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Pour le premier numéro nous étions trois, trois à porter une revue naissante, nouvelle et que personne n’attendait. Depuis, la revue a fait des émules et s’inscrit dans les projets passerelles de Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines. Promouvoir la nuance, faire passerelle entre les cultures, les littératures, c’est aider à faire passerelle entre les hommes. Ce second numéro est toujours dédié à GRIFFON et à ses contributeurs. Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines emprunte de nouveau le thème du Festival de Littérature au Centre. (Présidente Sylviane Coyault).

Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines Proposé par l’association Paroles Voix Cultures Siège Social et Rédaction à Clermont-Ferrand Directrice de publication : Dalie Comité de rédaction : Dalie, Denys Couturier, Marie Agullo, Pascale Romagnat, Joël Ruth, Sylvie Breugnot Mathé, Aude Becker-Thénot, Emmanuelle Lachaume, Karelle Gautron, Claire Lebreuvaud, Michel J. Renaud. Rédacteurs invités : Agnès de Lestrade, Claire de Gastold, Anne Lemonnier, Jean Robert Rabanel, Marie-Luce Demonet, Alain Tissut, Emilie Guitreau, Morgane Merle-Bargoin, Fred Porcile, Sylviane Coyault, Gwendoline Bouchacourt. Conception graphique : Lysiakréa Première de couverture : Eric Battut Quatrième de couverture : Fabienne Cinquin Sur internet Mail : plumesdailes@gmail.com Site : www.plumesdailesetmauvaisesgraines.fr

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation. ©Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines N°2, 29 Mars 2016.

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éDITORIAL Le Gouverneur et la cuisinière Première partie Par Michel J. Renaud

« Devant passer le restant de vos jours dans une île déserte, quels sont les vingt livres que vous souhaiteriez emporter ? » Ce casse-tête oiseux aura au moins fourni à Valery Larbaud le prétexte du « Gouverneur de Kerguelen », un bref article dans lequel il dénonce avec son ironie et sa finesse coutumières l’ineptie des « best of » littéraires. Puisqu’il est impossible de choisir, dit-il en substance, autant répondre « n’importe quoi : l’Apocalypse, l’Annuaire des châteaux, le Manifeste communiste, la Théorie militaire, Carmencita la buena cocinera... » « N’importe quoi » ? Ce n’est pas si sûr, en fait : cet embryon de liste donné pour pure dérision mériterait bien une glose, ne serait que pour la présence, dans la même série, du livre sur lequel se clôt le Nouveau Testament et d’un classique de la littérature culinaire — rapprochement évoquant le motif biblique du « livre mangé » : « Je pris le petit livre de la main de l’ange et je l’avalai. Dans ma bouche, il fut doux comme du miel. » À tant faire que d’emporter des livres sur une île déserte, autant en prendre de « bons », de ceux qui, comme la « bonne peinture » de Marcel Aymé, suffisent à nous rassasier — plutôt que de ceux qui nous apprennent à danser, qui avaient la préférence de Nietzsche. Les vrais durs, c’est bien connu, ne dansent pas. Le lisard et le gourmand non plus. Surtout devant le buffet ou la bibliothèque : il leur faut du roboratif, de la prose goûteuse, de la truculence et de la succulence. Emporter un livre de cuisine ? Pourquoi pas — et même en emporter plusieurs. Seuls, ces hygiénistes et censeurs qui déploient un zèle infatigable pour sauver nos corps et nos âmes oseraient insinuer que, si la lecture est un « vice impuni » — mais un vice tout de même — et la gourmandise un péché capital, rêver sur les recettes de Carmencita ou du Baron Brisse s’apparenterait à une forme de plaisir solitaire relevant de la délectation morose. La cuisine — même lorsqu’elle n’est que fantasme ou littérature, est indissociable de l’agape, du partage et du dialogue. Les mets et les mots nous procurent des jouissances analogues : « Quand les mots jouent entre eux, disait Jarry — c’est qu’ils reconnaissent leur cousinage. » Dans l’exil insulaire de la Désolation, comme dans l’isolement à quoi nous condamne l’indifférence de nos sociétés urbaines vouées au « fast food » et à la parole pauvre, dévorons des livres jubilatoires. Retrouvons la sapidité de « la chair chaude des mots », salivons à l’évocation de boustifailles prodigieuses, rêvons de mangeries de cocagne en compulsant les volumes de haute graisse où l’alchimie culinaire flirte avec la poésie, où les menus pléthoriques se déroulent comme de grandes odes à la gloire de la table.

( à suivre page 10. )

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Qu’en est-il des rapports entre littérature(s) et cuisine(s) ? Deux pluriels pour parcourir toutes les littératures depuis la littérature dite classique à la littérature dite de jeunesse aux littératures marginales, scolaires, culinaires… Héritière du siècle bourgeois, d’un naturalisme gourmand ou crevant de faim, notre pensée concernant les liens entre littérature et cuisine est grevée de raccourcis et d’idées reçues. Qui sait que le haricot « pilier du cassoulet occitan »1 vient du Mexique et arrive en Europe seulement au XVIème siècle ? Qui comprend que « la littérature gourmande »2 ne reflète pas la société, comme une cocotte minute lustrée que l’on promènerait le long d’un chemin, mais procède principalement des rapports complexes entre réalité et imaginaire ? Si l’on a souvent rapproché la littérature d’un art durable et la gastronomie d’un artisanat éphémère, on tente alors de renverser ces valeurs pour faire du bouffeur de mots un jouisseur de papier et du bouffeur de mets un esthète immortel. Après une promenade dans l’art séculaire du manger et du lire par Michel J. Renaud, Dalie, dans un panoramiam éclair, retracera l’historique des problématiques reliant l’écrire et le manger. Puis, des auteurs de littérature jeunesse présenteront leur œuvre : Agnès de Lestrade, auteure prolixe et malicieuse nous proposera une mise en bouche de son crû. Anne Lemonnier, auteure jeunesse et Claire de Gastold illustratrice nous feront le récit de leur collaboration pour une œuvre à lire et à manger. Comme les mets et les mots viennent à la bouche Pascale Romagnat proposera un aperçu des figures linguistiques culinaires. Marie Agullo poursuivra cette promenade lyrique dans l’écriture des menus gastronomiques où poésie et saveurs forment un fumet fascinant. Merci à Joël Ruth pour les menus gastronomiques glanés au cours de ses pérégrinations. Pour comprendre l’histoire captivante des goinfreries, des faims et leurs récits, on ira ensuite chercher du côté des mythes de l’Antiquité. Sylvie Breugnot-Mathé tracera quelques traits marquants de la mythologie quand elle dévore, mange ou déguste. Comment constituer un dossier sur littérature(s) et cuisine(s) sans évoquer le gaillard Rabelais et ses géants ? Marie-Luce Demonet battra le flanc des idées reçues sur le chinonais, certes jouisseur mais aussi médecin. Aude Becker-Thenot, convoquera la figure du bon Ragueneau, cette fourmi qui nourrissait les cigales. Pour terminer cette chronos logique dévorante, Marie Agullo, au cœur du XIXème siècle nous fera frémir de ces plaisirs de bouche qui sont aussi plaisirs des corps et vices de l’âme. Dès lors, considérer l’histoire des hommes, l’histoire de la littérature, l’histoire des cuisines démontre une permanente diversité disciplinaire qui ne peut se contenter d’une échelle temporelle générale. 3 Denys Couturier plongera avec nous dans ce vertige où recettes et racines déterminent les « soubresauts » de la mémoire. Si l’intimité du goût évoque immédiatement un souvenir, la mémoire collective quant-à elle offre l’image de période « de ripailles alternant avec des périodes de disettes »1, est-ce là alors l’origine de cette généreuse production d’ogres, de géants dont la faim inextinguible est balancée par l’impossible nourriture des écritures anorexiques ? Ce sont ces petites faims et ces grosses faims que Dalie comparera pour nous, parce que naître ogre pourrait être une douleur incurable. Mais parce que la cuisine peut officier dans une contre-performance fertile Dalie et Emmanuelle Lachaume présenterons ces bouffes qui tuent les convives (malgré eux). Enfaim, pour nous mettre d’accord, on passera tous à table grâce à Karelle Gautron : c’est pas tout de vouloir se sustenter quand codes et interdits nous coupent l’appétit.

Dalie

Un festin en paroles : Histoire littéraire de la sensibilité gastronomique de l’Antiquité à nos jours de Jean-François Revel 2 L’almanach des gourmands de Grimod de la Reyniere 3 La Gourmandise et la faim - Histoire et symbolique de l’aliment (1730-1830) de Jean-Claude Bonnet 1

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Rédacteurs invités

Comité de rédaction

Professeurs, auteurs, libraires, illustrateurs, amoureux du livre et de toutes les littératures.

Professeurs, auteurs, libraires, amoureux du livre et de toutes les littératures.

A la suite du dossier : choix d’entrées, d’amuse-bouche, d’entremets, de plats de résistance, comme on voudra :

- L’entremets du psy

- Des projets goûteux à partager - Des conseils de lectures dans le coin savoureux des libraires - Des conseils de lectures de Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines -5-


Sommaire

Editorial : Le gouverneur et la cuisinière

P3

(première partie) Michel J. Renaud

Mises en bouche Le gouverneur et la cuisinière (Deuxième partie) Michel J. Renaud

Panoramiam des littératures culinaires et des cuisines littéraires

P 10 P 16

Dalie

Recettes et menus d’auteurs Petite recette pour historiette Agnès de Lestrade

Les Chansons de Lalie Frisson : des monstres, des comptines et un gâteau

P 24 P 28

Anne Lemonier (auteur jeunesse) et Claire de Gastold (illustratrice )

Les Agapes des Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines Sur le bout de la langue... Pascale Romagnat

Eclats de poésie à la carte Marie Agullo et Joël Ruth

Le repas dans la mythologie : de la transgression à la civilisation Sylvie Breugnot-Mathé

Les nourritures célestes chez Rabelais

P 36 P 40 P 42 P 46

Marie-Luce Demonet

«Cyrano de Bergerac» Ragueneau ou l’histoire tragique de la fourmi qui nourrit les cigales

Aude Becker-Thenot

Zola cuisine les sept péchés capiteux Marie Agullo

Cuisines et Mémoires

Denys Couturier

« ça sent la chair fraîche ! » De la douleur d’être ogre

Dalie

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P 52 P 54 P 62 P 70


P 80 La bouffe qui tue sa mère ! Emmanuelle Lachaume et Dalie

P 88 Tes codes et tes coudes ! Les règles de la «science de gueule» Karelle Gautron

P 94

L’entremets du psy Un enfant qui dit non J.R. Rabanel

P 98

Projets goûteux à dévorer et à partager Les ateliers de Fabienne Cinquin Alain Tissut

P 100 Dans la marmite d’un ogre, une princesse malpolie Marie Agullo

P 104 Recettes d’écrivains Karelle Gautron et Joël Ruth Lycée Chamalières

P 126 Le Festival Littérature au Centre par Sylviane Coyault

P 138 Le salon du livre de Courpière P 144

Le coin savoureux des libraires et des lecteurs La librairie des Volcans Emilie Guitreau

P 148 La librairie Il était une fois de Billom Morgane Merle Bargoin

P 150 Une libraire indépendante Claire Lebreuvaud

P 152 Esprit BD Clermont ferrand Fred Porcile

P 154 Le choix de Gwendoline Bouchacourt Elève de 3e

P 158

Lève-toi et mange !  ( et lis…) : Conseils de Plumes d’Ailes et mauvaises Graines Albums et Romans pour la jeunesse

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Le Gouverneur

et la cuisinière Seconde partie

Par Michel J. Renaud

Voici les anciens, les moyenâgeux, les classiques. Apicius et Pétrone : extravagances gastronomiques, festins somptuaires, le raffinement extrême s’acoquinant avec la plus dispendieuse vulgarité. Taillevent et maître Chiquart : bruits de vaisselle et cliquetis de harnois, fumets de sauvagine, de venaisons, cuissots saigneux jutant sur les tranchoirs. Recettes improbables, orthographe buissonneuse, cuisine pour nostalgiques de l’antiquaille, cuisine de l’imaginaire, cuisine rêvée ou pour les yeux : les « perdriaux à la trimolette » de Guillaume Tirel relèvent, pour le lecteur d’aujourd’hui, du même imaginaire que, pour la ménagère de Barthes, le « perdreau aux cerises » du magazine Elle1. Voici la Renaissance. Sans hésitation, Rabelais. Qui d’autre ? Pique-nique rustique du Gargantua, où l’on s’empiffre de tripes avant de se laisser aller à l’euphorie pentecôtiste des bien-ivres, liste vertigineuse de gibiers pour le repas du guerrier, gourmandises mythologiques, loufoques et scatologiques des dames Lanternes : la mangeaille est omniprésente, dînettes de géants et festins grotesques se déclinent en d’interminables kyrielles, on nous paie et l’on se repaît de mots.

Pieter Claesz, Nature morte, 1625-1630 Art Institute of Chicago 1- Roland Barthes, « Cuisine ornementale » in Mythologies, Seuil, 1957.

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Le cuisinier Taillevent, lyon, Martin

Havard

À l’âge classique, au siècle de la pompe, du cérémonial, de l’étiquette et des rituels, la cuisine suscite un discours qui met en place une codification exhaustive des procédés d’exécution aussi bien que des manières de table et des modes de consommation. Nous prendrons, plus ou moins au hasard, un Cuisinier françois, où l’énumération des mets et l’enchaînement des recettes — moins anarchique que les inventaires pêle-mêlés des dispensaires anciens — s’ordonnent avec la rigueur présidant à la topographie géométrisée des jardins dits, justement, « à la française ». On s’amusera d’y découvrir au hasard des pages quelques « entremets » insolites, « Gellée de Corne de Cerf », « Gellée Bleue », « Pets de Putain » ou cette « Nulle Verte », oubliée de la plupart des dictionnaires — Richelet, seul, nous confirme qu’il s’agit d’une « sorte de mets composé de jaunes d’œufs et de sucre ». De tels traités nous seraient aujourd’hui d’un faible secours pour régaler nos hôtes. Les différents chapitres, correspondant aux divers « services » — potages, entrées, viandes, entremets, pâtisserie — privilégient à l’évidence l’extension, au détriment de la compréhension ; leur encyclopédisme ne s’attache ni aux détails de la préparation ni aux proportions des ingrédients. Il faudra attendre la grande cuisine bourgeoise, puis la cuisine des familles pour que le profane puisse espérer réussir, avec un minimum de connaissances en la matière, telle ou telle recette détaillée à son intention par les modestes épigones de Carême, d’Urbain Dubois ou d’Escoffier. Le solitaire, réduit à préparer son frichti, aux Kerguelen comme à l’Île-Bouchard fera bien de s’en tenir aux recettes de « Tante Simonne » ou de Ginette Mathiot2 plutôt que de se plonger dans L’Art culinaire français3 ou L’Art culinaire moderne4, thésaurus pour cordons bleus, qui s’inscrivent dans la lignée de cette haute littérature

2 - Parmi les nombreux ouvrages de Ginette Mathiot, on retiendra le très populaire Je sais cuisiner, Le Livre de Poche, 2000 — Première édition, en collaboration avec H. Delage, Albin Michel, 1932. 3 - Guy Legay et al., Le Nouvel Art culinaire français, Flammarion, 2012. Édition revue et augmentée de L’Art culinaire français par Ali-Bab et al., Flammarion, première édition 1950 4 - Henri-Paul Pellaprat, L’Art culinaire moderne, Comptoir français du livre, première édition 1936.

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gastronomique peu soucieuse de vulgarisation — le mot n’ayant d’ailleurs aucun sens à l’époque. On ne saurait parler cuisine sans évoquer, à côté des ouvrages techniques, les gloses gourmandes qui vont, en marge de ces recueils consacrés au savoirfaire — discours, en somme, de la méthode — se préoccuper essentiellement du savoirmanger. Quelques grands littérateurs gastromanes nous ont, dans ce domaine, laissé des textes désormais classiques, dont l’érudition étonne. On pense, naturellement à Brillat-Savarin — théoricien de la « cuisine transcendante » et auteur de la célébrissime Physiologie du goût ; à son contemporain Grimod de la Reynière, épicurien extravagant, dont le nom reste attaché à l’Almanach gourmand ; à Dumas, surtout et à son prodigieux Dictionnaire de cuisine, compilation rabelaisienne, volubile et anecdotique, somme oxymore où le raffinement se mêle à la gloutonnerie hâbleuse. Le lecteur de ces chantres — non de la « grande bouffe », mais de la bouffe sublime, le disciple passionné de ces maîtres mangeurs devient à son tour sujet littéraire pour rejoindre, curieux paradoxe, le peuple nombreux des personnages de fiction, ces « vivants sans entrailles » : c’est Dodin Bouffant, héros d’un roman fameux, dont l’intérêt ne réside guère, à vrai dire, que dans les pages qui exaltent les joies du palais, épopée bourgeoise, républicaine, chauvine et culinaire, où l’on s’attarde à savourer les menus somptueux, assortis de crus prestigieux aux noms de rêve : « poupetin de tourterelles, lapereaux à la Saingaraz, crêtes en pagode au vin de Champagne, oie à la carmagnole, vins de Cortailloden-Neuchâtel, d’Yvorne, de Rochecorbon,

de Verzenay... » La Vie et la passion de Dodin Bouffant est un roman nostalgique, où flottent les arômes et les fumets de bombances révolues : post prandium omne animal triste. Pour se remettre de ces excès qui conduiraient au dégoût, à la mélancolie, le vingtième siècle, avant de s’égarer dans les aberrations chimiques de la cuisine dite « moléculaire », l’hygiénisme snob et dispendieux ou la triste « malbouffe » de nos contemporains, redécouvre l’ethnocuisine de nos anciens terroirs, la cuisine sincère, le « gigot de sept heures », les œufs en meurette ou le « poulet Célestine ». Mieux, on s’intéresse aux origines même des plaisirs de bouche, à la naissance du goût, aux âges obscurs où la nécessité de se nourrir va peu à peu s’accompagner du bonheur de manger en compagnie, qui débouchera beaucoup plus tard sur les rituels du banquet. Raymond Dumay s’intéresse à cette préhistoire de la cuisine dans Le Rat et l’abeille — « Court traité de gastronomie préhistorique » —, tout comme

Dépêche de Toulouse Supplément illustré, 1922.

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Joseph Delteil dans son réjouissant bréviaire de La Cuisine paléolithique : pages inoubliables où il célèbre, par exemple, le mouton, « cet opulent, ce baroque, ce mérovingien, qui pue hautement le benjoin, l’azote en chaleur et le pissat mâle, qui vous suffoque le nez et vous affole le fondement. » Pour rester dans le registre brutal, et puisqu’il est question d’île plus ou moins déserte, de Vendredi donc, baptisé du nom d’un jour maigre après qu’il eut failli finir dévoré, pensons aussi à la Cuisine cannibale de Topor 7 : humour rouge, humour noir, fricassée de mots, dévorations pour rire. « Faut qu’ça saigne ! » On rit un peu moins avec les auteurs de science-fiction, qui ne s’intéressent guère à la nourriture que lorsque c’est l’homme qui fait les frais du menu, chez Damon Knight ou Robert Silverberg ... Impossible de tout emporter dans notre thébaïde antarctique. Renonçons donc, à vrai dire sans beaucoup de regrets, aux vers mirlitonesques de Raoul Ponchon8 , à ses célébrations graillonneuses de la soupe à l’oignon ou du saucisson : on peut préférer les poèmes gourmands de Saint-Amant9 chantant le fromage ou le melon... Renonçons, puisqu’il faut être raisonnable, aux chroniques de Kleber Haedens10 , mais gardons les souvenirs de Georges Haldas, se remémorant avec tendresse les humbles festins d’enfance, la table familiale, la cuisine des bistrots de quartier, les bons moments comme les repas ratés. Le poète, que nous connaissions pudique, laconique et profond se laisse aller, dans La Légende des repas, à de savoureuses confidences anecdotiques. Gardons encore Jim Harrison, digne héritier de Dumas, gros mangeur, grand conteur comme lui — et comme lui sans doute, un peu hâbleur dans ses récits de chasse, amateur de gibier, de grands bordeaux, de grands espaces. Nous laisserons sans beaucoup de regret quelques curiosités dispensables, telle cette Cuisine des insectes, publiée dans une jolie collection, à côté, bizarrement, 5-L’expression est Paul Valéry (« Tel quel », Littérature, in Œuvres, tome II, Gallimard, « La Pléiade », 1960, p. 569) 6 - Damon Knight, « Pour servir l’homme » (« To ServeMan ») in Histoires d’envahisseurs — La Grande Anthologie de la science-fiction, Le Livre de Poche, 1984. 7 - Robert Silverberg, « Le chemin de la nuit » (« Road to Nightfall ») in Histoires de survivants — La Grande Anthologie de la science-fiction, Le Livre de Poche, 1983. 8 - Raoul Ponchon, La Muse au cabaret, CreateSpace, 2016. Première édition : Fasquelle, 1920. 9 - Marc-Antoine de Saint-Amant, Œuvres complètes, Ulan Press, 2012. Reprint de l’édition Ch.-L. Livet, Jannet, 1855, vol. 1, p. 153 et 199. 10 - Kleber haedens, L’Air du pays, Albin Michel, 1963.

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d’hommages enthousiastes à notre tête de veau nationale et au civet de lièvre11 , ou la Cuisine abominable, qui l’est, superlativement, par la vertu émétique des illustrations de Vuillemin12 . Vingt volumes ou vingt titres, avions-nous dit ? Avouons, après Larbaud, que le choix est impossible. Loin du monde, il nous faudrait d’abord des livres qui nous consolent de notre exil, métaphore de l’humaine condition ; des livres qui nous rappellent, avec « la consubstantielle ironie du roman », la grandeur et la misère de l’homme. Pour cela, mieux que toutes les méditations métaphysiques ou les ruminations des moralistes, nous avons le « polar » à l’américaine, façon « hard boiled » — on ne sort pas de la cuisine —, turpide et violent, cette littérature noire qui nous tient lieu de tragédie — car on a la tragédie qu’on mérite — et qui nous fait regretter notre inaptitude au bonheur. Le polar nous parle de tout : accessoirement d’affaires criminelles et d’enquêtes, mais surtout des remèdes à la mélancolie, aux dégoûts de la vie, de littérature, de musique et... de cuisine. Grâce au polar, nous voyagerons léger vers les latitudes australes, puisque deux titres, en fin de compte, devraient nous suffire à boucler notre liste, en réglant de manière expédiente le problème du choix conclusif. Avec Le Livre de cuisine de la « Série Noire », ce sont quelque cent-cinquante auteurs qui nous accompagneront, avec les deux cent cinquante-huit recettes qu’ils nous proposent — de la purée de pommes de terre à l’alligator sauce piquante. En y joignant les Recettes de Carvalho, nous emportons un florilège d’extraits d’une vingtaine de titres de Manuel Vásquez Montalbán et cent-vingt préparations d’un degré de difficulté variable, allant des « petites choses du quotidien » à la « cuisine des péchés mortels ». Les brèves préfaces de l’un et l’autre recueil, excellentes mises en bouche, nous rappellent, s’il en était besoin, que la cuisine, « métaphore de la culture et de son contenu hypocrite » a été élevée par quelques grands chefs « au rang d’un art désormais indiscutable ». Comme le roman, fût-il parfois... alimentaire.

11 - Gabriel Martinez, La Cuisine des insectes — Blandine Vié-Marcadé et Jean-Louis Galesne, Parigot tête de veau — Patrick Rambourg, Le Civet de lièvre, Jean-Paul Rocher, 2000. 12 - Christophe Casazza et Philippe Vuillemin, La Cuisine abominable, Desinge & Hugo, 2011. Valery Larbaud, « Le gouverneur de Kerguelen » in Aux couleurs de Rome, Paris, Gallimard, 1938 — Œuvres, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1056. Eladia M. de Carpirell, Carmencita o La Buena Cocinera, Edicions Llibreria Universitària de Barcelona, 2012. Première édition : s.l, s.n., 1899. Apocalypse, 10:10. Trad. Segond. Reprend Ézéchiel, 3:3 : « Fils de l’homme, nourris ton ventre et remplis tes intestins avec ce livre, celui que je te donne. » Marcel Aymé, « La bonne peinture » in Le Vin de Paris, Folio, 1984. Kleber Haedens : « Nous pouvons encore préférer à tout, selon la formule de Nietzsche, les livres qui nous apprennent à danser. » (Une histoire de la littérature française, Grasset, 1988, p. 391) Léon Brisse, Les 366 menus du Baron Brisse. Édition nouvelle des 365 menus, revue, corrigée et augmentée d’un calendrier gastronomique et du complément des recettes de tous les mets de cuisine indiqués dans les menus, Paris, Donnaud, 1869. Alfred Jarry, « Ceux pour qui il n’y eut point de Babel », in La Plume, 15 mai 1903.

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VINGT LIVRES POUR LE GOUVERNEUR 1 - Apicius, L’Art culinaire, Les Belles Lettres, 2002. 2 - Pétrone, Le Satiricon, Folio classique, 2012. 3 - Guillaume Tirel dit Taillevent, Le Viandier, édité par Jérôme Pichon et Georges Vicaire, Leclzzc et Cornuau, 1992 — « Gallica » et reprints divers. 4 - Florence Bouas et Frédéric Vivas, Du fait de cuisine. Traité de gastronomie médiévale de maître Chiquart, Actes Sud, 2008. 5 - Rabelais, Œuvres complètes, Seuil, 1997. 6 - Pierre François de La Varenne, Le Cuisinier françois, enseignant la maniere de bien apprester et assaisonner toutes sortes de viandes grasses et maigres, legumes et Patisseries en perfection, Pierre David, 1651 — « Gallica ». Adaptation moderne à paraître : Le Cuisinier françois. Cent recettes gastronomiques du XVIIe siècle, Vendémiaire, 2016. 7 - Tante Simonne. Ma cuisine. 1000 bonnes recettes de cuisine et de pâtisserie, La Technique du Livre, 1939. 8 - Jean-Anthelme Brillat-Savarin, Physiologie du goût, Flammarion, « Champs classiques », 2009. 9 - Alexandre Balthazar Laurent Grimod de La Reynière, Almanach des gourmands, Mercure de France, « Le Petit Mercure », 2003. 10 - Alexandre Dumas, Dico Dumas. Le grand dictionnaire de cuisine d’Alexandre Dumas, Menu Fretin, 2008 — Nombreuses éditions plus ou moins luxueuses en occasion. Version abrégée avec recettes de Jean-François Piège, Le petit dictionnaire de cuisine d’Alexandre Dumas, J’ai lu, 2012. 11 - Marcel Rouff, La Vie et la Passion de Dodin-Bouffant, gourmet, Sillages, 2010. 12 - Colette Guillemard, Ethnocuisine de l’Auvergne, Dijon, Civry-Alain Schrotter, 1980 13 - Josette Gonthier, Ethnocuisine du Lyonnais, idem, 1981 — Épuisé, comme le précédent. Ces ouvrages se trouvent assez facilement en occasion. 14 - Raymond Dumay, Le Rat et l’Abeille. Court traité de gastronomie préhistorique, Phébus, 2002. 15 - Joseph Delteil, La Cuisine paléolithique, Arléa, 2004. 16 - Roland Topor, La Cuisine cannibale, Seuil, « Points-Virgule », 1986. En occasion. 17 - Georges Haldas, La Légende des repas, Le Serpent à Plumes, 2008. 18 - Jim Harrison, Aventures d’un gourmand vagabond, Christian Bourgois, 2002. 19 - Arlette Lauterbach et Alain Raybaud, Le Livre de cuisine de la Série Noire — Préface de Patrick Raynal, Gallimard, 1999. 20 - Manuel Vásquez Montalbán, Les Recettes de Carvalho, Christian Bourgois, 1996.

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Panoramiam des littératures culinaires et des cuisines littéraires Par Dalie

Grâce aux nombreux ouvrages sur la question, il serait aisé de lister une série d’œuvres et d’auteurs en parcourant plusieurs siècles de « littérature gourmande ». Pourtant, c’est Revel avec son Histoire littéraire de la sensibilité gastronomique de l’Antiquité à nos jours qui pose la véritable question : quel était le goût du vin versé dans les coupes du Banquet de Platon ? Quel goût avaient les « lapins gavés de Paris » évoqués avec ironie par Boileau dans la satire titrée « le repas ridicule » ? S’interroger sur le goût permet de pénétrer dans la littérature gastronomique comme dans la gastronomie littéraire car pour Revel, si l’on veut véritablement goûter les mets du passé, il faut lire les romanciers, les poètes, les dramaturges et non les livres de cuisine qui, d’après lui, offrent davantage de prescriptions que de descriptions. Si l’on met de côté l’hyperbole, la vérité de l’assiette s’exprime en littérature.

Harmonie et Obsession Pour autant, il faut avoir l’œil et la fourchette subtils, un auteur accorde les mets à l’apparat, la faim au personnage : l’aristocratie du Décaméron goûte confitures et confiseries tandis que les héros picaresques meurent de faim. Ce sont alors les contes qui nous renseignent sur l’obsessionnelle thématique de la nourriture : dépendant des récoltes, les paysans ont faim et se gavent de menus rêves dans les veillées qui suivent les maigres repas. Pour autant la culture paysanne n’est pas seulement une culture de la faim et le dire du bien manger une affaire

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d’aristocratie explique Revel. Et de souligner que la révolte contre la gabelle ( impôt sur le sel ) montre que la salaison du cochon devait être abondante ! La faim, le goût, la coutume font une littérature jouissive car les mots peuvent remplacer les mets non seulement pour combler un manque mais aussi pour sublimer un plaisir.

Eloquence de l’assiette Accumulation, hyperbole, métaphore, l’éloquence de l’assiette régale les papilles, fait saliver avant même que le fumet d’un plat n’atteigne nos narines. S’ensuit alors régal ou déception car langage et bavardage littéraire trompent autant que le Renart de Cratère en cloche (Préparation d’une tête de cochon après le sacrifice, 360-340 av JC la fable. Le burlador parle, écrit et cuisine. Musée archéologique national de Madrid). Le lecteur et le convive dégustent. C’est le savant mélange de l’œuvre médiévale : Le Roman de Renart qui évoque les multiples ruses d’un animal qui a faim. Le goupil dérobe poules, anguilles, trompe Tibert le chat et Ysengrin le loup. Maître es ruses, il possède un don d’éloquence qui lui permet de convaincre le loup de merveilleuses ripailles alors que l’animal ne reçoit que mutilations et humiliations diverses. Aux miracles bibliques, Renart oppose un réalisme subversif par la parodie du sacré. Les récits se multiplient comme des petits pains, la seule profusion réside dans les mots car les estomacs sont régulièrement creux. « L’estoire » comble le héros qui, lui, mange à sa faim et fait rire sa femme Hermeline de ses bonnes et goûteuses aventures.

Sandro Boticelli, Le banquet dans la forêt de pin, 1483. (Musée du Prado). Mises en Bouche - 17 -


L’art d’accommoder les mots

Le plaisir de la consommation

Le récit de la faim, l’odeur des mets et la description des repas ne sont pas qu’assaisonnement littéraire dans une perspective chronologique. Platon fixe le menu idéal du citoyen de La République (sel, olive, fromage, oignon, légumes, figues, pois-chiches, fèves, baies de myrtes, glands), Aristophane parfume ses pièces de thym et d’origan, Rabelais fait remonter la guerre picrocholine à une querelle déclenchée par les fouaciers de Lerné. Dans l’histoire de la cuisine, on apprend que les différences se font sur les procédés de cuisson, la découverte d’aliments nouveaux, d’épices nouvelles, de juxtapositions différentes… Apicius est le premier à véritablement écrire sur sa cuisine, mais ce n’est qu’au XIVème siècle en France que les traités se multiplient jusqu’au célèbre et fondateur Taillevent, ancêtre de Bocuse et autre Robuchon.

« La gourmandise et la faim » symbolisent alors l’écriture du repas. Le corps orgasmique et la jouissance orale figurent le plaisir de la consommation : des femmes savantes aux précieuses ridicules en passant par les recommandations de Madame de Sévigné à Mme de Grignan, le bon et le beau déclarent leur amour, qu’il soit passionnel ou maternel. Ainsi la chair et la bonne chère se déploient dans un plaisir total comme les romantiques allemands évoquent un art total. Littératures et cuisines fondent une éthique du jouir et une éthique de l’être. D’être soi.

Roman de Renart enluminure de manuscrit, XIIIe. (BNF, Paris; Ms fr.12584).

Pour autant, il s’agit souvent de l’autre, l’autre que l’on mange, l’autre qu’on nourrit, l’autre qui partage le repas ou… qui le dérobe. Casanova ou Sade évoquent leurs frasques libertines et gourmandes. Casanova apprécie le pâté de macaroni, notamment lorsqu’il est accommodé par un Napolitain. L’appétit et le raffinement de la nourriture deviennent ceux de l’écriture. C’est d’ailleurs notre Rousseau qui déplore les cuisines trop épicées et évoque au Livre IV des Confessions, un épisode qui associe discours amoureux et discours culinaire. Entouré de trois jeunes filles, le jeune Jean-Baptiste suit une chorégraphie sensuelle près d’une rivière, autour d’une table et enfin dans le verger. Point de fruit défendu, ce sont des cerises que l’on cueille et la plus jeune, la plus belle Eve reçoit un baiser sur la main. Barbier Jacques, L’idylle des Cerises, 1782. (Gravé par Phillipe Trierre. Versailles- Bibliothèque municipale centrale).

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Un interdit qui s’ignore Car le désir, à l’origine de toutes les passions, trouve son écrin dans la dégustation innocente d’un interdit qui s’ignore. Fruit défendu, péché capital, la nourriture, c’est l’hybris de la littérature. De quoi est punie Gervaise, si ce n’est de l’abondance de sa petite vie de blanchisseuse établie à son compte ? Paresseuse, jouisseuse, elle devient femme adultère et ivrogne. Zola ne l’épargne pas : « Au rencart les gourmandes, les paresseuses et les dévergondées. » Elle mourra de faim, la pauvre Gervaise, elle mourra recroquevillée sous la niche d’un escalier. Quand on sait comment Zola se nourrissait les fameux jeudis de Médan au point que Maupassant disait de lui qu’il mangeait comme « trois romanciers », on peut plaindre les Gervaise, les Eve qui

chutent ; qui crèvent d’une abondance sacrilège ou d’un met interdit. Hérétique littérature et hérétique nourriture ne sont qu’un seul et même chœur. La littérature sacrée encense les nourritures sacrées et déplore ou maudit les pitances blasphématoires. L’ancien testament interdit de mêler viande et lait, la vache est sacrée en Inde, le porc interdit aux musulmans… La cuisine du diable fomente dans les écrits qui subissent censure et malédiction diverses. Carlo Collodi évoque un pantin de bois au pays de Cocagne où toutes les transgressions amènent à une irréversible métamorphose, Hansel et Gretel manquent d’être dévorés par une sorcière dont le logis attire par l’excès diabolique de plaisirs gustatifs à venir. Accusé d’avoir mangé du lard en Carême, Clément Marot est emprisonné.

Pouvoirs et cuisines Car la cuisine, c’est le pouvoir. Pouvoir de domination, pouvoir de nourrir et d’affamer. N’est-ce pas là le pouvoir suprême de l’Ogre du petit poucet, cet être démesuré qui dévore ses propres filles à cause de l’habile substitution des couronnes par le héros ? L’invitation à manger ou l’invité surprise crée un jeu de dépendance dont la littérature s’est saisie. Quand Dom Juan invite (ou plutôt fait inviter) le commandeur à dîner, il défie l’ordre social, l’ordre moral et sacré. Sa démesure outre le superstitieux Sganarelle qui tremble lors de cette invitation terrifiante quand le libertin frémit à peine.

Degas, La Repasseuse, 1869. (Musee dOrsay)

Le pouvoir use de la table pour séduire, pour briller, pour écraser le convive par sa munificence. Les saveurs du Palais organisent les coulisses et les couloirs des

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hommes de pouvoir, des puissants, ces mêmes saveurs évoquent la décadence dans Gatsby le magnifique ou la violence totalitaire avec le Caligula de Camus. La table est le lieu d’un jeu d’influence dans La Recherche du temps perdu...

Parasites ? Enfin, reste à broder les marges des littératures et des cuisines. Ceux qui en profitent, ou ceux qui sont accusés d’en profiter. Le pauvre cousin Pons, vieux garçon, est accueilli à plusieurs tables, on ne sait ses richesses d’Antiquaires, ni sa finesse de gourmet. Pauvre diable, facile à accuser et à mortifier. On l’accuse d’être un parasite car l’homme Pons est incapable de plaire. Parasites, il crève la bouche pleine du mépris d’une caste qui ne supporte pas les parents pauvres.

Qui de la littérature et de la cuisine se nourrit de l’autre ? En 2016, les livres de cuisine de stars télévisuelles, comme les romans dont la thématique culinaire prend le dessus sur l’écriture de l’intrigue, pullulent dans les rayons des librairies. En 2016, nous sommes gourmands de mots clairets, de lourde cuisine internationale, de littérature nouvelle et de cuisine nouvelle dont le dépouillement ferait pâlir un Zola ou un Rabelais. Dans un même temps, littératures et cuisines réussissent le pari de la tradition comme lorsque Maupassant sous l’ère toute puissante du cuisinier Antonin Carême et l’arrivée d’Escoffier, se régalait chez la Belle Ernestine, tout près d’Etretat.

