LE SEL ET LE CIEL Marc-Antoine Mathieu En librairie le 10 septembre Le dernier livre de Marc-Antoine Mathieu est aussi épuré qu'intriguant. À peine l'ouvrage ouvert, nous voilà plongés dans un désert. Un petit groupe de personnages à l’identité incertaine découvre un vestige à demi enfoui dans le sable. Ils entreprennent alors de le dégager. Au fur et à mesure de son exhumation, d’étranges sculptures apparaissent : des figures d’hommes et de femmes pétrifiés, leurs bagages à leur côté, dans ce qui se révèle être l’épave d’un gigantesque navire...
Les pages de Marc-Antoine Mathieu semblent d’autant plus saturées de bruits, de mélodies et de sensations qu’elles sont muettes : le sable qui s'immisce de partout, le bois séché par le sel et les minuscules grains de roche, la consistance étrange de ses personnages, voilà ce que le trait précis de MarcAntoine Mathieu révèle et offre à la contemplation. La finesse et l'épure du tracé sont magnifiées par une impression en deux tons — noir et Pantone gris — tandis que la couverture cartonnée est recouverte de toile, avec une sérigraphie en blanc.
Au fil des années, Marc-Antoine Mathieu nous avait déjà livré plusieurs courtes histoires énigmatiques, parues dans la collection Patte de Mouche. Il y avait eu La Mutation (1995), Le cœur des ombres (1998), La voiture symétrique (2007), et Labyrinthum (2014). Avec Le sel et le ciel, nous savourons un récit plus long dans un format plus grand, qui se déroule dans un vaste espace où l'œil se perd à la fois dans une myriade de détails et dans l'horizon d'un paysage hors du temps. Nous avons posé quelques questions au créateur de ce monde onirique.
Bonjour Marc-Antoine Mathieu, pouvez-vous revenir sur le contexte de création de ce livre ? M-A. M. : Le sel et le ciel a été conçu en 2018 pour LyonBD. Mathieu Diez m’avait laissé carte blanche pour investir un des accès du parking de la Fosseaux-Ours. Là y est exposée une grande barque, quasi fossilisée, qui a été conservée dans la vase du fleuve pendant des siècles et exhumée récemment. Je suis parti de cet objet incroyable : un cadeau pour la rêverie. Votre récit est à la fois hors du temps et très contemporain, était-ce voulu ? M-A. M. : Non ce n’était pas voulu. Au début, j’errais avec l’idée d’entités atemporelles, peut-être éternelles, et qui trouvaient un objet qu’elles ne comprenaient pas car il renvoyait à la fixité du temps.
Puis ces entités ont découvert ces humains à mon insu (ça c’est la rêverie). Cet aspect contemporain, actuel, s’est révélé peu à peu... Moi aussi j’ai creusé et découvert quelque chose auquel je ne m’attendais pas.
Entrée de l'exposition Le sel et le ciel à Lyon
La citation en exergue confère au texte un caractère quasi-biblique... M-A. M. : C’est vrai, cela sonne comme une sentence prophétique. Les prophètes tentent de prévenir du ressentiment ou du regret futur. Cette phrase m’est venue tout à la fin, quand j’ai compris que j’avais fait quelque chose qui parle du regret, d’un regret irréversible possible.
Vous êtes également scénographe, comment cette activité influence-t-elle votre pratique de la bande dessinée ? M-A. M. : Je pense que les deux activités se nourrissent l’une l’autre quand il est question d’espace. Point de vue, perspective, champ... Ces aspects sont explorés dans les deux pratiques. La lumière aussi parfois, mais moins, car dans mes récits elle est travaillée à partir de partis pris ou de conventions qui sont souvent inopérants lorsqu’on travaille le « matériau » lumière dans la réalité. Quels outils avez-vous utilisés pour réaliser ces images ? M-A. M. : Les outils traditionnels : crayon, plume, scanner, ordinateur. C’est drôle de penser que oui, le scan et l’ordinateur sont déjà devenus des outils traditionnels. J’aime le bruit de la plume sur le papier, la résistance du papier, le tout premier dépôt léger du crayon sur la feuille vide... Tout cela a à voir avec le rituel... L’écran, les logiciels, finissent eux aussi par faire dispositif et procèder d’un rituel.