Thema Pour la Science n°24 : la révolution néolithique

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LA RÉVOLUTION

NÉOLITHIQUE Agriculture

Migrations

Anthropologie

L’INVENTION DES CÉRÉALES

COMMENT LES PAYSANS SE SONT IMPOSÉS EN EUROPE

QUAND LA RICHESSE EST-ELLE APPARUE ?


ÉDITO

LA RÉVOLUTION NÉOLITHIQUE

I Philippe Ribeau

Responsable éditorial web

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l y a environ 10 000 ans, au Proche-Orient, des populations de chasseurs-cueilleurs ont inventé l’agriculture. Certes, cela ne s’est pas fait en un jour. D’abord, la richesse des ressources végétales naturelles les a amenés à se fixer sur des sites propices de façon plus ou moins temporaire. Là, ils ont commencé par cueillir des graminées sauvages supportant le stockage avant de les cultiver puis de les domestiquer progressivement pendant plusieurs milliers d’années. En parallèle, ils ont apprivoisé le mouton – et plus tard, en Europe, la vache. Les chasseurs-cueilleurs nomades sont ainsi devenus des agriculteurs-éleveurs sédentaires, en un mot, des paysans. Ce changement de mode de vie a eu des conséquences si radicales qu’il est qualifié de « révolution néolithique ». Le passage d’une économie de collecte à une économie de production a en effet démultiplié les ressources disponibles, favorisant l’explosion démographique permise par la sédentarisation et une évolution vers des sociétés de plus en plus complexes. L’agriculture et l’élevage sont devenus le « carburant » des civilisations orientales, puis occidentales. La néolithisation a en effet gagné progressivement l’Europe par deux voies, celles du Danube et de la Méditerranée, qui se sont rejointes il y a 7 500 ans. Les nouveaux arrivants ont progressivement supplanté les chasseurs-cueilleurs locaux, qui n’ont eu d’autre choix que de s’intégrer dans les communautés agricoles avec un statut social inférieur, ou de s’isoler et disparaître. La révolution néolithique représente ainsi un grand tournant au cours duquel l’espèce humaine a, pour la première fois, modifié radicalement son rapport à l’environnement, non seulement par la domestication des céréales et des animaux, mais aussi par l’invention des techniques assurant la production alimentaire (puits, barrage, attelage, araire, instruments de moisson…). Mais c’est aussi une révolution sociale, qui voit l’apparition des inégalités et des hiérarchies, comme l’attestent les tombes où les « maîtres » sont enterrés avec leurs « esclaves », les tombeaux monumentaux de chefs, ou les étalages de richesses accompagnant certains défunts. Ce processus de structuration sociale trouvera son aboutissement à la toute fin du Néolithique dans l’émergence des petits royaumes et des dynasties héréditaires à l’origine des premières civilisations historiques.

Thema / Le Néolithique

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SOMMAIRE

P/4/ LA CUEILLETTE P/4/DE À L’AGRICULTURE GEORGE WILLCOX P/12/QUAND LES AGRICULTEURS P/12/ SE SONT IMPOSÉS EN EUROPE LAURA SPINNEY

P/26/ DOMESTICATION P/26/LA DU MOUTON À LAINE WOLFRAM SCHIER P/39/LES DÉBUTS DE L’INDUSTRIE P/39/ LAITIÈRE EN EUROPE MÉLANIE ROFFET-SALQUE ET RICHARD EVERSHED

P/4

P/51/ P/51/LES MÉGALITHES VAGABONDS DE STONEHENGE FRANÇOIS SAVATIER P/56/QUAND LA RICHESSE P/56/ EST-ELLE APPARUE ? VALÉRIE LÉCRIVAIN ET GEOFFROY DE SAULIEU