Goût des mots de l’autre L’obsession de la nourriture depuis le Roman de Renart, en passant par Proust, jusqu’au bonheur des plats en sauce du Maigret de Simenon, figurent le goût de l’écriture, de la rhétorique, le goût de la jouissance, de l’interdit mais aussi celui de raconter. La littérature classique, contemporaine, la littérature pour la jeunesse parcourent les mêmes fringales, les mêmes festins de mots. Quelle étonnante et digeste alliance que littérature et cuisine propose au XXème siècle : Les Particules élémentaires rejoignent la cuisine moléculaire et dessinent la recherche d’un inédit contemporain : la banalité spectaculaire. Le XXIème siècle lui, revendique le naturel, le fait maison, la sécurité du bon et bien, l’abondance d’une ripaille bio face à la sèche et laide réalité.

Pierre Brissart, Frontispice du Festin de Pierre, 1682. (Gravé par Jean Sauvé pou l’édition posthume des œuvres de Molière. ( Acte IV, scène 8).

Alors il ne reste qu’à lire et par làmême, à se régaler.

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Bibliographie : 1- Un festin en paroles : Histoire littéraire de la sensibilité gastronomique de l’Antiquité à nos jours de Jean-François Revel 2- L’almanach des gourmands de Grimod de la Reyniere 3- La Gourmandise et la faim - Histoire et symbolique de l’aliment (1730-1830) de JeanClaude Bonnet 4- Ecritures du repas. Fragments d’un discours gastronomique de Karin Becker (Auteur) Merci à Pascale Romagnat pour son analyse du Petit Poucet. 5- Histoire des festins insolites et de la goinfrefrie de Romi préfacée par Cavanna A lire aussi :

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Petite recette pour Historiette par Agnès de Lestrade

• Prenez un nuage dans le ciel, des moutons sous les lits et placez les dans un grand saladier • Laissez reposer comme une pâte à crêpe • Attrapez au vol un souvenir d’enfance. Montez-le en neige • Dans le dictionnaire prenez 5 mots au hasard • Tricotez-les avec des spaghettis • Passez le tout au mixeur • Mélangez tous les ingrédients en leur racontant une histoire • Faire cuire aux rayons du soleil A consommer sans modération. Les histoires se digèrent parfaitement.

Agnès de Lestrade est une auteure prolixe qui a le goût de la cabriole et de l’histoire bien faite. Plusieurs fois primée, auteure de plus de soixante ouvrages publiés dans différentes maisons d’éditions, traduite en quinze langues, elle a écrit et offert cette petite historiette pour Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines. Agnès de Lestrade écrit tellement qu’il est impossible de trouver des lignes ou des thématiques qui convergent : elle écrit sur tout, elle écrit des petits romans, des albums, des documentaires…De la poésie à la blague malicieuse, elle fait valser son style de l’épure japonisante au phrasé ample du conte, en passant par des dialogues légers et drolatiques. Une des œuvres pour la jeunesse qui m’a le plus touchée c’est : Le Parapluie de madame Hô. Les illustrations sont d’une grande pureté et cette histoire de parapluie, comment dire, est une des plus belles histoires d’amour que je connaisse. Avec une douceur inouïe, ce texte poétique écrit ce qu’est une rencontre fortuite qui devient destin parce qu’amoureuse. Un coup de vent et le parapluie traverse la vie et la ville. Parce que l’espoir amoureux ne s’éteint qu’à la mort. Mais nous nous éloignons peut-être de la cuisine… Sur ce thème, Agnès de Lestrade a beaucoup écrit. Avec des titres divers, chez divers éditeurs, elle peut enquêter sur des sujets extrêmement sérieux qui suscitent l’émoi parmi les amateurs de loup et de livres : Pourquoi les loups ont-ils de si grandes dents ? qui paraît en mars 2016. Recettes et menus d’auteurs

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Dans un tout autre genre, accompagné par Fabienne Cinquin et chez un tout jeune éditeur (La poule qui pond), elle écrit une nouvelle version de Petit Ogre veut un chien, un livre destiné en particulier aux dyslexiques par son découpage en syllabes, mais qui peut-être utile aussi dans l’apprentissage de la lecture. Parce qu’Agnès de Lestrade aime parcourir la littérature de son regard intertextuel et curieux, elle propose plusieurs versions de contes célèbres. Son Hansel et Gretel et sa Boucle d’or rejoignent la dynamique réécriture que les auteurs de littérature dite pour la jeunesse sont capables de renouveler ad lib. Il est toujours intéressant de lire les écritures de réécritures, même si l’on regrette parfois que certaines collections mégotent sur la qualité des illustrations plus commerciales qu’artistiques. Dans ces deux contes, la nourriture évoque deux types de pique-assiette : les blondes de type bourgeois et les blonds de type pauvre. Boucle d’Or, sans gène, désobéissante, curieuse et tout de même téméraire visite la cabane cachée dans les bois d’une famille d’Ours. On voit bien dans cette histoire comment la blonde trouve plaisir à profiter de la table et du lit du plus jeune des ours. La morale de ce conte ne fait pas de doute : on ne rentre pas dans la maison d’un ours sans y avoir été invité, même si le lit et la table du plus jeune peuvent être à notre goût… Pour Hansel et Gretel, la situation est plus tragique. Les deux enfants, horriblement abandonnés, échouent dans une clairière merveilleuse qui propose une maison de friandises. Ils ne peuvent se retenir, les mioches affamés et mal élevés se jettent sur la demeure et leur châtiment ne se fait pas attendre. La maîtresse des lieux est une sorcière (probablement diabétique) plutôt carnivore qui se ferait bien un enfant ou deux. Sexiste en diable, elle se sert de la fille (Gretel) pour le ménage et engraisse le mâle qui doit être plus à son goût. On connaît la chute, grâce à la ruse du garçon et au courage de la fille, la sorcière est châtiée et les enfants sauvés. En 2007 déjà, Agnès de Lestrade avait écrit une étrange histoire d’échange que Voltaire n’aurait pas renié, parce qu’il est bon de cultiver son jardin ou de faire des mots croisés. Dans les légumes de Monsieur Marcel, la fable des légumes rejoint celle de l’amitié et du partage. Bio, bonne, l’alternative au travail, c’est la paresse ; les recettes et des dépenses se transforment en recettes de légumes à partager. Parce que la thématique de la cuisine évoque toujours celle de l’échange et du rapport que l’être construit avec autrui… Dans la collection des « premières lectures » chez Nathan, Agnès de Lestrade présente à ses jeunes lecteurs débutants un lapin gourmand et égoïste. Il dévore tout, absolument toutes les carottes Recettes et menus d’auteurs

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qu’il a mises de côté pour l’hiver. Plus stupide que la fourmi face à la cigale, il se goinfre enfermé dans son terrier. Mais voilà, le printemps finit toujours par arriver et cet égoïste finalement inconscient des ses véritables besoins reste coincé dans son terrier, victime de son embonpoint. Le lapin trop gros est coincé dans son terrier. Voilà. Métaphore qui pourrait être économique, biologique, ou même philosophique car le lapin est secouru par ceux-là même qu’il avait rejetés… Enfin, les éditions Milan ont réédité l’Abécédaire à croquer dont sont friandes les classes de Grande Section. A travers des petits textes, les loups règlent leur compte avec les contes. On croque, on lit, on apprend à lire, parce que, avec Agnès de Lestrade, la dévoration suprême c’est quand même la lecture.

Dalie

Petite bio par Agnès de Lestrade Agnès de Lestrade vit au bord de la Garonne entre les champs de maïs. Au cours de sa longue vie (née en 1964 !), elle a inventé des chansons pour faire pleurer, joué de l’accordéon pour embêter ses voisins, créé des jeux de société pour faire rire et fabriqué deux beaux enfants pour tester le tout sur eux. En 2003, elle écrit son premier roman pour la jeunesse et a la joie d’être publiée à l’Ecole des loisirs. Depuis on ne l’arrête plus ! Sont parus une cinquantaine d’albums et de romans et une soixantaine de textes en presse. Heureusement, il lui reste quand même du temps… pour rêver, plonger dans la mer, écouter ses enfants et faire des crêpes.

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Bibliographie d’Agnès de Lestrade - Les espoirs de Bouba (Sarbacane) - La grande fabrique de mots ( Alice jeunesse : vendu à 120 000 ex en France suisse Belgique. Traduit dans 15

- Le petit théâtre de La Fontaine (Le Seuil, sélection le

pays dans le monde, droit cinéma acheté par l’Allemagne)

Monde des livres)

- Vache académy - pinpon les poussins (qui est la suite)

- Parfois (Edition Micmac)

- l’Abécdaire du loup à croquer (Milan : prix des

- Le chien-chien à sa mémère (Sarbacane ; Chroniqué sur

incorruptibles 2010)

France inter dans l’as tu lu mon petit loup) - La grande aventure du petit tout ( Chronique France inter, les maternelles, Trois T dans Télérama)

- Il faisait chaud cet été là (Doado, Rouergue chroniqué sur France inter le dimanche 23 juin 2013, Top 5 des livres je

des incorruptibles 2014) - Mon père est une saucisse (roman dacodac Rouergue) - Pardon Simon (roman Auzou, prix Renaudot benjamin 2014, Chroniqué sur France culture)

- Le monstre de Milos (album Milan) - Le chapeau de Philibert (album Rouergue) - Les mots qui tuent (roman sarbacane : coup de coeur du mag Psychologie) - Amélie grain de folie (album Sarbacane) - Mes bêtises préférées (atelier du Poisson soluble) - Les étoiles dans le cœur (roman Milan, prix des Incorruptibles) - Les trois petits cochons et 5 autres contes (pop up chez

- Le voyage de Mamily (album baliverne) - Celui qui manque (roman Alice jeunesse, prix Gayant lecture 2014, prix Tatoulu 2014)

Milan) - La vie sans moi (roman Micmac) - La grande ourse d’Ikomo ( album du père castor,

- Les cocottes à histoires (livre jeu. Milan)

Flammarion)

- Le problème avec Noël (roman Rouergue) - La sélection du prince charmant (roman Sarbacane, sélection prix je lis j’élis 2014) - Tu as toujours aimé Bob Marley (roman Sarbacane) - L’invention des parents (roman Rouergue) - Les baisers de Cornélius (album Baliverne : Prix Chronos 2013, sélection prix inco 2014) - Fais comme chez toi Aminata (roman Oskar, sélection des inco 2014)

- Tu es trop grand George (première lecture Nathan, prix Paris normal sup ) - La petite tricoteuse d’histoires (Nathan) - Mon chien Anatole (première lecture Nathan) - La drôle de famille de Myrtille (série Hatier : 5 tomes) - La petite terre de papier (Alice Jeunesse) - C’est peut-être ça être amoureux (roman Milan, prix des Incorruptibles) - Le géant de sable (album Nathan)

- Le roi des bêtises (première lecture Milan) - Le quatrième petit cochon (première lecture Milan) - Où sont passés les trois petits cochons ? (première lecture Nathan) - Un indien dans mon jardin (zigzag Rouergue : prix Tatou 2012) - Le grand distributeur de temps (album Micmac) - Le jour où j’ai abandonné mes parents (roman Rouergue dacodac) - J’ai trop mangé ! (première lecture Nathan) - Les souliers de Jacob (Sarbacane)

- L’abécdaire de la famille (Milan) - Mon cœur n’oublie jamais (roman Rouergue)

- Mon papa en cage (zigzag Rouergue)

- C’est l’histoire d’un éléphant (album Sarbacane : sélection

(Milan)

- Tout le monde veut voir la mer (roman Rouegue)

- Est-ce que la lune a peur du noir ? (album Micmac)

bouquine, Bayard, sous le titre de « Dangereuse)

- L ‘abécdaire des supers héros

- L’arbre à pluie (album Milan) - Mes géant mes parents (album du Père Castor Flammarion) - Un chien dans la poche (album Albin Michel) - C’est pas la fin du monde (Bayard) - La colère d’ange (Bayard) - Courage Tanguy (Bayard, prix des lecteurs 2014) - La marchande de vent (Motus. Coup de cœur du journal libé) - La petite fille qui ne voulait plus cracher (Ecole des loisirs) - Des vacances trop bizarres (roman Milan)

Collaboration avec Bayard presse (Pomme d’Api, Les Belles Histoires, J’aime Lire, Dlire, Je bouquine) Milan presse et Fleurus presse.

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Les Chansons de Lalie Frisson des monstres, des comptines et un gâteau par Anne lemonier et claire de gastold

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Les Chansons de Lalie Frisson est un album paru en octobre 2010 à l’Atelier du Poisson soluble ; les textes sont d’Anne Lemonnier et les images, de Claire de Gastold.

ANNE LEMONNIER : La petite héroïne de notre histoire s’est tout naturellement

appelée Lalie, un prénom dont les sonorités évoquent son goût pour la chanson (« lali, tralali, tralalère »). Quant à son nom, il a une signification tout aussi limpide : Mademoiselle Frisson se fait volontiers des frayeurs. De fait, l’histoire de Lalie est celle d’une petite fille qui, pour dompter les monstres qui surgissent devant elle, improvise des comptines. Au moment où l’histoire commence, Lalie a d’autant plus de raisons d’être inquiète. Non seulement elle se retrouve toute seule chez elle, mais surtout, une situation nouvelle se profile, inconnue : ses parents sont partis à la maternité et vont en revenir avec un nouveau-né, son petit frère. Pour apprivoiser ce temps d’attente, Lalie se lance dans une aventure culinaire, et ce sont la recherche des ingrédients puis la confection d’un gâteau qui forment le fil conducteur du récit. Après avoir présenté notre Lalie, nous pourrions justement suivre le fil de la narration afin de dénicher, pour les lecteurs de Plumes d’ailes et Mauvaises graines, quelques petits secrets de fabrication de notre livre.

CLAIRE DE GASTOLD : Entendu, c’est parti, première image. Lalie sort de chez elle. On

découvre que cette petite fille vit entourée de chats. Ce sont des chats imaginaires – le gros chat bleu est deux fois plus grand qu’elle… Cette intrusion de l’irréel, du fantastique dans l’image vient faire écho au projet du livre : il s’agissait pour moi de camper un personnage qui vit davantage dans l’imaginaire que dans le réel, un personnage aux prises avec ses rêves et ses frayeurs. Ces chats, ces amis imaginaires de Lalie, sont directement inspirés des chats japonais, les maneki-neko, porte-bonheur que l’on voit un peu partout dans les boutiques japonaises, passant la patte contre l’oreille, en forme de salut.

ANNE LEMONNIER : Deuxième image, Lalie est dans le hall sombre de son immeuble,

entourée d’animaux inquiétants. C’est pour moi l’image la plus importante du livre car, quand je me remémore la genèse de notre projet, je me souviens que tout est parti de là. Un jour de 2009, j’étais en effet venue saluer Claire chez elle, et elle regardait dans ses cartons les images d’un projet abandonné, un livre qu’elle voulait consacrer à son quartier, à sa rue. Au milieu des crayonnés, il y avait cette image, très aboutie, peinte à l’acrylique, avec ce rai de lumière passant par le porche, Recettes et menus d’auteurs

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venant éclairer très vivement la silhouette oblique de la petite fille, sa robe d’un orange fluorescent, ses chaussettes blanches ; et puis les monstres, dans l’ombre. Cette image me faisait penser aux tableaux de Balthus, je la trouvais sublime. En rentrant chez moi, j’ai essayé d’imaginer une histoire à partir de là. Par la suite, Claire a redessiné l’image, pour qu’elle soit en cohérence avec le traitement général du livre. Voici l’image originelle, celle qui m’a inspirée (inédite ! ).

CLAIRE DE GASTOLD : Même chose

pour la troisième image, également issue du projet abandonné. C’est en partant de ces deux images que tu as écrit Lalie. Ici, on assiste à une livraison de poissons dans un magasin chinois – dont un poisson énorme, qui remplit tout le camion. Ce magasin existe, j’ai recopié méticuleusement les idéogrammes de l’enseigne, sans connaître leur signification, et en espérant ne pas trop me tromper. Le fantastique gagne du terrain : on voit des poissons flotter par les fenêtres de l’immeuble, et des poissonsnuages passer dans le ciel.

toute entière, c’est toi. Elle te ressemble comme deux gouttes d’eau !

ANNE LEMONNIER : On pourrait

CLAIRE DE GASTOLD : C’est vrai. Et

ANNE LEMONNIER : D’ailleurs, Lalie

dans les deux images d’après, on reconnaît un lieu qui m’est familier, à deux pas de l’endroit où j’habitais alors : le passage Brady. Le personnel des restaurants indiens y fait le ménage à grande eau tous les matins, exactement comme je les ai représentés : en costume noir et blanc, et armés de grands balais. Simplement, il y a sans doute dans la réalité moins de perroquets sous la verrière – et moins de souris cachées dans les rayonnages, chez le marchand d’épices (ici, il faut en trouver trois ! ).

présenter le crayonné de la quatrième image, les guépards dans la brûlerie (où Lalie vient acheter du chocolat). C’était un crayonné très réussi – quand Claire doit dessiner des félins, l’inspiration est au rendez-vous.

CLAIRE DE GASTOLD : L’image suivante

(chez le marchand des quatre-saisons), ne ressemblait pas du tout à celle publiée, au départ. En voici le crayonné. C’est finalement devenu un gros plan sur le visage de Lalie, aux prises avec un perroquet. J’ai fait figurer les lunettes que j’avais, enfant.

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ANNE LEMONNIER : Ensuite, pour

illustrer ma comptine des poissons, où je m’amuse à marier un « merlan, gros dégoûtant » avec une « rascasse, sotte bécasse », tu as dû t’immerger dans une encyclopédie de la faune des profondeurs… Ton poisson-lanterne, ton crocodile et tous les autres affreux qui se pressent à la devanture pour effrayer Lalie sont très documentés ! Et puis, pour tempérer la scène avec un brin de douceur, Lalie est accompagnée par un chat qui fume la pipe, paisiblement.

cannelle… et on espère qu’il aura été bon !

ANNE LEMONNIER : Ce livre, nous

l’avons dédié à « Hélène et Marceau ». Hélène, c’est ma fille, qui est née le 1er avril 2009 – j’ai écrit cette histoire en l’attendant. Et le neveu de Claire, Marceau, est né à peu de temps de distance.

CLAIRE DE GASTOLD : Depuis Lalie, nous avons réalisé un autre livre ensemble, La Souris de Paris (aux éditions Sarbacane). Et puis nous avons eu une belle surprise : en 2014, Les Chansons de Lalie Frisson a été traduit en anglais.

CLAIRE DE GASTOLD : Dans la neuvième

image, les animaux du livre sont représentés par leur ombre, et dans la dixième, ils figurent au grand complet (accompagnés par une cohorte de souris) dans la cuisine de Lalie. Désormais, ils sont apprivoisés, Lalie n’a plus peur, et ils contribuent tous à la réalisation du gâteau. L’image couvre la double-page, sans texte : la narration s’arrête un moment à ce point crucial, où l’histoire se retourne.

ANNE LEMONNIER : Surprise d’autant

meilleure que la traduction est excellente, ce qui n’a pas dû être une mince affaire, sachant qu’il fallait retrouver un rythme et des rimes à toutes les comptines qui parsèment le récit. L’éditeur est Berbay Publishing, et voici le titre : The Songs of Sally scaredy-pants.

ANNE LEMONNIER : Puis elle reprend

avec l’arrivée du petit frère. Lalie l’accueille tendrement et lui chante une de ses chansons magiques pour éloigner les monstres. Cette transmission, tu l’as figurée sous les traits d’un petit chat, qui porte le même bonnet que le nouveau-né : Lalie lègue à son frère un peu de la confiance qu’elle a apprise, comme si elle lui donnait un ami imaginaire. Voici le crayonné.

CLAIRE DE GASTOLD : Dans la toute dernière image, les trois chats ont droit à une part de gâteau. De ce gâteau qu’on n’aura jamais vu, mais dont la réalisation aura donné lieu, pour Lalie, à un véritable chemin initiatique. On sait simplement que c’est un gâteau au chocolat, aux poires, à la

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Sur le bout de la langue... Par Pascale Romagnat «L’ endive en tant que vivante apologie herbacée de la fadeur est l’ennemie de l’homme qu’elle maintient au rang du quelconque , avec des frénésies mitigées, des rêves éteints sitôt rêvés et même des pinces à vélo. L’homme qui s’adonne à l’endive est aisément reconnaissable, sa démarche est moyenne, la fièvre n’est pas dans ses yeux, il n’a pas de colère et sourit au guichet des Assedics. Il lit télé 7 jours. Il aime tendrement la banalité. Aux beaux jours, il vote, légèrement persuadé que cela sert à quelque chose » Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des biens nantis- Pierre Desproges Comme vient de le démontrer de manière éclatante le maître de l’humour grinçant, le moindre des comestibles fait surgir pléthore d’images associées à nos semblables les travestissant en «saucisses», «cornichons « et autres «pommes».

Notre langue, donc, se délecte des subtilités, littéraires et culinaires, et, si elle peut les marier, nous tutoyions l’Olympe ! Quel auteur, depuis la première publication d’un recueil de recettes en 1470 à Crémone, ne s’est pas vautré dans les métaphores gastronomiques à la première occasion ? De Rabelais à Frédéric Dard, quel repas n’a pas été témoin de confidences littéraires, depuis celui qui eut lieu chez le bon roi Alkinoos offrant gîte et couvert à Ulysse ? Dans notre langue, peu de mots qui ne soient associés à un goût, une saveur, un fumet. Pas étonnant que le terme « cuisine » soit issu de « coquina » : l’art de préparer des aliments se trouve alors lié à sa troublante dérivée, cousine supputée, mais non certaine encore à ce jour : la « coquine » (quel programme ! ). Nous constatons, stupéfaits, que corps, chairs, fantasmes et jugement moral s’entremêlent et nous empêchent souvent de les distinguer. (pour notre plus grand délice.) Plus prosaïquement, nous en avons plein la bouche, des termes pour désigner notre pitance ou notre manière Les danseurs bachiques, de antique.forever. de l’ingérer : de l’excessif « faire ripaille », (Mosaïque du Musée d’Antioche).

Les Agapes des Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines

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du goulu « bouffer », du populaire « grailler », au subtil « se délecter », tout emplit le corps et l’esprit. En parler, nous fait saliver. La cuisine, et la langue y afférant, comme la littérature, est avant tout affaire d’imaginaire. Ça diffuse, ça impressionne et invite au fantasme, ça croustille, ça brille, ça intrigue, ça fond, ça pétille, ça demeure en nos mémoires. Eternelle est l’heure de vivre mille délices, de mille façons.

Pourquoi une telle inventivité ? Une telle créativité langagière ?

Aucun domaine ne réunit ainsi autant de plaisirs, autant de désirs- partagés qui plus est- et la langue s’amuse à jouer avec nos envies, nos appétits physiques et intellectuels. Elle s’ingénie à susciter des jeux qui piqueront notre convoitise, notre appétit, notre boulimie. Les jeux de langage sont là, offerts, à la vue de toutes et de tous, à déchiffrer, à imaginer, à savourer par avance, car les jeux de langage aiment à mettre en scène tous les sens. Dès lors, tous nos sens sont à l’affût. Affiche dela réclame de l’huile Les mots se révèlent la première invitation aux Lesieur, 1930. (Gallica) voyages, vers le connu et le nouveau, vers l’ici et l’ailleurs, depuis la dénomination des établissements, en passant par tout ce que la table compte de termes attractifs. Nous entrons dans un métalangage qui emprunte à tous les autres domaines : l’architecture, la mode, la peinture… La langue de la cuisine devient universelle et inspire le langage quotidien par ses nombreuses expressions : faire bonne chère, faire chou blanc, un cordon bleu, manger son pain blanc, vouloir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière, couper la poire en deux... Le va et vient s’opère sans cesse et l’enrichissement devient permanent. Comme nos textes, les cartes des restaurants sont riches de « figures de style » qui nous emportent dans leur ronde poétique. Et l’on rencontre aussi bien des allitérations (en alexandrin) pour un dessert qui bercent nos oreilles et activent nos papilles : « flan de coco et farandole de fruits frais », que des métaphores « bio » depuis quelques temps : « nuage de beurre monté à l’anis vert », des métonymies : « Vapeurs d’artichauts aux truffes », l’hyperbole: « Tsunami au chocolat blanc », des antithèses : « Petit baba au Grand Marnier », des oxymores: « Purée craquante de brocolis », des asyndètes : « canette, navet, coings »…

Nous voici face à la parole « performative », ce qui n’est encore que promesse va devenir réalité, les sens vont devenir sensations, la langue va goûter ce qu’elle a

verbalisé, une autre image naîtra, celle du souvenir des lieux, des saveurs, des convives, des paroles échangées.

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C’est qu’en Gaule, depuis l’intervention de la bande dessinée et de sa potion « magique » (car les cépages sont aussi notre apanage), nous aimons clore, paraît-il, nos aventures autour d’un dodu sanglier. Même nos rois inventent des plats. La poule au pot, ne nous leurrons pas, ça pose un monarque. Nous ne mangeons pas pour vivre, comme le voudrait le philosophe, nous vivons pour bâfrer, becqueter (surtout du côté de plume d’ailes et mauvaises graines), boustifailler, dévorer, engloutir, gober, nous goinfrer, gueuletonner, ingurgiter, nous empiffrer, nous gaver, nous remplir, nous repaître. Nous sommes Gargantua, et pour être repus, nous devons absorber quantité de nourriture, fricasser sans cesse des mets nouveaux, nous gorger de lippées sucrées, de sucs gaillards, de victuailles canailles. Bon nombre de nos œuvres littéraires en témoignent puisqu’elles regorgent du terme « glouton », souvent revendiqué, comme dans « La chanson à manger » de Paul Scarron, devenant par la suite le titre d’une succulente fable de La Fontaine. Parfois, l’esprit tendu vers la délicatesse, lorsque nous recevons des étrangers surtout, parce qu’il ne convient pas de folâtrer avec l’étiquette, nous nous abandonnons à collationner, consommer dignement, déguster, déjeuner humblement, dîner avec sobriété, faire bonne chère cordialement, festoyer versaillement, grignoter doucement, grappiller avec grâce, mastiquer longuement, picorer religieusement, nous rassasier avec déférence, nous régaler avec quelques minauderies, nous restaurer dans les brasseries, nous sustenter avec délectation, souper après le spectacle, parce que nous sommes des êtres raffinés, amis des arts et des lettres, tendus vers le nectar et l’ambroisie.

Pieter van der Heyden, La Cuisine maigre et la Cuisine grasse, 1563. (Gravées d’après les dessins de Pieter Bruegel et éditées par Jérôme Cock. Musée de Flandre-Cassel).

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La tablée, une excitante occasion de nous réunir Quel roman peut laisser une si belle opportunité de nous peindre, rêvant, telle Emma, au sein d’une demeure ou d’un établissement « exotique » par nature, demeure qui nous transporte déjà vers un ailleurs libérateur, et ce, devant une table offerte, promesse de moments inédits ? Le repas décevant froisse, marque la mémoire, nous laisse plus qu’un goût amer, c’est un affront sans nom au raffinement et à la délicatesse. Crise «d’humeurs noires», comme auraient dit nos grecs anciens, désignant la bile ? Promesse trahie ?

Bernaert di Rijckere, Le Festin des Dieux, 1570. (Musée de Rennes).

Sources : La communication d’Anne Parizot, in « Parlers de table et discours alimentaires », Le Discours et la langue, Revue de linguistique française et d’analyse du discours, 2014. Le site http://chefsimon.lemonde.fr/litterature Trésor de la langue française

Et gare à ceux qui trahissent le dit serment, comme Boileau le formulait déjà, dans ses Satires : «Qui vous a pu plonger en cette humeur chagrine ? , A- t-on par quelque édit réformé la cuisine ?»

Au fronton des œuvres, crânement, en leur sein, tapis, partout, les nourritures surgissent, depuis que le XIXème se préoccupa de « la loi de l’estomac » (la fameuse Gastronomie), et si Zola est celui qui l’a le plus explicitement exploité avec Le Ventre de Paris, presqu’aucune plume ne résiste à l’évocation du repas, voire d’une recette. Citons pêle-mêle, et en affichant un odieux parti-pris : BLIXEN Karen - Le festin de Babette. CROS Charles - Le hareng saur. DIDEROT Denis - Recette du biscuit (extrait de l’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers). GAUTIER Théophile - Réponse à une invitation. MAROT Clément - La litanie. PEREC Georges, 81 fiches-cuisine à l’usage des débutants. PONGE Francis - Le parti pris des choses. ROSTAND Edmond - Les amandines de Ragueneau. SAND George - Le gnome des huîtres. TOPOR Roland - La cuisine cannibale (extraits). VIAN Boris - - Ballade du lapin - Les joyeux bouchers - Rock’n Roll-mops - La recette de l’andouillon.

Des titres de littérature pour la jeunesse rubrique Lève toi et Mange : Pour les bons mots et les bons mets - P167 Les Agapes des Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines

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Eclats de poésie à la carte par Marie Agullo «Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines» vous propose cet exercice d’écriture à partir de menus de grands restaurants : écrire un récit qui joue avec la poéticité des formulations gastronomiques. Ce sont autant de promesses gustatives que récréatives. « Le Foie Gras de Canard était pressé de se poser sur une fine couche de pain torréfié. Il était las comme un torchon. Toute la journée, il avait dû supporter les effluves des goujonnettes de Soles en friture et la grosse Raviole de petits Calamars lui avait disputé ses lames de truffes. Il venait juste de nouer sa corolle de crème de noix, s’était parfumé au poivre de Séchuan, avait piqué une fleur de thym à sa boutonnière, choisissait ses plus belles perles de baies roses, quand le Canard Colvert en élégance de dattes, surgit de son coing aux épices, en criant : « Panique à la cuisine ! Le gros Loup sauvage a attaqué le Chef parce qu’il ne voulait plus être du Bar cuisiné à plat. Même le délicat gros Colin a fait alliance avec lui, entraînant le Homard bleu, cuit au four dans sa carapace, qui a saisi de ses pinces, les petites tomates au vinaigre et bombardé la Saucisse des Asturies qui volait au secours du cuisinier. Des tronçons de Sole cardinal ont dressé une barricade derrière laquelle se sont planqués tous les effeuillés de Thon et de Langouste. La grosse Gambéronne a craché son jus de crevette épicé sur la merveilleuse terrine chaude de cèpes. Et les noix de Saint-Jacques ont jeté leur caviar Krystal gros grains sur les cœurs de palmier au citron vert. - Mais que font donc le Canard Croisé, le Pigeon Raynier III et toutes les volailles servies entières ? demande Parmentier de Queue de Bœuf aux Truffes. Que fait la Perdrix rouge ? Que fait le Perdreau gris ? - Elle milite sur sa fondue de chou vert et il est ivre sur son risotto d’artichaut, lui répond Colvert. - Et que fait l’escalope de Foie Gras dorée ? Avec ses grains de raisins, elle pourrait répondre à la mitraille, s’insurge Parmentier de Queue de Bœuf. - La poitrine de Faisane aussi, pourrait se servir de ses choux raves, déplore Colvert, en allongeant le cou. - Nous sommes cuits, s’affole le Foie Gras poêlé, fondu de courge, avec ses petits sanguins vinaigrés à l’orange qui se vautrent dans sa graisse. - Et les poules ? demande la Côte de Veau rôtie en cocotte ? - Pas de danger que les Suprêmes de Bresse interviennent. Cuites en vessie, elles pissent de peur

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et se sont déjà beurrées sous la peau. » Le Canard Colvert ajoute que le Caneton rôti « Marco Polo » s’est retranché dans sa Tour d’Argent et que le Pigeon entier est rôti à la broche. « Il faudrait griller le loup au thym, le mijoter d’endives, aux chayottes cuites, à l’étuvée de citronnelle, suggère la Côte de Veau. - Oui, il faut faire un méli-mélo de poissons, dans un jus de bouillabaisse bien rouillé, les mettre en purée de pommes de terre, faire du Bar un Loup de Méditerranée Nouvelle Vague à l’huile d’olive vanillée, heu… je veux dire pimentée…s’enhardit l’escalope de Foie Gras. - J’ai une meilleure idée, déclare la Côte de Veau, de sa garniture bourgeoise. On pourrait le désarmer en lui mettant sous la dent, des cuisses de Grenouilles blondes, dorées, sur une tendre purée de choux Romanesco. - Il vaudrait mieux flamber ses rognons au vieux cognac, et les enduire d’une crème à la moutarde, lâche Parmentier de Queue de Bœuf. - Appelons plutôt à la rescousse les Mikados aux quatre saveurs, en artifice de Pomelos rose, de Litchi, sur leur granité Champagne, Caviar à la passion. Rien ne peut leur résister ! décide Colvert. » Et c’est ainsi que toutes les Douceurs de la cuisine, la douceur de Kaki, les Fraises en douceur de mandarine, et même la douceur de Céleri en gelée de Porto, partirent à la guerre contre la marine. La soupière de fruits exotiques, les Fraises des bois et les Framboises, la marmelade de Myrtilles, Mûres, Cassis, noyèrent dans le sucre tous les acides agrumes alliés de la mer. L’Alibaba au Rhum à la fondue de cerises enferma dans sa caverne, les crustacés encarapaçonnés. La Perdrix des Neiges aidée de Glace Banane, de Glace Coco, de Glace Prune, de Glace Vanille gelèrent tous les poissons qui finirent en barquettes, bien givrés. Le Chef pris dans le coup de feu en avait vu trente six chandelles mais de ce menu tohubohu, la cuisine s’étoila. » D’après les cartes de Jacques Chibois de La Bastide Saint-Antoine, de Paul Bocuse à Lyon, de Guy Martin à Paris ( Le Grand Vefour), de Mario Neychel à Barcelone fournies par Joël Ruth.

