Découverte Patagonie

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DÉCOUVERTE PATAGONIE RÉCIT DE VOYAGE

C L AU D E B O H N E R T



DÉCOUVERTE PATAGONIE

Le bout du monde, Est-ce le début, est-ce la fin ? Un sentiment de nulle part, Une impression de Paradis.

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SECTION 1

PARIS - BUENOS AIRES

Dimanche 9 octobre, 10h47, Roissy Charles de Gaulle, Terminal I, comptoir d’enregistrement Aerolineas Argentinas. - «Vous êtes à la bourre!», s’exclame l’hôtesse, un brin étonnée de nous voir présenter nos billets pour l’enregistrement. C’est que, trois minutes plus tard l’avion partait sans nous! Destination Buenos Aires d’où nous rejoindrons Ushuaia pour un périple d’un mois en Patagonie. Ce voyage, je le fais avec Pierre, mon ami depuis trente ans. Pierre est tombé amoureux de cette région où il a vécu durant cinq années. Aujourd’hui, il organise des circuits touristiques à la demande de ses clients. Il les emmène, les guide et partage sa passion avec tous ceux qui souhaitent découvrir ce site paradisiaque. Je suis un «client» privilégié: je vais avoir l’avantage de passer trente jours avec Pierre. Il effectue un parcours de reconnaissance pour trouver de nouveaux hôtels, des excursions ou des curiosités à proposer. Pour moi ce seront trente jours de réelle découverte; je chercherai à immortaliser ce merveilleux endroit que l’on assimile à l’un des derniers paradis terrestres. Pierre partage ma passion pour la photographie et ensemble nous allons nous adonner à cette pratique, sans retenue et avec grand plaisir. Vers 23h30, heure locale, nous survolons Buenos Aires. J’ai une pensée pour Sylvie, Lucas et Maylis que j’ai laissés en France et qui sont sur le point de se lever pour aborder une nouvelle semaine de travail et d’école. 2


Le premier jour en Argentine débute. Au programme, petite visite de la capitale, à pied bien sûr, histoire de nous mettre en jambes pour notre prochain trek dans la Cordillère des Andes. Ce 10 octobre est jour férié, d’où les rues plutôt désertes. Malgré tout, remarque l’incroyable mélange de races qui peuplent ce pays. Le teint mat l’Espagnol, la peau blanche du Français ou de l’Anglais alternent avec physionomies indiennes, tartares, et orientales. Une impression «d’ailleurs» et même temps de «chez soi».

on de les en

Au détour d’une rue, j’aperçois une vieille Ford ‘A’. Penché sur cette chose pour en effectuer des clichés de détails, j’entends soudain une voix qui s’adresse à moi. Le ton est plutôt accueillant et je devine que ce monsieur m’invite à ouvrir la portière afin que je découvre l’intérieur de son bijou. Pierre n’est pas loin et je l’appelle à ma rescousse pour traduire ses propos. Miguel-Angelo nous apprend qu’il est passionné de vieilles voitures, tout particulièrement de la marque Ford, et qu’il en possède deux. Très vite les deux hommes sympathisent et nous voilà à bord de ce noble tacot datant de 1931 pour une virée inattendue. L’aficionado nous montre quelques points de vue et cela nous permet de corriger notre parcours, et d’éviter ainsi des kilomètres à pied supplémentaires. Après un échange de cartes de visite autour d’un café crème, nous poursuivons notre chemin dans cette mégapole. De San Telmo, vieux quartier typique à ne pas manquer, nous prenons la direction du Puerto Madero: Le port est entièrement restauré, quoique pas complètement achevé, et il fait bon flâner le long du rio de la plata aussi bien de jour que de nuit. Les quais sont bordés d’anciennes grues de chargement qui ont été conservées, et qui donnent à cet endroit tout son cachet; les bâtiments de briques rouges qui abritaient jadis les docks sont devenus aujourd’hui une enfilade de restaurants à perte de vue. De l’autre coté se sont installées des institutions, dans des immeubles nouvellement construits ou ayant été restaurés, mais tout cet ensemble reste tout de même assez artificiel.

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La nuit tombe et douze heures de marche à un rythme soutenu se rappellent à nos jambes. Nous regagnons l’hôtel et une bonne nuit réparatrice nous fera le plus grand bien. Pierre connaît très bien la région de la Patagonie, souvent mieux que les Argentins eux-mêmes. Par contre, il ne connaît pas grand-chose de la capitale et il doit souvent répondre aux questions posées par ses clients, lesquels souhaitent profiter d’une escale obligatoire pour découvrir au mieux cette ville. Son travail de reconnaissance a donc bel et bien commencé. Le lendemain matin, c’est au Café Tortoni que nous prenons notre petitdéjeuner. Fondé en 1858, c’est le plus antique café du pays. Un taxi nous conduit ensuite dans le quartier de la Boca, quartier pauvre dont l’entrée se distingue par de vieilles maisons et baraques de couleurs vives, véritables éclats de bonheur qui font oublier la misère qui y règne. Nous sommes à Caminito et le flot de touristes, appareil photo en bandoulière, ne trompe pas. Des danseurs de tango s’exhibent pour quelques pesos, ce qui n’est pas trop à mon goût. Après quelques prises de vue de ces bâtisses colorées, je préfère m’éloigner et je me retrouve ainsi à l’écart, là où le touriste n’ose s’aventurer. Pierre me rejoint et nous continuons notre découverte de la Républica de la Boca en observant les maisons, les commerces et les gens qui y vivent. Je lève les yeux sur un immense mur qui se dresse devant moi. Sa forme rappelle celle d’édifices que j’ai déjà vus. Pas de doute, c’est le stade de Boca Juniors, là même où Diego Armando Maradona fit ses grands débuts, pour devenir un des plus grands footballeurs de tous les temps. Je me sens obligé de visiter cet endroit mythique: d’abord parce que je suis là et qu’après tout, amateur du ballon rond ou non, il faut quelques fois s’intéresser à ce qui fait le monde! Mais surtout pour faire plaisir à mon fiston, Lucas, qui m’enviera certainement un peu lorsque je lui ferai mon récit. Il est quatorze heures et un petit creux se fait sentir. En face du stade, nous découvrons une petite guinguette aux couleurs du club. L’appel du ventre nous pousse à y pénétrer, et c’est avec bonheur que nous découvrons un cadre simple et original. L’ambiance nous séduit tellement que nous virevoltons à travers cette pièce avec nos appareils photos, et flashons tout et n’importe quoi, à en donner le tournis aux autres clients qui se demandent sans doute si nous sommes bien de ce monde! Nous finissons le chorizo, servi dans une assiette posée sur une table en formica des années cinquante, et profitons de cette authenticité qui nous entoure.

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Décidés à économiser nos forces, nous prenons un taxi qui nous reconduit dans le centre; nous finissons la journée par quelques démarches, non touristiques celles-ci mais nécessaires à Pierre, comme la visite de deux trois hôtels et la réactivation de son téléphone local. Ce soir nous refermons nos valises car demain c’est le véritable départ pour la Patagonie.