P/67/ P/67/LES ESCLAVES DES TOMBES NÉOLITHIQUES A. TESTART, C. JEUNESSE, L. BARAY ET B. BOULESTIN

P/39

P/76/ P/76/LES FEMMES MUSCLÉES DU NÉOLITHIQUE NOËLLE GUILLON P/79/LES PREMIERS SANCTUAIRES P/79/ DES CHASSEURS-CUEILLEURS MARION BENZ

P/79

P/51

Thema / Le Néolithique

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P/91/ RÉVOLUTION NÉOLITHIQUE P/91/LA N’A-T-ELLE EU QUE DES AVANTAGES? JEAN GUILAINE


GEORGE WILLCOX

© Subbotina Anna / shuttestock.com

De la cueillette à l’agriculture


Il y a environ 10 000 ans, au Proche-Orient, les populations de chasseurs-cueilleurs ont commencé à cultiver les céréales qui poussaient l’état sauvage. Toutefois, leur domestication a duré plus d’un millénaire.

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urant la fin de la dernière glaciation, une steppe froide et sèche recouvrait le Proche-Orient. Puis, 15000 ans avant notre ère, lorsque le climat s’est réchauffé, des céréales sauvages et des arbres à fruits comestibles sont apparus. L’abondance de nourriture a favorisé la sédentarisation des populations. Cependant, lors d’une période froide, entre 11000 et 10300 avant notre ère, ces plantes se seraient raréfiées. La cueillette serait devenue insuffisante pour subvenir aux besoins alimentaires de nos ancêtres, qui auraient alors commencé à cultiver les céréales sauvages pour assurer leur

subsistance, et notamment le blé engrain. En moissonnant, ils auraient involontairement sélectionné des plantes mutantes, dont les grains ne se détachaient pas spontanément de l’épi à maturité, au détriment des plantes sauvages normales, dont les grains étaient déjà en partie tombés au sol au moment de la récolte. Ainsi, les premières, dites de morphologie domestique, auraient progressivement remplacé les secondes, de morphologie sauvage, en quelques centaines, voire quelques dizaines d’années. Cette interprétation classique est aujourd’hui controversée. D’après des

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restes végétaux récoltés sur des sites archéologiques lors de fouilles récentes, notamment en Syrie, et d’après l’étude des céréales sauvages actuelles, on découvre que le processus de domestication, aboutissant à la disparition des formes sauvages de céréales dans les cultures, se serait échelonné sur plusieurs millénaires. La domestication est un changement génétique, qui se manifeste par un changement morphologique. Selon le taux moyen de mutation spontanée, une forme domestique devrait apparaître tous les dix ans environ, dans un champ d’un hectare. Au début de l’agriculture, qui consistait alors à ensemencer des champs sans labourer, puis à moissonner, les plantes cultivées étaient sauvages. Puis, par le jeu de la sélection due à la moisson, elles sont devenues domestiques. D’abord en faible proportion, les formes domestiques ont finalement supplanté les formes sauvages, à l’issue du processus de domestication. Pour reconstituer l’histoire de cette domestication, les archéobotanistes ont analysé des restes de végétaux. La plupart des végétaux anciens se sont décomposés,


Quand les agriculteurs se sont imposés en Europe LAURA SPINNEY Thema / Titre thema

© Einsamer Schütze / Creative commons

Les lignes marquées au poinçon qui décorent ce vase sont caractéristiques de la culture rubanée, aussi dite « à céramique linéaire », la première culture néolithique en Europe centrale.


Lorsque les premiers éleveurs-cultivateurs ont gagné l’Europe au Néolithique, ils ont rencontré des populations de chasseurs-cueilleurs. Quelles ont été leurs interactions ?

