennent avec leurs jeux. Durant le XXe siècle, les dicale, mieux vaut donc partir du principe pratiques qu’ils craignaient d’autant plus sports ont ainsi conquis une reconnais- que les jeux vidéo relèvent pleinement de qu’ils les ignoraient. L’arrivée de nouvelles sance très large qui trouve une illustration la réalité et accorder, en revanche, une at- générations de parents, partageant pour remarquable dans la « sportification » de tention particulière aux pratiques et usa- certains cette fièvre numérique, la formu-

Homo ludens à l’ère des jeux vidéo

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lation d’avis psychologiques moins critiques, l’essor de ce secteur économique dont le chiffre d’affaires a dépassé celui de l’industrie cinématographique, sont autant de facteurs qui participent aujourd’hui à l’intégration des jeux vidéo dans la culture mondiale. Aujourd’hui le jeu vidéo façonne les imaginaires, redéfinit les sociabilités et accompagne les transformations techniques et économiques. Du tranquille sudoku à la bataille mythologique Ce constat risque cependant de masquer l’extrême diversité des pratiques ludiques liées à l’informatique. D’une grille de

En quoi une relation avec un autre joueur par l’intermédiaire d’un jeu vidéo serait-elle plus virtuelle et moins réelle qu’une communication téléphonique ? sudoku qu’un solitaire remplit sur son téléphone portable au combat mythologique qu’une équipe de joueurs en ligne livre contre un monstre de World of Warcraft, quel point commun ? Des problèmes tactiques que pose une intelligence artificielle lors d’une partie d’échecs aux jeux de mots que s’échangent les participants des sites de réseautage social, quel point commun ? La caractéristique partagée est purement technique : ces activités se déroulent sur un écran et sont induites par des actions de la main. Autrement dit, tous ces jeux électroniques mettent en œuvre ces deux outils éminemment humains que sont l’œil et la main, et ils associent intimement la capacité à penser des représentations à la volonté d’agir sur le monde. De plus l’action se trouve toujours médiatisée par l’intermédiaire d’un clavier, d’une souris, d’une manette, et cela exprime fort bien notre prédisposition cognitive à projeter l’action dans son résultat. Aujourd’hui, toutes sortes de jeux se retrouvent sur ces écrans. La diversité est si grande, les critères de classification si variables, qu’on ne peut donner ici que quelques repères très généraux. Nombre de ces jeux existaient déjà avant l’ère électronique. Les échecs, le poker mais aussi le Me-

mory ou tous les jeux du type « quiz » appartiennent ainsi à la catégorie des jeux logico-mathématiques que l’on pouvait facilement formaliser dès les premiers programmes informatiques. En substance, ces jeux restent les mêmes, mais leur pratique sociale comme leur dimension affective ou cognitive ne manquent pas d’être transformées par ce nouveau média avec notamment la confrontation à des adversaires non-humains. Les sports spectaculaires ou les jeux populaires ont de leur côté inspiré des jeux de simulation, allant du ping-pong au football en passant par les courses de voiture. Si certaines stratégies restent comparables, en revanche, le jeu change radicalement de nature puisqu’on joue alors au foot ou au tennis tranquillement assis sur son canapé. Si le jeu de chat et bien d’autres jeux traditionnels de l’enfance ne répondent pas pour l’heure aux logiques vidéo-ludiques, d’autres qui appartenaient au large répertoire du jeu des cow-boys et des Indiens, ont connu des développements si inédits qu’il convient de leur accorder une attention particulière. Le principe du combat gouverne ces jeux puisqu’il s’agit, principalement, de détruire des adversaires. Tirs, épées, magies… se trouvent ainsi déclinés depuis les Shoot them all jusqu’au plus pratiqué des jeux en ligne, World of Warcraft (ou WoW ). Chaque jeu a la propriété d’offrir au joueur le plaisir de s’imaginer autre, d’adopter un rôle différent, de devenir le temps du jeu un champion, un héros démoniaque ou merveilleux. Dans leurs jeux, les enfants du monde entier ont toujours rêvé d’être grand chasseur, conquistador ou cosmonaute. Dans WoW, le joueur s’incarne ainsi dans un « avatar » et part, seul d’abord, en groupe ensuite, affronter toutes sortes de monstres dans un univers médiéval et fantastique ; jeu de combat et jeu de rôles se combinent ici mais la complexité du jeu, le mode d’interaction des joueurs entre eux, la présence simultanée de milliers de participants font qu’il s’agit d’une forme de jeu totalement nouvelle. Enfin certains jeux restaient jusqu’à l’avènement de l’informatique quasiment impensables. Les jeux de plateformes, popularisés par les personnages Mario ou Sonic, des jeux dits à l’origine d’arcade comme Pac-Man, ou encore des jeux comme Tetris que l’on pourrait qualifier « de bureau »

