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Vers la transformation du modèle de développement... - Synthèse

Graphique 2

Essor et essoufflement de la mondialisation : variation annuelle du PIB mondial et du volume du commerce international de marchandisesa (Pourcentages, moyennes mobiles sur cinq ans)

Guerre en Ukraine

Insécurité alimentaire

Essor de la mondialisation

Consolidation de trois « usines » manufacturières mondiales Expansion industrielle de la Chine Programme de développement

Crise financière internationale

Baisse de la contribution du commerce à la croissance économique Dichotomie entre économie réelle et expansion financière Mécontentement des classes moyennes dans les pays développés

Pandémie de COVID-19

Contraction de l’offre de pétrole, de denrées alimentaires et d’engrais Réponse monétaire à l’inflation

Interruption des chaînes d’approvisionnement Chocs d’offre Inflation

Tensions commerciales et technologiques avec la Chine

Estratégias de relocalização

Régionalisation, souveraineté en matière de défense, d'énergie, d'alimentation et de manufacture

Volume des échanges PIB

Volume des échanges PIB a Les pourcentages indiqués pour l’année 2022 sont des prévisions.

Source : Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), à partir de données de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et du Fonds monétaire international (FMI).

Pour les économies émergentes, dont celles d’Amérique latine et des Caraïbes, la situation est encore plus complexe, car la lutte contre l’inflation a accentué le durcissement des conditions financières mondiales et augmenté la volatilité des marchés financiers et l’aversion pour le risque au niveau mondial. Les flux de capitaux vers les marchés émergents s’en sont ressentis, ce qui a entraîné d’importantes dépréciations des devises et amplifié l’impact des chocs sur les prix de l’énergie et des denrées alimentaires.

La dynamique cyclique de l’économie mondiale s’inscrit dans un contexte caractérisé par deux mégatendances, l’urgence environnementale et la révolution technologique, qui transforment structurellement le processus de mondialisation, et plus particulièrement le commerce et les chaînes de valeur.

Au moment où l’économie mondiale encourt un risque croissant de stagflation, les sociétés doivent également faire face à une crise environnementale de plus en plus aiguë et asymétrique. Parmi ses manifestations les plus alarmantes, on peut citer la perte de biodiversité et d’écosystèmes, la pollution et la menace du changement climatique. Pour éviter les effets les plus graves du changement climatique et limiter l’augmentation de la température à un maximum de 1,5 °C, les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites d’ici à 2030 entre 38 et 63 pour cent par rapport aux émissions de 2019. D’ici le milieu du siècle, les émissions devraient être réduites entre 75 et 98 pour cent, c’est-à-dire que l’économie mondiale devrait alors être neutre en carbone.

Les causes et les effets du changement climatique agissent selon une double asymétrie. Les pays les plus développés sont ceux qui émettent le plus de gaz à effet de serre et sont les mieux préparés à faire face aux effets négatifs du changement climatique. Au contraire, les pays les moins développés sont ceux qui produisent le moins d’émissions et sont les moins préparés à affronter ces effets négatifs. Par ailleurs, à l’intérieur des pays, les groupes les plus riches produisent plus d’émissions par habitant et sont mieux préparés à faire face aux effets du changement climatique, alors que les groupes les plus pauvres sont dans la situation opposée.

Dans ce contexte, la guerre entre la Fédération de Russie et l’Ukraine a provoqué une nouvelle flambée des prix de l’énergie, dont les effets sur la transition énergétique ne sont pas encore clairs. D’une part, les prix élevés des carburants incitent à remplacer les combustibles fossiles par des énergies renouvelables. Cependant, les prix élevés pourraient aussi encourager une nouvelle vague d’investissements dans ce secteur.

D’autre part, la perte et la dégradation de la biodiversité et des services des écosystèmes terrestres et marins entraînent des répercussions considérables sur les systèmes de production et le bien-être social et contribuent à aggraver les crises mondiales.

Les technologies numériques sont à l’origine d’une autre transformation majeure au cours de la dernière décennie. Elles ont permis la création de nouveaux biens et services, de nouveaux modèles d’entreprise et de réseaux de valeur, ainsi que la création de

Vers la transformation du modèle de développement... - Synthèse nouvelles entreprises qui ont contribué à la reconfiguration de certaines industries et ont acquis une position dominante au niveau mondial. Ces vagues de destruction créatrice ont des effets socio-économiques transformateurs, pouvant modifier les trajectoires de développement des pays en termes de production et de distribution des richesses, du fait de leurs effets potentiels sur le bien-être, la productivité et la durabilité environnementale. Il s’agit d’un changement de paradigme, qui accélère le rythme de la transformation du monde de la production et du monde du travail. Le défi politique consiste à veiller à ce que la dynamique de la créativité et de l’innovation devance et dépasse la dynamique destructrice, et à ce que les secteurs sociaux et de l’emploi concernés profitent des systèmes de protection sociale et des politiques actives du marché du travail (insertion professionnelle et formation) pour tirer parti des possibilités qui se présentent dans le nouveau monde du travail instauré par la révolution technologique et numérique.