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Le repas dans la mythologie : de la transgression à la civilisation

Par Sylvie Breugnot-Mathé

Qui ne connaît pas la terrible histoire de Cronos dévorant ses propres enfants ? Cronos, ogre mythique, engloutit ses enfants nouveaux-nés, de peur que l’un d’entre eux ne vienne un jour à le détrôner. Contrairement à l’ogre du Petit Poucet, qui mange ses filles par erreur, Cronos dévore sa progéniture volontairement, en toute conscience. Ce mythe fondateur effraye encore, heurte même parfois. Est-ce le cannibalisme qui répugne le plus ou l’infanticide ? Les deux liés dans le même mythe, certainement. Cette double transgression correspond aux premiers âges de l’humanité, un âge où les Titans, êtres imparfaits, monstrueux, ont le pouvoir. Cette monstruosité des premiers temps, proches du chaos originel, se révèle dans l’acte de se nourrir. Manger n’est alors pas un acte collectif et rassembleur. C’est un acte solitaire et violent, une prise de pouvoir. Je te mange donc je te possède. Je te dévore pour que tu ne puisses pas me prendre le pouvoir à ton tour. Mais l’on connaît la suite de l’histoire. Zeus, sauvé de la voracité paternelle par sa mère Rhéa, affronta son père et ce n’est qu’au terme d’une longue guerre qu’il put régner sur un univers désormais apaisé et harmonieux. D’autres récits de transgressions alimentaires jalonnent les textes fondateurs. C’est le cas du mythe de Lycaon. Lycaon, roi d’Arcadie, était connu pour son mépris des dieux. Alors que Zeus se présentait chez lui sous l’apparence d’un mendiant, pour le mettre à l’épreuve, Lycaon servit à son invité de la viande d’homme, transgressant ainsi par cet acte deux interdits : servir de la chair humaine et offenser Zeus hospitalier. Cet acte impie montre la démesure de l’homme. La punition de Zeus est à la mesure de la faute. Il punit Lycaon en le transformant en loup, et punit l’humanité en déclenchant le déluge. La destruction de l’humanité a donc pour déclencheur cet acte transgressif et impie commis par le roi de Lydie. Ainsi, l’anthropophagie est considérée comme un acte impie, contraire au droit divin. Et transgresser ce droit suprême entraîne une faute inexpiable. C’est cette faute, ce crime affreux, qui fit peser sur toute une lignée, celle des Atrides, un destin funeste. Cette faute fut commise par Tantale. Tantale, roi de Lydie, fils de Zeus, jouissait d’un traitement particulièrement favorable de la part des Olympiens. Les dieux l’aimaient, Les Agapes des Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines

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et lui permettaient, privilège dont tous les fils mortels de Zeus ne pouvaient se prévaloir, de partager leurs repas, et de goûter au nectar et à l’ambroisie. Les dieux lui firent même l’honneur de descendre de l’Olympe pour venir participer à un banquet donné dans son palais. Mais Tantale commit un acte impensable. Il tua son fils unique, Pélops, le fit bouillir, et le servit aux dieux. Dans son mépris des dieux et sa confiance illimitée en lui-même, il n’imagina pas que les dieux s’en rendraient compte. Pourtant les dieux ne se laissèrent pas abuser et punirent Tantale, le condamnant au supplice éternel de ne jamais pouvoir atteindre l’eau pure et les fruits se trouvant à sa portée, de ne jamais pouvoir assouvir ni sa faim ni sa soif. Mais revenons aux luttes parricides qui jalonnent les textes fondateurs. Les récits Rubens, Saturne, père de Jupiter dévore un mythologiques de lutte opposant le père de ses fils, au Musée du Prado, 1636. au fils sont peut-être liés à l’idée de Darwin selon laquelle l’espèce humaine se serait répandue en suivant un processus issu d’un fonctionnement tribal, le père chassant ou éliminant du clan ses fils devenus de jeunes mâles au terme de combats sanglants, pour conserver son autorité et sa prééminence sexuelle sur sa horde, les fils ainsi chassés devant à leur tour chercher des femelles ailleurs pour créer d’autres hordes. Mais l’on sent bien que l’acte de manger l’autre, père ou fils, revêt une symbolique particulière. Peut-être l’acte de « manger son père » relève-t-il du repas totémique1, un rituel sacré et symbolique pratiqué par des sociétés primitives. Le repas totémique est peut-être le premier banquet de l’humanité. Dans certaines sociétés primitives, le totem, animal sacré, était considéré comme l’ancêtre de la tribu. C’était un substitut du père. Il était donc absolument interdit de tuer l’animal et de manger sa viande. Mais lors du repas totémique, cet interdit était levé. Le repas était alors un rituel obligatoire et collectif qui renforçait les liens de la communauté. L’animal sacrifié puis consommé transmettait sa force sacrée à tous. Passer de la suppression des concurrents mâles par le cannibalisme à un acte symbolique de sacrifice d’un animal totem, lors d’un repas totémique, est une évolution de la société qui permet de ne plus s’organiser par le meurtre mais par l’acceptation du rôle et de la place reconnus à chacun. Plus besoin de manger son père au sens propre du terme. Le glissement du cannibalisme au banquet, c’est-à-dire d’un acte transgressif monstrueux à un acte synonyme de civilisation, est un processus impossible à dater. Les Agapes des Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines

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Rappelons-nous simplement Zeus, le rescapé de la voracité paternelle, Zeus l’Olympien qui amène l’harmonie et la civilisation dans l’univers après avoir vaincu la génération précédente, celle des Titans, monstrueux. La victoire des Olympiens symbolise l’avènement de la civilisation grecque. Une civilisation dans laquelle le partage de nourriture lors d’un repas commun comporte une dimension symbolique et rituelle de socialisation et d’appartenance au groupe. Dans les récits mythologiques, les banquets sont souvent organisés par les dieux, afin de prendre des décisions importantes. Dans la civilisation grecque, être un Grec, et non un barbare, c’est accueillir l’hôte étranger, l’asseoir à sa table, et partager le repas avec lui. Ainsi Ulysse est-il accueilli chez le roi Alkinoos2. Chez les Grecs anciens, le symposion, réunion masculine qui suivait le repas, « représentait une institution importante dans la vie des aristocrates (…). »3 Ces réunions étaient l’occasion de boire, de se divertir, mais aussi de débattre et d’échanger des idées philosophiques. Laissons conclure Sénèque qui, dans ses Epistulae morales ad Lucilium (II, 19,10), cite Epicure : « ante circumscipiendum est cum quibus edas et bibas, quam quid edas et bibas ; nam sine amico visceratio leonis ac lupi vita est ». (Regarde d’abord avec qui tu manges et tu bois, avant de regarder ce que tu manges et tu bois ; car sans ami, la vie est une distribution de viande de lion et de loup).

cf S. Freud, Totem et Tabou, 1913 2 - Alcinoüs, après avoir entendu ces paroles, présente la main au prudent et ingénieux Ulysse, le relève et le fait asseoir sur un siège brillant, sur celui que venait de quitter son fils bien-aimé, le brave Laodamas assis à ses côtés. Alors une esclave, portant une belle aiguière d’or, verse l’eau qu’elle contient dans un bassin d’argent pour qu’Ulysse baigne ses mains vigoureuses ; puis elle place devant l’étranger une table lisse et polie ; une vénérable intendante y dépose le pain et les nombreux aliments qu’elle offre ensuite avec largesse. Tandis que le divin Ulysse boit et mange selon ses désirs, le puissant Alcinoüs dit à l’un de ses hérauts : « Pontonoüs, mêle le vin dans le cratère, et présente des coupes pleines à tous les convives, afin que nous offrions des libations à Jupiter qui toujours accompagne les suppliants placés sous la protection divine. » Homère, Odyssée, chant VII 3 - Dictionnaire de l’Antiquité, Université d’Oxford, ed. Robert Laffont Les Agapes des Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines

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Tantale Hugues Taraval, Le Festin donné aux dieux, 1767. (Musée de Versailles)

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Les nourritures célestes chez Rabelais Par Marie-Luce Demonet

L’habitude est d’associer l’œuvre de Rabelais à des évocations tout à fait terrestres, notamment en ce qui concerne les produits alimentaires, le boire et le manger. On dit que l’homme ne vit pas que de pain, ou de vin, il a besoin d’autres nourritures : il ne s’agit pas d’opposer les nourritures spirituelles aux corporelles, mais d’essayer de faire comprendre comment Rabelais associe les célestes aux terrestres, et inversement, en insistant sur le goût des aliments, leur bénéfice pour la santé, et sur la convivialité. « Malheur à l’homme qui mange seul ». Malheur aussi à celui qui, en dévorant tous les fruits de la terre, affame l’humanité. Ne négligeons pas pour autant la dimension métaphorique, figurée, de la nourriture, dans cette œuvre bien chargée en « mots de gueule », parce que la comparaison entre l’effet bénéfique d’une bonne nourriture et celui d’une bonne lecture de bons livres parcourt les cinq romans : Gustave Doré, Le repas de Gargantua, 1873. Gargantua et Pantagruel sont, dit l’auteur, des livres de « haute graisse » : encore une métaphore alimentaire qui élève le lecteur jusqu’au septième ciel. Car il y a trois grandes raisons d’avaler quelque chose : - pour apaiser sa faim ou sa soif - pour éprouver un plaisir gustatif - pour se soigner ou pour se détruire. Le plaisir et la « bonne drogue » qui soigne (le médicament), sont mêlés dans des romans qui ont aussi un contenu fortement satirique et polémique, au sein duquel la nourriture joue un rôle essentiel. En effet, il y a les gloutons, ces goinfres qui avalent pour détruire autrui, dévaster, éliminer, piller, rapiner. Ce sont ces mêmes prédateurs avaleurs qui brûlent —qui cuisent— ceux qu’ils considèrent comme des blasphémateurs et des hérétiques. Il n’y a d’autre remède que d’en purger le monde.

Le goût et la « fruition », ou « quel goût ça a ? »

Veronèse, Les Noces de Cana, 1563. (Détail) 1

Nous appelons souvent « divin » un mets particulièrement bon. Nous appelons aussi « nectar » un vin très bon, « ambroisie » un produit remarquable, en empruntant aux dieux grecs ce vocabulaire de l’excellence. Deux épisodes bibliques, connus de tous, sont particulièrement importants pour aborder cette question du « goût » et de la « saveur » chez Rabelais : les noces de Cana et la manne qui tombe du ciel pour nourrir le peuple juif dans le désert. Comme les noces de Cana concernent le vin… 1

Noces de Cana : eau « muée » en vin (Olivétan, 29v-a), « changée » selon la Bible de Jérusalem.

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Les mythes populaires du pays de Cocagne (déployés dans l’anonyme Disciple de Pantagruel) décrivent abondamment le rêve alimentaire des paysans pauvres : voir des alouettes toutes rôties tomber du ciel, et cueillir des gâteaux aux branches d’arbres généreux. La Bible en offre une version archétypale : au chapitre 16 de l’Exode, le peuple d’Israël murmure contre Dieu et Moïse car il n’a plus rien à manger. L’Eternel, dans sa grande sagesse, fait d’abord pleuvoir des protéines, les cailles, puis leur complément, la mystérieuse « manne » qui en fait ne tombe pas exactement du ciel mais se forme à partir d’un brouillard. Cette distribution s’accompagne de préceptes qui s’appliquent à la mesure : chacun prend la quantité nécessaire, sans excéder deux litres, et en emporte pour les absents. Il est donc interdit de s’empiffrer, comme de faire des réserves, sauf pour le shabbat. A la fin du Cinquième livre, probablement rédigé en même temps que le Tiers Livre, les personnages qui descendent consulter l’oracle de la Dive Bouteille sont invités à boire de l’eau de la fontaine, et la Prophétesse Bacbuc se réfère Veronèse, Les Noces de Cana, 1563. expressément à l’épisode de la manne. Cette eau prend le (Détail) goût du vin qu’ils préfèrent : Rabelais insiste sur l’importance de celui qui goûte, sur ses attentes : vin de Beaune, vin de Phalerne, vin de Mireveaux en Languedoc selon Pantagruel : « imaginez, et buvez ». Ainsi en est-il des livres, que l’on goûte plus ou moins selon son état d’esprit, plus ou moins bienveillant. Quant à la définition du vin comme « céleste », elle est donnée dès le prologue de Pantagruel : « Mais tout ainsi comme Noé le saint homme (auquel tant sommes obligés et tenus de ce qu’il nous planta la vigne, dont nous vient celle nectarique délicieuse, précieuse, céleste, joyeuse et déifique liqueur qu’on nomme le piot) fut trompé en le buvant, car il ignorait la grande vertu et puissance d’icelui […] » Puis dans le prologue de Gargantua : « L’odeur [sic] du vin, Ô combien plus est friant, riant, priant, plus céleste et délicieux que d’huile ? » Si l’adjectif « céleste » qualifie à juste titre la mention de qualifié « d’astrologue » saint Paul, si la grâce divine est, elle aussi du ciel, le géant Pantagruel n’en est pas privé : il est présenté comme céleste (Tiers Livre), et le pantagruélisme lui-même (cette philosophie qui tient de l’épicurisme, du stoïcisme et même du cynisme), est contemplation des choses célestes. Toutefois, la doctrine catholique de l’eucharistie repose entièrement sur le principe de l’ingestion, et certains commentateurs de Rabelais interprètent toute la geste pantagruéline comme un grand message évangélique : la nourriture terrestre ne serait que l’allégorie de plus hautes jouissances, préfiguration de celles de l’au-delà. Ce n’est pas mon avis. En effet, Rabelais accorde trop d’importance à la sensation charnelle, à l’appréciation des plaisirs de ce monde, il a trop le souci d’une humanité entière, âme

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ET corps, pour que l’on puisse déclarer que la chair et le rire ne sont que les masques grossiers d’un message religieux. Il y a dans ses romans un souci du partage du sensible, et d’une vision assurément satirique, que l’on ne peut pas réduire à un programme d’évangélisme, fût-il érasmien. Rabelais est même assez violent à l’encontre de ceux qui viennent « compisser » son tonneau, cracher dans ses bons plats ou déclarer que les meilleurs morceaux sont interdits, pour pouvoir se les réserver. Il les envoie au diable, et même en occitan : « avalisque Satanas » ! ( Arrière Satan !) C’est qu’il y a de mauvais mangeurs, comme il y a de mauvais liseurs. D’ailleurs ce sont les mêmes.

Les condiments, ou altérateurs de goût En Europe, à la Renaissance, on connaît déjà le rôle et l’importance des condiments et les épices sont activement recherchées jusqu’au bout du monde : le poivre, la cannelle, le safran, le gingembre, toutes épices mentionnées par Rabelais. Mais les principaux altérateurs de goût -nous dirions maintenant les rehausseurs de goût- sont le vinaigre, la moutarde et le sel. Le sel est déjà pourvu d’une forte charge symbolique, et même évangélique : « je suis le sel de la terre ». Le sel conserve, rend meilleur, mais trop de sel irrite et donne très soif. C’est du sel que le diable Pantagruel, dans sa version médiévale et primitive chez Rabelais, jette dans la bouche des hommes qui dorment. Rabelais charge aussi le sel de connotations déplaisantes : les poissons salés sont consommés pendant le triste hiver ou au début du printemps, quand il faut Pantagruel, 1542, ch. 25 : Comment faire Carême et qu’il n’y a plus à manger que harengs saurs Pantagruel et ses compagnons étaient fâchés de manger de la chair et légumes en saumure. Quand, le jour de la naissance de salée, et comment Carpalim alla Pantagruel, la terre en pleine sécheresse transpire comme chasser pour avoir de la venaison. un être humain, c’est de la saumure amère qui en sort, et les hommes qui en boivent n’en sont que plus altérés. Le sel, c’est aussi l’occasion des rapines des gabelous, c’est une véritable monnaie, de nature ambivalente comme elle : on ne saurait se passer de sel, mais il nous ruine et nourrit les parasites collecteurs de gabelle, peut-être ces Ganabins –Gagnebien— de la fin du Quart Livre.

Moutarde et vinaigre, base des condiments populaires, sont présentés en bonne part, surtout le vinaigre, car ses vertus médicinales et gustatives sont infinies. A nouveau maintenant Fleurs de moutarde on utilise le vinaigre comme antiseptique et comme nettoyant ménager.

Dans Pantagruel, les conseillers du tribunal, évanouis de bonheur après avoir entendu la magnifique plaidoirie du géant, sont réveillés avec du vinaigre et de l’eau de rose. Dans la tempête du Quart Livre, Panurge réclame du vinaigre pour ne pas défaillir de peur et du mal de mer. La laitue où Gargantua mange les pélerins est assaisonnée Vinaigre balsamique de Modène 8 ans d’âge. Les Agapes des Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines

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à notre manière : avec huile, vinaigre et sel. Il n’y manque que le poivre, rarissime à l’époque, denrée précieuse qui semble ne se trouver que chez les apothicaires, à côté de la girofle, du safran et de la cannelle. Et l’ogre Gaster ne manque pas d’avaler des plats dans le vinaigre, qui, dit le texte, permet de digérer facilement, ce qui suggère aussi l’usage de la marinade. Rabelais mentionne la fabrication du vinaigre déjà célèbre à Orléans, et qui faisait les affaires des vignerons du coin, devenu cossus et bigots, comme dans le Quart Livre : la satire anti-cléricale réapparaît, puisque dès Gargantua nous savons que ce sont les cloches des églises qui font tourner le vin… Et les théologiens sont des pisse-vinaigre. Tournons-nous maintenant vers une plante elle aussi céleste et ambivalente, mais imaginaire. Il y a, à la fin du troisième roman de Pantagruel, le Tiers Livre, moins connu que Gargantua ou Pantagruel, quatre chapitres un peu indigestes, que même le lecteur professionnel et assidu de Rabelais parcourt assez vite : c’est ce qu’on appelle « l’éloge du pantagruélion », cette plante fictive dont l’auteur détaille assez longuement les propriétés mirifiques afin d’en faire déchiffrer l’énigme. Rabelais prétend que cette plante peut nous promener non seulement sur toute la terre, mais aussi au ciel, à tel point que les dieux eux-mêmes en seraient jaloux. Le pantagruélion semble bien la plante la plus céleste qui soit, mais est-ce qu’elle se mange ? Et si c’est le cas, quel goût a-t-elle ? Et quel goût a une plante, préparée ou non, lorsqu’elle n’existe pas ? Comme les autres êtres imaginaires décrits dès l’antiquité, comme la Chimère, le Centaure ou le Bouc-cerf, le pantagruélion est un hybride ou un composite. D’après le texte, on devine qu’il tient du chanvre et du lin, permet de faire les voiles des bateaux et les cordages, et donc d’aller conquérir de nouvelles terres, voire d’aller jusqu’au ciel déloger les dieux de l’Olympe, comme chez Lucien. Il permet de se déplacer et d’aller chercher le mot de la Bouteille, caché dans l’improbable pays de Lanternois. La réponse est à la fois allégorique et matérielle : le pantagruélion, c’est aussi le papier dont on fait des livres, et Rabelais nous dirait que les voyageurs emportent beaucoup de livres, qu’ils sont des livres. Rabelais attribue l’invention du papier à Pantagruel, comme il lui avait attribué celle de l’imprimerie. Il fait remarquer que sans pantagruélion « périroit le noble art d’imprimerie » (ch. LI, p. 343). Il s’agit clairement —bien que beaucoup de rabelaisants refusent encore de l’admettre— du chanvre dit « indien », le cannabis, plante elle aussi « céleste » à sa manière. Chez les naturalistes anciens, le cannabis sativa possède des propriétés contradictoires. L’herbe est présentée comme un médicament et il peut être dangereux d’en absorber trop. Ces remarques suivent une mise en garde contre les effets anti-aphrodisiaques du pantagruélion. Ainsi les friandises et beignets décrits par Rabelais seraient les « space cakes » de certaines soirées…. Cette consommation est réservée à ceux qui la méritent. Celui qui en prend trop tombe malade. Comme les fèves qui produisent les vents que l’on sait, le chanvre produit des vapeurs qui

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peuvent être fâcheuses et douloureuses. Pharmakon à double vertu, poison et psychotrope, ses effets sont semblables à ceux du vin. Rabelais s’est appelé Alcofrybas Nasier, Alco-frybas, le fabriquant d’alcool, Alcibiade au grand nez. Or l’alcool commence tout juste à être distillé au grand jour au début du XVIe siècle : depuis deux siècles qu’ils savaient le fabriquer, les alchimistes en faisaient un secret qui commençait à être bien éventé. Les eaux-de-vie apparaissent de plus en plus souvent comme des excipients aux propriétés spectaculaires (pas encore antiseptiques que je sache). Il n’y a aucune mention de spiritueux à boire dans toute l’œuvre de Rabelais et l’alcool servait aussi de combustible : la lampe de la Dive Bouteille dans le temple de Bacbuc trempe dans « l’eau ardente ». C’est seulement à la fin du XVIe siècle qu’Olivier de Serres, dans son fameux Théâtre d’agriculture, décrit que la bonne maîtresse de maison peut distiller à demeure ces substances « artificielles » que sont des eaux-de-vie, « pour la nécessité et pour la volupté », dit-il. Que conclure de ces petites recherches ? L’épilémie, ou ode bacchique, 1533. Que la curiosité de Rabelais était telle que plusieurs (Chantée par la prêtresse Bacbec, siècles après, il peut encore étonner par l’étendue et la diversité pour recueillir le mot de la Dive de ses intérêts. Que sa connaissance des plantes psychotropes Bouteille. BNF). n’était peut-être pas seulement livresque. D’une part, je n’irais pas jusqu’à imaginer que Rabelais s’offrait des séances hallucinatoires avec son chanvre dans quelque habitat troglodyte, ni qu’il jouait au chaman avec ses ouailles (il était prêtre) ou avec ses patients (il était médecin). On a du mal à imaginer d’autre part, que les Français de la Renaissance distillaient de l’eau-de-vie seulement pour allumer des lampes, sans avoir l’idée d’y goûter. Toutes ces substances satellites n’éclipsent pourtant pas l’aliment central qu’est le vin, dont l’efficacité (à doses modérées) comme remède à la mélancolie était bien connue. De même, le plaisir procuré par la fiction et par les histoires est constamment comparé à l’effet produit par le vin.

L’antidote

Rabelais serait allé aux îles Hyères de la lavendula stoechas, une variété spéciale de lavande qui soulage aussi de la mélancolie. Les pantagruélistes ont besoin d’antidotes plus puissants que la douce lavande contre les ennemis, gros et mauvais mangeurs, ceux qui dégradent le goût des aliments de deux manières : d’une part en mangeant trop et n’importe comment, pour avaler le monde en prédateurs illimités (ce sont les disciples de Gaster, les gras prieurs, et tous ceux qui font un dieu de leur ventre) et Pantagrueline Pronostication, 1533, (Détail page de couverture). 2

Collation d’après le souper Les Agapes des Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines

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leur journée n’est qu’un repas perpétuel : « Au point du jour pareillement nous éveilla pour manger soupes de prime. Depuis ne fîmes qu’un repas, lequel dura tout le jour, et ne savais si c’était dîner, ou souper, goûter, ou regobillonner. » 2 D’autre part, en faisant l’éloge hypocrite du jeûne et du Carême, dont ils n’ont que faire, mais qui leur permettent d’établir leur puissance jusque dans les écuelles des plus démunis. Ne pas faire Carême, braver les interdits du lard et de toute chair, c’est risquer l’excommunication, voire l’exécution par le feu. Marot en savait quelque chose, lui qui a dû fuir à Ferrare sous cette accusation et après l’affaire des Placards. Dans le Cinquième Livre, la Touraine est présentée comme la province qui engraisse le plus le clergé : « Le Duc de Touraine n’a, en tout son revenu, de quoi son saoul de lard manger, par l’excessive largesse que ses prédécesseurs ont fait à ses sacrosaints oiseaux, pour ici de faisans nous saouler de perdreaux, de gelinottes, poules d’Inde, gras chapons de Loudunois, venaison de toutes sortes, et toutes sortes de gibier. » Dans le Quart Livre, Rabelais donnera avec Messere Gaster une portée plus générale à sa satire. L’antidote au glouton censeur, c’est le personnage du « friand », celui qui se régale de simples beignets, voire de gâteaux interdits, de bons livres, de bons vins, ou de nourritures « célestes » comme les fouaces accompagnées de raisins au petit déjeuner. S’ils ne permettent pas de goûter immédiatement les joies du paradis, au moins exaltent-ils la condition mortelle et réjouissent nos esprits animaux, tout prêts à disputer aux dieux, aux méchants fouaciers et au clergé, des plaisirs qu’ils voulaient injustement se réserver.

Gustave Doré, L’enfance de Gargantua, 1873. (Projet d’illustration pour les œuvres de Rabelais, aquarelle, plume et encre noire sur traits de crayon sur papier, Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg). Les Agapes des Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines

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« Cyrano de Bergerac » d’Edmond Rostand Ragueneau ou l’histoire tragique de la fourmi qui nourrit les cigales

Par Aude Becker-Thenot Vous le connaissez sans doute, cet homme aux rondeurs rassurantes de celui qui sait cuisiner et régaler. C’est le pâtissier des comédiens et le grand rôtisseur, mécène des poètes et grand ami de Cyrano de Bergerac. S’il y a au théâtre un personnage qui est un concentré de poésie et de cuisinier, c’est bien Ragueneau. La cuisine, c’est son moyen d’expression, sa monnaie : son ticket de théâtre, il le paie en gâteaux. Il achète sa jouissance du théâtre, son bonheur métaphysique, avec des mets terrestres. Les noms de ses pâtisseries laissent rêveurs: une tartelette aux amandines, des darioles, un poupelin. Ragueneau, c’est l’ogre à l’envers : il veut nourrir les poètes, c’est la fourmi au fourneau qui alimente avec bonheur toute une ribambelle de poètes crottés, ingrats et moqueurs. Tant de bonté dont profitent ces poètes qui le traitent de « chou bavant sa crème » lorsqu’il leur déclame sa poésie. Cyrano lui dit bien, tout en voulant le prévenir : « Ne voistu pas comme ils s’empiffrent ? ». Et voilà que sa réponse nous éclaire, cet homme aime à régaler, remplir les ventres mais aussi les âmes en disant ses vers, car il est aussi poète. Il n’est pas dupe, il est généreux. Il est prêt à les gaver ces « cigales divines », à accepter l’hypocrisie de son auditoire pour faire partie des leurs et être écouté. Mais voilà, la fourmi peut-elle nourrir les cigales sans en pâtir ? Le pâtissier rôtisseur, qui aime à se faire payer en vers, ne résistera pas. Le monde matériel le rattrape, il fait faillite, perd sa femme qui le « ridicoculisera », crainte qu’avait émise Cyrano en voyant Lise, la femme de Ragueneau, flirter avec un mousquetaire. Cyrano lui sauve la vie en l’empêchant de se tuer et le fait entrer au service de Roxane. Mais cela ne durera pas. Il ne cessera de descendre l’échelle sociale. Jadis pâtissier apprécié de Richelieu, il devient tour à tour

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chanteur, étuveur, bedeau, perruquier, pour finir moucheur de chandelle chez Molière. La fable de La Fontaine publiée en 1668, même si elle ne pouvait être connue de Ragueneau mort en 1654, voit bien sa morale vérifiée dans cette histoire. Rostand va même encore plus loin, braver la morale en aidant la cigale mène à la déchéance. Mais pourquoi a-t-il abandonné ses fourneaux, ce magicien de la cuisine ? Par amour. Non pas par amour d’une femme mais par amour des lettres, de la poésie. Il est mort sans panache, mais n’en avait-il pas finalement, lorsqu’il a choisi de suivre sa muse ? Le panache doit-il être grandiloquent ?

Œuvre citée : « Fables de La Fontaine, Livre I », Jean de La Fontaine

Illustration de la fable d’Esope par Milo Winter en 1919

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Zola

cuisine les sept péchés capiteux Par Par Marie Marie Agullo Agullo Auteure

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Quand Zola met à table les personnages de son œuvre, Les Rougon Macquart, il se propose d‘étudier « le débordement des appétits, le large soulèvement de notre âge qui se rue aux jouissances »1. L’âge dont parle l’auteur dans sa préface écrite en 1871, correspond à la période du Second Empire qu’il veut raconter à travers les drames individuels d’une famille, soumise à un double héritage social et biologique. Mais les individus qu’il met en action sont comme nous, mus par « les sentiments, les désirs, les passions, toutes les manifestations humaines, naturelles et instinctives dont les produits prennent les noms convenus de vertus et de vices ». On sait que l’histoire est sombre et que le vice sur les étals de la misère est plus photogénique que la vertu. Zola cuisine donc les sept péchés capitaux pour épicer les plaisirs de la chair que ses convives se donnent, afin de satisfaire leur ventre affamé de nourriture et de jouissance.

L’envie réciproque, publié dans le Suprême Bon ton N° 6.

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Préface de La fortune des Rougon Les Agapes des Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines

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L’envie

L’avarice

Avant de signifier « désir », le mot est introduit en français avec le sens qu’il a hérité du latin « invidia » qui nomme la jalousie, la malveillance. Les romans de Zola illustrent cette idée d’hostilité et même de haine qu’il n’a pas conservée aujourd’hui mais qu’il avait depuis le douzième siècle. Sur le marché des Halles du Ventre de Paris, la marchande de beurre, madame Lecoeur, et mademoiselle Saget, une vieille aigrie, aussi mal nommées l’une que l’autre, médisent avec gourmandise de leurs voisins. Elles s’enivrent de leur malveillance, debout, dans l’odeur forte des fromages de l’étal, dont Zola dit que c’est « une cacophonie de souffles infects ». Il conclut leur conversation en disant : « il semblait que c’étaient les paroles de madame Lecoeur et de mademoiselle Saget qui puaient si fort ». Macquart, le fils bâtard, dans La fortune des Rougon, « montre à nu les blessures saignantes de son envie » quand il rage, mangeant des pommes de terre alors que les autres de « la sale famille », les Rougon, ont de la viande à discrétion. Alors il se grise de griefs et de menaces contre tous ses parents. A la table de Gervaise, sa fille, dans L’assommoir, les Lorilleux, autres envieux, « passaient leur rage sur le rôti ; ils en prenaient pour trois jours, ils auraient englouti le plat, la table et la boutique, afin de ruiner la Banban », surnom mauvais qu’ils donnent à leur bellesœur pour se moquer de sa claudication. Ils sont avares au dernier degré, et haineux de sa réussite.

« Avare » a la même origine étymologique que « avide ». L’avarice est un péché capital au treizième siècle, un vice social au dix-septième et un comportement pathologique au dixneuvième. Zola le repère facilement en faisant manger ses personnages. Son Excellence Eugène Rougon, dans le roman qui porte son nom, surprend une jeune femme en train de manger « un morceau de viande froide, cuite de la veille » et sur ce simple indice, la « soupçonne d’avarice, un vice italien ». Dans La conquête de Plassans, Mouret est qualifié de monstre parce qu’il pousse l’avarice « jusqu’à compter les poires du grenier et les morceaux de sucre des armoires, surveillant les conserves, mangeant lui-même les croûtes de pain de la veille ». Une maîtresse de maison, madame Josserand, au début de PotBouille, embauche une souillon car elle ne peut pas trouver mieux tant elle est ladre, les voleuses elles-mêmes refusant le poste. « Adèle seule, débarquée à peine de sa Bretagne, bête et pouilleuse, pouvait tenir dans cette misère vaniteuse de bourgeois, qui abusaient de son ignorance et de sa saleté pour la mal nourrir ». Quand Fontan maltraite Nana2 et l’exploite jusqu’au dernier sou, il fait grise mine quand il y a des pommes de terre au menu, mais rit « à se décrocher les mâchoires devant les dindes et les gigots » et pour son dessert il allonge « quelques claques à Nana, même dans son bonheur, pour s’entretenir la main. »

Hermann A. Ockel, L’avarice, Librairie Public de Boston. 2

Héroïne de Nana Les Agapes des Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines

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La colère C’est d’ailleurs après une scène de régal en chambre que Fontan gifle Nana pour la première fois, assaisonnant son plaisir gourmand d’un zeste de colère. Le gâteau qu’ils ont partagé au lit a laissé des miettes entre les draps et Nana n’arrive pas à s’endormir car elle en est « dévorée partout » tellement ça la démange. Ne supportant plus ses gigotements et ses récriminations, « poussé à bout, voulant dormir, Fontan lui allongea une gifle à toute volée. » Pourtant, Nana s’endort finalement « dans un accablement délicieux, dans une soumission si lasse qu’elle ne sentait plus les miettes ». A la fin de La Fortune des Rougon, au moment même où Silvère s’écroule, abattu par le gendarme qu’il a rendu borgne le soir de la grande émeute des morts de faim, que « le crâne de l’enfant éclate comme une grenade mûre » c’est à table que chez les Rougon, le soir, au dessert, on « mord aux plaisirs des riches ! Leurs appétits aiguisés par trente ans de désirs contenus, montraient des dents féroces. Ces grands inassouvis, ces fauves maigres, à peine lâchés de la veille dans les jouissances, acclamaient l’empire naissant, le règne de la curée ardente ». Macquart, pour sûr aurait aimé savourer leur triomphe, gardant pour les Rougon « ses haines les plus féroces, n’arrivant pas à digérer ses pommes de terre quand « ils mangent du poulet, ces voleurs d’héritage ». C’est que Macquart le fainéant, « avait des emportements superbes contre ces messieurs de la ville qui vivaient dans la paresse et se faisaient entretenir par le pauvre monde. »

Charles le Brun, La colère, 1688.

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La paresse Antoine Macquart est le fils bâtard d’Adélaïde Fouque, la première aïeule, et il est le père de Gervaise. C’est lui qui incarne le mieux le prototype du paresseux dans l’œuvre, fortement concurrencé par Lantier, le père des deux premiers enfants de Gervaise, puis par Coupeau, son second mari. Macquart est devenu un républicain virulent parce qu’il a été ruiné par son demi-frère, Pierre Rougon, qui a accaparé la fortune familiale. Il prend le prétexte de ses idées politiques pour s’affranchir de tout emploi, vivant au crochet de sa femme Joséphine, qui s’éreinte à la tâche pour le nourrir, lui et leurs trois enfants. On le montre plusieurs fois à table, le soir, savourant son état : « Quand les deux femmes3 avaient pris leur aiguille et se tuaient les yeux à lui raccommoder ses vieilles chemises, Macquart assis sur le meilleur siège, se renversait voluptueusement, sirotant et fumant, en homme qui savoure sa fainéantise. C’était l’heure où le vieux coquin accusait les riches de boire la sueur du peuple ». S’organisant une vie d’oisiveté absolue, il exploite ses enfants quand son épouse meurt. Devenue la compagne de Lantier qui lui fait deux enfants, échappant à l’esclavagisme de son père, Gervaise n’est pas paresseuse, au début de sa vie d’adulte4. Elle a l’ambition et le courage d’être blanchisseuse, mais elle est abandonnée par le père de ses enfants qui la ruine entièrement avant de fuir. Au début, sa rencontre avec Coupeau va la récompenser de son courage et elle parvient à la vie qu’elle rêvait. Elle possède sa boutique. Mais l’accident du couvreur va la renvoyer à la misère. La paresse circonstancielle de son compagnon, décuplée par l’alcoolisme qui se vit d’abord comme une compensation,

Félix Valloton, La paresse, 1896 - Gravures sur bois.

avant de devenir une addiction, va l’entraîner elle aussi vers la déchéance atavique. Elle avait été conditionnée dès l’enfance : son cousin Silvère, un soir, « avait trouvé la mère et la fille ivres mortes devant une bouteille vide5. » Son malheur en ménage a fait le reste. Mais le plus monstrueux de ses deux bourreaux de compagnons reste Lantier qui revient dans sa vie quand Coupeau a sombré, et la ruine une deuxième fois en vivant à ses crochets dans la boutique qu’il parasitera comme un coucou. Il ruinera aussi la marchande de bonbons qu’il y installera quand Gervaise ne pourra plus l’entretenir. Et on le voit s’empiffrant de sucreries, faire de sa paresse un art et un métier, une rente… Ainsi la paresse devient une arme très jouissive pour ceux qui savent dominer les plus faibles en les exploitant.

Joséphine et Gervaise, dans La Fortune des Rougon L’assommoir 5 Joséphine et Gervaise dans La Fortune des Rougon 3 4

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La gourmandise Si Gide dit que « c’est dans la gourmandise que l’égoïsme se manifeste le plus honteusement », Zola, lui, la décrit plutôt comme un plaisir que l’on partage, que l’on soit pauvre, que l’on soit riche. Ses avares ne sont pas gourmands. Et ils sont maigres. Lisa la belle charcutière, dont on s’émerveille de « la chair grasse et rosée », fait de sa boutique le nid du bienêtre familial. « un coin de bonheur raisonné, une mangeoire confortable, où la mère, le père et la fille s’étaient mis à l’engrais », bien loin de l’ivrognerie et de la paresse du vieux Macquart. Florent, leur cousin révolutionnaire et maigre s’y laissera attendrir et capitulera de ses idées pour essayer –en vain- d’entrer dans le cocon : « il se sentait si alangui (…) par les parfums du boudin et du saindoux, par cette grosse Pauline endormie sur ses genoux, qu’il se surprit à vouloir passer d’autres soirées semblables, des soirées sans fin, qui l’engraisseraient ». Mais c’est la fruitière et le goût du sucre qui incarnent chez l’auteur le plaisir sensuel. « Elle mangeait des groseilles, (…) à s’en barbouiller la bouche (…), elle avait la bouche rouge, une bouche maquillée, fraîche du jus des groseilles, comme peinte et parfumée de

quelque fard du sérail. Une odeur de prunes montait de ses jupes. Son fichu mal noué sentait la fraise ». Les fruits chez Zola sont des appels à l’amour. Nana rencontrera sa relation de tendresse la plus innocente dans un carré de fraises ; la belle Sarriette aux Halles vit comme dans un verger « avec des griseries d’odeurs (…). C’était elle, c’étaient ses bras, c’était son cou qui donnaient à ses fruits cette vie amoureuse, cette tiédeur satinée de femme ». Ou encore « elle faisait de son étalage une grande volupté nue ». Dans le ventre de Paris, s’ébrouent Cadine, « une bohémienne noire du pavé, très gourmande, très sensuelle », et Marjolin qui vivent « en jeunes bêtes heureuses, abandonnées à l’instinct, satisfaisant leurs appétits au milieu de ces entassements de nourriture. » Ils vivent et s’aiment sur « un lit immense de viandes, de beurres et de légumes ». Le septième chapitre de L’Assommoir, quarante pages au centre du roman, est tout entier consacré à la fête de Gervaise, la fête de sa gourmandise, l’orgueil de la jouissance qu’on allait donner, « une sacrée envie de nocer (…), une rigolade à mort, quelque chose de pas ordinaire et de réussi, mon Dieu ! »

Timoléon Marie Lobrichon, La Gourmandise

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L’orgueil Gervaise veut « donner une leçon » à « ces rapiats » de Lorilleux, qui mettent toute leur énergie à paraître pauvres et vont en cachette vider leur panier plein d’écailles d’huîtres. Elle, contrairement à eux, veut briller. Il y en aura pour tout le quartier. Le banquet prend une dimension épique. La rue entière se saoule de l’ivresse des invités. La griserie est contagieuse. « Du monde s’était amassé dans la rue (…) qui semblait être au spectacle ». Et Gervaise est comblée. Mais c’est pour Eugène Rougon que Zola définit le plus clairement la volupté de l’orgueil : « Un immense orgueil lui venait, l’idolâtrie de sa force et de son intelligence se changeait en un culte réglé. Il se donnait à lui-même des régals de jouissance surhumaine. » On est sous le Second Empire. Zola veut fustiger l’arrogance des parvenus et leur prétention. Il fait une satire de la cour impériale en la montrant à table dans une page de La conquête de Plassans qui écrit un menu des plus gourmands, et donne à entendre, par contraste, les paroles ironiques des invités. Ils se moquent des goûts de l’impératrice qui allie la pompe et la médiocrité. Dans ce tome, on trouve aussi une violente attaque contre le clergé représenté par le personnage de l’abbé Faujas, servi par sa diablesse de mère. Peu à peu il envahit la maison du pauvre Mouret, en commençant d’ailleurs par s’emparer de la salle à manger. « Il continuait à vivre, noir et rigide, dans cette maison livrée au pillage, sans s’apercevoir des dents féroces qui mangeaient les murs (…). Tout s’abîmait autour de lui, pendant qu’il allait droit à son rêve d’ambition. » L’Église, complice du pouvoir politique, manipulatrice, utilise la naïveté de ses ouailles pour assouvir ses ambitions.

