Éditorial
S’il existe une région où le végétal est à l’honneur,
Cependant, il aurait aimé séjourner dans ces
voilà un champ. La forêt est son ennemi naturel ;
c’est bien la région des Pays de la Loire. En effet, c’est
rares zones libres. La lumière y est plus vive, le soleil
avec le lait de sa mère, il a sucé la haine des vieux
en élevant à Nantes un jardin de port que Pierre
plus direct, l’espace plus visible surtout. Plus tard
arbres ; ils sont pour lui la marque de l’état sauvage.
XVIIIe siècle
enfin, quand l’homme eut acquis les premières
Aussi les poursuit-il à outrance ; il aimerait mieux
une dynamique autour du végétal qui s’étalera
notions d’agriculture et d’élevage, il trouva un
griller au soleil que d’en conserver quelques-uns
tout le long du fleuve jusqu’à Orléans. Peut-être
avantage considérable à habiter les lieux dé-
pour abri ; il craindrait de devenir peau-rouge.”
que les horticulteurs, voyant passer ces gabares
couverts, où il pouvait surveiller ses récoltes
remplies de plantes inconnues, ont senti croître
et garder ses troupeaux. Mais ils étaient rares,
leur convoitise et leur intérêt pour les végétaux.
Chirac, en visionnaire, a insufflé au
éloignés et généralement arides. Ne pouvait-on
– Soit ! disent-ils. Il est vrai que nous avons abu-
Sommes-nous toujours en accord avec le vé-
alors les créer artificiellement ? Il suffisait pour
sé, que nous avons abattu trop d’arbres, rasé trop
gétal ? Les pages de ce numéro voudraient porter
cela d’abattre les arbres, d’en tirer tout le bon et,
de forêts, transformé en Sahara trop d’oasis et qu’il
un éclairage sur la situation actuelle.
sur leur domaine, d’établir de vastes clairières,
est temps que cela cesse ! Mais cette trêve va s’im-
qui auraient tous les avantages de la plaine,
poser d’elle-même.Le règne du bois va vers son déclin.
joints à ceux d’une prodi-gieuse fécondité.
On ne construit plus en bois ; on ne chauffe plus au
En 1957, un certain L. Marcellin nous conte dans la revue Tout Savoir, mensuel de vulgarisation des sciences, toute son abomination pour l’homme
Et l’homme se mit à “ faire de la terre... ” La
bois foyers, machines, usines. Le temps n’est plus où
qui s’attaque à l’arbre... Voilà en quelques para-
profonde sylve africaine, inviolée pendant des
pour équiper leur flotte, les Phéniciens ont dépouillé
graphes choisis son propos sur les forêts.
millions d’années, fond comme neige au soleil.
le Liban de ses fameux cèdres ; ou plus près de nous
« Nous avons parlé plus haut, de l’air qu’elles
Juste le temps de permettre aux marchands de
la duchesse de Rohant se lamentait qu’on eût sacrifié
rendaient respirable et, bien sûr, un sauvage
bois de prendre leur part, et la place est livrée toute
toute une forêt du duc, son époux, pour construire
primitif n’eût jamais songé à l’en remercier. Il
chaude au planteur. Alors s’installent le coton,
la seule Couronne... Qui n’était après tout qu’un
ignorait aussi qu’il lui devait des sources où il
le tabac, l’arachide, le riz, et diz autres enva-
vaisseau guère plus long qu’un thonier moderne.
s’abreuvait. Comment aurait-il pu savoir que le
hisseurs qui rongent tout ce qu’on leur aban-
Et puis, si toutes ces raisons semblent plus que
soleil aspire les vapeurs, qu’elles se condensent,
donne, réussissent ou ne réussissent pas, mais
suffisantes pour donner le droit de parler en faveur
que la forêt provoque les pluies, les prolonge en
vident le sol de sa substance en quelques années.
de l’arbre, il en est une dernière qui, pour beaucoup,
les modérant ? En même temps, elle diminue le
On passe ainsi de la forêt à la brousse, de la
à moins d’importance, mais qui reste heureuse-
ruissellement superficiel, attire par ses racines
brousse au désert. Au nord du Niger, le Sahara
ment primordiale pour quelques-uns : l’arbre est
les eaux dans les couches profondes, en retarde
avance de plusieurs kilomètres par an...
une des plus sûres beautés du monde. N’est-ce pas
l’écoulement, le canalise, régularise le régime
Qu’est-ce que cela peut faire ? Ce n’est pas
des rivières et des fleuves, évite les inondations,
la place qui manque. Il n’y a qu’à recommencer
grâce au filtre de feuilles mortes qu’elle accumule,
plus loin.
et qui finit par constituer l’humus.
Ce propos vieux de plus de cinquante ans est pourtant encore très actuel et combien de temps
Et on a recommencé au Brésil, au Mexique,
l’humanité tiendra-t-elle, si elle ne continue pas
aux Indes, à Madagascar, en Chine, en Indonésie,
à préserver cette ressource sauvage, pas seule-
que cet humus finissait par former une terre
en Australie, jusqu’au cœur de nations qui sont,
ment sous son aspect quantitatif, en nombre
grasse, chaude, en quelque sorte vivante, où les
ou prétendent être à la tête du progrès. Il y a un
d’espèces, mais en entretenant l’équilibre entre
graines qu’y apportaient le vent ou les oiseaux, les
siècle, des voyageurs parcourant les États-Unis
les villes et les campagnes, entre nature et cultu-
fruits qui tombaient des branches, s’empressaient
s’en étonnaient déjà.
re, afin qu’elle y puise tout ce qu’est nécessaire à
de germer et de croître bien plus vigoureuse-
“Le Yankee, écrit l’un d’eux, arrive-t-il dans
ment que lorsqu’il essayait de les enfoncer lui-
un lieu désert, dont un coin de forêt lui dispute la
même dans le sol des endroits dénudés.
possession [...], le lendemain il incendie la forêt :
p. 1 : Mousses et jeunes fougères tropicales, Épiphytes, serre du Jardin des Plantes, Nantes. Cl. B. Renoux.
303 / NA 103 / 08
assez pour nous imposer son respect ? »
Pourtant, l’homme ne tarda pas à s’apercevoir
couverture : Erigeron canadensis, Nantes. Cl. B. Renoux.
6
Les avocats d’une mauvaise cause gardent toujours en réserve des arguments.
p. 2 à 5 : La petite Amazonie, zone de prairie abandonnée depuis la guerre, en cours de restauration écologique par du pâturage de « Higland cattle ». Cl. B. Renoux.
l’équilibre des sociétés ? La rédaction
p. 6 : Jardin d’eau et d’orties réalisé par Gilles Clément à l’occasion de la Biennale Internationale d’art contemporain de Melle, œuvre pérenne. Cl. Jean-Luc Denis, ville de Melle.
7
Éditorial
S’il existe une région où le végétal est à l’honneur,
Cependant, il aurait aimé séjourner dans ces
voilà un champ. La forêt est son ennemi naturel ;
c’est bien la région des Pays de la Loire. En effet, c’est
rares zones libres. La lumière y est plus vive, le soleil
avec le lait de sa mère, il a sucé la haine des vieux
en élevant à Nantes un jardin de port que Pierre
plus direct, l’espace plus visible surtout. Plus tard
arbres ; ils sont pour lui la marque de l’état sauvage.
XVIIIe siècle
enfin, quand l’homme eut acquis les premières
Aussi les poursuit-il à outrance ; il aimerait mieux
une dynamique autour du végétal qui s’étalera
notions d’agriculture et d’élevage, il trouva un
griller au soleil que d’en conserver quelques-uns
tout le long du fleuve jusqu’à Orléans. Peut-être
avantage considérable à habiter les lieux dé-
pour abri ; il craindrait de devenir peau-rouge.”
que les horticulteurs, voyant passer ces gabares
couverts, où il pouvait surveiller ses récoltes
remplies de plantes inconnues, ont senti croître
et garder ses troupeaux. Mais ils étaient rares,
leur convoitise et leur intérêt pour les végétaux.
Chirac, en visionnaire, a insufflé au
éloignés et généralement arides. Ne pouvait-on
– Soit ! disent-ils. Il est vrai que nous avons abu-
Sommes-nous toujours en accord avec le vé-
alors les créer artificiellement ? Il suffisait pour
sé, que nous avons abattu trop d’arbres, rasé trop
gétal ? Les pages de ce numéro voudraient porter
cela d’abattre les arbres, d’en tirer tout le bon et,
de forêts, transformé en Sahara trop d’oasis et qu’il
un éclairage sur la situation actuelle.
sur leur domaine, d’établir de vastes clairières,
est temps que cela cesse ! Mais cette trêve va s’im-
qui auraient tous les avantages de la plaine,
poser d’elle-même.Le règne du bois va vers son déclin.
joints à ceux d’une prodi-gieuse fécondité.
On ne construit plus en bois ; on ne chauffe plus au
En 1957, un certain L. Marcellin nous conte dans la revue Tout Savoir, mensuel de vulgarisation des sciences, toute son abomination pour l’homme
Et l’homme se mit à “ faire de la terre... ” La
bois foyers, machines, usines. Le temps n’est plus où
qui s’attaque à l’arbre... Voilà en quelques para-
profonde sylve africaine, inviolée pendant des
pour équiper leur flotte, les Phéniciens ont dépouillé
graphes choisis son propos sur les forêts.
millions d’années, fond comme neige au soleil.
le Liban de ses fameux cèdres ; ou plus près de nous
« Nous avons parlé plus haut, de l’air qu’elles
Juste le temps de permettre aux marchands de
la duchesse de Rohant se lamentait qu’on eût sacrifié
rendaient respirable et, bien sûr, un sauvage
bois de prendre leur part, et la place est livrée toute
toute une forêt du duc, son époux, pour construire
primitif n’eût jamais songé à l’en remercier. Il
chaude au planteur. Alors s’installent le coton,
la seule Couronne... Qui n’était après tout qu’un
ignorait aussi qu’il lui devait des sources où il
le tabac, l’arachide, le riz, et diz autres enva-
vaisseau guère plus long qu’un thonier moderne.
s’abreuvait. Comment aurait-il pu savoir que le
hisseurs qui rongent tout ce qu’on leur aban-
Et puis, si toutes ces raisons semblent plus que
soleil aspire les vapeurs, qu’elles se condensent,
donne, réussissent ou ne réussissent pas, mais
suffisantes pour donner le droit de parler en faveur
que la forêt provoque les pluies, les prolonge en
vident le sol de sa substance en quelques années.
de l’arbre, il en est une dernière qui, pour beaucoup,
les modérant ? En même temps, elle diminue le
On passe ainsi de la forêt à la brousse, de la
à moins d’importance, mais qui reste heureuse-
ruissellement superficiel, attire par ses racines
brousse au désert. Au nord du Niger, le Sahara
ment primordiale pour quelques-uns : l’arbre est
les eaux dans les couches profondes, en retarde
avance de plusieurs kilomètres par an...
une des plus sûres beautés du monde. N’est-ce pas
l’écoulement, le canalise, régularise le régime
Qu’est-ce que cela peut faire ? Ce n’est pas
des rivières et des fleuves, évite les inondations,
la place qui manque. Il n’y a qu’à recommencer
grâce au filtre de feuilles mortes qu’elle accumule,
plus loin.
et qui finit par constituer l’humus.
Ce propos vieux de plus de cinquante ans est pourtant encore très actuel et combien de temps
Et on a recommencé au Brésil, au Mexique,
l’humanité tiendra-t-elle, si elle ne continue pas
aux Indes, à Madagascar, en Chine, en Indonésie,
à préserver cette ressource sauvage, pas seule-
que cet humus finissait par former une terre
en Australie, jusqu’au cœur de nations qui sont,
ment sous son aspect quantitatif, en nombre
grasse, chaude, en quelque sorte vivante, où les
ou prétendent être à la tête du progrès. Il y a un
d’espèces, mais en entretenant l’équilibre entre
graines qu’y apportaient le vent ou les oiseaux, les
siècle, des voyageurs parcourant les États-Unis
les villes et les campagnes, entre nature et cultu-
fruits qui tombaient des branches, s’empressaient
s’en étonnaient déjà.
re, afin qu’elle y puise tout ce qu’est nécessaire à
de germer et de croître bien plus vigoureuse-
“Le Yankee, écrit l’un d’eux, arrive-t-il dans
ment que lorsqu’il essayait de les enfoncer lui-
un lieu désert, dont un coin de forêt lui dispute la
même dans le sol des endroits dénudés.
possession [...], le lendemain il incendie la forêt :
p. 1 : Mousses et jeunes fougères tropicales, Épiphytes, serre du Jardin des Plantes, Nantes. Cl. B. Renoux.
303 / NA 103 / 08
assez pour nous imposer son respect ? »
Pourtant, l’homme ne tarda pas à s’apercevoir
couverture : Erigeron canadensis, Nantes. Cl. B. Renoux.
6
Les avocats d’une mauvaise cause gardent toujours en réserve des arguments.
p. 2 à 5 : La petite Amazonie, zone de prairie abandonnée depuis la guerre, en cours de restauration écologique par du pâturage de « Higland cattle ». Cl. B. Renoux.
l’équilibre des sociétés ? La rédaction
p. 6 : Jardin d’eau et d’orties réalisé par Gilles Clément à l’occasion de la Biennale Internationale d’art contemporain de Melle, œuvre pérenne. Cl. Jean-Luc Denis, ville de Melle.
7
Sommaire
Historique
12 Sur la piste des « chasseurs » de plantes
Catherine Vadon
maître de conférences, Muséum national d’histoire naturelle de Nantes 16 Le voyage des plantes aux XXe et XXIe siècles
Claude Figureau
directeur honoraire du Jardin des plantes de Nantes 20 Histoire du végétal cultivé
Cristiana Oghin-Pavie
historienne, Terre des Sciences, Angers 28 L’arboretum Gaston Allard à Angers
Fanny Maujean
directrice des Parcs et Jardins de la Ville d’Angers 32 Parcs et jardins à visiter en Pays de la Loire
Christine Toulier
conservateur du patrimoine 36 Un label pour des jardins remarquables
Jean-Pierre Bady
directeur honoraire du patrimoine 42 Émile Gadeceau, pionnier de l’écologie
Christian Perrein
historien 48 Le Jardin exotique de Monaco
Jean-Marie Solichon
directeur du Jardin exotique de Monaco
Végétal et science
58 Plantes et génomes
Christian Dumas
professeur à l’école supérieure de Lyon 62 Botanique tropicale, botanique tempérée
Francis Hallé
professeur à la faculté des sciences de Montpellier 66 La paléobotanique en 2008 : ses progrès,
ses prolongements
Christine Strullu-Derrien enseignante, doctorante 70 Palinologie
Camille Joly xxxxxxxx
Végétal et espace naturel
80 Les arbres de la famille
Jean-Loup Trassard écrivain
84 L’écologie humaniste et résistante
de Gilles Clément
Emmanuelle Bouffé paysagiste et jardinière 88 Les mousses, végétaux mal aimés
Claude Figureau
Végétal et espace urbain
122 Les grands parcs nantais
Jacques Soignon
directeur du service des Espaces verts et de l’Environnement à Nantes 128 Flore des villes, fleurs des champs
Claude Figureau
directeur honoraire du Jardin des plantes de Nantes 134 La petite Amazonie
directeur honoraire du Jardin des plantes
Josette Garcia Melgares
de Nantes
Nantes Métropole, mission Développement
94 Plantes de bord de mer
Pascal Lacroix
délégué régional des Pays de la Loire au conservatoire botanique national de Brest 104 Préserver le patrimoine végétal mondial
Stéphane Buord
durable et Espaces naturels 138 La première fois, nous avions dessiné
un plan …
Alexandre Chemetoff architecte 142 Le jardineur
responsable des actions internationales au
Thierry Champigny
conservatoire botanique national de Brest
écriveur, bionaute
108 Zone humides atlantiques
Gilbert Miossec
directeur du forum des marais atlantiques 110 L’angélique des estuaires
Josette Garcia Melgares
Nantes Métropole, mission Développement durable et Espaces naturels 114 Le label Eve pour des espaces verts
écologiques
Philippe Hirou xxxxxxxxxxx 116 Plante & Cité
Camille Jouglet chargée de mission, Plante et Cité
144 Les jardins partagés
Marie-France Ringeart Chargée de mission aux jardins familiaux au Service des Espaces Verts et de l’Environnement
de Nantes, Renée Le Bout, Jardin des Épinettes, directrice de l’association Mille et Un Jardins et Robert Laly. xxxxxxxxxxxx 150 La Société d’horticulture et le Jardin des
plantes du Mans Guy Motel
président de la Société d’horticulture de la Sarthe
Végétal, art et architecture
158 Verts paradis de l’architecture
Claude Eveno
urbaniste, écrivain, professeur à l’ENSNP 164 La Haie vive
entretien avec Patrick Bouchain architecte
168 Le végétal en cage
Dominique Amouroux
rédacteur 176 L’Arbre aux hérons
Pierre Orefice
co-auteur du projet avec François Delarozière 180 Des mille fleurs à la verdure
Didier Le Fur
historien 192 Les plantes dans les Grandes Heures
d’Anne de Bretagne Michèle Bilimoff historienne
196 Branches, lianes et feuilles, le végétal
en images
Cyrille Sciama conservateur adjoint, musée des Beaux-Arts, Nantes 202 Horizon bucolique
Mai Tran
214 Le végétal dans les peintures murales
Christian Davy
chercheur à l’Inventaire des Pays de la Loire 220 Du bois des îles aux meubles de port :
Cuba et Saint-Domingue
entretien avec Bruno Comps 222 La mort noble : les photographies
de Jean-Paul Texier Benoît Decron
conservateur en chef, musée de l’Abbaye SainteCroix, Les Sables-d’Olonne 226 La musique verte ou les sonorités des plantes
Jean-Yves Bosseur chercheur au CNRS
230 Le Festival des jardins de Chaumont-sur-Loire
Chantal Colleu-Dumont
Végétal et métier 240 Quand l’environnement devient
thérapeutique
Dominique Marbœuf responsable du service Espaces verts, Centre hospitalier Georges Mazurelle 244 Production actuelle des plantes médicinales
Philippe Gallotte
président de l’Association du jardin médicinal 250 L’élagueur, un amoureux des arbres
Remy Salvadore xxxxxxxx
252 Le bois, matériau d’hier et d’aujourd’hui
Daniel Prud’homme
importateur de bois 256 Le maraîcher nantais, homme de culture
et artiste de variétés
Nicolas de la Casinière journaliste 259 Les maraîchers nantais
entretien avec Philippe Retière
président de la fédération départementale des maraîchers nantais 266 Les Floralies, le pouvoir des fleurs
Nathalie Perdoncin journaliste
268 Un siècle de recherche sur le végétal en Anjou
Jean-Luc Gaignard
ingénieur de recherche INRA Angers-Nantes, directeur de Terre des Sciences 271 Angers, capitale des formations
d’ingénieurs du végétal Corinne Bouchoux
directrice de l’enseignement de la vie étudiante et François Colson, directeur de l’Institut national d’Horticulture (INH) 273 L’évolution du métier de jardinier
Jean-Michel Marchandeau
xxxxxxxxx 276 Quand notre jardin devient refuge
Étienne de Quatre Barbes xxxxxxx
directrice du Festival des jardins de Chaumont-sur-Loire
8
303 / NA 103 / 08
9
Sommaire
Historique
12 Sur la piste des « chasseurs » de plantes
Catherine Vadon
maître de conférences, Muséum national d’histoire naturelle de Nantes 16 Le voyage des plantes aux XXe et XXIe siècles
Claude Figureau
directeur honoraire du Jardin des plantes de Nantes 20 Histoire du végétal cultivé
Cristiana Oghin-Pavie
historienne, Terre des Sciences, Angers 28 L’arboretum Gaston Allard à Angers
Fanny Maujean
directrice des Parcs et Jardins de la Ville d’Angers 32 Parcs et jardins à visiter en Pays de la Loire
Christine Toulier
conservateur du patrimoine 36 Un label pour des jardins remarquables
Jean-Pierre Bady
directeur honoraire du patrimoine 42 Émile Gadeceau, pionnier de l’écologie
Christian Perrein
historien 48 Le Jardin exotique de Monaco
Jean-Marie Solichon
directeur du Jardin exotique de Monaco
Végétal et science
58 Plantes et génomes
Christian Dumas
professeur à l’école supérieure de Lyon 62 Botanique tropicale, botanique tempérée
Francis Hallé
professeur à la faculté des sciences de Montpellier 66 La paléobotanique en 2008 : ses progrès,
ses prolongements
Christine Strullu-Derrien enseignante, doctorante 70 Palinologie
Camille Joly xxxxxxxx
Végétal et espace naturel
80 Les arbres de la famille
Jean-Loup Trassard écrivain
84 L’écologie humaniste et résistante
de Gilles Clément
Emmanuelle Bouffé paysagiste et jardinière 88 Les mousses, végétaux mal aimés
Claude Figureau
Végétal et espace urbain
122 Les grands parcs nantais
Jacques Soignon
directeur du service des Espaces verts et de l’Environnement à Nantes 128 Flore des villes, fleurs des champs
Claude Figureau
directeur honoraire du Jardin des plantes de Nantes 134 La petite Amazonie
directeur honoraire du Jardin des plantes
Josette Garcia Melgares
de Nantes
Nantes Métropole, mission Développement
94 Plantes de bord de mer
Pascal Lacroix
délégué régional des Pays de la Loire au conservatoire botanique national de Brest 104 Préserver le patrimoine végétal mondial
Stéphane Buord
durable et Espaces naturels 138 La première fois, nous avions dessiné
un plan …
Alexandre Chemetoff architecte 142 Le jardineur
responsable des actions internationales au
Thierry Champigny
conservatoire botanique national de Brest
écriveur, bionaute
108 Zone humides atlantiques
Gilbert Miossec
directeur du forum des marais atlantiques 110 L’angélique des estuaires
Josette Garcia Melgares
Nantes Métropole, mission Développement durable et Espaces naturels 114 Le label Eve pour des espaces verts
écologiques
Philippe Hirou xxxxxxxxxxx 116 Plante & Cité
Camille Jouglet chargée de mission, Plante et Cité
144 Les jardins partagés
Marie-France Ringeart Chargée de mission aux jardins familiaux au Service des Espaces Verts et de l’Environnement
de Nantes, Renée Le Bout, Jardin des Épinettes, directrice de l’association Mille et Un Jardins et Robert Laly. xxxxxxxxxxxx 150 La Société d’horticulture et le Jardin des
plantes du Mans Guy Motel
président de la Société d’horticulture de la Sarthe
Végétal, art et architecture
158 Verts paradis de l’architecture
Claude Eveno
urbaniste, écrivain, professeur à l’ENSNP 164 La Haie vive
entretien avec Patrick Bouchain architecte
168 Le végétal en cage
Dominique Amouroux
rédacteur 176 L’Arbre aux hérons
Pierre Orefice
co-auteur du projet avec François Delarozière 180 Des mille fleurs à la verdure
Didier Le Fur
historien 192 Les plantes dans les Grandes Heures
d’Anne de Bretagne Michèle Bilimoff historienne
196 Branches, lianes et feuilles, le végétal
en images
Cyrille Sciama conservateur adjoint, musée des Beaux-Arts, Nantes 202 Horizon bucolique
Mai Tran
214 Le végétal dans les peintures murales
Christian Davy
chercheur à l’Inventaire des Pays de la Loire 220 Du bois des îles aux meubles de port :
Cuba et Saint-Domingue
entretien avec Bruno Comps 222 La mort noble : les photographies
de Jean-Paul Texier Benoît Decron
conservateur en chef, musée de l’Abbaye SainteCroix, Les Sables-d’Olonne 226 La musique verte ou les sonorités des plantes
Jean-Yves Bosseur chercheur au CNRS
230 Le Festival des jardins de Chaumont-sur-Loire
Chantal Colleu-Dumont
Végétal et métier 240 Quand l’environnement devient
thérapeutique
Dominique Marbœuf responsable du service Espaces verts, Centre hospitalier Georges Mazurelle 244 Production actuelle des plantes médicinales
Philippe Gallotte
président de l’Association du jardin médicinal 250 L’élagueur, un amoureux des arbres
Remy Salvadore xxxxxxxx
252 Le bois, matériau d’hier et d’aujourd’hui
Daniel Prud’homme
importateur de bois 256 Le maraîcher nantais, homme de culture
et artiste de variétés
Nicolas de la Casinière journaliste 259 Les maraîchers nantais
entretien avec Philippe Retière
président de la fédération départementale des maraîchers nantais 266 Les Floralies, le pouvoir des fleurs
Nathalie Perdoncin journaliste
268 Un siècle de recherche sur le végétal en Anjou
Jean-Luc Gaignard
ingénieur de recherche INRA Angers-Nantes, directeur de Terre des Sciences 271 Angers, capitale des formations
d’ingénieurs du végétal Corinne Bouchoux
directrice de l’enseignement de la vie étudiante et François Colson, directeur de l’Institut national d’Horticulture (INH) 273 L’évolution du métier de jardinier
Jean-Michel Marchandeau
xxxxxxxxx 276 Quand notre jardin devient refuge
Étienne de Quatre Barbes xxxxxxx
directrice du Festival des jardins de Chaumont-sur-Loire
8
303 / NA 103 / 08
9
Sur la piste des « c hasseurs » de plantes Au Moyen Âge, les plantes, soumises à des pra-
ment des voyages de savants dans les pays loin-
Tournefort à l’Académie royale des sciences,
années au Cap, durant lesquelles il effectua de
détaillée de leurs usages et de leur distribution
Il revint avec six mille plantes nouvelles dont
tiques mi-religieuses, mi-magiques, entraient
tains. Il décida ainsi Louis XIV à envoyer le père
Michel Sarrazin (1659-1734) parcourut la Nou-
longues expéditions à l’intérieur des terres (au
géographique.
