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A la rencontre du réalisateur Jérôme Descamps
A art
Jérôme Descamps l’infatigable militant du cinéma
Le réalisateur sort en janvier un nouveau court-métrage, sensible et nostalgique, " l'hÔtel sans fin ". il a pour sujet la mue de l'hôtel continental à reims.
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À vrai dire, à l’heure d’évoquer ses premiers souvenirs marquants de cinéma, Jérôme Descamps ne sait plus vraiment quel désir l‘a conduit à franchir, de plus en plus souvent, les portes d’un cinéma à Charleville- Mézières, la ville de son enfance. Le réalisateur, par ailleurs directeur de La Pellicule ensorcelée, se rappelle la fascination qu’ont très vite exercé sur lui les images et les univers incroyables des réalisateurs qu’il découvrait alors « un peu au hasard des programmations ». Il a 17 ou 18 ans au mitant des années 1970. Trois films pour autant de « claques » : Le Casanova, de Fellini, L’œuf du serpent, de Bergman et L’honneur perdu de Katharina Blum, de Volker Schlöndorf. Le jeune homme est troublé par cette manière si intime, et si puissante de dire le monde. On pourrait imaginer que son parcours, à l’âge de tous les possibles, le mène vers le monde du cinéma.
Mais c’est une autre passion qui le rattrape et le conduit pendant vingt ans à se mettre au service de la création et des artistes. Il travaillera dans l’administration et la production, d’abord au Théâtre du Campagnol, dans les années 1980. Une compagnie d’abord, fondée par le comédien et metteur en scène Jen-Claude Penchenat, qui s’installe dans une piscine désaffectée des années 1930 à Châtenay-Malabry (92), en banlieue sud de Paris, puis devient Centre dramatique national. Une belle aventure artistique et culturelle comme il pouvait encore s’en écrire à cette époque rêvée de la décentralisation culturelle. Il fonde ensuite avec Agnès Troly ce que l’on nommerait aujourd’hui un bureau de production, pour accompagner les projets artistiques de François Rancillac et Olivier Py. Agnès Troly est toujours auprès de l’actuel directeur du Festival d’Avignon, dont elle est conseillère à la programmation.
Concours de circonstances
L ’ idée du cinéma lui était alors sortie de la tête, ou presque. Jusqu’à ce jour de 1998 où, en discutant avec Agnès Troly, il lui parle d’une histoire qu’il a en tête et de la façon dont il aurait aimé la filmer. « Mais pourquoi ne l’écris-tu pas, ce film ? », lui lance sa complice. C’est cette conversation a priori anodine qui changera pourtant la vie de Jérôme Descamps. Une boîte de production est prête à l’accompagner dans son projet, le film est lancé, tourné, mais la société en question fait faillite. « Je n’avais plus le choix. Je suis allé récupérer les bandes, j’ai dérushé, j’ai fait le montage », se souvient-il. Et c’est à ce moment-là que l’activité qui aurait pu être dilettante devient première et viscérale. Mademoiselle Eva, son premier court-métrage, sort en 2001. Le film connaît un certain succès, circule dans les festivals, reçoit plusieurs prix et permet à son réalisateur
de nouer de plus en plus de contacts. « Je circulais dans ces festivals, je les découvrais, je prenais conscience de la richesse de la production. Et, en même temps, je voyais bien que tout cela ne parvenait pas jusqu’à Reims et Charleville, deux villes qui m’étaient chères ». Il crée alors la Pellicule ensorcelée dans le but de faire circuler ces courts-métrages documentaires ou de fiction, de les proposer partout, dans les villes en association avec les réseaux de cinéma, mais aussi dans les campagnes, en lien avec des maires accueillants ou des bibliothécaires cinéphiles. Ce travail se poursuit toujours, il est même dans sa 17 e année. « Je suis toujours étonné de la manière dont nous sommes reçus dans les petites communes. Parfois par 30 ou 50 personnes, mais toujours avec un tel appétit de découvertes, l’attente d’une exigence dans nos choix et beaucoup d’enthousiasme dans les débats qui s’ensuivent ». En janvier dernier, La Pellicule Ensorcelée s’est alliée à l’association Télé Centre Bernon (Epernay) pour fonder le Blackmaria, pôle régional d’éducation aux images de Champagne-Ardenne. En parallèle à tout cela, celui qui est devenu cette année, président de l’Agence nationale du court-métrage, poursuit son parcours de réalisateur. Il tourne plusieurs court, « en payant d’abord mon tribut au théâtre », sourit-il, réalisant le portrait de l’auteur Philippe Minayana (La secrète architecture du paragraphe, 2002) ou un documentaire consacré au spectacle de Michel Raskine, sur texte de Manfred Karge, Max et Blanche Neige (2004). Puis, il s’en affranchit avec une fiction au titre sublime, L’herbe collée à mes coudes respire le soleil, ou la rencontre furtive d’un homme et d’une femme dans l’univers morne une rame de RER (2006). Récemment, il a présenté Oser, un documentaire expérimental de dix minutes, une recherche sur la mémoire prenant appui sur quelques photos personnelles.