car ils fournissent une pause rapide pendant la journée de travail… offrent des dynamiques ludiques originales où le joueur (ou plus précisément son avatar ou son action) évolue dans un environnement en perpétuel changement. Ces jeux relativement simples et abstraits trouvent des formes beaucoup plus achevées avec les simulations d’environnements complexes où le joueur gère une famille, une ville, une civilisation ou une « race » (un genre d’unités dotées de particularités propres) et affronte éventuellement d’autres joueurs dans des jeux comme les Sims ou Starcraft. Or seul un ordinateur est en mesure de traiter en temps réel les modifications permanentes des centaines ou milliers d’objets qui composent ces univers. Le garçon combat des monstres, la fille élève des souris En une quarantaine d’années, s’est ainsi constituée une culture vidéo-ludique protéiforme faite de milliers de jeux, chacun décliné en une série de versions et diversement adapté aux matériels informatiques disponibles (des bornes d’arcade aux téléphones portables en passant par les ordinateurs personnels et les consoles multiou mono-jeux comme le Tamagotchi). Ce développement culturel est remarquable par son inventivité tant graphique que linguistique. De nouvelles formes de vie ont été inventées et implantées dans des décors originaux et certains joueurs se promènent ainsi dans les paysages de WoW ou de Second Life comme dans des parcs régionaux. On observe une multiplication des termes portant sur le jeu vidéo en général

Nombre de ces jeux existaient déjà avant l’ère électronique. (avec nombre d’expressions empruntées à l’anglais à l’instar de gameplay – plus employé que le français « jouabilité » – ou de gamer – le passionné de jeux vidéo) et sur chaque jeu particulier. Pour WoW, cela donne des phrases comme « quand je l’ai down en 25, j’étais à 9k3 de dps, il est tendu comme boss ». Incompréhensible pour le profane, cette riche inventivité terminologique témoigne du temps que les gamers passent non seulement à jouer mais également à discuter entre eux. 33


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Par leur accessibilité et leur immédiateté, les jeux vidéo transforment la sociabilité et l’interaction. A la suite du philosophe Pascal, on pourrait dire que chacun ou chacune dispose, en permanence, d’un palliatif aux angoisses modernes de la solitude et de l’ennui. Peu onéreuse, cette activité est riche en émotions de tout genre : l’adolescent y détruit des terroristes ou des monstres, la petite fille y élève des souris ou des chevaux, l’adulte passe quelques instants sur un Démineur ou quelques

A la suite du philosophe Pascal, on pourrait dire que chacun ou chacune dispose, en permanence, d’un palliatif aux angoisses modernes de la solitude et de l’ennui. heures sur un site de poker à miser de l’argent bien réel. D’un jeu à l’autre, on passe de graphismes simplistes à des scènes d’un réalisme époustouflant (pour autant que l’on puisse parler de réalisme pour des êtres ou des paysages le plus souvent imaginaires) mais ceci n’affecte que secondairement la passion ludique. Pong où un pixel sert à marquer la balle reste toujours actuel car l’essentiel est pour les êtres humains de se projeter dans la représentation ; ainsi s’explique qu’à l’heure de WoW certains retrouvent les charmes des jeux d’aventure purement textuels. L’interaction avec les autres joueurs trouve aussi un ressort particulier dans ce contexte où on ne les perçoit qu’à travers leurs actions sur l’écran. Les avatars des jeux vidéo partagent avec les masques traditionnels le fait d’être avant tout un support de projection et d’idéalisation. Le joueur met en scène une facette réelle ou imaginaire de luimême et interprète les signes renvoyés par les autres joueurs. De ce point de vue, les jeux vidéo enseignent comment s’orienter dans un monde régi par les NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication) et où les entités agissantes non-humaines sont de plus en plus nombreuses : face à tout avatar, le gamer apprend à distinguer selon les cas un homme ou une femme, un hardcore ou un casual gamer (un passionné ou un occasionnel), un humain ou un bot (abrévia34

tion de robot) commandé par une intelligence artificielle. De multiples facteurs concourent ainsi à expliquer l’engouement actuel pour les jeux vidéo. Les êtres humains y trouvent des compagnons de jeu toujours disponibles, ce qui nous rappelle que la domestication animale a probablement débuté dans la préhistoire sur des bases ludiques comparables. Dans une interactivité stimulante, ils expérimentent aussi très pragmatiquement ce qu’est une représentation et quels modes d’interaction on peut entretenir via des représentations avec des êtres agissants humains ou électroniques. On peut indiquer en conclusion comment l’intégration du jeu vidéo à la culture moderne se poursuit au XXIe siècle en inspirant aussi bien les artistes que les scientifiques. Les icônes de grands classiques comme Pac-Man, Space Invaders ou Tetris se trouvent reprises pour des installations de street art ou des performances vidéo. L’obtention d’une légitimité culturelle et économique est attestée par la création d’écoles formant aux métiers de ce que certains qualifient de 10e art (à la suite du cinéma, de la télévision et de la BD). Enfin, sous l’appellation de game studies se constitue un nouveau champ de réflexion académique. Pratiqués presque indépendamment des langues et des cultures, les jeux vidéo sont devenus une composante emblématique de la culture mondiale. Thierry Wendling travaille au Centre National de la Recherche Scientifique dans le Laboratoire d’Anthropologie et d’Histoire de l’Institution de la Culture (Paris). Thierry Wendling porte un regard d’anthropologue sur les pratiques pratiques ludiques, des échecs aux jeux vidéo en passant par les concours de gros mangeurs.