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l y a 8 000 ans, l’Europe était en plein « âge moyen de la pierre », c’est-à-dire en plein Mésolithique européen, qui va du Xe au Ve millénaire avant notre ère. Les Européens étaient alors tous des chasseurs-cueilleurs, qui nomadisaient par petits clans dans les immenses et luxuriantes forêts couvrant le continent. Les outils de silex qu’ils utilisaient pour récolter des plantes, couper du bois, pêcher du poisson ou encore chasser le cerf et l’aurochs (l’ancêtre disparu des bovidés domestiques actuels) nous sont connus par leurs habitats. Les quelques squelettes que l’on y a retrouvés évoquent

des gens robustes et plutôt grands ; leurs gènes indiquent qu’ils avaient souvent la peau et les cheveux bruns, et les yeux bleus. Seulement 3 000 ans plus tard, des champs de blé et de lentilles parsemaient la forêt, et la transition vers l’« âge de la pierre nouvelle », c’est-à-dire vers le Néolithique (Ve au IIIe millénaire pour l’Europe occidentale) battait son plein. Les Mésolithiques, qui subsistaient par la chasse et la cueillette, et les Néolithiques, qui subsistaient par l’agriculture et l’élevage, ont très longtemps coexisté. Pour autant, l’introduction en Europe de l’économie de production a

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créé une rupture dans le registre archéologique, mise en évidence par la découverte dès le XIXe siècle d’os d’animaux domestiques, de poteries contenant des restes de céréales et de nécropoles. L’arrivée du nouveau système économique signifiait l’apparition de nouveaux régimes alimentaires, d’un nouvel usage des terres, de nouvelles relations avec la nature et, corrélativement, d’une nouvelle vie sociale. Cette évolution a culminé à la fin du Néolithique avec l’adoption de la métallurgie. Les préhistoriens se sont demandé pendant plus d’un siècle si le Néolithique a été apporté en Europe par des migrations, ou s’il s’y est seulement diffusé à partir de son aire d’origine proche-orientale. Puis, au début des années 2000, des généticiens tels que Martin Richards, de l’université d’Oxford, et d’autres ont trouvé dans les gènes des Européens d’aujourd’hui la preuve incontestable que le système néolithique a bien été apporté en Europe par des paysans qui avaient traversé le Bosphore et la mer Égée. Plus tard, Svante Pääbo, de l’institut Max-Planck d’anthropologie évolutive à Leipzig, et d’autres ont


WOLFRAM SCHIER Thema / Titre thema

© Lia Koltyrina/Shutterstock.com

La domestication du mouton à laine


Quand et où les hommes ont-ils commencé à élever des moutons pour leur laine ? De nombreux indices archéologiques montrent que la sélection et la domestication de moutons laineux ont débuté au Ve millénaire, voire avant, dans les villages néolithiques d’Asie occidentale.

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utrefois, en Colchide, un royaume bordant l’est de la mer Noire, une toison dorée de bélier décorait le bois sacré d’Arès (Mars). Un dragon insomniaque gardait jour et nuit ce trésor fabuleux: la Toison d’or. Jason et ses Argonautes réussirent tout de même à le voler, nous raconte Homère. Bien d’autres fragments de mythes – le « loup en peau de mouton» des évangiles de Mathieu par exemple – attestent de la présence très précoce du mouton dans la culture. Ces microtémoignages ne remontent cependant pas à la domestication du mouflon, c’est-à-dire du mouton sauvage,

puisque la toison de cet animal aux cornes impressionnantes n’avait rien de laineux. Le pelage des mouflons est en effet rêche comme celui d’une chèvre. La laine est donc l’un des sous-produits de la domestication du mouflon, dont on ignore quand exactement elle s’est déroulée. Dommage, car, en concurrençant les fibres végétales utilisées auparavant – celles du lin, du raphia (un genre de palmier), voire des orties –, les fines fibres qui composent la laine ont sans doute joué un grand rôle social. Comme nous le verrons, la détermination directe de la date d’apparition et