Pour renforcer le rôle de la transformation numérique dans la relance et la reconstruction suite aux dommages causés par la pandémie, et pour surmonter les problèmes structurels, il convient de mettre en place des cadres politiques intégrés, des mécanismes de gouvernance et de mise en œuvre qui tiennent compte des facteurs fondamentaux ou des moteurs de la transformation numérique, tels que l’infrastructure de connectivité, les cadres réglementaires, les ressources humaines qualifiées et les structures institutionnelles et de gouvernance. Sans une perspective systémique de la numérisation, capable de réduire les inégalités d’accès et d’uniformiser les règles du jeu, les effets positifs pourraient se muer en facteurs négatifs en termes de concentration et d’inégalités. Cela vaut tout particulièrement pour les pays en développement, qui sont loin de la frontière technologique et dont les avantages concurrentiels reposent sur l’abondance de main-d’œuvre peu qualifiée et de ressources naturelles, des facteurs dont la pertinence relative pourrait diminuer avec l’expansion de la robotique et de l’intelligence artificielle et l’efficacité croissante découlant des solutions intelligentes.

La conjonction de la rupture de la synergie entre les trois « usines mondiales » de la mondialisation – Asie de l’Est et du Sud-Est, Europe et Amérique du Nord – et de la guerre en Ukraine pourrait renforcer les mouvements nationaux d’autosuffisance ou de souveraineté dans des domaines tels que la santé, la sécurité alimentaire, l’accès aux sources d’énergie renouvelables et non renouvelables, la production de biens manufacturés jugés stratégiques, qu’il s’agisse de technologies de pointe (micro-processeurs) ou de technologies matures (engrais), ainsi que le contrôle national ou régional des entreprises qui les produisent. Les tendances vers la régionalisation du marché mondial pourraient être renforcées en privilégiant des investissements dans des économies géographiquement proches ou selon des critères de sécurité nationale. En ce sens, on voit apparaître de plus en plus clairement une nouvelle étape de la mondialisation présentant au moins deux caractéristiques : (i) une tendance à la superposition ou à la gravitation de facteurs géopolitiques sur des facteurs économiques dans les décisions d’investissement et dans l’organisation des chaînes d’approvisionnement au niveau mondial, ce qui se traduit par diverses formes de régionalisme renouvelé ; et (ii) une tendance, déjà très nette dans les statistiques, vers un fort dynamisme du commerce des services, considérablement supérieur à celui des marchandises, associé à la révolution numérique, au commerce électronique et au commerce de services permis ou facilités par les technologies de l’information et de la communication et l’Internet. Ces tendances relativement nouvelles présentent à la fois des défis et des opportunités pour les pays de la région, liés à des facteurs tels que la délocalisation dans une région proche ou nearshoring et les possibilités d’insertion dans de nouvelles chaînes de valeur, non seulement pour les biens mais aussi pour les services.

La crise financière mondiale, les tensions de la mondialisation, la pandémie et les effets de la guerre entre la Fédération de Russie et l’Ukraine ont frappé une région caractérisée par une faible croissance, un manque d’investissements, la désindustrialisation, l’informalité de la main-d’œuvre et la sous-utilisation du marché régional. Les facteurs qui ont conduit la région à de faibles taux de croissance, à une spécialisation dans des secteurs à faible technologie et à un faible dynamisme de la demande extérieure se sont conjugués à une adhésion très limitée aux approches des politiques productives, c’est-à-dire des politiques qui encouragent la création de nouveaux secteurs présentant des avantages concurrentiels précisément sur le plan de la technologie et de la demande extérieure. Même dans la conjoncture actuelle, alors que les

Vers la transformation du modèle de développement... - Synthèse économies développées ont lancé de puissants plans industriels visant la durabilité et la souveraineté énergétique et technologique, les pays de la région continuent à afficher des positions ambiguës ou purement déclaratives à l’égard des politiques de développement productif.