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Game design à la Suisse Les photos de notre dossier Jeux vidéo représentent une sélection de travaux de fin d’études de la filière bachelor Game design de la Haute école d’art de Zurich (ZHdK).

Colorize Dans ce cosmos de bulles, le but du jeu est de créer les bonnes atmosphères de couleurs. En modifiant adroitement la couleur des bulles flottantes, on récolte le plus de points possible afin d’obtenir le keycode qui ouvre le niveau suivant. Mais attention, car le coloriage active aussi des objets qui peuvent se révéler être autant d’obstacles… Colorize est un jeu pour PC/Mac de Christop Jörg.

Crowned Crowned est un jeu de stratégie qui parodie avec beaucoup d’humour le pathétique des grandes sagas héroïques. Fidèle à la tradition des péplums, on s’y affronte et on s’y bat dans la Grèce antique. Les catastrophes guerrières sont mises en scène comme dans une dramatique théâtrale et toujours teintées d’une ­légère ironie, car il s’agit de les présenter à partir de points de vue différents et avec le plus d’effets possibles. Crowned est un jeu pour PC/Mac de Gregor Falk.

Mirage Dans Mirage, le joueur construit un être en assemblant des parties de corps humain en un collage à l’allure surréaliste. Au début, il n’y a qu’un chapeau. Il suffit d’y ajouter des parties de corps individuellement combinables, un œil, un nez, une bouche ou un pied, et cet être éphémère acquiert un caractère spécifique, dotant son joueur de sens et d’aptitudes supplémentaires. Mirage est un jeu pour PC/Mac de Mario von Rickenbach.

Dainas Herbarium Ce jeu d’aventures emporte le joueur dans le monde magique d’un île envahie par la végétation, qu’il s’agit de découvrir. Quelle est la puissance maléfique qui a poussé les anciens ­habitants à quitter ce lieu apparemment ­idyllique ? Pour faciliter ce voyage fatigant à travers des étendues de broussailles et de ­steppe, il suffit de ramasser et de préparer certains herbes, fleurs et champignons particuliers. Ce jeu fait main, au design coûteux, est destiné en priorité aux enfants et fait la part belle à l’esprit de découverte et à l’histoire. Un jeu pour PC/Mac de Dario Hardmeier et Raffaele de Lauretis.

Icebox carrots Que se passe-t-il lorsque la lumière s’éteint dans le réfrigérateur ? Une chose est sûre : les aliments ne sombrent pas dans le sommeil, au contraire, leur situation se fait très déplaisante dans ce caisson obscur. Les carottes reprennent soudain vie et certaines créatures dégelées, sur l’étagère du haut, à l’affût derrière le lait, le beurre et les œufs, guettent les légumes vitaminés. Icebox Carrots est directement connecté à la plateforme Facebook : chaque personne invitée devient un joueur et apparaît en carotte. Icebox Carrots est un jeu Internet de Michael Burgdorfer, accessible par Facebook.

Beat Fleet Beat Fleet, un moteur de platine, permet d’harmoniser la musique, l’espace et le temps. Le joueur utilise deux tourne-disques de DJ et module, par le seul mouvement de ses mains, la vitesse des pulsations et le paysage sans cesse changeant de formes abstraites, de couleurs et de musique. Le jeu de Philip Kostovic se joue sur PC/Mac, mais aussi par l’intermédiaire de deux tournes-disques de DJ connectés à un ordinateur.

Pour plus d’informations, voir : http://gamedesign.zhdk.ch/bachelor/10

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h e u re LOCa Le

La Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia entretient plusieurs permanences dans le monde entier. Celles-ci ont pour tâches de stimuler les échanges culturels et de développer des réseaux culturels.

san   Fr an C isC O  n e W   yO r K Par is rOMe Var sOV ie Le   C air e Le   C aP n e W   De Lh i sh an G h ai

Chopin en Orient – un songe contemporain

Des sons empruntés à l’Orient et au rock : Klara Bielawka gratte du saz comme de la guitare électrique.

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A Varsovie, Christian Garcia répétait son « opéra contemporain » inspiré de Chopin. Un metteur en scène romand, musicien pop-expérimental, rendant hommage en Pologne au héros national ? Suffisamment improbable pour qu’on suive trois jours de répétitions.

« Les acteurs polonais me trouvent cinglé » Christian Garcia assure en solo la musique et la mise en scène de ce spectacle dont Chopin est le point de départ. Les directeurs du festival Warszawa Centralna ont commandé la pièce après avoir adoré Requiem, précédent opus des doux illuminés de Velma (dont Garcia fait partie), montré à Varsovie en 2008. Ici, le bicentenaire de la naissance du héros monopolise le paysage culturel. Innombrables concerts, pianistes prestigieux. Même les bancs publics de la belle rue Nowy Swiat jouent Chopin lorsqu’on s’assoit dessus. Le spectacle des « Suisses » s’inscrit sur la liste des festivités. « Chopin fait partie de mon histoire musicale, ni plus ni moins qu’un autre compositeur », expli-

Photos : Tomasz Dubiel

par Florence Gaillard, Varsovie – Le train passe la Vistule pour rejoindre l’atelier de menuiserie du Teatr Dramatyczny, là où se construit le décor de Glissando. En pleine chaleur d’août, on est encore loin de la première. Avec le menuisier polonais, le metteur en scène et musicien Christian Garcia et son scénographe Serge Perret discutent angles à arrondir et mousses expansées sur un crâne géant de cheval. Le Teatr Dramatyczny est installé dans une aile de la monumentale tour stalinienne plantée en plein Varsovie depuis 1955. A l’intérieur, les murs ont vieilli, empoussiérés comme le Grand Soir. Il y a une poésie de néons et de couloirs interminables dans ce bâtiment soviétique intrigant, que la plupart des Polonais détestent.