Marque typographique de Robert Estienne, reprise par l’imprimeur parisien Jacques Dugast (1634 Devise : Noli Altum Sapere (« Ne t’abandonne pas à l’orgueil ») tirée de l’Épître aux Romains, 11.20.

La luxure Zola associe souvent les plaisirs de la bouche et les désirs du corps. Le Ventre de Paris fournit maints exemples dans lesquels la métaphore du sexe passe par la nourriture. L’oie de Gervaise en est un exemple dans L’Assommoir. Tous les hommes rient quand une invitée dit que la bête avait, crue, une peau de blonde. Et l’on ne craint pas la trivialité : « l’oie venait de laisser échapper un flot de jus par le trou béant de son derrière ; et Boche rigolait. – Moi je m’abonne, murmurat-il pour qu’on me fasse pipi comme ça dans la bouche». Les invités ont « des faces pareilles à des derrières, et si rouges qu’on aurait dit des derrières de gens riches, crevant de prospérité». Du bas en haut de l’échelle sociale, pour se satisfaire, on mange et on s’enivre, on a besoin de jouissance, dans l’exubérance insatiable. Très vite, dans la langue, la luxure a pris le sens d’abandon déréglé au plaisir sexuel. Nana est l’incarnation de la débauche qui est une arme fatale pour la vengeance sociale. Curieusement quand

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elle est enfant, c’est une sale gamine, à l’affût de toutes les sottises, naturellement vicieuse et méchante, dominatrice et jouisseuse. Quand elle est l’héroïne du roman éponyme, l’auteur nuance un peu son portrait. Elle n’est pas méchante finalement, elle aimerait même avoir une vie vertueuse, aimer comme une maman son jeune amoureux, être fidèle à celui qui la bat, ce n’est pas sa faute au fond si tous les hommes tombent raide dingue de ses charmes. Ce sont eux qui se prêtent à tous ces jeux qui l’ennuient au fond, elle préfère se mettre à table qu’au lit. C’est une mangeuse d’hommes et de leur patrimoine « comme elle croquait entre ses repas un sac de pralines posé sur ses genoux ; ça ne tirait pas à conséquence, c’étaient des bonbons. » « Elle nettoyait son homme d’un coup de dent. » Elle venge les femmes et montre son « mépris avoué de l’homme » avec Satin, avec laquelle elle aguiche les mâles, partageant devant eux, un baiser très sensuel, en mangeant une poire avec son amie. Mais c’est le Comte Muffat qui est la plus achevée de ses victimes. Il représente à lui seul la fierté de l’aristocratie valeureuse et la pureté de la foi catholique. Toutes deux dévorées par l’ogresse. Seulement elle-même se désagrège à la fin, de mort purulente sexuellement transmise : « Vénus se décomposait. Il semblait que le virus pris par elle dans les ruisseaux, (…) ce ferment dont elle avait empoisonné un peuple, venait de lui remonter au visage et l’avait pourri. »

Femmes au bain (Albrecht Dürer,

Le philosophe René Girard fondait sa théorie la plus connue sur le désir mimétique en expliquant qu’il est la source de toutes les rivalités et partant, de toutes les violences. Les hommes traversent les siècles dans les mêmes appétits de jouissance. Vouloir manger l’autre et être ce que l’on mange, n’est pas une gageure de paix familiale et sociale, car des plaisirs capiteux du cannibalisme, ne résulte pas forcément l’héritage de l’intelligence et du cœur.

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Cuisines et Mémoires Par Denys Couturier

De la célèbre madeleine proustienne jusqu’aux évocations jalonnant les autofictions

d’auteurs contemporains comme Marie Rouanet ou Mathias Malzieu, le souvenir alimentaire est devenu un sujet fréquemment abordé dans la démarche autobiographique. Les auteurs lui accordent une importance symbolique, notamment grâce à ce qu’il cache ou ce qu’il révèle du moi mis en scène. Au-delà de la question de la mémoire involontaire qui sous tend la création d’À la recherche du temps perdu, la réminiscence gustative peut illustrer des souvenirs convoquant des sentiments variés et aux enjeux multiples. Pourquoi le souvenir alimentaire occupe-t-il une telle place dans le genre autobiographique ? Dans quelle mesure ces expériences gustatives permettent-elles de faire du principe de la réminiscence l’outil fondateur d’une recherche du moi ?

Quelques (modestes) explications scientifiques… Le rapport à la nourriture, comme la démarche autobiographique, convoque des mécanismes à la fois sensoriels et affectifs qu’il convient d’expliciter. Dans son article Les mécanismes sensoriels de la dégustation1 , Nathalie Politzer définit le goût comme « une représentation consciente construite à partir d’informations sensorielles et de leur interprétation

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Liotard Jean-Étienne Service à Thé

apprise sous l’influence du milieu socioculturel. » Les informations sensorielles relèvent de mécanismes physiologiques propres à chaque individu qui impliquent : « la gustation (pour la détection des saveurs), l’olfaction (pour la détection des arômes) et la sensibilité du nerf trijumeau (pour la sensation trigéminale, c’est-à-dire la perception de la texture et de la température des aliments) […]. Le goût est un continuum constitué de milliers de saveurs différentes. Mais nous manquons de mots pour les exprimer. En fonction de la répartition des papilles, chaque goûteur possède sa propre carte de sensibilité. L’olfaction est une composante majeure du goût, permettant de capter les arômes des aliments, via leurs molécules odorantes qui atteignent la muqueuse olfactive par voie rétro-nasale. Le nerf trijumeau est, lui, très polyvalent, il innerve les muqueuses de la face et sa sensibilité est diffuse. Il est impliqué notamment dans les sensations de piquant du poivre, brûlant de l’alcool, du piment, du gingembre, dans le rafraîchissant du menthol, le pétillant des boissons gazeuses […] ». Toutefois, ces informations physiologiques doivent être complétées par ce que Nathalie Politzer appelle « le jugement hédonique », c’est-à-dire l’ensemble des facteurs socioculturels qui permettent d’associer une image sensorielle, positive ou négative, à un aliment. Ces facteurs regroupent aussi bien le milieu social (déterminé, bien entendu, par les parents, les traditions culturelles, etc.) que le contexte même de rencontre avec l’aliment, ils sont donc propres à chaque individu. Plusieurs points communs entre explications scientifiques des mécanismes du goût et démarche autobiographique semblent se dessiner. En effet, l’écriture du moi n’est-elle pas avant tout une tentative d’analyse des causes et des facteurs socioculturels qui construisent « l’histoire d’une personnalité » 2 , pour reprendre les termes de Philippe Lejeune ? En faisant de l’évocation d’un souvenir culinaire un des thèmes privilégiés de l’autobiographie, les auteurs mettent l’accent sur l’élaboration de leurs « mécanismes sensoriels » et le contexte même de cette élaboration, faisant ainsi réapparaitre un lieu, des figures de tante Léonie ou de mères disparues, de rituels de préparation, de 1

Nathalie Politzer est ingénieur agronome, spécialisée dans l’évaluation sensorielle et les sciences des aliments. Elle travaille à l’Institut du goût et a publié plusieurs articles dont Les mécanismes sensoriels de la dégustation, Information Diététique ; 3:16-24. (2013) 2

Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, « Points essais », Seuil, 1996. Les Agapes des Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines

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dégustation… C’est sans doute parce qu’il sollicite un très grand nombre de perceptions sensorielles, que le souvenir du goût d’un met donne le goût des mots et du moi.

Souvenir de la nourriture et de la mère La figure de la mère, génitrice et nourricière, occupe évidemment une place primordiale dans l’évocation du souvenir culinaire lié à l’enfance. Entre hommage à une femme disparue et interrogation sur la constitution d’une identité, le portrait de la mère aux fourneaux (ou des substituts que sont grand-mère, tante ou gouvernante, etc.) participe souvent d’un processus de deuil. Dans son roman autobiographique Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi 3 , Mathias Malzieu évoque sa mère, celle qui était un peu « sorcière pour faire à manger. » : « Sa cuisine était son atelier, son antre à parfums et fumées. Elle faisait monter les œufs à la neige avec un coup de poignet souple comme un roulement de tambour. Pour les crêpes, elle ressemblait à un DJ, jonglant avec les plaques chauffantes et les poêles comme si elle passait des disques – à croire qu’elle cuisinait des disques mangeables ou des crêpes écoutables dans mon vieux mange-disque orange. Elles étaient bonnes, ses crêpes, elles sonnaient « crrrépissssima » tout craquait ! splashaient l’huile et les pincées ! » La mère devient ici un être hors du temps, doué de pouvoirs magiques qui créent un univers établi sur des correspondances entre le goût, l’ouïe et l’odorat comme le prouvent les images des «crêpes écoutables» ou des « disques mangeables » que l’objet symbolique du «mange-disque» synthétise. Le « mange » sera force maternelle et le « disque » force filiale. En effet, la transmission est au cœur de cette description puisque Mathias Malzieu est le chanteur du groupe à succès Dionysos. Ainsi, l’apparition maternelle se fait à travers

2 3

Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, « Points essais », Seuil, 1996. Mathias Malzieu, Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi, 2006, J’ai lu.

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l’évocation de la musique : la cuisine devient chant et vacarme qui rapprochent passé et présent. L’originalité de ce portrait tient à la place importante accordée aux sons alors que l’on aurait pu attendre quantité d’adjectifs pour décrire le goût et non le bruit des crêpes. Essentielle pour sa vie d’artiste, la musique est pour Mathias Malzieu, dans cet extrait, le point commun qui le relie à sa mère et qui lui permet de glisser du portrait à l’autoportrait. Associer souvenir de la mère et souvenir culinaire permet de tenter de remonter le temps, revenir aux origines et de faire exister encore, à travers les mots, la figure de la disparue. Pour d’autres auteurs, la description d’une réminiscence alimentaire accompagne la recherche de racines, d’ancrage dans une histoire familiale incomplète. Dans Le Voile noir 4, Anny Duperey évoque la disparition accidentelle de ses parents, morts intoxiqués au monoxyde de carbone dans leur pavillon neuf. Agée de huit ans, la fillette d’alors est élevée par sa famille paternelle alors que sa sœur, Patricia, seulement âgée de quelques mois, est confiée à sa grand-mère maternelle, celle dont la puissance et l’affection lui valent le surnom de « la lionne». Séparées, les deux jeunes femmes ont pourtant en commun un gâteau particulier : « De cette époque, je garde une recette que je n’ai jamais oubliée. Pour ma sœur et moi, il reste LE gâteau, le gâteau de mémé, le gâteau de notre enfance. Il est d’ailleurs la seule réminiscence que nous ayons en commun, puisque ma grand-mère, après la mort de nos parents, éleva ma petite sœur alors que je partis dans ma famille paternelle- le goût de ce gâteau reste donc le trait d’union de nos enfances séparées. Je continue de le fabriquer pour les Noëls et anniversaires, une manière de célébrer un vestige, de perpétuer l’unique tradition familiale. Une fois la fête passée, nous avons tout le loisir, ma sœur et moi, de déguster ce gâteau fabuleux […] en mémoire de notre grand-mère, car sa teneur en calories défiant tous les records

4

Anny Duperey, Le Voile noir, 1992, Points, Seuil (p62-63).

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le rend absolument indigeste pour d’autres estomacs que les nôtres… Voici de quoi se compose la chose : Une purée de châtaignes mélangée de chocolat noir fondu, liés par une crème de beurre et de sucre à poids égal, puis de la poudre d’amande parfumée au kirsch. Le tout, décoré de cerneaux de noix, est mis au réfrigérateur une nuit […] et finalement nappé d’une crème anglaise.[…]. Tout y est. C’est magnifique. Aucun être humain normal ne peut en ingurgiter plus de trois cuillères, nous, on vide un compotier sans problème. La nostalgie de l’enfance aurait-elle une influence sur les sucs gastriques ? Ce gâteau, c’est tout le portrait de ma grand-mère, délicieux et lourd, rassurant à souhait et relativement dangereux pour les constitutions fragiles-gare au KO hépatique. » L’évocation de ce dessert, quelque peu consistant, permet à l’auteur d’établir une comparaison entre la recette donnée et la personnalité de sa grand-mère mais également d’analyser un élément fondateur et précieux, puisqu’exceptionnel, qui l’unit à sa sœur. Cette « purée de châtaignes » est constitutive d’une sororité, certes fragilisée par le manque de souvenirs communs, mais bien élective puisque Anny Duperey et sa sœur sont les deux seules à pouvoir en manger en grande quantité. L’ironie de la romancière, qui prend le parti de faire une présentation peu ragoûtante du plat, prouve que ce n’est pas tant la finesse gastronomique du dessert qui compte que son caractère symbolique, à la fois « vestige » que l’on fait apparaitre aux moments où la famille manque le plus, « les Noëls et anniversaires » et « trait d’union » entre les morts et les vivants d’une part et les vivants qui ont été séparés malgré eux d’autre part.

De l’enfance à l’adulte Solliciter la mémoire, et en particulier la mémoire du goût, au sein d’une autobiographie est un moyen de s’inscrire dans une généalogie et de tenter de cerner sa propre identité comme l’affirme la sociologue Anne Muxel : « La mémoire est utilisée pour signifier un mode de ralliement à une entité collective : marquer la reconnaissance d’une origine, s’inscrire dans une généalogie, se rattacher à une distinction familiale en en perpétuant les attributs et les rites, ou encore se référer à un ensemble de valeurs communes » 5 Véhiculant des sentiments d’appartenance identitaire, le souvenir lié à la nourriture permet de se distinguer des autres de son âge, tout en affirmant le poids des coutumes familiales comme le prouve Marie Rouanet dans Nous les filles 6, récit de son enfance dans la région de Béziers dans les années cinquante : « Chacune avait son ou ses goûters préférés dont nous nous régalions avant l’heure, en 5

Anne Muxel, Individu et mémoire familiale, Nathan, 1996, p. 15

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en parlant. Pour moi, qui aimais le salé, je demandais à ma mère d’arroser le pain d’huile et de le saupoudrer de sel. À la saison, je mangeais cela avec une grappe de chasselas. D’autres mettaient du sucre sur leurs tartines de beurre ou mangeaient leur pain avec un ou deux morceaux. Je mâchais longuement chaque bouchée et c’est pour cela peut-être que ce goût est perdu ou alors parce que le chocolat aujourd’hui est plus raffiné, moins rustique que le chocolat ordinaire que nous mangions. Ou encore parce que la faim des enfants est plus violente que celle des adultes. Mon père disait toujours que nous devions « faire notre squelette » et nous réservait à table les meilleurs morceaux : « Donne-le aux petites, disait-il, moi j’ai fait mon squelette » et, avec ma mère, ils nous laissaient le milieu du bifteck et gardaient pour eux les bordures. » La petite fille se distingue des autres dans cet extrait où le « chacune » s’oppose au « nous ». Il s’agit d’évoquer, sans doute pour faire envie, la particularité de son goûter, nourriture privilégiée de l’enfance. Dis-moi ce qui constitue ton goûter et je te dirai quelle est ta famille, en somme. Le partage passe par les mots pour décrire et évoquer et en même temps affirmer son identité puisque Marie Rouanet se distingue par son désir de salé. Le goût unique et emblématique est évidemment « perdu » puisque le chocolat de maintenant est « plus raffiné » mais surtout parce que le temps s’est échappé. L’interrogation sur les raisons de cette perte permet d’évoquer la table familiale, véritable nid nourricier puisque l’image des parents donnant le meilleur morceau que constitue le « milieu du bifteck » rappelle le comportement des oiseaux, prêt à se sacrifier pour assurer une constitution robuste à leur progéniture. En mettant en scène ce moment particulier de l’enfance qu’est le goûter, Marie Rouanet semble savourer son passé, le moi recrée avec plaisir un instant plaisant qui explique sa construction.

Laissons mijoter… Et si, finalement, le lien étroit entre réminiscence culinaire et écriture autobiographique s’expliquait avant tout par une même appréhension du temps ?

6

Marie Rouanet, Nous les filles, De Borée, 1990.

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Comme dans la transcription d’un souvenir, l’acte culinaire consiste à sélectionner de bons ingrédients, à les assembler avant de procéder à leur cuisson. Mais nous le savons, la bonne cuisine, celle à même de déployer le plus de saveurs et d’émotions, est celle qui mijote, qui prend du temps et se fait promesse de délices pour celui qui a su l’attendre. Il ne s’agit plus alors d’une temporalité du quotidien, mesurable en minutes ou secondes, mais plutôt d’un espace temporel autre, comme l’expose Malek Alloula dans son essai Les festins de l’exil 7: « J’aime imaginer, en matière d’art culinaire, que le temps n’est pas seulement une catégorie abstraite, mesurable. J’aurais plutôt tendance à y voir l’ingrédient par excellence, aussi indispensable que le sel, le poivre et autres épices que l’on verse dans le plat de cuisson. Aussi, pour telle ou telle préparation, mes recettes idéales préciseraient : « Ajoutez 3 cuillères à soupe de temps » […] Mais tous ces temps mêlés – ceux d’une immémoriale histoire alimentaire – confondus au fond du fait-tout, n’ont absolument rien à voir avec le temps de cuisson chronométré, lui, strictement neutre, extérieur, interchangeable, sans goût et sans saveur en définitive. Macérant ensemble dans leur jus, infusant lentement, échangeant par osmose leurs saveurs cachées, se sublimant l’un l’autre pour une synthèse chaque fois nouvelle, ces temps créent un temps spécifique du plat, lui donnent un temps, une atmosphère, une musique propre. » L’énumération de participes présents « macérant », « infusant » et « échangeant » employée par Malek Alloula pourrait facilement caractériser l’écriture du souvenir qui consiste justement à opérer une « synthèse chaque fois nouvelle » entre le passé et le présent, l’émotion et la recherche d’objectivité, pour aboutir à un temps spécifique, qui ne serait plus celui du « plat », mais celui de l’écriture d’une quête mémorielle qui se caractériserait par la (ré) apparition de sons, de couleurs et de saveurs que seules patience et lenteur permettraient d’assembler, de mitonner avec soin. Mémoire et nourriture sont donc deux thèmes complémentaires. Mettant en jeu des processus similaires, la constitution du goût et la démarche autobiographique permettent de mesurer la part d’inné et la part d’acquis propres à chaque individu. L’influence du milieu d’origine, la figure de la mère nourricière et ses avatars, ou encore

7

Malek Alloula, Les festins de l’exil, Françoise Truffaut éditions, 2003, p54-55 8 In Le matin du départ, émission du 18 avril 2015, France inter. http://www.franceinter.fr/emission-le-matin-du-depart-thierry-marx-la-cuisine-cest-donner-de-la-memoire-a-lephemere.

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le plaisir de solliciter une mémoire affective composée de plusieurs strates sont autant d’éléments qui accompagnent la recherche d’un moi qui se révèle à travers ce qu’il a mangé. Finalement, cuisine et écriture témoignent d’une même appréhension d’un temps toujours trop court, trop éphémère et dont la valeur ne se révèle qu’a postériori comme l’affirme le chef Thierry Marx : « La cuisine, c’est donner de la mémoire à l’éphémère. » 8. Tout comme l’écriture. Autres suggestions de souvenirs culinaires dans l’écriture d’inspiration autobiographique : - Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes : le souvenir de la limonade (trop rare) et de la fontaine rafraîchissante lors des baignades estivales dans le Cher. - Michel Leiris, L’âge d’homme : l’opération des végétations, synonyme pour l’auteur de trahison et de défiance à l’égard des adultes et notamment du chirurgien qui invite, perfidement, le garçonnet à « jouer à faire la cuisine » avant de le mutiler. Le sorbet à la fraise donné en guise de soin sera synonyme de dégoût. - Pierre Loti, Au Maroc : la découverte enthousiaste de la cuisine marocaine, à Czar, après une longue marche harassante : couscous sucré, salé, mouton rôti ou encore les « sabots de gazelle ». - Jules Vallès, L’Enfant: les tentatives de la mère du narrateur pour le forcer à manger tout en le privant de ce qu’il aime : poireaux, hachis aux oignons, gigot…

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« ça sent la chair fraîche ! » De la douleur d’être ogre Par Dalie

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Au commencement était…la faim L’ogre a faim, très faim. Trop faim. Souvent. Tout le temps. Il n’est que d’observer la table de l’ogre de Zéralda pour le comprendre. L’ogre est tourmenté par une faim qui ne veut pas se taire. Manger devient une obsession, une raison de se lever, de chasser, de transgresser tous les tabous quelle que soit la culture. Ogres d’Occident et Ogresses d’Orient s’en mettent plein la panse. La Mama Rhoula arabo berbère dévore les enfants crus ou cuits, Baba Yaga fait de même, la Dougayra du Yemen, se régale de petits enfants engraissés à souhait. Même l’ogre naïf de Moscovie dépeint par Victor Hugo finit par aller contre sa passion première : l’amour. Le poème hugolien, raconte en vers légers et plein d’humour comment un ogre, voulant séduire une fée dont il était tombé amoureux se rend chez elle et à force d’attendre dans l’antichambre, à force d’ennui, il finit par lui manger son enfant: « L’ogre se mit alors à croquer le marmot./ C’est très simple. Pourtant c’est aller un peu vite, /Même lorsqu’on est ogre et qu’on est moscovite, /Que de gober ainsi les mioches du prochain./ Le bâillement d’un ogre est frère de la faim. » La fée, furieuse qu’on lui ait mangé son fils ne peut être séduite… Telle est la morale hugolienne, fin connaisseur en jupons et en gastronomie. « Croquer le marmot », c’est attendre après quelque chose et ce dont les ogres sont le moins pourvus, c’est justement la patience. La faim presse et oppresse l’ogre sans fin… Pourquoi l’ogre est-il donc en quête ? A cause du vide. Du vide qu’il a en lui.

L’empire du vide « Il était une fois une femme si méchante qu’elle rêvait de dévorer un enfant » nous raconte Valérie Dayre dans L’ogresse en pleurs. La quête de l’ogresse s’étend de village en village où elle réclame un enfant à son goût, sa faim augmente et elle continue d’avancer dans des mondes inconnus où ses demandes forcent les villageois à cacher leurs enfants. La démesure dévorante de l’ogresse la poursuit tout autant qu’elle poursuit sa chasse, elle ne peut contenir son envie, son désir monstrueux d’enfant : « - N’importe lequel ! gémissait maintenant l’affamée. Donnez-moi le plus maigrichon, le plus couillon ! (elle avait abaissé ses prétentions). Dans les maisons, on se taisait. Des couillons ? Des maigrichons ? Si on en avait, on se les gardait. » Les illustrations de Wolf Erlbruch évoque un appétit en mouvement ; la robe à pois et à carrés noirs, la Les Agapes des Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines

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bouche rouge descendante, les mains aux doigts anormalement souples et la taille de l’ogresse dans l’économie de la page, font de cette ogresse l’archétype de la dévoration. Elle finit par trouver un enfant. Son plaisir est immense. Et l’on partagerait presque sa consolation, sa jouissance à satisfaire son désir. Mais cette quête aux tonalités tragiques est un échec, même si l’ogresse finit par se rassasier. Lorsque la faim a fini de l’aveugler, lorsqu’elle tourne les yeux vers ce qui l’entoure, elle comprend que c’est son enfant qu’elle a mangé. Et ses pleurs reprennent dans une litanie douloureuse et pathétique: « Un petit. Donnez-moi un petit. Donnez-moi un petit à aimer. On m’a pris le mien. On me l’a mangé. Un petit, un tout petit. A aimer. A aimer sans le manger… répèteelle sourdement, parce que les mots sont confondants.» Le soir, assez tard, quand la tiédeur du soleil traîne encore dans la ville, moi je l’entends l’ogresse, je l’entends gémir dans son fol amour dévorant, et ça me fait quand même un peu de peine. Cette faim inextinguible fait de l’ogre un être dévoré par le vide. Ce qui est au fond de l’ogre, c’est un empire, l’empire du vide : un vide tel que tous les plaisirs ne lui suffisent pas, un vide si terrifiant que toutes les littératures continuent de l’explorer. Mais ce n’est pas tout.

voit les ogres engraisser leur proie, les accommoder de lard. Pas question de carême ni de ramadan. Peut-être est-ce Gru, du film d’animation Moi, moche et méchant qui donne l’explication simpliste de ce mal. Alors qu’il est déguisé en fée pour faire plaisir à sa fille, un enfant l’interroge sur son embonpoint : « Pourquoi vous êtes si grosse ? » Et Gru de répondre : « Parce que ma maison est en bonbons. Et parfois, je mange au lieu d’affronter mes problèmes. » Boulimiques et drôles, nos ogres ? Les histoires d’ogres ne sont pas toujours écrites pour faire rire. En Russie, paraîtil, pour inciter les enfants à manger on leur énonce : « si tu ne manges pas, elle te mangera ». Elle, c’est Baba Yaga. On ne reviendra pas sur les théories psychanalytiques qui plaident en faveur du rôle prescriptif des contes, car dans la réalité, un ogre ressemble à tout le monde, c’est l’appétit qui le désigne, c’est l’appétit qui le trahit. Et son menu aussi... L’ogre de Tomi Ungerer s’humanise grâce aux talents de cuisinière de la jeune Zéralda. Au cannibalisme primitif, on substitue la gastronomie et l’art culinaire de la petite fille, qui devient jeune fille, et épouse l’ogre débarrassé de son ignominieuse nature. Mais à bien regarder le happy end, on observe un des quatre enfants du couple qui tient dans son dos un couteau et une fourchette... Ah ! Atavisme carnivore quand tu nous tiens…ou comment chasser l’ogre qu’on a en soi…

Trop gras, trop sucré, trop salé. L’ogre est aussi atteint d’un mal que l’OMS combat ; ce mal fascine la société ET la littérature. L’ogre se repaît d’une sensualité perverse, interdite : il aime ce qui est trop gras, trop sucré, trop salé. La goinfrerie incestueuse côtoie une anthropophagie démesurée. On

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L’ogre intérieur, l’ogre con. Le vide de l’ogre, sa douleur, son mal peuvent même le rendre anorexique comme nous le raconte Poslaniec dans un ouvrage des éditions Ricochet illustré par Pef. Cet album ne fait pas l’unanimité : des enfants pendus à des crocs de boucher, une ogresse semi-dépressive qui ne veut pas manger d’enfant et à qui on va prodiguer mille et une fantaisies pour la sauver d’une mort certaine (celle de l’anorexie), cela peut effrayer certains médiateurs du livre… Christiane Olivier, psychanalyste, intitule son essai sur les violences personnelles et familiales « l’ogre intérieur ». Et à ce titre le texte de Poslaniec et les illustrations féroces mais drôles de Pef permettent de visualiser les terreurs du « manger », le vertige de l’anorexie. Dans sa fameuse Métaphysique des tubes, Amélie Nothomb décrit la conscience de la petite enfance où être soi-même un « tube » amène à considérer Dieu lui-même comme un « tube ». La métaphysique du vide et du plein interroge l’être et le non être. Le vivre et le mourir. L’immanent et le transcendant. Pour faire disparaître le corps et ses désirs impérieux. Dans le genre histoire d’ogres au pari risqué, il y a l’incroyable Les ogres sont des cons, d’Albert Lemant à l’Atelier du Poisson Soluble. L’ogre, un con ? En tout cas, cet album en est la démonstration certaine : quand il a fini de tout bouffer, il ne reste rien. Voilà la connerie en question. Les gravures d’Albert Lemant sont d’une qualité graphique inouïe et le récit à l’humour plus que noir nécessite une distance qui me fait répéter que les albums illustrés ne sont pas que pour les enfants. Affamés ou pas.

« Le ventre rassasié se moque bien du ventre affamé » affirme un proverbe berbère bien connu. Ventre creux, joues creuses, larmes de faim dessinent la situation initiale de nombreux contes. Sacrifiée par leur parents, la cohorte des enfants miséreux traverse dans un flux universel les récits traditionnels, car l’ironie de la faim dans la littérature, c’est que la proie de l’ogre, c’est souvent le pauvre comme Pascale Romagnat le note dans une séquence sur le Petit Poucet : l’ogre qui ne reconnaît pas ses filles est la figure même du pouvoir royal et féodal qui tue sans merci et assujettit les plus faibles. A ce titre, il est un poème magnifique d’Arthur Rimbaud illustré par Lauranne Quentric aux éditions Mouck : Les effarés. Ils sont plusieurs, la faim au ventre, face à un boulanger qui fait du pain, la faim des pauvres devient un poème poignant écrit par un jeune homme dont l’écriture éternelle et universelle saisit l’image de la faim en quelques vers : « Ils voient le fort bras blanc qui tourne/La pâte grise et

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qui l’enfourne/Dans un trou clair./Ils écoutent le bon pain cuire./Le boulanger au gras sourire/ Grogne un vieil air./ Ils sont blottis, pas un ne bouge,/ Au souffle du soupirail rouge/ Chaud comme un sein. » Ce n’est ni Oliver Twist, ni Hansel et Gretel qui le contrediront. L’ogre, c’est l’image du plein et du vide et les illustrateurs choisissent différentes manières de le représenter.

Comment croquer un ogre ? Quand les illustrateurs croquent un ogre, ils ont à cœur de mettre en valeur leur grande bouche, et leurs grandes dents. Métonymies et/ou synecdoques évidentes de la dévoration, ces topoï de la représentation de l’ogre sont souvent repris dans la représentation caricaturale de propagande. Durant la première guerre mondiale, pour justifier et amener les troupes en masses au front, le soldat allemand est représenté comme un ogre. La propagande anti-allemande puise dans l’imaginaire du Bestiaire enfantin et choisit tout particulièrement l’ogre à l’appétit démesuré et vicieux. La mâchoire aux dents pointues comme le casque, la bouche disproportionnée. L’ennemi est un monstre, qu’on se le dise. Et il n’est pas si difficile de fabriquer un ogre.

Parce que l’ogre, c’est l’Autre. Cet autre qui ne me ressemble pas, cet autre qui me fait peur ; c’est l’ogre. En a-t-on fini avec les ogres, avec la faim des ogres ? La peur règne toujours, les jeux de pouvoirs, la désolation du vide aussi ; même si les forêts que les enfants traversent ne sont pas celles d’antan, même si nos chemins ne sont pas ces routes sinueuses et interminables du passé, les ogres et la peur des ogres demeurent. Il suffirait sans doute de savoir les reconnaître…Voilà quelques indices éprouvés par toutes les littératures du monde : Les ogres sont vides. Les ogres ont faim de notre peur. Les ogres veulent nous manger.

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Œuvres citées

L’ogre de Moscovie Auteur : Victor Hugo Illustrateur : Pef Editeur : QuiQuandQuoi

Le Géant de Zéralda

Auteur et Illustrateur : Tomi Ungerer Editeur : L’école des Loisirs

Les Effarés

L’ogresse en pleurs

Auteur : Arthur Rimbaud Illustrateur : Lauranne Quentric Editeur : Mouck

Auteur :Valérie Dayre Illustrateur : Wolf Erlbruch Editeur : Milan

Les Ogres Sont Des Cons

L’ogrionne anorexique

Auteur et Illustrateur : Albert Lemant Editeur : Atelier Du Poisson Soluble

Auteur : Poslaniec Illustrateur : Pef Editeur : Ricochet

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Quelques conseils de lectures Œuvres patrimoniales : l’origine de l’Ogritude

Ulysse et le cyclope

Auteur : Hélène Montardre Éditeur : Nathan jeunesse

Gargantua

Auteur: François Rabelais, Adaptation : Christian Poslaniec, Illustrateur : Ludovic Debeurme Editeur : Milan

Hansel et Gretel

Le Petit Poucet

Auteur : Charles Perrault

Ogres et Géants

Auteur : Grimm

Cf version récente de Rascal chez Pastel.

Auteur : Gudule Illustrateur : Didier Millotte Editeur : Nathan

Les plus récents : des histoires de familles… De nouveau un fils qui veut lutter contre l’atavisme paternel.

La promesse de l’aube est la promesse de l’amour maternel, la promesse de l’ogre, est l’émanciaption d’un fils face à l’horreur paternelle.

Petit Ogre veut un chien

Auteur : Agnès de Lestrade Illustrateur : Fabienne Cinquin Editeur : La poule qui pond

La Promesse De L’ogre Auteur : Rascal Illustrateur : Régis Lejonc Editeur : Ecole Des Loisirs (L’) Collection : Pastel

Sur le fait d’avoir les yeux et l’imagination plus gros que le ventre !

Marguerite aperçoit un monsieur avec maman, elle en est sûre c’est un ogre…

Je veux manger un lion !

L’ogre et Marguerite

Auteur : Christophe Mauri Illustrateur : Nathalie Dieterlé Editeur : Casterman

Auteur : Raphaële Frier Illustrateur : Solenn Larnicol Editeur : Talents hauts éditions

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Des relectures contemporaines : les ogres repentis, punis ou récidivistes

L’amour

au

secours

de

Jusqu’au bout de la faim, on se fait bouffer !

l’ogritude.

Miam

Le Déjeuner De La Petite Ogresse

Auteur : Anaïs Vaugelade Illustrateur : Anaïs Vaugelade Editeur : Ecole Des Loisirs

Auteur : Christian Roux Illustrateur : Christian Roux Editeur : Seuil Jeunesse

L’autre, c’est le monstre solitaire et abandonné des autres.

Une version iranienne, la Zéralda iranienne adoucira l’ogre avec du sucre…

Auteur : Karim Ressouni-Demigneux Illustrateur: Thierry Dedieu Editeur : Rue Du Monde

Auteur : Jihad Darwiche Illustrateur : Farshid shafiey Editeur : Lirabelle

L’ogre

Poupée de sucre

Un ogre qui n’en peut plus d’être un ogre !

Le suspens d’une enquête où les ogres sont véritables.

Raoul

Au bonheur des ogres

Auteur : Sylvie Wibaut Editeur : La Joie de Lire

Auteur : Daniel Pennac

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Toute la subtilité d’être petit dans un monde dangereux !

Relecture de la question du mal fait ogre : un ogre découvre la neige, puis, il peut voler, que fera-t-il de ses nouveaux pouvoirs ?

Bonnet d’or et Les trois ogres

Ogre vole

Auteur : Eric Battut Illustrateur : Eric Battut Editeur : L’élan Vert

Auteur : Rascal Illustrateur : Edith Editeur : Pastel, école des loisirs

Un ogre qui n’en n’est pas un. Un héros en somme qui sauve les enfants d’une mort certaine.

Un ogre qui se plaît à apprendre des mots au lieu de dévorer les enfants qui les prononcent. La civilisation ?

Auteur : Michel Escoffier Illustrateur : Clément Lefèvre Editeur : Chocolat Jeunesse

Auteur : Cecile Roumiguiere Illustrateur : Barroux Editeur : Belin

Le Voleur d’enfants

Ogre, cacatoès et chocolat

Un classique de l’Ecole des loisirs, un ogre un vrai à qui il arrive toutes sortes de malheurs…

Un ogre encore transgression…

Auteur : Solotareff Editeur : Ecole des Loisirs

Auteur : Marie Hélène Delval Illustrateur : Pierre Denieuil Editeur : Ecole des Loisirs

Série des Monsieur l’ogre

vierge

de

toute

L’ogre qui avait peur des enfants

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Un album à compter : suffit d’ouvrir le livre pour savoir ce que le monstre a ingurgité : 2 sorcières, 3 vampires etc…

Le titre se passe de commentaire : entre BD et album, la quête du plein et du vide d’un ogre. A la fois littéral et plein d’humour.

Auteur : Cédric Ramadier Illustrateur : Vincent Bourgeau

Auteur : Jean Leroy Illustrateur : Matthieu Maudet Editeur : école des Loisirs;

Un ogre

Une faim d’ogre

Roman engagé qui raconte l’histoire d’un monde où les ogres élèvent les enfants en batterie, il suffit de les gaver de nourriture industrielle et de leur faire regarder la télévision. Un jour, une maladie se déclare. Et il est décidé d’abattre les enfants malades. Un ogre maigre, décide, lui, de faire autrement…

La quête ratée d’un ogre qui s’ennuyait d’être détestable. Le talon d’Achille du féroce : la gentillesse d’une petite fille. Un brin naïf et redondant. Mais bon..

L’ogre odieux

Auteur : Norton Juster Illustrateur : Jules Feiffer Editeur : Pastel école des Loisirs

L’ogre maigre et l’enfant fou

Auteur : Sophie Chérer Illustratrice: Véronique Deiss Editeur : école Des Loisirs

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La bouffe qui tue sa mère !

( ou son frère, son père, son amant, sa sœur, son ex-amante, sa femme, son mari, son rival…etc…) Par Emanuelle Lachaume et Dalie

« Entre une empoisonneuse et une mauvaise cuisinière il n’y a qu’une différence d’intention »1 Pierre Desproges avec sa singularité inimitable souligne la différence notable qui résume bien un des rapports entre la littérature et la cuisine : l’intention. En effet, les cuisines empoisonnées traversent la littérature de manière aussi foudroyante qu’insidieuse.