beaucoup d’orchidées et de rhododendrons
dans la composition de breuvages aux pouvoirs
Charles Plumier (1646-1706) aux Antilles pour
velle-France, consacrant une large part de son
moins cinq mille kilomètres !), se déplaçant la
Avec le développement de l’exploration du
(quarante-trois espèces nouvelles). Une équipe
parfois obscurs... On pensait que le cycle des
y réaliser des collectes. Celui-ci décrira cent six
activité à recueillir et envoyer au Jardin du roi
plupart du temps en charrette à bœufs. Il entretint
monde, les connaissances botaniques connurent
de cinquante-six personnes – porteurs, collec-
astres réglait leur croissance et la fluctuation
genres nouveaux ! Élève de Bernard de Jussieu
– pendant plus de vingt ans ! – des spécimens,
des relations amicales avec les populations hot-
un essor sans précédent. Chaque continent fit
teurs de plantes, cuisiniers, gardes, interprète –,
de leurs pouvoirs au long de l’année. Cette prise
au Jardin du roi, Michel Adanson (1727-1806)
secs ou vivants, accompagnés de mémoires. Un
tentotes et affronta maintes épreuves : naufrage
l’objet de grandes prospections qui donnèrent
accompagnait Hooker lors de son expédition !
en compte de l’astrologie était ainsi essentielle
partit pour le Sénégal avec un poste de commis
catalogue des plantes envoyées par lui au Jardin
dans des oueds en crue, redoutables frayeurs face
lieu à la publication de nombreuses flores, décri-
Pour pallier la perte de son monopole en
à leur cueillette : on préférait le décours de la
de la Compagnie des Indes. Ayant appris le wolof,
du roi recense quelque deux cents espèces
à des taureaux ou des lions auxquels il échappa
vant des formes d’une extraordinaire diversité.
Chine, la Compagnie des Indes orientales en-
lune pour celle du chiendent, et le moment où
il parcourut pendant quatre ans les environs de
canadiennes. « On n’herborise pas au Canada
en grimpant aux arbres… Une quinzaine de fois,
Dans les années 1830, une innovation améliora
treprit d’établir ses propres productions de thé
elle passe dans le signe du Bélier pour celle de
l’établissement français à la recherche d’espèces
comme en France, précisait-il. Je parcourrais
Thunberg escalada la célèbre montagne de la
considérablement le transport des plantes par
aux Indes. En 1848, elle engagea les services de
la camomille. Un lourd mystère entourait ainsi les
nouvelles. Son audace était telle que les indi-
plus aisément toute l’Europe et avec moins de
Table, haut lieu de la diversité botanique. Il en-
mer, jusqu’alors soumises à l’assaut des vagues
Robert Fortune (1812-1880), collecteur officiel
« cueilleurs » de plantes qui, un peu sorciers, un
gènes refusaient parfois de l’accompagner dans
danger que je ne ferais cent lieues au Canada,
voya à Linné de nombreuses proteas, endémiques
et au manque d’eau douce. Le médecin Nathaniel
de la Royal Horticultural Society, afin qu’il se
peu devins, choisissaient une certaine phase de
ses courses périlleuses ! Adanson rapporta une
et avec plus de péril. » Nature sauvage, froid in-
de ces contrées, géraniums, bruyères, etc. Sa
Ward inventa en effet une caisse, vitrée et étanche,
rende en Chine et s’y procure les meilleures va-
la lune ou une heure de la nuit pour aller prélever
collection remarquable : son herbier, conservé au
tense, menace des Iroquois rendaient en effet
Flore du Cap lui valut le titre de « père de la bo-
dans laquelle les végétaux pouvaient vivre,
riétés de thé. Téméraire et expérimenté, Fortune
les simples aux vertus secrètes. « Ils s’enfonçaient
Muséum, compte plus de trente mille plantes !
risquées ces prospections naturalistes…
tanique sud-africaine ».
sans air renouvelé, pendant les mois que durait
apprit le mandarin, adopta les vêtements locaux,
dans les recoins les plus profonds, les forêts les
Sa Description du baobab, qu’il découvrit et que
En 1779, à la demande de l’abbé Nolin, di-
Alexandre de Humboldt, le riche baron
le voyage vers l’Europe. Par ailleurs, l’ère indus-
se rasa la tête pour se fondre discrètement
plus obscures, gravissaient les ravins les plus es-
Linné nomma Adansonia digitata, fut présentée
recteur des pépinières de Rambouillet, André
prussien, et le naturaliste Aimé Bonpland effec-
trielle du XIXe siècle permit la construction de
dans la population. Confronté aux ouragans de
carpés, ramassant partout, à droite et à gauche,
à l’Académie des sciences.
Michaux (1746-1803), « correspondant du Cabinet
tuèrent un long périple en Amérique du Sud
serres vitrées fonctionnelles. Dans les années
la mer Jaune ou aux attaques de pirates sur le
du Jardin du roi », fut chargé d’explorer les forêts
(1799-1804) où ils rassemblèrent une incroyable
1830, le richissime collectionneur William George
Yang-tseu-kiang, Fortune parvint toutefois à
étiquetant d’un signe mystérieux, le produit de
Au cours du XVIIIe siècle, plusieurs ecclé-
leurs recherches noctambules » (Castiglioni, Re-
siastiques menèrent de magnifiques collectes
nord-américaines pour y rechercher les espèces
quantité d’informations sur les sciences natu-
Spencer Cavendish,
duc du Devonshire, fit
dérober des plants de thé. En 1851, il rapporta
vue d’Histoire de la Pharmacie, 1935).
en Chine, jouant ainsi un rôle majeur dans l’in-
susceptibles d’être acclimatées en France. Après
relles, les coutumes locales, la répartition des
construire une magnifique serre, conçue par
plus de vingt mille jeunes plants aux Indes ! Des
Dans les immenses futaies de la Mandchourie,
troduction en Europe de végétaux asiatiques.
une longue série de conflits avec l’Angleterre,
végétaux… Partis du Venezuela, ils descendirent
Joseph Paxton, dans sa propriété de Chatsworth.
plantations furent établies dans l’Assam et le
des trappeurs solitaires récoltaient autrefois les
Correspondant du Jardin du roi, le père jésuite
la France se trouvait alors dépouillée de son
l’impétueux fleuve Orénoque, leur fragile petit
Celui-ci créera quelques années plus tard
Sikkim, et le thé devint le principal produit d’ex-
précieuses racines de la « plante-homme », l’étrange
Pierre Nicolas Le Chéron d’Incarville (1706-
meilleur bois, utilisé pour la construction des
bateau dansant sur des eaux où pullulaient
l’époustouflant Crystal Palace qui allait défini-
portation des Indes durant la seconde moitié
ginseng, si recherché par la pharmacopée chinoise
1757) fit parvenir à Bernard de Jussieu un her-
vaisseaux de guerre. Michaux réalisa d’immenses
caïmans et piranhas. « La petitesse des canots
tivement sceller la passion des amateurs pour
du XIXe siècle. Il est aussi à l’origine de l’intro-
pour ses bienfaits tonifiants. Sa rareté et son prix
bier comprenant quelque trois cents plantes,
explorations dans l’Amérique du Nord, de la
dans lesquels nous avons été renfermés des
les serres.
duction en Angleterre du kumquat (Fortunella),
élevé avaient suscité l’apparition d’un type spéci-
dont beaucoup portaient d’ailleurs la mention
Floride jusqu’au Canada. Remontant la rivière
mois entiers, le climat brûlant de ces régions,
En 1825, Thomas Drummond (1780-1835) em-
fique de « chasseurs ». Chaque mois de juin, ceux-
« arbor incognita sinarum », « arbre chinois
Saguenay en canot d’écorce, il traversa un terri-
la multitude d’insectes venimeux, l’humidité
barqua avec le capitaine John Franklin pour ex-
ci s’en allaient à pied, sans armes ni bagages,
inconnu ». Ces découvertes importantes res-
toire inexploré vers le lac Mistassini et approcha
de l’air, qui est l’effet des pluies continuelles,
plorer la côte arctique du Canada. Abandonnant
Plusieurs missionnaires, partis évangéliser
forts seulement de la ferme croyance que l’esprit
tèrent toutefois longtemps méconnues et ne
même la baie d’Hudson, qu’il ne put atteindre
et le manque de papier que l’on éprouve
rapidement l’expédition, Drummond gagna les
la Chine, parvinrent à mener de front leur apos-
des monts et des bois les aiderait dans leur
furent étudiées que dans les années 1880, par
à cause de l’arrivée imminente de l’hiver. D’une
souvent malgré toutes les précautions, sont
Rocheuses et navigua sur les rivières Columbia
tolat et leur passion pour la botanique. Menant
entreprise. Au cours de sa randonnée, le chas-
le botaniste Franchet. D’Incarville rapporta no-
résistance extraordinaire, Michaux faisait à pied
des obstacles que ne peuvent sentir que ceux
et Saskatchewan. Seul dans les montagnes, il
une existence particulièrement rude, certains
seur traçait sur des arbres de la taïga des signes
tamment le kiwi (Actinidia sinensis), l’Incarvillea
des étapes de plus de cinquante kilomètres, tout
qui se sont trouvés dans des situations sem-
identifia mille cinq cents spécimens de plantes
restèrent isolés pendant plusieurs années sans
conventionnels afin que d’autres chercheurs de
sinensis que lui dédia Jussieu, et le premier pied
en notant en route les plantes qu’il rencontrait,
blables » (Plantes équinoxiales recueillies au
nouvelles. Il affronta des froids intenses, échappa
rencontrer un seul Occidental, et beaucoup y
ginseng ne perdent pas de temps à parcourir les
de sophora du Japon (Sophora japonica), planté
dormait à la belle étoile, crevait ses chevaux
Mexique, 1808). Malgré les difficultés du voyage,
aux dents d’un grizzly furieux et à une tempête
laissèrent la vie. Mais leur curiosité insatiable et
mêmes lieux. Lorsqu’il avait trouvé la plante dé-
en 1747 au Jardin du roi.
6e
du palmier chanvre (Trachycarpus fortuneii), de pivoines, azalées, chrysanthèmes, etc.
avec des marches forcées. Sur le territoire des
Bonpland prépara des milliers d’échantillons de
dans la baie d’Hudson. À son retour, il devint
leurs observations minutieuses firent merveille
sirée, le chasseur se prosternait et récitait une
En 1735, l’expédition dite des « Académiciens
Indiens Cherokee, il put ainsi découvrir diffé-
plantes séchées. La publication de leurs collec-
conservateur du jardin botanique de Belfast.
dans ces contrées à la flore si riche. Correspon-
prière. À l’aspect de la plante, il déterminait sa
au Pérou », destinée à mesurer un arc de méri-
rents rhododendrons nouveaux. En dix ans, il
tions par le professeur Kunth décrivit plus de
Il a collecté de nombreuses plantes dont beaucoup
dant du Muséum puis de l’Académie des sciences,
valeur ; s’il la jugeait trop petite, il la laissait vivre
dien à l’équateur, fut dirigée par Charles Marie
expédia en France plus de soixante mille pieds
quatre mille cinq cents espèces de plantes, la
seront introduites pour la première fois en Europe ;
le père Armand David (1826-1900) mena ainsi
encore un, deux ou trois ans…
de La Condamine. Chargé d’étudier les ressources
d’arbres (chênes, érables, noyers…) et quatre-
plupart nouvelles.
plusieurs d’entre elles, tel le Phlox drummondii,
de 1862 à 1874 plusieurs voyages d’exploration
Au XVIIIe siècle, à l’initiative du Jardin du
végétales du pays, le médecin Joseph de Jussieu
vingt-dix caisses de graines ! Son herbier est
Originaire de Couëron, près de Nantes, le
lui sont dédiées.
en Chine, en Mongolie, au Tibet. D’une force de
roi ou de l’Académie des sciences, des natura-
arpenta le Pérou dans des conditions matérielles
aujourd’hui conservé au Musée national d’histoire
naturaliste Alcide Dessalines d’Orbigny (1802-
Succédant à son père, Sir William Hooker,
travail hors du commun, il découvrit plus de deux
listes furent missionnés dans le monde entier
des plus sommaires, étudia les plantes de la
naturelle à Paris.
1857) fut chargé par le Muséum de Paris d’un
à la direction des Jardins botaniques de Kew,
mille espèces de plantes, sans compter le millier
pour prospecter des régions encore inconnues
Cordillère des Andes, notamment « l’arbre à
Vers la même époque, le grand naturaliste
grand voyage scientifique dans l’Amérique du
Joseph Dalton Hooker fut l’une des grandes
de spécimens perdus lors d’un naufrage. « Deux
des Européens et notamment en rapporter
quinquina » et « la coca ». Il envoya au Jardin du
suédois Linné dépêcha en Afrique australe un de
Sud. Il en rapporta notamment une collection
figures de la botanique britannique du XIXe siècle.
couvertures pour coucher sur une simple planche
des plantes nouvelles. Guy-Crescent Fagon,
roi plusieurs caisses d’échantillons, mais beau-
ses élèves, Carl-Peter Thunberg (1743-1828), pour
de trois mille plantes et une magnifique série
De 1848 à 1851, il organisa une vaste mission
et une seule bouteille d’eau-de-vie comme mé-
premier médecin du roi et intendant du Jardin
coup se perdirent hélas en route. « Médecin du
y étudier une flore encore inconnue qui s’avérera
de dessins d’une cinquantaine d’espèces de
dans le Nord de l’Inde – Sikkim et Himalaya –
dicament, voilà ce qu’il emportait pour une ab-
des plantes, initia une politique d’encourage-
roi en Canada » et correspondant du botaniste
la plus riche du monde ! Thunberg demeura trois
palmiers, accompagnés d’une description très
pour collecter des plantes destinées à Kew.
sence d’un an. Pour ce qui est de la nourriture,
12
303 / NA 103 / 08
13
Sur la piste des « c hasseurs » de plantes Au Moyen Âge, les plantes, soumises à des pra-
ment des voyages de savants dans les pays loin-
Tournefort à l’Académie royale des sciences,
années au Cap, durant lesquelles il effectua de
détaillée de leurs usages et de leur distribution
Il revint avec six mille plantes nouvelles dont
tiques mi-religieuses, mi-magiques, entraient
tains. Il décida ainsi Louis XIV à envoyer le père
Michel Sarrazin (1659-1734) parcourut la Nou-
longues expéditions à l’intérieur des terres (au
géographique.
beaucoup d’orchidées et de rhododendrons
dans la composition de breuvages aux pouvoirs
Charles Plumier (1646-1706) aux Antilles pour
velle-France, consacrant une large part de son
moins cinq mille kilomètres !), se déplaçant la
Avec le développement de l’exploration du
(quarante-trois espèces nouvelles). Une équipe
parfois obscurs... On pensait que le cycle des
y réaliser des collectes. Celui-ci décrira cent six
activité à recueillir et envoyer au Jardin du roi
plupart du temps en charrette à bœufs. Il entretint
monde, les connaissances botaniques connurent
de cinquante-six personnes – porteurs, collec-
astres réglait leur croissance et la fluctuation
genres nouveaux ! Élève de Bernard de Jussieu
– pendant plus de vingt ans ! – des spécimens,
des relations amicales avec les populations hot-
un essor sans précédent. Chaque continent fit
teurs de plantes, cuisiniers, gardes, interprète –,
de leurs pouvoirs au long de l’année. Cette prise
au Jardin du roi, Michel Adanson (1727-1806)
secs ou vivants, accompagnés de mémoires. Un
tentotes et affronta maintes épreuves : naufrage
l’objet de grandes prospections qui donnèrent
accompagnait Hooker lors de son expédition !
en compte de l’astrologie était ainsi essentielle
partit pour le Sénégal avec un poste de commis
catalogue des plantes envoyées par lui au Jardin
dans des oueds en crue, redoutables frayeurs face
lieu à la publication de nombreuses flores, décri-
Pour pallier la perte de son monopole en
à leur cueillette : on préférait le décours de la
de la Compagnie des Indes. Ayant appris le wolof,
du roi recense quelque deux cents espèces
à des taureaux ou des lions auxquels il échappa
vant des formes d’une extraordinaire diversité.
Chine, la Compagnie des Indes orientales en-
lune pour celle du chiendent, et le moment où
il parcourut pendant quatre ans les environs de
canadiennes. « On n’herborise pas au Canada
en grimpant aux arbres… Une quinzaine de fois,
Dans les années 1830, une innovation améliora
treprit d’établir ses propres productions de thé
elle passe dans le signe du Bélier pour celle de
l’établissement français à la recherche d’espèces
comme en France, précisait-il. Je parcourrais
Thunberg escalada la célèbre montagne de la
considérablement le transport des plantes par
aux Indes. En 1848, elle engagea les services de
la camomille. Un lourd mystère entourait ainsi les
nouvelles. Son audace était telle que les indi-
plus aisément toute l’Europe et avec moins de
Table, haut lieu de la diversité botanique. Il en-
mer, jusqu’alors soumises à l’assaut des vagues
Robert Fortune (1812-1880), collecteur officiel
« cueilleurs » de plantes qui, un peu sorciers, un
gènes refusaient parfois de l’accompagner dans
danger que je ne ferais cent lieues au Canada,
voya à Linné de nombreuses proteas, endémiques
et au manque d’eau douce. Le médecin Nathaniel
de la Royal Horticultural Society, afin qu’il se
peu devins, choisissaient une certaine phase de
ses courses périlleuses ! Adanson rapporta une
et avec plus de péril. » Nature sauvage, froid in-
de ces contrées, géraniums, bruyères, etc. Sa
Ward inventa en effet une caisse, vitrée et étanche,
rende en Chine et s’y procure les meilleures va-
la lune ou une heure de la nuit pour aller prélever
collection remarquable : son herbier, conservé au
tense, menace des Iroquois rendaient en effet
Flore du Cap lui valut le titre de « père de la bo-
dans laquelle les végétaux pouvaient vivre,
riétés de thé. Téméraire et expérimenté, Fortune
les simples aux vertus secrètes. « Ils s’enfonçaient
Muséum, compte plus de trente mille plantes !
risquées ces prospections naturalistes…
tanique sud-africaine ».
sans air renouvelé, pendant les mois que durait
apprit le mandarin, adopta les vêtements locaux,
dans les recoins les plus profonds, les forêts les
Sa Description du baobab, qu’il découvrit et que
En 1779, à la demande de l’abbé Nolin, di-
Alexandre de Humboldt, le riche baron
le voyage vers l’Europe. Par ailleurs, l’ère indus-
se rasa la tête pour se fondre discrètement
plus obscures, gravissaient les ravins les plus es-
Linné nomma Adansonia digitata, fut présentée
recteur des pépinières de Rambouillet, André
prussien, et le naturaliste Aimé Bonpland effec-
trielle du XIXe siècle permit la construction de
dans la population. Confronté aux ouragans de
carpés, ramassant partout, à droite et à gauche,
à l’Académie des sciences.
