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LE SECRET DES SAUCES QU’ON SAUCE

Pour des sauces goûteuses, il convient de soigner la phase liquide.

La maîtrise de la consistance d’une sauce fait les grands sauciers… mais c’est leur goût, surtout, qui est essentiel. Il tient à la maîtrise de la libération des composés sapides, odorants, ou à action trigéminale (les piquants, les frais). Il faut donc, d’abord, bien comprendre la structure physique des sauces.

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Classiquement, on les produit en « liant » des solutions aqueuses : en émulsifiant de la matière grasse ou en dispersant des particules solides. Par exemple, la mayonnaise est une émulsion (une dispersion de gouttelettes de matière grasse), alors qu’un civet est une suspension (la dispersion de particules « solides » formées par coagulation des protéines du sang). Pour les veloutés, avec dispersion de farine (éventuellement cuite, dans un « roux »), on obtient encore une suspension, mais, cette fois, les particules dispersées sont des microgels, résultant de l’empesage des grains d’amidon, qui absorbent de l’eau en cuisant. Et l’on n’oubliera pas les purées diluées, suspensions de fragments de tissus végétaux ou animaux dont les particules dispersées s’apparentent formellement aux gels.

Cela étant posé, venons-en à l’essentiel : le goût. Le plus souvent, les composés sapides, qui doivent se lier aux récepteurs des papilles, sont hydrosolubles : on soignera donc la phase liquide dispersante des suspensions en concentrant des solutions aqueuses telles que le vin ou un bouillon, ou bien en veillant à ce que le liquide emprisonné dans les microgels dispersés ait beaucoup de goût : on pourra broyer un gel très concentré.

Pour la fraction odorante, due à des composés plutôt hydrophobes (ils doivent monter vers le nez en phase gazeuse), ils seront soit dans la phase liquide (l’éthanol, par exemple, a une odeur), soit en solution dans des gouttelettes de matière grasse dispersée, comme dans les émulsions formées à partir d’huile où l’on aura macéré des aromates. Les composés piquants ou frais, enfin, se trouveront selon les cas en phase aqueuse ou en phase huileuse.

Les solides, eux, n’ont généralement pas d’effet olfactif ou sapide, sauf quand certaines de leurs molécules ayant une action gustative se dissolvent dans la sauce. En effet, les polymères ne peuvent se loger dans un récepteur biologique, ils n’ont donc pas d’action gustative. C’est le cas des protéines, telles celles des tissus collagéniques qui solidarisent les fibres musculaires des viandes, ou celles des œufs, qui, en coagulant, lient sauces hollandaises ou béarnaises. Pas de goût non plus pour les polysaccharides que sont les celluloses et pectines des parois végétales, ni pour les grains d’amidon, amas structurés de polysaccharides.

La cuisson, cependant, permet de tirer le meilleur de ces polymères, comme l’indiquent deux expériences. La première consiste à chauffer dans une poêle un petit tas de fécule (amidon sans protéine), un petit tas de farine (amidon et protéines) et un petit tas de protéines (par exemple de la poudre de blanc d’œuf) : on voit que les protéines et la farine brunissent, signe d’une dégradation, confirmée par l’apparition d’une odeur soutenue. La deuxième expérience consiste à chauffer de l’amidon dans de l’eau pendant assez longtemps : les deux polymères constitutifs, amylose et amylopectine, se dégradent et du glucose (sapide) s’en détache lentement.

C’est ainsi, avec des sauces qui ont du goût, que « le corps et l’esprit seront réconciliés », comme le dit le proverbe alsacien. n

Sauce Go Tue

➊ Cuisons plusieurs heures, à petit feu et à couvert, 50 grammes de farine, 200 grammes de vin rouge, du jus de volaille et une cuillerée à soupe de vinaigre.

➋ Prenons une cuillerée de farine, et faisons-la pyrolyser en la chauffant dans une poêle, à sec. Quand elle est brune, déglaçons avec le liquide obtenu en 1.

➌ Versons les produits obtenus en 1 et 2 dans un même bocal, où nous ajoutons du thym, des échalotes et des gousses d’ail broyées, du sel, du poivre moulu. Fermons le bocal, et secouons vigoureusement.

➍ Laissons macérer plusieurs heures.

➎ Décantons l’huile, filtrons la solution aqueuse.

➎ Ajoutons un jaune d’œuf à la solution aqueuse, puis l’huile parfumée, goutte à goutte, en fouettant pour l’émulsionner… et nappons un blanc de volaille grillé de cette sauce.

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