Les empoisonneurs Dans Les Vies des douze César, Suétone nous raconte l’histoire de plusieurs empoisonneurs : Agrippine et son fils Néron. Le portrait de l’Augusta Meretrix2 à qui l’on prête scandales, meurtres commandités et autres finasseries révèle une maîtresse en banquets où chair et chère se faisaient bonnes, mais risquées. Tite-live lui, fait le récit de ces 190 matrones qui auraient empoisonné leur mari3. Parce qu’il faut bien le dire, souvent, on se tue en famille, lors de repas, lors de Dans ce tableau de John Collier, Un verre de vin avec César Borgia, on voit la suspicion des uns et des autres : moments de convivialité et de douce le vin est-il empoisonné ? euphorie… On connaît bien désormais -grâce à la série de Canal +-, Les Borgia4, et leur fâcheuse tendance à se tuer les uns et les autres, dans une lecture toute personnelle de l’eucharistie et du message christique… La table de tous les dangers est la table de famille, surtout si c’est celle du pouvoir, de la puissance. N’est-ce pas là la vengeance de la marâtre de Blanche-Neige…? « Néron empoisonna Britannicus non moins par jalousie pour sa voix, qu’il avait plus agréable, que par peur qu’un jour le souvenir de son père ne le supplante auprès de la faveur des hommes. »5

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Les empoisonnements volontaires Mais l’empoisonnement se révèle parfois un acte héroïque. Qui ne connaît pas l’image tragique et noble d’un Socrate qui accepte sa condamnation en levant son verre de cigüe, comme s’il trinquait aux Idées qui, elles-seules, côtoient le monde des Dieux ? « Socrate dit : « Eh bien, mon brave, comme tu es au courant de ces choses, dis-moi ce que j’ai à faire. — Pas autre chose, répondit-il, que de te promener, quand tu auras bu, jusqu’à ce que tu sentes tes jambes s’alourdir, et à l’heure de te coucher ; le poison agira ainsi de lui-même. » En même temps, il lui tendit la coupe. »6 Démosthène fera le même geste, mais les empoisonnements volontaires n’ont pas toujours la même dimension philosophique. En cela la mort d’Emma Bovary révèle toute la médiocrité et l’échec de sa vie ; Flaubert, sans pitié, la laisse agoniser longuement avec pour musique la chanson paillarde d’un ivrogne… La description détaillée de la belle Emma se révèle un document scientifique d’une rare précision «poétique» : « Le confrère ne fut nullement de cette opinion et n’y allant pas, comme il le disait luimême par quatre chemins, il prescrivit de l’émétique afin de dégager complètement l’estomac. Elle ne tarda pas à vomir du sang. Ses lèvres se serrèrent davantage. Elle avait les membres crispés, le corps couvert de taches brunes, et son pouls glissait sous les doigts comme un fil tendu comme une corde de harpe près de se rompre. Puis elle se mit à crier horriblement. »7

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Les crimes passionnels et politiques : de la jouissance (littéraire) de tuer Si les passions sont pour Kant des maladies de l’âme, elles servent aussi souvent à empoisonner les corps. Ainsi, Balzac dans La cousine Bette, fait mourir l’infidèle Valérie et son nouveau mari, l’ancien boutiquier Célestin Crevel, d’un poison distillé par les voies sexuelles. Machiavélique et sordide à souhait, les vengeances par le poison font le tragique des pièces de théâtre, le suspens des romans policiers. Quelle terreur quand Lucrèce Borgia annonce à ses convives qu’elle vient de les empoisonner ! Quelle merveilleuse trouvaille que l’empoisonnement mystérieux du Nom de la Rose d’Umberto Eco ! Celui qui maîtrise l’effet dramatique du poison est sans nul doute William Shakespeare qui nous offre des scènes d’empoisonnements d’une puissance exceptionnelle. La saga des Rois Maudits de Maurice Druon figure aussi cette course politique rythmée par les trahisons et les meurtres où l’empoisonnement tient un rôle phare. Restent en mémoire les images des grandes tablées où la mort peut se glisser entre deux plats de gibier… L’empoisonnement possède même ses luttes sociales, ses revendications et il est souvent l’apanage du féminin : Comment interpréter autrement le meurtre des Diaboliques du film de Clouzot ? Ou si l’on reste en littérature, la geste comique de la Douce empoisonneuse d’Arto Paasilinna ? Comment lire la pièce de Jean Genet, où l’empoisonnement à la tisane au tilleul finit par tuer Claire dans les vêtements de Madame ? 8

Pierre Desproges, Fonds de tiroir. La putain impériale = Messaline. 3 Tite-Live, Ab Urbe Condita, livre VIII, 18. 4 Alexandre Dumas, Les Borgia. 5 Suétone, Vie des Douze César.

Socrate, Le Phédon. Flaubert, Madame Bovary. 8 Victor Hugo trouve lui-aussi, par l’empoisonnement de sublimes dénouements : Ruy Blas et Hernani.

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Les recettes et les moyens de tuer par la bouffe sont aussi divers qu’ingénieux Pour ceux qui seraient en quête de techniques efficaces, Balzac répond avec minutie : « Il est certain que pendant le seizième siècle, dans les années qui le précédèrent et le suivirent, l’empoisonnement était arrivé à une perfection inconnue à la chimie moderne et que l’histoire a constatée. L’Italie, berceau des sciences modernes, fut, à cette époque, inventrice et maîtresse de ces secrets dont plusieurs se perdirent. [...] À Florence, cet art horrible était à un si haut point, qu’une femme partageant une pêche avec un duc, en se servant d’une lame d’or dont un côté seulement était empoisonné, mangeait la moitié saine et donnait la mort avec l’autre. Une paire de gants parfumés infiltrait par les pores une maladie mortelle. On mettait le poison dans un bouquet de roses naturelles dont la seule senteur une fois respirée donnait la mort. Don Juan d’Autriche fut, dit-on, empoisonné par une paire de bottes »9

Hécate, déesse des empoisonneuses.

L’empoisonnement possède son imaginaire, sa puissance liés aux transgressions sociales et culturelles et mêmes aux tabous de la table.10

La bouffe qui tue se vend bien. La bouffe tue, et les poisons ne sont pas toujours ceux que l’on croit. La toxicologie de nos assiettes effraierait une Messaline ou une Locuste locale : depuis Les raisins de la colère

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Balzac, Sur Catherine de Médicis. Jacquin Frédéric Nicolas Crouzet Denis, Les crimes et leurs imaginaires au XVIIIe siècle.

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où Steinbeck dépeint l’arrivée de l’agriculture de masse, violant la terre de ses machines bruyantes et infatigables, en passant par les romans décriant les industries alimentaires qui empoisonnent leurs clients en toute légalité, on sait que le poison est dans la terre, le verre et dans la pomme. Le fruit défendu, est toujours celui de la connaissance et mieux vaut ignorer comment les tomates poussent en hiver… Quand la littérature s’empare de la bouffe industrielle, on rit et on pleure avec la fameuse Famille Middlestein de Jami Attenberg, et on frémit avec Les yeux plus gros que le ventre de Jô Suarès…

Pharmakon : le poison et le remède. Désormais, les inquiétudes alimentaires de la réalité dépassent la fiction et c’est bien la littérature jeunesse qui s’empare le plus facilement des paradoxes du manger au XXIème siècle à travers le figure de l’Ogre ou des loups végétariens, parce que depuis quelques décennies, nous sommes nos propres empoisonneurs aussi dociles et paisibles que les vaches décrites par Apollinaire dans son poème « Colchiques » :

" Le pré est vénéneux mais joli en automne Les vaches y paissant Lentement s'empoisonnent Le colchique couleur de cerne et de lilas Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là Violâtres comme leur cerne et comme cet automne "

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Alcools, 1913.

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Pour en savoir plus ou pour en voir davantage

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Der Koch von Martin Suter Le cuisinier de Martin Suter Que les choses soient claires : je n’aime pas les polars. Ils empêchent mon âme fragile de dormir. Mais voilà, un homme qui cuisine et tout bascule, je flanche. Et quel homme ! Il s’appelle Maravan Vilasam, il ne fait pas de grandes tirades, il est silencieux et passe inaperçu dans la cuisine où il travaille à Zürich. Ses collègues à la moquerie facile pour ce demandeur d’asile, ne savent même pas que cet homme, employé comme simple aide cuisinier, a des talents extraordinaires. Il cuisine avec son histoire et son cœur. Seule sa collègue, la serveuse prénommée Andréa finit par découvrir ce dont il est capable : il peut préparer des repas aphrodisiaques qui vous raviveraient une flamme éteinte. La cuisine montre ici qu’elle a des pouvoirs insoupçonnés, qu’elle peut manipuler, contrôler les sens. « Le cuisinier » de Martin Suter, c’est l’histoire de cette maîtrise du contrôle que va gagner progressivement Maravan sur ses facultés exceptionnelles. Qui dit contrôle dit aussi apprentissage des limites que l’on ne souhaite pas dépasser. Ce livre sent la coriandre, le cumin, la

cannelle,

le

curry

et

bien

d’autres

parfums encore. Il prouve que le désir passe indéniablement par l’estomac. Ne reste plus qu’à vous laisser tenter, ce livre est jouissif, si j’ose dire…

Aude Thenot-Becker Les Agapes des Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines

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Quelques Polars :

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Tes codes, tes coudes ! Les règles de la «science de gueule»1

Par Karelle Gautron

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«Tes coudes ! Ta fourchette ! Tiens-toi correctement !» ... Le dîner était très important, maman me l’avait bien dit. Je faisais de mon mieux pour me tenir droite. La gorge serrée, je n’avais pas bien faim, même si maman m’avait fait promettre de faire honneur. Mon honneur, c’était d’être là, avec les invités. Une chance ! Un convive s’était décommandé au dernier moment et pour éviter d’être treize à table, j’avais été autorisée à dîner avec les adultes. Au début, je m’étais dit « quelle déveine ! » car Marie, ma gouvernante, m’avait promis de poursuivre le jeu des ombres chinoises. Au lieu de cela, j’avais dû répéter en hâte LES règles de savoir-vivre. J’essayais de me répéter les mots et les gestes mimés par maman. Les leçons qu’elle me faisait suivre depuis toute petite devaient porter leurs fruits. En Jean-François de Troy, Le fait, mère ne souhaitait pas être ridiculisée par la gaucherie de sa fille. déjeuner d’huîtres, 1734. Ce dîner avec M. De Norpois était trop important. Malgré l’animation de la table, très vite, très vite avais-je trouvé le temps long, long, long... C’est alors que la baronne Staffe est venue me prendre par la main. J’ai laissé avec plaisir les conversations adultes sur le général Boulanger. La baronne avec amabilité m’a conduite dans une salle à manger dont j’ignorais l’existence. Des chevaliers bruyants ripaillaient. Les plats étaient sur la table, des tréteaux en réalité : chapons au brouet de cannelle, paons au célereau, levrault au vinaigre rosat et chacun se servait, qui sur un morceau de pain, qui partageant une écuelle avec son voisin. Tout cela riait, trinquait, attrapant de sa dague un morceau puis l’autre, les sauces dégouttant sur la nappe qui faisait office de serviette. Mère n’aurait pas apprécié. Mais moi, je me serais bien vue en train de rire avec eux… Dans une salle adjacente, les convives semblaient plus corsetés. Catherine de Médicis nous avait devancées pour apporter la fourchette, rendue nécessaire, d’après les leçons de maman, pour ne pas maculer fraises et collerettes. L’élégante urbanité des dames se satisfaisait davantage d’une assiette individuelle. Dagues et épées avaient déserté la table, « le meurtre alimentaire n’est plus de bon aloi » répétait maman, les couteaux de table attaquent désormais les trois services au cours desquels les convives choisissent, parmi les plats Auguste Renoir, Bal du moulin de la Galette disposés sur la table, ceux qui leur conviennent : un 1876.

1

Montaigne Essais livre 1, chap.51

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poupeton de pigeon ? Un plat de caille à la braise ? Des laitues farcies à la Dame Simonne ? Si les convives sont plus calmes, leur cuisine ne me tente pas davantage. La baronne Staffe le lit sur mon visage et m’entraîne vers la salle suivante. Le service à la Russe a cours et je retrouve les pratiques de mère qui n’a de cesse de louer le service à la Russe, le meilleur service de la maisonnée... Le potage (précédé parfois des huîtres en hiver ou de melon en été) ouvre le repas. La volaille ou de petites pièces de boucherie lui succèdent. Vient le rôti accompagné de la salade. Viennent ensuite les légumes, classés comme entremets. « Tu retiens bien ? Oui, maman des entremets. » Les fromages, les entremets, les fruits se succèdent. Le rôti est le point d’orgue du repas et c’est le seul qu’on ne repasse pas, mère me l’a suffisamment fait répéter. Les modes de cuisson varient au cours du repas et contrairement à autrefois, si les plats Lewis Caroll, Alice aux pays des merveilles, illustré par Arthur sont d’abord présentés aux personnes Rackham, 1909. Alice assise à la table du thé de fous (chapitre 7). les plus marquantes, chacun, même en bout de table, peut espérer en manger comme les autres. « Question de patience ! Voilà tout, question de patience ! Oui, maman… » Cette table m’est plus familière et si le repas semble davantage orchestré, notamment par le maître d’hôtel qui peut se donner en scène en découpant les viandes ou poissons sur le guéridon, secondé par les serveurs, les convives font assaut de retenue et d’amabilité. Je me demande si je ne préférais pas les chevaliers plus bruyants mais bons vivants. « Il ne faut pas lorsqu’on est à table tenir le couteau à la main, il suffit de le prendre lorsqu’on veut

2

Les Règles de la bienséance et de la civilité chrétienne, 1695

3

Manuel de savoir-vivre pour le jeune Prince Henri de Bourgogne, 1530

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s’en servir» me murmure à l’oreille Jean Baptiste de La Salle 2 . Sa voix me rassure, je me dis que je vais sans doute me sortir de cette épreuve sans les récriminations de maman. «On doit être tellement disposé qu’on n’avance pas au-dessus plus que les poignets» Je me sens fatiguée, j’essaie de changer de position mais Erasme3 qui me connaît bien ajoute «S’asseoir tantôt sur une fesse, tantôt sur l’autre, c’est se donner l’attitude de quelqu’un qui lâche Alain Drouard Les Français et la table, Aliun vent, ou qui s’y efforce». Me voilà à peu près assise à ma place. mentation, cuisine, gastronomie du Moyen Age Il va falloir me souvenir maintenant de toutes mes leçons, je récite à nos jours en moi-même : qu’on n’offre plus le bras pour aller à table, on l’offre au retour, que les verres se rangent par ordre décroissant vers la droite, que l’on s’essuie la bouche avant et après avoir bu, que la fourchette bien que placée à gauche sera portée à la bouche par la main droite, que l’on mange le potage sans bruit, Eric Birlouez Festins que l’on ne touche son pain que lorsque le potage est achevé, celui-ci princiers et repas payd’ailleurs ne servira jamais à saucer une assiette ; sans à la Renaissance. le fromage se mange au couteau tout comme le potage, la salade et les desserts ne se repassent pas les légumes sont coupés avec le bord de la fourchette mais on mange le riz avec la fourchette et le couteau la salade se plie avec la tranche de la fourchette, elle ne se coupe pas, même si aujourd’hui les couteaux ne risquent plus de s’oxyder avec le vinaigre... J’ai l’impression maintenant que la Baronne de Rothschild s’est associée à ma mère et à la Baronne Staffe pour me répéter en boucle Revue Géo Histoire que les crevettes s’ouvrent à l’aide du couteau et de la fourchette que l’on mange certains fruits avec les doigts mais pas la banane, c’est août-septembre 2013 A Table ! vulgaire, on ne croque pas non plus dans les pêches et les brugnons Bien sûr on ne refroidit pas un café trop chaud en le transvasant dans la sous-tasse, on ne lève pas le petit doigt en le buvant on ne fait pas de commentaire sur la cuisine qui est forcément exquise... Les voix se confondent dans ma tête ponctuées d’un bruit sec répété de plus en plus fort. Finalement je me réveille quand ma mère crie mon nom, son regard est horrifié, je me suis endormie devant l’ananas aux truffes. Catherine Meurisse Savoir-vivre ou mourir

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L’entremets du psy - 93 -


Un enfant qui dit Non.

Il y a un moment très précis dans la clinique des enfants, dans les premiers temps de ce que l’on appelle l’apprentissage du langage, où les enfants disent « non ». Ils disent « non » systématiquement. Ils disent « non » à tout. Et de préférence avant tout, en tous cas, avant tout « oui ». Ce moment met en scène la métaphore originelle qui substitue le mot à la chose. Le premier « non » qui est dit par l’enfant est un « non » qui fait creuset pour qu’un mot vienne à la place et puisse se substituer à la chose. Ce « non » n’a pas la valeur d’une négation du contenu puisqu’il n’y a pas encore de contenu. Il y a simplement le moment où par ce « non » qui est dit, se trouve réalisé le meurtre de la chose, selon Hegel. Ce premier « non » a la structure d’un passage à l’acte normal de tout enfant qui apprend à parler, qui apprend le langage. Il faut savoir repérer ce moment-là. Il y a un petit garçon qui vient de temps en temps me parler. Il tient à peine debout. Il dit « non » systématiquement à quoi que ce soit « Tu veux aller dans le bureau du docteur ? » « Non ». On ouvre la porte et il rentre. Puis, il se présente devant un autre objet et dit « non » de la même façon. Il faut qu’il mette ce « non » sur chaque chose, et là se creuse la place pour la substitution d’un mot. Une forclusion est instaurée. Le Non forclusif n’est pas le non du refoulement, car le Non du refoulement ne fait que déplacer et pour déplacer il faut que ça soit déjà là. Le Non forclusif crée. Il crée le mot qui va venir à sa place. On va l’aider, quand il ne va pas dire les choses tout à fait comme on les dit dans le dictionnaire, ou dans la langue que les autres parlent. L’Autre de la langue et du dictionnaire, c’est-à-dire la maman, en général. Elle corrige la première rencontre forclusive de ce Non avec la chose. C’est un Non, ce Non forclusif, qui engendre la place où le symbolique doit pouvoir faire retour, c’est-à-dire qu’un mot va pouvoir prendre place, se substituer à une chose. Ce n’est pas un Non qui a une signification opposée au Oui. Il y a des Non qui ont valeur d’un Oui, c’est-à-dire le Non qui se transforme en Oui. Ce n’est pas de ce Non là qu’il s’agit ici. Ce meurtre du Non forclusif est corrélatif de ce qui fait le caractère fictif des objets en particulier. Les objets sont produits par le discours, des produits de la logique même du discours, et non pas de la réalité qui serait soi-disant avant. Que sait-on de la réalité qui est avant qu’on en parle ? On peut encore se tromper, s’illusionner, penser qu’on dit la réalité qui est auparavant à condition d’effectuer la traduction dans le langage. Mais ce n’est pas d’une traduction dont il s’agit, mais d’une création. C’est ce que Lacan appelle lalangue que chacun parle. Comment cette lalangue qu’on invente, qui est la psychose de base, oserais-je dire, comment va-telle permettre que nous parlions ensemble ? La référence de tout discours, la référence du langage, c’est cet objet qui est produit par ce S = signifiant 1 et 2 la paire signifiante minimale conformément à la définition du signifiant oppositionnel. L’entremets du psy - 94 -


Non forclusif. Cette référence du langage que crée ce Non forclusif, c’est un objet qui a simplement une consistance logique, dit Lacan, c’est l’objet a. Il n’y a pas d’autre référence au langage que l’objet a. et c’est pour cela que tout le monde délire. Dès lors qu’il n’y a pas de référence du langage, mais qu’il y a simplement une articulation qui est en jeu, alors il y a une référence qui est un fait d’articulation logique, c’est l’objet a. C’est cette absence de référence qui modifie l’attitude et qui caractérise la position de l’analyste. Freud, dès lors qu’il cesse de chercher le corrélat de réalité dans le discours de ses patients, invente la psychanalyse. L’écoute analytique découle de ceci qu’il n’y a pas de référence, sinon c’est une escroquerie. Ce qui le fonde dans cette attitude, c’est une option prise sur le fait que dans le langage il n’y a pas d’autre référence que l’objet a. Et la fin de l’analyse se joue autour de cet objet-là précisément. Autour de l’objet qui tient lieu de référence et qui est un objet strictement logique dans le langage. Le manque que le langage introduit est comme telle l’annulation de la référence, dit J. A. Miller. A strictement parler, nous ne parlons pas de ce qui existe, mais de ce qui n’existe pas avant qu’on le dise. En somme, ce petit garçon parle-t-il, ou est-il seulement dans cette pratique du langage qui consiste à taper sur les choses, d’ailleurs c’est ce qu’il fait aussi. Il passe son temps à taper sur les choses. Il fait le désespoir de sa mère qui se demande : « pourquoi est-ce qu’il tape sur les choses ? » Quel besoin a-t-il d’imprimer ce gestelà ? Il casse les objets. C’est parce qu’il tape fort qu’il les casse. On n’imagine pas que ce soit pour les casser. Ce geste de la main qui frappe, est le geste par excellence du passage à l’acte. C’est quand quelque chose n’est pas tout à fait symbolisé, par exemple dans le champ du regard, que tout d’un coup le poing se pointe et vient frapper l’objectif, visant la chose en ce qu’elle a de vivant et d’insupportable, mortifiant, faisant que la jouissance soit cadrée, qu’elle ne déborde pas. Alors, on comprend que dans le carnaval des jouets, les enfants fixent des objets, essayent de les fixer, de les maintenir là, qu’ils ne bougent plus. Tout acte de parole, du fait du langage, introduit de la négativité dans le monde sous les espèces et sous le mode des objets qui n’existent pas. Dès lors que le mot est substitué à la chose, le sujet jouit des mots à la place de jouir des choses. Du signe, on passe à l’articulation signifiante où, avec l’ordre symbolique S1 - S2 , la référence est exclue. Voilà ce que nous apprend cet enfant et ce que nous enseignent tout spécialement les autistes qui cassent.

Par J.R. Rabanel.

Psychanalyste et psychiatre

L’entremets du psy - 95 -


Le projet est à la mode, projet citoyen, projet individuel, projet collectif, projet collaboratif…mais il n’est pas simple de concevoir des projets qui ne sont pas de simples faire-valoir d’ego en manque de quarts d’heure (voire d’heures) de gloire ! Les thématiques littéraires et culinaires peuvent être à l’origine de plusieurs projets qui permettent créativité, inventivité et partages de mots et de mets. Voici quelques-uns de ces projets qui nous ont plu et qui pourraient être imités : • Les Ateliers de Fabienne Cinquin Sur la thématique du monstre, en soi ou hors de soi, Fabienne Cinquin a mis en place une résidence dans la petite commune de Busséol. • Bruits de couloir et sa princesse Malpolie L’association Bruits de Couloir, qui œuvre dans un Foyer d’Accueil Médicalisé. • Recettes d’écrivains au lycée de Chamalières Des professeurs dans un lycée hôtelier allient la littérature et la cuisine en recréant des recettes d’écrivains. • Le Festival Littérature au Centre Ce Festival original veut apporter au centre de la France, la littérature…pour tous ! • Le salon du livre de Courpière, ou avec peu de choses, la thématique de la gourmandise a mis dans une même salle cuisiniers, auteurs et illustrateurs.

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LE COIN SAVOUREUX DES LIBRAIRES ET DES LECTEURS - 97 -


Les ateliers de Fabienne Cinquin Dans le cadre du programme de résidence d’artistes du Grand Clermont, Fabienne Cinquin est accueillie durant toute l’année à Busséol, village de deux cents habitants de cette Limagne collinaire, entre Billom et Vic-le-Comte, que les agents immobiliers ont imaginé de baptiser « Toscane auvergnate ». En découvrant le village, Fabienne a été un peu interloquée : elle se voyait bien travailler sur les vitrines des commerces désaffectés, mais de commerce, il n’y a point : le café du coin a fermé il y a vingt ans, avec la carrière de basalte qui lui fournissait sa clientèle, et d’ailleurs il n’avait pas de vitrine. Ses projets en cours portent sur le bestiaire roman auvergnat, qui la passionne depuis l’enfance, mais à part un chapiteau de la salle des gardes du château et une gargouille sur la façade, le roman, lui aussi, tourne court. Lorsqu’elle se promène dans les rues, les rideaux se soulèvent sur le passage de l’intruse, mais les portes demeurent fermée ; l’immersion vire à la noyade. Heureusement, il reste les enfants, du village et des communes environnantes, qui viennent aux ateliers du week-end pour créer leurs costumes d’halloween, puis leurs décorations de Noël, et maintenant leurs masques de carnaval. Dans la salle des fêtes SaintAndré, Fabienne arrive les bras chargés d’immenses cartons : les enfants apprendront à voir grand ; ça n’est pas parce qu’on est petit qu’il faut faire dans la miniature. Ils manipuleront aussi de vrais outils : brosses et pinceaux, bien sûr, mais aussi cutters et ciseaux, et des encres qui font sur les vêtements de vraies taches qu’on ne peut pas faire partir. Aussi, pour ne pas faire le désespoir des mamans, on taille dans de grands sacs poubelles des blouses du plus bel effet et l’on peut s’en donner à cœur joie. Le seul instrument vraiment interdit, celui qui ne franchira pas les portes de l’atelier malgré les demandes insistantes des petits et des grands, c’est la gomme. On a droit au repentir, mais un tracé est un tracé ; on repasse, mais on n’efface pas. Ainsi, le ton est donné : avec la ligne et la couleur, les enfants apprendront aussi l’exigence et la responsabilité. Avec une infinie patience, Fabienne les invite d’abord à feuilleter les livres d’art qu’elle a disposés partout sur les tables et à y trouver des modèles ; Projets goûteux à dévorer et à partager - 98 -


figure romane ou masque Dan, tout est bon pour trouver l’inspiration. D’abord, donc, une éducation du regard. Puis une invitation à la lenteur et à la réflexion : « Tu ne vas pas le faire en cinq minutes ; fais un crayonné d’abord ». Avec Fabienne, on prend son temps, et ce refus de toute hâte, si peu dans l’air du temps, sied bien à Busséol qui vivait, il n’y a pas si longtemps, au rythme des attelages de bœufs. Vingt-cinq artistes en herbe se découvrent ainsi capables d’engager un projet de longue haleine. Fabienne invite à aller plus loin, à passer à un plus grand format ; elle guide, mais n’impose jamais : « C’est une possibilité, mais tu pourrais aussi… ». Et le résultat laisse les parents confondus et un peu inquiets de devoir, désormais, abriter un génie à la maison. D’halloween à carnaval, les bêtes à cornes succèdent aux monstres, mais on reste dans le registre contondant : canines et griffes, bois et défenses, encorneurs et buveurs de sang, anthropophages et bouffetoutcrus. Et puis tout se détraque et les monstres s’emballent : le cyclope d’Olivier ouvre un œil assassin, Théa succombe sous les attaques de son lapin à longues quenottes ; Camille, sous le masque, entreprend d’étrangler son petit frère (et là, je ne ris plus du tout, parce que ce sont mes enfants). On craint le pire pour le 27 février, lorsque les têtes blondes non seulement revêtiront leurs masques, mais enfourcheront des poneys pour défiler dans les rues : on s’estimera heureux s’ils ne brûlent que Carnaval. C’est donc un redoutable ferment de désordre qui s’est insinué, avec Fabienne Cinquin, dans le paisible village auvergnat. On savait l’auteure de Mordicus ou de Petit ogre veut un chien capable de toutes les subversions, mais on espérait qu’être exposée au Musée de l’Illustration Jeunesse de Moulins pour y incarner les tendances de l’illustration contemporaine l’élèverait à la hauteur de cette institution, l’assagirait au moins. Visiblement, rien n’y fait et les consécrations ne sont plus ce qu’elles étaient. Et avec ça, une désarmante modestie : elle regarde le lapin de Théa et s’exclame : « Qu’est-ce que j’aimerais savoir dessiner comme ça » !

Alain TISSUT

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Dans la marmite d’un ogre, une Princesse malpolie

En Haute-Savoie, à Monnetier-Mornex, dans un Foyer d’Accueil Médicalisé, on accueille des résidents adultes, 64 personnes présentant un handicap psychique qui ont besoin d’une aide et de soins constants. Ils ne peuvent pas être maintenus à domicile, ni travailler dans la vie professionnelle, mais aidés de leurs éducatrices et de l’illustratrice Debbie Scott, ils ont écrit un livre ! Leur album, La Princesse malpolie, a été présenté au Festival du Livre Jeunesse d’Annemasse organisé par la Bibliothèque Municipale de la ville, qui depuis 22 ans, promeut une littérature qui interroge le lecteur petit ou grand, sur son rapport au monde. Marie Agullo a rencontré Céline Ropars, une éducatrice du FAM pour Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines. Le livre raconte l’histoire d’une princesse malpolie qui fait tache dans un décor trop ordonné. Un jour elle décide de partir à la recherche d’un endroit qui lui ressemblerait, un monde un peu fou, dans lequel elle se sentirait à sa place. Elle embarque sur le bateau d’un pêcheur baroudeur et rencontre tour à tour une sirène, une baleine, un ogre… qui vont un peu compliquer ses ambitions. PAMG : Elle a un joli nom, votre Compagnie : Compagnie de bruits de couloirs… Quel est son statut au sein du FAM ? CR : Au tout début, la Compagnie c’étaient deux professionnelles qui se grimaient le vendredi matin en mimes et déambulaient dans les couloirs avec des histoires, des marionnettes. L’idée c’était d’apporter du surprenant, d’animer les couloirs… Art de rue. Pourquoi pas Art de couloirs ? Leur idée, dès le départ, c’était un jour d’associer des résidents. Elles animaient un atelier « Contes et marionnettes », et le théâtre d’ombres paraissait être un bon support pour leur permettre de créer un univers, de raconter des histoires tout en restant caché : ça peut être difficile d’être face à un public. PAMG : La Compagnie Bruits de Couloirs, c’est un atelier du FAM alors ? CR : Oui, comme il en existe d’autres : le jardin, le théâtre. Cet atelier a lieu une fois par semaine. Créer un groupe, un collectif, permet de combattre le handicap, de maintenir ou développer des capacités, d’être en mesure de se présenter autrement. Plus on impulse une dynamique, plus il y a de sens, de motivation pour les personnes accueillies. Nous sommes à l’écoute de ce qu’ils

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peuvent nous dire, voulons savoir comment ils voient les choses. PAMG : Expliquez-moi la genèse de votre Princesse Malpolie. Pourquoi un livre ? CR : Au départ, ce n’est pas un livre, c’est un théâtre d’ombres. Parce que c’est beau, qu’il y a quelque chose de magique dans ses formes. Cela fait cinq ans que nous participons au Festival du Livre Jeunesse d’Annemasse. Nous voulions créer un spectacle d’ombres. Chaque année le Festival propose un thème différent. L’année dernière c’était « bazar bizarre ». L’animatrice de l’atelier d’écriture a proposé aux participants de créer un conte détricoté sur fond de bazar. Les organisateurs du Festival n’avaient pas encore fait leur sélection d’ouvrages. Nous devions fabriquer les ombres, nous approprier des mots, une histoire, et lui donner un corps d’ombres et de couleurs, nous avons donc décidé d’écrire notre propre histoire. PAMG : « Ce qui vaut pour l’un ne vaut pas pour l’autre », c’est ce que vous dites dans votre charte. Comment avez-vous fait pour réunir toutes ces personnes singulières autour d’un projet collectif ? CR : L’écriture est un acte que nous ne souhaitions pas enfermer dans un atelier. Nous avons respecté les rythmes de chacun. Certains ont écrit seuls et nous avons retravaillé les textes ensemble. Certains ont été dans la continuité, d’autres sont intervenus de façon ponctuelle. C’est un projet qui vise l’ouverture, la libre adhésion, on peut y participer selon ses capacités, ses envies, son engagement : il y a le bricolage du castelet, des accessoires, la fabrication et la manipulation des ombres, la bande son et bien sûr l’écriture. C’est un atelier ouvert selon les possibilités, les désirs de chacun. Cela s’est fait de manière presque naturelle, bien que cela ait demandé un travail énorme de coordination, nous ne sommes pas trop de trois à porter ce projet. PAMG : Finalement quels sont les auteurs du livre ? CR : Quatres résidents aidés d’une professionnelle ont inventé l’histoire. Plusieurs personnes ont participé pour la relecture. Concernant l’écriture, certains résidents ne souhaitant pas entrer dans le projet, nous avons convenu de maintenir l’atelier d’écriture habituel et de le prolonger pour ceux qui souhaitaient participer. Nous avons des temps collectifs dans la semaine, des groupes de parole. Différents groupes ont soutenu le projet en rassemblant les personnes intéressées. PAMG : Quelles conséquences la fabrication du livre a-t-elle eu sur le travail des éducatrices ? CR : L’objectif était de rechercher de la cohérence, de la fluidité dans cet écrit. Ce qui n’est pas forcément chose facile dans un récit écrit à plusieurs mains et cela a généré quelques frustrations pour certains, que l’on retouche à leur écrit. Mais chacun a pu y consentir, en céder un peu, pour pouvoir concrétiser le projet du livre. PAMG : Que devenaient les ombres pendant ce temps ? CR : L’écriture et les ombres se construisaient en parallèle, dans un « bouche à oreille », nous pouvions entendre

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dans les différents ateliers mobilisés par la Compagnie, l’évolution des personnages : « La princesse va rencontrer une sirène. Comment j’imagine une île, un pêcheur, plus que cela, l’ombre d’un pêcheur ? » Les échanges et les rencontres régulières avec Debbie Scott sont également venus nourrir cette dynamique, apporter de nouvelles perspectives. Une fois l’histoire terminée, les écrivains ont passé le relais à l’élaboration de la bande son. Plus que raconter une histoire, c’est un support essentiel pour les manipulateurs d’ombres, ils se calent dessus, donnent le mouvement aux ombres, selon les sons, les mots qui font repères. PAMG : Que représente le personnage de l’ogre ? Pourquoi a-t-il été mis en scène ? CR : Certains l’ont vu comme un chef cuisinier tyrannique. L’ogre est un dévoreur, par nature, par essence, souvent impressionnant, et là, toujours sur fond de bazar, c’est devenu un ogre gourmet, qui peut faire la fine bouche… Le thème « bazar bizarre » a orienté nos choix pour tous les personnages. La princesse malpolie devait apprendre des leçons de vie en quittant le château trop ordonné de son père. Et trouver des réponses inattendues. Ne pas tomber dans le commun, la réponse automatique. La Princesse Malpolie, c’est aussi une histoire qui parle de différence, du rapport singulier que chacun a au monde. Si quelqu’un en sait quelque chose du rapport différent qu’il a au monde, c’est bien lui, le résident, et c’est pourquoi être à son écoute, le remettre en place de sujet est essentiel. Mais comme le dit le logo de notre Compagnie, inventé par Debbie Scott, « Sortir de sa bulle » c’est capital aussi. PAMG : Vous dites que « invention, innovation et expérimentation » sont votre quête quotidienne. Comment la Compagnie compose-t-elle entre ces ambitions et le respect des règles indispensables dans toute collectivité, surtout en milieu médicalisé ? CR : Lorsque nous évoquons l’innovation, l’expérimentation, c’est au final du bricolage quotidien. C’est garder l’esprit ouvert, nous avons pu constater que bien souvent c’est de nos erreurs que nous apprenons le plus. Nous essayons, chaque jour, d’affiner nos observations, pour être au plus proche des personnes accueillies. Nous leur apprenons à… Mais nous apprenons d’elles aussi. Pour la Compagnie comme dans toute vie en collectivité, il est en même temps question de responsabilité, d’engagement.

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Un menu littéraire et culinaire

Recettes d’écrivains Au lycée de Chamalières, le lycée polyvalent et hôtelier d’Auvergne, un professeur de lettres, Karelle Gautron, un professeur de technique culinaire,Yann Rufnacht, et un professeur de service et commercialisation, Marie-Noëlle Roblin, ont réalisé ce menu d’écrivains. L’idée, comme toutes les idées brillantes est simple : - Karelle Gautron choisit un texte qu’elle propose et étudie avec ses élèves. - à partir de cet extrait, Yann Rufnacht travaille, avec les mêmes élèves, à la réalisation des plats. - Marie-Noëlle Roblin travaille à la décoration de la salle et au service, avec cette même classe. Enfin, le jour du repas, Karelle Gautron prend des photos en cuisine et en salle. Pour les besoins de la revue, Joël Ruth, professeur en technique culinaire, a accepté d’adapter les recettes réalisées par les élèves.