électrique ou de harpe pour que Christian, qui a commencé odalisque, selon le caractère par le saxophone, est passé par des comédiens. Et puis il y a la le punk, le rock et la pop et une luxuriance visuelle. Parce que formation classique. « Mais j’ai Chopin a aimé et beaucoup exclu un spectacle centré sur le fréquenté Delacroix, la scénopersonnage ou un quelconque graphie s’inspire de La Mort cross-over. Reproduire sur de Sardanapale et d’autres scène des personnages ne m’intoiles tout aussi opulentes : téresse pas. Le cinéma fait cela « Je sors de 10 ans de spectabien mieux. Pour moi le théâcles où les acteurs sont en tre est un lieu d’expériences baskets et où la nudité est plus aléatoires et fragiles. » crue », raconte Christian. « Ici Pas de héros tuberculeux j’ai voulu de la chaleur, de à mèche rebelle, donc, dans l’esthétisme. » Pour voir ce Glissando, peu de texte et pas qui se trame, il suffit de de dialogues. Mais la musique feuilleter les croquis d’Aga, la de Chopin, oui. Garcia puise à jeune costumière aux sourla source, dans les partitions, faisant surgir des tableaux cils roses pink. Les Polonais apprécientscéniques. Ses neuf comédiens ils ce voyage de leur héros (suisses, français, espagnols, italiens ou polonais) n’incaren terres orientales et expérimentales ? « Nous tentons le nent personne sinon des êtres pari », explique Julia Asperska, en quête de chants, de jeux et responsable des relations inde danse. « A ce stade des répéternationales du festival. « Ce titions », explique Stéphane que nous attendons ? De la liNoël, producteur et dramaberté. En Pologne, Chopin est turge de Glissando, « il y a un une icône nationale. Sa musifossé entre les acteurs qui ont que est dans notre ADN, c’est déjà travaillé avec Christian et les autres, qui peuvent être décomme l’odeur des pierogi ! Bien sûr qu’il y a quelque sarçonnés. Il s’agit de créer une Julia Kijowska et Gianfranco Poddighe dans un final plutôt lugubre. chose d’inédit à dire sur cette langue commune. » Le musicien confirme : « Les acteurs polonais me Chopin. Glisser, c’est l’idée. Christian Gar- musique. C’est un Chopin secoué et exotitrouvent cinglé. Je ne leur fournis pas de cia fait glisser non pas des notes mais tout que qu’on attend. » texte sur lequel assurer leur performance. un spectacle. D’un thème de Chopin vers Glissando : du 16 au 19 décembre 2010 à Je leur demande de chanter, de bouger, l’improvisation, vers le chant a capella, Varsovie, et du 18 au 19 mars 2011 à l’Espace mais ce n’est pas vraiment de la danse, ni l’imagerie orientaliste ou le rock. Ainsi, on Nuithonie de Fribourg. un concert, ni une comédie musicale. » Un part de l’Etude n° 6, op. 10. Redoutable au Florence Gaillard, journaliste au quotidien opéra contemporain ? Christian Garcia se piano, elle est aussi redoutable pour le Le Temps de 2001 à 2008, a été chargée de créer trouve à l’aise lorsqu’on évoque Christoph chœur de Glissando. Il faut une oreille imLe Phare, le journal du Centre culturel suisse de Paris, en 2009. Elle est désormais rédactrice Marthaler ou Heiner Goebbels. Glissando placable pour ne pas se perdre dans le déindépendante. se situe entre ces galaxies-là, avec un goût dale des demi-tons. « Chopin est toujours de la suspension et du mouvement lent. chantant », commente Julia, « mais cette Julia Kijowska, une jeune star du théâtre version est un défi pour moi. Je suis habipolonais engagée dans le projet, en sait tuée à reconnaître des traits folkloriques quelque chose : « Dans Glissando, je dois qui ici disparaissent complètement. » La apprendre à ne rien faire, et c’est le plus dif- mélodie évolue ensuite vers une méditaficile qu’on m’ait jamais demandé ! Je me tion sonore. Un brouillard psalmodique sens transparente. Dès que j’essaie de maî- parfois sublime, qui désigne ce qui se joue triser la moindre attitude, cela sonne faux. dans Glissando : être soi avec les autres, se Cette exigence d’abandon est terrifiante distinguer mais s’aligner. Glissando, c’est un peu Chopin dégluti par Glenn Branca, mais passionnante. » oxygéné par Arvo Pärt. Minimalisé. Attention, tout n’est pas minimaliste ! Dans un Un Chopin secoué et exotique Le mot glissando dit une manière des tableaux, la scène se retrouve gonflée d’attacher les notes au piano, typique de de neuf saz pluggés, aux allures de guitare 37


h e u re LOCa Le

Le Centre culturel suisse a transformé sa bibliothèque en librairie. Une bonne adresse en plein Marais où dénicher livres d’art ou d’architecture, lire la presse et découvrir des raretés éditoriales suisses, un café à la main.