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de l’origine géographique de la laine est exclue. C’est pourquoi l’équipe Révolution textile que je dirige à l’université libre de Berlin s’est concentrée sur tous les indices indirects pouvant être rassemblés afin de constituer un tableau cohérent des premières manifestations de la laine. Fondamentalement, la laine est du duvet, c’est-à-dire une accumulation de ces poils fins, dont le rôle est d’isoler le corps pendant la saison froide. Tous les mammifères en sont munis, et, normalement, il tombe partiellement pendant la saison chaude. Chez les moutons à laine, en revanche, il domine le pelage et subsiste en grande partie tout au long de l’année. Selon de nombreux chercheurs, l’exploitation de la laine a déclenché une « révolution textile ». En effet, la laine isole bien mieux du froid que le lin ; sa teneur en matières grasses la rend hydrophobe ; sa production nécessite moins d’étapes, et des étapes plus simples, que celle du lin. Et on peut la teindre plus facilement et plus intensément que le lin textile, ce qui a eu d’importantes conséquences sociales : grâce à la diversité des couleurs vives qu’on


MÉLANIE ROFFET-SALQUE ET RICHARD EVERSHED Thema / Titre thema

© Gozzoli/shutterstock.com

Les débuts de l’industrie laitière en Europe


L’analyse biochimique de tessons de poterie a révélé comment la production laitière s’est mise en place dans l’Europe néolithique, et apporté la preuve que l’on fabriquait déjà du fromage il y a au moins 7 500 ans.

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epuis des millénaires, partout où ils vont, les Européens élèvent des animaux dont ils consomment le lait. Il y a cinq siècles, ils posaient le pied en Amérique, et aujourd’hui, les États-Unis produisent 90 millions de tonnes de lait par an… tandis que l’Union européenne en produit 140 millions de tonnes, soit trois quarts de litre de lait par Européen et par jour. Cette immense collecte implique quelque 712 000 exploitations laitières comprenant de une à deux vaches, comme en Roumanie, à plus de 100, comme au Danemark. De fait, le lait est aujourd’hui

Lorsque les paysans ont migré vers l’Europe en provenance d’Anatolie (Turquie), ils savaient donc probablement transformer le lait. Comment l’ont-ils appris ? On ne peut que faire des hypothèses. Le fromage aurait été inventé fortuitement au Moyen-Orient. Héritières des savoir-faire des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique, les populations de cette région transportaient probablement leurs denrées alimentaires dans des outres confectionnées avec les peaux et les viscères, l’estomac notamment, des animaux tués.

la base d’une industrie européenne florissante, qui exporte une grande variété de produits laitiers dans le monde entier. Quand et comment a débuté la production laitière en Europe ? De récentes découvertes archéologiques prouvent que les paysans qui, il y a huit millénaires, ont commencé à remonter le couloir danubien ou à se répandre dans les Balkans, poussaient devant eux des ruminants pourvoyeurs de viande et surtout de lait. Transformé en fromage, le lait représentait une précieuse réserve alimentaire, car facilement transportable et stockable.

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Le fromage, une invention fortuite Or l’estomac des jeunes ruminants contient de la présure, un coagulant naturel. La présence de cette substance dans le lait entraîne la séparation du petit-lait (la fraction maigre et liquide) et du caillé (la fraction grasse et solide, qui est la base du fromage). Nos ancêtres auraient ainsi découvert le fromage après avoir stocké du lait dans une outre d’estomac, à moins qu’ils n’aient simplement constaté la présence de lait caillé dans l’estomac d’un jeune ruminant tué pour sa viande. Quoi


FRANÇOIS SAVATIER Thema / Titre thema

© Shutterstock/Nicholas E Jones

Les mégalithes vagabonds de Stonehenge


De nombreux indices suggèrent que les mégalithes qui forment le premier cercle de pierres de Stonehenge, les « pierres bleues », proviennent d’une ou plusieurs autres enceintes similaires situées au pays de Galles, à quelque 240 kilomètres de là.