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Entrée Extrait : Marcel Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleurs. Et depuis la veille, Françoise, heureuse de s’adonner à cet art de la cuisine pour lequel elle avait certainement un don, stimulée, d’ailleurs, par l’annonce d’un convive nouveau, et sachant qu’elle aurait à composer, selon des méthodes sues d’elle seule, du bœuf à la gelée, vivait dans l’effervescence de la création; comme elle attachait une importance extrême à la qualité intrinsèque des matériaux qui devaient entrer dans la fabrication de son œuvre, elle allait elle-même aux Halles se faire donner les plus beaux carrés de romsteck, de jarret de bœuf, de pied de veau, comme Michel-Ange passant huit mois dans les montagnes de Carrare à choisir les blocs de marbre les plus parfaits pour le monument de Jules II.(…) Et dès la veille Françoise avait envoyé cuire dans le four du boulanger, protégé de mie de pain comme du marbre rose ce qu’elle appelait du jambon de Nev’-York. Croyant la langue moins riche qu’elle n’est et ses propres oreilles peu sûres, sans doute la première fois qu’elle avait entendu parler de jambon d’York avait-elle cru — trouvant d’une prodigalité invraisemblable dans le vocabulaire qu’il pût exister à la fois York et New-York — qu’elle avait mal entendu et qu’on aurait voulu dire le nom qu’elle connaissait déjà. Aussi, depuis, le mot d’York se faisait précéder dans ses oreilles ou devant ses yeux si elle lisait une annonce de : New qu’elle prononçait Nev’. Et c’est de la meilleure foi du monde qu’elle disait à sa fille de cuisine : «Allez me chercher du jambon chez Olida. Madame m’a bien recommandé que ce soit du Nev’-York.» Ce jour-là, si Françoise avait la brûlante certitude des grands créateurs, mon lot était la cruelle inquiétude du chercheur. (…) Le bœuf froid aux carottes fit son apparition, couché par le Michel-Ange de notre cuisine sur d’énormes cristaux de gelée pareils à des blocs de quartz transparent. « — Vous avez un chef de tout premier ordre, madame, dit M. de Norpois. Et ce n’est pas peu de chose. Moi qui ai eu à l’étranger à tenir un certain train de maison, je sais combien il est souvent difficile de trouver un parfait maître queux. Ce sont de véritables agapes auxquelles vous nous avez conviés là.» Et, en effet, Françoise, surexcitée par l’ambition de réussir pour un invité de marque un dîner enfin semé de difficultés dignes d’elle, s’était donné une peine qu’elle ne prenait plus quand nous étions seuls et avait retrouvé sa manière incomparable de Combray. — Voilà ce qu’on ne peut obtenir au cabaret, je dis dans les meilleurs : une daube de bœuf où la gelée ne sente pas la colle, et où le bœuf ait pris parfum des carottes, c’est admirable ! Permettezmoi d’y revenir, ajouta-t-il en faisant signe qu’il voulait encore de la gelée. Je serais curieux de juger votre Vatel maintenant sur un mets tout différent, je voudrais, par exemple, le trouver aux prises avec le bœuf Stroganof. (…) Ma mère comptait beaucoup sur la salade d’ananas et de truffes. Mais l’Ambassadeur après avoir exercé un instant sur le mets la pénétration de son regard d’observateur la mangea en restant entouré de discrétion diplomatique et ne nous livra pas sa pensée. Ma mère insista pour qu’il en reprit, ce que fit M. de Norpois (…) Proust, lettre à Céline Cottin Je voudrais bien réussir aussi bien que vous ce que je vais faire cette nuit, que mon style soit aussi brillant, aussi clair, aussi solide que votre gelée — que mes idées soient aussi savoureuses que vos carottes et aussi nourrissantes et fraîches que votre viande. En attendant d’avoir terminé mon œuvre, je vous félicite de la vôtre. Lettre du 12 juillet 1909, Correspondance de Marcel Proust, texte établi, présenté et annoté par Philippe Kolb, Paris, Plon, 1986, t. IX, 1982, p. 139. Projets goûteux à dévorer et à partager - 105 -


Recette : Le bœuf mode froid Ingrédients : - 700 g de bœuf (gîte, culotte, des morceaux gélatineux) - 1 pied de veau - 150 g de barde de lard - 2 dl de vin blanc - 2 dl de bouillon - 6 carottes - 1 oignon bouquet garni - 2 clous de girofle - sel - poivre - 200 g de couenne de lard. • Foncez une cocotte avec les bardes et les couennes de lard. Épluchez l’oignon et les carottes et coupez-les en rondelles. Mettez-les dans la cocotte. Ajoutez la viande et le pied de veau. Arrosez avec le bouillon chaud et le vin blanc. Salez poivrez et mettez le bouquet garni. Puis couvrez la cocotte et lutez-la avec un mélange de farine et d’eau (200g de farine, 10 cl d’eau) • Laissez cuire 4 heures à four moyen (160 degrés). • Ensuite, deux solutions s’offrent à vous :

– placez la viande dans une terrine, entourez-la des carottes et versez le jus de cuisson

dessus. Laissez refroidir puis passez au réfrigérateur 24 heures. Démoulez le lendemain (et servez en tranches)

- ou, comme chez Proust, laissez refroidir séparément la gelée, la viande et les carottes.

Le lendemain, dressez la viande sur la gelée grossièrement brisée à la fourchette et entourée des carottes. Les élèves et leur chef ont choisi de présenter le bœuf mode froid en terrine. Décoration : graines germées, persil plat, ciboulette (les carottes sont de deux couleurs).

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Plats Extrait : Lampedusa, Le Guépard. C’est la première apparition d’Angelica, par laquelle la compromission ( ou le sauvetage ) de la noblesse sera scellée. Le thème de la destruction et de l’effondrement dans le domaine de la nourriture se retrouve ici. Le prince avait trop d’expérience pour offrir à des invités siciliens d’un village de l’intérieur un dîner qui commençât par un potage , et il enfreignait d’autant plus facilement les règles de la grande cuisine que cela correspondait à ses propres goûts. Mais les informations sur l’usage étranger barbare de servir une lavasse comme premier plat étaient parvenues avec trop d’insistance auprès des notables de Donnafugata pour qu’un reste de crainte ne palpitât en eux au début de chacun de ces dîners solennels. Aussi, quand trois domestiques en vert, or et poudre entrèrent portant chacun un plat démesuré en argent contenant une timbale de macaronis en forme de tour, seules quatre personnes sur vingt s’abstinrent de manifester une joyeuse surprise : le Prince et la Princesse parce qu’ils s’y attendaient, Angelica par affectation et Concetta par manque d’appétit. Tous les autres (y compris Tancredi, il est regrettable de le dire) manifestèrent leur soulagement de différentes manières, allant des grognements extatiques et flûtés du notaire au petit cri aigu de Francesco Paolo. Le regard circulaire menaçant du maître de maison coupa court d’ailleurs tout de suite à ces manifestation inconvenantes. Bonnes manières à part, cependant, l’aspect de ces gratins babéliens était bien digne d’appeler des frémissements d’admiration. L’or bruni qui les enveloppait, le parfum de sucre et de cannelle qui s’en dégageait n’étaient que le prélude de la sensation de délices qui émanait de l’intérieur quand le couteau déchirait la croûte : il en jaillissait d’abord une vapeur chargée d’arômes, on découvrait ensuite les foies de volaille, les œufs durs, les émincés de jambon, de poulet et de truffes pris dans la masse onctueuse, très chaude, des petits macaronis auxquels le fumet de viande conférait une précieuse couleur chamois.

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Recette : Les gratins babéliens Ingrédients : - 200 g de macaronis à faire cuire à l’eau salée - 2 œufs - 250 g de blancs de poulet - 200 g de crème fraîche - 2 blancs d’œuf - 100 g de dés de jambon - 120 g de foies de volaille - 0,5 litre fond brun lié - 20 g de beurre - brisures de truffe ou poudre d’olives noires séchées - sel, poivre, sucre, cannelle • Réaliser une farce mousseline : blanc de poulet mixé, ajouter blancs d’œuf et mélanger petit à petit avec de la crème, assaisonnement + brisure de truffe (ou olives noires en poudre) + dés de jambon • Cuire œufs durs, sauter foies de volaille au beurre • fond brun lié réduit au 3/4 + pincée de sucre et cannelle • Monter les gratins (individuels ou un seul gratin dans un moule à charlotte) Chemiser la timbale avec des macaronis, disposés verticalement, ajustez la hauteur des macaronis (pour une bonne tenue au démoulage), tapissez également le fond de macaronis. Ensuite, tapissez de farce mousseline le fond et les côtés pour maintenir les macaronis. Disposez les foies sautés et les œufs durs taillés en morceaux grossiers, napper de la sauce de fond brun et cannelle. Remplir en alternant pâtes et farce mousseline. Refermez (masquez ) les timbales et lissez. Filmez les timbales • cuire au bain marie jusqu’à 62 degrés à cœur (environ 20 minutes pour des timbales individuelles, farce mousseline résistante au toucher). Les élèves ont réalisé des gratins individuels. La truffe a été remplacée par de la poudre d’olives noires séchées, savoureuse également mais beaucoup moins onéreuse.

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Extrait: Marguerite Duras, Moderato Cantabile.

Dans une ville portuaire, Anne Desbaresdes, jeune bourgeoise mariée découvre peu à peu un sentiment violent avec un ancien ouvrier de l’usine de son mari. Alors que ce dernier donne un dîner, Anne arrive chez elle, dans l’après-midi elle a bu dans un café avec l’ouvrier, elle a glissé dans son décolleté une fleur de magnolia, ses pensées sont bien ailleurs. Anne Desbaresdes boit de nouveau un verre de vin tout entier les yeux mi-clos. Elle en est déjà à ne plus pouvoir faire autrement. Elle découvre, à boire, une confirmation de ce qui fut jusque-là son désir obscur et une indigne consolation à cette découverte. D’autres femmes boivent à leur tour, elles lèvent de même leurs bras nus, délectables, irréprochables, mais d’épouses. Sur la grève, l’homme siffle une chanson entendue dans l’après-midi dans un café du port. La lune est levée et avec elle voici le commencement de la nuit tardive et froide. Il n’est pas impossible que cet homme ait froid. Le service du canard à l’orange commence. Les femmes se servent. On les choisit belles et fortes, elles feront front à tant de chère. De doux murmures montent de leurs gorges à la vue du canard d’or. L’une d’elles défaille à sa vue. Sa bouche est desséchée par d’autre faim que rien non plus ne peut apaiser qu’à peine, le vin. Une chanson lui revient, entendue dans l’après-midi dans un café du port, qu’elle ne peut pas chanter. Le corps de l’homme sur la plage est toujours solitaire. Sa bouche est restée entrouverte sur le nom prononcé. – Non merci. Sur les paupières fermées de l’homme, rien ne se pose que le vent et, par vagues impalpables et puissantes, l’odeur du magnolia, suivant les fluctuations de ce vent. Anne Desbaresdes vient de refuser de se servir. Le plat reste cependant encore devant elle, un temps très court, mais celui du scandale. Elle lève la main, comme il lui fut appris, pour réitérer son refus. On n’insiste

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plus. Autour d’elle, à table, le silence s’est fait. – Voyez, je ne pourrais pas, je m’en excuse. Elle soulève une nouvelle fois sa main à hauteur de la fleur qui se fane entre ses seins et dont l’odeur franchit le parc et va jusqu’à la mer. – C’est peut-être cette fleur, ose-t-on avancer, dont l’odeur est si forte ? – J’ai l’habitude de ces fleurs, non, ce n’est rien. Le canard suit son cours. Quelqu’un en face d’elle regarde encore impassiblement. Et elle s’essaye encore à sourire, mais ne réussit encore que la grimace désespérée et licencieuse de l’aveu. Anne Desbaresdes est ivre. On redemande si elle n’est pas malade. Elle n’est pas malade. – C’est peut-être cette fleur, insiste-t-on, qui écœure subrepticement ? – Non. J’ai l’habitude de ces fleurs. C’est qu’il m’arrive de ne pas avoir faim. On la laisse en paix, la dévoration du canard commence. Sa graisse va se fondre dans d’autres corps. Les paupières fermées d’un homme de la rue tremblent de tant de patience consentie. Son corps éreinté a froid, que rien ne réchauffe. Sa bouche a encore prononcé un nom. A la cuisine, on annonce qu’elle a refusé le canard à l’orange, qu’elle est malade, qu’il n’y a pas d’autre explication.

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Recette : Canard à l’orange/ Kumquats Ingrédients : - un canard ou deux canetons (plus moelleux) - 6 oranges qui seront pelées à vif + une pour le décor + un citron - Liqueur à base d’orange (10 cl, type Grand-Marnier, Cointreau) - 50 g de sucre, 5 cl de vinaigre (pour la gastrique) - 75 cl de fond corsé (en grande surface, poudre ou pâte) - jus d’orange 10 cl - 80 g de carottes et 80 g d’oignons pour poêler - sel, poivre 1- Zester 1 orange et 1 citron • Blanchir les zestes départ eau froide, bouillir durant quelques minutes, égoutter • Les recouvrir de liqueur à base d’orange, macérer quelques heures 2- Poêler le canard coupé en morceaux (pour poêler : colorer sur le feu avec huile et beurre, ajouter ensuite carottes et oignons en cubes, couvrir, cuire au four à 160 degrés 60 minutes, arroser fréquemment) 3- peler à vif les oranges (5 orange en tout) • Les peler à vif, y compris celle zestée • Lever les segments • Canneler la 6e, la partager en deux et l’émincer en demi-lamelles régulières pour entourer le plat. 4- Confectionner la gastrique • Réunir dans une sauteuse le sucre et le vinaigre, laisser caraméliser très légèrement sur un feu doux. • Ajouter le fond brun de canard corsé lié. • Laisser réduire jusqu’à la consistance souhaitée. 5- Réaliser la sauce à l’orange • au terme de la cuisson débarrasser les canetons (ou morceaux de canard) • colorer les sucs sur le feu • Dégraisser soigneusement et déglacer avec un peu de jus d’orange. • Ajouter le fond de canard (réalisé en 4) et le laisser réduire à nouveau durant quelques minutes. • Passer la sauce au chinois étamine dans une petite sauteuse et y ajouter un peu de jus d’orange, les zestes et la liqueur (réalisé en 1) 6. Dresser les canetons • Chauffer doucement les segments d’orange dans un peu de sauce. • Disposer le canard au centre du plat. • Disposer harmonieusement les segments d’oranges tout autour des canetons. • Festonner le bord des plats avec les demi-lamelles d’oranges cannelées. • Napper uniformément les canetons avec la sauce en répartissant les zestes. Ici les élèves ont travaillé avec des cuisses de canard et ont remplacé les oranges par des kumquats (pour moderniser la recette). Projets goûteux à dévorer et à partager - 115 -


Dessert Extrait: Lampedusa, Le Guépard. La consommation-destruction de cette gelée au rhum, en début de roman est révélatrice, sur un plan symbolique, des enjeux du roman. Tancredi, neveu du prince, dont tout le monde a toujours considéré qu’il épouserait un jour sa cousine Concetta qui l’aime, va faire le choix de s’allier à la beauté quasi animale de la belle Angelica, d’extraction paysanne mais dont le père s’est enrichi, alors même que le patrimoine du Prince s’effrite peu à peu.

A la fin du déjeuner on servit la gelée au rhum. C’était le dessert préféré de

Don Fabrizio, et la Princesse, reconnaissante des consolations reçues, avait eu soin de le commander le matin de bonne heure. Elle se présentait menaçante, avec sa forme de grande tour soutenue par des bastions et des talus, aux parois glissantes impossibles à escalader, présidée par une garnison rouge et verte de cerises et de pistaches ; elle était cependant transparente et tremblotante et la cuillère s’y enfonçait avec une aisance étonnante. Quand la forteresse ambrée parvint à Francesco Paolo, le fils de seize ans servi en dernier, elle ne consistait plus qu’en des glacis détruits à coups de canon et des blocs arrachés. Égayé par l’arôme de la liqueur et par le goût délicieux de la garnison multicolore, le Prince s’était réjoui d’assister au démantèlement de la sombre forteresse sous l’assaut des appétits. Un de ses verres était resté à moitié plein de marsala ; il le leva, promena son regard sur sa famille en s’arrêtant plus longuement sur les yeux bleus de Concetta et «A la santé de notre cher Tancredi» dit-il. Il but le vin d’un seul trait. Le chiffre F.D., qui s’était auparavant détaché avec netteté sur la couleur dorée du verre plein, ne fut plus visible.

Recette : Ingrédients : - 40 cl eau - 400g sucre - 2 gousses de vanille, 1 étoile de badiane - 10 cl de rhum - 7 feuilles de gélatine - Décoration : cerises confites, pistaches...

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1 - Confectionner un sirop de rhum : - 40 cl d’eau - 400 g de sucre en poudre - 10 cl de rhum - 2 gousse de vanille - 1 étoile de badiane Coupez la gousse de vanille en deux et récupérez les graines. Déposez-les dans une petite casserole avec la gousse. Ajoutez la badiane, l’eau, le sucre et le rhum. Portez à ébullition et laissez frémir pendant 5 minutes. Laissez refroidir avant de l’utiliser. 2 – La gelée au rhum - 7 feuilles de gélatine alimentaire - le sirop préparé en décoration : cerises confites jaunes et vertes, pistaches... à l’envie Dans une sauteuse, versez le sirop au rhum, chauffez et ajoutez les feuilles de gélatine préalablement trempées à l’eau froide et pressées. Filmez l’intérieur d’un petit moule à bord haut. Coulez la gelée à l’intérieur et réservez au frais. Quand la préparation est bien froide, démoulez délicatement et décorez avec les cerises et pistaches (éventuellement moulues)

Variante Vous pouvez faire ce dessert avec une base de panna cotta au rhum - 0,5 litre de crème - 0,5 litre de lait - 150 g de sucre - 10 feuilles de gélatine (20 g) - 7,5 cl de rhum Le résultat, similaire, (sauf sur le plan de la couleur), a davantage de stabilité. Sur la photo, les élèves ont superposé plusieurs bases de panna cotta (en les séparant par un biscuit), pour un nombre de convives plus important. On obtient le même effet de forteresse chancelante que dans le texte de Lampedusa.

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Extrait: Proust, Du côté de chez Swann. Il y avait bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse : ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venaitelle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité ; mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même ; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher ? pas seulement : créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière. Et je recommence à me demander quel pouvait être cet état inconnu, qui n’apportait aucune preuve logique, mais l’évidence, de sa félicité, de sa réalité devant laquelle les autres s’évanouissaient. Je veux essayer de le faire réapparaître. Je rétrograde par la pensée au moment où je pris la première cuillerée de thé. Je retrouve le même état, sans une clarté Projets goûteux à dévorer et à partager - 120 -


nouvelle. Je demande à mon esprit un effort de plus, de ramener encore une fois la sensation qui s’enfuit. Et pour que rien ne brise l’élan dont il va tâcher de la ressaisir, j’écarte tout obstacle, toute idée étrangère, j’abrite mes oreilles et mon attention contre les bruits de la chambre voisine. Mais sentant mon esprit qui se fatigue sans réussir, je le force au contraire à prendre cette distraction que je lui refusais, à penser à autre chose, à se refaire, avant une tentative suprême. Puis une deuxième fois, je fais le vide devant lui, je remets en face de lui la saveur encore récente de cette première gorgée et je sens tressaillir en moi quelque chose qui se déplace, voudrait s’élever, quelque chose qu’on aurait désancré, à une grande profondeur ; je ne sais ce que c’est, mais cela monte lentement ; j’éprouve la résistance et j’entends la rumeur des distances traversées. Certes, ce qui palpite ainsi au fond de moi, ce doit être l’image, le souvenir visuel, qui, lié à cette saveur, tente de la suivre jusqu’à moi. Mais il se débat trop loin, trop confusément ; à peine si je perçois le reflet neutre où se confond l’insaisissable tourbillon des couleurs remuées ; mais je ne peux distinguer la forme, lui demander, comme au seul interprète possible, de me traduire le témoignage de sa contemporaine, de son inséparable compagne, la saveur, lui demander de m’apprendre de quelle circonstance particulière, de quelle époque du passé il s’agit. Arrivera-t-il jusqu’à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l’instant ancien que l’attraction d’un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi ? Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peutêtre ; qui sait s’il remontera jamais de sa nuit ? Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui. Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile, de toute œuvre importante, m’a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d’aujourd’hui, à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine. Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés depuis si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé ; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot - s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des autres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.

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Recette : les madeleines de Proust Ingrédients : - 5 œufs - 240 g de sucre - 95 g de lait - 20 g de miel - 140 g de farine - 60 g de farine de maïs - 10 g de levure chimique - zeste de citron - 120 g de beurre noisette • Réaliser le beurre noisette, réserver • Blanchir les œufs et le sucre • Incorporer le reste des ingrédients dans l’ordre de la recette • Incorporer le beurre noisette refroidi Le lendemain : pocher dans les moules, enfourner à 180°C puis baisser le four à 160. Cuire jusqu’à coloration

Lycée Général et Lycée des Métiers de l’Hôtellerie, de la Restauration et du Tourisme, Chamalières (63).

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Bonus épicurien d’une épicurienne pour des épicuriens. C’est au détour d’une petite ruelle dans le sympathique village de Sancerre que j’ai découvert cette belle couverture. Comme j’étais dans l’esprit d’un week-end gastronomique, j’ai tout de suite été attirée et j’ai poussé la porte de ce café-librairie (4 rue des Trois Piliers). En feuilletant rapidement l’ouvrage, on est tout de suite plongé dans l’univers de George Sand : les amis, les repas conviviaux, les recettes généreuses et nourrissantes, les décors un peu désuets mais chaleureux de la campagne berrichonne du siècle passé. On profite donc d’un savant mélange de tout cela : la vie de George Sand qui grandit à Nohant, qui y vécut, puis qui y reçut ses amis autour d’une bonne table, et enfin qui fut elle-même bonne-mère. On y apprend ainsi qu’Aurore Dupin fréquente un auteur berrichon, Jean Sandeau. Ils écriront ensemble sous le nom de J.Sand. De là elle gardera le nom de Sand et prendra un prénom masculin berrichon, George, sans le « s » pour le féminiser un peu et pour « que l’on ne [m’] oublie jamais. » Elle veut être libre et se grime en garçon. Elle veut être écrivain : « J’ai un but, une tâche, disons le mot : une passion. Le métier d’écrire en est une, violente, presque indescriptible. » Elle a aussi la passion de la cuisine et ses jardiniers entretiennent un potager et un verger qui alimentent la table de presque tous les fruits et légumes connus à l’époque. Le livre décrit sa cuisine parfaite, équipée de tout le matériel nécessaire et de fourneaux professionnels. Elle reçut ainsi des grands noms comme Chopin (qui passera de longs étés à Nohant pour composer), Liszt, Balzac (qui la surnomme « La lionne du Berry »), Delacroix, Alexandre Dumas, Gautier, Flaubert, Tourgueniev (qui amènera le caviar et la langue de renne). Christiane Sand, la dernière héritière de l’écrivain, a donc repris les carnets de cuisine de Nohant pour les transmettre avec autant de générosité que son ancêtre.

Emmanuelle Lachaume Projets goûteux à dévorer et à partager - 124 -


Les carnets de cuisine de George Sand, 80 recettes d’une épicurienne Muriel Lacroix (Auteur) - Pascal Pringarbe (Auteur) - Philippe Asset (Photographie) - Paru le 10 avril 2013 - Editions Chêne, 35 euros. Dans le même esprit :

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Le Festival Littérature Au Centre d’Auvergne Une semaine littéraire et culinaire Par Sylviane Coyault

Les points forts du projet : • Redécouvrir le plaisir d’une littérature vivante, dans ses formes les plus classiques comme les plus innovantes. • Mettre la littérature au centre : la décentrer de la capitale, la placer au cœur de la cité, et que le cœur s’excentre aussi à son tour, grâce à la lecture. • Accompagner les journées festives d’une formation (non moins festive) qui s’adressera aux enseignants, aux élèves et aux étudiants, de la maternelle à l’université.

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Les rencontres Littérature au Centre organisées chaque année fin mars début avril fédèrent dans la Cité, sous la bannière de la littérature, des écrivains, des universitaires, des critiques littéraires, des éditeurs, des libraires, des artistes. Adossées à la recherche universitaire contemporaine en littérature, elles se donnent pour objectif de faire partager une lecture vivante au public le plus large possible (tous âges et tous milieux socioculturels). Elles concernent aussi tout particulièrement les élèves, les étudiants, les professeurs (de la maternelle à l’université), les bibliothécaires, les journalistes. Ces rencontres, adossées à une librairie éphémère et liées à la formation, consistent généralement en conférences, tables rondes suivies de séances de dédicaces, lectures et spectacles (avec des artistes professionnels), ateliers… Les institutions d’appui sont l’Université Blaise Pascal, le Centre de recherches CELIS, Service Université Culture, l’ESPé, l’UFR Lettres Langues et Sciences Humaines, les départements de la culture, et de français). La manifestation est soutenue au niveau national par la MEL (Maison des écrivains et de la littérature) ainsi que par la SELF XX-XXI (société d’études françaises des XXe et XXe siècles) et l’« Observatoire des écritures contemporaines françaises et francophones ». Les rencontres sont toutes gratuites (à l’exception des repas). Le financement est assuré par les partenariats multiples : DRAC, DRAAF, Région, Département, Grand-Clermont, Clermont-Communauté (réseau des médiathèques), Ville de Clermont-Ferrand, Université, MEL, SOFIA, CNL, CAF, Associations étudiantes, Cinéfac, Crédit mutuel… Chaque année, les rencontres associent la littérature à un domaine artistique ou socioculturel : 2015 : « littérature et musique », 2017 : « littérature et cinéma » 2016 : « littérature et cuisine » Le mot cuisine peut s’entendre de manière aussi diverse que possible : nourritures terrestres ou non : mangeaille, gastronomie, fastfood, faim et appétit, voire anorexie ; mais aussi espace où on cuisine, où on mange, où on boit... Il peut encore être question des repas et rituels de sociabilité, des modes alimentaires, aborder une sociologie de la nourriture, une ethnologie de l’alimentation... Pour en savoir plus, pour prendre rendez vous, pour adhérer : http://www.litteratureaucentre.net/

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Les Auteurs invités du Festival Littérature Michèle Barrière (1953, Nevers) Historienne culinaire et militante écologiste, membre du mouvement Slow Food France, Michèle Barrière est particulièrement attachée aux liens entre cuisine et environnement. Intrigues et recettes culinaires se côtoient dans ses savoureux polars historiques et gastronomiques.. Bibliographie Série La Dynastie Savoisy, éd. Agnès Viénot, J.C. Lattès et Le Livre de poche, 2006-2014. Série Les Enquêtes de Quentin du Mesnil, J.C. Lattès, 2011 2015.

Arno Bertina (1975, Thiais) Arno Bertina préfère définitivement les délices et les excès rabelaisiens à l’esprit de sérieux. L’auteur en fait la démonstration dans La Déconfite gigantale du sérieux, autobiographie imaginaire peuplée de personnages à la langue débraillée, qui devient l’éloge d’une littérature nourrie et copieusement vivante. Bibliographie La Déconfite gigantale du sérieux, Lignes-Léo Scheer, 2004. Je suis une aventure, Verticales, 2012. Numéro d’écrou 362573, avec la photographe Anissa Michalon, Le Bec en l’air, 2013.

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au Centre - thème : littérature et cuisines Fabienne Cinquin (1970, Aubusson)

« A quoi peut bien servir un livre sans images ? » Fabienne Cinquin répond à la question d’Alice au pays des merveilles en créant des imagiers farfelus pour petits et grands, des bestiaires curieux, des fantaisies délicieuses. Bibliographie Les p’tits gloutons : la chaîne alimentaire, texte de Françoise Laurent, éd. du Ricochet, 2013. La Déjeunite de Madame Mouche et autres tracas pour lesquels elle consulta le docteur Lapin-Wicott, texte d’Elsa Valentin Atelier du poisson soluble, 2013. Petit ogre veut un chien, texte d’Agnès de Lestrade, La Poule qui pond, 2014.

Maryline Desbiolles (1959, Ugine) La romancière Maryline Desbiolles, lauréate du Prix Femina en 1999, signe plusieurs textes lumineux, où la cuisine et le repas partagé tiennent une place de choix. Son écriture à la fois tendue et lyrique tisse des liens entre une recette de cuisine et la vie humaine, les souvenirs d’enfance et la beauté de l’œuvre d’art. Bibliographie La Seiche, Seuil, 1998. Manger avec Piero, Mercure de France, 2004. Le Goinfre, Seuil, 2004.

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Les Auteurs invités du Festival Littérature Annie Ernaux (1940, Lillebonne)

L’expérience vécue est la matière première de l’œuvre de la romancière Annie Ernaux, lauréate de nombreux prix littéraires. Mêlant récit autobiographique et pensée sociologique, elle revendique une écriture « plate ». Dans Les Années, le repas de famille et les rites de la table deviennent révélateurs des conditions sociales et des distinctions entre les individus. Bibliographie La Place, Gallimard, 1983. Les Années, Gallimard, 2008. Regarde les lumières mon amour, Seuil, 2014.

Espido Freire (1974, Bilbao)

Espido Freire est une philologue, essayiste et auteure de langue espagnole. En 2002, Cuando comer es un infierno est une vive dénonciation des maux de notre société qui font sombrer les jeunes gens dans les troubles alimentaires. Bibliographie Pêches glacées [Melocotones helados], Actes

Sud, 2002. Cuando comer es un infierno : confesiones de una

bulímica, Madrid, El País-Aguilar, 2002. Una copa para dos : Relatos de mujer y vino, écrit en collaboration, Madrid, Everest, 2011.

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au Centre - thème : littérature et cuisines Paul Fournel (1947, Saint-Etienne)

Explorateur des genres littéraires, Paul Fournel est membre de l’Oulipo. Il est aussi un inventeur gourmand de textes, expert gastronomique pour des revues, auteur d’un Alphabet gourmand et du recueil de poésie Le bel appétit, évocation délicieuse de sa géographie culinaire. Bibliographie Alphabet gourmand, avec Henry Mathews et

Boris Tissot, Seuil jeunesse, 1998. Poils de Cairote, Seuil, 2004. Le bel appétit, P.O.L., 2015.

Christophe Galland (1959, Cannes) A la fois metteur en scène et comédien, Christophe Galland est également poète. Mettre le texte en voix, le dire devant un public lui permet de sortir de l’acte solitaire d’écriture et d’ouvrir l’œuvre au monde. Je s’adresse est une suite de discours dans lequel le « je » évoque, souvent avec humour, les doutes d’un personnage en crise. Bibliographie Je s’adresse – Pour une voix, Cheyne, 1997.

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Les Auteurs invités du Festival Littérature Liliane Giraudon (1946, Cavaillon) Pour Liliane Giraudon, la création peut prendre des formes multiples, mêlant prose et poésie. Elle associe également mots et images à travers la réalisation de tracts ou de livres d’artistes. Avec Histoires d’ail, cette passionnée de cuisine du Sud fait entrer en littérature cet aliment si souvent décrié, à travers des histoires drôles et savoureuses. Bibliographie Histoires d’ail , Liliane Giraudon et Xavier Girard,

Argol, 2013. Le garçon cousu, P.O.L, 2014.

Mohamed Kacimi (1955, El Hamel) Le poète, romancier et dramaturge Mohamed Kacimi questionne les textes sacrés et leurs interprétations humaines. A la table de l’éternité fait du restaurant le théâtre inattendu d’une rencontre entre Job, le diable et Dieu. Dans un monde en proie au désordre et à la violence, la table devient lieu de discussion et de réflexion. Bibliographie L’Orient après l’amour, Actes Sud, 2008. Le monde arabe, Milan, coll. « Les encyclopes »,

2012. A la table d’éternité, Art et comédie, 2015.

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au Centre - thème : littérature et cuisines Marie-Hélène Lafon (1962, Aurillac) Originaire du Cantal, Marie-Hélène Lafon est l’auteure d’une douzaine de romans, dont l’épure littéraire dit pourtant toute la richesse de cette terre d’origine, toute la chair de personnages s’appliquant à rester vivants, en perpétuelle tension. Bibliographie Sur la photo, Buchet/Chastel, 2003 et Points

Seuil, 2005. Les pays, Buchet/Chastel, 2012 et Folio Gallimard, 2014. Histoires, Buchet/Chastel, 2015.

Luc Lang (1956, Suresnes) Luc Lang est l’auteur de romans, de nouvelles, d’essais sur la littérature et les arts contemporains. Mille six cents ventres, récit à la première personne, montre un homme grisé par la puissance que lui donne sa fonction de chef cuisinier de prison. Dans cet espace clos en pleine mutinerie, la question de la nourriture devient vitale. Bibliographie Mille six cents ventres, Fayard, 1998 et Folio

Gallimard, 2000. Mother, Stock, 2012. L’autoroute, Stock, 2014.

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Les Auteurs invités du Festival Littérature Jean-Paul Manganaro (1944, Bordeaux)

Jean-Paul Manganaro est le traducteur de nombreuses œuvres de langue italienne. Egalement essayiste, il s’intéresse particulièrement au théâtre et au cinéma. Il publie Cul in air en 2014, étonnant manuel de cuisine, où les recettes, accompagnées de réflexions gourmandes qui prolongent le plaisir gustatif par le plaisir des mots, sont invitation à la sensualité. Bibliographie Cul in air, P.O.L., 2014. Liz T., P.O.L., 2015.

Beatriz Rodríguez Delgado (1980, Sevilla) Diplômée en philologie espagnole, Beatriz Rodríguez Delgado collabore à de nombreuses revues et travaille comme éditrice. Son premier roman, La vida real de Esperanza Silva, se présente sous la forme de récits fragmentés qui permettent, peu à peu, de reconstruire la vie du personnage principal. Bibliographie La vida real de Esperanza Silva, Casa de Cartón,

2014.

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au Centre - thème : littérature et cuisines Marie Rouanet (1936, Béziers) Marie Rouanet est l’auteure d’une quarantaine de romans, d’essais et de chroniques. Les saveurs de son écriture invitent le lecteur à déguster les arts de la table. Entremêlant réflexions poétiques, recettes, astuces et souvenirs, Marie Rouanet associe mets et plaisir, comme autant de bonheurs à goûter. Bibliographie Petit traité romanesque de la cuisine, Payot, 1997. Mémoire du goût, Albin Michel, 2004.

Ryoko Sekiguchi (1970, Tokyo) Poétesse et traductrice japonaise vivant en France, Ryoko Sekiguchi écrit en japonais et en français. Le Club des gourmets et autres cuisines japonaises, traduction de textes du XIIe siècle à nos jours qui célèbrent la finesse de la gastronomie de son pays d’origine. Bibliographie Manger fantôme, manuel pratique de l’alimentation vaporeuse, Argol, 2012. Le club des gourmets et autres cuisines japonaises,

choix et présentations de Ryoko Sekiguchi, P.O.L., 2013. Projets goûteux à dévorer et à partager - 135 -


Les Auteurs invités du Festival Littérature au Centre thème : littérature et cuisines

Joy Sorman (1973, Paris)

Femme de lettres, chroniqueuse pour la télévision et animatrice radio, Joy Sorman se fait connaître du grand public dès son premier roman Boys, Boys, Boys, qui remporte en 2005 le prix de Flore. Son écriture explore le monde contemporain. Dans Comme une bête, elle fait le portrait, tout en chair et en sensualité inquiétante, d’un boucher littéralement fou de viande. Bibliographie Comme une bête, Gallimard, 2012. La peau de l’ours, Gallimard, 2014.

Quelques choix bonus et subjectifs de lecteurs de Plumes d’Ailes et Mauvaises graines en Littérature contemporaine « En cuisine, comme en toute chose, nous avons tendance à brider nos instincts. La vitesse et le chaos autorisent une légère perte de contrôle, couper les légumes selon des formes et des calibres différents encourage des alliances que l’on n’aurait pas songé à pratiquer autrement ...Pour qu’un plat soit réussi , il faut que le rapport entre le tendre et le croquant, entre l’amer et le doux, entre le sucré et le piquant, entre l’humide et le sec existe et soit soumis à la tension de ces couples adverses. » Dans la vie aussi ...car si leçon de cuisine il y a dans ce roman, c’est avant tout une leçon de vie que va nous donner Agnès Desarthe dans ce roman. Myriam, à la suite de nombreuses mésaventures et d’une vie un peu chaotique va décider du jour au lendemain d’ouvrir un restaurant. Elle va nous décrire ses galères mais aussi ses joies, son plaisir de se lever tôt, de faire les courses, nettoyer, découper, réfléchir, chauffer, frire, déglacer, étuver, jeter, récupérer, récurer, éplucher encore, presser, émonder, émietter, pétrir… Saveur des aliments, tracas du quotidien, beaucoup d’humour… et l’amour et l’amitié au détour du chemin. Anik Phelep

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Quelques titres supplémentaires :

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Vu à Courpière ! Parmi les projets simples et goûteux, le petit salon du livre de Courpière nous propose son menu terroir, gastro, sur le pouce, bistrot, comme on voudra, parce que dans un salon du livre il y en a forcément pour tous les goûts. Pour organiser un salon du livre chez soi il faut : - Une grande salle, des tables, et des nœuds de couleurs - Des tables, des chaises - L’odeur du pain qui cuit - Et celle du chocolat qui fond Ajoutez à cela : - Une librairie papèterie ( Roques) - Des auteurs - Des illustrateurs - Un ingénieur papier - Une conteuse N’oubliez pas pour agrémenter le tout : - Des cuisiniers…toqués - Et des macarons colorés et bons

La librairie papèterie Roques de Courpière

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L’innénarable Eric Battut et sa foisonnante bibliographie avec cette touche si personnelle dans ses peintures où l’infiniment délicieux côtoie toujours l’infiniment subtil. Grosse brute s’abstenir.

Daniel Brugès et Christiane Valat Le premier écrit, la seconde cuisine, les deux font de beaux livres, à base de recettes et de mots. A déguster avec franchise et bon aloi.

Françoise Laurent, auteure, son sourire, sa modestie et son immense talent.

