Journal portugais

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Journal portugais



« Je souhaiterais que cette expérience continue avec d'autres et qu'elle ne soit pas réservée aux professionnels ou à une certaine élite » écrivait Raymond Depardon en préambule de son livre retraçant l’expérience de sa « Correspondance newyorkaise » avec le quotidien Libération en 1981. Dix ans plus tard, j’ai l’occasion de partir trois semaines au Portugal sans autre but que de faire des images. C’est pour moi l’occasion, en toute humilité, de rédiger mon « journal portugais » sur le modèle de sa « Correspondance new-yorkaise » : Un jour, une image, une légende.



Préambule : Dimanche 05 mai 1991 : Je pars pour le Portugal. J'ai décidé de ne faire que du noir et blanc. Je prends le 35 mm et le 50 mm. Je tiendrai au jour le jour quelques notes. Mon quotidien s'inscrit en creux dans mes images. Le mettre au centre de ces quelques notes me paraît naturel. Je n'ai pas d'autre projet que de constituer mes archives de ce quotidien.



Lundi 06 mai 1991 : De la maison, je vois la mer. Il fait frais. J'ai envie de téléphoner à Lyon. Je dois me concentrer sur les images.



Mardi 07 mai 1991 : Je marche seul dans Porto. J'essaie d'être discret. Je vais dans les jardins de l'hôpital faire quelques photos. Je n'en fais pas. J'ai peur de me faire jeter. Au café, le patron me dit : « Mitterand, il est bien ». Je me promène au bord de la mer. Je photographie l'horizon.



Mercredi 08 mai 1991 : Je visite un monastère. Silence. Des touristes en jogging. Je vais à la poste pour téléphoner. À côté, un type est très content d'avoir téléphoné. Il a parlé à sa famille.



Jeudi 09 mai 1991 : Je pars tard. « Visiter les caves » en français dans le texte. Je vais sur les quais. Quelques photos. Je me dépêche, j'ai rendez-vous. J'arrive une heure en avance. Ma montre est toujours à l'heure française.



Vendredi 10 mai 1991 : Le matin, à l'appartement, j'ai froid. Il y a beaucoup de vent. Je ne sais pas où aller. Je traîne, je fais peu de photos. Cela me paraît dérisoire.



Samedi 11 mai 1991 : Journée perdue. Peu de photos. Le 50 mm ne fonctionne pas bien. Je commence à me faire à la vie à Porto. Lundi soir, nous partirons pour Guimaraes.



Dimanche 12 mai 1991 : Il fait beau. J'ai mal à la tête. Trop de déplacements. Encore une journée de perdue pour les photos.



Lundi 13 mai 1991 : Santo Martino di Campo. Mauvaise journée. Il fait chaud, la lumière est forte. Il n'y a rien. Rendez-vous à 18 heures. Encore 7 heures d'attente. Je voudrais être ailleurs.



Mardi 14 mai 1991 : Guimaraes. « Ici naquit le Portugal ». Je fais des photos au jugé. Quelques clichés au palais de justice. J'ai manqué une image. Je n'ai pas osé. Je suis en colère. J'ai mal aux pieds. Je rentre à l'hôtel.



Mercredi 15 mai 1991 : J'ai toujours du mal à démarrer ma journée. Dans une ruelle, j'entends un piano. La musique me manque.



Jeudi 16 mai 1991 : Dans le journal, « Edith Cresson, Premier ministre ». C'est la première fois que j'ai des nouvelles de la France.



Vendredi 17 mai 1991 : Journée décousue. Nous retournons à Porto. Beaucoup de temps perdu. Peu de photos.



Samedi 18 mai 1991 : Bord de mer. Il fait chaud. Une bonne journĂŠe. C'est le retour de pĂŞche, je discute sur la plage.



Dimanche 19 mai 1991 : JournÊe d'attente. Je me promène au bord de la mer. Presque pas de photos. J'ai des angoisses pour l'avenir.



Lundi 20 mai 1991 : Je suis parti tard. Je n'ai pas mangé à midi. J'ai soif et chaud. La journée est longue à marcher par cette chaleur. Je bois un verre. À la terrasse du café, un bébé sourit pendant son sommeil.



Mardi 21 mai 1991 : Repas seul à Porto. Il y a la télévision mais sans le son. Demain, je retournerai au bord du Douro. Je vais au musée Soares dos Reis. Je suis tout seul. Puis je vais au musée d'art moderne. Il n'y a pas d'exposition. Je visite les jardins.



Mercredi 22 mai 1991 : Je longe le Douro. Je vais Ă la banque changer des lires. On parle de l'Italie.



Jeudi 23 mai 1991 : Le Douro et le pont Dom Luis. Je donne des cigarettes et des escudos à des mômes qui font la manche. Je passe un moment avec eux. Un vieux me parle de la France : « Le maréchal de Gaulle »... J'ai peur de ne pas avoir de photos.



Vendredi 24 mai 1991 : Peu de photos. Je retourne sur les quais du Douro. Je revois les gamins de la veille. Liaison Porto-Guimaraes. C'est interminable. Plus d'une heure et demie pour 35 kilomètres. La chaleur est suffocante. Je pense à toutes les photos que je n'ai pas faites. Le soir, je mange à Guimaraes. « Tiens, le français ! Pourquoi tu ne venais plus ? »



Samedi 25 mai 1991 : Dans quelques heures nous serons à Lyon. Je ne sais pas si j'aurai de bonnes images. Je pense à ce singulier moment où les images sont là mais restent invisibles. Comme une gestation…



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