Michaux (1746-1803), « correspondant du Cabinet
tuèrent un long périple en Amérique du Sud
serres vitrées fonctionnelles. Dans les années
la mer Jaune ou aux attaques de pirates sur le
du Jardin du roi », fut chargé d’explorer les forêts
(1799-1804) où ils rassemblèrent une incroyable
1830, le richissime collectionneur William George
Yang-tseu-kiang, Fortune parvint toutefois à
étiquetant d’un signe mystérieux, le produit de
Au cours du XVIIIe siècle, plusieurs ecclé-
leurs recherches noctambules » (Castiglioni, Re-
siastiques menèrent de magnifiques collectes
nord-américaines pour y rechercher les espèces
quantité d’informations sur les sciences natu-
Spencer Cavendish,
duc du Devonshire, fit
dérober des plants de thé. En 1851, il rapporta
vue d’Histoire de la Pharmacie, 1935).
en Chine, jouant ainsi un rôle majeur dans l’in-
susceptibles d’être acclimatées en France. Après
relles, les coutumes locales, la répartition des
construire une magnifique serre, conçue par
plus de vingt mille jeunes plants aux Indes ! Des
Dans les immenses futaies de la Mandchourie,
troduction en Europe de végétaux asiatiques.
une longue série de conflits avec l’Angleterre,
végétaux… Partis du Venezuela, ils descendirent
Joseph Paxton, dans sa propriété de Chatsworth.
plantations furent établies dans l’Assam et le
des trappeurs solitaires récoltaient autrefois les
Correspondant du Jardin du roi, le père jésuite
la France se trouvait alors dépouillée de son
l’impétueux fleuve Orénoque, leur fragile petit
Celui-ci créera quelques années plus tard
Sikkim, et le thé devint le principal produit d’ex-
précieuses racines de la « plante-homme », l’étrange
Pierre Nicolas Le Chéron d’Incarville (1706-
meilleur bois, utilisé pour la construction des
bateau dansant sur des eaux où pullulaient
l’époustouflant Crystal Palace qui allait défini-
portation des Indes durant la seconde moitié
ginseng, si recherché par la pharmacopée chinoise
1757) fit parvenir à Bernard de Jussieu un her-
vaisseaux de guerre. Michaux réalisa d’immenses
caïmans et piranhas. « La petitesse des canots
tivement sceller la passion des amateurs pour
du XIXe siècle. Il est aussi à l’origine de l’intro-
pour ses bienfaits tonifiants. Sa rareté et son prix
bier comprenant quelque trois cents plantes,
explorations dans l’Amérique du Nord, de la
dans lesquels nous avons été renfermés des
les serres.
duction en Angleterre du kumquat (Fortunella),
élevé avaient suscité l’apparition d’un type spéci-
dont beaucoup portaient d’ailleurs la mention
Floride jusqu’au Canada. Remontant la rivière
mois entiers, le climat brûlant de ces régions,
En 1825, Thomas Drummond (1780-1835) em-
fique de « chasseurs ». Chaque mois de juin, ceux-
« arbor incognita sinarum », « arbre chinois
Saguenay en canot d’écorce, il traversa un terri-
la multitude d’insectes venimeux, l’humidité
barqua avec le capitaine John Franklin pour ex-
ci s’en allaient à pied, sans armes ni bagages,
inconnu ». Ces découvertes importantes res-
toire inexploré vers le lac Mistassini et approcha
de l’air, qui est l’effet des pluies continuelles,
plorer la côte arctique du Canada. Abandonnant
Plusieurs missionnaires, partis évangéliser
forts seulement de la ferme croyance que l’esprit
tèrent toutefois longtemps méconnues et ne
même la baie d’Hudson, qu’il ne put atteindre
et le manque de papier que l’on éprouve
rapidement l’expédition, Drummond gagna les
la Chine, parvinrent à mener de front leur apos-
des monts et des bois les aiderait dans leur
furent étudiées que dans les années 1880, par
à cause de l’arrivée imminente de l’hiver. D’une
souvent malgré toutes les précautions, sont
Rocheuses et navigua sur les rivières Columbia
tolat et leur passion pour la botanique. Menant
entreprise. Au cours de sa randonnée, le chas-
le botaniste Franchet. D’Incarville rapporta no-
résistance extraordinaire, Michaux faisait à pied
des obstacles que ne peuvent sentir que ceux
et Saskatchewan. Seul dans les montagnes, il
une existence particulièrement rude, certains
seur traçait sur des arbres de la taïga des signes
tamment le kiwi (Actinidia sinensis), l’Incarvillea
des étapes de plus de cinquante kilomètres, tout
qui se sont trouvés dans des situations sem-
identifia mille cinq cents spécimens de plantes
restèrent isolés pendant plusieurs années sans
conventionnels afin que d’autres chercheurs de
sinensis que lui dédia Jussieu, et le premier pied
en notant en route les plantes qu’il rencontrait,
blables » (Plantes équinoxiales recueillies au
nouvelles. Il affronta des froids intenses, échappa
rencontrer un seul Occidental, et beaucoup y
ginseng ne perdent pas de temps à parcourir les
de sophora du Japon (Sophora japonica), planté
dormait à la belle étoile, crevait ses chevaux
Mexique, 1808). Malgré les difficultés du voyage,
aux dents d’un grizzly furieux et à une tempête
laissèrent la vie. Mais leur curiosité insatiable et
mêmes lieux. Lorsqu’il avait trouvé la plante dé-
en 1747 au Jardin du roi.
6e
du palmier chanvre (Trachycarpus fortuneii), de pivoines, azalées, chrysanthèmes, etc.
avec des marches forcées. Sur le territoire des
Bonpland prépara des milliers d’échantillons de
dans la baie d’Hudson. À son retour, il devint
leurs observations minutieuses firent merveille
sirée, le chasseur se prosternait et récitait une
En 1735, l’expédition dite des « Académiciens
Indiens Cherokee, il put ainsi découvrir diffé-
plantes séchées. La publication de leurs collec-
conservateur du jardin botanique de Belfast.
dans ces contrées à la flore si riche. Correspon-
prière. À l’aspect de la plante, il déterminait sa
au Pérou », destinée à mesurer un arc de méri-
rents rhododendrons nouveaux. En dix ans, il
tions par le professeur Kunth décrivit plus de
Il a collecté de nombreuses plantes dont beaucoup
dant du Muséum puis de l’Académie des sciences,
valeur ; s’il la jugeait trop petite, il la laissait vivre
dien à l’équateur, fut dirigée par Charles Marie
expédia en France plus de soixante mille pieds
quatre mille cinq cents espèces de plantes, la
seront introduites pour la première fois en Europe ;
le père Armand David (1826-1900) mena ainsi
encore un, deux ou trois ans…
de La Condamine. Chargé d’étudier les ressources
d’arbres (chênes, érables, noyers…) et quatre-
plupart nouvelles.
plusieurs d’entre elles, tel le Phlox drummondii,
de 1862 à 1874 plusieurs voyages d’exploration
Au XVIIIe siècle, à l’initiative du Jardin du
végétales du pays, le médecin Joseph de Jussieu
vingt-dix caisses de graines ! Son herbier est
Originaire de Couëron, près de Nantes, le
lui sont dédiées.
en Chine, en Mongolie, au Tibet. D’une force de
roi ou de l’Académie des sciences, des natura-
arpenta le Pérou dans des conditions matérielles
aujourd’hui conservé au Musée national d’histoire
naturaliste Alcide Dessalines d’Orbigny (1802-
Succédant à son père, Sir William Hooker,
travail hors du commun, il découvrit plus de deux
listes furent missionnés dans le monde entier
des plus sommaires, étudia les plantes de la
naturelle à Paris.
1857) fut chargé par le Muséum de Paris d’un
à la direction des Jardins botaniques de Kew,
mille espèces de plantes, sans compter le millier
pour prospecter des régions encore inconnues
Cordillère des Andes, notamment « l’arbre à
Vers la même époque, le grand naturaliste
grand voyage scientifique dans l’Amérique du
Joseph Dalton Hooker fut l’une des grandes
de spécimens perdus lors d’un naufrage. « Deux
des Européens et notamment en rapporter
quinquina » et « la coca ». Il envoya au Jardin du
suédois Linné dépêcha en Afrique australe un de
Sud. Il en rapporta notamment une collection
figures de la botanique britannique du XIXe siècle.
couvertures pour coucher sur une simple planche
des plantes nouvelles. Guy-Crescent Fagon,
roi plusieurs caisses d’échantillons, mais beau-
ses élèves, Carl-Peter Thunberg (1743-1828), pour
de trois mille plantes et une magnifique série
De 1848 à 1851, il organisa une vaste mission
et une seule bouteille d’eau-de-vie comme mé-
premier médecin du roi et intendant du Jardin
coup se perdirent hélas en route. « Médecin du
y étudier une flore encore inconnue qui s’avérera
de dessins d’une cinquantaine d’espèces de
dans le Nord de l’Inde – Sikkim et Himalaya –
dicament, voilà ce qu’il emportait pour une ab-
des plantes, initia une politique d’encourage-
roi en Canada » et correspondant du botaniste
la plus riche du monde ! Thunberg demeura trois
palmiers, accompagnés d’une description très
pour collecter des plantes destinées à Kew.
sence d’un an. Pour ce qui est de la nourriture,
12
303 / NA 103 / 08
13
1
2
1
celle qu’il trouvait sous la tente du Mongol ou
mais traversait seul, à pied, les montagnes à
un grand succès. Capturé et torturé par des
dans les huttes chinoises lui était toujours suf-
la recherche d’espèces d’altitude, susceptibles
moines tibétains, Soulié connut une fin tragique.
fisante. Il n’avait donc pas de caravane, pas de
d’être adaptées aux jardins européens. Au cours
Cependant, ce n’est pas toujours dans les lieux
porteurs, il se contentait d’un chameau ou de
d’une dizaine d’années, le Muséum reçut de lui
les plus reculés du globe que les botanistes
deux mules » (Alphonse Milne-Edwards, direc-
quelque deux cent mille spécimens, composés
étaient exposés aux plus grands dangers.
teur du Muséum, 1894).
de plus de quatre mille espèces dont mille cinq
L’abbé Jean-Marie Delalande, professeur d’histoire
Le père Jean Marie Delavay (1834-1895), de la
cents nouvelles ! Le père Delavay continua ses
naturelle au Petit Séminaire de Nantes, passait
Société des Missions étrangères, fut envoyé en
investigations sur la flore du Yunnan jusqu’en
ainsi de longs moments à parcourir marais et
Chine, à Hui-chou, à l’est de Canton, en 1867. Il di-
1888, quand il contracta la peste bubonique.
bois, îles et rivages, à la recherche d’échantillons
rigea plusieurs districts, s’occupant notamment
Invalide d’un bras, il poursuivit pourtant ses
botaniques nouveaux ; lors d’une simple herbo-
du rachat de femmes annamites enlevées par
explorations. Quelques-unes des plantes qu’il
risation dans le Marais poitevin, il contracta, en
des pirates ! Lors d’un court séjour en France, il
découvrit furent introduites, telles des Deutzia et
1851, une fièvre paludéenne qui lui fut fatale.
rencontra le père Armand David, qui le convain-
l’lncarvillea delavayi.
Au milieu du XIXe siècle, des navires nantais
quit de collecter pour Adrien Franchet, botaniste
Le père Jean-André Soulié (1858-1905), en-
assuraient le fret entre les Indes et les îles de l’océan
au Muséum. De retour en Chine, il effectua des
voyé dans la région peu connue située entre la
Indien. Passionné de botanique, le capitaine
explorations dans les montagnes du nord-ouest
Chine et le Tibet, y fit quantité de collectes, aidé
Mathurin-Jean Armange (1801 à Taden, Côtes-
du Yunnan, une des régions du monde les plus
par sa parfaite connaissance des dialectes et un
d’Armor-1877 à Nantes) profita de ces voyages
riches pour la botanique. Il fit soixante fois l’as-
mimétisme qui lui permettait de se déguiser à
pour collecter et alimenter en milliers de graines et
cension du mont Tsemei-shan, dans les collines
la perfection en marchand pour prendre place
de plantes vivantes de l’océan Indien le Muséum
du Tali-Fu ! Il n’employait pas de porteurs pour
dans des caravanes. Parmi les plantes qu’il in-
de Paris, le Jardin des plantes de Nantes et la Société
transporter son équipement et ses collections
troduisit en France, le Buddleia variabilis connut
nantaise d’horticulture. De Bourbon à Calcutta,
14
303 / NA 103 / 08
Cattleya rex. Revue horticole, 1894. © Bibliothèque centrale. Muséum national d’histoire naturelle.
Dans les années 1880, cette magnifique orchidée épiphyte donna lieu à des recherches des plus aventureuses dans les profondeurs du Brésil.
2
Amorphophallus campanulatus. Carl Ludwig Blume, Rumphia, 1835-1848 © Bibliothèque centrale.
Muséum national d’histoire naturelle. Cette aracée géante asiatique émet une énorme inflorescence violacée et son tubercule, comestible, pèse jusqu’à 10 kilos !
de Coromandel à Madagascar, les plantes voya-
orchidées, etc., des régions les plus reculées du
Antique Collectors’ Club, Kew Royal Botanic
geaient par caisses sur le navire de l’intrépide
globe. En 1877, les pépinières anglaises Veitch,
Gardens, 1999, 286 p.
capitaine, avant de reprendre racine dans
basées à Chelsea, confièrent ainsi à Frederick
différents jardins des plantes. En 1844, pour
William Burbidge, jardinier aux jardins de Kew,
satisfaire à des demandes du Muséum, Richard,
la délicate mission de pénétrer les forêts encore
directeur du Jardin botanique de l’île Bourbon,
mystérieuses de Bornéo. Mais l’accès de l’île
et Bernier, chirurgien de marine, entreprirent
et le contact avec les indigènes, dont certains
une longue excursion dans les forêts des hauts de
étaient des chasseurs de têtes, s’avéraient des
l’île. Mais celle-ci tourna au drame. Surpris par un
plus incertains. Burbidge réussit pourtant un
ouragan, ils furent blessés et cinq indigènes qui les
grand périple dans les profondeurs des jungles
accompagnaient perdirent la vie. Armange en ré-
de l’île, et monta une des premières expédi-
digea le récit afin « de faire apprécier les dangers
tions sur le mont Kinabalu, à la biodiversité ex-
qu’encourent ceux qui cherchent aux dépens
ceptionnelle. La collecte de la Nepenthes rajah,
de leur vie, à enrichir la science de nouvelles dé-
plante carnivore à l’urne haute de 40 centimètres,
couvertes ». À la lecture du récit, Mirbel, direc-
fit se pâmer plus d’un collectionneur ! Pour le
teur du Muséum, s’écria : « Le tableau que vous
compte du gouvernement belge, Jean Linden
me tracez de l’affreuse position où se sont trou-
réalisa trois grandes expéditions en Amérique
vés les intrépides et généreux voyageurs qui bra-
centrale et du Sud (1835-1845) dont il importa
vaient tant de périls m’a ému jusqu’aux larmes.
près de deux mille espèces de plantes vivantes !
L’héroïsme poussé jusqu’à ce point est désavoué
Il fut l’un des premiers à fournir des informations
par la raison. La perte de M. Richard serait une ca-
détaillées sur les conditions de vie des orchi-
lamité pour la colonie et un malheur pour le Jardin
dées, découvrant que certaines s’épanouissent
du roi qui a eu souvent recours à lui ! »
jusque sur les hauts plateaux de la Cordillère des
Le monde de l’horticulture s’enflammait
Andes, à plus de 3 000 mètres d’altitude ! Linden
pour ces beautés tropicales et les collectionneurs
créa ensuite une grande pépinière à Bruxelles,
étaient prêts à les payer des fortunes. Pour ré-
L’Horticulture internationale, qui rivalisa de noto-
pondre à l’insatiable appétit des riches amateurs,
riété avec celles des grands importateurs anglais.
de grands établissements horticoles anglais
Dans son catalogue de « plantes d’élite » de
et belges envoyèrent des hommes à la recherche
1855, il proposait ainsi avec fierté la belle bromé-
de ces trésors. Périlleuses et coûteuses, ces
liacée Pitcairnia nubigena : « Enfant des brumes
explorations reposaient sur l’efficacité de ces
des montagnes colombiennes, elle habite à
« chasseurs », jeunes aventuriers prêts à tout
8 000-9 000 pieds d’altitude, dans le “ paramos
pour rapporter à bon port les précieux végétaux.
de los correjos ” (Mérida, Venezuela), dont les
Confrontés aux pires difficultés sur le terrain, il
crêtes, parfois couvertes de neige, surplombent
leur fallait non seulement réussir leur mission,
les immenses forêts vierges qui s’étendent
mais survivre. Des bords de l’Amazone aux jungles
jusqu’au bord du lac Maracaybo… »
Fortune, R., Two visits to the tea countries of China and the British tea plantations in the Himalaya, Londres, J. Murray, 2 vol., 1853. Short, Ph., In pursuit of plants, Timber Press, 2003, 351 p. Vadon, C., Intrépides chasseurs de plantes (titre provisoire), Éditions Jean-Pierre de Monza, à paraître.
indiennes, ils parcouraient des milliers de kilomètres, traversaient forêts humides, savanes brûlantes et marécages infestés de moustiques. Pour parvenir à s’attribuer, seul, ces richesses,
Catherine Vadon
toutes les stratégies étaient de mise. Beaucoup
Bibliographie
connurent des aventures tragiques, certains ne
Burbidge, F. W., The gardens of the sun ; or, A natura-
revinrent jamais de leur mission. Les établissements de Frederick Sander, à Saint-Albans, près de Londres, comptaient dans leur clientèle les plus grosses fortunes de l’aristocratie. Ils employaient plus de vingt de ces « chasseurs » qui leur rapportaient azalées, bégonias, cactus,
list’s journal on the mountains and in the forests and swamps of Borneo and the Sulu archipelago, Londres, J. Murray, 1880, 364 p. Desmond, R., Sir Joseph Dalton Hooker : traveller and plant collector, Woodbridge, Suffolk,
15
1
2
1
celle qu’il trouvait sous la tente du Mongol ou
mais traversait seul, à pied, les montagnes à
un grand succès. Capturé et torturé par des
dans les huttes chinoises lui était toujours suf-
la recherche d’espèces d’altitude, susceptibles
moines tibétains, Soulié connut une fin tragique.
fisante. Il n’avait donc pas de caravane, pas de
d’être adaptées aux jardins européens. Au cours
Cependant, ce n’est pas toujours dans les lieux
porteurs, il se contentait d’un chameau ou de
d’une dizaine d’années, le Muséum reçut de lui
les plus reculés du globe que les botanistes
deux mules » (Alphonse Milne-Edwards, direc-
quelque deux cent mille spécimens, composés
étaient exposés aux plus grands dangers.
teur du Muséum, 1894).
de plus de quatre mille espèces dont mille cinq
L’abbé Jean-Marie Delalande, professeur d’histoire
Le père Jean Marie Delavay (1834-1895), de la
cents nouvelles ! Le père Delavay continua ses
naturelle au Petit Séminaire de Nantes, passait
Société des Missions étrangères, fut envoyé en
investigations sur la flore du Yunnan jusqu’en
ainsi de longs moments à parcourir marais et
Chine, à Hui-chou, à l’est de Canton, en 1867. Il di-
1888, quand il contracta la peste bubonique.
bois, îles et rivages, à la recherche d’échantillons
rigea plusieurs districts, s’occupant notamment
Invalide d’un bras, il poursuivit pourtant ses
botaniques nouveaux ; lors d’une simple herbo-
du rachat de femmes annamites enlevées par
explorations. Quelques-unes des plantes qu’il
risation dans le Marais poitevin, il contracta, en
des pirates ! Lors d’un court séjour en France, il
découvrit furent introduites, telles des Deutzia et
1851, une fièvre paludéenne qui lui fut fatale.
rencontra le père Armand David, qui le convain-
l’lncarvillea delavayi.
Au milieu du XIXe siècle, des navires nantais
quit de collecter pour Adrien Franchet, botaniste
Le père Jean-André Soulié (1858-1905), en-
assuraient le fret entre les Indes et les îles de l’océan
au Muséum. De retour en Chine, il effectua des
voyé dans la région peu connue située entre la
Indien. Passionné de botanique, le capitaine
explorations dans les montagnes du nord-ouest
Chine et le Tibet, y fit quantité de collectes, aidé
Mathurin-Jean Armange (1801 à Taden, Côtes-
du Yunnan, une des régions du monde les plus
par sa parfaite connaissance des dialectes et un
d’Armor-1877 à Nantes) profita de ces voyages
riches pour la botanique. Il fit soixante fois l’as-
mimétisme qui lui permettait de se déguiser à
pour collecter et alimenter en milliers de graines et
cension du mont Tsemei-shan, dans les collines
la perfection en marchand pour prendre place
de plantes vivantes de l’océan Indien le Muséum
du Tali-Fu ! Il n’employait pas de porteurs pour
dans des caravanes. Parmi les plantes qu’il in-
de Paris, le Jardin des plantes de Nantes et la Société
transporter son équipement et ses collections
troduisit en France, le Buddleia variabilis connut
nantaise d’horticulture. De Bourbon à Calcutta,
14
303 / NA 103 / 08
Cattleya rex. Revue horticole, 1894. © Bibliothèque centrale. Muséum national d’histoire naturelle.
Dans les années 1880, cette magnifique orchidée épiphyte donna lieu à des recherches des plus aventureuses dans les profondeurs du Brésil.
2
Amorphophallus campanulatus. Carl Ludwig Blume, Rumphia, 1835-1848 © Bibliothèque centrale.
Muséum national d’histoire naturelle. Cette aracée géante asiatique émet une énorme inflorescence violacée et son tubercule, comestible, pèse jusqu’à 10 kilos !
de Coromandel à Madagascar, les plantes voya-
orchidées, etc., des régions les plus reculées du
Antique Collectors’ Club, Kew Royal Botanic
geaient par caisses sur le navire de l’intrépide
globe. En 1877, les pépinières anglaises Veitch,
Gardens, 1999, 286 p.
capitaine, avant de reprendre racine dans
basées à Chelsea, confièrent ainsi à Frederick
différents jardins des plantes. En 1844, pour
William Burbidge, jardinier aux jardins de Kew,
satisfaire à des demandes du Muséum, Richard,
la délicate mission de pénétrer les forêts encore
directeur du Jardin botanique de l’île Bourbon,
mystérieuses de Bornéo. Mais l’accès de l’île
et Bernier, chirurgien de marine, entreprirent
et le contact avec les indigènes, dont certains
une longue excursion dans les forêts des hauts de
étaient des chasseurs de têtes, s’avéraient des
l’île. Mais celle-ci tourna au drame. Surpris par un
plus incertains. Burbidge réussit pourtant un
ouragan, ils furent blessés et cinq indigènes qui les
grand périple dans les profondeurs des jungles
accompagnaient perdirent la vie. Armange en ré-
de l’île, et monta une des premières expédi-
digea le récit afin « de faire apprécier les dangers
tions sur le mont Kinabalu, à la biodiversité ex-
qu’encourent ceux qui cherchent aux dépens
ceptionnelle. La collecte de la Nepenthes rajah,
de leur vie, à enrichir la science de nouvelles dé-
plante carnivore à l’urne haute de 40 centimètres,
couvertes ». À la lecture du récit, Mirbel, direc-
fit se pâmer plus d’un collectionneur ! Pour le
teur du Muséum, s’écria : « Le tableau que vous
compte du gouvernement belge, Jean Linden
me tracez de l’affreuse position où se sont trou-
réalisa trois grandes expéditions en Amérique
vés les intrépides et généreux voyageurs qui bra-
centrale et du Sud (1835-1845) dont il importa
vaient tant de périls m’a ému jusqu’aux larmes.
près de deux mille espèces de plantes vivantes !
