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PAS DE SEXE POUR WARRAMABA VIRGO

Pourquoi les animaux à reproduction asexuée sont-ils si rares ? Un criquet australien suggère pourtant qu’elle est parfois remarquablement efficace…

Aussi étonnant que cela paraisse, d’un point de vue évolutif, la sexualité constitue un paradoxe. Bien qu’omniprésente, elle est associée à des coûts évidents – pensez à la production des mâles, aux dépenses énergétiques liées à la fécondation… –, a priori préjudiciables au succès reproducteur. L’absence de sexualité devrait, au moins à court terme, apporter un bénéfice tel que, dans une même espèce, des lignées asexuées devraient se trouver en compétition avec des lignées sexuées. Or ce n’est pas le cas : 99,9 % des espèces connues d’animaux se reproduisent de manière sexuée.

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On ne connaît pas d’explication universelle rendant compte du maintien de la sexualité. On invoque souvent la recombinaison génétique qui se produit lors de la formation des gamètes (durant la méiose). Ce processus casse le lien entre des gènes portés par un même chromosome, rendant possible la sélection d’un gène indépendamment de ses voisins. Il empêche l’accumulation de versions (allèles) délétères des gènes et favorise l’adaptation d’une population à son environnement. Mais toute cette dynamique relève du long terme, alors que la sélection agit à court terme et devrait intensément favoriser les lignées asexuées, ce qui apparemment n’est pas le cas. Alors, pourquoi la reproduction asexuée est-elle si rare ? Une équipe autour de Michael Kearney, de l’université de Melbourne, vient d’apporter des éléments de réponse en étudiant une espèce de criquet à l’étrange morphologie, endémique du sud-ouest de l’Australie, Warramaba virgo

QUE DES FEMELLES

Pour étudier ce problème évolutif majeur, le monde des insectes apparaît en effet le mieux placé : dans ce taxon, plus de mille espèces se reproduisent par parthénogenèse obligatoire, c’est-à-dire uniquement par développement d’un embryon sans fécondation – dont Warramaba virgo.

Warramaba virgo est un des rares criquets qui se reproduit de manière asexuée. Les embryons de cette espèce se développent sans fécondation.

Il vit sur les buissons et les arbustes australiens, comme le mulga (Acacia aneura)…, dont certains (peut-être tous) se reproduisent aussi de manière asexuée. Chez les plantes, la reproduction est une autre histoire !

Hervé Le Guyader a récemment publié : Ma galerie de l’évolution (Le Pommier, 2021).

Warramaba flavolineata est l’autre espèce mère sexuée qui a donné naissance à W. virgo. Le mâle, plus petit que la femelle, ne mesure que 26 millimètres. Son nom (du latin flavus, « jaune ») évoque la bande jauneorange qui orne sa face.

En Chiffres 6

Le genre Warramaba comporte six espèces, dont deux asexuées : W. virgo et W. ngadju. Ce sont les seules espèces asexuées parmi les quelque 11 000 espèces répertoriées de caelifères, qui rassemblent les criquets et apparentés.

C’est le nombre de chromosomes du criquet Warramaba virgo Le nombre impair provient des chromosomes sexuels : chez les deux espèces ancestrales, les mâles n’en ont qu’un seul –un chromosome X –, tandis que les femelles ont deux chromosomes X. W. Virgo, quant à lui, en a trois.

0,1 %

Environ 0,1 % des espèces animales connues se reproduisent de manière asexuée. Plus de 1 000 sont des insectes – un nombre sans doute inférieur à la réalité : on estime que la population mondiale d’insectes compte quelque 5,5 millions d’espèces, dont 80 % restent à découvrir.

Comme tous les caelifères – criquets et apparentés –, il porte de courtes antennes, contrairement aux ensifères, qui rassemblent sauterelles et grillons. L’ensemble forme l’ordre des orthoptères au sein de la classe des insectes.

En fait, cette espèce n’était pas inconnue à l’université de Melbourne. Elle avait été découverte en 1961 par Michael White, généticien dans cet établissement.

Michael White s’était tout de suite étonné de ne trouver, sur le terrain, que des femelles. Il en avait vite déduit qu’il se trouvait face à une espèce parthénogénétique et s’était alors penché sur sa complexe garniture chromosomique. En particulier, les difficultés rencontrées pour reconnaître les paires de chromosomes l’intriguaient. Il avait mis cela sur le compte d’un concept émergent à l’époque, l’hétérochromatisation différentielle.

La molécule d’ADN d’un chromosome se présente suivant deux états structuraux locaux : une partie déroulée (l’euchromatine), où les gènes sont accessibles et donc susceptibles d’être transcrits, et une portion surenroulée (l’hétérochromatine), où les gènes ne peuvent pas s’exprimer. L’hétérochromatisation différentielle désigne le fait que les deux chromosomes d’une même paire ne présentent pas la même distribution d’euchromatine et d’hétérochromatine, et n’expriment donc pas les mêmes gènes. Pour Michael White, les différences entre chromosomes d’une même paire observées chez le criquet Warramaba virgo étaient le résultat de l’évolution de son génome à partir du moment où l’espèce était devenue parthénogénétique. À l’époque, un de ses étudiants avait suggéré que ces différences provenaient peut-être plutôt de l’hybridation de deux espèces sexuées, mais il a fallu attendre 1977 pour que le maître admette que son élève avait vu juste : W. virgo était bien le résultat de l’hybridation entre deux espèces, W. whitei et W. flavolineata

À l’époque, le séquençage génomique n’existait pas, et les études visant à établir des liens de parenté entre espèces proches étaient délicates, car la variabilité ne se détectait que par électrophorèse de protéines, une technique d’analyse par séparation des molécules en fonction de

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