L

’origine de Stonehenge passionne depuis longtemps. Une vieille légende, rapportée au XIIe siècle par l’évêque et historien gallois Geoffroy de Monmouth (1095-1155), en atteste : selon ce récit, le monument néolithique situé dans la plaine de Salisbury, dans le comté de Wiltshire en Angleterre, aurait été érigé à partir des pierres de la « Danse des géants », un cercle de pierres « irlandais » (les Gallois étaient alors assimilés à des Irlandais). La légende n’est guère fiable, mais les observations réalisées au pays de Galles par l’équipe de Mike Parker Pearson de l’université de Londres montrent que l’idée que des mégalithes de Stonehenge auraient été pris dans un ou

plusieurs cercles de pierres plus anciens est juste. Stonehenge est l’un des nombreux sanctuaires doublés d’un observatoire astronomique aménagés par les paysans pendant le Néolithique occidental (4 000 à 2 500 avant notre ère dans les îles Britanniques). Grossièrement circulaire, la première enceinte de 56 poteaux est érigée vers 3 100 avant notre ère, délimitée par un petit talus doublé d’un fossé (Stonehenge 1). Plus tard, 81 « pierres bleues » sont apportées dans la plaine de Salisbury ; 56 d’entre elles auraient été plantées dans les « trous d’Aubrey » (formant un cercle proche du fossé extérieur) et 25 auraient formé un

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cercle de pierres voisin aujourd’hui disparu, connu des archéologues sous le nom de « Bluestonehenge ». Pendant la deuxième période de Stonehenge, entre 2 740 et 2 505 avant notre ère, des fosses formant un double arc sont creusées (Stonehenge 2). On pense qu’elles continrent un nombre inconnu de pierres bleues. Finalement, au cours de la troisième période de Stonehenge, entre 2 400 et 2 220 avant notre ère, un cercle intérieur et un cercle extérieur furent réalisés à partir de tous les types de pierres existants sur le site ainsi que de celles du cercle disparu de Bluestonehenge (Stonehenge 3). Précisons que le monument actuel de Stonehenge – issu de Stonehenge 3 – contient des pierres bleues, des pierres de grès et des « pierres de sarsen ». Si l’origine du grès n’est pas claire, les « pierres de sarsen » proviennent d’une carrière située à environ 25 kilomètres au nord de Stonehenge (leur nom serait une déformation médiévale de « pierre des Sarrazins », ce qu’il faudrait interpréter comme signifiant en réalité « pierre des païens »). Pour leur part, les pierres bleues proviennent des collines de Preseli dans le pays de Galles,


VALÉRIE LÉCRIVAIN ET GEOFFROY DE SAULIEU Thema / Titre thema

A. Costes, Ba’ja N.P.

Quand la richesse est-elle apparue ?


Pour l’anthropologue Alain Testart, la richesse n’a pas toujours existé. Elle serait apparue afin d’éviter de payer de sa personne, et non pour échanger des biens.

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u’est-ce que la richesse ? Pour l’anthropologue français Alain Testart, disparu en 2013, il s’agit de « tout objet matériel utile à l’homme susceptible d’appropriation, de conservation, de thésaurisation ou d’échange. » Aujourd’hui, la richesse monétaire est la forme de richesse qui domine dans nos sociétés ; elle fait l’objet de vifs débats, en raison de sa volatilité, de ses rapports problématiques avec la réalité économique qui semblent ébranler le monde périodiquement… Plus rassurante semble la richesse matérielle, et plus rassurante encore est la richesse foncière, c’est-à-dire

la possession de terres. Nous sommes habitués à une société dans laquelle toutes ces formes de richesse peuvent s’acquérir. Leur caractère désirable nous semble d’une telle évidence que nous pensons que la richesse a toujours existé. Rien n’est plus faux, comme nous allons le voir en suivant la pensée de Testart. Dans son dernier ouvrage Avant l’histoire : l’évolution des sociétés, de Lascaux à Carnac, Testart propose une histoire évolutive des sociétés où l’invention de la richesse constitue une sorte de palier évolutif. Une fois celui-ci atteint, on assiste à