Olivier Kaeser et Jean-Paul Felley, directeurs depuis fin 2008, ont jugé prioritaire de revitaliser cet espace sous-utilisé. « A la place, nous avons voulu créer une librairie pour mettre en valeur les éditeurs et les auteurs suisses », explique Jean-Paul Felley, « et faire vivre un lieu qui donne sur une des rue les plus fréquentées du Marais ». « Beaucoup de gens découvrent aujourd’hui l’adresse », témoigne Emma-

Des étagères aux allures de glaciers : la nouvelle librairie du CCS de Paris de Jakob + MacFarlane.

par Florence Gaillard, Paris – « Ce qu’il y a de bien en Suisse, c’est que vous savez faire des livres ». Depuis l’ouverture en mai dernier de la librairie du Centre culturel suisse de Paris (CCS), cette remarque a souvent résonné aux oreilles d’Emmanuelle Brom. La libraire, véritable âme du nouveau lieu, doit parfois aussi répondre à des doléances de comptoir : « Y a pas d’lait pour le café, Madame ? » Pendant vingt-cinq ans, le 32 rue des Francs-Bourgeois a abrité la bibliothèque de consultation du CCS. Elle avait bien ses habitués mais peu de visiteurs spontanés. 38

nuelle Brom. « L’espace est blanc, mais on nous voit bien davantage ! L’endroit est comme agrandi, révélé. » C’était bien le but. Et ça marche : dans les trois premiers mois qui ont suivi son ouverture, la librairie a accueilli entre 1200 et 1300 visiteurs par mois. Graphisme, design et art contemporain Les livres ont tous un lien avec la Suisse, par leur éditeur, leur auteur ou leur sujet. La librairie n’est pas pour autant une vitrine nationale – pas de guides touristiques ou d’ouvrages de politique, par exem-

ple – mais plutôt une boutique de la Suisse artistique contemporaine. L’espace neuf a reconnecté le CCS avec sa rue ; il apporte aussi une cohérence, en étant « le reflet de ce que le CCS propose en matière d’expositions et d’arts vivants. Les gens qui apprécient nos expos viennent volontiers les prolonger ici, flâner, se faire plaisir avec un beau livre, attraper des programmes de festivals ou d’autres lieux d’expositions. » L’offre a de quoi combler les graphistes, les amateurs d’art contemporain, de design, de littérature, etc. Ce qui marche le mieux ? « Les livres d’architecture, malgré leur prix élevé, les ouvrages sur la typographie », constate Emmanuelle Brom, « et des sortes de ‹ classiques d’une librairie suisse › comme les livres signés Robert Frank ou Nicolas Bouvier. » Pour les directeurs, « l’aménagement est en phase avec notre volonté de montrer une image contemporaine et dynamique du CCS. » Les architectes Jakob + MacFarlane ont su créer un univers à la fois radical et doux. Concepteurs de nombreux espaces pour la culture (la Fondation Ricard, la Cité de la mode, le futur Frac d’Orléans, etc.), ils ont pensé ici légèreté, pureté, avec des étagères de découpe irrégulière, aux airs de glaciers alpins. La libraire souhaite développer l’offre de films, de disques, et pourquoi pas d’objets de design suisse. Reste la mystérieuse question du lait… « Il y a un coin café, mais c’est trop modeste pour qu’on puisse parler d’une vraie librairie-café », prévient-elle. N’empêche, l’expresso du CCS est un plus apprécié par tous ceux qui viennent lire la presse (suisse et française) et feuilleter des revues pointues. Pour eux, promis, les petits pots de lait ne manqueront plus. Rue des Francs-Bourgeois 32, du mardi au vendredi, de 10h00 à 18h00. Samedi et dimanche, de 13h00 à 19h00. Florence Gaillard, journaliste au quotidien Le Temps de 2001 à 2008, a été chargée de créer Le Phare, le journal du Centre culturel suisse de Paris, en 2009. Elle est désormais rédactrice indépendante.

Photo : Marc Domage

Un écrin pour les livres suisses


Par ten a ir e :  La  FOnDatiOn  LanDis  &  Gyr

Un engagement pionnier est impressionnante : ils sont plus de 160 à avoir passé, dès 1988, une année ou un semestre dans l’un des ateliers, parmi eux les artistes Annelies Štrba et Christine Streuli, les photographes Thomas Flechtner, Walter Pfeiffer et Hans Danuser, les écrivains Lukas Bärfuss, Markus Werner et Peter Stamm, ou encore Emil Zopfi et Peter Weber. Cette chance, ils la doivent à la Zuger Kulturstiftung Landis & Gyr. La fondation a fait l’acquisition des cinq petites maisons mitoyennes typiquement britanniques dans les années quatre-vingt et les met depuis à la disposition de créateurs culturels suisses pour une résidence à l’étranger.