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SECTION 2

DIRECTION PATAGONIE 12 octobre : Aujourd’hui, un peu excité et impatient, je prends place côté hublot dans cet avion qui, trois heures quarante et quelque trois mille cinq cents kilomètres plus loin, nous déposera à destination. Du printemps «méridional» et des 25° de Buenos Aires, nous passons à un printemps austral et la chute de la température annoncée par l’hôtesse est sans appel. Nous devons nous attendre à 3° lors du débarquement. Mais au-delà de cette désagréable surprise c’est une tempête de neige qui sévit sur la terre de feu qui compromet notre atterrissage. Le commandant de bord nous prévient qu’il doit effectuer des rotations en attendant d’avoir l’autorisation d’atterrir. Je suis frustré car, pour l’instant, la vue sur Ushuaia qui m’était promise depuis mon hublot est cachée par la grisaille. Une éclaircie permet finalement à l’avion de se poser. Pierre me souhaite la bienvenue en Patagonie et je perçois une grande tendresse dans son regard. Nous nous installons dans notre hôtel. Au-dehors, la tempête reprend de plus belle mais, résignés, nous décidons d’endosser nos vestes polaires et nos doudounes et allons faire un tour. Nous n’avons pas vraiment d’objectif précis vu le mauvais temps et allons nous installer dans un locutorio pour consulter nos mails et pour téléphoner. J’appelle ma petite famille avec une immense émotion que je cache derrière des mots ordinaires. Je m’étais pourtant préparé depuis bien longtemps à cet appel depuis «le bout du monde». J’ai finalement abrégé rapidement, un peu déçu par ma prestation. Mais ce bout du monde… Est-ce le début? Est-ce la fin? Quelques instants plus tard je commence à être pris par ce sentiment de nulle part: un petit bout de ciel bleu perce l’énorme nuage qui plane jusqu’au sol. Je préviens Pierre que je retourne à l’hôtel pour me munir de mon appareil photo que j’ai laissé dans la chambre, pensant n’en avoir nullement besoin aujourd’hui. Comme si le rendez-vous avec l’astre était programmé, le soleil se met soudain à jouer avec moi et, durant une heure, il illumine pour moi un horizon planté-là, à portée de main. A chacune de ses apparitions, il me dévoile un coin de rue, puis disparaît pour réapparaître plus loin pour me montrer une 6


maison, un bateau... Je cours pour ne rien manquer car je suis bien conscient que ce petit jeu ne durera pas longtemps. J’ai complètement oublié la frustration connue à l’arrivée et me sens complètement plongé dans cet univers si particulier. Le soleil finit par disparaître complètement, laissant un ciel très menaçant et un vent glacial derrière lui. Le printemps austral c’est bien ça, nous avait expliqué le chauffeur de taxi : - «Hier encore il faisait 18°, aujourd’hui il neige». Et d’ajouter : - «C’est aujourd’hui l’anniversaire de la ville et tous les ans, c’est pareil, le 12 octobre, il fait mauvais!»… La nuit nous réserve une mauvaise surprise: le chauffage semble être tombé en panne. Il doit faire 15° dans la chambre et je rajoute une deuxième couverture sur mon lit ainsi que ma doudoune. Je dors finalement très bien, mais au petit matin le froid se fait sentir encore plus cruellement! Pierre n’apprécie pas du tout cette température et demandera des explications à l’hôtelier. Les deux journées que nous passerons à Ushuaia seront consacrées à des excursions. Pierre téléphone à Miguel, un guide officiel qu’il a rencontré l‘année passée, et dont il a précieusement conservé les coordonnées. Ce dernier vient nous rencontrer et nous décidons de lui confier la mission de nous conduire. Ses trente ans d’expérience seront un gage de réussite pour notre séjour. Il est neuf heures et nous partons en direction du Parque nacional Tierra del fuego. La neige est tombée une bonne partie de la nuit et un manteau d’au moins dix centimètres recouvre le paysage. Le ciel est toujours aussi menaçant, mais il paraît qu’ici cela ne signifie rien. Notre guide nous emmène jusqu’à une petite gare où nous embarquons dans le train «du bout du monde». Construit en 1901 par les prisonniers qui devaient bâtir eux-mêmes leur prison, il est aujourd’hui le moteur touristique de la région. Pas moyen d’échapper à ce maelström citoyen, mais nous sommes en début de saison et le flot de touristes reste encore supportable. Le petit train nous transporte à travers une espèce de toundra où subsistent les souches de milliers d’arbres coupés au début du XXe siècle par les prisonniers. Le 7


paysage pourrait sembler ordinaire si l’œil intéressé ne prenait pas soin d’observer les jeux de lumière si particuliers dans cette région. Même couvert, le ciel sait donner de la couleur aux objets et rehausser le contour des montagnes. Nous débarquons quelque part au bout du monde, un point sans doute mentionné sur aucune carte et où Miguel nous récupère. Nous commençons déjà à apprécier notre choix car nous sommes les seuls à pouvoir poursuivre le chemin grâce à notre guide. Tous les touristes rebroussent chemin, les cars ne pouvant aller plus loin à cause des routes trop enneigées. Quel bonheur pour moi, tout seul au bout du monde (ou presque, puisqu’il y a quand même mes accompagnateurs!). Notre guide nous conduit quelques kilomètres plus loin vers un ponton surmonté d’une cabane de quatre mètres carrés où nous accueille Carlo De Lorenzo, «Premier ministre» du Pays de l’île Redonda. Un symbolique «bout du monde» où Carlo remplit généreusement nos passeports avec de multiples tampons et timbres attestant notre séjour de quelques instants dans «son pays». Il nous délivre également un autre passeport et nous déclare citoyens Del pais de Isla Redonda. Un honneur que nous devons à quelques pesos laissés sur le comptoir et comme nous sommes les seules personnes en visite dans ce coin perdu, nous avons tout le temps et nous voilà à développer des philosophies autour d’un verre près du fourneau qui réchauffe la petite pièce. Nous reprenons la route nationale N°3 qui affiche son Kilomètre zéro à Buenos Aires et se termine ici par un rond-point qui ne nous laisse aucune autre issue que de revenir sur nos pas: autre symbole de bout du monde… Au loin, Bahia Lapataia illuminée par un soleil jusque-là inexistant et qui dépose ses rayons sur la baie comme pour nous souhaiter la bienvenue. Un vent glacial souffle depuis le large, mais je suis insensible à ses morsures tellement je suis émerveillé par cette beauté. Demi-tour obligé, nous regagnons Ushuaia par la même route et, à l’approche de la ville, je constate qu’il ne reste rien de l’épais manteau neigeux du matin. Ce 13 octobre est l’anniversaire de Pierre. Nous décidons de dîner dans un petit resto au nom évocateur de «1951», qui est justement son année de naissance. Pierre fête ainsi son anniversaire sur le canal Beagle où il jette au vent ses années passées, le Cap Horn les engloutira à tout jamais, et son vœu le plus cher est de renaître ici, en Patagonie.