Comme l’a répété la CEPALC, cette dynamique économique se conjugue à une dynamique sociale d’exclusion et d’inégalités découlant de structures productives peu dynamiques, de systèmes d’éducation et de formation professionnelle peu inclusifs, d’une culture qui alimente et reproduit différentes formes de discrimination et d’exclusion, ainsi que d’une crise environnementale mondiale qui affecte la région de manière disproportionnée. Cette situation est à la fois la cause et la conséquence de graves lacunes dans le modèle de développement actuel, qui nécessite, pour être surmonté, des efforts politiques concentrés et une action collective des sociétés dans tous les domaines abordés par le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et ses 17 Objectifs de développement durable. Les chapitres suivants s’attachent à approfondir ce diagnostic et à présenter des propositions d’action.

II. Structure de production et politiques pour le développement durable

Le chapitre II du présent document analyse les forces structurelles qui ont déterminé les performances de l’Amérique latine et des Caraïbes au cours des 30 dernières années, sur la base d’une analyse comparative avec d’autres régions afin d’identifier les facteurs qui ont concouru à ce que les économies de la région ne sont pas parvenues à converger vers les économies plus développées en termes de capacités et de revenus . Le point de départ est un constat : l’économie internationale est constituée d’un ensemble de pays présentant des asymétries très marquées en termes d’économie, de production et de technologie, qui révèlent une interaction étroite entre les aspects de répartition et de bien-être, où la causalité va dans les deux sens.

Deux arguments principaux sont avancés dans ce chapitre. Le premier est que les pays qui ont atteint des taux de croissance plus élevés et ont réduit leurs écarts de revenu par habitant avec les pays les plus avancés (convergence) sont ceux qui ont réussi à diversifier leur structure de production vers des secteurs davantage axés sur la technologie et une demande plus dynamique sur les marchés mondiaux. En d’autres termes, la structure de production importe : produire des biens à forte intensité technologique n’équivaut pas à produire des biens à faible intensité technologique, et produire des biens dont l’élasticité de la demande par rapport au revenu est élevée, n’équivaut pas à produire des biens dont la demande augmente lentement sur le marché mondial. Certains modèles de spécialisation sont plus dynamiques que d’autres (tant du côté de l’offre que de la demande), ce qui détermine les performances à long terme des économies.

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Le deuxième argument avance que la transformation de la structure de production est le résultat de choix politiques, plutôt que d’un destin déterminé par la dotation en facteurs. La dotation en facteurs marque la trajectoire de la croissance, mais la question de savoir si elle constitue une trappe ou un soutien pour cette croissance dépend des politiques. La dimension institutionnelle et l’économie politique, évoluant conjointement avec la structure de production, définissent le type de développement. Les pays qui ont adopté des politiques de transformation et de diversification de la production et qui les ont maintenues au fil du temps ont obtenu de meilleurs résultats en termes de croissance à long terme que ceux qui ne l’ont pas fait. Pour comprendre les exemples de réussite de la convergence internationale, il faut comprendre comment, à partir des politiques, l’on a repensé les prix et les mesures d’incitation afin de stimuler l’émergence de nouveaux secteurs dynamiques.

Certains secteurs de l’économie comportent plus de contenu technologique, engendrent davantage de possibilités d’innovation et d’apprentissage et réalisent des bonds de productivité plus importants que d’autres. Dans la mesure où la production et les exportations d’un pays sont plus concentrées dans ces secteurs, l’innovation et la productivité sont susceptibles de se développer à des taux plus élevés que dans les pays spécialisés dans des secteurs à faible contenu technologique. Les données internationales montrent qu’au Japon et chez les « tigres asiatiques », 61 % des exportations de biens sont réalisées par les secteurs des fournisseurs spécialisés et axés sur la science, contre 52 % aux États-Unis et 21 % dans le cas de l’Amérique latine et des Caraïbes. En ce qui concerne les exportations de services, la part des services modernes est plus élevée dans les économies développées, où ils représentent environ 40 % du total, contre moins de 30 % dans les économies émergentes ou en développement (à l’exception de la Chine). L’Amérique latine et les Caraïbes est notamment l’une des régions où la part des services modernes dans les exportations est la plus faible, avec 19,6 % du total des services, ce qui reflète le grand potentiel de croissance et de transformation structurelle de la production et de l’emploi.

Un autre indicateur qui influe sur l’expansion de la demande et des marchés extérieurs est l’élasticité de revenu des produits exportés et leur poids dans le panier d’exportation de chaque pays. L’élasticité de revenu de la demande a tendance à être plus élevée pour les biens liés aux produits manufacturés, en particulier ceux à forte intensité technologique, et plus faible pour les biens liés aux ressources naturelles. De plus, la demande extérieure pour ces produits est non seulement moins dynamique, mais aussi davantage sujette à de fortes fluctuations et à l’instabilité des prix et du marché.