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l’apparition de sociétés sédentaires, dont certaines adopteront l’agriculture et l’élevage, c’est-à-dire entreront dans l’ère néolithique. Les deux grandes innovations qui définissent le Néolithique – la sédentarité et le système agropastoral – n’ont pas été adoptées au même moment ni dans le même ordre dans les différentes régions du monde. C’est pourquoi la richesse serait apparue il y a quelque 10 000 ans en Afrique et au Proche-Orient, avant d’arriver en Europe, tandis qu’en Asie son invention se serait produite avant le Néolithique ; dans les autres régions, elle est plus récente. Partout cependant, l’entrée d’une société dans le Néolithique a été précédée, accompagnée ou suivie par l’apparition de la notion de richesse. Dès lors, nous explique Testart, il a existé (et il existe sans doute encore) des sociétés sans richesse, même si l’on y confectionne des Page précédente : ce collier de perles de calcaire rouge, de coquillage blanc, de turquoise et d’hématite retrouvé dans la tombe d’un enfant sur le site néolithique de Ba’ja, en Jordanie, était-il un signe de richesse ou d’ostentation ?


A. TESTART, C. JEUNESSE, L. BARAY ET B. BOULESTIN

© Benoît Clarys

Les esclaves des tombes néolithiques


Il y a 6 000 ans, les paysans européens commencent à inhumer fréquemment plusieurs personnes en même temps. Un ou plusieurs individus dépendants d’un personnage principal, sans doute ses esclaves, l’accompagnaient dans la mort.

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ne nouvelle manière de traiter les morts apparaît en Europe il y a 6 000 ans. Tout au long d’un vaste croissant reliant le Midi de la France à la Pologne, les paysans du Néolithique récent – entre 4500 et 3500 avant notre ère – se mettent à enterrer des défunts dans des fosses circulaires, que l’on interprète souvent comme des silos réemployés. Quand il y est isolé, un mort y est le plus souvent dans la position mortuaire conventionnelle au Néolithique, qui rappelle la position fœtale. Toutefois, dans nombre de tombes, plusieurs corps ont été jetés sans respect à côté d’un défunt

enterré de façon conventionnelle. Intrigués par ce phénomène, les archéologues en débattent intensément. Nous examinerons soigneusement plusieurs tombes multiples typiques afin de les caractériser, puis nous en défendrons l’interprétation qui nous convainc le mieux : l’existence au Néolithique récent d’une forme d’esclavage qui se poursuivait jusque dans la mort… Le mode de vie néolithique, c’est-àdire, pour simplifier, l’agriculture, la céramique et la vie sédentaire en village, se répand en Europe occidentale au cours du

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VIe millénaire avant notre ère. Entre le bassin de la Seine et le littoral méditerranéen, on assiste vers 4500 à la formation d’une culture appelée le Chasséen. Autant qu’on puisse en juger, cette époque est marquée par de profonds bouleversements à la fois économiques et sociaux. Un système de subsistance plus efficient rend possible la colonisation de régions restées en marge lors de la première vague de néolithisation, ce qui enclenche une augmentation de la population visible dans la multiplication spectaculaire des habitats. En même temps, émerge une nouvelle organisation sociale marquée par une plus grande différenciation sociale. Ce mouvement se traduit par de nouveaux usages funéraires. D’une part, des coffres en pierre recouverts de tertres destinés à accueillir les morts de l’élite sont construits dans le sud de l’aire concernée. D’autre part, d’insolites sépultures y apparaissent en nombre, qui ont deux traits principaux : elles sont dispersées au sein de l’habitat et leurs fosses sont circulaires (ce qui fait qu’il pourrait s’agir de silos réemployés). La plupart contiennent un seul


NOËLLE GUILLON

© Darren Hubleyo/shutterstock.com

Les femmes musclées du Néolithique


L’analyse des os du bras a révélé que dans les premières sociétés agricoles d’Europe centrale, vers 5500 avant notre ère, les femmes effectuaient un travail physique plus important que les sportives actuelles.