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Le lendemain nous retrouvons notre guide pour un circuit des lacs qui n’aura été que l’idée de départ! Très vite Miguel comprend ce que nous aimons voir et propose de modifier le tracé initial pour nous conduire hors des sentiers battus. Nous voilà sur des chemins que seuls les Fueguinos empruntent et qui nous conduisent vers un tout petit port de pêche face à Puerto Williams, ville chilienne de l’autre côté du canal. Authenticité garantie, ce lieu n’est mentionné par aucun guide. Des vestiges de chaudière et autre matériel servant autrefois à mettre en conserve la prise du jour traînent, tout rouillés, au milieu de cette nature sauvage et lumineuse. Nous nous dirigeons ensuite vers l’Estancia Harberton qui ouvre ses portes au public à partir du 15 octobre. Nous ne sommes que le 14 et n’avons aucune certitude de pouvoir y pénétrer. Nous sillonnons la route toujours aussi désertique et trouvons en chemin de multiples points de vue tout aussi étonnants les uns que les autres. Il y en a un qui m’a particulièrement émerveillé: sur le sommet d’une colline, des arbres aux formes bizarres se dressent et animent l’immensité du paysage par leurs courbures symétriques. On les appelle les «arbres drapeau», un nom qui en dit long sur leur forme. Le vent fort qui souffle en permanence ne laisse aucune chance aux arbres de pousser droit. Ils sont donc comme coiffés à la gomina depuis la racine jusqu’à l’extrême brindille. Ils rappellent un drapeau au bout d’un mât qui se courberait sous la force du vent. Cette originalité m’a tellement séduit que je passe une bonne demi-heure à photographier sous tous les angles ces remarquables sujets. Les clôtures qui entourent la propriété nous signalent que nous approchons du domaine Harberton. A plusieurs reprises je demande à Miguel de s’arrêter car je vois trente six mille occasions de faire des prises de vue, toutes plus belles les unes que les autres. Arrivés à l’estancia, Pierre et notre guide tentent de trouver âme qui vive et pendant ce temps je vole quelques clichés au cas où nous ne pourrions pas y entrer. Pierre revient tout sourire et m’annonce qu’il n’y a aucun problème, que nous pouvons opérer comme bon nous semble, mais que bien entendu il n’y aura aucune visite guidée ni accès au restaurant, ce qui est loin d’être notre préoccupation. Nous nous en donnons à cœur joie et remplissons nos cartes mémoire de plusieurs mégaoctets d’images en immortalisant chaque recoin de ce ranch qui est bercé par une lumière extraordinaire.

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Le propriétaire finit par venir à notre rencontre et, étonné, nous demande ce que nous faisons comme photos. Pierre explique son activité et me présente comme photographe pour un projet éditorial. Spontanément le propriétaire nous invite alors à monter à bord de son zodiac et nous emmène au large sur une île où nous pouvons observer des centaines de pingouins. Cette visite improvisée de l’estancia est une rencontre sympathique et enrichissante pour Pierre qui s’est fait connaître et qui note cette adresse dans son carnet. Nous regagnons la civilisation et arrivés à l’hôtel nous nous précipitons pour visionner les centaines de photos réalisées aujourd’hui avant de refaire nos valises et de nous écrouler, vaincus par le sommeil. Levée à 7h pour ce dernier jour à Ushuaia que nous quitterons à 15h. Ce matin j’embarque sur un catamaran pour naviguer sur le canal Beagle et mon ami restera à quai pour se présenter encore dans quelques hôtels et bureaux touristiques. Au large de la ville de petits îlots grouillent de cormorans et d’otaries, sujets éminemment touristiques mais au-delà de cet aspect, Pierre me garantit autre chose… Le temps est de la partie et le soleil illumine la baie comme il sait si bien le faire dans cette région du monde. Le bateau file droit devant et plus je m’éloigne de la rive plus je sens que quelque chose d’exceptionnel se passera dans peu de temps. Le navire approche d’un premier rocher où se prélassent les animaux profitant de ce soleil matinal. Une marée de touristes vient se précipiter à tribord, et c’est à qui trouvera la meilleure position pour se faire prendre en photo devant ce spectacle! Je me demande de quel côté il est véritablement et j’attends que tout ce beau monde retourne en cabine. Plus tard un autre caillou, plus petit encore mais tout aussi peuplé, puis un troisième et toujours ce va-et-vient de gens qui n’auront vu que ce qui leur était promis. Mais je connais bien Pierre et je sais que le moment fort n’est pas celui-là, ces quelques rochers habités! En effet, je suis là, au bout du monde, sur le canal Beagle, entre le Chili, l’Argentine et la Cordillère des Andes se reflétant dans cette eau couleur «bleu austral». Le touriste compare et se dit qu’il a déjà vu ceci, sur le lac Léman entre la Suisse et la France avec les Alpes qui se reflètent dans l’eau. Alors il retourne dans sa cabine et je reste seul sur le pont arrière. Je ne suis pas en Europe, je ne suis pas sur 10


le lac Léman, ce ne sont pas les Alpes et je pleure mon bonheur et mon émotion. La promesse de Pierre a bel et bien tenu son rang. Je garderai pour toujours en mémoire ces instants transcendants. Nous décollons du «bout du monde» et débarquons une heure plus tard à El Calafate, deuxième étape de notre périple en Patagonie. Cette ville sera aussi notre plaque tournante pour deux autres destinations. En sortant de l’aéroport à la recherche d’un moyen pour nous conduire jusqu’à la ville, une personne se jette brusquement sur nous. Un chauffeur de taxi a reconnu Pierre et les deux hommes se saluent chaleureusement. Notre chauffeur est tout trouvé! C’est décidé, il nous conduira durant tout le temps que nous passerons ici. El Calafate est passée d’un statut de bourgade à celui de petite ville grâce au tourisme et on lui promet un avenir fulgurant. En un an, la population a plus que doublé, l’aéroport, pourtant récent, sera agrandi et une trentaine d’hôtels sont en cours de construction. Pierre est venu ici au mois de janvier et découvre déjà un profond changement en si peu de temps. Je ne sais pas encore comment je vais apprécier les curiosités de ce lieu, mais il était sans doute grand temps d’y venir avant le déferlement! Rendez-vous est donné à Pablo, notre chauffeur attitré, qui nous récupère dimanche matin pour nous conduire au Perito Moreno situé à quelque 80 kilomètres d’ici. La voiture file sur une ligne droite à perte de vue à travers les premières steppes; nous en verrons beaucoup d’autres en Patagonie. Le soleil, levé depuis six heures du matin, est toujours rasant et n’atteindra d’ailleurs jamais son zénith; il se couchera avec tout autant de lenteur. C’est ce qui donne toute cette lumière étonnante à la région. Le paysage reste toutefois monotone et seuls les quelques nuages en forme de soucoupes volantes agrémentent la vision de cet immense territoire stérile. Nous approchons des premières collines et la singulière vue se transforme en paysage féerique où se fondent collines, sommets enneigés, lacs et terrains arides. La route devient un chemin de terre et nous entrons dans le parc national des glaciers. Il est dommage qu’ici aussi tout se transforme pour accueillir plus de touristes. Le chemin de terre deviendra une route en béton, adieu le charme du naturel. Je regarde le lac dont la couleur bleu turquoise devient soudain laiteuse. Quelques blocs