Illustration : Raffinerie

La Zuger Kulturstiftung Landis & Gyr est l’une des institutions privées d’encouragement à la culture les plus importantes de Suisse. La fondation a fait œuvre de pionnière par ses ateliers d’artistes dans des métropoles européennes et son programme d’échanges avec l’Europe de l’Est. par Brigitte Ulmer – La plupart des créateurs ayant habité un des ateliers de la Smithy Street, dans l’East End multiculturel de Londres, en parlent comme d’une étape qui les a marqués. L’écrivain Tim Krohn dit de sa résidence qu’elle représente un des moments les plus précieux de sa vie, le peintre Uwe Wittwer fait quant à lui l’éloge de l’environnement inspirant, de l’espace magnifique de l’atelier au toit vitré, ou encore des échanges interdisciplinaires entre voisins. La liste des hôtes qui ont séjourné et travaillé ici, au milieu des effluves de curry de la communauté bangladaise,

2.5 millions de francs par année pour la culture Entre-temps, s’y sont ajoutés neuf autres ateliers à Berlin, Budapest, Bucarest et Zoug. Les artists residencies, une des pierres angulaires de l’encouragement à la culture pratiqué par la fondation zougoise, sont ouvertes aux créateurs dans le domaine des arts visuels, de la composition, de la photographie, de la littérature et de la critique d’art. L’utilisation gratuite des ateliers, ainsi qu’une aide financière pour couvrir les frais de vie courants, libèrent pour un temps des contraintes professionnelles quotidiennes et de la nécessité de résultat, car la fondation n’exige pas de prestation en retour. Par ce modèle, la fondation Landis & Gyr a véritablement fait œuvre de pionnière. « Au début des années quatre-vingt, les villes et les cantons n’avaient pas encore d’ateliers à l’étranger, comme c’est l’usage aujourd’hui, nous avons ainsi occupé une niche », dit Regula Koch, directrice de la fondation. La firme zougoise Landis & Gyr, autrefois spécialisée dans la production de compteurs d’électricité, a créé la fondation en 1971 avec un capital de 7,5 millions de francs, à l’origine pour doter ses locaux d’œuvres d’art. Au cours des ans, les buts de la fondation ont évolué vers la promotion culturelle, son capital a été généreusement augmenté à plusieurs reprises, jusqu’à ce que l’entreprise soit vendue en

1988 et que la fondation devienne un organe indépendant. Ce capital se monte aujourd’hui à environ 50 millions de francs, dont 2,5 millions vont chaque année à des créateurs et institutions culturelles. Promouvoir ce qui est neuf, jeune, expérimental Autre axe prioritaire des activités : les échanges avec l’Europe centrale et de l’Est, qui se concentrent sur le soutien à des Institutes for Advanced Study dans le domaine des sciences humaines et sociales, à Bucarest, Budapest et Sofia. 20 à 25 jeunes scientifiques et futurs professeurs d’université par institut ont ainsi la possibilité de mener, après leurs études, une recherche selon les standards de l’Ouest. Qu’il s’agisse de développement urbain, de cinéma ou d’une étude de la société sous Ceaucescu : le regard porte aussi bien sur le passé que le présent. « Notre soutien financier contribue à réformer et améliorer l’enseignement par le haut », dit Regula Koch. En tant qu’ancienne déléguée aux affaires culturelles du canton de Zoug, elle connaît l’encouragement à la culture de l’intérieur. 750 à 800 demandes de soutien lui parviennent chaque année, qui, après un premier triage, sont traitées en collaboration avec le groupe d’experts. Comme les intéressés vont, par exemple, du chœur amateur aux professionnels de l’opéra, il va de soi que le pourcentage de refus est élevé, de même que l’effort administratif. On investit tout d’abord dans les projets de créateurs qui travaillent déjà avec des institutions. Des maisons comme le Theater Neumarkt ou le Schauspielhaus à Zurich, le Luzerner Theater et le Théâtre Vidy-Lausanne obtiennent ainsi le soutien de la fondation pour des productions particulières, conçues par de jeunes artistes. « Nous encourageons avant tout ce qui est neuf, jeune, expérimental », précise la directrice. « Une Traviata se laisse facilement sponsoriser par l’économie privée. Ce qui est inconnu et innovant a plus de peine.» www.kulturstiftung-lg.ch Brigitte Ulmer est historienne et journaliste d’art. Elle écrit entre autres pour la revue culturelle Du et le quotidien zurichois Neue Zürcher Zeitung. Traduit de l’allemand par Anne Maurer

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i M P r essuM

Pas s aGes   e n   LiG n e

a  su iV r e

Editrice Pro Helvetia Fondation suisse pour la culture www.prohelvetia.ch

Passages le magazine culturel de Pro Helvetia en ligne : www.prohelvetia.ch/passages

La culture, internationalement Qu’il s’agisse d’organiser le séjour d’un artiste dans un atelier à l’étranger, de monter une production théâtrale internationale ou de présenter un pays invité d’honneur à une foire du livre, les échanges culturels transfrontaliers et transcontinentaux ouvrent de nouveaux horizons. A quoi ressemble ce travail international au service de la culture à une époque de multiculturalité et de globalisation ? A partir de quand est-il durable ? Et quel est son rôle dans le monde diplomatique ? Vous le découvrirez dans le prochain numéro de Passages. Nous assisterons à une production théâtrale helvético-argentine à Buenos Aires, parlerons des obstacles culturels aux échanges avec la Chine et rendrons visite au bureau de liaison de Pro Helvetia à New Delhi. Le prochain Passages paraîtra à la fin avril 2011.