Pourquoi manger des brocolis et des épinards alors qu'on a très très envie de manger des frites et des glaces ? L’auteur et ingénieur papier Tony Voichet rivalise d’ingéniosité (c’est son métier) et de créativité (c’est sa vocation) pour donner vie au corps humain, dans cette encyclopdocufiction sur la nutrition. http://www.pop-up-and-down.com/

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Dame Cathy, conteuse et maquilleuse et son théâtre avec une princesse plutôt particulière… http://www.conteusedamecathy.sitew.fr

Fabienne Cinquin depuis sa célèbre Mme Mouche aux petits gloutons du jardin en passant par son petit ogre

Poli et discret avec son polar sur fond de raviolis. Pierre Raufast. A lire absolument, et pas que le mercredi.

Les cuisiniers toqués d’Auvergne. Un régal.

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LE COIN SAVOUREUX DES LIBRAIRES ET DES LECTEURS - 143 -


La lecture serait la nourriture de l’esprit... ?

Par Emilie GUITREAU, libraire au rayon jeunesse

Pas seulement ! Selon nos petits clients de moins de deux ans, un livre ça se goûte, ça se machouille, et c’est drôlement bon ! Le libraire n’étant pas là pour nourrir les estomacs des jeunes lecteurs, mais bien leurs oreilles et leur imagination, nous vous proposons donc le menu suivant :

En entrée, dès 18 mois :

Roule Galette, Natha Caputo et Pierre Belves Pere Castor. L’indémodable, le fantastique Roule Galette ! Qui n’a lu ce titre enfant ? Une galette, trop chaude, est posée sur le rebord de la fenêtre à refroidir. Mais très vite, elle se laisse glisser et roule vers l’aventure !

Eliott cuisine avec son papa, Françoise de Guibert et Olivier Latyk Gallimard jeunesse. Une histoire toute douce sur un moment tendre entre un petit tigre et son père qui décide de faire un gâteau.

Bon appétit Monsieur Lapin, Claude Boujon Ecole des loisirs. Monsieur lapin en a marre de manger des carottes et décide d’aller voir ce qui se passe dans l’assiette de ses voisins...

Bulle et Bob dans la cuisine, Nathalie Tual et Ilya Green, Didier jeunesse. Bulle et Bob vont passer l’aprèsmidi à cuisiner avec leur grand-mère Miette, sur fond de chansonnettes gourmandes.

Gâteau perché tout là-haut, Susane Straber, Tourbillon. Quel beau gâteau en haut sur le bord de la fenêtre... Si seulement les animaux qui passent par là arrivaient à l’attrapper....

C’est quand le goûter ? Benoît Charlat Ecole des Loisirs. Le réfrigérateur est plein de bons gâteaux, mais il faut attendre les invités avant de commencer. Une fois encore, le style de Benoït Charlat nous fait fondre...

La Petite Poule Rousse. Comme pour Roule Galette, beaucoup connaissent ce fameux conte populaire, où une Poule rousse trouve des grains de blé et va planter, récolter, moudre et cuisiner afin de pouvoir déguster un joli pain doré. A chaque étape, elle demande de l’aide à ses amis qui vont tout refuser, sauf la dégustation finale. Mais Poule Rousse aussi sait dire non.

LE COIN SAVOUREUX DES LIBRAIRES ET DES LECTEURS - 144 -


En plat principal, nous vous proposons ces quelques albums : Blaise et le château d’Anne Hiversere, Claude Ponti, Ecole des loisirs. Se laissez emporter dans l’univers fourmillant de Claude Ponti. Suivre Blaise le poussin masqué dans ce voyage gourmand et participer à la fête d’Anne Hiversere. Un classique de la littérature jeunesse juste magique.

Une Soupe aux cailloux, Anaïs Vaugelade, Ecole des Loisirs. Voici la version d’Anaïs Vaugelade sur ce conte populaire. Dans un village sous la neige, un loup affamé, sac sur l’épaule, entre chez la poule pour... faire une soupe de cailloux ! De l’eau est chauffée et on y ajoute l’ingrédient principal : des cailloux. Curieux de ce qui se passe, tous les animaux vont vouloir participer et vont apporter un légume pour agrémenter la soupe.

Soupe 100% sorcière, Magali Le Huche, P’tit Glénat. Plus d’ingrédients de sorcière pour faire une soupe de sorcière ! C’est un comble ça ! Kroquela va alors se fournir dans les potagers de ses voisins, des personnages sortis de contes de fées. Sa soupe de légumes va s’avérer avoir des vertus surprenantes, même pour une sorcière...

Sorcière Tambouille, Marianne Barcillon, Kaléidoscope, La sorcière Tambouille est fine cuisinière : soufflés de crapaud, langues de loup aux choux, rat en gelée... Mais elle est persuadée que ses invités n’apprécient pas ses mets à sa juste valeur.

Loup qui découvrait le pays des contes, Orianne Lallemand et Eleonore Thuillier, Philippe Auzou. Pour le banquet du Printemps, Loup veut faire le fameux gâteau aux pommes de Tatie Rosette. Mais comment faire quand.... on ne sait pas cuisiner ? Il décide d’aller chercher de l’aide dans la forêt. Il rencontrera les Trois Petits cochons, le Petit Chaperon rouge, et... bien d’autres !

Les Deux goinfres, Philippe Corentin, Ecole des Loisirs. Bouboule et son chien Baballe sont très gourmands. Pour ne pas dire que ce sont de vrais petits goinfres ! Maman lui dit tout le temps qu’à manger si sucré, ils vont finir par faire des cauchemars...

La collection de livres de recettes Rue du monde, illustrés par Zau. Que ce soit Une cuisine qui sent bon les soupes du monde, Une cuisine tout en chocolat, ou encore le dernier Une cuisine du monde pour les bébés, les livres de cette collection entre le documentaire, le livre de recettes et le livre d’art est surtout un très bel objet qui invite les adultes et les plus jeunes (dès 8 ans) au voyage !

Goût des insectes de Frederic Marais, Gulf Stream. Venez découvir vingt vraies informations autour du « goût des insectes », qui peuvent être parfois, selon les pays et/ ou les époques, un plat ou une friandise très prisés.

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Vous ne repartirez pas sans un petit dessert ? Passons maintenant aux romans !

Bien sûr, nous pensons tout de suite au célèbre Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl, mais nous observons ces derniers temps en librairie un vrai phénomène autour de l’alliance de la pâtisserie et du roman jeunesse. Nous pensons aussi à la série des Filles en Chocolat de Cathy Cassidy, chez Pocket jeunesse, qui avec ses couvertures sucrées et acidulées nous donne envie de nous jeter à corps perdu dans un gros paquet de bonbons. Dans ceux que nous aimons et défendons en librairie, il y a aussi les séries la Pâtisserie Bliss de Kathryn Littlewood chez Pocket jeunesse et Madame Pamplemousse de Rupert Kingfisher et Sue Hellardchez Albin Michel jeunesse, qui allient magie et pâtisserie.

emilie.guitreau@lesvolcans.coop La librairie SCOP Les Volcans est une librairie généraliste indépendante qui a la particularité d’être un lieu bien ancré dans la vie des clermontois vu qu’avec sa petite quarantaine, elle a vu grandir beaucoup de clermontois ; mais elle se distingue aussi par sa reprise par douze employés sous forme de SCOP (société coopérative et participative) il y a un an et demi. Maintenant l’équipe comprend environ 35 salariés. Elle a un rayon jeunesse important, tenu par deux libraires passionnées, Stéphanie et Emilie. Vous y trouverez bien sûr du livre sous toutes ses formes : livre-tissus, albums, romans, documentaires, pop-up... mais aussi du jeu. SCOP Librairie Les Volcans 80 Bd François Mitterrand - 63000 Clermont-Ferrand tel. 04 73 43 66 56 - Fax. 04 73 35 17 70

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Les lectures de Morgane Billom, en voilà un bel endroit pour venir flâner. Si vous avez un peu de temps avec vous, vous pouvez même venir pousser la porte de la librairie « Il était une Fois », pour quelques minutes ou quelques heures. Parfois même vous trouverez là un auteur, un illustrateur ou un éditeur venu prendre un café et discuter. Morgane et Cyril vous accueillent, vous conseillent ou vous laissent fureter dans les étagères. Des albums pour petits et grands, des romans, des bandes-dessinées, des livres sur la région… un peu pour tous les goûts. Et en cette année 2016 la librairie fête ses 10 ans ! Nous découvrons là une magnifique collection d’assiettes ornées depuis la nuit des temps d’animaux fantastiques, de scènes de bataille ou de riches compositions géométriques. Chaque photo est accompagnée d’un commentaire de l’auteure qui nous raconte là un fragment d’histoire. Alors surtout n’oubliez pas : « finissez vos assiettes ! » Morgane MERLE BARGOIN

Librairie Il Etait Une Fois 4 rue Antoine Moillier 63160 Billom 04 73 68 34 98 contact@librairie-iletaitunefois.fr

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Béatrice Fontanel nous fait voyager dans l’art d’une manière insolite. A travers cet objet du quotidien qu’est l’assiette nous traversons le temps et les civilisations. Céramiques, faïences et plats d’argent nous servent le monde. (DE L’ART DANS MON ASSIETTE ; Béatrice Fontanel ; Seuil Jeunesse ; Septembre 2015 ; 20cm x 20cm ; 16€ ; à partir de 8 ans)

Superbe album de Claire Dé qui met en scène des fruits et des légumes dans leurs plus beaux costumes. Elle joue avec les formes, les couleurs, les contrastes et les textures et nous nous prenons à oublier qu’il s’agit là de simples aliments. Ils deviennent supports de l’art, occupent l’espace, semblent danser dans l’image et nous donnent terriblement envie de les toucher et de les croquer. Cet album est servi par un minutieux travail de peinture et de superbes photographies. (ARTI SHOW ; Claire Dé ; Editions des grandes personnes ; Septembre 2013 ; 35cm x 23cm ; 22.50€ ; à partir de 3 ans)

Les cahiers européens de l’imaginaires, revue de sciences humaines, prennent cette fois pour thème le Manger ensemble. Artistes, philosophes, sociologues et autres contributeurs s’interrogent ensemble sur l’imaginaire et la mythologie autour du repas, de la gastronomie et de la nourriture. Ce qui nait de cette expérience c’est cet ouvrage à la fois fou et passionnant où l’on explore notre inconscient et les subtilités de notre imaginaire collectif à travers des analyses, des photographies, de la bande dessinée, des critiques de cinéma ou encore de la poésie. Cet ambitieux kaléidoscope du « manger ensemble » ne se veut pas exhaustif mais l’on ne peut que s’étonner de la richesse de ses points de vue et des liens qu’il réussit à tisser avec les différents domaines de la pensée. (MANGER ENSEMBLE ; collectif ; CNRS éditions ; mars 2013 ; 30€ ; public adulte) Bernard Friot nous régale encore une fois de ses poèmes pressés à travers ce volume, La Bouche pleine. Pas de limites si ce ne sont celles de son imagination. Ces petits poèmes courts explorent à la fois l’écriture et le mot, interroge le sens et l’image et plongent cette fois dans notre gourmandise la plus folle. Rimes, jeux de mots, petites musiques, recettes délicieuses ou un peu folles pour manger ce (ou « ceux ») que l’on aime. C’est frais, c’est libre, c’est drôle et l’on en redemande. (LA BOUCHE PLEINE – ENCORE DES POEMES PRESSES ; Bernard Friot ; Milan ; Réédition février 2015 ; 5.70€ ; à partir de 5ans)

Andreï Kourkov, auteur russe maniant l’absurde avec jubilation, nous livre là une petite nouvelle délicieuse. C’est une enquête pleine d’humour sur l’étrange disparition du chef du « Casanova », un restaurant très privé de Kiev, où les apparences sont souvent bien trompeuses. Comment ne pas se laisser surprendre par ses personnages loufoques et attachants et ses rebondissements rocambolesques qui ne manquent jamais, au passage, d’égratigner la réalité sociale et politique de ce pays ? (TRUITE A LA SLAVE ; Andreï Kourkov ; Liana Levi ; avril 2013 ; 4€ ; public adulte)

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La recette inratable et imparable pour amadouer le Géant de Zéralda.

Par Claire Lebreuvaud

Ingrédients : - Une louche de couleurs - Un brin de poésie - Un kilo de fantaisie - Une cuillère à soupe de malice - Une pincée d’impertinence - Des trucs rigolos et des trucs qui font peur (un peu) Pour bien réussir cette recette, il faut attraper un énorme Crocodile et un Maximonstre. Les plonger dans la marmite de Cornebidouille, saupoudrer de copeaux de bois du nez de Pinocchio, y ajouter un filet de thé préparé par Alice avec un cube de Magie, magie. Monter en neige deux blancs d’oeufs de Tromboline et Foulbazar. Peler une pomme piquée à Blanche Neige, une Belle Lisse Poire, les jeter dans la marmite. Faire revenir à la poêle le lapin Jean Carotte, ajouter un Chien Bleu et parfumer l’ensemble aux pissenlits du jardin de Pomélo. En fin de cuisson, ne pas oublier d’ajouter un Dodu-VeluPetit pour colorer le tout. Couper en rondelles deux carottes de Madame Le Lapin Blanc, mixer de merveilleux légumes grands comme un jardin, rouler le tout dans des miettes de Roule galette. Parsemer de craies de couleurs glanées dans le café de La Princesse au palais et de quelques épices acidulées de Lilou la fée. Merci aux chefs étoilés : Tomi Ungerer (Le Géant de Zéralda), Roald Dahl et Quentin Blake (L’énorme crocodile), Maurice Sendak (Max et les maximonstres), Pierre Bertand et Magali Bonniol (Cornebidouille), Carlo Collodi (Pinocchio), Lewis Carroll (Alice au pays des merveilles), Alfred et Régis Lejonc (Magie, magie), Claude Ponti (Tromboline et Foulbazar), les frères Grimm (Blanche Neige), Pef (La belle lisse poire du prince Motordu), Alain Serres et Martin Jarrie (Une Cuisine grande comme un jardin), Natha Caputo et Pierre Belvès (Roule galette), Cécile Roumiguière Grégoire Solotareff (Mon petit lapin amoureux), Nadja (Chien Bleu), Ramona Badescu et Benjamin Chaud (Pomélo est bien sous son pissenlit), Beatrice Alemagna (Le merveilleux-dodu-velu-petit), Gilles Bachelet (Madame Le Lapin Blanc), Martinet Carole Chaix (Une princesse au palais), Emmanuelle Houdart (Les Voyages merveilleux de Lilou la fée).

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Le coup de cœur d’Esprit BD Par Fred Porcile

Christophe Blain est un des plus grands dessinateurs (et auteurs tout court) de la bande dessinée contemporaine. Alain Passard un des restaurateurs les plus réputés de la place parisienne. Pour les éditions Gallimard, faire travailler ces deux-là ensemble relevait de l’évidence. C’est ainsi que naquit, en 2011, un ouvrage essentiel de bande dessinée culinaire, En cuisine avec Alain Passard. Durant trois années, Christophe Blain s’est vu ouvrir à discrétion les portes de derrière de L’ Arpège, établissement du chef triplement étoilé. Au fur et à mesure de ses visites, il a bien compris qu’en cuisine, tout est affaire de gestes nécessaires et justes : émincer, émulsifier, faire sauter les pommes paillasses comme des crêpes sont des actions qui peuvent s’accompagner d’une élégance folle ! Bien qu’il traite du quotidien et de la réalité d’un restaurant gastronomique, ce livre s’attache en effet à rendre compte des détails qui font d’un professionnel des fourneaux un chef d’exception. L’auteur d’Isaac le pirate est passé maître dans l’art de traduire par le dessin l’intériorité des personnages qu’il met en scène (on se souvient de la fulgurance des humeurs du ministre Taillard de Worms dans Quai d’Orsay), et c’est avec les mêmes qualités d’interprétation qu’il parvient à dépeindre l’agitation sereine des cuisines, le génie créatif du chef, la précision de sa gestuelle. Par le truchement de son crayon, Blain déclare son amour à un personnage intransigeant dont la complexité et le côté énigmatique finissent par transpirer des pages. Passard, homme solitaire (?), ne semble avoir de vie qu’en cuisine ou au potager. Son obsession de qualité concernant les légumes dont lui-même ordonne et organise la culture (on ne mange plus de viande dans son restaurant depuis la crise de la vache folle) relève même davantage de la maladie que d’un professionnalisme raisonné !

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Et pourtant, l’envie de rencontrer cet artiste de la table, d’économiser afin de pouvoir se payer un gueuleton digne de ce nom, devient irrésistible au fil des pages d’un livre qu’on dévore l’eau à la bouche. Dans cette attente fébrile, et par bonheur, le volume est ponctué de recettes accessibles que l’on peut s’amuser à tenter de reproduire chez soi, pour peu qu’on ait un tant soit peu la fibre… et le geste.

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Les choix de Gwendoline Gwendoline aime lire et elle aime dessiner, elle est en classe de troisième et nous a envoyé ses coups de cœur illustrés :

La Patisserie Bliss (de Kathryn Littlewood) Le début est long, on met du temps prendre plaisir de la lecture. Mais au fur et mesure, plusieurs évenements s'enchainent et les aventures commencent. Dans l'ensemble, j'ai bien aimé ce livre car il y a de la magie et parce qu'il arrive plein de péripéties aux héros. J'ai lu les deux premiers mais il y a quatre tomes en tout.

Charlie et la Chocolaterie (de Roald Dahl) Le livre est très accrocheur dès le début. L’histoire est palpipante, le héros est attachant mais le plus merveilleux reste les lieux que l’on découvre, qui sont tout aussi beaux les uns que les autres. Les inventions de Mr Wonka sont également fantastiques. Il existe un deuxième tome "Charlie et le grand Ascenseur de verre" qui est un peu moins bien. Charlie et la Chocolaterie a été adapté au cinéma.

Danny, champion du monde (de Roald Dahl) Ce livre est magnifique ! C’est une belle leçon d’amour entre un père et son fils. On ressent leurs émotions, on les accompagnent tout le long du livre. On s’attache vite et on pousse un soupir quand le livre est fini. Il y a aussi beaucoup de suspens : quand le père par t braconner dans les bois, on se demande ce qui va lui arriver. On s’inquiète aussi quand ils dégustent les faisans, on a peur qu’ils se fassent surprendre.

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A vos fourneaux, à vos bureaux :

y’a qu’à lire et à manger ! Dans la lecture des albums d’hier et d’aujourd’hui, il s’avère que littérature jeunesse et cuisine créent une alliance particulièrement féconde. Vous aurez plus de 130 titres dans ces prochaines pages, et la liste n’est pas exhaustive… Dans les albums, la cuisine c’est d’abord l’occasion de dire et de donner les codes du bien manger : comment se tenir à table, que manger, et pourquoi. La cuisine c’est aussi une histoire de famille, parce que le repas de famille est au cœur d’enjeux affectifs mais aussi de traditions entre générations. Mais le plus grand nombre d’albums concerne deux grandes thématiques complémentaires : la quête et la rencontre. La perte de soi et le manque de l’autre se comblent par la cuisine. Ainsi, la quête culinaire devient quête existentielle, la nourriture joue tantôt le substitut du moyen ou de la fin. La cuisine permet les rencontres, permet de se reconnaître dans l’autre dont on a peur ou l’autre que l’on aime et désire. On trouve en outre l’occasion par le biais de la nourriture de traquer son prochain, de lui nuire, de le poursuivre, car manger est autant un vice qu’une vertu… Enfin, la cuisine c’est beaucoup une question de mots. Premièrement parce que quand on s’en met plein la panse, on s’en met aussi plein la bouche. Mais ce n’est pas tout. La cuisine c’est l’expression de la civilisation, l’expression du propre de l’homme face à la sauvagerie, à l’absence de mots. De ce fait, la gourmandise, péché véniel du bonheur d’être homme, est nécessairement liée au bonheur des mots. Il y en a pour tous les goûts : recettes à dire et à conter, contes à réciter ou à mettre en recettes. A dévorer, à dire, à rendre héroïque ou au contraire misérable, la cuisine permet aussi de rire, d’apprendre, de chanter et de se souvenir, voilà le florilège de Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines ! Lève-toi et mange ! ( et lis...) - 158 -


LES CODES DU BIEN MANGER… ALBUM - A Table ! - LOUISE MARIE CUMONT - Editions Memo Mars 2010 - 18 € - A partir de 5 ans Lorsque mégères et mémères, mamans et papas, et êtres en tout genre se prennent à hurler « à table ! », des mouvements de troupes, de mains à laver et autres disciplines hygiéniques convergent vers les lavabos. Puis attablés, les convives amorcent ce qui est parfois une partie de plaisir et d’autres fois, un combat sans nom pour avoir la paix, le silence, le calme… bref, un peu d’éducation… En papier et tissu découpés, cet ouvrage met en scène (en trois actes) avec humour et un certain décalage les conflits autour du repas. Le jeu des points de vue et la chute permettent d’interroger la question – épineuse- du repas de famille de manière humoristique. ALBUM - Le dîner - MICHEL VAN ZEVEREN - L’école des Loisirs avril 2012 - 5 € en poche - A partir de 3 ans « Le dîner » ou comment un petit lapin désobéissant manque de se transformer en dîner pour un loup tout aussi désobéissant. Album vif, loufoque, pour apprendre – ou pas- les bonnes manières à ces enfants qui n’arrivent pas à attendre l’heure du dîner.

ALBUM - Pas Faim ? - ALEX SANDERS - Ecole des Loisirs mai 2014.12.20 € - A partir de 2 ans Du second degré, il en faudra pour comprendre que le loup est gros d’une dévoration sacrilège : il a mangé un enfant qui n’avait pas faim. De là, le dialogue entre une voix « off » et le loup puis avec l’enfant – avalé sans être mâché, évidemment-…. Morale de l’histoire : le repas c’est sérieux, il faut avoir faim quand c’est l’heure et manger ce qu’il y a dans l’assiette. Ce n’est pas le papa du petit loup qui nous contredira. Bon appétit ! Enfant pas sage s’abstenir.

ALBUM - A table ! - KAZUO IWAMURA - Edition Mijade février 2012 - 11 € - A partir de 3 ans C’est un petit classique de Mijade écrit par Kazuo Iwamura. Poétique dans la simplicité du dessin et de l’histoire, il présente trois écureuils dans un cerisier qui croisent un petit oiseau affamé. Ils lui proposent alors des mets que le moineau refuse jusqu’à ce que la mère arrive, une chenille verte dans le bec. Le mets et la becquée surprennent les écureuils qui vont se mettre à table avec leurs parents. So cute !

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LES PARENTéS ET LE MANGER ROMAN - Papa est un ogre - MARIE SAINT-DIZIER - Illustré par Amato Soro Folio Cadet - Gallimard - Mai 2011 - 4.30€ - À partir de 6/7 ans Pour une première lecture, c’est une première lecture jouissive. Un gamin se retrouve sans amis parce que son père dévore tous les enfants. Les derniers avalés sont ses camarades qu’il avait invités. Heureusement, ils réussissent à échapper à leur sort grâce à la ruse. Le fils s’échappe avec le petit millier d’enfants ingérés et non digérés. A cette étrange et foudroyante expérience, l’ogre réagit : il devient végétarien. Mais le fils de l’ogre sent en lui une étrange responsabilité : reprendre le flambeau ! Ames sensibles et sans humour s’abstenir… ALBUM - Loup un jour - CELINE CLAIRE - Illustré par Clémence Pollet - édition du Rouergue - Février 2014 - 15 € - À partir de 5 ans Le titre est éloquent et propose la geste maligne d’un loup qui prépare un gâteau et pour ce faire se met en quête des ingrédients et des invités nécessaires au bon déroulement de son repas. Sont conviés chaperon, cochons… et autres ex-victimes littéraires du prédateur. L’atavisme sera-t-il conjuré par le dessert somptueux, ou le menu sera-t-il complété par des ingrédients surprises ? Loup un jour…

ALBUM - T-Végi le tyrannosaure dévoreur de légumes - SMRITI PRASADAM-HALLS - Illustré par Katherina Manolessou - Janvier 2016 - 14 € - À partir de 5 ans T-Végi n’est pas un tyrex comme les autres, il aime les légumes, tous les légumes. Au grand dam de ses parents, il subit les quolibets de ses camarades. S’ensuit une quête pour ce tyrex pas comme les autres. Malgré le côté un peu criard de l’ouvrage, la question de la détermination familiale, des coutumes ou engagements culinaires se présente de manière assez subtile et intéressante. Le choix du personnage, c’est d’abord la rupture et la fuite, car le poids du social s’apparente à du harcèlement… ALBUM - C’est pour mieux te manger - FRANÇOISE ROGIER - Atelier du Poisson Soluble - Octobre 2012 -15€ - À partir de 5ans Réécrire le petit Chaperon Rouge n’était pas si simple et pourtant le récit se joue des similitudes avec le conte original pour en donner une fin encore plus cynique, Françoise Rogier évoque l’atavisme carnassier et la culture carnivore grâce à une pirouette finale tout-àfait baroque. Le tout à la gloire des créatures littéraires qui ne cessent de manger : les loups.

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ALBUM - La Jeune fille qui mangeait de l’herbe - COMTE DE BARINS Illustré par Charlotte des Ligneries - édition Mouck Octobre 2009 - 14€ - À partir de 6 ans L’initiative est louable : conter ces « enfants sauvages » retrouvés parmi les animaux et se nourrissant comme eux. Passé le malaise du premier récit de l’enfant qui mange de l’herbe et de la viande crue que l’on exhibe devant les curieux, le livre fait le portrait d’enfants qui peuvent intéresser : Egiste, l’enfant chèvre, l’enfant ours, les deux filletteslouves… Finalement la manière de se nourrir fait-elle réellement la civilisation ? La question est intéressante même si la réponse fournie par cet album curieux peut paraître embarrassante…

LES QUêTES CULINAIRES

ALBUM - Un Dîner affreusement parfait - MARIE WILMER - Illustré par Alexandra Gabrielli-Kuhn - éditions Naïve - Septembre 2014 - 15€ - À partir de 5/6 ans Magnifique quête en ombres chinoises autour du repas de Berthe la Sorcière et de son hibou. Léger et drôle, le récit conte avec force jeux de mots la construction d’un menu de sorcière. Le bien et le bon manger est d’une amusante inventivité, appréciée par tous les gourmets de mots.

ROMAN - Les Baleines préfèrent le chocolat - MARIE COLOT - Alice Deuzio Editeur - Avril 2015 - 11.50 € - À partir de 10 ans Roman choral autour du destin d’une adolescente friande de sucreries, généreuse tant dans ses formes que dans sa manière d’aimer les autres grâce à des confiseries. On peut ne pas apprécier l’aspect réaliste de ce témoignage mais, on appréciera la finesse psychologique d’une adolescence aux prises avec ses paradoxes douloureux et borderline.

ALBUM - Cuisine de nuit - MAURICE SENDAK - Ecole des Loisirs Octobre 2015 - 12,70€ - À partir de 5 ans Cet album ingénieux relie la thématique de la cuisine (la boulange) et celle du rêve. Un petit garçon, nu comme un ver, tombe dans le pétrin et s’ensuit une aventure incroyable à base de voie lactée, de farine et de levure. Epopée nocturne avec les dessins grotesques, au sens plastique, de Maurice Sendak. Vraiment surprenant, drôle, malicieux. On apprécie particulièrement les immenses boulangers au faciès de Hardy, (du fameux duo avec Laurel) si heureux de réaliser des pains au lait ! On aime. Lève-toi et mange ! ( et lis...) - 161 -


ALBUM - L’ogresse en pleurs - VALERIE DAYRE - Illustré par Woll Erlbrech Milan - Jeunesse - Mai 2004 - 2.90€ - À partir de 7/8 ans Géniale et terrible histoire d’une ogresse qui veut un bambin à croquer. Sa quête éperdue lui fait courir le pays, mais en vain, personne ne veut lui en donner. Amaigrie et affaiblie, elle rentre chez elle puis, bouleversée et affamée en arrivant dans une maison, elle voit un enfant et… elle le croque. Atroce horreur. Mais, le pire n’est pas là, elle comprend qu’aveuglée par sa faim, elle n’avait pas vu que cet enfant était le sien. Depuis elle pleure, encore et encore car elle aimerait un bambin, un bambin à aimer… ALBUM - Le Petit bonhomme pané - FRéDERIC BERTRAND - Illustré par Olivier Douzou - édition du Rouergue - Novembre 2011 - 16.30€ - À partir de 4 ans La quête du petit bonhomme pané, est une quête identitaire, une quête sur la naissance du petit bonhomme qui se demande quand il est né. Inventif, créatif, bourré de jeux de mots fantaisistes et drôles, cet album convoque un monde touffu, absurde, qui s’inspire de Lewis Caroll. Des « pontines » rythment la quête, et le travail graphique suit lui aussi un rythme très agréable entre accumulation et métonymie. Un album intelligent qui vaut le détour et qui ne vieillit pas. ALBUM-BD - Monsieur Crocodile a beaucoup faim - JOANN SFAR - édition Gallimard - Juin 2010 - 10.05€ - À partir de 7/8 ans L’opus de Joann Sfar est bien connu car recommandé par l’Education Nationale. Dans sa quête culinaire, le crocodile rencontre un innocent, mais non moins malin, cochon qui saura épargner sa vie en trompant le prédateur naïf et obnubilé par sa faim. Entre la bande dessinée et l’album, la morale de cette histoire est pourtant un peu pessimiste : on n’échappe pas à sa nature première…

ALBUM - Six saucisses à roulettes - MICKAEL ESCOFFIER - Illustré par Cécile Gambini - Atelier du Poisson Soluble - Octobre 2014 - 15 € - À partir de 4 ans Qu’on se rassure, l’ouvrage est plus poétique que le titre. Dans ce drôle et original album, six saucisses sont en quête d’aventures. Des saucisses qui rêvent, c’est autant de démesure qu’un héros antique qui trompe les dieux. Et sous couvert de quatrains mélodieux, l’auteur mène ses héroïnes dans une tragique épopée. Les collages de Cécile Gambini aussi truculents que le texte donnent une forme d’élégance à ces héroïques et tragiques saucisses en vadrouille au Pôle Nord…

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ALBUM - Eh, Toâ, tu fais Koâ ? - AGNES DE LESTRADE - Illustré par Muzo - Oskar édition - Août 2015. 9.95€ - À partir de 3 ans Tout le monde connaît l’histoire de la grenouille à grande bouche qui paie de sa vie son insatiable curiosité. Ici Agnès de Lestrade revisite cette histoire en donnant à la grenouille un défaut supplémentaire : la gourmandise.

ALBUM - La Grenouille à grande bouche - FRANCINE VIDAL - Illustré par Elodie Nouhen - Didier Jeunesse - Août 2009 - 5.50€ petit format - À partir de 2 ans Le conte africain bien connu se moque de la gourmandise et de la curiosité de la grenouille. Dans cette version, on apprécie le grand format et les choix illustratifs qui travaillent l’attente du lecteur par le biais de gros plans sur les différents animaux de la chaîne alimentaire.

CUISINE ET RENCONTRES ALBUM - La vieille dame et les brioches d’or - ANAMARIA GOZZI - Illustré par Violeta Lopiz - Traduit de l’italien par Samuel Delerue Octobre 2013 - édition Cambourakis - 14 euros - À partir de 5 ans Ce merveilleux conte est d’une poésie toute délicate et la traduction n’enlève rien au phrasé raffiné de l’original. Une vieille femme persiste malgré son âge à confectionner des brioches de Noël et elle fait partager ses douceurs, jusqu’à ce qu’un jour Dame la Mort lui rende visite. Mais la vieille femme ne veut pas partir de si tôt : elle n’a pas fini de cuisiner. Beau, doux et émouvant. Délicieux, comme si la mort pouvait être douce avec un peu de brioche sucrée… ALBUM - La princesse aux petits plats - ANNIE MARANDIN - Illustré par Lucile Placin - Didier Jeunesse - Février 2015 - 12.50€ - À Partir de 5 ans Superbe album et superbe histoire d’une princesse orpheline qui trouve le bonheur et la joie dans la cuisine. Elle se régale de fine gastronomie, on la surnomme Rebondie. Rebondie est magnifiquement interprétée par Lucile Placin. Finies les princesses filiformes soumises qui ressentent un petit pois sous leur matelas. La belle et ronde Rebondie ne veut pas se marier comme l’entend son père. Elle lui lance un défi, elle épousera celui qui mangera plus qu’elle. Bien sûr, aucun prince – malgré son ambition- ne réussit le difficile pari, jusqu’à ce que la princesse rencontre un humble paysan avec lequel les plaisirs de la bouche sauront gagner cœurs et corps. Une réussite car le dessin comme le récit ne sont pas des prétextes moraux mais développent l’exacte différence entre vivre et exister. On aime ! Lève-toi et mange ! ( et lis...) - 163 -


ALBUM - L’Ours et l’enquiquineuse - BONNY BECKER - Illustré par Kady Mac Donald Denton - Traduit par Rémi Stéphani - Les Albums Casterman - Mars 2013 - 13.95€ - À partir de 3 ans Quoi de plus réjouissant que l’entêtement d’une souris face à un ours ronchon aux habitudes aussi fixes qu’une grand-mère anglaise. La souris aimerait, n’est-ce pas, boire « a cup of tea, that’s all. » Mais l’ours qui a clairement affiché son absolu besoin de solitude refuse fermement de recevoir le petit animal. C’est sans compter sur la malicieuse souris qui apparaît par magie dans tous les recoins de la maison… Finalement, la fraternité inter-animale fonctionne tellement mieux que celle des hommes… L’ours prend goût à l’amitié discrète de la souris et nous aussi. Un régal autour d’une tasse de thé et deux bouts de fromage. Il existe ainsi toute une collection de ces aventures savoureuses et souvent drôles. ( 5 tomes au moment où nous écrivons) ALBUM - Le Chat du Yangtse - CATHERINE DE LA CLERGERIE Illustré par Claire de Gastold - édition Picquier Jeunesse - Septembre 2013 - 14.50€ - À partir de 5 ans Bel album qui propose un voyage en Chine, dans sa culture, sa cuisine à l’occasion d’un repas familial dans un restaurant. Onirisme et cuisine font bon ménage quand la narration semble portée par des créatures aussi malicieuses et imaginaires que des chats cuisiniers ou des dragons chinois. La cuisine amène aussi à dire les mots des mets, on se retrouve à déguster des haïkus dissimulés entre les pages de la recette, menu qui ne gâche rien. ALBUM - L’Ours qui aimait le sucre d’érable - LYND WARD - Le Génévrier éditions - Août 2012 - 17 € - À partir de 6 ans Johnny est honteux. Toutes les familles arborent fièrement une peau d’ours sur leur grange. Il veut lui aussi redorer le blason de sa famille et part en forêt. Il croise un ours, ou plutôt un petit ourson qui dévore le morceau de sucre d’érable que lui offre Johnny. L’ourson est adopté et devient vite un ours immense qui dévore tout ce qui l’entoure jusqu’à attirer des ennuis à Johnny et à sa famille. Alors, il faut prendre une décision tragique… le sucre d’érable au cœur d’une rencontre et d’une séparation… Un récit d’aventures, réaliste et imaginatif. ALBUM - Le Menu préféré de Leila-la-laie - VERONIQUE KOMAI éditions pastel - Ecole des Loisirs - Septembre 2012 - 11.50€ - À partir de 3 ans C’est l’histoire d’un sanglier, nommé Jean-Glier qui pour séduire une laie, nommée Leila, décide de lui préparer un menu de choix. Il va donc saison après saison chercher les ingrédients dont il a besoin. Ce que le sanglier a oublié, c’est qu’un caneton qui passe l’année devient une cane, des œufs de grenouilles deviennent grenouilles… Heureusement les éléments végétaux, eux, peuvent rester au menu… Fable amusante qui invite à réfléchir sur les enjeux des ingrédients de nos menus. Un livre végétarien. Quasi vegan.

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ALBUM - Quand le loup a faim - CHRISTINE NAUMANN-VILLEMIN Illustré par Kris Di Giacomo - éditions Kaleidoscope.com - Juin 2013 13,20 € - À partir de 3 ans Un loup a faim. Jusque là, rien d’original. Il a envie d’un lapin. Jusque là, tout va bien. Mais pas n’importe quel lapin, il veut un lapin urbain. C’est là que tout se complique. Le loup prend son vélo et se rend en ville. Tout ne se passe pas comme le prédateur le voudrait. Retardé, empêché, effrayé par les différents habitants de l’immeuble, il finit par… tomber amoureux ! Comme il a finalement rendu service aux habitants, il devient leur ami. Mais aussi végétarien. Evidemment. On ne bouffe pas son voisin. C’est indéniable. Une histoire au rythme enlevé, aux péripéties amusantes, des illustrations pleines d’humour. On aime. ALBUM - La Masure aux confitures - SYLVIE CHAUSSE - Illustré par Anne Letuffe - Atelier du Poisson Soluble - Août 2010 - 15€ - À partir de 6 ans Dans cette réécriture ou relecture du conte de Grimm Hansel et Gretel, deux enfants, Arthur et Ursule parcourent une forêt et se retrouvent –au gré de leur culture- sur le perron d’une maison fort appétissante. Et à grandes lampées de rimes en –ures, le récit aboutit à la maxime anti-proustienne : « la vie c’est mieux que la littérature ». Parce que la nourriture, les confitures, la littérature se trouvent dans la même masure : celle d’Uranie, moins effrayante qu’on ne pourrait le croire ! Album touffu et riche pour lecteurs initiés. ALBUM - Devine qui vient dîner ! - PASCAL BRISSY - Illustré par Annick Masson - édition Mijade - Juin 2015 - 11 € - À partir de 5 ans Deux loups affamés trouvent leur frigo vide quand se présente tout d’aquarelle vêtu un mouton. Quand le dîner frappe à la porte, devraiton se gêner ? Mais c’est sans compter sur la capacité du mouton à manipuler ce drôle de couple qui finira par succomber… à la tendresse plus puissante que la faim. Un ouvrage optimiste et doux, drôle aussi, notamment à travers le jeu d’opposition entre la brutalité de l’instinct et la douceur d’être avec l’autre. Allez, ça fait pas de mal un peu d’amour au menu. ALBUM - La Princesse au petit poids - ANNE HERBAUT - édition Casterman - Les Album Duculot - Avril 2003 - 12.95€ - À partir de 4 ans L’histoire de cette princesse est assez troublante, car la souffrance préside à ce petit poids, et toutes les tentatives des personnes qui l’entourent et qui l’aiment, sont vaines. Alors, la princesse au petit poids pleure, pleure et pleure. Le motif des larmes, des « puella dolorosa » n’est pas original : le lac de larmes devient océan, et l’univers tout entier est recouvert par les eaux. De ce déluge, naît la soif de la princesse. Et c’est un laboureur (décidément les hommes du peuple sont plus utiles que les princes) qui arrive, dans une nudité symbolique pour lui offrir un verre d’eau. Enfin comprise, la princesse sourit. Anne Herbaut a réussi un bel album, original, dont les illustrations n’ont pas pris une ride.