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de glace ont réussi à parvenir jusque-là et flottent nonchalamment au milieu de l’eau et les nuages de couleur orangée entre les sommets blancs définissent l’horizon. Le chemin poussiéreux devient de plus en plus sinueux et tout à coup, à la sortie d’un virage, je le vois, là en contrebas. Une vue d’ensemble m’est donnée sur ce glacier élu patrimoine de l’humanité, le Perito Moreno. Nous effectuons encore quelques kilomètres pour nous en approcher et Pablo nous dépose aux pieds de ce mastodonte blanc qui impressionne tant par sa taille que par sa forme. De gigantesques lames pointent vers le ciel et, à intervalles réguliers, craquent, se cassent et tombent soixante mètres plus bas dans l’eau glacée en faisant un bruit qui résonne comme un tonnerre. J’essaie d’ignorer les touristes qui déambulent pour m’isoler entièrement dans cet univers mystérieux et j’observe durant plusieurs heures les ombres et couleurs qui changent au gré du soleil qui pénètrent à travers la glace. Le soir nous nous promenons dans El Calafate qui ressemble à une cité balnéaire et dînons dans un de ses restaurants. Malgré une grande faim, je n’arrive pas à finir mon assiette garnie d’un filet de boeuf tendre et délicieux tant la portion est énorme. Pour un prix modique, je me régale en Argentine, car mon plat préféré est ici servi en quantité et en qualité. Pierre m’annonce le programme à venir . Nous entamons notre deuxième semaine. A dix heures précises un 4x4 se présente à l’hôtel pour nous récupérer et nous emmener sur les hauteurs environnantes. Sortis de la ville nous empruntons un sentier où seul un vrai toutterrain est capable de circuler. Nous grimpons à 1.000 mètres d’altitude où nous dominons le Lago Argentino et toute la plaine et El Calafate semble être un petit bourg perdu dans le désert. Luis, le chauffeur qui parle le français, nous oriente et nous indique les différents points cardinaux pour nous situer. Au loin, nous pouvons voir les sommets qui abritent le Perito Moreno, le ciel y semble très chargé et menaçant. Nous continuons sur le sentier délimité par les traces de roues gravées dans la terre, parallèles comme des rails, jusqu’à ce qu’il semble plonger dans le précipice. Surpris par cette configuration, je m’étonne que Luis continue comme si de rien n’était ! En effet, le chemin ne finit pas à cet endroit mais une descente, que je n’ai connue jusqu’ici que dans les fêtes foraines, s’amorce et Luis l’entame avec douceur. Le silence et la crispation naissent à bord du véhicule. A la vitesse d’un escargot Luis conduit son 12


engin et un niveau à bulle indique une pente qui frise les 35°. Nous sommes ballottés dans tous les sens au rythme des trous et des bosses et le véhicule chavire de gauche à droite. Le conducteur maîtrise sa machine et en retrouvant la position horizontale, le soulagement est général. Le terrain taillé par l’érosion ressemble à un désert de roches, le sol est devenu un amas de petits cailloux rappelant du gros sel et des rochers friables se dressent un peu partout. La vue diffère totalement de celle que nous avons laissée et je m’imagine sur une autre planète, une planète où je pourrais construire un autre monde, un monde vierge de béton, un monde calme comme un lac, un monde hospitalier comme le sont les Argentins. Le site présente des curiosités presque uniques au monde, seules l’Indonésie et la Nouvelle-Zélande en possèdent de semblables. Quand dame nature se met à sculpter la roche, il est surprenant de voir ce qu’elle est capable de faire! Nous découvrons des espèces de sombreros taillés dans la pierre et il faut y regarder de près pour ne pas les prendre pour de vrais chapeaux mexicains. Luis nous propose une pause-café et nous sert une boisson chaude avant de regagner le monde réel. L’après-midi est compromise car le temps se couvre et nous décidons de reporter notre programme. Nous aurons tout le temps de reprendre ce circuit interrompu précipitamment après notre trek dans la Cordillère où nous nous rendons demain. Mardi 18 octobre, nous quittons El Calafate que nous retrouverons en fin de semaine. Le déplacement se fait en car et dure environ quatre heures. Destination El Chalten, capitale du trekking née en 1985, située dans la Cordillère des Andes à la frontière entre l’Argentine et le Chili. C’est un lieu que mon ami découvrira en même temps que moi. Ses prochains clients souhaitent y venir, et il a donc besoin d’y effectuer plusieurs repérages en commençant par les hôtels où aucune réservation n’assure d’ailleurs notre descente. Pour y parvenir, nous parcourons deux cent kilomètres sur un chemin de terre en laissant un nuage de poussière dans notre sillage. Tout le long, j’aperçois le tracé de la nouvelle route qui n’attend plus que le bitume et qui sera inévitablement en service dans les tout prochains mois; là encore prendra fin le plaisir de se laisser bercer par l’authenticité d’un chemin naturel. Le petit hameau, où nous ferons halte durant deux jours, n’est surtout pas un endroit pour ceux qui aiment Saint-Tropez ou Ibiza! Ma première impression est tellement étrange que je ne sais comment la décrire. On dirait le Far-West, certaines rues sont de véritables rues fantômes. Cet endroit n’est que rarement ravitaillé, pas 13


question d’y trouver le journal du jour et le touriste n’est pas le quidam râleur et chouchouté que l’on rencontre dans nos contrées. Ici le touriste, c’est le baroudeur, le vrai, celui qui dort où il peut. Ce sont surtout les amoureux de la marche et de la nature, ceux qui voyagent, portant un énorme sac à dos et même quelquefois un deuxième sac sur l’avant, et ceux aussi qui parlent plusieurs langues tellement ils ont bourlingué. Nous n’avons aucune difficulté pour trouver un hébergement, mais choisissons une cabane, seule alternative aux chambres-dortoirs avec les douches et commodités communes. Notre habitation est accueillante, mais le mauvais temps apporte une fraîcheur que le petit fourneau ne semble pas capable d’absorber. Cela nous promet une nuit frisquette et désagréable. Finalement, la nuit n’était pas aussi fraîche que nous le craignions mais malheureusement le temps continue à nous jouer un mauvais tour. Il pleut, et sous la pluie, toutes les régions du monde se ressemblent ! Pierre allume son GPS et la pression atmosphérique n’est guère encourageante. Un regard par la fenêtre et nous constatons que la pluie n’est qu’une bruine. Nous nous chaussons en conséquence et mettons nos talkies-walkies en marche. Les circuits sont très bien indiqués et ne nécessitent aucun accessoire particulier surtout pour les niveaux les plus faibles. Notre GPS nous indiquera simplement des informations pas vraiment obligatoires mais toujours intéressantes à connaître. En revanche, les talkies-walkies nous servent bien pour nous éloigner l’un de l’autre sans perdre le contact. Aujourd’hui, les souvenirs seront uniquement gravés dans ma tête car la pluie pourrait endommager mon appareil photo et je décide de le laisser à l’abri. Nous prenons un des nombreux sentiers balisés, mais après vingt minutes de marche, nous n’avons plus le courage de continuer, les rafales de pluie et le vent sont trop violents. Le guide du routard le mentionne, si le temps est beau, c’est le must du trekking. A l’inverse, par mauvais temps, c’est l’ennui au village. Pour aujourd’hui, ce sera un bon chocolat chaud et révision de notre géographie dans l’attente d’un jour meilleur! Le soir nous observons le ciel qui scintille. Les étoiles se comptent par centaines, c’est bon signe!