Rédaction Rédaction en chef et rédaction de la version allemande : Janine Messerli Assistance: Isabel Drews et Elisabeth Hasler

Actualités Pro Helvetia Projets actuels, concours et programmes de la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia : www.prohelvetia.ch Permanences Pro Helvetia Paris/France www.ccsparis.com

Rédaction et coordination de la version française : Marielle Larré

Rome, Milan, Venise/Italie www.istitutosvizzero.it

Rédaction et coordination de la version anglaise : Rafaël Newman

Varsovie/Pologne www.prohelvetia.pl Le Caire/Egypte www.prohelvetia.org.eg

Adresse de la rédaction Pro Helvetia Fondation suisse pour la culture Rédaction de Passages Hirschengraben 22 CH–8024 Zurich T +41 44 267 71 71 F +41 44 267 71 06 passages@prohelvetia.ch

Le Cap/Afrique du Sud www.prohelvetia.org.za New Delhi/Inde www.prohelvetia.in

Conception graphique Raffinerie, AG für Gestaltung, Zurich Impression Druckerei Odermatt AG, Dallenwil Tirage 18 000 © Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture – tous droits réservés. Reproduction et duplication uniquement sur autorisation écrite de la rédaction.

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Dans l’art, le bonheur No 53

Kunst macht glücklich! Bekenntnisse in der Petrischale: Der Künstler im Labor S. 6 Sprechende Wände: Schweizer Klangkunst in San Francisco S. 36 Rom inspiriert: Die Zeit in Kunst verwandeln S. 38 D A S K U LT U R M A G A Z I N V O N P R O H E LV E T I A , N R . 5 3 , A U S G A B E 2 / 2 0 1 0

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Die Redewender: Zur Kunst des Übersetzens

Les tourneurs de phrases : l’art de la traduction No 52

Alice im Zululand: Berner Musiker auf Afrika-Tournee S. 6 Transatlantische Wahlverwandtschaft: Adolf Dietrich in New York S. 38 Kunst im öffentlichen Raum: Die eierlegende Wollmilchsau S. 41 D A S K U LT U R M A G A Z I N V O N P R O H E LV E T I A , N R . 5 2 , A U S G A B E 1 / 2 0 1 0

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Intro(sé)duction à l’art No 51

Die Kunst(ver)führer Neue Aussichten: Kunst geht bergwärts S. 6 Warschau: Alltagsgeschichten für die Bühne S. 36 Kunst in der Krise: Optimismus um jeden Preis S. 41 D A S K U LT U R M A G A Z I N V O N P R O H E LV E T I A , N R . 5 1 , A U S G A B E 3 / 2 0 0 9

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Kunst macht glücklich! Bekenntnisse in der Petrischale: Der Künstler im Labor S. 6 Sprechende Wände: Schweizer Klangkunst in San Francisco S. 36 Rom inspiriert: Die Zeit in Kunst verwandeln S. 38 DAS K U LTU RMA G A ZIN VO N PRO H ELVETIA , NR. 5 3 , A U S G A BE 2 / 2 0 1 0

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C hr On i que

Illustration : Aurel Märki

Où est passé César Aira ?

par Christoph Simon – Ce que je fais, moi, un écrivain de la paisible ville de Berne, dans cette mégapole de Buenos Aires aux treize millions d’habitants ? Officiellement, mon mandat consiste à enquêter sur les us et coutumes de la scène littéraire locale pour pouvoir les présenter avec un regard neutre à la Foire du Livre de Francfort, où l’Argentine est l’invitée d’honneur. Mais en vérité, j’ai une autre raison de me plonger dans la cohue de Buenos Aires : retrouver la trace de César Aira. Tomber à genoux devant le génial auteur de Varamo. Et lui remettre, à défaut d’encens et de richesses, un kilo de chocolat suisse. Les jaquettes de ses livres ne nous disent pas grand chose de lui : « Nacio en Coronel Pringles en febrero de 1949. Desde 1967 reside en Buenos Aires. » Alors, que vais-je apprendre sur le mystérieux César Aira ? Qui est-il, comment vit-il ? Et surtout : où se cache-t-il ? Gustavo, le chauffeur de taxi qui me conduit de l’aéroport au centre-ville, ne connaît pas Aira. Paula, ma femme de ménage, préfère parler de sa famille en Bolivie plutôt que de l’illumination

nocturne du fonctionnaire Varamo à Panama. Le bouquiniste de la librairie Huemul, sur l’avenue Santa Fe, escalade une échelle de huit échelons pour se hisser jusqu’aux œuvres classées sous la lettre « A », mais lui non plus ne peut me fournir de coordonnées géographiques. « Il ne reçoit que peu de visiteurs et ne sort pas beaucoup », me confient des auteures de la Sociedad Argentina de Escritores, après un « dialogo abierto » au bar café La Poesia du quartier de San Telmo. « Tous les mercredis, César boit un cognac au bar du coin de la rue et y passe quelques heures à jouer aux échecs avec les notables de Flores… » Liliana, Noemi et Ester boivent de la bière en bouteilles d’un litre et me conseillent la librairie Eterna Cadencia, avenue Honduras 5574, car « c’est là qu’Aira achète ses livres. » Et en effet : même si chaque cuadra de Buenos Aires possède sa librairie (qui fait office simultanément de librairie d’occasion), vous pouvez demander à n’importe qui – à la directrice de la bibliothèque du

