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p. 12 Focus p. 16 Le bovarysme, selon Emmy p. 26 Ces sucres qui emprisonnent nos neurones p. 32 Figé de terreur en pleine nuit Actualités
Par la rédaction
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NEUROSCIENCES Cesserons-nous enfin un jour de procrastiner?
Des chercheurs viennent d’identifier les mécanismes cérébraux mis à l’œuvre dans la procrastination, ouvrant la voie à des stratégies individuelles pour y faire face.
R. Le Bouc & M. Pessiglione, Nature Communications, 2022.
«J
e remplirai ma déclaration d’impôts demain », « Encore une vidéo et je révise mon partiel », « J’arrête de fumer à la fin du mois »…
Si ces situations vous rappellent quelque chose, alors vous avez déjà procrastiné, comme 20 % des adultes et environ 70 % des étudiants ! Comme son étymologie latine le suggère – crastinus signifiant « demain » –, la procrastination consiste à repousser à plus tard ce qui pourrait être accompli maintenant. Les psychologues définissent plus précisément la procrastination comme la fâcheuse tendance à retarder inutilement mais volontairement une tâche, qu’elle soit imposée comme voulue, malgré les conséquences néfastes potentielles… même si elles sont connues ! Et pourtant, qui aurait envie de se retrouver débordé de cours à réviser la veille de son partiel ou de recevoir une lettre de relance des impôts ?
Selon une étude menée conjointement par l’Inserm, le CNRS, Sorbonne Université et l’AP-HP au sein de l’Institut du cerveau à Paris, c’est la résultante de deux effets qui
RETROUVEZ NOUS SUR
pousse certains à procrastiner davantage que d’autres. Il y a tout d’abord la valeur que l’on attribue à une récompense (eh oui, ça fait du bien quand la déclaration fiscale est terminée), et la perception de l’effort nécessaire pour l’obtenir. Les personnes qui trouvent qu’une gratification garde la même valeur entre aujourd’hui et demain, mais qui perçoivent l’aspect pénible bien plus fort aujourd’hui que demain, vont évidemment être portées à procrastiner… Ce sera moins le cas, à l’inverse, de celles pour qui une récompense perd grandement de sa valeur au cours du temps, alors que le désagrément d’une tâche reste important le jour d’après.
LA DÉVALUATION DE L’EFFORT
Dans leurs expériences, Raphaël Le Bouc et Mathias Pessiglione, de l’Institut du cerveau à Paris, ont demandé à des volontaires d’indiquer leur préférence entre obtenir une petite récompense rapidement ou une grande récompense ultérieurement (cinq sushis tout de suite ou dix dans une semaine, par exemple). De la même façon, ils leur ont demandé de noter leur préférence entre une tâche légèrement ennuyeuse à faire immédiatement et un travail très pénible une semaine plus tard. Ce type de questionnaire permet de mesurer ce qu’on appelle la « dévaluation temporelle des récompenses (dans le premier cas) et des efforts (dans le second) » : quand une personne dit préférer une petite récompense tout de suite à une plus grande dans une semaine, c’est qu’elle déprécie fortement les plaisirs avec le temps. Et quelqu’un qui préfère une tâche très pénible dans longtemps à une petite corvée tout de suite déprecie très fortement l’effort avec le temps. La dépréciation des récompenses et des efforts peut ainsi être mesurée sous forme d’une courbe de décroissance qu’on appelle « courbe de dévaluation temporelle ».
Dans un second temps, tous les participants ont dû faire un choix très simple concentrant ces deux influences : exécuter une tâche cognitive fatigante (effort) en échange d’un cadeau (récompense), soit immédiatement, soit le lendemain. En comparant le résultat de ce choix avec les courbes de décroissance temporelle des récompenses et des efforts préalablement établies, les chercheurs ont constaté que la tendance à procratisner provenait principalement de la dévaluation des efforts. La dévaluation des récompenses jouerait un rôle moindre. Puis, en réalisant ces tests de choix sous IRM, ils ont observé que la perception de la pénibilité de l’effort et l’atténuation de cette pénibilité avec le temps sont prises en charge par une zone du cerveau appelée « cortex préfrontal dorsomédian ».
Finalement, en prenant en compte à la fois l’activité du cortex préfrontal dorsomédian des volontaires et leur vitesse d’atténuation de l’effort avec le temps, Raphaël Le Bouc et Mathias Pessiglione ont été capables de prédire au bout de combien de jours les participants de l’expérience, une fois rentrés chez eux, renverraient les formulaires administratifs nécessaires afin de toucher leur indemnisation pour avoir participé à cette étude… Selon les auteurs, ces recherches pourraient aider à développer des stratégies individuelles pour éviter la procrastination et ainsi prévenir les conséquences néfastes qui en découlent. En attendant, n’ayez donc crainte : vous n’êtes pas forcément fainéant, c’est votre cerveau qui vous joue un mauvais tour. Pas de quoi toutefois abuser de cet argument auprès de votre patron – ou de l’administration fiscale – si vous souhaitez vous éviter quelques problèmes relationnels ou financiers. £ Tanguy Sourd PSYCHOLOGIE SOCIALE J’ose pas demander!