L’héroïsme poussé jusqu’à ce point est désavoué
Il fut l’un des premiers à fournir des informations
par la raison. La perte de M. Richard serait une ca-
détaillées sur les conditions de vie des orchi-
lamité pour la colonie et un malheur pour le Jardin
dées, découvrant que certaines s’épanouissent
du roi qui a eu souvent recours à lui ! »
jusque sur les hauts plateaux de la Cordillère des
Le monde de l’horticulture s’enflammait
Andes, à plus de 3 000 mètres d’altitude ! Linden
pour ces beautés tropicales et les collectionneurs
créa ensuite une grande pépinière à Bruxelles,
étaient prêts à les payer des fortunes. Pour ré-
L’Horticulture internationale, qui rivalisa de noto-
pondre à l’insatiable appétit des riches amateurs,
riété avec celles des grands importateurs anglais.
de grands établissements horticoles anglais
Dans son catalogue de « plantes d’élite » de
et belges envoyèrent des hommes à la recherche
1855, il proposait ainsi avec fierté la belle bromé-
de ces trésors. Périlleuses et coûteuses, ces
liacée Pitcairnia nubigena : « Enfant des brumes
explorations reposaient sur l’efficacité de ces
des montagnes colombiennes, elle habite à
« chasseurs », jeunes aventuriers prêts à tout
8 000-9 000 pieds d’altitude, dans le “ paramos
pour rapporter à bon port les précieux végétaux.
de los correjos ” (Mérida, Venezuela), dont les
Confrontés aux pires difficultés sur le terrain, il
crêtes, parfois couvertes de neige, surplombent
leur fallait non seulement réussir leur mission,
les immenses forêts vierges qui s’étendent
mais survivre. Des bords de l’Amazone aux jungles
jusqu’au bord du lac Maracaybo… »
Fortune, R., Two visits to the tea countries of China and the British tea plantations in the Himalaya, Londres, J. Murray, 2 vol., 1853. Short, Ph., In pursuit of plants, Timber Press, 2003, 351 p. Vadon, C., Intrépides chasseurs de plantes (titre provisoire), Éditions Jean-Pierre de Monza, à paraître.
indiennes, ils parcouraient des milliers de kilomètres, traversaient forêts humides, savanes brûlantes et marécages infestés de moustiques. Pour parvenir à s’attribuer, seul, ces richesses,
Catherine Vadon
toutes les stratégies étaient de mise. Beaucoup
Bibliographie
connurent des aventures tragiques, certains ne
Burbidge, F. W., The gardens of the sun ; or, A natura-
revinrent jamais de leur mission. Les établissements de Frederick Sander, à Saint-Albans, près de Londres, comptaient dans leur clientèle les plus grosses fortunes de l’aristocratie. Ils employaient plus de vingt de ces « chasseurs » qui leur rapportaient azalées, bégonias, cactus,
list’s journal on the mountains and in the forests and swamps of Borneo and the Sulu archipelago, Londres, J. Murray, 1880, 364 p. Desmond, R., Sir Joseph Dalton Hooker : traveller and plant collector, Woodbridge, Suffolk,
15
Le voyage des plantes aux XXe et XXI e siècles L’introduction de plantes nouvelles dans les
plante d’intérieur légendaire des années 1950
introductions appartiennent au passé, et pour
jardins botaniques débute dès la fin du XVIIe siècle
et 1960. Cet arbre était présent dans les serres
accéder aux nouveautés il faudrait monter des
et commence à s’essouffler dès le début du XXe.
du Jardin des plantes de Paris depuis très long-
missions d’exploration coûteuses, dans des
En effet, les moyens de communication deviennent
temps. Un horticulteur le remarqua et en obtint
contrées tropicales très éloignées. Le fait qu’à
de plus en plus performants et de plus en plus
une bouture, à partir de laquelle il le multiplia
cette époque les jardins botaniques apparte-
accessibles à tous : chacun a à cœur de rapporter
intensivement afin de le mettre sur le marché.
naient aux mairies ne favorise pas leur essor
des trésors inconnus dans son jardin, dans ses
Sa commercialisation fut un succès ; sa forme
scientifique. Le recrutement du personnel se
collections ou son établissement horticole.
épurée en fit l’image même du modernisme,
fait en interne, très peu de scientifiques venant
Le projet politique mis en place par Louis XIV
le caoutchouc accompagna le renouvellement
de l’Université sont recrutés. Progressivement,
est confirmé par Louis XV, qui engage la France
de l’architecture des maisons individuelles.
les jardins botaniques ne sont plus associés au
à découvrir de nouvelles régions et à en tirer
Aujourd’hui, cette espèce a presque totale-
monde horticole et se détournent de plus en
profit pour notre agriculture et notre horticul-
ment disparu des étals des fleuristes, la mode
plus du monde scientifique. On assiste aussi à
ture. Le Jardin royal des plantes de Nantes, qui
est passée à d’autres espèces.
l’émergence des facultés des sciences. Dans cer-
devient après la Révolution le Jardin des plantes
Durant cette période, les grands jardins
taines régions, l’Université s’associe au service
de Nantes, fait partie de ce projet politique. Il
botaniques, comme le Jardin des plantes de
des Espaces verts pour créer des jardins bota-
est l’un des quatre grands jardins de port déci-
Paris, continuent d’organiser des missions
niques mixtes Ville-Université. Dans ce cadre,
dés par Louis XV sous l’impulsion de Pierre
scientifiques pour poursuivre l’inventaire de
c’est un professeur de botanique qui assure
Chirac, intendant du Jardin royal des plantes de
la végétation mondiale. Travail évidemment
la direction du jardin, et bien sûr la botanique
Paris. Ces jardins vont jouer un rôle fondamen-
très ambitieux et encore inachevé, puisque de
revient au premier plan. Le jardin botanique est
tal, parce qu’ils ont indispensables à la dénomi-
nombreuses contrées n’ont encore jamais été
un lieu de démonstration pour l’enseignement
nation, à la classification et aux essais de culture
explorées par des botanistes (la Bolivie ou la
supérieur ; les collections sont orientées vers les
de toutes ces espèces qui arrivent en France
Nouvelle-Guinée, par exemple).
besoins de l’enseignement et de la recherche.
grâce aux marines militaire et de commerce. Les
Les jardins botaniques rassemblent à cette
De nombreux laboratoires procèdent à des
jardins botaniques vont poursuivre ces intro-
époque des réseaux de botanistes amateurs,
recherches dans le domaine du végétal et ont
ductions jusqu’à la fin des années 1960.
d’horticulteurs amateurs et professionnels et
besoin de matériel, voire d’organiser des cultures,
Dans le premier quart du XXe siècle, les
même des personnages des milieux de l’art et
ce qui valorisera scientifiquement quelques
sociétés horticoles, les établissements horticoles
de la médecine ou de la pharmacie. On poursuit
jardins botaniques français. Mais la plupart des
privés et les jardins botaniques forment un
aussi le grand chantier de l’amélioration des
autres, qui sont municipaux, vont continuer
microcosme dédié au végétal. Chacun apporte
plantes. Horticulteurs, pépiniéristes et amateurs
d’une manière très traditionnelle à enrichir
des plantes nouvelles, acquises lors de ses
se retrouvent dans des concours pour présenter
leurs collections par des échanges, à travers un
déplacements dans les jardins botaniques,
des cultures aux rendements exceptionnels et
réseau national, européen voire mondial.
chez d’autres collectionneurs ou mieux encore
leurs dernières hybridations, qui aboutiront
Le jardin botanique de Nantes, qui est un
à l’étranger. Durant cette période, les échanges
à la mise sur le marché de variétés nouvelles.
et les voyages de plantes s’effectuent dans ce
jardin botanique municipal, n’échappe pas à
Cette activité cessera définitivement à la fin des
cette morosité scientifique. À la fin de cette
grand réseau des horticulteurs professionnels
années 1940. Cette période fut riche de créa-
période apparaît aussi un changement fonda-
et amateurs qui voisinent très largement avec
tions et pleine d’enthousiasme ; le végétal est
mental dans les universités qui progressive-
les jardins botaniques.
à l’origine d’une véritable aventure humaine,
ment entraîne la disparition de la botanique et
Les jardins botaniques ont accès à une res-
à laquelle de grandes familles sont attachées,
de la formation de botaniste.
source importante de végétaux puisque depuis
comme celles d’André Leroy à Angers ou des
près de soixante-dix ans déjà ils ont organisé
sœurs Guichard à Nantes.
Dans les années 1970 à 1990, les sociétés fortement développées consomment de plus
un réseau d’échanges botaniques destiné à
La période qui s’étend des années 1940 aux
en plus de matériaux en provenance de pays
augmenter les collections pour alimenter en
années 1970 est sans doute la plus pauvre pour le
peu développés du Sud, ce qui cause la surex-
matériel végétal la recherche (pharmaceutique
développement botanique. L’enthousiasme que
ploitation de grands écosystèmes, et en parti-
et médicale), mais aussi pour la recherche
peut susciter la découverte de nouvelles espèces
culier des forêts. Chacun pense aussi que les
scientifique fondamentale. Ces collections sont
est totalement retombé, tant chez les scienti-
ressources sont inépuisables. Les années 1970
valorisées aussi par leur passage dans le
fiques qu’auprès du grand public. Les jardins
marquent un véritable tournant pour les jar-
monde horticole, pépiniériste et floriculteur.
botaniques (y compris les jardins des plantes)
dins botaniques. Les ONG internationales qui
À titre d’exemple, citons le « caoutchouc », cette
n’ont plus vraiment de projets, les grandes
s’occupent de la nature, dont le WWF, pointent
16
303 / NA 103 / 08
17
Le voyage des plantes aux XXe et XXI e siècles L’introduction de plantes nouvelles dans les
plante d’intérieur légendaire des années 1950
introductions appartiennent au passé, et pour
jardins botaniques débute dès la fin du XVIIe siècle
et 1960. Cet arbre était présent dans les serres
accéder aux nouveautés il faudrait monter des
et commence à s’essouffler dès le début du XXe.
du Jardin des plantes de Paris depuis très long-
missions d’exploration coûteuses, dans des
En effet, les moyens de communication deviennent
temps. Un horticulteur le remarqua et en obtint
contrées tropicales très éloignées. Le fait qu’à
de plus en plus performants et de plus en plus
une bouture, à partir de laquelle il le multiplia
cette époque les jardins botaniques apparte-
accessibles à tous : chacun a à cœur de rapporter
intensivement afin de le mettre sur le marché.
naient aux mairies ne favorise pas leur essor
des trésors inconnus dans son jardin, dans ses
Sa commercialisation fut un succès ; sa forme
scientifique. Le recrutement du personnel se
collections ou son établissement horticole.
épurée en fit l’image même du modernisme,
fait en interne, très peu de scientifiques venant
Le projet politique mis en place par Louis XIV
le caoutchouc accompagna le renouvellement
de l’Université sont recrutés. Progressivement,
est confirmé par Louis XV, qui engage la France
de l’architecture des maisons individuelles.
les jardins botaniques ne sont plus associés au
à découvrir de nouvelles régions et à en tirer
Aujourd’hui, cette espèce a presque totale-
monde horticole et se détournent de plus en
profit pour notre agriculture et notre horticul-
ment disparu des étals des fleuristes, la mode
plus du monde scientifique. On assiste aussi à
ture. Le Jardin royal des plantes de Nantes, qui
est passée à d’autres espèces.
l’émergence des facultés des sciences. Dans cer-
devient après la Révolution le Jardin des plantes
Durant cette période, les grands jardins
taines régions, l’Université s’associe au service
de Nantes, fait partie de ce projet politique. Il
botaniques, comme le Jardin des plantes de
des Espaces verts pour créer des jardins bota-
est l’un des quatre grands jardins de port déci-
Paris, continuent d’organiser des missions
niques mixtes Ville-Université. Dans ce cadre,
dés par Louis XV sous l’impulsion de Pierre
scientifiques pour poursuivre l’inventaire de
c’est un professeur de botanique qui assure
Chirac, intendant du Jardin royal des plantes de
la végétation mondiale. Travail évidemment
la direction du jardin, et bien sûr la botanique
Paris. Ces jardins vont jouer un rôle fondamen-
très ambitieux et encore inachevé, puisque de
revient au premier plan. Le jardin botanique est
tal, parce qu’ils ont indispensables à la dénomi-
nombreuses contrées n’ont encore jamais été
un lieu de démonstration pour l’enseignement
nation, à la classification et aux essais de culture
explorées par des botanistes (la Bolivie ou la
supérieur ; les collections sont orientées vers les
de toutes ces espèces qui arrivent en France
Nouvelle-Guinée, par exemple).
besoins de l’enseignement et de la recherche.
grâce aux marines militaire et de commerce. Les
Les jardins botaniques rassemblent à cette
De nombreux laboratoires procèdent à des
jardins botaniques vont poursuivre ces intro-
époque des réseaux de botanistes amateurs,
recherches dans le domaine du végétal et ont
ductions jusqu’à la fin des années 1960.
d’horticulteurs amateurs et professionnels et
besoin de matériel, voire d’organiser des cultures,
Dans le premier quart du XXe siècle, les
même des personnages des milieux de l’art et
ce qui valorisera scientifiquement quelques
sociétés horticoles, les établissements horticoles
de la médecine ou de la pharmacie. On poursuit
jardins botaniques français. Mais la plupart des
privés et les jardins botaniques forment un
aussi le grand chantier de l’amélioration des
autres, qui sont municipaux, vont continuer
microcosme dédié au végétal. Chacun apporte
plantes. Horticulteurs, pépiniéristes et amateurs
d’une manière très traditionnelle à enrichir
des plantes nouvelles, acquises lors de ses
se retrouvent dans des concours pour présenter
leurs collections par des échanges, à travers un
déplacements dans les jardins botaniques,
des cultures aux rendements exceptionnels et
réseau national, européen voire mondial.
chez d’autres collectionneurs ou mieux encore
leurs dernières hybridations, qui aboutiront
Le jardin botanique de Nantes, qui est un
à l’étranger. Durant cette période, les échanges
à la mise sur le marché de variétés nouvelles.
et les voyages de plantes s’effectuent dans ce
jardin botanique municipal, n’échappe pas à
Cette activité cessera définitivement à la fin des
cette morosité scientifique. À la fin de cette
grand réseau des horticulteurs professionnels
années 1940. Cette période fut riche de créa-
période apparaît aussi un changement fonda-
et amateurs qui voisinent très largement avec
tions et pleine d’enthousiasme ; le végétal est
mental dans les universités qui progressive-
les jardins botaniques.
à l’origine d’une véritable aventure humaine,
ment entraîne la disparition de la botanique et
Les jardins botaniques ont accès à une res-
à laquelle de grandes familles sont attachées,
de la formation de botaniste.
source importante de végétaux puisque depuis
comme celles d’André Leroy à Angers ou des
près de soixante-dix ans déjà ils ont organisé
sœurs Guichard à Nantes.
Dans les années 1970 à 1990, les sociétés fortement développées consomment de plus
un réseau d’échanges botaniques destiné à
La période qui s’étend des années 1940 aux
en plus de matériaux en provenance de pays
augmenter les collections pour alimenter en
années 1970 est sans doute la plus pauvre pour le
peu développés du Sud, ce qui cause la surex-
matériel végétal la recherche (pharmaceutique
développement botanique. L’enthousiasme que
ploitation de grands écosystèmes, et en parti-
et médicale), mais aussi pour la recherche
peut susciter la découverte de nouvelles espèces
culier des forêts. Chacun pense aussi que les
scientifique fondamentale. Ces collections sont
est totalement retombé, tant chez les scienti-
ressources sont inépuisables. Les années 1970
valorisées aussi par leur passage dans le
fiques qu’auprès du grand public. Les jardins
marquent un véritable tournant pour les jar-
monde horticole, pépiniériste et floriculteur.
botaniques (y compris les jardins des plantes)
dins botaniques. Les ONG internationales qui
À titre d’exemple, citons le « caoutchouc », cette
n’ont plus vraiment de projets, les grandes
s’occupent de la nature, dont le WWF, pointent
16
303 / NA 103 / 08
17
Histoire du végétal cultivé
L’horticulture en Anjou au XIXe siècle :
spécialisée dans la multiplication, l’élevage et
jardinier-pépinériste en 18317 – expose devant
la commercialisation de jeunes plants fruitiers,
les membres de la Société industrielle l’état
Si l’Anjou est une terre de prédilection pour
forestiers ou d’ornement, une forme de culture
d’une « nouvelle branche de commerce8 », l’hor-
l’horticulture, le sol, le climat, la proximité des
« en grand » fondée sur les gestes techniques, la
ticulture. Cette intervention est considérée
voies de communication et des grands centres
connaissance des plantes et des marchés.
comme le texte fondateur9 de l’horticulture an-
un terreau fertile pour l’innovation
siècle, les
gevine car elle affirme son caractère nouveau.
territorial de cette activité économique. Les mo-
distinctions entre horticulture et agriculture
Elle marque la volonté de la profession de se po-
dèles relationnels, sociaux, intellectuels et com-
sont mises en avant, d’une manière explicite
sitionner en rupture avec les pratiques des pré-
merciaux sur lesquels elle s’est construite au
ou implicite. Au sein d’une préoccupation géné-
décesseurs. Son auteur, André Leroy, qui avait
XIXe siècle en Anjou sont ceux d’une profession
rale pour la description, les efforts statistiques
déjà atteint un seuil de fortune et de prestige
moderne, réactive, dynamique. La sédimenta-
des sociétés savantes locales, à défaut de livrer
lui permettant de siéger dans cette assemblée
tion des pratiques et des réseaux dans le temps
des mesures, proposent des questionnements et
de notables10, est en passe de devenir la figure
a donné à l’horticulture angevine une capacité
des classifications. P. A. Millet, dans son projet de
emblématique de l’horticulture angevine.
d’innovation et de réaction qui est, en partie,
statistique3, aborde, dans la partie « Statistiques
Pour la première fois, dans cette interven-
intrinsèque à la profession et, en partie aussi,
industrielles - Agriculture », deux chapitres
tion, un horticulteur jette un regard sur le passé
manifestement liée à la conjoncture locale.
distincts : « Agronomie » et « Horticulture ». Ce
et s’attache à marquer le point de césure qui
Sans faire l’histoire de la profession, il convient
dernier est divisé à son tour en arbres et ar-
permet le déploiement d’une activité ancienne
ici de mettre en évidence la constitution d’un
brisseaux à fruits, arbres champêtres ou fores-
sous une forme nouvelle. Nouvelle, puisque les
milieu horticole en Anjou, d’un mode de fonc-
tiers cultivés en pépinière, plantes potagères et
pépinières du XVIIIe siècle, bien que présentes
tionnement qui a entraîné succès commercial,
condimentaires, fleurs ou plantes d’agrément.
en Anjou, n’occupaient que peu de terrains.
notoriété internationale et durabilité.
Vers le milieu du XIXe siècle devient courante
Comme référence, André Leroy invoque la concur-
Introduit en France tardivement (1827), le
l’expression « manufactures d’arbres4 » et, dans
rence avec les pépiniéristes d’Orléans, qui four-
mot « horticulture » désigne l’art ou la science
les enquêtes et statistiques officielles, l’horti-
nissent des ormes pour la plantation du premier
de cultiver le jardin ; l’« horticulteur » (1829) est
culture apparaît soit au titre de l’agriculture,
mail et une grande partie des jeunes arbres d’or-
la personne qui pratique cette activité. La réa-
soit au titre de l’industrie, ou bien en séparant
nement pour les jardins des châteaux angevins.
lité qu’ils recouvrent est déjà, à l’époque de leur
la pépinière (industrie) de la production de
S’adressant à une clientèle locale, les pépiniéristes
introduction, plus complexe que la définition
fruits et de légumes (agriculture). La difficulté
angevins furent contraints de cesser leur activité
donnée par les dictionnaires. En effet, en Anjou
du classement provient de la technicité requise
pendant la Révolution. La demande de plantes de
comme ailleurs, les diverses professions liées à
par les cultures horticoles, de leur implantation
pépinière explose pendant le Consulat et l’Empire,
l’horticulture sont en pleine mutation.
urbains ne peuvent suffire à expliquer l’ancrage
Dès la première moitié du
XIXe
souvent urbaine ou périurbaine et de leur impli-
au retour des émigrés, avec la reconstruction des
Du jardin, l’horticulture tire son nom et
cation dans le commerce à grande distance. Elle a
châteaux et les alignements d’arbres sur les boule-
garde l’objet – pépinière, arboriculture fruitière,
également une raison fiscale puisque, dans une en-
vards qui remplacent les anciennes fortifications11.
maraîchage et porte-graines – tout en modi-
quête de 1869, la chambre de commerce d’Angers
La profession d’horticulteur se définit, face à cette
fiant l’échelle. Les traités d’agronomie des XVIIe
et du Maine-et-Loire inclut, avec des réserves, « les
demande, comme une production tournée réso-
et XVIIIe siècles font du jardin l’endroit de l’in-
225 patrons et 560 ouvriers jardiniers et pépinié-
lument vers le commerce. Plus qu’un historique12,
tandis que
ristes qui n’ont pas de patente attribuée, même s’ils
le témoignage d’André Leroy en 1832 formule la
la pratique témoigne du fait que le jardin est
font des actes de commerce, parce qu’ils cultivent
manière dont les horticulteurs s’identifient et se
un espace techniquement privilégié où s’ex-
des fonds de terre5 ».
distinguent à l’intérieur d’un groupe hétérogène
novation et de
l’expérimentation1,
périmentent la constitution des substrats de
En 1830, la Société industrielle d’Angers et
de jardiniers, pépiniéristes, maraîchers, fleuristes13.
culture par l’apport de terre de bruyère ou de
de Maine-et-Loire, nouvellement créée, nomme
Le lien étroit qu’entretient l’horticulture avec la
fumier, la taille des arbres fruitiers et ses ef-
parmi ses membres correspondants Oscar
connaissance scientifique se manifeste d’abord
fets sur la fructification, la multiplication par
Leclerc Thouin, « professeur au Jardin du Roi,
par les relations entre les pépiniéristes et la bota-
greffe et bouturage, l’introduction ou la sé-
à Paris, Membre de la Société Royale Centrale
nique14. Le mouvement d’approche est réciproque.
variétés2.
Les premiers à
Si le
Les jardins des plantes, lieux de recherche, d’ensei-
opérer le changement d’échelle et de fonction,
rédacteur ou l’imprimeur trébuche sur l’ortho-
gnement et d’introduction de plantes étrangères,
à passer du jardinage à l’horticulture, sont les
graphe du mot, cette hésitation est de courte
sont délibérément orientés vers l’application. Le
pépiniéristes. La pépinière, annexe du jardin
durée. Deux ans plus tard, devant les membres de
rôle de « pépinière nationale » du Jardin des plantes
jusqu’au XVIIIe siècle, devient une entreprise
la même société, Leroy fils – coopté en qualité de
de Paris après la Révolution se traduit par la
lection de nouvelles
20
303 / NA 103 / 08
d’Agriculture et de celle
d’Orthiculture6 ».
1
1
2
2
3
Affiche des Pépinières André Leroy, années 1930. Archives départementales de Maine-et-Loire, Fonds Levavasseur 265 J88. La famille Levavasseur achète en 1907 les Pépinières Leroy du Grand Jardin et en 1931 les Pépinières André Leroy. Catalogue des grainetiers Hennequin-Denis, rue Bressigny à Angers. Archives départementales de Maine-et-Loire. La production de graines prend un essor important en Anjou dans la seconde moitié du XIXe siècle, surtout dans la vallée de l’Authion où elle remplace la production
du chanvre. Dès 1859 Vilmorin conclut des contrats de culture avec des producteurs de la vallée.
3
Catalogue des Pépinières André Leroy, 1862. Archives départementales de Maine-et-Loire, Fonds Levavasseur 265 J88. À cette date, le catalogue était déjà imprimé en anglais et en allemand.