Ces données montrent que l’intensité technologique et l’élasticité de revenu de la demande présentent un degré élevé de chevauchement et peuvent interagir positivement et générer des cercles vertueux. C’est une source importante de rendements croissants entre l’innovation, le changement structurel et la croissance. En somme, il y a des rendements croissants lorsque l’innovation et l’expansion des marchés (et de la demande effective) se renforcent mutuellement.

Des éléments indiquent également que l’augmentation de la complexité économique est étroitement liée à la réduction de l’intensité des émissions de gaz à effet de serre par unité de valeur, ainsi que des émissions de gaz à effet de serre par habitant, une fois le niveau du PIB contrôlé. Cela est dû, d’une part, à une augmentation du poids de l’industrie manufacturière dans le PIB, qui est moins intensive en émissions, et, d’autre part, au fait que les innovations, les technologies, les pratiques et les solutions peu intensives en carbone impliquent nécessairement une augmentation de la quantité de connaissances qui sont intégrées dans la structure de production d’une économie, ce qui définit la complexité économique. Ainsi, le changement structurel permet non seulement d’évoluer vers des segments à plus forte valeur ajoutée, mais aussi de réduire la pollution émise pour chaque unité de valeur économique.

Les faibles niveaux et la trajectoire décroissante de l’investissement et de la productivité observés au cours des trois dernières décennies sont le résultat de la capacité limitée des pays de la région à opérer et à maintenir les changements nécessaires dans la structure de production.

De plus, les investissements publics ne jouent pas le rôle de force motrice pour les investissements privés. En 2019, la formation brute de capital fixe des administrations publiques de la région a atteint une moyenne pondérée de 2,8 % du PIB, ce qui contraste fortement avec les valeurs observées dans les économies développées, ainsi que dans les économies émergentes et en développement d’Asie. Le faible niveau

Vers la transformation du modèle de développement... - Synthèse d’investissement public de la région est évident lorsqu’on le compare à celui des économies émergentes et en développement d’Asie (moyenne pondérée de 2,8 % et 11,7 % du PIB, respectivement), stimulé par le dynamisme enregistré en Chine qui, en 2019, a consacré 17,3 % de son PIB aux investissements publics.

En plus des mauvais résultats de la productivité et de l’investissement, les pays d’Amérique latine et des Caraïbes ont connu, depuis les années 1990, un affaiblissement des politiques productives et de la capacité institutionnelle de l’État.

Bien que les pays de la région aient mis en œuvre des politiques de développement productif, l’ensemble des interventions n’a pas eu d’effet modernisateur sur la composition de la structure de production de l’Amérique latine et des Caraïbes en raison des caractéristiques des politiques mises en œuvre et du cadre institutionnel qui les a encouragées. Ces politiques ont souvent été abandonnées ou confiées à des ministères et secrétariats ayant peu d’influence politique et peu de capacités institutionnelles. Les initiatives de politiques productives, industrielles et technologiques n’ont pas été complétement écartées, mais elles n’ont pas non plus reçu le soutien institutionnel et politique, ni les capacités nécessaires à une mise en œuvre efficace.

Cela souligne l’importance de mener des politiques de développement productif plus proactives qui visent à promouvoir la sophistication technologique et la diversification de la production, à accélérer la croissance de la productivité et les processus d’apprentissage, à développer les capacités d’innovation, à promouvoir les liens de production, à renforcer la capacité d’assimilation des technologies moyennes et élevées, à pénétrer dans de nouvelles industries, de nouveaux marchés et de nouvelles chaînes de valeur et à transformer le modèle pervers de la transformation structurelle en un modèle vertueux dans lequel les travailleurs vont des secteurs à faible productivité vers des secteurs à plus forte productivité. Ce sont les politiques de développement productif qui constituent la principale « boîte à outils » pour atteindre ces objectifs et agir sur les modèles de changement structurel, de croissance et d’emploi.

La COVID-19 a causé des dommages considérables au tissu productif de tous les pays. Derrière la contraction drastique de l’économie en 2020 se cache une tragédie en termes d’emplois et de graves dégâts au niveau du tissu productif et du capital humain, des taux élevés de perte d’activité et des secteurs gravement endommagés, qui mettront des années à s’en remettre.

Si la nécessité d’un changement dans les politiques de développement productif était déjà évidente avant la pandémie, la crise sanitaire a fait de cette question l’une des principales priorités en matière de politique publique et un élément central de toute stratégie nationale de reconstruction transformatrice.