X. Zhao et N. Epley, Psychological Science, 2022.
Vous est-il déjà arrivé de ne pas oser demander de l’aide à un passant pour trouver votre chemin, ou pour porter un paquet trop lourd ? Dans ce cas, rassurez-vous : vous n’êtes pas le seul. La plupart des gens agissent de la même façon, la faute à un biais qui nous porte à sous-estimer la volonté des personnes à prêter main-forte à leurs semblables. Sur un échantillon de 2 117 individus, des psychologues de l’université de Stanford ont découvert que les gens sont persuadés de gêner les autres en leur demandant de l’aide, alors que ceux à qui ce service est demandé acceptent généralement avec plaisir. Comment surmonter ce malentendu ? En vous rappelant les situations où un inconnu vous a demandé de l’aide, et où vous avez été ravi de pouvoir rendre service. £ Sébastien Bohler
ET MOI J’OSE PAS FAIRE DE COMPLIMENTS !
Le même phénomène semble toucher les compliments. En 2020, une étude similaire de l’université de Pennsylvanie mettait en évidence le biais de sous-estimation des compliments, par lequel une majorité de personnes pensent que faire un compliment serait déplacé, alors que l’effet réel est presque toujours positif. Là encore, souvenez-vous de ce que vous avez ressenti la dernière fois qu’on vous a adressé des félicitations… £ S. B.
Le bovarysme, selon Emmy
GRÉGORY MICHEL
Professeur de psychologie clinique et de psychopathologie à l’université de Bordeaux, chercheur à l’Institut des sciences criminelles et de la justice, psychologue et psychothérapeute en cabinet libéral, et expert auprès des tribunaux.
Emmy passe sa vie dans des romans et trouve la réalité insipide, au point qu’elle perd goût à tout et veut mourir. La ressemblance avec Emma Bovary inspirera au psychothérapeute un diagnostic salvateur…
Un soir d’automne, je reçois ma
dernière patiente à la demande de l’un de mes
collègues psychiatres. Il s’agit d’Emmy. Au téléphone, quelques jours auparavant, elle était restée assez énigmatique sur les raisons de la consultation. Elle avait juste évoqué une souffrance ancienne assortie de symptômes dépressifs… Ce jour-là, je découvre une jeune femme qui doit avoir une trentaine d’années, assise sur le fauteuil près de la bibliothèque, une tasse de rooibos à la main et un livre d’art sur la peinture italienne sur les genoux. Esquissant un sourire superficiel, elle se redresse mollement et se déplace avec lourdeur jusqu’à mon cabinet. Je suis frappé par son absence visible d’énergie, la lenteur de sa démarche et l’abattement général de son être.
Après s’être assise de façon indolente face à moi, elle semble à présent pétrifiée de stupeur: l’engourdissement visible de son corps semble atteindre son esprit. Comme au téléphone, son discours est impénétrable, le ton monocorde de sa voix montre à quel point elle est en retrait, ailleurs. Peu de mots, et des mots lents, comme prononcés à regret… Et cette voix blanche qui laisse transparaître une perte complète de plaisir, qu’on appelle en jargon psychiatrique «anhédonie».
EN BREF
£ Très jeune, Emmy se
rêve différente et ne vit que dans son imaginaire. Puis elle enchaîne les déceptions amoureuses au point de déprimer et de tenter de se suicider…
£ Mais elle n’est ni
dépressive ni bipolaire. Juste une éternelle insatisfaite. Une façon de fonctionner qui fait désormais partie de sa personnalité : on parle de « bovarysme ».
£ Pour s’en sortir, elle
devra accepter le fait qu’elle n’est pas malade et qu’elle peut donner un sens à la vie de diverses manières. BRADYKINÉSIE, ATONIE, ANHÉDONIE
Côté apparence, elle fait dans le classique. Veste grise sur un chemisier blanc ivoire et jupe noire – un air aussi légèrement austère. Toutefois, ses petites bottines basses à lacets associés à sa broche dorée en forme de fleur lui donnent une note élégante et romantique. Son maquillage, ainsi que ses quelques bijoux, composés de bagues, d’un collier et de boucles d’oreilles, confirment qu’elle est attentive à son image, mais de façon discrète. Seule sa montre de forme ronde de style vintage, de coloris or et avec un bracelet en cuir vieilli, attire davantage mon
Ces sucres qui emprisonnent nos neurones
De fins réseaux de molécules de sucre, enveloppant certains neurones de notre cerveau, figeraient certains comportements, déclenchant addictions ou douleurs chroniques. En les retirant, on pourrait redonner au cerveau une seconde jeunesse…
Par Douglas Fields, professeur adjoint à l’université du Maryland, aux États-Unis.
© Local_doctor/Shutterstock EN BREF
£ De nombreuses
recherches ont porté, ces dernières années, sur les réseaux périneuronaux, des structures rigides qui fixent l’activité de certains neurones.
£ Elles ont révélé le rôle
de ces réseaux dans le contrôle de la plasticité neuronale en verrouillant la croissance et la connectivité de certains neurones.
£ Des études récentes
ont montré leur implication inattendue dans le contrôle de la douleur chronique, et ouvrent la voie à un nouveau traitement.
Comment expliquer qu’une
douleur puisse apparaître et persister long-
temps après une lésion nerveuse ? Cette question, comme bien d’autres, nous hanterait encore si des équipes de recherche n’avaient eu l’idée, il y a quelques années, d’ouvrir le champ d’investigation de leurs microscopes au-delà des seuls neurones – ces cellules très « médiatiques » capables de communiquer par impulsions électriques – pour s’intéresser à ce maillage visqueux tapi dans l’ombre des cellules stars. Moins glamour que ces dernières, comparable au cartilage de notre nez et de nos articulations, celui-ci est connu sous le nom de réseau périneuronal (RPN), en hommage à ses longues chaînes de molécules de sucres arrimées à un échafaudage protéique qui s’enroulent autour de nos neurones, les fixent en l’état, empêchant ainsi leur croissance et l’établissement de nouvelles connexions. Ce réseau n’a pas fini de nous étonner.