21
Histoire du végétal cultivé
L’horticulture en Anjou au XIXe siècle :
spécialisée dans la multiplication, l’élevage et
jardinier-pépinériste en 18317 – expose devant
la commercialisation de jeunes plants fruitiers,
les membres de la Société industrielle l’état
Si l’Anjou est une terre de prédilection pour
forestiers ou d’ornement, une forme de culture
d’une « nouvelle branche de commerce8 », l’hor-
l’horticulture, le sol, le climat, la proximité des
« en grand » fondée sur les gestes techniques, la
ticulture. Cette intervention est considérée
voies de communication et des grands centres
connaissance des plantes et des marchés.
comme le texte fondateur9 de l’horticulture an-
un terreau fertile pour l’innovation
siècle, les
gevine car elle affirme son caractère nouveau.
territorial de cette activité économique. Les mo-
distinctions entre horticulture et agriculture
Elle marque la volonté de la profession de se po-
dèles relationnels, sociaux, intellectuels et com-
sont mises en avant, d’une manière explicite
sitionner en rupture avec les pratiques des pré-
merciaux sur lesquels elle s’est construite au
ou implicite. Au sein d’une préoccupation géné-
décesseurs. Son auteur, André Leroy, qui avait
XIXe siècle en Anjou sont ceux d’une profession
rale pour la description, les efforts statistiques
déjà atteint un seuil de fortune et de prestige
moderne, réactive, dynamique. La sédimenta-
des sociétés savantes locales, à défaut de livrer
lui permettant de siéger dans cette assemblée
tion des pratiques et des réseaux dans le temps
des mesures, proposent des questionnements et
de notables10, est en passe de devenir la figure
a donné à l’horticulture angevine une capacité
des classifications. P. A. Millet, dans son projet de
emblématique de l’horticulture angevine.
d’innovation et de réaction qui est, en partie,
statistique3, aborde, dans la partie « Statistiques
Pour la première fois, dans cette interven-
intrinsèque à la profession et, en partie aussi,
industrielles - Agriculture », deux chapitres
tion, un horticulteur jette un regard sur le passé
manifestement liée à la conjoncture locale.
distincts : « Agronomie » et « Horticulture ». Ce
et s’attache à marquer le point de césure qui
Sans faire l’histoire de la profession, il convient
dernier est divisé à son tour en arbres et ar-
permet le déploiement d’une activité ancienne
ici de mettre en évidence la constitution d’un
brisseaux à fruits, arbres champêtres ou fores-
sous une forme nouvelle. Nouvelle, puisque les
milieu horticole en Anjou, d’un mode de fonc-
tiers cultivés en pépinière, plantes potagères et
pépinières du XVIIIe siècle, bien que présentes
tionnement qui a entraîné succès commercial,
condimentaires, fleurs ou plantes d’agrément.
en Anjou, n’occupaient que peu de terrains.
notoriété internationale et durabilité.
Vers le milieu du XIXe siècle devient courante
Comme référence, André Leroy invoque la concur-
Introduit en France tardivement (1827), le
l’expression « manufactures d’arbres4 » et, dans
rence avec les pépiniéristes d’Orléans, qui four-
mot « horticulture » désigne l’art ou la science
les enquêtes et statistiques officielles, l’horti-
nissent des ormes pour la plantation du premier
de cultiver le jardin ; l’« horticulteur » (1829) est
culture apparaît soit au titre de l’agriculture,
mail et une grande partie des jeunes arbres d’or-
la personne qui pratique cette activité. La réa-
soit au titre de l’industrie, ou bien en séparant
nement pour les jardins des châteaux angevins.
lité qu’ils recouvrent est déjà, à l’époque de leur
la pépinière (industrie) de la production de
S’adressant à une clientèle locale, les pépiniéristes
introduction, plus complexe que la définition
fruits et de légumes (agriculture). La difficulté
angevins furent contraints de cesser leur activité
donnée par les dictionnaires. En effet, en Anjou
du classement provient de la technicité requise
pendant la Révolution. La demande de plantes de
comme ailleurs, les diverses professions liées à
par les cultures horticoles, de leur implantation
pépinière explose pendant le Consulat et l’Empire,
l’horticulture sont en pleine mutation.
urbains ne peuvent suffire à expliquer l’ancrage
Dès la première moitié du
XIXe
souvent urbaine ou périurbaine et de leur impli-
au retour des émigrés, avec la reconstruction des
Du jardin, l’horticulture tire son nom et
cation dans le commerce à grande distance. Elle a
châteaux et les alignements d’arbres sur les boule-
garde l’objet – pépinière, arboriculture fruitière,
également une raison fiscale puisque, dans une en-
vards qui remplacent les anciennes fortifications11.
maraîchage et porte-graines – tout en modi-
quête de 1869, la chambre de commerce d’Angers
La profession d’horticulteur se définit, face à cette
fiant l’échelle. Les traités d’agronomie des XVIIe
et du Maine-et-Loire inclut, avec des réserves, « les
demande, comme une production tournée réso-
et XVIIIe siècles font du jardin l’endroit de l’in-
225 patrons et 560 ouvriers jardiniers et pépinié-
lument vers le commerce. Plus qu’un historique12,
tandis que
ristes qui n’ont pas de patente attribuée, même s’ils
le témoignage d’André Leroy en 1832 formule la
la pratique témoigne du fait que le jardin est
font des actes de commerce, parce qu’ils cultivent
manière dont les horticulteurs s’identifient et se
un espace techniquement privilégié où s’ex-
des fonds de terre5 ».
distinguent à l’intérieur d’un groupe hétérogène
novation et de
l’expérimentation1,
périmentent la constitution des substrats de
En 1830, la Société industrielle d’Angers et
de jardiniers, pépiniéristes, maraîchers, fleuristes13.
culture par l’apport de terre de bruyère ou de
de Maine-et-Loire, nouvellement créée, nomme
Le lien étroit qu’entretient l’horticulture avec la
fumier, la taille des arbres fruitiers et ses ef-
parmi ses membres correspondants Oscar
connaissance scientifique se manifeste d’abord
fets sur la fructification, la multiplication par
Leclerc Thouin, « professeur au Jardin du Roi,
par les relations entre les pépiniéristes et la bota-
greffe et bouturage, l’introduction ou la sé-
à Paris, Membre de la Société Royale Centrale
nique14. Le mouvement d’approche est réciproque.
variétés2.
Les premiers à
Si le
Les jardins des plantes, lieux de recherche, d’ensei-
opérer le changement d’échelle et de fonction,
rédacteur ou l’imprimeur trébuche sur l’ortho-
gnement et d’introduction de plantes étrangères,
à passer du jardinage à l’horticulture, sont les
graphe du mot, cette hésitation est de courte
sont délibérément orientés vers l’application. Le
pépiniéristes. La pépinière, annexe du jardin
durée. Deux ans plus tard, devant les membres de
rôle de « pépinière nationale » du Jardin des plantes
jusqu’au XVIIIe siècle, devient une entreprise
la même société, Leroy fils – coopté en qualité de
de Paris après la Révolution se traduit par la
lection de nouvelles
20
303 / NA 103 / 08
d’Agriculture et de celle
d’Orthiculture6 ».
1
1
2
2
3
Affiche des Pépinières André Leroy, années 1930. Archives départementales de Maine-et-Loire, Fonds Levavasseur 265 J88. La famille Levavasseur achète en 1907 les Pépinières Leroy du Grand Jardin et en 1931 les Pépinières André Leroy. Catalogue des grainetiers Hennequin-Denis, rue Bressigny à Angers. Archives départementales de Maine-et-Loire. La production de graines prend un essor important en Anjou dans la seconde moitié du XIXe siècle, surtout dans la vallée de l’Authion où elle remplace la production
du chanvre. Dès 1859 Vilmorin conclut des contrats de culture avec des producteurs de la vallée.
3
Catalogue des Pépinières André Leroy, 1862. Archives départementales de Maine-et-Loire, Fonds Levavasseur 265 J88. À cette date, le catalogue était déjà imprimé en anglais et en allemand.
21
Parcs et jardins à visiter en Pays de la Loire
1
Le jardin potager du château de Villaines, Louplande, Sarthe. Cette grande composition axée fut brisée au XIXe siècle par la création d’un parc paysager. Cl. B. Renoux.
2
Au pied des terrasses, les jardins à la française au bord du Loir, château du Lude, Sarthe. Même si les dispositions actuelles tendent à retrouver l’ambiance du tournant des XVIIe
et XVIIIe siècles, le changement le plus important fut apporté par le paysagiste Édouard André, qui déplaça vers la ville le potager jadis au pied de la terrasse. Cl. B. Renoux.
En avril 2008, la France comptait plus de
initiées dès 1957. « Depuis maintenant une
mis en œuvre et les conditions d’accueil sont très
300 parcs et jardins labellisés par le ministère
vingtaine d’années, la France redécouvre ses
variés. Les jardins de ville ( jardins botaniques,
de la Culture et de la Communication, dont 17
jardins, et cet intérêt de plus en plus vif est
jardins des plantes, parcs publics) sont en accès
dans la région des Pays de la Loire, placée ainsi
désormais perçu comme un véritable phénomène
libre. La plupart des parcs et jardins sont gérés
en huitième position, ex-æquo avec la Bretagne.
de société […]. La vogue de l’art des jardins est aussi
par des particuliers.
Ce petit nombre de jardins d’exception, dont
à l’origine de l’accroissement des restaurations
« le dessin, les plantes et l’entretien sont d’un
et des créations dans les jardins publics2. » Ces
niveau remarquable », ne rend pas compte de
jardins publics sont des champs de création et
En 1997, le Comité régional du tourisme initiait
l’ampleur du phénomène des parcs et jardins
d’expérimentations dans un esprit de renouveau
une démarche de promotion culturelle à
dans les Pays de la Loire.
artistique, décliné dans les choix et les partis pris
destination de l’international. En 2007, 26 parcs
du décor des secteurs urbains et cœurs de village.
et jardins ouverts au public ont été distingués.
Les « rendez-vous aux jardins » de juin
Un label régional touristique
En 2008, 122 sites se sont ouverts au public
Bien sûr, les 17 « jardins remarquables » ou
Jusque dans les années 1980, la région des Pays
en Pays de la Loire pour les « Rendez-vous aux
presque, en font partie4 . Ces parcs et jardins
de la Loire n’était connue qu’à travers le Jardin des
jardins3 ». Dans
garantissent aux visiteurs des prestations
plantes de Nantes et les floralies internationales,
publiques et 98 propriétés privées), les moyens
ces parcs et jardins (24 propriétés
d’excellence5. Les 26 sites labellisés représentent toutes les époques et tous les styles de jardins en Pays de la Loire : il y a 17 parcs et jardins liés à une demeure historique, 1 parc public contemporain et 8 jardins modernes sans maison. En 2007, 17 des 26 sites labellisés ont livré leurs chiffres de fréquentation : 295 423 visiteurs (247 373 en individuels et 48 050 en groupe), soit 6 % de plus qu’en 2006. Les pics de fréquentation se situent en août pour les individuels, en juin pour les groupes. Un réseau régional et un maillage du territoire
1
La création de l’opération nationale « Mois des jardins », devenue le « Rendez-vous aux jardins », a entraîné la naissance d’associations Du jardin monument historique
Entre bocage et vignoble, la région des Pays de
royaux de la Renaissance, célèbres notamment
la Loire est un immense espace cultivé et jardiné
pour leurs jardins réguliers composés de
qui n’a plus rien de naturel ni de sauvage.
potagers d’agrément et de vergers, descend
Parmi les 1 925 parcs et jardins protégés en France
jardins dans le département du Maine-et-Loire
Traversée d’est en ouest par la Loire – le « dernier
la Loire pour goûter son climat et sa lumière
métropolitaine au titre de la loi sur les monu-
et de l’ancienne province d’Anjou, et JASPE7
grand fleuve sauvage d’Europe », dit-on –, notre
si particuliers. C’est en raison de cette fameuse
ments historiques, 109 se trouvent dans les Pays
rassemble environ 180 adhérents dans le Maine,
vallée a été inscrite, en partie, sur la liste du
« douceur angevine » que les vallées de la Loire et
de la Loire, soit environ 6 % : ils sont 15 en Loire-
répartis entre les départements de la Sarthe et
patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco,
de ses affluents ont vu s’implanter nombre de
Atlantique et autant en Vendée, 21 en Mayenne,
de la Mayenne. En 2000, la Vendée a créé l’APJV8,
pour son paysage culturel.
départementales.
au « jardin remarquable »
Depuis
1988,
l’ASPEJA6
regroupe près de 300 amateurs de parcs et de
demeures résidentielles et de plaisance, qui ont
22 en Sarthe et 36 dans le Maine-et-Loire. Notre
qui compte aujourd’hui 221 membres ; en 2004
Dès le Moyen Âge, les hommes ont construit
façonné le paysage au cours des siècles. Ces maisons
région arrive en quatrième position,et au neuvième
a vu le jour l’APJP9 de la Loire-Atlantique. Ces
des levées pour endiguer le fleuve. Aujourd’hui
s’annoncent à l’horizon par une végétation exo-
rang si l’on fait une moyenne par département.
quatre associations se sont fédérées dans
supports de routes, de chemins et de ports, elles
tique à la silhouette inhabituelle : tête de cèdres et
Si l’on en croit la charte de Florence (1981), nos
l’association régionale des Parcs et Jardins des
forment autant de points de vue pittoresques
de séquoias qui émergent, taches rousses de hêtres
109 jardins historiques sont « des compositions
Pays de la Loire10.
sur les deux rives du fleuve. Au confluent de la
pourpres… Ces domaines ruraux ont entraîné le per-
architecturales et végétales qui, du point de vue
Tous ces efforts de communication et de
Loire et de la Vienne, à Montsoreau, le voyageur
cement de voies de communication qui en magni-
de l’histoire ou de l’histoire de l’art, présentent
valorisation font aujourd’hui du jardin un vrai
entre dans les Pays de la Loire. Il quitte le
fient l’accès avec la création de perspectives et
un intérêt public » mais tous, tant s’en faut, ne
produit touristique. Chacun réagit avec son
« jardin de la France », terre des grands châteaux
d’avenues rectilignes qui sillonnent la campagne.
sont pas labellisés « jardins remarquables1 ».
vécu, ses connaissances et ses expériences : le 2
32
303 / NA 103 / 08
33
Parcs et jardins à visiter en Pays de la Loire
1
Le jardin potager du château de Villaines, Louplande, Sarthe. Cette grande composition axée fut brisée au XIXe siècle par la création d’un parc paysager. Cl. B. Renoux.
2
Au pied des terrasses, les jardins à la française au bord du Loir, château du Lude, Sarthe. Même si les dispositions actuelles tendent à retrouver l’ambiance du tournant des XVIIe
et XVIIIe siècles, le changement le plus important fut apporté par le paysagiste Édouard André, qui déplaça vers la ville le potager jadis au pied de la terrasse. Cl. B. Renoux.
En avril 2008, la France comptait plus de
initiées dès 1957. « Depuis maintenant une
mis en œuvre et les conditions d’accueil sont très
300 parcs et jardins labellisés par le ministère
vingtaine d’années, la France redécouvre ses
variés. Les jardins de ville ( jardins botaniques,
de la Culture et de la Communication, dont 17
jardins, et cet intérêt de plus en plus vif est
jardins des plantes, parcs publics) sont en accès
dans la région des Pays de la Loire, placée ainsi
désormais perçu comme un véritable phénomène
libre. La plupart des parcs et jardins sont gérés
en huitième position, ex-æquo avec la Bretagne.
de société […]. La vogue de l’art des jardins est aussi
par des particuliers.
Ce petit nombre de jardins d’exception, dont
à l’origine de l’accroissement des restaurations
« le dessin, les plantes et l’entretien sont d’un
et des créations dans les jardins publics2. » Ces
niveau remarquable », ne rend pas compte de
jardins publics sont des champs de création et
En 1997, le Comité régional du tourisme initiait
l’ampleur du phénomène des parcs et jardins
d’expérimentations dans un esprit de renouveau
une démarche de promotion culturelle à
dans les Pays de la Loire.
artistique, décliné dans les choix et les partis pris
destination de l’international. En 2007, 26 parcs
du décor des secteurs urbains et cœurs de village.
et jardins ouverts au public ont été distingués.
Les « rendez-vous aux jardins » de juin
Un label régional touristique
En 2008, 122 sites se sont ouverts au public
Bien sûr, les 17 « jardins remarquables » ou
Jusque dans les années 1980, la région des Pays
en Pays de la Loire pour les « Rendez-vous aux
presque, en font partie4 . Ces parcs et jardins
de la Loire n’était connue qu’à travers le Jardin des
jardins3 ». Dans
garantissent aux visiteurs des prestations
plantes de Nantes et les floralies internationales,
publiques et 98 propriétés privées), les moyens
ces parcs et jardins (24 propriétés
d’excellence5. Les 26 sites labellisés représentent toutes les époques et tous les styles de jardins en Pays de la Loire : il y a 17 parcs et jardins liés à une demeure historique, 1 parc public contemporain et 8 jardins modernes sans maison. En 2007, 17 des 26 sites labellisés ont livré leurs chiffres de fréquentation : 295 423 visiteurs (247 373 en individuels et 48 050 en groupe), soit 6 % de plus qu’en 2006. Les pics de fréquentation se situent en août pour les individuels, en juin pour les groupes. Un réseau régional et un maillage du territoire
1
La création de l’opération nationale « Mois des jardins », devenue le « Rendez-vous aux jardins », a entraîné la naissance d’associations Du jardin monument historique
Entre bocage et vignoble, la région des Pays de
royaux de la Renaissance, célèbres notamment
la Loire est un immense espace cultivé et jardiné
pour leurs jardins réguliers composés de
qui n’a plus rien de naturel ni de sauvage.
potagers d’agrément et de vergers, descend
Parmi les 1 925 parcs et jardins protégés en France
jardins dans le département du Maine-et-Loire
Traversée d’est en ouest par la Loire – le « dernier
la Loire pour goûter son climat et sa lumière
métropolitaine au titre de la loi sur les monu-
et de l’ancienne province d’Anjou, et JASPE7
grand fleuve sauvage d’Europe », dit-on –, notre
si particuliers. C’est en raison de cette fameuse
ments historiques, 109 se trouvent dans les Pays
rassemble environ 180 adhérents dans le Maine,
vallée a été inscrite, en partie, sur la liste du
« douceur angevine » que les vallées de la Loire et
de la Loire, soit environ 6 % : ils sont 15 en Loire-
répartis entre les départements de la Sarthe et
patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco,
de ses affluents ont vu s’implanter nombre de
Atlantique et autant en Vendée, 21 en Mayenne,
de la Mayenne. En 2000, la Vendée a créé l’APJV8,
pour son paysage culturel.
départementales.
au « jardin remarquable »
Depuis
1988,
l’ASPEJA6
regroupe près de 300 amateurs de parcs et de
demeures résidentielles et de plaisance, qui ont
22 en Sarthe et 36 dans le Maine-et-Loire. Notre
qui compte aujourd’hui 221 membres ; en 2004
Dès le Moyen Âge, les hommes ont construit
façonné le paysage au cours des siècles. Ces maisons
région arrive en quatrième position,et au neuvième
a vu le jour l’APJP9 de la Loire-Atlantique. Ces
des levées pour endiguer le fleuve. Aujourd’hui
s’annoncent à l’horizon par une végétation exo-
rang si l’on fait une moyenne par département.
quatre associations se sont fédérées dans
supports de routes, de chemins et de ports, elles
tique à la silhouette inhabituelle : tête de cèdres et
Si l’on en croit la charte de Florence (1981), nos
l’association régionale des Parcs et Jardins des
forment autant de points de vue pittoresques
de séquoias qui émergent, taches rousses de hêtres
109 jardins historiques sont « des compositions
Pays de la Loire10.
sur les deux rives du fleuve. Au confluent de la
pourpres… Ces domaines ruraux ont entraîné le per-
architecturales et végétales qui, du point de vue
Tous ces efforts de communication et de
Loire et de la Vienne, à Montsoreau, le voyageur
cement de voies de communication qui en magni-
de l’histoire ou de l’histoire de l’art, présentent
valorisation font aujourd’hui du jardin un vrai
entre dans les Pays de la Loire. Il quitte le
fient l’accès avec la création de perspectives et
un intérêt public » mais tous, tant s’en faut, ne
produit touristique. Chacun réagit avec son
« jardin de la France », terre des grands châteaux
d’avenues rectilignes qui sillonnent la campagne.
sont pas labellisés « jardins remarquables1 ».
vécu, ses connaissances et ses expériences : le 2
32
303 / NA 103 / 08
33
Le Jardin exotique de Monaco
C’est en juin 1899 qu’Augustin Gastaud, alors
la destruction de l’observatoire. Ils se dévelop-
jusqu’à la fin des années 1940) furent attribués,
quelles se joint le musée d’Anthropologie pré-
jardinier en chef des jardins Saint-Martin, si-
pèrent d’est en ouest selon un projet qui n’était
par ordonnance souveraine, au Domaine public
historique. Très tôt, les responsables comprirent
tués sur le Rocher de Monaco, exprima pour la
inscrit sans doute que dans l’esprit de son concep-
de la Commune. La visite est possible dès 1931,
que la renommée du Jardin exotique et celle de
première fois son intérêt pour les plantes que
teur, car aucun plan d’origine n’a été retrouvé.
mais le jardin ne sera achevé et conforme à son
la principauté tout entière étaient intimement
l’on qualifiait improprement de « grasses ». Sa
La tâche la plus délicate consista à déplacer, sans
état actuel que vers 1938-1939.
liées. Le Jardin exotique n’hésite pas à exporter
collection, implantée à proximité immédiate du
les abîmer, les fragiles et menaçantes plantes
Le 13 février 1933, le prince Louis II inaugure of-
son image en participant régulièrement à des
Musée océanographique, ne tarda pas à éveiller
d’Augustin Gastaud, dont certaines avaient déjà
ficiellement les Jardins exotiques. Louis Vatrican
manifestations florales d’envergure internatio-
l’intérêt du prince Albert Ier, qui décida qu’un
atteint une taille imposante. On s’aida de planches
(1904-2007), ingénieur agronome, est nommé à
nale, à l’occasion desquelles la qualité du travail
jardin entièrement dédié à ces végétaux hors
et de boudins en papier pour confectionner des
la tête de l’établissement en juillet 1935. La fré-
de ses jardiniers et la beauté de ses plantes sus-
du commun serait édifié dans la principauté.
« emballages » qui permettaient de manipuler
quentation, naturellement modeste les premières
citent un engouement considérable. On mécon-
Il se trouve qu’au tout début du XXe siècle
les végétaux sans les briser ni se blesser. Ce sys-
années (moins de 30 000 entrées en 1935), va pro-
naît la somme de travail que représente la réa-
un terrain escarpé, surplombant le quartier des
tème d’emballage est toujours employé de nos
gresser régulièrement avant de chuter durant le
lisation d’un massif de plantes succulentes lors
Révoires et au sommet duquel était bâti un
jours pour déplacer les sujets utilisés pour la
second conflit mondial. Après la guerre, le nombre
de floralies. Il faut préparer les emballages et
petit observatoire astronomique, avait été dé-
création de massifs, lors d’expositions florales
des visiteurs augmentera à nouveau jusqu’à at-
emmailloter patiemment chaque sujet, car il est
laissé par ses propriétaires, qui souhaitaient s’en
ou d’autres manifestations.
teindre le niveau record de 600 000 touristes par
impensable que l’un d’eux arrive à destination
défaire. L’inscription « À vendre », peinte grossière-
Les travaux, interrompus par la Première
an au début des années 1980. C’est à cette époque
en mauvais état, malgré l’entassement dans les
ment sur le mur, attirait les regards et des esprits
Guerre mondiale, se poursuivirent non sans mal
que, sous l’impulsion de Marcel Kroenlein (1928-
camions pour le transport. Après l’exposition, il
avisés remarquèrent les agaves et les figuiers de
car les moyens de levage et de manutention
1994), devenu directeur en 1969, le Jardin exotique
faut tout recommencer, et en un temps record.
Barbarie qui s’y étaient naturalisés. On décida
étaient limités. Si aucun accident notable n’est
acquiert une renommée internationale qui ne
Lors des Floralies internationales de Nantes de
très judicieusement que l’endroit devait être par-
signalé, on peut s’amuser à noter que les respon-
s’est jamais démentie.
