La valeur que l’on accorde à nos travaux, la volonté de valeur aristique que l’on nous pousse à avoir par des réalisations volumiques cherchant à traduire une réflexion, et dans un même temps la distance que l’on se doit de garder pour pouvoir évoluer, recevoir, sont la base de ce travail.
La représentation d’un corps masqué, évoquant le rôle, le jeu, coiffé d’oreilles d’ânes représentant le mythe du roi Midas, sont la symbolisation de l’observation menée sur notre situuation en 1ère année dans l’école des beaux arts : si l’école amène (et nécessite) une expression personnelle de la part de chacun, cette expression reste implicitement cadrée : on se doit de correspondre à certaines attentes. Si l’esprit de l’école est ouvert, il n’en garde pas moins des limites, et notre travail comme notre attitude reste donc entre certaines barrières, nécessaires d’un point de vue matériel, puisque la suite de nos études (et la liberté d’expression approchable par celle ci) en dépendent. Nous devons donc accepter ce rôle, faire des concessions, refuser d’en faire parfois. Mais il serait naïf de se revendiquer libre. Et cela n’aurait d’ailleurs pas d’intérêt d’un point de vue pédagogique. L’acceptation de ce rôle est traduite par le masque, qui indique non pas forcèment une fausseté de la personnalité, mais plutôt une dissimulation de celle-ci (le travail d’Odilon Redon m’a ici touché par la personnalisation qu’il accorde au masque, la valeur propre qu’il lui reconnaît, même détaché du visage porteur). On retrouve ici l’ambivalence incarnation/illusion du masque, ambivalence parallèle à la situation d’élève en école d’art. Quelles sont les limites que je me pose, quelles sont celles que je refuse. Suis-je honnête dans ce travail malgré cette acceptation de limites ?
Dionysos, souhaitant remercier le roi Midas pour l’accueil fait à Silène, lui accorde un voeu. Celui-ci souhaite que tout ce qu’il touche se transforme en or. Dionysos l’exauce, et Midas se retrouve dans l’incapacité de se nourrir ou de boire, et finit par supplier le dieu de lui ôter ce qu’il lui avait accordé ; et celui-ci y consentit, lui indiquant de se laver les mains dans l’eau du Pactole.
« The most awful, most secret forces... lie at the heart of all things... a presence, that was neither man nor beast, neither the living nor the dead, but all things mingled, the form of all things but devoid of all forms. » The Great God Pan, 1984 (The cremaster cycle)
Les oreilles d’âne quand à elles traduisent le mythe du roi Midas, son «toucher d’or», bénédiction/malédiction, parallèle ici aussi à la situation d’élève (Mattew Barney a ici était une influence, l’aspect mythologique accordé par l’animalisation, ainsi que la mise en scène d’un symbolisme proche de la réalité malgré son détachement de celle-ci, esthétiquement comme matériellement). Et ce parallèle se retrouve encore plus particulièrement dans le cadre du travail en volume : on nous donne les outils, ainsi qu’une illusion (que l’on se doit d’accepter si l’on veut aller au bout du travail) selon laquelle nous pouvons avoir une position d’artiste vis à vis de notre réalisation. En effet, on doit dans un sens l’avoir, sinon quel serait le but de ce travail de «bricolage à visée non fonctionnelle» ? Des outils sont donc donnés, une réflexion est crédibilisée par le label Beaux Arts, et le résultat une pâle illusion. Peut être étape dans un parcours, certes, mais dont le fond n’est pas honnête, les fondations abstraites.
Matthew Barney, Cremaster 4
ÂŤ A talented young artist who seems intent on exploring new ways to unify the space of architecture, sculpture and the body, while also creating a bizarre and elaborate universe with its own symbols, heroes and rituals. Âť - Roberta Smith
Matthew Barney, Drawing Restraint 7
« Pan a endossé les vêtements chrétiens pour s’assismiler dans le présent, tandis que Barney revêt les vêtements mythologiques pour trouver une continuité avec le passé. » - Richard Flood
Matthew Barney, Cremaster 2
Matthew Barney, Cremaster 2
Odilon Redon, The masque of the Red Death
Le masque est un élement aux sens multiples selon les cultures et contextes : en effet, on peut observer son caractère dissimulateur en premier lieu, tandis que dans le même temps certains le qualifient de «mirroir de l’âme», ou encore il peut servir à adopter une autre identité («faux visage»). Étymologie : masque de l’italien «maschera» : faux visage. «Maskara» : tâche noire - autrefois on se teignait le visage en noir pour jouer. Ou «maska», qui signifie noir ; mais aussi la sorcière ou le spectre. Les romains appelaient en effet le masque «persona», ancêtre direct de la «personne» au sens moderne, d’où l’idée que celle ci est pourvue d’un «masque social», idée reprise par Jung dans son archétype de la Persona, qui gouverne les rôles que nous jouons devant les autres. Pour les latins le masque est surgi des ténèbres, du «monde où il n’y a plus de visages». (Encyclopédie des symboles)
Si les origines sémantiques sont multiples, son utilisation selon les époques et cultures l’est tout autant : théâtre, carnaval, comédie, ou protection dans le cadre de certaines activités, mais également porté jadis par les bourreaux, « ôtant ainsi tout visage humain à la mort », ou servant à ensevelir l’identité à jamais (masque de fer). Utilisé par les grecs sur les cadavres pour dissimuler la décomposition, il accompagne dans les cultures africaines, océaniennes, indiennes et esquimaudes les rites de funéraille ou d’initiation.
Illusion, incarnation, transformation, ses multiples aspects en font un symbole complexe, complexité multilatéralement parallèle à celle de la situation d’élève abordée au sein de ce projet.
« Le diable, trompeur par excellence, est donc celui qui s’avance masqué. »
La représentation par un tryptique photographique vise à représenter, sinon une évolution, les différentes positions adoptées ou envisagées au cours de ce processus de compréhension de la place d’élève. Ainsi, une position évoquant la prière, un regard porté vers quelque chose de supérieur, en hauteur, traduit les illusions auxquelles chacun peut être sensible, et un regard plutôt contemplatif que critique. Dans un second temps, la position foetale évoque le repli sur soi, ou du moins le recentrement, recherchant les réponses par l’introspection, tout en cherchant dans le même temps à se protéger, adoptant une position plus fermée, pour ne pas se laisser atteindre. Enfin, ce qui semble être le résultat d’un processus est cette pose de dos, un regard distant et provocateur jeté par dessus l’épaule : si le costume indique toujours un lien avec les deux autres attitudes, celle-ci se distingue par la distance mise entre le spectateur et le sujet, parallèlement l’élève reçoit toujours, mais adopte une certaine distance par rapport à ce qu’il peut recevoir.
I.
Innocence Contemplation Illusions
II. Renfermement Introspection Naissance
III. Provocation Recul Emancipation
I
II
III
La représentation de cette réflexion devait pour moi avoir un rapport étroit à la réalité, je devais matérialiser la symbolique développée. La photographie m’a permis cette inscription dans le concret, traduisant plastiquement l’imaginaire, et lui ôtant dans le même temps cet état d’abstraction, «d’idée». De plus, j’ai ressenti la nécessité d’une présence humaine, comme si les outils graphiques ne me permettaient pas d’atteindre la représentation voulue, la personnalisation du symbole. Tandis que par la photographie, l’humanité est présente en arrière plan d’une symbolique en partie mythologique, les deux univers se rencontrant et formant une forme de réalité parallèle, crédibilisée par le médium.