
3 minute read
Submersions : comment mieux les anticiper ?
Prévoir les inondations en zones côtières et quantifier les risques qui leur sont inhérents suppose de considérer les phénomènes dans leur globalité, mais aussi de recourir à des outils numériques innovants.
Le 8 septembre 1900, l’inondation associée à l’ouragan dit « de Galveston » avait ravagé l’île éponyme, au Texas, et tué plus de 6 000 personnes. Un phénomène similaire (on parle d’onde de tempête) s’est produit au même endroit dans le sillage de l’ouragan Ike, en 2008, faisant d’importants dégâts, mais cette fois moins de victimes du fait d’une évacuation préventive. De tels événements nous rappellent que les zones côtières sont des régions à part. Elles accueillent environ 10 % de la population mondiale, une proportion sans cesse croissante, et une multitude d’activités humaines. Or cette concentration augmente le potentiel destructeur des inondations, qui plus est accru par le changement climatique. Que faire pour améliorer la prévention et aider à la gestion de crise ? Recourir à la modélisation pour comprendre les phénomènes en jeu et simuler différents scénarios.
Advertisement
Cependant, caractériser le risque de submersion côtière d’un site est un défi majeur. Cela exige de considérer la nature multiphysique et multiéchelle des processus liés à des événements extrêmes comme les ouragans, les tsunamis et les tempêtes. En effet, le niveau de l’eau et l’intensité des courants observés sur une côte sont d’abord les conséquences de conditions atmosphériques, d’un séisme ou d’un glissement sous-marin : ces soubresauts sont propagés par la dynamique des vagues sur de très longues distances et finalement transformés à l’échelle très locale par l’interaction avec le fond marin et les structures côtières.
Une Approche Multidisciplinaire
Prendre en compte cette complexité alourdit le coût et la durée des simulations. De plus, l’intérêt croissant pour les approches probabilistes et l’analyse des cas extrêmes impose de réaliser des centaines, voire des milliers de simulations. Dans ce contexte, la plupart des outils opérationnels actuels révèlent rapidement leurs limites. Pour répondre à ces besoins, on privilégie une approche holistique combinant expertises mathématiques et numériques et, quand cela est possible, les observations de terrain.
Côté modélisation, Inria utilise une méthodologie qui repose sur une « boucle », dont les trois étapes principales sont : l’écriture et l’étude d’équations différentielles prenant en compte les principaux processus physiques aux échelles pertinentes ; un traitement numérique dit « adaptatif », préservant les propriétés des modèles et permettant d’atteindre automatiquement la résolution nécessaire pour capter chaque phénomène ; la vérification des incertitudes et de la variabilité des résultats liée aux hypothèses physiques et aux choix de modélisation. Suivant la pertinence et la fiabilité des résultats, on réitère la boucle, avec les modèles ou le traitement numérique modifiés.
Cette approche holistique a montré son potentiel pour comprendre certains phénomènes complexes d’écoulement comme les ressauts hydrauliques oscillants, ou mascarets. Ces brusques surélévations de l’eau d’un fleuve se produisent lorsque le courant est inversé par l’effet de la marée montante ou en réaction à des phénomènes d’origine tellurique comme des tremblements de terre ou des tsunamis. Ces ressauts sont parfois dangereux, car ils mettent en mouvement d’importantes masses d’eau à même de dépasser le niveau des berges.
Des Mascarets Aux Ouragans
En France, le phénomène est connu, par exemple dans les estuaires de la Gironde et de la Seine. Des mesures récentes ont mis en évidence deux régimes distincts pouvant se produire dans un même estuaire : l’un avec d’importantes oscillations d’eau, l’autre peu perceptible à l’œil nu. Ce dernier, bien qu’observé précédemment en laboratoire, n’avait pas d’explication physique. Une campagne de simulations a conduit à formuler l’hypothèse que les deux régimes auraient des causes physiques différentes et que les ressauts invisibles seraient liés à un très rapide processus d’équilibrage des forces de gravité exercées par la masse d’eau sur les parois du canal ou de la rivière. En reformulant les équations afin de tenir compte de ces hypothèses et des échelles appropriées, nous avons reproduit théoriquement les observations et confirmé cette interprétation (voir la figure ci-dessous)
Le BRGM utilise nos méthodes numériques adaptatives pour organiser par exemple, dans le cadre du projet Carib-Coast, des campagnes de simulations des niveaux d’eau atteints lors du passage d’ouragans virtuels, notamment dans les Caraïbes (voir la figure ci-dessus). Chaque simulation prend en considération la complexité du milieu océanique (sa profondeur et son relief) aux différentes échelles spatiales de la mer des Caraïbes, de ses îles et des villes côtières. Pour ce faire, on exploite la flexibilité d’un maillage non structuré décrivant l’espace avec un jeu de points, de segments et de faces, sous la forme par exemple de triangles. Il est alors possible de faire varier la résolution lors des simulations reproduisant avec un moindre coût les échelles physiques correctes tout au long de l’histoire de l’ouragan, de sa genèse à son impact sur la côte.
Grâce à ces techniques et avec une équipe multidisciplinaire de chercheurs d’Inria, du BRGM, du CNRS et des universités de Bordeaux et de Montpellier, nous avons l’ambition avec le projet Uhaina d’établir un continuum entre la recherche scientifique et les applications pour fournir, entre autres, des outils d’anticipation des risques de submersion marine bénéficiant de l’état de l’art en matière de modèles numériques, de techniques de simulation et de calcul à haute performance. De quoi mieux protéger Galveston…