L

’invention de l’agriculture, au Néolithique, n’a pas seulement changé nos habitudes alimentaires et nos organisations sociales, mais aussi notre morphologie : les vestiges humains de cette époque suggèrent que les os des membres inférieurs sont devenus moins rigides et moins mobiles. Chez les femmes, du moins de certaines populations d’Europe Centrale, il semblerait que ce phénomène ait été accompagné par un renforcement du bras, qui pourrait s’expliquer par un travail manuel important. « L’étude de la division sexuelle des tâches, à travers la morphologie des

squelettes, est un sujet récurrent de l’archéologie, mais il est souvent difficile de conclure car la réponse des os à une charge mécanique est différente entre hommes et femmes pour des raisons hormonales », explique l’archéoanthropologue spécialiste du Néolithique Aline Thomas, du Muséum national d’histoire naturelle, à Paris, qui n’a pas participé à l’étude. Alison Macintosh, de l’université de Cambridge, et ses collègues ont contourné ce problème en comparant des populations féminines à différentes époques : Néolithique, âge du Bronze, âge du Fer,

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Moyen Âge, et époque actuelle. Les chercheurs ont sélectionné des femmes pratiquant un sport à haut niveau (football, aviron et course de fond). « Les résultats ont été surprenants : on ne s’attendait pas à ce que les femmes du Néolithique surpassent les athlètes actuelles ! », s’étonne Aline Thomas. En pratique, les chercheurs ont comparé la rigidité et la forme de la diaphyse, c’est-à-dire la portion centrale d’un os long, en l’occurrence du tibia pour les membres inférieurs et de l’humérus pour les membres supérieurs. « Il est ressorti de cette analyse que la charge pesant sur les membres supérieurs était bien plus grande chez les femmes du Néolithique jusqu’à l’âge du Fer que chez toutes les femmes modernes, y compris celles pratiquant de l’aviron à haut niveau. Le décrochage apparaît à l’époque médiévale », résume Aline Thomas. En revanche, pour le tibia, les caractéristiques des joueuses de football et des coureuses de fond sont supérieures à celles des femmes des autres époques, avec cependant une grande variabilité des données néolithiques.


MARION BENZ Thema / Titre thema

© Shutterstock.com/Sezai Sahmay

Les premiers sanctuaires des chasseurs-cueilleurs


Il y a 11 000 ans, sur la colline turque de Göbekli Tepe, des mégalithes de plusieurs mètres encastrés dans des murs ont été érigés. Les sanctuaires ont-ils précédé l’agriculture et l’élevage ?

G

öbekli Tepe, c’est-à-dire, en turc, la « Colline au nombril », porte-t-elle en son ventre les plus anciens sanctuaires de l’humanité ? Oui, pour Oliver Dietrich, qui se souvient encore du jour où il a pour la première fois été confronté à ses mégalithes : « Je me sentais écrasé et ne pouvais croire que ce que je voyais avait 11 000 ans ! » Cet archéologue berlinois fouille depuis dix ans ce complexe de sanctuaires découvert en 1995 au sein d’un tell, c’est-à-dire de l’une de ces buttes artificielles constituées par des occupations humaines successives dont regorgent le Levant et la Mésopotamie.

Déjà impressionnant en soi, ce tell l’est aussi par son implantation : il se trouve à 800 mètres d’altitude au nord du plateau de Harran, dans le sud-est de la Turquie, de sorte que par beau temps, depuis Göbekli Tepe, on aperçoit la Syrie. Les archéologues turcs et allemands fouillent le complexe de sanctuaires ensemble. Lee Clare, de l’Institut archéologique allemand, coordonne le travail. Il a succédé à Klaus Schmidt (1953-2014), qui commença les fouilles en 1995. Leurs équipes ont déjà mis au jour six installations cultuelles monumentales, et les