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Le ciel dégagé de cette nuit n’était qu’un feu de paille. Je regarde par la fenêtre et ce matin le mauvais temps a redoublé de vigueur. Première réelle déconvenue de notre voyage. Pierre aura peut-être plus de chance quand il reviendra le mois prochain avec ses clients. Moi, je repartirai sans doute d’ici sans avoir vu le Fitz Roy et sans avoir pu observer la magie de cette nature décrite dans les plaquettes. Il est onze heures et nous ne pouvons accepter ce mauvais coup du sort. La pluie a cessé et le ciel, bien que couvert, semble moins hostile. Nous reprenons notre parcours abandonné la veille et entrons dans un bois. J’ai aussitôt l’impression de pénétrer dans un conte où des milliers de branches mortes jonchent le sol comme autant de bras qui cherchent à me happer et où fée Carabosse viendrait me jeter un sort pour ne plus jamais me laisser repartir. Nous grimpons durant deux heures jusqu’à apercevoir au loin une silhouette droite comme un soldat au garde-à-vous. Le mont Fitz Roy, dont nous devinons les contours, semble nous faire un clin d’œil comme pour nous souhaiter bonne chance et disparaît aussitôt derrière un gros nuage bien gris. Nous avons assez bravé les dieux et rebroussons chemin, et ces divins célestes ne semblent même pas vexés d’avoir été affrontés. Le gros nuage gris nous suit sans nous dépasser, laissant filtrer un léger rayon qui guide nos pas. La magie a bien opéré. Même si ce n’était qu’un petit tour, elle a su m’ensorceler et c’est sûr, par beau temps, ce massif doit véritablement être le must. Le lendemain nous retournons à El Calafate. Il est sept heures, le beau temps est revenu et le soleil crée un tableau panoramique fantastique en se servant des nuages et des cimes enneigées. Le Cerro Fitz Roy y règne en maître entouré des Cerros Torres, Poincenot, Guillaumet, Mermoz, et autres, tous illuminés par les rayons matinaux comme si des spots éclairaient les artistes. Soudain le car s’arrête. Le chauffeur, qui avait bien remarqué combien nous étions frustrés en quittant cet endroit sans avoir pu voir jusqu’ici ce héros dominant, nous annonce : - «Deux minutes, pour tous ceux qui veulent prendre une photo!» Aussitôt le car se vide et nous sommes une dizaine à pointer nos téléobjectifs sur cette merveille. Je pars d’ici avec un petit soulagement de n’avoir pas tout manqué et une fois encore l’inattendu s’est produit dans ce pays enchanteur.

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Nous revenons sur El Calafate et j’ai comme l’impression de n’être jamais venu tant la vue diffère. La route ennuyeuse entourée de steppes devient une scène où la chaîne montagneuse toute proche, pourtant presque invisible il y a trois jours, semble avoir été posée-là, entre-temps, comme pour m’offrir un décor où je n’aurais plus qu’à placer mes acteurs. En fin d’après-midi, nous reprenons notre parcours abandonné pour cause de mauvais temps avant notre déplacement. Ricardo, qui tient une agence locale de tourisme, vient nous prendre à l’hôtel et nous retournons, toujours en 4x4, grimper sur un autre de ces nombreux promontoires qui entourent la ville. Aujourd’hui le temps est exceptionnel et une vision à 360° permet de reconnaître au loin notre Fitz Roy. Dire que nous avons parcouru deux cents kilomètres pour être à ses pieds et qu’il ne se trouve qu’à cent kilomètres à vol d’oiseau. Plus étonnant encore, c’est de distinguer à l’opposé notre prochaine destination, les «Torres del Paine», au Chili, qui ne sont qu’à cinquante kilomètres d’ici en ligne droite, alors que nous allons devoir faire plus de quatre cents kilomètres pour aller les voir de près! Cette configuration étrange résulte des découpages originels de ces terres. Le coucher de soleil qui rayonne autour des sommets apporte à cet ensemble un spectacle exceptionnel que je ne me lasse pas de contempler. D’autres personnes, qui ont parcouru le chemin à cheval, nous rejoignent et nous nous retrouvons pour dîner dans un quincho1 où nous dégustons un asado2. Pas de découvertes au programme de cette nouvelle journée. Pierre doit effectuer de multiples rencontres et décide de louer une voiture pour la journée. Nous allons visiter plusieurs estancias agrotouristiques, hôtels et autres lieux utiles. J’accompagne mon ami pour découvrir avec lui ces professionnels du tourisme, mais cela n’a rien de séducteur! Quelques-uns de ces lieux ont bien du cachet, mais…! Pierre a remarqué mon ennui et décide d’abréger son travail. Il me dit qu’il en a assez vu et qu’il a suffisamment d’adresses à présent. Nous avons donc toute l’aprèsmidi pour aller au hasard des chemins. Nous filons vers un petit port à quelque quarante kilomètres de la ville et avant d’y parvenir nous remarquons une lagune

1 Quincho : Cabane où est installé l’asador et où l’on déguste la viande grillée entre amis. 2 Asado : Grillade d’une pièce de viande empalée sur des piquets métalliques.

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entourée d’un marécage, nous nous arrêtons et observons plusieurs dizaines de sortes d’oiseaux qui la peuplent. Un hennissement me fait me retourner et j’aperçois une beauté s’il en est une que cet étalon au grand galop, épris de liberté. Tout ce spectacle me transporte dans une profonde méditation et nous contemplons pendant une bonne demi-heure ce divertissement extraordinaire sans dire un mot. Nous continuons ensuite vers notre but. Ce port, où vivent une cinquantaine de personnes, est uniquement destiné aux touristes qui embarquent ici pour une visite fluviale au pied des glaciers. On y voit une école qui doit accueillir au plus une demi-douzaine d’élèves, une roulotte qui fait office d’infirmerie et quelques maisons et bâtiments publics. Les touristes sont tous à bord des bateaux et les cars attendent leur retour sur le parking. Nous attirons l’attention des quelques habitants plus habitués à voir les touristes aller et venir sans les remarquer que de se faire observer par des «extraterrestres» qui les immortalisent avec leur boîtier noir. Un gamin au minois de Gavroche m’approche et me parle. Je m’emploie à prendre ce petit garçon en photo tant il est adorable avec son béret tricoté. Très à l’aise devant mon objectif qui ne l’effraie nullement, il continue sa conversation tel un comédien qui joue son rôle. Pierre qui n’est pas loin, observe et s’approche à son tour. Il parle à l’enfant avec une voix douce et rassurante ce qui ne fait que renforcer la confiance que le petit garçon avait placée en nous. Il nous dirige vers une baraque blanche surmontée d’une tourelle qui fait office de clocher et une croix en bois qui pointe vers le ciel. Il nous fait visiter son église et sa sœur nous rejoint; ensemble ils posent comme des mannequins avec un naturel sans égal. Une amitié est née et Fabian nous invite dans sa maison pour boire le maté, une sorte d’infusion, boisson traditionnelle argentine qui se partage dans une même calebasse. Du haut de ses huit ans, Fabian gère les opérations comme un adulte expérimenté. Une autre sœur vient s’asseoir et, bien que plus âgées, les deux filles laissent leur frère s’occuper de nous. Durant près d’une heure j’admire ce môme qui devrait être présenté à un casting tant il joue à la perfection. Je réalise là mes plus beaux clichés depuis que je suis en Argentine. Des images dignes d’un reportage pour Géo ou National Geographic, un avant-goût de ce que j’espère trouver plus tard dans le nord de la Patagonie, ce genre de photos que j’aime prendre.

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Voilà une journée qui n’annonçait pas grand-chose et qui, par cette rencontre, est riche en souvenirs. Ce soir, j’ai le blues. Une contrariété suite à une nouvelle venant des miens me perturbe. Rien de grave mais j’aimerais être près de Lucas qui a fait banquette lors d’un match de handball sans avoir pénétré le terrain alors que pour la première fois sa maman était venu le voir jouer. J’aimerais être à ses côtés pour le consoler. Je m’endors en pensant à ma petite famille.

