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L’ABOUTISSEMENT DE SIÈCLES DE RECHERCHE
Les auteurs du preprint se sont attaqués à une formulation du problème d’interpolation plutôt récente et très générale. Mais les origines de ce questionnement remontent à plus de deux mille ans !
Dans son traité Les Éléments, publié en 300 avant notre ère, Euclide énonce les prémices du problème : par deux points distincts du plan, on peut faire passer une droite (c’est le premier postulat), et par trois points non alignés, un cercle. Six cents ans plus tard, Pappus d’Alexandrie démontre que l’on peut faire passer une conique (une courbe plane algébrique) par cinq points généraux. Ces questionnements sont alors abordés en recherchant des méthodes explicites de construction géométrique.
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Au XVIIIe siècle, l’étude de ces questions trouve un nouveau souffle avec l’introduction d’outils issus de l’algèbre. Les courbes ont maintenant des équations : c’est la naissance de la géométrie algébrique. Les mathématiciens Edward Waring (1736-1798) et Joseph-Louis de Lagrange (1736-1813) résolvent le problème d’interpolation pour certaines courbes importantes – celles qui constituent le graphe de polynômes. On parle aujourd’hui encore d’« interpolation de Waring-Lagrange » (ou juste d’« interpolation de Lagrange »), et cette technique a de très nombreuses applications : elle est par exemple utilisée dans les lecteurs de QR codes, ou encore en cryptographie pour protéger l’accès à certaines données sensibles.
À la fin du XXe siècle, le problème d’interpolation bascule dans la modernité mathématique, grâce à d’importants progrès dans la théorie de Brill-Noether, un champ des mathématiques introduit à la fin du XIXe siècle. Cette théorie amène à considérer les courbes comme des objets ayant une existence abstraite propre, indépendante de l’espace dans lequel on les matérialise. Cette manière de considérer les choses poussera à reformuler le problème d’interpolation en des termes plus généraux, et entraînera de nouveaux progrès, dus en particulier à Joe Harris – le codirecteur de thèse d’Isabel Vogt – dans les années 1980. Ceci aidera à l’élaboration d’une conjecture quant à la solution du problème, sous la forme d’une inégalité – celle-là même qu’Isabel Vogt et Eric Larson ont annoncé avoir démontrée en janvier 2022. Leurs travaux s’inscrivent dans la continuité de développements récents – on peut en particulier citer la thèse d’Atanas Valeryev Atanasov, soutenue en 2015 – ayant permis de démontrer la conjecture dans des situations restreintes, mais de plus en plus générales. Jusqu’à sa démonstration complète par les deux jeunes chercheurs, qui, si elle est validée par leurs pairs, mettra un point final à une lignée de recherche multicentenaire.
Quelles courbes sont susceptibles de passer par un ensemble de points donnés ?
Une seule droite passe par deux points
Un seul cercle passe par trois points non alignés
Une seule conique passe par cinq points
Thomas Dedieu est chercheur en géométrie algébrique et géométrie complexe à l’Institut de mathématiques de Toulouse. Il livre ici ses explications sur le problème d’interpolation et son appréciation sur les travaux d’Isabel Vogt et Eric Larson.