III. Inégalités, emploi et politiques sociales

La hausse de l’emploi formel et les politiques sociales ont été deux dimensions essentielles des bons résultats obtenus entre 2004 et 2012 dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités en Amérique latine et dans les Caraïbes. Dans le chapitre III du présent document, ces deux dimensions sont analysées, ainsi que leur interaction avec d’autres sources d’inégalité, comme le genre, la race, l’âge ou encore la dégradation de l’environnement. Les analyses montrent que la transformation productive est essentielle à la création de nouveaux emplois formels et à l’augmentation de la productivité, que les inégalités limitent la croissance de la productivité, que la réduction des inégalités contribue également à la croissance de l’économie et de l’emploi, et enfin, que la protection sociale universelle n’est pas seulement un impératif moral pour le développement, mais qu’elle contribue également à renforcer la justice sociale, la croissance et la capacité d’adaptation de l’économie, si bien que la région devrait s’orienter vers des

États-providence.

A. Transformation productive et emploi

Les économies de la région présentent un écart de productivité croissant par rapport aux économies développées. Ces écarts tendent toutefois à être encore plus importants au sein des pays, lorsqu’on compare les zones urbaines et rurales, les secteurs économiques tels que l’agriculture, le commerce, les services et l’industrie, les secteurs formels et informels des économies, et les unités de production orientées vers les marchés internationaux et celles qui servent le marché local.

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Ce chapitre montre que des structures de production plus diversifiées et à plus forte intensité technologique permettent d’atteindre des niveaux de productivité plus importants tout en assurant des taux d’emploi plus élevés. De plus, un taux de croissance plus élevé fait en sorte que la croissance de la productivité du travail est compatible avec la croissance de l’emploi.

D’autre part, l’hétérogénéité structurelle se manifeste de manière plus évidente dans la part de l’emploi à faible productivité dans l’emploi total. La faible productivité peut être considérée comme un indicateur quantitatif des niveaux d’informalité du travail, un phénomène structurel dans les pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Les deux concepts (emplois à très faible productivité et emplois informels) sont utilisés de manière interchangeable dans cette section.

En 2000, environ la moitié des emplois urbains relevaient du secteur informel, dont la productivité ne représentait que 30 % de la productivité globale et 20 % de la productivité du secteur formel. Le graphique 3 met en évidence l’écart croissant entre la productivité du secteur formel et celle du secteur informel dans huit pays de la région, ainsi que l’écart salarial élevé entre ces deux secteurs. Le poids de l’hétérogénéité structurelle a amplifié les effets de la succession de crises, notamment celle déclenchée par la pandémie de COVID-19.

Au cours des premiers trimestres de 2020, la crise sanitaire a eu un impact significatif sur les marchés du travail de la région, et les travailleurs informels ont été particulièrement touchés. Cette situation est sans précédent, car généralement dans d’autres contextes de crise, lorsque l’emploi formel diminuait les emplois informels jouaient un rôle anticyclique et leur taux augmentait. Pendant la pandémie de COVID-19, en revanche, l’emploi informel n’a pas servi de refuge ou d’alternative aux personnes ayant perdu leur emploi salarié pour retrouver un emploi. Cette baisse de l’accès aux emplois informels a surtout touché les jeunes, les travailleurs peu qualifiés et les femmes.

De plus, le taux cumulé d’emploi masque d’importantes différences entre les sexes. Le graphique 4 montre que le taux de participation des femmes sur le marché du travail est beaucoup plus faible que celui des hommes en Amérique latine et dans les Caraïbes. De la même manière, le taux de chômage des femmes est plus élevé que celui des hommes, une situation qui s’est aggravée pendant la pandémie.

Graphique 3

Amérique latine (8 pays)a: écart de productivité et écart salarial entre les travailleurs du secteur formel et ceux du secteur informel, 2000-2018 (En pourcentages) a Les pays figurant dans l’échantillon sont : Argentine, Bolivie (État plurinational de), Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Mexique et Pérou.

Source : Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC).

Remarque : Le secteur informel regroupe des activités à faible productivité et comprend les catégories suivantes : le travail domestique, les travailleurs salariés non professionnels, les travailleurs domestiques non rémunérés et les personnes employées dans des micro-entreprises de moins de cinq travailleurs. Les estimations de la répartition de l’emploi et de la productivité du travail sont basées sur les données de la CEPALC dérivées des enquêtes nationales sur les ménages. La productivité du travail dans le secteur informel est estimée sur la base des revenus moyens des travailleurs informels, qui sont considérés comme une bonne variable de substitution pour la valeur ajoutée générée par le secteur informel, en raison de la nature des activités réalisées dans le secteur informel.

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