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SECTION 3

UN PARADIS TERRESTRE Depuis notre plaque tournante El Calafate nous prenons un nouveau départ qui nous emmène cette fois au Chili. Tout comme le massif du Fitz Roy, Pierre a besoin de connaître cette partie de la Patagonie qui se trouve de l’autre coté de la frontière. Il connaît partiellement cette partie occidentale mais beaucoup plus au nord. Cette fois il souhaite découvrir le parc national Torres del Paine. Un car nous conduit à Puerto Natales et le passage à la frontière nous prend plus d’une heure, de quoi apprécier l’espace Schengen et notre vieille Europe! On réalise très vite la différence de culture entre les deux pays qui ont pourtant une même racine. D’une tradition latine, on passe à la rigueur germanique, à moins que ce ne soient les années Pinochet qui aient laissé leur empreinte ? Plus de cinq heures nous séparent de notre départ pour un trajet d’à peine trois cents kilomètres. Nous prenons une chambre dans le premier hôtel qui se présente et ne perdons pas de temps. D’un pas pressé, nous débutons la découverte de cette ville. Je m’attendais à une autre de ces villes touristiques qui grouillent de monde mais il en est tout autrement. Nous la parcourons en long, en large et en travers en ne croisant que des gens bien d’ici. Les maisons aux couleurs vives se mélangent à d’autres aux couleurs pastel. Pas l’ombre d’un immeuble, rien que de petites maisons d’un rudimentaire rappelant quelques décennies en arrière les baraquements d’aprèsguerre de mon enfance. Plus loin se trouve le port. Les embarcations ne sont que des bateaux de pêcheurs plus proches de l’épave que du chalutier flambant neuf. Tout cela est un vrai régal pour nous et l’après-midi ne nous suffit pas tant il y a de sujets à photographier. La troisième semaine de notre séjour commence par la visite du « Parque Nacional Torres del Paine». Pour aller au parc qui se trouve à cent cinquante kilomètres, nous louons une voiture pour les deux jours que nous y passerons. Sur la route, Pierre s’arrête dans une estancia agro-touristique et l’accueil chaleureux se conclut par la promesse d’une future collaboration. La route devient très rapidement chemin de terre; nous ne réalisons pas la distance qu’il nous reste à parcourir avant 19


l’entrée officielle du parc tant le paysage traversé promet déjà d’abreuver notre soif de photos. Les renseignements obtenus par les cartes et documentations nous informent que le circuit permet autant les parcours motorisés que des treks accessibles sans difficulté. Mais vu l’immensité du territoire, nous ne retenons que la première solution. Dès l’entrée du domaine, matérialisée par un poste de garde où l’on s’acquitte d’un billet, je me sens transporté dans l’au-delà. Si le paradis existe, il doit ressembler à ça ! Des lamas Guanacos nous narguent par centaines, Un ñandu, espèce d’autruche, entame une course dont il sort vainqueur, des bandurias, des caukens, des flamants roses et autres oiseaux se baignent par dizaines dans chaque lagon ou marécage. Les collines forment des vagues et le chemin ondoie comme un serpent incommensurable. Au milieu de cet Eden, se dressent des tours telles des cathédrales de granit. Elles sont omniprésentes et dominent le parc de leurs parois lisses qui sont le symbole de leur pureté. Lors d’un arrêt au pied de ces rochers, l’inimaginable se produit. Un jeune renard argenté se présente à deux pas de moi et semble attiré par mon sandwich. Pas farouche pour un sou, il rôde autour de moi et cherche le meilleur moyen pour me voler mon déjeuner. Ce Zorro ne me quitte pas d’une patte et je réalise un superbe cliché. Pour le récompenser, je lui abandonne ce qui devait être mon repas et me nourris de la satisfaction du moment vécu. La deuxième journée se passe dans des conditions de lumière beaucoup moins intéressantes. Un gros nuage reste accroché aux sommets et ne nous donne pas les images cartes postales que nous attendions. Nous patientons quatre heures durant pour réaliser «la» photo, mais le résultat n’est pas à la hauteur de nos espérances. Sur le chemin du retour, j’aperçois un ranchito très original où des gauchos s’affairent à diriger quelques chevaux qui étaient sans doute encore en liberté au petit matin et qui ne semblent pas vouloir obéir à leurs geôliers. Toute cette scène se passe dans un contre-jour au ciel multicolore qui me fascine et je demande à Pierre de s’arrêter. Armé de mon téléobjectif, je vise ces canassons et aimerais m’approcher du ranch et des hommes. Pierre, est un peu réticent car il connaît bien les gauchos et sait qu’il ne faut pas venir en terrain conquis. C’est finalement l’un des fermiers qui vient vers nous et nous invite à boire le maté. Moments particulièrement inoubliables où ces 20


quatre copains nous font une démonstration de leur vie de tous les jours dans leur modeste demeure. Comme si nous n’existions pas, ils vaquent à leurs occupations et nous laissent agir autour d’eux à perpétuer leurs gestes sur nos compositions photographiques. Le soir, je m’apprête à transférer mes photos sur mon ordinateur portable et je suis fou de rage car la carte mémoire qui contenait les photos des gauchos est illisible et j’ai perdu à jamais ces images inhabituelles. Heureusement que Pierre a lui aussi effectué des prises de vue et je vais pouvoir y piocher mes souvenirs. Le lendemain nous regagnons une dernière fois El Calafate d’où nous reprendrons l’avion pour Bariloche. La Patagonie est un territoire qui occupe la pointe extrême de l’Amérique du Sud. Il y a la Patagonie chilienne et la Patagonie argentine. La partie argentine s’étend de la Terre de Feu à Neuquen, compte cinq provinces et couvre une bonne moitié de la superficie du pays. Elle représente une fois et demi la France et compte environ autant d’habitants que l’Alsace, la région la plus petite de France, c’est dire l’étendue des terrains inhabités.

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SECTION 4

L’AUTRE PATAGONIE Nous quittons à présent la Patagonie du Sud pour rejoindre San Carlos de Bariloche dans la Patagonie andine. Ma première surprise en arrivant, c’est le temps. Je m’attendais à une chaleur digne d’un pays méditerranéen et j’ai tout faux! Il y fait plus froid qu’à El Calafate et plus humide qu’à Ushuaia. Il est vrai que nous ne sommes qu’au début du printemps et que La Cordillère des Andes est bien plus élevée ici que dans les endroits précédents. Ma deuxième surprise, c’est l’architecture de cette ville. Le baroque tyrolien, des immeubles modestes, des baraques et des maisons traditionnelles se côtoient sans véritable harmonie. Bariloche est très touristique, rien à voir cependant avec le tourisme du Sud. Ici, on rencontre beaucoup d’Argentins de Buenos Aires qui y trouvent toutes les activités possibles. Les sports de neige l’hiver, et l’été la pêche, la chasse, l’andinisme, le rafting, les balades et bien d’autres choses, le tout au milieu d’une nature luxuriante qui ne ressemble en rien à celle du Sud. Plus proche de notre Suisse européenne que du désert de Gobie, la verdure et la diversité des plantes et des arbres donnent à ce paysage un caractère sauvage et primitif. Nous sommes hébergés dans un petit hôtel au bord du lac Nahuel Huapi qui se nomme Wonderland. Un nom qui laisse présager de ce qui m’attend pour les jours à venir. Il y a multitudes d’activités et d’excursions à Bariloche et nous ne sommes pas ici pour les effectuer toutes, mon séjour entier n’y suffirait pas. Nous choisissons pour aujourd’hui une navigation sur le lago Nahuel Huapi. Dès l’embarquement, nous faisons la connaissance d’une jeune Bretonne de vingt et un ans qui voyage seule. Jeanne nous décrit son circuit et nous devinons son enchantement. Elle termine son séjour mais nous lui expliquons que ce qu’elle a vu n’était qu’un petit aperçu de la Patagonie. Nous pouvons lire dans ses yeux son regret de devoir retourner en France sans avoir pu profiter davantage de son séjour. Nous adoptons Jeanne comme une mascotte et la gardons près de nous.