Goethe-Institut ou aux romanciers Ariel Magnus et Alan Pauls –, pour le ravitaillement de l’esprit, tout le monde vous conseillera l’Eterna Cadencia. Le jeudi où je décide d’affronter le long chemin qui conduit au quartier de Palermo, je rate César Airas d’une demi-heure, comme on me l’apprend avec regret. « Pourquoi est-ce que je ne parviens pas à rencontrer César Aira ? ». Ariel Magnus, qui est tout ce qu’un écrivain rêverait d’être, productif et intelligent, traduit en roumain, en hébreux et en chinois, me sussure : « Retrouver la trace de César est une science vraiment complexe, et on ne compte plus le nombre de tentatives ratées ». Le mardi à neuf heures, je dépose devant ma femme de ménage bolivienne, à titre de petit en-cas, un kilo de chocolat suisse. « Gracias ! », dit-elle. « Vous repartez aujourd’hui ? Avez-vous rencontré cet écrivain que vous vouliez voir ? » « César Aira ? Non. Je craignais que cette rencontre ne soit une déception pour nous deux. César est couché sur son canapé, les jambes étendues, et frotte ses chevilles l’une contre l’autre. Il lève les yeux de son livre et regarde le trouble-fête d’un air contraint. » « Vous vous faites du souci pour rien. Je suis sûre qu’il y a tout le temps des amis qui traînent chez lui et qui apprécient de traîner chez lui et de raconter ensuite qu’ils ont traîné chez lui. » On ne porte jamais tout à fait le même regard sur les choses qu’auparavant, quand on revient d’un autre monde. Pourquoi les librairies et les librairies d’occasion sont-elles deux choses distinctes chez nous ? Pourquoi n’emmène-t-on pas des hordes d’écoliers à nos lectures ? Et plus globalement : pourquoi tous les lampadaires fonctionnent-ils ici ? Pourquoi est-ce tellement silencieux ici à minuit ? Pourquoi personne ne met-il de barreaux à ses fenêtres ? C’est ce qui fait le charme du retour pendant un certain temps : on s’ennuie de quelqu’un que l’on n’a jamais rencontré et la nuit vous donne le sentiment de dormir ailleurs dans votre propre ville. Christoph Simon, né en 1972, est écrivain et vit à Berne. Sa dernière parution est le roman Spaziergänger Zbinden. En mai 2010, il a bénéficié d’une résidence d’auteur à Buenos Aires. Traduit de l’allemand par Patricia Zurcher

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G a Ler i e

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Une plateforme pour les artistes Rothis Western City, 2005 Photo de Yann Gross extraite de la série Horizonville La série photographique Horizonville traque l’american way of life en Suisse. Juché sur sa mobylette, le photographe romand Yann Gross a sillonné la vallée valaisanne du Rhône et conduit une sorte d’étude ethnographique sur un groupe de passionnés qui, à des milliers de kilomètres des montagnes Rocheuses, vivent leur rêve américain. Yann Gross (*1981) a obtenu un diplôme à l’ECAL (Ecole Cantonale d’Art de Lausanne) et consacre son travail en priorité au thème de l’identité. En 2008, le festival PhotoEspaña lui a décermé le Prix Descubrimiento. Pour accompagner son exposition individuelle Horizonville, un livre est paru cette année aux éditions JRP/Ringier. www.yanngross.com

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«En quoi une relation avec un autre joueur par l’intermédiaire d’un jeu vidéo serait-elle plus virtuelle et moins réelle qu’une communication téléphonique?»

Homo ludens à l’ère des jeux vidéo Thierry Wendling, p. 32

« Les parents des autres enfants fréquentaient les Eglises libres, mon père travaillait chez IBM. Ce qui revient au même. » The world is not enough Nicolette Kretz, p. 12

« La culture est un thème plus porteur que les jeux violents, parce qu’elle offre une perspective et ne se fonde pas seulement sur des interdits. »

Sans prototypes, pas d’avancée, Malte Behrmann, p. 28

« Vu sous cet angle, le jeu vidéo serait à comprendre comme l’accomplissement technique du rêve d’œuvre d’art totale – le miracle de la Pentecôte d’un appareil transmédiatique et de l’immersion synesthésique. » L’art Martin Burckhardt, p. 24 www.prohelvetia.ch/passages

La Fondation Pro Helvetia soutient la culture suisse et favorise sa diffusion en Suisse et dans le monde.


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