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ALBUM - Le Festin de Citronnette - ANGELIQUE VILLENEUVE Illustré par Delphine Renon - Janvier 2016 - édition Sarbacane - 14.90€ - À partir de 4 ans Une nouveauté rafraîchissante du côté de Sarbacane : comment conjurer l’autre et la peur de l’autre ? Comment dépasser la différence et la peur de la différence ? En faisant le premier pas et ce premier pas c’est le partage, le partage d’un peu de soi pour faire plaisir : le partage d’un bon petit plat.

ALBUM - Ah ! Quelle soupe les amis ! - ALAIN SERRES - Illustré par Judith Gueyfier - Rue du Monde - Juin 2015- 16.50€ - À partir de 5 ans Ah quelle soupe ! Quelle soupe ! Quand une simple petite fille réussit à force de malice et de générosité à créer une soupe offerte à tous ceux qui ont aidé à la confectionner, on la félicite. Parce que la solidarité, comme l’amour, ne peut exiger la réciprocité, même les ingrats peuvent déguster le plat collectif. Album engagé, quand la cuisine se fait politique et sociale ! Une petite fille peut changer le monde, une petite fille peut changer la vie des autres, avec une soupe. Une bonne soupe.

LES VICES LARD ET LARDES : LA MéCHANCETé CULINAIRE ALBUM - Omelette surprise - ALEX SMITH - Traduit de l’anglais par Martine Desbureaux - éditions NordSud - Février 2011 - 12,90 € - À partir de 4/5 ans Viviane Goupil, une charmante et snob renarde découvre avec surprise un invité devant l’immense porte de son manoir : Edouard l’œuf. Lui prend une envie de concocter à son invité le meilleur accueil. Elle le bichonne, le nourrit, lui fait faire de l’exercice, car elle rêve d’un petit déjeuner copieux et savoureux… à base d’œuf. Mais Alex Smith réserve une surprise à son personnage principal et à son lecteur. Se régalera bien qui se régalera le dernier… ALBUM - Marcelle Potoffeu YANN WALCKER - Illustré par Gaia Guarino - éditions Courtes et longues - Février 2015 - 22€ - À partir de 5 ans Marcelle Potoffeu, la bien nommée, est concierge. Dans le plus pur cliché de la concierge avide de potins et de ragots, Marcelle se gave. Elle se gave de secrets et autres confidences au point de défier toutes les règles de la physique. Il s’agit de cuisine, de cuisine de mots, de l’infinie cuisine de la vie des autres. En marge du sujet mais assez drôle malgré le peu de nuances du propos. On s’égaiera des illustrations de Gaia Guarino qui brosse une terrible Marcelle Potoffeu à laquelle succédera une inénarrable Ginette Leboudin. C’est méchant, et ça fait du bien ! Lève-toi et mange ! ( et lis...) - 166 -


POUR LES BONS MOTS ET LES BONS METS POESIE - Poèmes Pressés - BERNARD FRIOT - Septembre 2008 - édition Milan - 4.99 euros - À partir de 6 ans Bernard Friot explore à travers des poèmes courts et toujours truculents les codes du bien manger, les expressions qui évoquent la nourriture, le plaisir, le désir, le bonheur de manger. Il laisse courir ses vers sur les pages et tout le monde peut trouver son compte dans ce recueil. Il y a à boire et à manger pour tout le monde, de quoi avoir la bouche pleine, et donc de se remplir la panse. CQFD.

ALBUM - Ze vais te manzer -JEAN-MARC DEROUEN - Illustré par Laure du Faÿ - Juin 2013 - 5.50€ - À partir de 3 ans De malice en jeux de mots, le loup qui a un cheveu sur la langue n’arrive pas à croquer ces lapins malins qui n’ont de cesse d’inventer des stratagèmes pour le tromper ! « Ze vais te manzer ! » s’exclame-t-il ! Mais son appétit est à la hauteur de sa bêtise. Joli album, drôle, sans prétention avec un travail d’illustration en contrastes colorés. Les personnages sont attachants et la chute est à la fois amusante et inattendue. On valide !

PRATIQUE - Des mots ou des mets ou comment l’appétit de lecture vient en cuisinant - FRANÇOISE SPIESS - Gallimard Jeunesse - Mars 2009 - 15.15 euros - À partir de 5 ans et accompagné ! Un vieux livre qui se trouve encore en vente et dans toutes les bonnes bibliothèques qui part du principe que la cuisine c’est des mots, des ingrédients, des bonheurs, des plaisirs à dire et à manger…Qui les contredirait ? Pas nous en tout cas. Car le bonheur de lire et de cuisiner se combine assez aisément surtout quand on n’est pas seul à lire et à cuisiner. Livre-somme qui se consomme à plusieurs voix. ALBUM - La Déjeunite de Madame Mouche - ELSA VALENTIN - Illustré par Fabienne Cinquin - L’Atelier du poisson soluble - Mai 2013 - 15€ - A partir de 7 ans -

Madame Mouche souffre de mille maux, souvent détournés en mille mots. Cet album foisonne de tout : jeux de mots, allusion, intertextualité. L’écriture et le dessin sont dans une mise en abyme permanente qui mène à une véritable farandole sémantique pas toujours accessible aux plus jeunes qui se laissent porter par l’onomastique et autres jeux sonores. Réflexion sur la maternité, le caractère hypocondriaque de Madame Mouche révèle des maux divers. De beaux portraits par la toujours vive et sémillante Fabienne Cinquin. C’est un album à lire comme un poème surréaliste baigné d’écriture oulipienne. La lisibilité touffue des pages et l’écriture nécessitent une certaine culture, et l’interprétation pour apprécier les efforts de l’auteur et de l’illustratrice. Lève-toi et mange ! ( et lis...) - 167 -


ALBUM - Carottes ratées et autres fautes de goût - ARNAUD NEBBACHE - Ane Bate - Février 2014 - 12.90€ - À partir de 2/3 ans Dans la veine du prince de Motordu, ce petit livre offre des jeux de mots culinaires agréables mis en scène par du papier découpé. Idéal pour les tout petits pour apprendre à détourner le langage et en appréhender les logiques phonétiques. On apprécie tout particulièrement les «sardines à tuiles» et la «marmotte aux fraises» …

ALBUM - Ogre, cacatoès et chocolat - CECILE ROUMIGUIERE - Illustré par Barroux - éditions Belin - Septembre 2012 - 12.70€ - À partir de 5 ans Manon n’est pas une petite fille comme les autres, elle raffole des mots. Quant à l’ogre, il est exactement comme tous les ogres, il raffole des enfants. Ces deux-là n’auraient pas dû se rencontrer – la maman avait bien prévenu la fillette. L’ogre s’ennuyait à mourir de faim. Cécile Roumiguière nous fait le récit du choc d’une rencontre. S’opère alors la classique humanisation du monstre par la civilisation : c’est-à-dire le verbal. La brutalité de l’ogre est ainsi annihilée par la quête de mots nouveaux (comme cacatoés et chocolat) que Manon a déclenchée. Le moment où l’ogre sauve la petite et où il se met à pleurer quand elle lui manque sont un peu superflus, mais on retiendra cette illustration graphique de l’humanisation : le monstre noir aux innombrables dents, se réduit au fur et à mesure des pages. ( et donc des mots…).

RECETTES à DIRE OU à éCOUTER Livre CD - Le Gâteau de Ouistiti CECILE BERGAME - Illustré par Cécile Hudrisier - Musique Timothée Jolly - Didier Jeunesse - Août 2013 - 17.70€ - À partir de 2 ans Quand Ouistiti voit son papa préparer un poulet aux carottes, cela lui donne envie de faire le dessert. Bien sûr, la petite souris est là pour…l’aider. Récit et comptines légères sans prétention font de ce livre-cd un petit opus à offrir ou à étudier. On trouve pêle-mêle : le dénombrement, le jeu des tailles (de casseroles), les mouvements, les ingrédients… Selon le principe des albums-imitations, il favorise la mise en place d’une créativité imitative avec l’enfant. Pour cela les comptines, le choix de textes poétiques et les arrangements musicaux permettent une réinterprétation aisée de l’enfant. Pédagogique, amusant, c’est une belle réalisation qui a déjà fait ses preuves…

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LIVRE-CD - Bulle et Bob dans la cuisine - NATALIE TUAL - Illustré par Ilya Green - Musique Gilles Belouin - Didier Jeunesse - Mai 2010 - 17.70€ - À partir de 2 ans Dans ce livre CD, un mercredi de pluie, Bulle et Bob décident de faire des biscuits. L’après midi se révèle une aventure de farine et de sucre très joyeuse et lorsque les deux enfants choisissent de faire des biscuits qui racontent une histoire, le sens du livre devient plus intéressant. Les chansons sont légères, les arrangements un peu jazzy sont des plus agréables. Bref, un petit album plein de bonnes idées éclectiques comme la cuisine de la Grand-mère Miette. Un jour de pluie.

LES HéROS PAR LA CUISINE

ALBUM - L’incroyable renommée de Pablo Picassiette - MURIEL KERBAT-SUPIOT et BERNARD VILLIOT - Gautier Languereau - Avril 2006 - À trouver en bibliothèque - À partir de 5 ans Pablo Picassiette est la risée de tous : petit, ridicule, car détenteur d’un illustre patronyme lui qui n’est qu’un insignifiant petit bonhomme…il rase les murs et essaie de ne pas se faire remarquer, jusqu’à ce qu’un jour, au pied d’un escarpin, de la crème crevette devient l’occasion de la métamorphose de ce petit homme rejeté de toutes les soirées mondaines. Inventif, Pablo Picassiette devient le décorateur de chaussures de toute la ville, une véritable coqueluche que les dames courtisent pour posséder une paire de chaussures décorée par Pablo… Une histoire drôle, bien écrite malgré quelques longueurs et surtout quelques pages peu lisibles ( texte clair sur fond clair et inversement) ALBUM - Le mangeur de sons - CHRISTOS - Illustré par Lauranne Quentric - éditions les 400 coups - Octobre 2010 - 13€ - À partir de 4 ans C’est un ogre pas commun que celui-là ! Il mange les sons, les cris, les hurlements, le tintamarre citadin et tous les fracas de la vie des hommes. Seulement voilà, il grossit à vue d’œil et le médecin lui conseille la diète, mais faire la diète quand on est un ogre… Ce sont les enfants qui vont le sauver, la solution est simple : faire moins de bruit ! Il ne manque à cet album qui nous vient du Quebec que l’accent qui va avec. Un texte riche, des illustrations composites et pleines d’humour. Un bel album toujours à la mode avec ce trio gagnant : gourmandise, vivre ensemble, écologie. La recette improbable de la morale de cette histoire. ALBUM - Le Renard et la Poulette - ERIC BATTUT - Milan Jeunesse Janvier 2008 - En bibliothèque - À partir de deux ans Dans cette petite fable bien connue des sections de maternelle, la poulette inconséquente et impulsive renonce à son œuf contre un vermisseau. Les héros sont les autres animaux de la ferme, qui par amitié pour la poulette vont tout faire pour lui épargner de voir son œuf poché, gobé, brouillé, à la coque… Ce qui, malgré tout, donne beaucoup d’idées au lecteur pour accommoder un œuf !

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CUISINE ET PéDAGOGIE DOCUMENTAIRE - Les p’tits gloutons - FRANÇOISE LAURENT Illustré par Fabienne Cinquin - éditions du Ricochet - Août 2013 - 7.60 € - À partir de 3 ans Sous la forme d’un docu-fiction, Françoise Laurent expose la chaîne alimentaire depuis les cerises dégustées par Lili la gourmande jusqu’au gros matou à rayures qui n’a pas pu croquer le merle qui avait avalé un lézard, qui avait gobé l’araignée qui avait dévoré la coccinelle (je sais, c’est triste…) qui avait elle-même savouré le puceron qui avait grignoté une feuille de cerisier… Fabienne Cinquin illustre ce documentaire bien sage et bien poli. ( sauf pour la coccinelle, mais c’est comme ça…) ALBUM - Les Vers de terre mangent des cacahuètes - ELISA GEHIN - éditions Thierry Magnier - Mai 2014 - 13,5€ - Àpartir de 3 ans La chaîne alimentaire encore, mais totalement déjantée : des vers de terre qui finissent de fil en aiguille par manger des chats. Signalons aussi des oiseaux qui mangent ces vers de terre qui ont avalé un chat. Et ces chats qui avalent ces oiseaux-là…. Tout cela à cause des vers de terre et de leur caractère de cochon ! Du coup, voilà, il n’y a plus de cacahuètes à manger, ils leur reste les cailloux…Tant pis pour eux. Franchement hilarant ! Les dessins stylisés et la mise en page sur un grand format scénarisent drôlement cette chaîne alimentaire loufoque qui se lit comme une ritournelle ! ALBUM - Oh Non - PATRICK GEORGES - école des loisirs - Août 2014 - 11 € - À partir de 2 ans La chaîne alimentaire encore et toujours, pour les tout petits avec une fin malicieuse pour petite(s) fille(s) désobéissante(s) !

ALBUM - La Grosse faim de p’tit bonhomme - PIERRE DELYE - Illustré par Cécile Hudrisier - Didier Jeunesse - Août 2012 - 5.50€ - À partir de 3 ans Dans cet album randonnée bien connu des écoles, P’tit bonhomme poursuit sa quête culinaire tandis que le lecteur suit la recette de la fabrication du pain. Vivacité du récit, rythme soutenu, dynamisme des illustrations, font de cet album un classique qui ne vieillit pas. (Ce qui est redondant, évidemment).

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ALBUM - L’arbre à confiture - MUTSUMI ISHII - Illustré par Komako Sakaï - école des Loisirs - Février 2015 - 12.70€ - À partir de 5 ans L’œuvre de la japonaise Komako Sakaï est reconnue pour la poéticité de ses techniques d’illustration et de ses récits. Cet opus ne fera pas exception même si le récit est de Mutsumi Ishii. Une maison. Une famille lapin. De l’amour. Et de la confiture de pomme. Voilà les jalons de l’histoire douce et lente d’une petite lapine bien sage qui découvre que l’arbre à confiture ne se mange pas, mais qu’il produit des pommes rouges à partir desquelles sa maman fait des confitures. Narration paisible, sentiment de lecture agréable par le biais du dessin sous forme de grands tableaux. ALBUM - Fourmis - BENOIT CHARLAT - école des Loisirs - Février 2013 - 10.50€ - À partir de 2 ans Livre à compter et à s’amuser ! Une fourmi. Puis deux. Puis trois. Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’une armée de fourmis évolue sur des gourmandises grandeur nature. On adore le grand format et les couleurs pastels. Le jeu est simple : repérer les fourmis et les compter ! (En évitant de dévorer les gourmandises sur papier !)

POUR RIRE ET POUR DéGUSTER SUR LE POUCE BANDE DESSINEE - La Soupière magique - BECKY PALMER - Traduit par Emmanuelle Beulque - Sarbacane - Novembre 2014- 17.50€ - À partir de 5/6 ans Dans cette bande dessinée, deux petites filles se retrouvent dans un marché aux puces où l’achat d’une soupière va entraîner des péripéties les unes incroyables, les autres démesurées. On aime le dessin un peu désuet (n’est-ce pas une nouvelle modernité ?) et le goût des vieilles choses dans cette BD amusante et imprévisible. Le goût des autres, c’est parfois un goût de semoule… Ben, si.

ALBUM - Le Loup qui avait toujours faim - ERIC BATTUT - édition Rue du Monde - Mars 2012 - 16€ - À partir de 3 ans Comme un cycle sans faim, et sans fin ou plutôt avec faim et sans fin, un loup court pour manger et mange pour courir. Ou l’inverse. Sans morale, sans arrogance. Un livre parfait pour rendre compte du sens du non-sens. Et inversement.

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ALBUM - Le loup qui découvrait le pays des contes - ORIANNE LALLEMAND - Illustré par Eléonore Thuillier - édition Auzou - Janvier 2015 - 5.95€ - À partir de 3 ans Ce héros bien connu des grandes surfaces propose une rencontre entre le loup et les contes. Intertextualité très légère, mais amusante.

ALBUM - Le festin du roi - MARIEL VERHELST - Illustré par Linde Faas - Traduit par Julie Duteil - Minédition - Mars 2015 - 14.20€ - À partir de 3 ans L’histoire d’une tarentule qui prépare un gâteau pour l’anniversaire du roi Léo. Mais il y a un souci : on a volé la pièce maîtresse, une pièce de viande qui couronnait la pièce montée. Alors, elle décide de fouiller dans la bouche des animaux alentours : éléphant, girafe, crocodile, gorille… Le morceau de viande demeure introuvable. La chute attendue arrive à bon port : c’est évidemment Léo le lion, le coupable. L’histoire et la traduction ne sont pas d’une qualité absolue, mais les illustrations compensent la lourdeur du texte par un beau dynamisme graphique et coloré. ALBUM - La saucisse Partie - ALLAN AHLBERG - Illustré par Bruce Ingman - Gallimard Jeunesse - Août 2007 - 12.20 euros - À partir de 3 ans Course poursuite sur le modèle du petit bonhomme de pain d’épices, un petit garçon poursuit sa saucisse (si, si..) elle-même suivie par des ustensiles et mets en tout genre (les frites par exemple). Cours, Banjo, cours ! C’est drôle et ça ne mange pas de pain. Sauf avec la saucisse, peutêtre. ALBUM - Zigomar n’aime pas les légumes L’ogre le loup la petite fille et le gâteau L’ogrionne - école des Loisirs - 5 € - À partir de 5 ans Philippe Corentin occupe depuis plusieurs décennies les étagères des bibliothèques et il y a un je ne sais quoi d’indémodable dans ses livres. L’humour, la démesure, l’improbabilité et aussi, c’est certain, la singularité d’un dessin qui s’affranchit de la bienséance. Dans la catégorie littérature et cuisine, nous avons : - Zigomar qui n’aime pas les légumes. Qui l’en blâmerait alors que ces ignobles carottes à la botte d’un navet avachi sur son trône le capturent avec son amie la souris….C’est que les légumes se révoltent, ils n’en peuvent plus d’être dévorés, maltraités de différentes manières (cueillis, râpés, épluchés…) et les deux amis sont obligés de faire une confession mensongère : ils ne mangent jamais de légumes ! - Dans la chaîne drolatique de l’ogre, du loup, de la petite fille, et du gâteau, il va falloir de l’ingéniosité pour traverser une rivière sans que la fatalité alimentaire n’accomplisse son inéluctable déroulement ! - Dans l’Ogrionne, il est plus question de carottes que d’ogre, car sous le capuchon rouge se cache un personnage traditionnel qui n’est pas très en forme. Le récit présente des coups de théâtre pour initiés, mais qui plaisent beaucoup aux enfants qui adorent être du côté de ceux qui se moquent de la littérature qui se prend trop au sérieux ! Lève-toi et mange ! ( et lis...) - 172 -


MANGER OU NE PAS MANGER ? PHILOSOPHIE - A table ! - Petite Philosophie du repas - MARTINE GASPAROV - Illustré par Violaine Leroy - Gallimard jeunesse mars 2014 - 12 € - A partir de 13 ans Ouvrage bien agencé et réflexif sur les rapports de l’homme avec le repas. Un outil à mettre entre toutes les mains. Cette collection est inestimable par son désir de faire de la philosophie un exercice naturel et quotidien. Penser et manger, en même temps, cela devrait être possible…et même obligatoire !

ALBUM - Mange, mon ange ! - CHRISTINE SCHNEIDER - Illustré par Hervé Pinel - Albin Michel Jeunesse - Mars 2002 - 10.50 € - À partir de 2 ans Un enfant qui ne veut pas manger et un papa (enfin !) qui joue d’ingéniosité et d’imagination pour amener son petit lapin à considérer les choses autrement. Mais le petit lapin, lui aussi, ne s’en laisse pas conter car il a plein de questions à poser…pour éviter de manger (et donc de parler la bouche pleine !)

DOCUMENTAIRE - Manger - MICHEL PUECH - Illustré par Anne Jourden - édition du Pommier - Mars 2012 -12 euros - À partir de 6 ans Cette collection a déjà le mérite d’exister, parce que la philosophie devrait être distillée dès la crèche et ne pas surgir le temps d’un examen en classe de terminale… On déplore peut-être l’aspect un peu bavard et touffu de la présentation, mais c’est sans conteste une nécessité que d’être et de penser. Alors n’hésitons pas à nourrir de philosophie nos chers petits…

ALBUM - A Table ! - REBECCA COBB - Traduit par Elisabeth Duval - école des Loisirs - Juin 2014 - 5 € - À partir de 2 ans Dans cet album une petite fille n’a pas très faim et elle a heureusement des animaux qui viennent l’aider à finir son assiette, sauf que quelques heures après le repas…elle a faim. Pour le dîner, elle finira seule son assiette au grand dépit de ses amis voraces… On aime le contraste entre le gigantisme des animaux et la modeste assiette de la petite fille, on aime les couleurs et la perplexité malicieuse de la petite fille.

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DOCU-ALBUM - Un Rêve sans faim - FRANCOIS DAVID - Illustré par Olivier Thiébaud - Juillet 2012 - 14€ dont 1 euro réversé à l’ONG Sharana - À partir de 5 ans C’est une œuvre atypique, tant par sa réalisation plastique que par son intention. Il est question de faim, mais de vraie faim. Adieu symbole, fable et autre parabole, il est question ici des gens qui ont vraiment faim. Avec légèreté ou gravité. Mais réalité. Donc, un livre nécessaire. Quand on se demande ce qu’on va manger sur un continent, cela n’a pas le même sens sur un autre…

RECETTES ET RECITS ALBUM - Un Estomac dans des talons - Petite histoire d’appétit et de sushis - ANNA BOULANGER - Zoom éditions 2010 - 4 € - À partir de 5 ans Cet album succulent raconte l’histoire d’un tanuki dérangé durant son hibernation par une sensation inconnue : la faim. S’ensuit une quête qui s’avère une coriace leçon de cuisine pour l’animal. Ce récit malicieux nous évoque l’origine de la création des sushis. Car l’aventure du tanuki le mène à croiser de nouvelles saveurs pour enfin être repu et se reposer. En bonus : des recettes à la fin du livre.

ALBUM - Speculoos ! - La quête SARAH MASSON - Illustré par Michel Squarci - Zoom édition- Septembre 2003 - 9.90 € - À partir de 5 ans Ce livre n’est pas récent, mais n’a pas vieilli du tout ! Désormais le spéculoos est devenu plus que tendance. (Il entre aussi bien dans la préparation du foie gras que du tiramisu…) Pour fabriquer les biscuits dans les règles de l’art : rien de plus facile, suivez la quête du ménestrel Maurice qui, pour conquérir une princesse mélancolique, recueille les ingrédients nécessaires depuis l’Afrique, en passant par l’Indonésie pour rapporter à celle qu’il aime le biscuit qui rend heureux. (à noter les recettes à la fin du livre.) ALBUM - Du chocolat pour toi - SATOE TONE - Traduit par Emilie Busin - édition PassePartout - 10 € - À partir de 4 ans Un carré de chocolat et un carré de lecture. Une recette de bon chocolat illustrée avec délicatesse et simplicité. Dialogue culinaire et gourmand. Pour les amoureux des petites lectures délicieuses comme ce carré de chocolat qui fond dans la bouche avec le café.

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ALBUM - La Galette géante - RIEKO NAKAGAWA - Illustré par Yuriko Yamawaki - Avril 2008 - 12.5 € - À partir de 3 ans Guri et Gura trouvent un œuf géant. Heureux et embarrassés, les deux rats des champs trouvent une solution : réaliser une galette géante dans la forêt…. Mais les habitants sont attirés par l’odeur…La fin de l’album figure les très contemporains potlatchs : les animaux de la forêt, et même de la jungle (?), dégustent ensemble la galette…

DOCUMENTAIRE - Les Recettes des drôles de petites bêtes - Recettes d’Alain Passard - Illustrations ANTOON KRINGS - Octobre 2005 13.70€ - À partir de 5 ans Un livre de recettes absolument charmant avec ses dessins réalisés de manière traditionnelle. On appréciera aussi (et surtout en fait !), le choix des recettes particulièrement audacieuses comme l’avocat soufflé au chocolat ou les haricots verts et pèches blanches amandes. On a réalisé les chouquettes vanille-framboise : délicieux. A se procurer et à essayer !

ALBUM - Tiramisu ou comment l’hiver devint agréable - CLAUDINE FURLANO - Illustré par Nicolas Lefrançois - Novembre 2010 - Zoom édition - 14 € - À partir de 5 ans Un hiver rigoureux, implacable, inattendu s’abat sur l’Italie. Heureusement, l’ingénieux, curieux et fabuleux Bepi trouve une solution à toute cette grisaille que personne ne semble capable de supporter. Mascarpone obligatoire, œufs entiers, sucre, biscuits, que de bons ingrédients pour conjurer l’hiver ! La recette est fournie pour les gourmands. Belle collection chez Zoom Edition.

DOCUMENTAIRE - Contes gourmands pour ouvrir les petits appétits - SOPHIE LANCIOT et EMILIE CHOLLAT - éditions Belin - Fevrier 2010 - 13.70€ - À partir de 5 ans L’idée est très bonne mais la réalisation aurait pu être meilleure notamment pour les récits (peu attractifs). Ce livre raconte l’histoire d’une fratrie d’affamés. Là est le prétexte à la présentation de plusieurs recettes simples mises en espace dans une assiette : le crocodile à base de purée de courgettes, la sorcière à partir de fruits d’été, le mouton blanc en choux-fleurs… Des idées qui peuvent inspirer pour écrire des histoires et pour les cuisiner…

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COMPTINE ET CUISINE pour les tout-petits Une collection Rue du monde qui régalera les tout-petits

Edition Didier Jeunesse

Editions MeMo

Edition Formulette

ARTS ET CUISINE

ALBUM-SANDWITCH - Nic, Nac, Noc - KATY COUPRIE PASCAL DOLEMIEUX - Illustré par Claude Lapointe - Gallimard Jeunesse - À partir de 6 ans Introuvable dans les librairies, on peut dénicher cette pépite dans les bibliothèques. Trois personnages ( Nic, Nac et Noc) partent à la recherche de saveurs nouvelles et rencontrent trois ogres. Le texte est riche en lexique culinaire et la quête met parfaitement en vis-à-vis les mets et les mots. Il mériterait de faire peau neuve et d’être réédité… A votre bon cœur Gallimard Jeunesse ! Lève-toi et mange ! ( et lis...) - 176 -


CUISINE ET MéMOIRE DOCU-ALBUM - Les beignets de ma mère : 1955, la ségrégation aux Etats Unis - MARION LE HIR DE FALLOIS - Illustré par Morgane David - édition Kilowatt - Février 2014 - 15.80€ - À partir de 6 ans A travers la recette de beignets faits par sa maman, un enfant raconte la ségrégation aux Etats-Unis. Le biais de la cuisine renvoie ici à la puissance mémorielle des saveurs et à celle d’un peuple qui change son histoire grâce à une femme : Rosa Parks. Cette collection « un jour, ailleurs » permet de se projeter dans l’Histoire par une petite histoire. On aime l’idée.

ALBUM - La fête de la tomate - SATUMI ICHIKAWA - école des Loisirs - Juin 2014 - 5 € - À partir de 6 ans Seule la détermination d’une petite fille permettra à un plant de tomate rabougri de donner de belles tomates cerises qui pourront alors faire l’honneur d’une fête de la tomate inventée par la petite Hana ellemême. De belles illustrations, une éthique du manger tournée à la fois vers la tradition et la rebellion d’une poucette aux mains vertes…

DOCUMENTAIRE - A Table ! - NOËLLE CHÂTELET - édition de la Martinière - Mars 2007 - À acheter d’occasion ou à trouver en librairie Les éditions de la Martinière nous proposent souvent des ouvrages somptueux et celui-ci ne fera pas exception. A partir de soixante photographies qui traversent l’histoire de France (Doisneau, Ronis…), Noëlle Chatelet propose des nouvelles pour chaque tablée. A nous de copier le procédé, soit en créant les tablées à partir des textes, soit en écrivant des textes…

ALBUM - La Madeleine de Proust - Illustré par BETTY BONNE Courtes et Longues éditions - Juin 2011 - 19.50 euros - À partir de 8 ans Le principe est simple, judicieux et particulièrement bien réussi pour cet opuscule. Des extraits de textes classiques illustrés avec art et pertinence. Le halo lumineux de Betty Bone donne le sens interprétatif de textes clés de la Recherche du temps perdu: la Madeleine, Gilberte, le drame du coucher. Ainsi l’illustration permet la lecture finie de trois moments fondateurs de l’enfant et de l’adulte : l’amour, la conscience de soi et la perte de soi. Lève-toi et mange ! ( et lis...) - 177 -


LES CONTES à DIRE ET à DéVORER LIVRE-CD - Gourmand trop gourmand - JEAN-LOUIS LE CRAVER, JIHAD DARWICHE, PRALINE GAY-PARA - Illustrations Hervé Suhubiette, Martine Bourre, Rémi Saillard - Didier Jeunesse - Septembre 2008 - 22.80€ - À partir de 3 ans ( et même avant) Un petit bijou que ce livre CD. Trois histoires hilarantes et classiques : celle deux oursons gloutons et naïfs incapables de trouver une solution pour partager un fromage qui se retrouvent dépouillés par le rusé Renart… Le poussin gourmand qui mange la part du chat et qui réussit à réchapper d’une mort certaine grâce à un éternuement. L’histoire fameuse de l’âne qui a mangé les grains de la poule et qui se retrouve avec le pigeon, le canard et le coq devant la mare aux aveux… Un livre bien fait et surtout des histoires vraiment bien racontées avec un bonus absolument subjectif pour l’excellent Jihad Darwiche.

LIVRE-CD - Diabou Ndao - MAMADOU DIALLO - Illustré par Vanessa Hié - Syros - Avril 2015 - 15.90€ - À partir de 5 ans Dans cette nouvelle version avec un CD, Syros nous permet de savourer ce conte réjouissant où une petite fille qui raffole des « gnoules » se fait surprendre un soir par un lion. Le défunt Mamadou Diallo est un conteur hors pair et qu’il est bon d’entendre raconter cette histoire où une petite fille ne se laisse pas abuser contrairement au naïf Petit Chaperon Rouge… Diabou Ndao mange des gnoules, les petits noix des palmiers et, elle, elle ne va pas se laisser déranger par « un petit chat malade ». D’ailleurs, elle ne fera qu’une bouchée du misérable prédateur… prédateur qu’elle... chiera. Tel est le destin des lions qui dérangent une petite Diabou Ndao qui mange des gnoules ! Délicieusement scatologique et féministe.

ALBUM - Le secret de la citrouille - BRIGITTE HELLER-ARFOUILLERE - Illustré par Gilles Weissman - Milan Jeunesse - Septembre 2005 - À partir de 3 ans - À trouver en bibliothèque Ce conte chinois s’appuie sur un jeu de double entre deux femmes semblables à des sœurs dont l’amitié usera d’une citrouille pour donner sens à leur vie. Parce qu’en Chine, sachez-le, les petites filles naissent dans les citrouilles… Autant le savoir pour l’automne prochain. Des illustrations un peu simplistes et un récit traditionnel, mais le conte est plaisant et la morale surprenante : sous la forme d’une famille recomposée, les deux familles voisines adopteront ensemble la fille unique qui naîtra de l’unique citrouille…

Lève-toi et mange ! ( et lis...) - 178 -


ALBUM - Agoulou Granfal ou le rocher de gourmandise - ALEX GODARD - Albin Michel - Avril 2015 - 15 € - À partir de 5 ans Nani Rosette est gourmande, très gourmande, mais surtout, Nani Rosette ne veut pas partager. Et elle trouve un endroit parfait où elle peut –enfin- finir sa calebasse en paix. Mais, la soif la tenaille rapidement quand elle se rend compte qu’elle est coincée en haut d’un rocher, celui-là même où Agoulou Granfal, le dévoreur de gourmands, habite… Ce conte créole, illustré et raconté de manière classique, rend hommage au bien et bon manger tout en insistant sur l’aspect convivial et nécessairement généreux de la gourmandise. Spectaculaire.

ALBUM-RECETTES - La cuisine des Contes - FREDERICK MANSOT Illustré par Sylvine Rey - édition Vilo Jeunesse - Octobre 2006 - 12 € - À partir de 3 ans Ce recueil ludique a une réalisation brouillonne mais l’ouvrage fonctionne bien avec les enfants. Le principe est simple : un conte, une recette. Pour le Petit Poucet : le pain perdu, pour Boucle d’or une soupe chaude aux carottes (ça la rendra aimable), pour la Belle au bois dormant ? Un gâteau d’anniversaire. Cent ans, ça se fête ! etc. Une jolie idée et un livre joyeux à ranger parmi les livres de cuisine : pendant la cuisson, on prend le temps de raconter l’histoire.

AlBUM - Les Recettes des Contes de fée - CHARLEY FOUQUET et CHLOE SAADA - éditions Fabre - Décembre 2015 - 25 € - À partir de 4 ans (pour les clins d’œil) Dans la veine des contes illustrés, à noter ce beau livre issu d’une association entre un auteur et un photographe. En fait une auteure/ comédienne et une photographe. Des extraits de contes, une photo « féérique », la recette. Tout ceci sur un fond bleu superbe. Un joli objet-livre. On retrouve les galettes au beurre du Petit Chaperon Rouge, le pain perdu du Petit Poucet, et les attendus scones d’Alice au pays des Merveilles. On aime les meringues de Blanche Neige. Les mises en scène de la photographe sont malicieuses et particulièrement subtiles.

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Il existe une multitude de livres

de cuisine s’appuyant sur les contes

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DU CÔTE DES CLASSIQUES DU PERE CASTOR Edité par Flammarion, cette collection propose comptines, contes, où la thématique de la nourriture et de la cuisine tient une place centrale. Depuis la recette rocambolesque du gâteau 100 fois bon, (dont le principe est simple : plus on additionne d’ingrédients délicieux, meilleur sera la pitance) au conte de l’étourdi Epaminondas qui traîne sa motte de beurre sur le sol, en passant par Le Petit bonhomme de pain d’épices ou l’Histoire du coq glouton, la nourriture est toujours l’occasion d’un bon mot ou d’une bonne farce.

Lève-toi et mange ! ( et lis...) - 181 -


Du côté de Rue du Monde

Un florilège de beaux et bons ouvrages qui offrent une luxuriance dans les illustrations et dans la richesse humaniste de leur collection. A lire et à déguster toute la collection d’Alain Serres.

Lève-toi et mange ! ( et lis...) - 182 -


Du côté de chez Roald….

La truculence de l’auteur gallois n’a d’égale que la gourmandise de ses personnages. On ne saurait évoquer les littératures et les cuisines sans faire un petit tour du côté de chez Roald. Evoquons bien sûr le célèbre Charlie et la chocolaterie mais aussi le non moins gustatif James et la grosse pêche. Dans une autre lignée, il y a les régimes spéciaux, ceux des gredins, des ogres et des sorcières (qui, je le rappelle, savent reconnaître les enfants à leur odeur caractéristique de « caca de chien ») parce qu’on crève la Dahl ! A découvrir et à reparcourir aussi : • Les Deux gredins • Fantastique Maître Renard • La Potion magique de Georges Bouillon • Sacrées sorcières • Le Bon gros géant Même traduits, les livres de Roald Dahl regorgent de jeux de mots et d’inventions culinaires inimitables. Habitués à une langue épaisse de sens, les enfants peuvent mieux dévorer les livres copieux et s’en délecter. Parole de dévoreurs de livres.

Lève-toi et mange ! ( et lis...) - 183 -


Quelques pioches du côté du roman jeunesse

Lève-toi et mange ! ( et lis...) - 184 -


Lève-toi et mange ! ( et lis...) - 185 -


Š Fabienne Cinquin


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