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TRAITES EUROPEENS intervention de Eric Bocquet, sénateur du Nord seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues, De manière liminaire, je voudrais tout d’abord situer le débat qui nous préoccupe dans le champ, largement ouvert tout en étant précis, de la linguistique. Quand on donne aux mots le sens qu’ils ont, cela va toujours mieux ensuite, me semble t il. Nous sommes aujourd’hui invités à intégrer dans notre corpus constitutionnel la modification de l’article 136 du Traité de l’Union Européenne et, d’autre part, à valider la participation de la France à l’instrument financier dont les instances européennes entendent se doter pour faire face à la crise des dettes souveraines, à savoir le MES ou Mécanisme Européen de Stabilité.
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Ledit MES n’est d’ailleurs en soi que le prolongement, pérennisé, du FESF et du MESF, créés dans l’urgence du printemps 2010, quand les économies de plusieurs pays de la zone euro ont commencé à donner d’alarmants signes de fatigue. Pour en rester aux mots, le premier problème est que le S de MES ne veut pas dire « Solidarité », ce qui pourrait se concevoir, mais « Stabilité », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. De même, en vertu des dispositions de l’article 12 du Traité créant le MES, les politiques menées en correspondance avec l’intervention de l’outil devront se définir à raison des convergences et de la coordination budgétaire entre les Etats. L’article 12 du Traité sur le MES précise en effet (je cite) Le protocole d’accord doit être pleinement compatible avec les mesures de coordination des politiques économiques prévues par le TFUE, notamment avec tout acte de droit de l ’Union européenne,incluant tout avis,avertissement,recommandation ou décision s’adressant au membre du MES concerné. 4. La Commission européenne signe le protocole d’accord au nom du MES, pour autant qu ’il respecte les conditions énoncées au paragraphe 3 ( c'est-à-dire le précédent) et qu ’il
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ait été approuvé par le conseil des gouverneurs (c'est-à-dire les Ministres des Finances des autres pays concernés). (fin de citation) L’outil politique est actuellement en cours de fabrication, et il s’agit, pour que nul n’en ignore, du fameux TSCG, qui ne veut pas dire Traité pour la Solidarité, la Croissance et la Générosité mais Traité de Stabilité, de Coordination et de Gouvernance. Ce n’est donc déjà pas, sur le strict plan de la linguistique, un outil de solidarité, la « machine à émettre les euro bonds « que tout le monde attendrait depuis si longtemps que l’on met en place. Non, c’est beaucoup plus prosaïquement un instrument de vassalisation et de surveillance des économies les plus en difficulté. Derrière la stabilité du MES, nous voyons poindre non pas l’outil de la solidarité entre Européens, mais bel et bien l’instrument de l’austérité permanente pour l’ensemble des Européens, au seul motif que ce qui importe est la solidité de notre système financier, le respect des ratios prudentiels tels que définis par le Comité de Bâle, et que l’Europe éloigne d’elle, autan que faire se peut, le spectre de l’inflation galopante…
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Quitte à ce que les remèdes associés à la mobilisation du MES demain comme du FESF aujourd’hui soient à peu près aussi efficaces que les saignées des Docteur Diafoirus de Molière ! Les exemples des pays que l’on a ainsi « aidés « sont particulièrement significatifs. La Grèce, objet de tant de controverses, a connu en 2011, notamment et singulièrement parce que les plans d’austérité qui y ont été imposés en contrepartie de l’action européenne tendaient à contracter la demande intérieure, une récession de 5 % du PIB, provoquant son cortège de moins values fiscales, de nouvelles hausses du volume de la dette publique, une explosion du chômage au-delà des 20 % ! Un salaire minimum diminué de 22%, des retraites amputées de 15%, sur 11 millions d'habitants qui compte environ 3 millions de pauvres. Sans compter l'humiliation attachée à cette purge. Bravo, encore une fois, aux donneurs de leçons de gestion publique et aux promoteurs d’une aide européenne comme un nouveau cadeau empoisonné !
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J’observe d’ailleurs que, contrairement à certaines allégations, les banquiers n’ont pas vraiment renoncé à se repaître de la dépouille de l’Etat grec puisque leur abandon de créances d’aujourd’hui n’est en fait qu’un échange de titres qui va leur permettre de disposer d’un revenu, certes plus modeste en montant annuel, mais bien réel sur une plus longue durée. La République d’Irlande, qui fut également prise dans les filets de la crise financière, a connu une croissance quasi nulle en 2011 et le taux de chômage s’y est fortement détérioré, atteignant en effet plus de 14 % de la population active, dans un pays où l’émigration a toujours joué un rôle dans la stabilisation des choses… La verte Erin est d’ailleurs étroitement dépendante de la situation de la zone euro, en général, puisque seules les activités d’exportation de produits irlandais vers les autres pays d’Europe soutiennent pour le moment une économie quasiment à l’arrêt pour ce qui concerne la demande intérieure, frappée de plein fouet par les mesures de restriction des salaires et pensions.