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Le catamaran El Condor effectue un trajet qui retrace le passage des échanges commerciaux entre l’Argentine et le Chili. Nous sommes tous les trois sur le pont arrière de ce bateau, entourés de nombreux passagers et les mouettes tourbillonnent autour de nous. Le ciel est un champ de bataille où nuages blancs et noirs s’affrontent, se déchirent, gagnent puis renoncent. Le soleil joue le rôle d’arbitre en les séparant puis finit par capituler. Les noirs sont déclarés vainqueurs. Le passage devant l’île Centinela nous rappelle à la mémoire de Francisco Pascacio Moreno dit Perito Moreno qui repose ici par son vœu. Ce célèbre expert fut chargé par le gouvernement argentin de définir les frontières de la Patagonie entre le Chili et l’Argentine. A sa mort, Il a légué au pays les dix mille hectares perçus en récompense de son travail en échange de la création du premier parc national, celui qui devint le Parque nacional Nahuel Huapi. Nous arrivons à Puerto Frias symbolisé par une petite baraque où un chocolat chaud arrosé au cognac est le bienvenu! Nous sommes à deux kilomètres du Chili et la fine pluie n’encourage pas à vadrouiller. Sur le voyage du retour, une deuxième manche de la bataille reprend de plus belle. Cette fois l’arbitre se fait respecter et au final les blancs obtiennent la victoire d’une courte longueur. Le soir nous invitons Jeanne à dîner et lui donnons rendez-vous à un point central de la ville. Sur le chemin, nous nous arrêtons à l’office du tourisme pour prendre une carte de la région. Une jeune femme entre et, apprenant que nous sommes Français, semble ravie de nous entendre parler. Elle se prénomme Lucie, est d’origine Tchèque, mais habite à Chamonix et parle parfaitement notre langue. Lucie est une vraie bourlingueuse. Elle pratique la haute montagne depuis sa plus jeune enfance. Au Kurdistan, en Bolivie ou ailleurs, elle grimpe les sommets toute seule ou accompagnée par une personne rencontrée au hasard de la route. Personnage atypique, cette jeune femme a en plus un peps et une joie de vivre sans pareils. Incapables de nous séparer d’elle alors que Jeanne nous attend, nous proposons à Lucie de se joindre à nous. Nous passons tous les quatre une soirée mémorable faite d’échanges, d’expériences et d’histoires. Nous nous quittons à la croisée des chemins et chacun reprend sa route si différente et quelque part si ressemblante.

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Pour la quatrième et dernière semaine de notre voyage, Pierre a loué une voiture. Nous remplissons notre coffre de paquets de maté et de farine, de briques de vin et de jus de fruits, du pain et des bonbons, autant de présents que nous distribuerons plus tard. Nous entamons cette ultime semaine en pénétrant le Parc National Nahuel Huapi, le premier des parcs argentins, créé en 1903. Nous parcourons un chemin forestier bordé de Coihues, arbres typiques de la Patagonie andine dont de nombreux spécimens sont plusieurs fois centenaires, ainsi que toute une végétation originale comme le Caña Colihue, un fin bambou indestructible. C’est un endroit oublié du monde où l’eau du Rio Manso, d’un vert émeraude, apaise le regard. Le chemin se termine, butant sur le Cerro Tronador qui culmine à près de trois mille mètres. Ici, les avalanches se succèdent en permanence; elles donnent naissance à un glacier qui se colore au contact de la terre arrachée à leur passage pour devenir tout noir. Est-ce un ange ou un démon? Ce glacier me perturbe par son existence irréelle pourtant incontestable. Demi-tour pour regagner la ville que nous quittons cette fois par le nord en traversant le Rio Limay qui prend naissance ici, puisant son eau directement du lac Nahuel Huapi. Voici venu le moment que j’attends depuis tellement longtemps. Nous allons pénétrer cette «autre» Patagonie, celle que Pierre aime par-dessus tout et dont il m’a tant parlé. A présent, mes journées deviennent intemporelles, j’ignore le dérisoire, je dissimule mes maux, je tais mes pensées, j’occulte mes soucis. J’entre dans un autre monde, dans un autre temps. Un monde où n’existent que beauté, calme, respect et bien-être, un monde authentique. Je range ma montre pour ne connaître ni date ni heure. La vallée enchantée ouvre notre chemin. Tout le long du Rio Limay se dressent les rocs qui me plongent dans l’un de ces films western où s'opposent les cow-boys et les indiens. L’eau si pure de la rivière me laisse voir le fond à plusieurs mètres de profondeur. Pierre quitte la route et entame un itinéraire qui n’est mentionné par aucun guide. Ici la nature condamne toute intrusion et ne te donne aucun droit sur elle. Mon appareil photo n’est pas capable de capter son image. Rien ni personne ne devra un jour détruire son âme. Je ne retiens plus aucun nom pour protéger son identité.

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Une rivière, réputée aux yeux des plus grands pêcheurs à la mouche du monde, perce une vallée et nous amène vers son berceau, ce lac qui lui donne naissance. Le sosie du mont Fuji, symbole de la province, veille sur ce havre de paix et son manteau blanc atteste d’un hiver rigoureux et d’un printemps tardif. Le chemin traverse un paysage de tranquillité et c’est certain, nous ne croiserons plus aucun touriste à présent. Nous pénétrons au sein d’une communauté d’Indiens Mapuche où nous avons une mission à accomplir. Notre objectif est d’offrir des stylos remis par la société Bic. Nous nous dirigeons vers une école rurale où de petits garçons et de petites filles jouent comme tous les enfants du monde. Après une longue négociation, nous remettons notre présent, mais les rapports restent distants et nous n’obtenons aucune autorisation pour réaliser quelques photos. Avec prudence et patience nous tentons de nous introduire davantage dans le village, mais la méfiance face à notre intrusion est générale. Nous rencontrons finalement un jeune Mapuche qui semble bien plus ouvert et qui aimerait faire connaître au monde entier les valeurs qui sont les siennes. Nous sommes invités à boire le maté et pendant tout le temps où Pierre s’entretient avec Hugo, Magdalena joue à la poupée dans l’unique pièce de la maison. Je m’approche de la petite fille et lui montre les photos que je viens de prendre de son papa. Ce jeu semble lui plaire bien plus que sa poupée et je me suis fait une nouvelle complice. Hugo nous explique qu’une chevauchée de 5 kilomètres permet de voir le lagon vert uniquement accessible à pied ou à cheval. Nous n’allons pas effectuer cette découverte cette fois-ci et quittons nos amis en offrant quelques bonbons à la fille, du maté et du vin pour son papa et la promesse que Pierre reviendra très bientôt avec d’autres personnes et qu’il acceptera l’invitation. Beaucoup plus tard, à plusieurs kilomètres de là nous rencontrons une dame mapuche qui, comme Hugo, nous accueille avec gentillesse. «Rivière Coupée» nous raconte l’histoire de son grand-père qui fut le dernier cacique de la tribu. «Cet endroit dégage de l’énergie positive», nous dit-elle, - «peut-être nous marchons sur les tombes de nos ancêtres». Elle regrette que les stèles commémorant les soldats tombés sur le champ de bataille lors de la conquête du désert en 1883 ne mentionnent que des hommes blancs et aucun indien. Nous passons près de deux heures à écouter cette indienne mariée à un gaucho rencontré en ville avant de venir s’installer ici dans cet endroit de bien-être indescriptible. 25