2004, le Jardin exotique a reçu le prix d’honneur
faitement adapté au jardin de plantes grasses
sables déplorèrent de temps à autre la néces-
Découverte en 1918, ouverte au public le
que l’on souhaitait créer.
sité d’arrêter le chantier faute d’argent pour
2 août 1950 et d’abord gérée de façon indépen-
Louis Vatrican, suivi en cela par Marcel
payer les ouvriers.
dante, la grotte de l’Observatoire fut réunie au
Kroenlein, envisagea la création d’un Centre bota-
Les travaux d’aménagement du jardin, pla-
2
pour les présentations collectives étrangères.
cés sous la responsabilité de Louis Notari, ingé-
Le 15 janvier 1930, les Jardins exotiques
Jardin exotique en 1962. Dès lors, un seul billet
nique dès la fin des années 1950. Cet ensemble
sens. Il a fallu, faute de données publiées, forger
de sensibilisation aux problématiques de la
nieur des Travaux publics, débutèrent en 1913 par
(ce pluriel à la mode britannique sera utilisé
d’entrée donna accès aux deux attractions, aux-
de serres et abris, à la vocation désormais affir-
sa propre expérience pour le contrôle de la fé-
conservation. L’activité des jardiniers est marquée
mée de conservatoire botanique, héberge une
condation et l’obtention de graines fiables, dif-
par une forte saisonnalité, liée d’une part à la
collection de succulentes qui figure parmi les
fusées dans le monde entier.
répartition annuelle de la fréquentation, et
plus remarquables du monde.
Très riche en végétaux, le Jardin exotique
d’autre part à la sensibilité des plantes succu-
La première serre, construite au début des
développe aussi des compétences techniques
lentes à des éléments climatiques incontour-
années 1960, fut partiellement enterrée, com-
et scientifiques spécifiques. Il abrite une unité
nables en plein air, comme la température et la
me on a coutume de le faire sous des climats
de documentation spécialisée, constamment
pluviométrie. Les plantations s’échelonnent du
plus rudes afin d’éviter les pertes de chaleur.
enrichie. Il reçoit régulièrement des stagiaires
printemps au début de l’automne, et l’hiver est
Toujours en place, sa verrière a été agrandie et
et des groupes scolaires, et participe à des
mis à profit pour la réfection des massifs et la
abrite aujourd’hui la collection de succulentes
opérations de sensibilisation visant principale-
préparation de nouvelles poches de terre.
malgaches et africaines, dont un monumental
ment le jeune public. Des actions basées sur le
On ne manquera pas de souligner à quel
sujet de Cyphostemma laza (une plante de la
transfert de compétences ont été entreprises,
point furent judicieux les choix initiaux. Celui de
famille de la vigne originaire de Madagascar) et
sous l’égide du service de la Coopération inter-
l’emplacement tout d’abord, à la fois lumineux,
un pied adulte d’Aloe pillansii, une espèce prati-
nationale du ministère d’État de la principauté,
abrité et pentu : il ne fait aucun doute que les
quement disparue dans la nature et dont c’est le
avec la Croatie et Madagascar.
succulentes du Jardin exotique n’auraient pu se
seul exemplaire connu qui fleurisse en culture. 1
2
1
48
303 / NA 103 / 08
Déplacement des plantes de la collection d'Augustin Gastaud. Coll. Jardin exotique de Monaco. Travaux d'aménagement du Jardin exotique, vers 1915-1920. Coll. Jardin exotique de Monaco.
Pour le grand public, la visite du jardin,
développer aussi bien ailleurs dans la principau-
Les espèces rares cultivées ici ont des exi-
de la grotte et du musée d’Anthropologie est
té. La conception du jardin réussit, pour sa part,
gences très particulières. La lutte phytosani-
complétée par des expositions temporaires et
à concilier charme rétro et tourisme moderne.
taire est une préoccupation majeure, qui fait
la possibilité d’acquérir de petites plantes suc-
C’est un patrimoine discret qui se doit d’évoluer
désormais appel à l’utilisation d’auxiliaires biolo-
culentes. Hors saison, la nouvelle serre desti-
sans tourner le dos à son histoire, avec pour enjeu
giques. La collection est inventoriée et des prio-
née à la vente reçoit des panneaux didactiques
majeur de rendre imperceptible le nécessaire
rités ont été déterminées, notamment au regard
complétant l’information des visiteurs dans les
renouvellement des sujets.
de la conservation. Entretenir des plantes aussi
domaines de la vulgarisation botanique, eth-
précieuses sans les multiplier n’aurait aucun
nobotanique et technique, ainsi qu’en matière
Jean-Marie Solichon
49
3
« Allée des Cereus », vers 1920. Coll. Jardin exotique de Monaco.
4
Massif de « coussins de belle-mère » (Echinocactus grusonii), cactées mexicaines. © J.-M. Solichon / Jardin exotique de Monaco.
3
50
303 / NA 103 / 08
51
végétal et sc i e nc e 56
303 / NA 103 / 08
57
Plantes et génomes
Les mots génome et génomique sont entrés
Quelques notions élémentaires
même manière dans nos cellules : ceci contri-
dans le vocabulaire courant il y a une dizaine
La notion de génome est liée aux concepts fonda-
bue à la formation des tissus et organes variés
d’années, à la suite du séquençage d’un génome
mentaux de la génétique, ou science de l’héré-
qui constituent l’organisme – ici la plante. Cette
humain, en 2000. Quelle différence y a-t-il
dité, et à une découverte majeure en biologie
lecture différentielle de notre information, se-
entre génome et génétique ? Qu’en est-il
(par Griffith, Avery et quelques autres, entre
lon le type cellulaire, est permise par des mo-
de leur rôle chez les plantes et en quoi leur
1928 et 1944), celle de son support physique
difications des protéines qui enrobent notre
connaissance fait-elle progresser notre appré-
et moléculaire, la molécule d’acide désoxyri-
ADN, et par des processus de modification
hension du monde des plantes 1 ?
bonucléique ou ADN. Sa structure fut élucidée
de l’ADN, ou encore des molécules d’ARN. Ces
par Watson et Crick en 1953 : c’est la fameuse
modifications de la chromatine, transmises au
double hélice.
cours de la division des cellules (duplication
Les plantes et la génétique
Les plantes ont servi de modèles d’étude et ont
Le terme de génétique (lié aux sciences de
contribué à plusieurs révolutions majeures dans
l’hérédité) a été utilisé pour la première fois
l’histoire de la génétique. Tout le monde a en
par Bateson, en 1909, durant la III e conférence
Enfin, il existe trois génomes dans chaque
mémoire la découverte des lois de l’hérédité
internationale d’hybridation des plantes pour
cellule végétale (contre deux dans la cellule ani-
par le Tchèque Gregor Mendel, en 1866, à partir
éviter la périphrase « hybridation des plantes ».
male) : le nucléaire (le plus important en taille,
d’expériences réalisées avec le pois. Ses travaux
Depuis, c’est une science à part entière incluant
en nombre de gènes et en quantité d’infor-
restèrent longtemps méconnus et largement in-
les notions de gène, terme créé en 1909 par
mations), le mitochondrial (l’ADN de la mito-
compris. C’est le Néerlandais Hugo de Vries qui,
Johannsen, et de génome. Il existe aujourd’hui
chondrie, siège de la respiration cellulaire) et
grâce à l’observation d’une autre plante, l’œno-
de nombreuses définitions du gène. Une des
le plastidial (l’ADN du plaste, siège de la photo-
thère, a redécouvert ces lois en 1900 et décrit, pour
plus couramment utilisées considère que le
synthèse). L’ADN de la mitochondrie et celui
la première fois, les mutations. Ainsi, l’unique
gène est le support matériel des caractères héré-
du plaste s’apparentent à celui des bactéries ;
tige dressée du maïs, qui facilite sa culture, est
ditaires (Mendel, Morgan). C’est aussi l’infor-
ce sont probablement les vestiges de fusions
différente de celle de son ancêtre botanique, un
mation codée dont le produit final est une pro-
anciennes d’organismes bactériens, il y a quelque
téosinte, en raison d’une mutation affectant un
téine, l’ARN messager issu du gène étant une
deux milliards d’années, à l’origine des lignées
gène contrôlant la ramification de la tige2.
forme intermédiaire et transitoire. Toutes ces
animales ou végétales. Enfin, les quantités
Après la Seconde Guerre mondiale, une Amé-
notions font aujourd’hui partie des programmes
d’ADN sont très variables d’une espèce à l’autre
ricaine, Barbara McClintock, a observé des croise-
de biologie enseignés au lycée. On sait isoler,
et sans relation avec leur niveau évolutif
ments entre des pieds de maïs et décrit la forma-
caractériser (séquencer), multiplier (cloner) et
(tableau 1).
tion de grains colorés variés. Ces modifications de
même introduire un gène dans un organisme
couleur, qui ne suivent pas les lois de Mendel, sont
par différentes techniques connues sous le nom
dues à des gènes mobiles dits « gènes sauteurs »
de transgenèse. Enfin, l’ensemble des gènes
Des
ou transposons. Cette découverte valut à Barbara
d’un organisme vivant forme le génome.
aujourd’hui de séquencer entièrement les
McClintock un prix Nobel, en 19833.
des chromosomes), permettent de les garder en mémoire : c’est l’épigénétique.
1
Combien y a-t-il de gènes chez la plante ? progrès
méthodologiques
permettent
Si les gènes sont portés par l’ADN, filament
génomes. Parmi les organismes séquencés dotés
Enfin, en 1990, des essais d’intensification
moléculaire essentiellement contenu dans le
d’un vrai noyau (ce qui les différencie des bacté-
de la couleur des fleurs par transgenèse4 (chez
noyau des cellules, et pelotonnés sous la forme
ries), il faut mentionner l’homme et une petite
le pétunia) eurent des résultats inattendus, qui
condensée des chromosomes, en particulier au
plante utilisée aujourd’hui comme modèle dans
sont à l’origine d’une nouvelle révolution dans
moment de la division cellulaire, il existe aussi
tous les laboratoires de biologie végétale, l’ara-
l’histoire de la génétique : la découverte des
des régions de l’ADN dépourvues de gènes.
bette des dames, une cousine du chou. D’autres
petits ARN5. Expliqué quelques années plus tard
Pendant longtemps, on a pensé qu’elles ne ser-
espèces ont été entièrement séquencées depuis
chez l’animal (un ver, Coenorhabiditis), ce nou-
vaient à rien sinon à stocker de l’ADN. C’est la
2000 (algue, mousse, vigne, peuplier, luzerne, riz,
veau phénomène valut à ses découvreurs, en
raison pour laquelle on parle encore souvent
maïs, etc., tableau 2). Par référence à l’homme,
2006, un prix Nobel, sans pour autant que les
d’« ADN non codant » ou encore d’« ADN pou-
on voit qu’il n’y a pas de corrélation entre le
biologistes végétaux soient récompensés pour
belle » ! On sait aujourd’hui que ces régions inter-
niveau d’organisation et d’évolution et le nombre
la découverte originelle.
viennent dans le codage de petits ARN, non
de gènes. C’est pourquoi l’éditeur de la presti-
traduits en protéines, qui jouent directement
gieuse revue américaine Science écrivait en 2003 :
dans la régulation des gènes.
« Pourquoi l’Homme a-t-il si peu de gènes ? »
Comme on le voit, l’étude des plantes a largement contribué aux progrès de la génétique et à plusieurs découvertes clés qui ont totalement révolutionné cette science.
58
303 / NA 103 / 08
Le texte génétique, l’ADN, est le même
Ce qui compte en réalité, ce n’est pas le nombre
pour toutes les cellules mais il n’est pas lu de la
des gènes mais bien celui des protéines codées
1
Champ de colza, Sucé-sur-Erdre, Loire-Atlantique. Cl. B. Renoux.
59
Plantes et génomes
Les mots génome et génomique sont entrés
Quelques notions élémentaires
même manière dans nos cellules : ceci contri-
dans le vocabulaire courant il y a une dizaine
La notion de génome est liée aux concepts fonda-
bue à la formation des tissus et organes variés
d’années, à la suite du séquençage d’un génome
mentaux de la génétique, ou science de l’héré-
qui constituent l’organisme – ici la plante. Cette
humain, en 2000. Quelle différence y a-t-il
dité, et à une découverte majeure en biologie
lecture différentielle de notre information, se-
entre génome et génétique ? Qu’en est-il
(par Griffith, Avery et quelques autres, entre
lon le type cellulaire, est permise par des mo-
de leur rôle chez les plantes et en quoi leur
1928 et 1944), celle de son support physique
difications des protéines qui enrobent notre
connaissance fait-elle progresser notre appré-
et moléculaire, la molécule d’acide désoxyri-
ADN, et par des processus de modification
hension du monde des plantes 1 ?
bonucléique ou ADN. Sa structure fut élucidée
de l’ADN, ou encore des molécules d’ARN. Ces
par Watson et Crick en 1953 : c’est la fameuse
modifications de la chromatine, transmises au
double hélice.
cours de la division des cellules (duplication
Les plantes et la génétique
Les plantes ont servi de modèles d’étude et ont
Le terme de génétique (lié aux sciences de
contribué à plusieurs révolutions majeures dans
l’hérédité) a été utilisé pour la première fois
l’histoire de la génétique. Tout le monde a en
par Bateson, en 1909, durant la III e conférence
Enfin, il existe trois génomes dans chaque
mémoire la découverte des lois de l’hérédité
internationale d’hybridation des plantes pour
cellule végétale (contre deux dans la cellule ani-
par le Tchèque Gregor Mendel, en 1866, à partir
éviter la périphrase « hybridation des plantes ».
male) : le nucléaire (le plus important en taille,
d’expériences réalisées avec le pois. Ses travaux
Depuis, c’est une science à part entière incluant
en nombre de gènes et en quantité d’infor-
restèrent longtemps méconnus et largement in-
les notions de gène, terme créé en 1909 par
mations), le mitochondrial (l’ADN de la mito-
compris. C’est le Néerlandais Hugo de Vries qui,
Johannsen, et de génome. Il existe aujourd’hui
chondrie, siège de la respiration cellulaire) et
grâce à l’observation d’une autre plante, l’œno-
de nombreuses définitions du gène. Une des
le plastidial (l’ADN du plaste, siège de la photo-
thère, a redécouvert ces lois en 1900 et décrit, pour
plus couramment utilisées considère que le
synthèse). L’ADN de la mitochondrie et celui
la première fois, les mutations. Ainsi, l’unique
gène est le support matériel des caractères héré-
du plaste s’apparentent à celui des bactéries ;
tige dressée du maïs, qui facilite sa culture, est
ditaires (Mendel, Morgan). C’est aussi l’infor-
ce sont probablement les vestiges de fusions
différente de celle de son ancêtre botanique, un
mation codée dont le produit final est une pro-
anciennes d’organismes bactériens, il y a quelque
téosinte, en raison d’une mutation affectant un
téine, l’ARN messager issu du gène étant une
deux milliards d’années, à l’origine des lignées
gène contrôlant la ramification de la tige2.
forme intermédiaire et transitoire. Toutes ces
animales ou végétales. Enfin, les quantités
Après la Seconde Guerre mondiale, une Amé-
notions font aujourd’hui partie des programmes
d’ADN sont très variables d’une espèce à l’autre
ricaine, Barbara McClintock, a observé des croise-
de biologie enseignés au lycée. On sait isoler,
et sans relation avec leur niveau évolutif
ments entre des pieds de maïs et décrit la forma-
caractériser (séquencer), multiplier (cloner) et
(tableau 1).
tion de grains colorés variés. Ces modifications de
même introduire un gène dans un organisme
couleur, qui ne suivent pas les lois de Mendel, sont
par différentes techniques connues sous le nom
dues à des gènes mobiles dits « gènes sauteurs »
de transgenèse. Enfin, l’ensemble des gènes
Des
ou transposons. Cette découverte valut à Barbara
d’un organisme vivant forme le génome.
aujourd’hui de séquencer entièrement les
McClintock un prix Nobel, en 19833.
des chromosomes), permettent de les garder en mémoire : c’est l’épigénétique.
1
Combien y a-t-il de gènes chez la plante ? progrès
méthodologiques
permettent
Si les gènes sont portés par l’ADN, filament
génomes. Parmi les organismes séquencés dotés
Enfin, en 1990, des essais d’intensification
moléculaire essentiellement contenu dans le
d’un vrai noyau (ce qui les différencie des bacté-
de la couleur des fleurs par transgenèse4 (chez
noyau des cellules, et pelotonnés sous la forme
ries), il faut mentionner l’homme et une petite
le pétunia) eurent des résultats inattendus, qui
condensée des chromosomes, en particulier au
plante utilisée aujourd’hui comme modèle dans
sont à l’origine d’une nouvelle révolution dans
moment de la division cellulaire, il existe aussi
tous les laboratoires de biologie végétale, l’ara-
l’histoire de la génétique : la découverte des
des régions de l’ADN dépourvues de gènes.
bette des dames, une cousine du chou. D’autres
petits ARN5. Expliqué quelques années plus tard
Pendant longtemps, on a pensé qu’elles ne ser-
espèces ont été entièrement séquencées depuis
chez l’animal (un ver, Coenorhabiditis), ce nou-
vaient à rien sinon à stocker de l’ADN. C’est la
2000 (algue, mousse, vigne, peuplier, luzerne, riz,
veau phénomène valut à ses découvreurs, en
raison pour laquelle on parle encore souvent
maïs, etc., tableau 2). Par référence à l’homme,
2006, un prix Nobel, sans pour autant que les
d’« ADN non codant » ou encore d’« ADN pou-
on voit qu’il n’y a pas de corrélation entre le
biologistes végétaux soient récompensés pour
belle » ! On sait aujourd’hui que ces régions inter-
niveau d’organisation et d’évolution et le nombre
la découverte originelle.
viennent dans le codage de petits ARN, non
de gènes. C’est pourquoi l’éditeur de la presti-
traduits en protéines, qui jouent directement
gieuse revue américaine Science écrivait en 2003 :
dans la régulation des gènes.
« Pourquoi l’Homme a-t-il si peu de gènes ? »
Comme on le voit, l’étude des plantes a largement contribué aux progrès de la génétique et à plusieurs découvertes clés qui ont totalement révolutionné cette science.
58
303 / NA 103 / 08
Le texte génétique, l’ADN, est le même
Ce qui compte en réalité, ce n’est pas le nombre
pour toutes les cellules mais il n’est pas lu de la
des gènes mais bien celui des protéines codées
1
Champ de colza, Sucé-sur-Erdre, Loire-Atlantique. Cl. B. Renoux.
59
1
76
303 / NA 103 / 08
Polytrichum juniperinum sur un délaissé autoroutier aux environs de Derval en Loire-Atlantique, associé à Ornithopus perpusillus, petite plante de la famille des fabacées légumineuses. Ces deux espèces font partie de la prépelouse à Thérophytes. Cl. Cl. Figureau.
77
1
76
303 / NA 103 / 08
Polytrichum juniperinum sur un délaissé autoroutier aux environs de Derval en Loire-Atlantique, associé à Ornithopus perpusillus, petite plante de la famille des fabacées légumineuses. Ces deux espèces font partie de la prépelouse à Thérophytes. Cl. Cl. Figureau.
77
végé tal et espac e natu r e l 1
78
303 / NA 103 / 08
Passage aménagé dans la zone humide herbacée pour la rendre praticable, jardin du lycée Jules Rieffel, Saint-Herblain, Loire-Atlantique. Cl. B. Renoux.
79
Les arbres de la famille
Avant tout ils sont debout, en cela leur tronc
favorable, une haie, un humus tranquille, elle
finisse pas en cendres, j’ai demandé à un ébéniste
a quelque parenté avec le corps des grandes
peut donner naissance à un petit noyer. C’est
campagnard d’en tirer deux tables. L’homme a
personnes. Certains avaient même l’air un peu
ainsi que nous avons eu successivement deux
précisé, en me les livrant, qu’il restait assez de
sévères mais, temps passant, l’on comprend
fameux noyers, toujours chargés de noix et
bois pour faire d’autres meubles, puis son hangar
qu’en réalité ils sont fragiles, plus que leur enra-
celles-ci d’une variété à coque fine demandant
a brûlé avec toutes les réserves, compris notre
cinement ne le laisse supposer. Ils vieillissent,
peu d’efforts aux doigts pour la faire craquer,
châtaignier ainsi rattrapé par le feu.
eux aussi, et puis il y a les tempêtes. Nous assis-
mais ils sont morts. Le noyer il ne vit pas vieux,
Quand je regrette les absents – un vide dans
tons alors au grandiose combat entre le vent et
il meurt pendant l’hiver sans qu’on s’en aper-
l’air à l’endroit qu’ils occupaient –, je pense au
cette forme dressée à qui ses racines donnent
çoive. Nous n’avons plus de noix !
grand poirier à cidre devant le portail du pré,
une résistance mais interdisent la fuite. L’autre
Chênes et châtaigniers ont moins de chance
son tronc un peu penché, écorce grise craque-
vient de loin, a pris son élan, se rue, frappe, tord
avec leurs fruits lourds, les écureuils mangent les
lée, qui est sur la photo de ma mère souriante
et revient encore, il faut lui résister par souplesse
châtaignes dans l’arbre, les humains ramassent
avec l’enfant aux cheveux ébouriffés que j’étais
sans du tout reculer. Le bruit est effrayant
celles qui tombent et même les bovins savent
à deux ans. L’écorce en a été rongée, l’arbre n’a
autour de la maison, où les tilleuls sont hauts et
piétiner les bogues pour croquer les châtaignes
pas tardé à crever. La commune déjà nous avait
larges, quand l’air se déchire et divise sur leurs
avec leur écorce. Les plus belles sortent d’arbres
condamné un autre grand poirier en bas du pré
branches. L’arbre souffre, ses bras sont tordus,
greffés ou de leurs descendants, on dit « c’est de
pour élargir le chemin. Puisqu’il n’est plus fait
mais il ne dit rien, c’est l’air en les heurtant qui
la dorée » à cause de la couleur des trois petits
de cidre, ni depuis longtemps de poiré, ces hauts
produit cet immense gémissement sans cesse
meubles dans leur chambre veloutée, d’autres
poiriers sont arrachés aux prairies. Ils furent en
modulé. Le lendemain, ciel apaisé, les tilleuls
ont au contraire le cuir sombre. Nous avions un
effet greffés comme producteurs de poires très
sont toujours là car leur écorce est souple,
de ces châtaigniers, pas très grand, qui donnait
âpres. Leur floraison embellit la campagne près
leurs racines solidement accrochées en terre.
vraiment de beaux fruits, mais il a reçu la foudre
de vieux murs de fermes et le moindre souffle
Au pignon ouest de la maison il y a trois autres
et ne s’en est jamais remis, il ne lui reste que
diffuse leur parfum sucré. J’en protège encore
tilleuls et six devant la façade sud, c’est dire le
peu de branches.
une quinzaine alignés de façon rare le long d’un
parfum au mois de juin.
Parmi les arbres dont je me souviens,
chemin creux.