Un court-métrage tourné à Reims
S’il y a des attaches et s’il y passe beaucoup de temps pour ses activités professionnelles, assez étrangement, il n’avait jamais eu l’occasion de tourner à Reims. C’est désormais chose faite, avec L’Hôtel sans fin, un documentaire qui s’inscrit dans un lieu emblématique de la vie rémoise, l’Hôtel Continental, situé à l’angle de place d’Erlon. Si les Rémois n’ont aucune raison d’y entrer, ils l’ont assurément dans l’œil, parfois depuis leur plus jeune âge. C’est dans cette vénérable institution que Jérôme Descamps a pris l’habitude de séjourner, depuis très longtemps, dès qu’il doit passer quelques
jours à Reims pour ses activités. « C’est un lieu que j’ai toujours trouvé étonnant, avec ses enfilades de couloirs, ses entresols, ses escaliers un peu partout qui désorientent même les habitués. Et puis les chambres. Elles étaient toutes différentes les unes des autres, colorées, fantaisistes, meublées au petit bonheur la chance avec des objets dépareillés », explique-t-il. Loin des canons des hôtels d’aujourd’hui et de leurs chambres toutes identiques, à Paris, Shangaï… ou Reims. « Cet hôtel avait sa personnalité, ses propriétaires chinaient des objets, achetaient des tableaux pour les placer dans les
chambres ». L’hôtel a été revendu et réhabilité, ses propriétaires, proches de la retraite, ne souhaitant pas s’investir dans sa coûteuse remise aux normes, et Jérôme Descamps a filmé trois temps de cette histoire : les dernières semaines de l’Hôtel Continental, son déménagement et sa fermeture, puis le temps des premiers travaux sur lesquels se referme le film. « Je me rends compte maintenant que L’Hôtel sans fin est d’abord un film nostalgique, la nostalgie de la fantaisie, du non-conformisme, de tout ce qui aujourd’hui nous échappe peu à peu dans ce monde standardisé ». Au moment de se quitter, ce curieux invétéré cite, pêle-mêle, ses coups de cœur du moment, rappelant sa passion pour l’opéra et la dernière mise en scène de Roméo Castellucci, son admiration pour Thomas Jolly, Ivo van Hove ou Thomas Ostermeier, la figure tutélaire du réalisateur Alain Cavalier, si important dans son parcours, tant admiré, mais aussi le Suisse Claude Barras (Ma vie de courgette), les frères Stephen et Timothy Quay – « quelle claque ! », ajoute-t-il - et, dans la jeune génération Sarah Arnold – « je suis sûr qu’elle pourra faire un long-métrage très bientôt », assure-t-il - ou Hubert Charuel (Petit Paysan). Sans compter la marionnette de Yngvild Aspeli dans Chambre noire (Compagnie Plexus Polaire) ou « ce film paraguayen, tellement formidable, que j’ai vu il y a deux jours »… Intarissable et pasionnant, doué un sens inné de la convivialité, Jérôme Descamps est un passionné à l’énergie communicative. Celles et ceux qui le côtoient au gré de ses pérégrinations dans les villes et communes rurales de feu la Champagne-Ardenne le savent bien. On ne devient pas militant, on l’est ou on ne l’est pas.
Un film produit par une société rémoise Le film L’Hôtel sans fin est produit par 5 ème Saison, une jeune société de production rémoise. Son gérant est Mathieu Mallaisé, lui-même réalisateur. Il collabore sur ce projet, et sur d’autres, avec Alexandre Lorin pour l’image ou Olivier Vaillant pour la musique… La toute jeune société de production cinématographique et audiovisuelle a été créé voici moins d’un an. L’Hôtel sans fin est aussi coproduit par viàVosges, avec la participation du Réseau des Télévisions du Grand Est Le Cercle Méliès, ainsi que le soutien de La Région Grand Est Et la participation du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée
L’Hôtel sans fin Un documentaire de 52 minutes réalisé par Jérôme Descamps
La première projection est prévue à Reims au cinéma Opéra, le 14/01 - 20h30 sur réservation à mailcontact@5-saison.com
TEXTE cyrille planson
portrait benoît pelletier
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