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images satellitaires en révèlent quatorze de plus. Toutes partagent les mêmes caractéristiques principales : elles consistent en espaces ovales d’une douzaine de mètres de long creusés dans le substrat rocheux et bordés de murs de pierres sèches ; dans chacun d’eux, une douzaine de mégalithes en forme de T d’environ 2 mètres de haut sont à moitié encastrés dans les murs ; deux autres mégalithes en T, qui peuvent excéder 5 mètres de haut, se dressent au milieu de l’ovale. Le fait que ces installations étonnantes datent de 11 000 ans stupéfait les archéologues parce que cela les place plusieurs siècles avant l’agriculture et l’élevage, qui ont commencé au cours de la première moitié du IXe siècle avant notre ère au Proche-Orient. De fait, à Göbekli Tepe, les archéologues n’ont mis au jour aucun os d’animal domestique parmi ceux qu’ils ont découverts ; en revanche, les restes de gazelles, d’aurochs, d’ânes sauvages, de cervidés, de sangliers et de plantes sauvages abondent. Le fait que les bâtisseurs des sanctuaires de la colline étaient des chasseurs-cueilleurs est donc une évidence.


JEAN GUILAINE

© SasinTipchai/shutterstock.com

La révolution néolithique n’a-t-elle eu que des avantages ?


Le Néolithique s’est traduit par des ressources alimentaires accrues et une mainmise sur la nature. Cependant, ce bouleversement s’est aussi accompagné de nouvelles maladies, de l’apparition des inégalités, des premières pollutions… Jean Guilaine, professeur au Collège de France, nous explique en quoi il préfigure nos sociétés actuelles.

Qu’est-ce que la révolution néolithique ? Jean Guilaine : La « révolution néolithique » représente le grand tournant au cours duquel l’espèce humaine a, pour la première fois de sa longue histoire, modifié radicalement son comportement par rapport aux végétaux et aux animaux. En domestiquant plantes et bêtes, en maîtrisant désormais leur reproduction, l’homme ouvre alors une nouvelle ère dans sa relation à l’environnement. Mais le Néolithique est aussi une révolution sociale (création de la maison pérenne, des communautés villageoises, de nouvelles relations entre individus…) et

symbolique (cérémonies destinées à fortifier le lien identitaire et social, rituels agraires…). L’expression « révolution néolithique » englobe tout ce contexte à la fois d’ordre matériel et idéal. En fait, ce terme même est impropre dans la mesure où ce changement ne fut pas brutal, instantané, mais inscrit dans une certaine durée. L’homme chasseur n’est pas devenu un paysan du jour au lendemain ! De plus cette métamorphose ne s’est opérée qu’en quelques endroits du monde (ProcheOrient, Chine, Mexique, Nouvelle-Guinée, et plus tard Afrique sahélienne) à partir desquels elle a ensuite essaimé vers des périphéries de plus en plus lointaines.

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La sédentarisation fut-elle contrainte ou voulue ? La sédentarisation est le premier acte du processus conduisant au Néolithique. C’est donc au départ un comportement que l’on observe chez des chasseurs-cueilleurs. Certes dans la très longue durée des temps paléolithiques, des expériences de sédentarisation ont été tentées, par exemple chez les Gravettiens d’Europe centrale, vers – 25 000 ans, mais elles n’ont pas eu de suite. Plus intéressants sont les essais de sédentarisation de certaines populations du Paléolithique finissant ou de l’Épipaléolithique, il y a 10 000 à 15 000 ans. Tous ne conduiront pas à des civilisations agricoles, mais certains, notamment ceux des Natoufiens (une culture qui s’est épanouie au Proche-Orient entre 12 000 et 9 000 ans avant notre ère), connaîtront des prolongements qui favoriseront l’émergence de transformations sociales et économiques préfigurant le Néolithique. Je pense que ces sédentarisations ne sont pas imposées par la nature, mais procèdent plutôt de choix culturels. À un moment de leur évolution, des sociétés ont imaginé des modèles de


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