Sur les flancs du jardin qu’à sa création, vers
figures familiales, grands-oncles disparus, il y
Les tornades, ces dernières années, ont abattu,
la fin du XVIIIe siècle, on nommait sans doute le
a un écusson qui régnait sur la haie séparant
un à un, les plus gros chênes. Pour celui qui était
fleuriste, courent des charmilles qui devraient
notre pré du voisin. Ceux que nous nommons
près du ruisseau, le vent s’y est mis à deux fois,
être taillées, l’ombre empêche les narcisses de
écussons sont d’énormes châtaigniers dont le
après une tempête nous l’avons trouvé penché,
fleurir. Dans ces deux suites de branchages entre-
houppier est plus large que haut, d’une forme
quelques racines avaient cédé sous terre, le
lacés je pratiquais un parcours permettant à
générale ressemblant à celle du pommier mais
chêne qui paraît arbre puissant au vrai ne sait
mes jambes d’enfant d’aller d’un bout à l’autre
avec des mensurations, bien sûr, très différentes.
pas s’enraciner. La base de celui-là cachait sous
sans se poser au sol. En tête de chacune d’elles
Ce nom semble signifier qu’ils furent greffés,
l’écorce une faiblesse : par une porte étroite les
fut planté un semencier, charme beaucoup plus
les fruits pourtant n’en étaient jamais gros,
frelons y entraient, une salle intérieure devait
fort qui répand juste avant l’hiver ses samares
seulement précoces. Quand j’avais une dizaine
être tapissée par les alvéoles en papier de leur
en forme de main à trois doigts au milieu des-
d’années, mon père l’a fait abattre et je l’ai vu
quels se tient la graine striée qu’ils doivent em-
nid. À la tempête suivante, accourue de l’ouest
tomber dans un mélange de regret pour l’arbre
comme toujours, le grand chêne est tombé. J’ai
porter, car en cette circonstance, quand il s’agit
et d’intérêt pour l’événement. C’était la guerre,
fait monter et marcher mon petit-fils dans son
Apercevoir une nymphe est rare, dangereux
au sol, et les immortels sis dans la demeure cé-
d’aller poser au loin leurs graines, ormes, tilleuls
l’hiver, il fallait du bois de chauffage, mais sur les
peut-être. Les nymphes des arbres se nomment
leste, elles vivent plutôt longtemps. De curieux
branchage encore imposant quoique couché au
et charmes se fient au vent qui souvent les
pentes un peu plus loin une quantité de triques
ensemble hamadryades, « celles qui sont sous
calculs annoncent neuf mille sept cent vingt
sol : ce n’est pas tous les jours qu’on peut sauter
tourmente mais peut enfin se rendre utile. Le
de châtaignier, ou des chênes de maigre venue,
les chênes ».
ans – mais qui pourra compter ?
dans un chêne comme un écureuil !
noyer, lui, compte sur les corbeaux qui viennent
auraient fourni le nécessaire, je ne comprends
Le plus remarquable des chênes abattus par
Soulevées par l’élan de l’arbre qu’elles pro-
En vérité, leur être dans tout l’arbre irra-
au mois de septembre se servir en noix et les
pas pourquoi c’est l’arbre majestueux, si proche
tègent, elles partagent avec lui tant la jouis-
die, elles mêlent à ses feuilles leur chevelure
la violence de l’air – armée d’autant plus inquié-
emportent pour les manger ailleurs, sur terre de
de nous, qui a été sacrifié. Dans les environs, j’ai
sance des pluies ou du soleil léger que les coups
et se vêtent de son écorce. Il en reste parfois
tante qu’invisible, formée loin où l’on ne connaît
préférence. Mais voler avec une noix dans le bec
connu les derniers écussons, tous ont été coupés.
violeurs du vent ou la peur de la foudre.
la
trace dans les arbres qui furent habités.
pas et venue à cent à l’heure, couchant tout sur
grand ouvert n’est peut-être pas facile, enfin
J’ai même dû en achever un, tant chargé de
Qui donc a fait courir le bruit que dans un
Preuves qui s’effacent sous la scie, la hache. Où
son chemin, on ne rencontre point la horde, seule-
quelque événement au cours du vol, pour-
grosses branches mortes qu’il risquait, un jour
arbre encloses elles meurent à sa mort ? Men-
dansent alors l’hamadryade du chêne et celle
ment ses ravages – oui, le plus remarquable
suite par un jaloux, tempête, envie de crier, il
de bourrasques, d’en laisser tomber une sur le
songe ! Respirant entre nous, pauvres mortels
du châtaignier ?
est tombé à son tour, quelques branches à l’ins-
arrive que la noix tombe et si elle trouve un sol
dos des bestiaux. Souhaitant que ce tronc ne
tant cassées s’enfonçant dans la molle prairie.
80
303 / NA 103 / 08
81
Je suis allé le visiter, beau fût, ramure puissante qui depuis tant d’années respirait au-dessus de nous, habitait les saisons de l’air, entre les nuages et la terre où frottent nos pieds, la lune même parfois se prenait à ses branches. Il avait levé sa motte bien sûr, toute la terre étreinte par les racines qui ne s’enfoncent pas assez. Je suis même descendu dans le trou, à peu près trois mètres de large sur un et demi de profondeur, pour voir dessous, l’endroit où personne jamais n’était allé. Puis la bille, choisie pour faire des planches, a été séparée à grands hurlements de tronçonneuse de la souche ici nommée culée. Toutes les racines côté ouest avaient été arrachées ou écourtées dans le sol, elles avaient lâché, il restait seulement quelques racines côté est qui, elles, n’avaient eu qu’à se plier sous le poids de l’arbre tombant, mais trois jours après la séparation du tronc, ces racines encore vivantes, qui ne payaient pas de mine, ont eu la force ahurissante et silencieuse, pour ne plus être pliées, de tirer à elles la souche au point de la faire basculer dans le trou qu’elle avait ouvert. Ainsi cette culée, pesant quoi ? sûrement plus d’une tonne, s’est trouvée remise en place. La chose s’est-elle réalisée lentement ou d’un coup sec ? Mystère, il aurait fallu être là et surtout pas au fond ! Très différent de taille, nous avions auprès de la maison un sorbier malingre, gêné par un charme plus vieux que lui, il se penchait vers l’est pour chercher la lumière et n’apercevait que le soleil levant. Chaque année il portait ses graines rouge orangé, il aurait pu devenir bel arbre s’il avait été mieux logé, toujours à l’ombre il a fini par se laisser mourir. Pourtant ma mère semblait tenir à lui. Comme au cornouiller, dont plusieurs branches sortant de terre forment une touffe, arbuste mais de bois dur, qui fleurit et forme ses petites cerises contre le mur du jardin depuis cent ans. Parmi d’autres que je protège, il y a plusieurs cytises, dont les grappes jaunes parfument les bois de Lozère. Ou encore une bande assez tordue de néfliers près du petit étang, arbustes aussi mais natifs de notre terre, avec fleurs délicates, belles couleurs en automne et abondance de fruits sauvages. Un arbre disparu du jardin et qui comptait beaucoup était simple pommier, chaque année chargé de pommes à peau grise et râpeuse,
82
303 / NA 103 / 08
dans lequel, adolescent, je m’installais pour lire.
houx, fusains et quelques autres, plus de deux
Grâce aux greffes successives ces pommes rares
douzaines d’espèces. Ils sont encore fragiles
sont passées sur d’autres entes et conservées.
mais tandis que j’en prends soin, ces vivants
Très proche était le laurier-sauce, une touffe
pour demain s’emmêlent un peu aux arbres qui
serrée de triques montant droit jusqu’à sept
demeurent debout dans la mémoire.
ou huit mètres. Lors d’un hiver extrême, le voilà mort de froid. Tombées les feuilles persistantes, j’ai attendu, mais printemps, été, aucun signe. Il
Jean-Loup Trassard
a fallu se résoudre à tout couper rez terre. Une part du bois reste encore au bûcher et, après un séchage de plusieurs dizaines d’années, dès que la hache ouvre un rondin l’odeur de laurier est là. Trois ou quatre ans plus tard, surprise, des tiges sont sorties de terre, puis d’autres. Assez vite, cette géante toupie de feuilles sombres que le vent aime brasser a repris sa haute taille et ses fonctions, culinaire, esthétique, au coin du potager. Il faudrait faire sentir aussi l’odeur des deux épicéas, ramasser les dernières feuilles rouges des chênes d’Amérique, les uns et les autres sciés depuis longtemps, témoigner pour les ormes de la cour tous tués par la graphiose – j’aimais toucher leurs feuilles râpeuses, les samares qui tombaient en pluie – ou montrer le sycomore dont le feuillage en automne fait croire qu’un rayon de soleil perce les nuages, ou encore pénétrer dans les châtaigniers creux, ces arbres émondés que nous nommons ragoles… Je dirai seulement la découverte, en lisière du taillis, de deux arbres inconnus, frères assez maigrelets mais hauts, dont les branches se touchent et gênent. Examen de la feuille : alisier torminal. Pas du tout de la région, cet arbre dont les petits fruits ne volent pas dans le vent, alors envoi par intestin d’oiseau ? Et puis un jour, dans la cour fermée entre les hangars du bûcher, un jeune alisier qui lève, arrivé forcément par les airs, semé peut-être par un oiseau ayant visité les deux autres ? Il s’est mis à pousser, trop grandir, pour ne pas le sacrifier je lui coupe des branches. Il serait mieux placé sur le talus bordant un chemin nouveau où je fais pousser une haie en y installant tous les petits arbres ou arbustes que je peux récolter, chênes, châtaigniers, charmes, hêtres, frênes, tilleuls, sycomores, merisiers, peupliers, mais aussi aubépines, prunelliers, saules, bourdaines, noisetiers,
83
Je suis allé le visiter, beau fût, ramure puissante qui depuis tant d’années respirait au-dessus de nous, habitait les saisons de l’air, entre les nuages et la terre où frottent nos pieds, la lune même parfois se prenait à ses branches. Il avait levé sa motte bien sûr, toute la terre étreinte par les racines qui ne s’enfoncent pas assez. Je suis même descendu dans le trou, à peu près trois mètres de large sur un et demi de profondeur, pour voir dessous, l’endroit où personne jamais n’était allé. Puis la bille, choisie pour faire des planches, a été séparée à grands hurlements de tronçonneuse de la souche ici nommée culée. Toutes les racines côté ouest avaient été arrachées ou écourtées dans le sol, elles avaient lâché, il restait seulement quelques racines côté est qui, elles, n’avaient eu qu’à se plier sous le poids de l’arbre tombant, mais trois jours après la séparation du tronc, ces racines encore vivantes, qui ne payaient pas de mine, ont eu la force ahurissante et silencieuse, pour ne plus être pliées, de tirer à elles la souche au point de la faire basculer dans le trou qu’elle avait ouvert. Ainsi cette culée, pesant quoi ? sûrement plus d’une tonne, s’est trouvée remise en place. La chose s’est-elle réalisée lentement ou d’un coup sec ? Mystère, il aurait fallu être là et surtout pas au fond ! Très différent de taille, nous avions auprès de la maison un sorbier malingre, gêné par un charme plus vieux que lui, il se penchait vers l’est pour chercher la lumière et n’apercevait que le soleil levant. Chaque année il portait ses graines rouge orangé, il aurait pu devenir bel arbre s’il avait été mieux logé, toujours à l’ombre il a fini par se laisser mourir. Pourtant ma mère semblait tenir à lui. Comme au cornouiller, dont plusieurs branches sortant de terre forment une touffe, arbuste mais de bois dur, qui fleurit et forme ses petites cerises contre le mur du jardin depuis cent ans. Parmi d’autres que je protège, il y a plusieurs cytises, dont les grappes jaunes parfument les bois de Lozère. Ou encore une bande assez tordue de néfliers près du petit étang, arbustes aussi mais natifs de notre terre, avec fleurs délicates, belles couleurs en automne et abondance de fruits sauvages. Un arbre disparu du jardin et qui comptait beaucoup était simple pommier, chaque année chargé de pommes à peau grise et râpeuse,
82
303 / NA 103 / 08
dans lequel, adolescent, je m’installais pour lire.
houx, fusains et quelques autres, plus de deux
Grâce aux greffes successives ces pommes rares
douzaines d’espèces. Ils sont encore fragiles
sont passées sur d’autres entes et conservées.
mais tandis que j’en prends soin, ces vivants
Très proche était le laurier-sauce, une touffe
pour demain s’emmêlent un peu aux arbres qui
serrée de triques montant droit jusqu’à sept
demeurent debout dans la mémoire.
ou huit mètres. Lors d’un hiver extrême, le voilà mort de froid. Tombées les feuilles persistantes, j’ai attendu, mais printemps, été, aucun signe. Il
Jean-Loup Trassard
a fallu se résoudre à tout couper rez terre. Une part du bois reste encore au bûcher et, après un séchage de plusieurs dizaines d’années, dès que la hache ouvre un rondin l’odeur de laurier est là. Trois ou quatre ans plus tard, surprise, des tiges sont sorties de terre, puis d’autres. Assez vite, cette géante toupie de feuilles sombres que le vent aime brasser a repris sa haute taille et ses fonctions, culinaire, esthétique, au coin du potager. Il faudrait faire sentir aussi l’odeur des deux épicéas, ramasser les dernières feuilles rouges des chênes d’Amérique, les uns et les autres sciés depuis longtemps, témoigner pour les ormes de la cour tous tués par la graphiose – j’aimais toucher leurs feuilles râpeuses, les samares qui tombaient en pluie – ou montrer le sycomore dont le feuillage en automne fait croire qu’un rayon de soleil perce les nuages, ou encore pénétrer dans les châtaigniers creux, ces arbres émondés que nous nommons ragoles… Je dirai seulement la découverte, en lisière du taillis, de deux arbres inconnus, frères assez maigrelets mais hauts, dont les branches se touchent et gênent. Examen de la feuille : alisier torminal. Pas du tout de la région, cet arbre dont les petits fruits ne volent pas dans le vent, alors envoi par intestin d’oiseau ? Et puis un jour, dans la cour fermée entre les hangars du bûcher, un jeune alisier qui lève, arrivé forcément par les airs, semé peut-être par un oiseau ayant visité les deux autres ? Il s’est mis à pousser, trop grandir, pour ne pas le sacrifier je lui coupe des branches. Il serait mieux placé sur le talus bordant un chemin nouveau où je fais pousser une haie en y installant tous les petits arbres ou arbustes que je peux récolter, chênes, châtaigniers, charmes, hêtres, frênes, tilleuls, sycomores, merisiers, peupliers, mais aussi aubépines, prunelliers, saules, bourdaines, noisetiers,
83
Les mousses, végétaux mal aimés
1
2
Les ouvrages d’horticulture et de jardinage sont
gétaux inférieurs » s’entraident largement et
Disons d’abord qu’elles ont des exigences
unanimes : les mousses sont un fléau, et toutes
constituent une chaîne écologique qui finit par
sociales (associations végétales spontanées)
sortes de techniques existent pour se débar-
jouer un rôle important dans la constitution des
que l’on ne respecte jamais. Chaque espèce a
rasser d’elles. Mais les arguments ne sont pas
paysages.
des exigences autoécologiques souvent mé-
convaincants, et surtout font très souvent appel
Tous sont considérés comme un frein au
connues. Le jardinier va s’efforcer de jouer sur
à une notion de propreté, ou d’une manière plus
développement de nos chères plantes à fleurs,
la plasticité écologique des espèces pour les
sous-jacente au manque de contrôle que l’on a
mais est-ce toujours justifié ? C’est à cette ques-
adapter à son jardin et les forcer à cohabiter.
sur elles : sournoises, elles se développent à notre
tion que veut répondre cet article. Il faut ajouter,
Dans cette atmosphère déséquilibrée qu’est le
insu. Dans les joints des pierres d’une terrasse,
pour une bonne compréhension du « phénomène
jardin, les mousses ont beau jeu, au point de
dans un vieux mur ou, pire encore, dans la pe-
mousse », que l’horticulture et le jardinage ne
donner l’aspect d’un envahissement, alors que
louse ou dans les plantes vivaces, sans parler
sont qu’une application des principes de l’écolo-
vraisemblablement elles tentent par leur arri-
bien sûr des mousses qui couvrent le tronc des
gie, auxquels on ajoute des principes de produc-
vée de réparer ce déséquilibre. Mais leur rôle
arbres fruitiers et des arbres d’ornement : elles
tion et de contrôle de la nature. L’art du jardin a
est totalement incompris, et le jardinier s’em-
sont une plaie, et nuisent paraît-il au bon dé-
pour objet principal de faire cohabiter des espèces
ploie à les éliminer. Il n’y est jamais parvenu,
veloppement de ces végétaux ! Il faudrait aussi
végétales venues de tous les horizons, dans
puisqu’elles sont toujours présentes dans nos
parler des micro-algues (des cyanobactéries,
des conditions parfois très éloignées de leurs
jardins en raison des conditions favorables
principalement) et des lichens, car tous ces « vé-
exigences écologiques.
que l’on continue d’y maintenir. Il faudrait
88
303 / NA 103 / 08
1
Racines d’orchidée à la recherche de leur nourriture dans les mousses tropicales sur les écorces artificielles dans les serres du Jardin des plantes de Nantes. Cl. B. Renoux.
2
Stelis sp., Batracien tropical arrivé avec un lot de plantes de Guadeloupe dans les serres du Jardin des plantes de Nantes. Cl. B. Renoux.
plutôt se poser la question du milieu qu’elles
écosystèmes de la Terre. Enfin, nous savons que
et l’Atrichum undulatum sur des sols argileux.
recréent, et chercher les végétaux adaptés qui
les mousses ont une capacité de rétention d’eau
Ces deux derniers ont été installés sous les ca-
s’y accommoderaient. Dans ce cas, on créerait
extrêmement importante, qui peut aller jusqu’à
mélias de la collection du Jardin des plantes.
des dynamiques quasi écologiques !
trois cents fois leur poids sec.
Malheureusement, à cause du temps que prend
Pour comprendre ce propos, attachons-nous
Sur le plan de l’environnement, on peut classer
le désherbage manuel, il a fallu renoncer et ces
à découvrir ce que sont vraiment les mousses,
les mousses en deux grandes catégories : les
mousses ont été rapidement envahies par des
et quel rôle elles jouent dans notre environne-
espèces aquatiques et les espèces aérophytes,
herbes, au point de disparaître. Sur des sols hu-
ment naturel et dans nos jardins.
qui vivent à l’air libre. Les mousses aquatiques
mifères un peu argileux-sablonneux (terre de
Les mousses sont considérées comme des vé-
se rencontrent dans les eaux dormantes ou ra-
bruyère), on pourrait cultiver le fameux Leuco-
gétaux inférieurs. Cela ne veut pas dire qu’elles
pides. Certaines, comme Fontinalis antipyretica,
bryum glaucum (cher aux fleuristes) et le beau
aient moins d’importance que les autres, mais
jouent même un rôle d’indicateur pour la qua-
Dicranum scoparium. Jusqu’à ce jour cela n’a
simplement qu’elles sont plus primitives et
lité de l’environnement, tant est grande leur
guère été possible, car les techniques de l’horti-
sont apparues nettement plus tôt que nos
sensibilité aux pollutions. Les sphaignes sont à
culture ne sont pas adaptées, mais avec un peu
plantes à fleurs. Les mousses n’ont pas à pro-
part ; elles vivent dans des eaux très pauvres en
d’implication et de persévérance – et surtout
prement parler de racines : elles sont pourvues
sels minéraux et forment des radeaux qui se dé-
une bonne analyse écologique – cela pourrait se
de rhizoïdes qui assurent leur fixation sur le
veloppent à la surface de l’eau pour composer
faire : on connaît quelques exemples isolés. Un
substrat et jouent un rôle très faible d’assimi-
des tourbières flottantes appelées aussi « trem-
peu partout dans le jardin vient spontanément le
lation. L’appareil végétatif d’une mousse est
blantes ». Une flore très particulière, d’origine
Ceratodon purpureus. Cette jolie petite mousse,
constitué de tiges très serrées, en touffes, ou de
boréale, y croît en permanence. Les plus grandes
qui prend un aspect roussâtre au moment de
tiges rampantes qui forment parfois d’impor-
tourbières occupent une grande partie du Nord
sa fructification, joue un rôle de pionnier et fa-
tantes colonies. Les tiges ne sont pas munies de
du Canada, du Nord de l’Europe et de l’Asie, ainsi
vorise ensuite l’arrivée de nombreuses espèces
vaisseaux assurant le transport de la sève. Les
que des territoires importants dans le Sud de
qui finissent par former de très beaux tapis ;
feuilles, constituées d’une seule épaisseur de
l’Amérique latine et de la Nouvelle-Zélande.
beaucoup sont des hypnacées, des mousses qui
cellules, assurent avec les tiges un rôle assimi-
Quant aux mousses qui vivent à l’air libre,
courent sur le sol, tel le très commun hypnum
lateur : c’est pourquoi les mousses sont d’excel-
on les trouve sur la terre (espèces terricoles), sur
en forme de cyprès (Hypnum cupressiforme). Il
lents indicateurs de pollution, car elles la fixent
les rochers, les murs, etc. ; elles sont alors dites
ne reste au jardinier qu’à les désherber pour les
au même titre que la vapeur d’eau. Ce sont
rupicoles. D’autres, les mousses forestières,
conserver en l’état.
des végétaux sans fleurs, souvent qualifiés de
prospèrent dans les sous-bois. Enfin, une caté-
Au jardin botanique de Nantes, les plantes
cryptogames (les organes sexuels sont cachés) :
gorie bien particulière est dite corticole car elle
leur reproduction est assurée par des spores
épiphytes sont comme chez elles dans leurs
se développe sur les écorces des troncs et des
forêts pluvieuses. Toute cette aventure est
qui sont émises généralement dans une petite
branches d’un grand nombre d’espèces d’arbres
née au début des années 1980 avec la création
capsule dominant la touffe de la mousse visible
des forêts tempérées et tropicales.
d’une écorce artificielle fixée sur des perches
à la fin du printemps.