Nous continuons notre route et sur le chemin les gauchos nous saluent. De temps à autre nous nous arrêtons et faisons connaissance. C’est ainsi que nous croisons ce vieil homme qui ne connaît même pas l’existence de la France. Par contre il a une propriété, certes indigente, mais oh! Combien riche de pureté. Je remarque, en plein milieu d’un terrain vague, une élévation étrange comme une sorte de colonne vertébrale de dinosaure. C’est une ligne rocailleuse d’une origine lointaine, haute de quelques mètres et longue de plusieurs centaines de mètres. Nous nous approchons pour voir cela de plus près et je constate que l’endroit est habité. Nous entrons dans un monde de légende où deux elfes nous accueillent. Maggy et Rachel, venues s’installer ici il y a une trentaine d’années, offrent à qui veut bien se laisser prendre à leur charme une évasion vers un univers magique. Eduardo régit la pièce de main de maître, et une nuit dans cette communauté permet à chacun de relativiser ses soucis. Nous continuons tranquillement pour profiter pleinement de notre entourage qui varie inlassablement et nous fait passer des rocheuses du Nevada à la vallée des Pharaons où les Pehuen remplacent les palmiers, puis se transforme encore et devient un terrain lunaire; pour finir, nous nous croyons au sommet du Mont-Blanc. Impressionnante variation de décors où la température varie en conséquence. Nous évoluons entre 1.500 et 2.000 mètres d’altitude et les pylônes électriques en bois sont les seuls témoins de l’existence humaine. Des condors nous survolent en véritables seigneurs des Andes et Pierre roule prudemment sur ces chemins chaotiques et zigzague entre les blocs de roche et les affaissements de terrain. Au bout, la route vers les antiques thermes Mapuche est coupée par un mur de neige de plus de deux mètres: impraticable en voiture. Nous en profitons pour entamer une marche le long des eaux sulfureuses qui bouillonnent et laissent échapper une odeur acre. Le ciel s’assombrit, mais peu m’importent les nuages si j’ai la lumière, peu m’importe la pluie si j’ai le temps. Ici poussent les Pehuen, ces arbres qui semblent venir de nulle part, et que l’on ne trouve qu’à cette latitude de la Patagonie chilienne et argentine. Ils rendent cet endroit encore plus féerique. Ces paysages quelquefois monotones, mais si souvent exubérants, ne laissent pas de place à l’ennui. C’est lors d’un de ces moments forts que Pierre me tend son 26


baladeur mp3 sur lequel il a soigneusement préparé un morceau de musique bien choisi. J’applique les écouteurs sur mes oreilles et là je m’évade, un frisson de bonheur m’envahit. Je regarde le paysage qui m’est offert et la musique dans ma tête me transporte dans l’au-delà. Une sensation de bien-être me pénètre au point de tout oublier. Je deviens partie intégrante de cette nature et j’aime ce vent qui perce jusqu’à l’âme de qui veut bien se laisser aller à l’imaginaire. En ce lieu, nous rencontrons les gauchos les plus authentiques qui puissent exister, sans doute sont-ils les plus pauvres aussi. Raoul et son père, Don André au visage buriné par le vent et le soleil, vivent durant cinq mois dans cette veranada, une humble demeure faite de cailloux et de chaume et sans fenêtre. Le feu, allumé à même le sol au milieu de la pièce, illumine l’intérieur et l’imprègne de son odeur; la fumée a noirci les murs d’une épaisse couche de suie. Leur pauvreté n’a d’égal que l’expérience de la terre et des animaux qu’ils surveillent durant toute cette période de la transhumance. Ici, pas besoin de chercher une cabine téléphonique, encore moins de trouver un signal pour le téléphone portable, le seul moyen de faire passer un message immédiatement est la radio. Hier soir, Pierre a appelé la radio nacional et a laissé un message pour «Julio» pour l’avertir de notre prochaine visite. Ce dernier en prendra connaissance à 17 heures, au moment où le message sera transmis à l’antenne. Julio est un gaucho qui vit avec Carmen et ses 5 enfants dans son ranch en pleine Cordillère du Vent. Pierre a rencontré cette famille en 2001 lors d’un reportage pour la Cinq. Il était sollicité par la chaîne pour organiser les repérages et la logistique du tournage. Depuis, il s’est lié d’amitié et ne manque pas une occasion pour revoir ses amis. Julio connaît un certain succès depuis la diffusion de ce reportage; National Geographic, par exemple, a effectué pas moins de deux reportages chez lui. Aujourd’hui c’est à mon tour de faire mes prises de vue, et toute la famille se prête au jeu avec amusement. Julio commence par jouer au lasso et choisit sa proie. Un agneau de deux mois est capturé et la suite est difficilement descriptible sans choquer les cœurs sensibles. Ce sera notre repas de midi; il cuira sur quelques braises qui font office de rôtisseuse. La vaisselle se lave à l’eau d’un ruisseau dévié. La demeure familiale est modeste mais plutôt moderne à côté de celle de la mère de Julio qui, à 73 ans, vit dans une petite maison à moins de cinq kilomètres de là, sans confort ni décors et où le sol n’est que terre. 27


C’est une journée entière que nous passons dans cette ferme en Patagonie. Une journée de travail ordinaire pour Julio et les siens mais qui évoque un autre monde pour moi. Au petit matin les vaches sont conduites dans la pampa par les claquements des fouets, accompagnées de l’aboiement des chiens et des sifflets des gauchos. Les chèvres sont séparées de leurs petits; ils bêlent dans l’enclos qui les empêche de suivre leur mère. Le soir, il est surprenant de voir revenir toutes seules du pâturage ces centaines de chèvres: leur instinct maternel les ramène naturellement vers leurs petits afin de les nourrir. Le soleil vient de se coucher. Une ultime lueur bleu nuit file en dégradé vers un noir profond. Les sommets andins forment une ombre chinoise et le ciel étoilé escorte un croissant de lune qui me dit au revoir. Mon voyage se termine et je retrouve à regret la cadence des horloges et les réalités d’une vie moderne. Des voyageurs européens viendront en Patagonie effectuer les circuits proposés par tout bon tour opérateur. Mais ils n’iront probablement pas dans la Patagonie du Nord où le tourisme n’a jamais été développé et qui propose bien d’autres valeurs, généralement plus humaines. Tout mon voyage a été formidable, dans une région dépaysante où furent mêlés les moments forts en émotion comme à Ushuaia, de découvertes touristiques comme à El Calafate et Bariloche mais surtout, de moments rares comme dans le Nord avec des rencontres exceptionnelles, des rencontres d’un autre monde, la rencontre d’une «Autre Patagonie».

© Claude Bohnert - www.bohnert.fr - contact : claude@bohnert.fr Récit de mon premier voyage en Argentine avec tout particulièrement la découverte de cet endroit appelé, «la Patagonie». Je remercie mon ami Pierre Debes de m’avoir fait découvrir «sa» Patagonie et m’avoir fait aimer ce pays merveilleux qu’est l’Argentine. 28





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