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L’Italie, pour sa part, confiée au gouvernement de « techniciens « de Mario Monti, connaît elle aussi une quasi stagnation de son activité économique et ne doit qu’au vieillissement relatif de sa population d’éviter qu’un taux de chômage plus élevé ne vienne corroborer la réalité de cette situation. L’Espagne, où les plans de rigueur n’ont pas attendu l’alternance politique, en grande partie par défaut, qu’a connu le pays (le PSOE perdant bien plus de soutien populaire et de voix que le PP n’en gagnant pour son compte), la récente annonce de la réforme du marché du travail a jeté dans les rues des plus grandes villes des centaines de milliers de manifestants. Il faut dire qu’avec un marché du travail ultra flexible, mais rempli de 22 % de chômage et près de 50 % pour ce qui concerne les jeunes, l’Espagne bat tous les records ! Le Portugal, enfin, soumis, au terme d’une autre alternance politique du PS vers le PSD (parti de centre droit malgré son nom), connaît, lui aussi, dans le cadre des plans de rigueur imposés par les instances européennes, une récession de l’activité économique, mesurable à – 2,2 % en 2011 et
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probablement encore – 3 % cette année, avec le risque d’une nouvelle poussée du chômage et d’une relance de l’émigration, qui a toujours été une variable d’ajustement de la vie économique portugaise. Aucun des pays de l’Union et de la zone euro confronté aux politiques d’ajustement induites par les plans européens, tels qu’ils ont été conçus et tels qu’ils seront encore menés demain, n’a donc véritablement réussi à sortir des difficultés dans lesquelles il était plongé. Bien au contraire, la saignée d’emplois publics, les privatisations, les baisses de salaires et de pensions ont conduit, le plus souvent, à l’aggravation des difficultés, conduisant, comme nous l’avons vu de manière spectaculaire pour la Grèce, à de véritables impasses budgétaires. La stabilité de la zone euro, invoquée par les fédéralistes à l’œuvre au sein de la Commission européenne et de la zone euro, à la demande expresse des milieux d’affaires et des marchés financiers qui ont pourtant tant fait contre elle, ne peut être le prétexte de telles politiques et d’une telle orientation.
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En tout cas, elle n’a pas grand-chose à voir avec la solidarité qui devrait habiter toute action communautaire et concertée auprès des économies les plus en difficulté. Au demeurant, ce que montre la situation actuelle est une réalité évidente. La zone euro a été constituée à partir de pays et d’économies dont les atouts et les caractéristiques étaient fort différents et, pour certains aspects, antinomiques. Qu’on le veuille ou non, la construction de l’Euroland (le fait d’avoir choisi cette terminologie est assez symptomatique) s’est faite à partir de l’intérêt bien compris des économies dominantes dans l’Union européenne et donc, singulièrement, de l’Allemagne fédérale qui, avec la mise en place de la monnaie unique et de l’élargissement, pouvait à loisir tirer parti des capacités de sa propre zone d’influence, orientée vers l’Est, au gré des nécessités de sa propre économie. L’élargissement de l’Europe à la Tchéquie, la Pologne ou encore la Slovaquie et la Hongrie ont donné à l’Allemagne de forts précieux points d’appui pour
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une partie de ses processus de production, le niveau de qualification des salariés de ces pays étant suffisant pour permettre aux groupes allemands de disposer d’une main d’œuvre efficace et bon marché. Le passage à l’euro aura été, dans un autre ordre d’idées, le moyen de dompter l’éventuelle concurrence d’autres pays (notamment la France) puisque tout devenait libellé dans la même monnaie. Je constate d’ailleurs que notre commerce extérieur s’est insensiblement et continûment dégradé depuis l’introduction de la monnaie unique… Comment, de fait, parler de solidarité, comme certains feignent de le penser, quand l’Euroland continue de fonctionner comme une zone de confrontation et d’antagonismes, où les politiques d’ajustement sont destinées à faire payer le prix fort à ceux qui ont perdu la bataille, dans un espace de concurrence libre et non faussée du tous contre tous ? S’il fallait d’ailleurs une bonne raison de ne pas accepter le « paquet cadeau « du MES et du TSCG ( que les deux textes soient séparés et que l’adoption du second soit en apparence plus délicate que le
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premier ne change rien à l’affaire, puisque ce sont les mêmes politiques qui inspireront la mise en œuvre de l’un et devraient imprégner la rédaction de l’autre), ce serait aussi par référence à cette évidence. Celle qui veut que, par nature, les dirigeants européens actuels semblent se méfier si singulièrement des peuples qu’aucun Gouvernement signataire, parmi les dix sept pays de la zone euro, n’entend pour l’heure consulter sa population sur la ratification. On ne peut, de notre point de vue, donner à penser que l’idée européenne est porteuse d’avenir si l’on continue à priver les peuples de la moindre expression sur le sujet. De quoi a-t-on peur dès qu’il s’agit du MES et du TSCG ? Que les citoyens, déjà victimes de la confiscation de leur vote négatif du 29 mai 2005 avec le Traité de Lisbonne, aient la mauvaise idée de voter contre l’adoption du MES et de ses contreparties dont l’austérité semble la plus prégnante ?
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En tout état de cause, ce n’est pas ainsi que l’on pourra redonner aux habitants de notre pays, comme de bien d’autres pays, la moindre confiance et la moindre espérance dans une construction européenne qui se fait, de plus en plus, sans eux et, a fortiori, contre eux, c'est du moins un sentiment qui semble aujourd'hui largement partagé. Ne pas voter sur cette question cruciale serait une erreur. Adopter le MES en l’état n’est pas acceptable et nous ne pourrons donc que voter contre les textes qui nous sont soumis.