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L’homme qui voulait répliquer la vie

Une machine est-elle capable de se reproduire ? Les automates cellulaires de John von Neumann sont indéniablement dotés de capacités autoreproductrices. Ces créations, qui inspirent encore les réflexions sur le vivant, sont une des facettes de l’œuvre de cet insatiable scientifique, qu’explore une biographie passionnante, parue chez Quanto.

Ce texte est extrait du chapitre 8 de A. Bhattacharya, John von Neumann, l’homme qui venait du futur (Quanto, 2023).

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«Snappy » est une RepRap – une imprimante 3D autoréplicative – capable d’imprimer environ 80 % de ses propres pièces. Si l’une de ses pièces se casse, vous n’avez qu’à la remplacer par le rechange que vous avez précédemment imprimé. Pour le simple prix du matériau – le filament de plastique que l’imprimante fait fondre et dépose coûte de 20 à 50 dollars le kilo –, vous pouvez imprimer l’essentiel d’une autre imprimante pour un ami. Il n’aura plus qu’à acheter une poignée de composants génériques métalliques du genre boulons, vis, moteurs et composants électroniques pour l’assembler.

l’on trouve à la surface de la Lune. À partir d’une RepRap, ils se sont lancés dans la conception d’un véhicule lunaire capable d’imprimer toutes ses pièces détachées ainsi que les outils servant à se copier lui-même en n’utilisant que des matières brutes prélevées sur place, en faisant par exemple fondre de la roche lunaire dans un four solaire. Ils ont aussi fabriqué des moteurs et des ordinateurs expérimentaux à l’aide de neurones artificiels de type McCullochPitts pour que leur véhicule puisse se déplacer de manière autonome.

392 pages, 24,50€

En librairie depuis le 16 février 2023

C’est en 2004 que l’ingénieur et mathématicien Adrian Browyer a eu l’idée de ce qu’il appelle le « marxisme darwinien » – le foyer de chacun va finir par devenir une usine produisant tout ce dont il a besoin (à condition que ça puisse se fabriquer en plastique). Les ingénieurs de l’université Carlton à Ottawa s’efforcent de combler ces 20 % récalcitrants pour obtenir une imprimante capable de se reproduire elle-même sans nécessité d’un atelier de bricolage. Plus précisément, ils réfléchissent à la façon de n’employer que des matériaux que

Les éléments électroniques reposant sur les semi-conducteurs étant pratiquement impossibles à fabriquer sur la Lune, ils ont projeté de faire appel aux tubes à vide, comme un flashback dans les années 1950. « Quand je suis tombé sur RepRap, qui n’en était alors qu’à ses modestes débuts, ça a été un catalyseur, raconte Alex Ellery, qui dirige l’équipe. Ce qui au départ n’était pour moi qu’un projet secondaire mobilise à présent toute ma réflexion. » Une fois posées sur le sol lunaire, les machines d’Alex Ellery pourraient se multiplier pour constituer une usine spatiale semi-autonome, auto-expansible, fabriquant… à peu près tout ce qu’on voudra. Elles pourront par exemple imprimer des bases prêtes à accueillir des colons humains

– ou même, espère [le chercheur], contribuer à atténuer le réchauffement climatique en fabriquant des essaims de minisatellites capables de faire écran au rayonnement solaire ou d’envoyer des faisceaux d’énergie vers la Terre.

Ces travaux et bien d’autres s’inspirent d’un ouvrage intitulé Theory of Self-Reproducing Automata [publié à titre posthume, en 1966], dont l’auteur n’est autre que John von Neumann. Entre la construction de son ordinateur à l’IAS [Institut des études avancées, à Princeton] et ses activités de consultant auprès du gouvernement et du secteur industriel, von Neumann s’était lancé dans une comparaison des machines biologiques et synthétiques. Peutêtre trouverait-il là de quoi dépasser les imitations des ordinateurs qu’il participait à fabriquer. « Les organismes naturels sont, en règle générale, beaucoup plus complexes et subtils, et donc nettement moins finement compris que les automates artificiels, notait-il. Certaines régularités observées dans l’organisation des premiers peuvent pourtant être très instructives dans notre réflexion et notre planification concernant les seconds. »

Après avoir lu les articles de Warren McCulloch et Walter Pitts sur les réseaux de neurones artificiels, von Neumann s’était pris d’intérêt pour les sciences biologiques au point d’écrire à plusieurs chercheurs qui contribuaient à éclaircir le fondement moléculaire de la vie, notamment Sol Spiegelman et Max Delbrück. Fidèle à lui-même, von Neumann a abordé le sujet avec génie, sans retenue et sans grand résultat, mais certaines de ses intuitions allaient fournir à d’autres des champs très fertiles de recherche. Il a donné des conférences sur le mécanisme de la séparation des chromosomes lors de la division cellulaire. Il a écrit à Norbert Wiener pour lui proposer un programme de recherche ambitieux sur les bactériophages, postulant que ces virus, qui infectent les bactéries, pourraient être assez simples pour que leur étude s’avère utile et assez grands pour qu’on les voie au microscope électronique. Un groupe de chercheurs réuni par Delbrück et Salvador Luria passerait les deux décennies suivantes à expliquer la réplication de l’ADN et la nature du code génétique en procédant exactement ainsi – et en produisant certaines des premières images détaillées des virus.

À l’Institut des études avancées (IAS) de Princeton, John von Neumann modifie l’architecture de l’un des premiers calculateurs électroniques (l’ENIAC, en arrière plan), afin que ses programmes soient enregistrés dans une mémoire.

L’une des plus curieuses propositions de von Neumann concernait la structure des protéines. La plupart des gènes codent des protéines, des molécules qui accomplissent la

P. 80 Logique & calcul

P. 86 Art & science

P. 88 Idées de physique

P. 92 Chroniques de l’évolution

P. 96 Science & gastronomie

P. 98 À picorer

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