Il n’y a que les jardins japonais tradition-
de châtaignier dont les propriétés physiques
Elles ont une autre grande qualité, assez
nels qui se soient intéressés aux mousses – et
sont presque identiques à celles des écorces
méconnue mais fort intéressante : elles sont
encore, pas à n’importe lesquelles, puisque ces
des arbres tropicaux porteurs de plantes épi-
reviviscentes, ce qui signifie que la plupart des
fameux jardins historiques n’utilisent qu’une
phytes : orchidées, fougères, broméliacées et
espèces sont capables de passer rapidement
seule espèce, le polytric genévrier (Polytric juni-
autres. C’est l’étude des stades de colonisation
d’un état biologiquement inactif – lorsqu’elles
perinum). Il n’existe pas de technique de culture
en Martinique et en Guadeloupe qui est à l’ori-
sont en état de déshydratation, dans les pé-
et de production pour cette espèce. Après une
gine de ce projet. Sur ces écorces neuves ont été
riodes sans pluie – à un état biologiquement
préparation minutieuse du sol, on attend son ins-
implantées des plantes épiphytes provenant de
actif dès les premières gouttes d’eau. Durant
tallation et l’on gère son expansion et son enva-
Guyane, des Antilles, d’Afrique de l’Ouest et des
cette inactivité apparente, leurs fonctions bio-
hissement par les herbes de toutes sortes qui ne
Philippines. Elles ont apporté autour de leur ra-
logiques – respiration, transpiration, photosyn-
manquent pas d’y trouver des conditions favo-
thèse et reproduction – sont tellement ralenties
cine leur propre biocénose (autres êtres vivants),
rables à leur croissance. Bon nombre d’espèces
micro-algues (cyanobactéries, hépatiques et
qu’elles ne sont pas perceptibles. C’est un grand
de mousses mériteraient de figurer dans nos
mousses) et petits insectes. Le suivi et l’observa-
avantage pour toutes ces espèces, et c’est sans
plates-bandes. Le polytric genévrier, certes, mais
tion du développement de ces espèces ont été la
doute l’une des raisons pour lesquelles elles
aussi le polytric pilifère (Polytrichum piliferum),
base de dix années d’expérimentations. Il a fallu
occupent une grande partie de l’ensemble des
le polytric de Formose (Polytrichum formosum)
ensuite passer à la généralisation du système :
89
Les mousses, végétaux mal aimés
1
2
Les ouvrages d’horticulture et de jardinage sont
gétaux inférieurs » s’entraident largement et
Disons d’abord qu’elles ont des exigences
unanimes : les mousses sont un fléau, et toutes
constituent une chaîne écologique qui finit par
sociales (associations végétales spontanées)
sortes de techniques existent pour se débar-
jouer un rôle important dans la constitution des
que l’on ne respecte jamais. Chaque espèce a
rasser d’elles. Mais les arguments ne sont pas
paysages.
des exigences autoécologiques souvent mé-
convaincants, et surtout font très souvent appel
Tous sont considérés comme un frein au
connues. Le jardinier va s’efforcer de jouer sur
à une notion de propreté, ou d’une manière plus
développement de nos chères plantes à fleurs,
la plasticité écologique des espèces pour les
sous-jacente au manque de contrôle que l’on a
mais est-ce toujours justifié ? C’est à cette ques-
adapter à son jardin et les forcer à cohabiter.
sur elles : sournoises, elles se développent à notre
tion que veut répondre cet article. Il faut ajouter,
Dans cette atmosphère déséquilibrée qu’est le
insu. Dans les joints des pierres d’une terrasse,
pour une bonne compréhension du « phénomène
jardin, les mousses ont beau jeu, au point de
dans un vieux mur ou, pire encore, dans la pe-
mousse », que l’horticulture et le jardinage ne
donner l’aspect d’un envahissement, alors que
louse ou dans les plantes vivaces, sans parler
sont qu’une application des principes de l’écolo-
vraisemblablement elles tentent par leur arri-
bien sûr des mousses qui couvrent le tronc des
gie, auxquels on ajoute des principes de produc-
vée de réparer ce déséquilibre. Mais leur rôle
arbres fruitiers et des arbres d’ornement : elles
tion et de contrôle de la nature. L’art du jardin a
est totalement incompris, et le jardinier s’em-
sont une plaie, et nuisent paraît-il au bon dé-
pour objet principal de faire cohabiter des espèces
ploie à les éliminer. Il n’y est jamais parvenu,
veloppement de ces végétaux ! Il faudrait aussi
végétales venues de tous les horizons, dans
puisqu’elles sont toujours présentes dans nos
parler des micro-algues (des cyanobactéries,
des conditions parfois très éloignées de leurs
jardins en raison des conditions favorables
principalement) et des lichens, car tous ces « vé-
exigences écologiques.
que l’on continue d’y maintenir. Il faudrait
88
303 / NA 103 / 08
1
Racines d’orchidée à la recherche de leur nourriture dans les mousses tropicales sur les écorces artificielles dans les serres du Jardin des plantes de Nantes. Cl. B. Renoux.
2
Stelis sp., Batracien tropical arrivé avec un lot de plantes de Guadeloupe dans les serres du Jardin des plantes de Nantes. Cl. B. Renoux.
plutôt se poser la question du milieu qu’elles
écosystèmes de la Terre. Enfin, nous savons que
et l’Atrichum undulatum sur des sols argileux.
recréent, et chercher les végétaux adaptés qui
les mousses ont une capacité de rétention d’eau
Ces deux derniers ont été installés sous les ca-
s’y accommoderaient. Dans ce cas, on créerait
extrêmement importante, qui peut aller jusqu’à
mélias de la collection du Jardin des plantes.
des dynamiques quasi écologiques !
trois cents fois leur poids sec.
Malheureusement, à cause du temps que prend
Pour comprendre ce propos, attachons-nous
Sur le plan de l’environnement, on peut classer
le désherbage manuel, il a fallu renoncer et ces
à découvrir ce que sont vraiment les mousses,
les mousses en deux grandes catégories : les
mousses ont été rapidement envahies par des
et quel rôle elles jouent dans notre environne-
espèces aquatiques et les espèces aérophytes,
herbes, au point de disparaître. Sur des sols hu-
ment naturel et dans nos jardins.
qui vivent à l’air libre. Les mousses aquatiques
mifères un peu argileux-sablonneux (terre de
Les mousses sont considérées comme des vé-
se rencontrent dans les eaux dormantes ou ra-
bruyère), on pourrait cultiver le fameux Leuco-
gétaux inférieurs. Cela ne veut pas dire qu’elles
pides. Certaines, comme Fontinalis antipyretica,
bryum glaucum (cher aux fleuristes) et le beau
aient moins d’importance que les autres, mais
jouent même un rôle d’indicateur pour la qua-
Dicranum scoparium. Jusqu’à ce jour cela n’a
simplement qu’elles sont plus primitives et
lité de l’environnement, tant est grande leur
guère été possible, car les techniques de l’horti-
sont apparues nettement plus tôt que nos
sensibilité aux pollutions. Les sphaignes sont à
culture ne sont pas adaptées, mais avec un peu
plantes à fleurs. Les mousses n’ont pas à pro-
part ; elles vivent dans des eaux très pauvres en
d’implication et de persévérance – et surtout
prement parler de racines : elles sont pourvues
sels minéraux et forment des radeaux qui se dé-
une bonne analyse écologique – cela pourrait se
de rhizoïdes qui assurent leur fixation sur le
veloppent à la surface de l’eau pour composer
faire : on connaît quelques exemples isolés. Un
substrat et jouent un rôle très faible d’assimi-
des tourbières flottantes appelées aussi « trem-
peu partout dans le jardin vient spontanément le
lation. L’appareil végétatif d’une mousse est
blantes ». Une flore très particulière, d’origine
Ceratodon purpureus. Cette jolie petite mousse,
constitué de tiges très serrées, en touffes, ou de
boréale, y croît en permanence. Les plus grandes
qui prend un aspect roussâtre au moment de
tiges rampantes qui forment parfois d’impor-
tourbières occupent une grande partie du Nord
sa fructification, joue un rôle de pionnier et fa-
tantes colonies. Les tiges ne sont pas munies de
du Canada, du Nord de l’Europe et de l’Asie, ainsi
vorise ensuite l’arrivée de nombreuses espèces
vaisseaux assurant le transport de la sève. Les
que des territoires importants dans le Sud de
qui finissent par former de très beaux tapis ;
feuilles, constituées d’une seule épaisseur de
l’Amérique latine et de la Nouvelle-Zélande.
beaucoup sont des hypnacées, des mousses qui
cellules, assurent avec les tiges un rôle assimi-
Quant aux mousses qui vivent à l’air libre,
courent sur le sol, tel le très commun hypnum
lateur : c’est pourquoi les mousses sont d’excel-
on les trouve sur la terre (espèces terricoles), sur
en forme de cyprès (Hypnum cupressiforme). Il
lents indicateurs de pollution, car elles la fixent
les rochers, les murs, etc. ; elles sont alors dites
ne reste au jardinier qu’à les désherber pour les
au même titre que la vapeur d’eau. Ce sont
rupicoles. D’autres, les mousses forestières,
conserver en l’état.
des végétaux sans fleurs, souvent qualifiés de
prospèrent dans les sous-bois. Enfin, une caté-
Au jardin botanique de Nantes, les plantes
cryptogames (les organes sexuels sont cachés) :
gorie bien particulière est dite corticole car elle
leur reproduction est assurée par des spores
épiphytes sont comme chez elles dans leurs
se développe sur les écorces des troncs et des
forêts pluvieuses. Toute cette aventure est
qui sont émises généralement dans une petite
branches d’un grand nombre d’espèces d’arbres
née au début des années 1980 avec la création
capsule dominant la touffe de la mousse visible
des forêts tempérées et tropicales.
d’une écorce artificielle fixée sur des perches
à la fin du printemps.
Il n’y a que les jardins japonais tradition-
de châtaignier dont les propriétés physiques
Elles ont une autre grande qualité, assez
nels qui se soient intéressés aux mousses – et
sont presque identiques à celles des écorces
méconnue mais fort intéressante : elles sont
encore, pas à n’importe lesquelles, puisque ces
des arbres tropicaux porteurs de plantes épi-
reviviscentes, ce qui signifie que la plupart des
fameux jardins historiques n’utilisent qu’une
phytes : orchidées, fougères, broméliacées et
espèces sont capables de passer rapidement
seule espèce, le polytric genévrier (Polytric juni-
autres. C’est l’étude des stades de colonisation
d’un état biologiquement inactif – lorsqu’elles
perinum). Il n’existe pas de technique de culture
en Martinique et en Guadeloupe qui est à l’ori-
sont en état de déshydratation, dans les pé-
et de production pour cette espèce. Après une
gine de ce projet. Sur ces écorces neuves ont été
riodes sans pluie – à un état biologiquement
préparation minutieuse du sol, on attend son ins-
implantées des plantes épiphytes provenant de
actif dès les premières gouttes d’eau. Durant
tallation et l’on gère son expansion et son enva-
Guyane, des Antilles, d’Afrique de l’Ouest et des
cette inactivité apparente, leurs fonctions bio-
hissement par les herbes de toutes sortes qui ne
Philippines. Elles ont apporté autour de leur ra-
logiques – respiration, transpiration, photosyn-
manquent pas d’y trouver des conditions favo-
thèse et reproduction – sont tellement ralenties
cine leur propre biocénose (autres êtres vivants),
rables à leur croissance. Bon nombre d’espèces
micro-algues (cyanobactéries, hépatiques et
qu’elles ne sont pas perceptibles. C’est un grand
de mousses mériteraient de figurer dans nos
mousses) et petits insectes. Le suivi et l’observa-
avantage pour toutes ces espèces, et c’est sans
plates-bandes. Le polytric genévrier, certes, mais
tion du développement de ces espèces ont été la
doute l’une des raisons pour lesquelles elles
aussi le polytric pilifère (Polytrichum piliferum),
base de dix années d’expérimentations. Il a fallu
occupent une grande partie de l’ensemble des
le polytric de Formose (Polytrichum formosum)
ensuite passer à la généralisation du système :
89
90
303 / NA 103 / 08
91
Plantes de bord de mer
Flore et végétation du littoral
Une flore atlantique sous forte
des Pays de la Loire
influence méridionale
Ces conditions clémentes favorisent la re-
thorei), le trèfle rouge (Trifolium rubens), le chêne
montée, le long de la façade atlantique, de plantes
vert (Quercus ilex), le chêne pubescent (Quer-
Des facteurs écologiques contraignants qui façonnent la flore
Les mécanismes physiologiques développés par les végétaux en réponse à la sécheresse de
Zone d’interface entre terre et mer, le littoral
La flore d’un territoire peut être décomposée en
plus généralement présentes sur le pourtour
cus pubescens) ou le garou (Daphne gnidium),
Le littoral est un territoire privilégié pour
ces milieux sont multiples. La conservation de
constitue un milieu naturel riche en plantes
plusieurs éléments floristiques regroupant les
méditerranéen et qui s’étendent sur une partie
qui arrivent en limite septentrionale de répar-
l’observation des stratégies d’adaptation dé-
l’eau au sein de feuilles charnues (succulence)
supérieures terrestres (plantes à fleurs et à
espèces végétales en fonction de leur aire géo-
du littoral atlantique. Parmi ces espèces médi-
tition. Entre Noirmoutier et l’embouchure de
veloppées par les végétaux en réaction aux
est une réponse à la sécheresse qui est déployée
graines, fougères) adaptées à une forte em-
graphique générale de répartition. La flore du
terranéo-atlantiques figurent, par exemple, le
la Loire, d’autres plantes atteignent leur limite
contraintes environnementales imposées par
par des plantes comme la spergulaire des
preinte marine. La singularité des conditions
littoral des Pays de la Loire se caractérise ainsi
lis de mer (Pancratium maritimum), le diotis
nord-occidentale : c’est le cas de l’angélique des
des conditions de vie sévères. La sécheresse de
rochers (Spergularia rupicola), l’inule fausse-
écologiques qui règnent sur le littoral (na-
par un lot d’espèces qualifiées d’atlantiques,
maritime (Otanthus maritimus) ou la luzerne
estuaires (Angelica heterocarpa) ou de l’alysson
certains substrats, la présence de sel, l’action du
criste (Inula crithmoides) ou la criste marine
ture du substrat, submersion par les marées,
qui sont cantonnées à la bordure océanique
marine (Medicago marina). On peut également
des champs (Alyssum minus). Enfin, une der-
vent, les remaniements constants du sable ou
(Crithmum maritimum) qui peuplent les falaises,
influence du sel, climat) explique l’existence
du continent européen, de l’Espagne à la
mentionner l’oseille tête-de-bœuf (Rumex buce-
nière étape dans l’appauvrissement de la flore
encore l’alternance des cycles de marées sélec-
ou par l’orpin âcre (Sedum acre), dans les dunes.
d’une flore spécifique, qui lui est inféodée.
Norvège,
îles
phalophorus), qui atteint la Gironde mais pos-
méridionale littorale en Pays de la Loire est
tionnent sur le littoral une flore spécialisée qui
La cuticule épaisse qui revêt les feuilles et les
incluant
en
totalité
les
La façade littorale de la région des
britanniques. Parmi ces plantes atlantiques,
sède une micro-aire sur l’île d’Yeu en extension
marquée par l’estuaire de la Vilaine, qui n’est,
présente de nombreuses adaptations, qu’elles
tiges et leur confère un aspect luisant limite
Pays de la Loire tire son intérêt floristique
on compte quelques espèces propres à la façade
récente sur l’île de Noirmoutier.
par exemple, pas dépassé par la croix de Malte
soient physiologiques, morphologiques ou phé-
les déperditions en eau des tissus végétaux par
de la juxtaposition de trois cortèges floris-
atlantique française (endémiques), comme le
La continuité du linéaire côtier le long de la
(Tribulus terrestris), l’althénie filiforme (Althenia
nologiques ( jouant, dans ce dernier cas, sur
transpiration. Le revêtement pileux du diotis
tiques appartenant aux trois types de côtes
gaillet des sables (Galium arenarium) ou le
façade atlantique constitue un corridor écolo-
filiformis) ou le faux cresson de Thore (Thorella
leur période de développement). Ces différents
maritime (Otanthus maritimus), de la giroflée
que sont les milieux sableux, les milieux va-
cynoglosse des dunes (Omphalodes littoralis).
gique qui permet des courants floristiques dont
verticillatinundata), et à partir duquel de nom-
mécanismes adaptatifs font parfois converger
des dunes (Matthiola sinuata), de l’immortelle
seux et les milieux rocheux. Le substrat est,
D’autres espèces, appelées ibéro-atlantiques,
le rôle a été important dans l’histoire du peu-
breuses autres espèces se raréfient : le silène de
morphologiquement des espèces soumises aux
(Helichrysum stoechas) ou de la luzerne marine
en effet, un facteur de diversité important
ont une aire de répartition mondiale à peine
plement de la flore des côtes du Nord-Ouest de
Porto (Silene portensis), la vesce fausse gesse
mêmes facteurs écologiques, alors qu’elles sont
(Medicago marina), qui se rencontrent dans les
pour la flore qui détermine des assemblages
moins restreinte qui se partage entre les côtes
la France et qui font également l’objet de mou-
(Vicia lathyroides), l’inule fausse-criste (Inula
très éloignées dans la classification botanique.
dunes, a une fonction équivalente. Une autre
d’espèces
commu-
du nord-ouest de la péninsule Ibérique et celles
vements actuels. Il existe, selon Robert Corillion
crithmoides), l’armoise de Lloyd (Artemisia cam-
Exposées toutes les deux aux embruns sur les ro-
stratégie consiste à réduire la surface des
nautés propres à chacun de ces faciès
végétales
réunies
en
de l’Ouest de la France. C’est le cas de la linaire
(1971), une véritable « voie littorale » traversée
pestris subsp. maritima), l’arroche des sables
chers maritimes, où elles se côtoient, une Apia-
feuilles, qui deviennent effilées comme chez l’ar-
côtiers. De sorte qu’il conviendrait plutôt,
des sables (Linaria arenaria), présente de
par un courant de pénétration et de migration
(Atriplex laciniata), l’arroche littorale (Atriplex
cée (Ombellifère), la criste marine (Crithmum
mérie maritime (Armeria maritima), s’enroulent
comme le font les géomorphologues, d’em-
la Gironde à la Manche ainsi que dans une
de la flore d’origine méridionale vers le nord, à
littoralis), etc.
maritimum) et une Astéracée (Composée), l’inule
sur elles-mêmes (exemple de l’oyat, Ammophila
ployer le pluriel, en évoquant des flores litto-
micro-aire en Galice.
partir d’un important foyer floristique centré sur
Au nord des limites des Pays de la Loire, le
fausse-criste (Inula crithmoides), présentent,
arenaria), se transforment en épines (ajonc
D’un point de vue phytogéographique, la
le Bassin aquitain, notamment les Charentes. De
phénomène d’appauvrissement se poursuit gra-
par exemple, des feuillages charnus d’allure très
d’Europe, Ulex europaeus) ou en écailles (tama-
Bien que le littoral puisse être comparé à
flore du littoral des Pays de la Loire présente
la Loire jusqu’au Cotentin, ce phytogéographe a
duellement en Bretagne et en basse Normandie
semblable.
ris, Tamarix gallica). En milieu dunaire, d’autres
une frontière entre le milieu marin et le milieu
l’autre particularité de posséder un fort contin-
décrit un échelonnement des espèces à carac-
jusque sur les côtes de la Manche. Un nombre im-
continental, cette ligne de contact est tout
gent
tère méridional qui jalonne l’appauvrissement
portant de ces espèces méridionales qui dispa-
sauf une ligne de démarcation figée. C’est,
viennent
typiquement
progressif du cortège des espèces méridionales
raissent ou se raréfient plus au nord se trouvent
La relative faiblesse des précipitations sur le litto-
atlantique. La proximité de l’océan Atlantique
vers le nord. À cette échelle, le littoral des Pays
sur les rivages des Pays de la Loire et participent
plus humides. Le panicaut des dunes (Eryngium
au contraire, une limite mobile qui fluctue
ral est amplifiée dans certaines conditions par la
crée des conditions climatiques très locales le
de la Loire s’inscrit dans une zone géographique
au fond de la flore littorale de la région :
maritimum) et l’euphorbe des dunes (Euphorbia
deux fois par jour au rythme des marées, mais
présence d’un substrat très drainant, caractérisé
paralias) présentent ainsi des racines pivotantes
aussi suivant des cycles saisonniers (tempêtes
long des côtes de Loire-Atlantique et de Vendée
encore placée sous une forte influence méridio-
l’armérie des sables (Armeria alliacea), la giro-
par de très faibles réserves en eau, dans lequel
qui se caractérisent par un adoucissement des
nale, en comparaison des côtes situées plus au
flée des dunes (Matthiola sinuata), l’immortelle
qui peuvent s’enfoncer jusqu’à 2 ou 3 mètres de
hivernales, marées d’équinoxe) et, enfin, en
les plantes sont sujettes à une période de séche-
températures moyennes annuelles : aux en-
nord, en particulier à partir du Finistère, où de
des dunes (Helichrysum stoechas), la franké-
profondeur. Chez le corynéphore (Corynephorus
fonction de pas de temps plus longs, par le jeu
resse estivale. C’est le cas des sables dunaires,
virons de 12 °C sur l’ensemble du littoral de la
nombreuses espèces disparaissent ou se raré-
nie lisse (Frankenia laevis), la soude ligneuse
canescens), le système racinaire est au contraire
des processus d’érosion ou de sédimentation
dont la capacité de rétention en eau est quasi
superficiel, et constitué d’un réseau de racines
qui redessinent les côtes. Ce caractère instable
région, les valeurs maximales sont atteintes à
fient. Ces observations sont à mettre en relation
(Sueda vera)…
nulle et qui sont susceptibles de s’échauffer for-
l’île d’Yeu (environ 12,5 °C de moyenne annuelle)
avec l’existence d’un climat thermo-atlantique
La « voie littorale » fonctionne également
en faisceau très dense, capables d’exploiter la
dans le temps se conjugue à une variabilité
tement au soleil, tout particulièrement les sables
qui ne connaît, par ailleurs, qu’une douzaine de
du Morbihan jusqu’aux Pyrénées-Atlantiques
en sens inverse, avec une pénétration d’espèces
moindre humidité du sable.
dans l’espace au travers d’une perte d’influence
fixés de la dune « grise » qui, étant assombris par
jours de gelée par an. L’ensoleillement est aussi
et d’une variation climatique marquée par une
nordiques vers le sud, qui est, cependant, loin
Une autre forme d’adaptation à la séche-
plus ou moins rapide des contraintes liées
la matière organique, absorbent plus fortement
au milieu marin, au fur et à mesure que l’on
privilégié sur le littoral grâce à des effets de
période de sécheresse estivale qui se manifeste
de présenter la même intensité que le courant
resse réside dans une stratégie d’évitement
le rayonnement solaire. C’est également le cas
brise de mer qui chassent les nuages. Pour cette
suivant laquelle la plante réalise son cycle bio-
s’éloigne du rivage.
entre Loire et Gironde. La durée d’insolation est
méridional. Cette influence nordique est néan-
des falaises maritimes, dans lesquelles les sols se
raison, les précipitations y sont plus faibles
effectivement très favorable sur les côtes de la
moins perceptible sur le littoral des Pays de la
logique avant que la période sèche défavorable
Il est, par conséquent, très difficile de dé-
limitent à une mince couche de matériaux fins
qu’à l’intérieur des terres. Par exemple, sur une
Vendée et particulièrement aux Sables-d’Olonne,
Loire à travers la présence d’espèces comme
n’intervienne. Les espèces annuelles comme la
limiter strictement un territoire littoral. En
accumulés dans les fissures, à partir de la désa-
tout état de cause, la bande côtière placée
distance de quelque 60 kilomètres entre Les
où elle dépasse les 2 100 heures par an.
l’arroche de Babington (Atriplex glabriuscula),
linaire des sables (Linaria arenaria) profitent
grégation de la roche mère et de la décomposi-
Sables-d’Olonne et le centre de la Vendée, les
L’influence méridionale est la plus forte
en Vendée, ou de la pyrole à feuilles longues
du printemps, au cours duquel le sable
franchement sous l’influence de la mer n’a
tion de matière organique, et qui laissent s’écou-
températures moyennes annuelles s’abaissent
jusqu’à l’île de Noirmoutier, qui constitue un
(Pyrola rotundifolia subsp. maritima), nouvelle-
est encore un peu humide, et achèvent leur
généralement pas plus de quelques centaines
ler l’eau très rapidement après chaque pluie. Les
de plus de 1 °C tandis que la pluviosité s’accroît
premier jalon d’appauvrissement avec entre
ment découverte sur la presqu’île du Croisic, en
court cycle de vie avant la période de séche-
de mètres de profondeur vers l’intérieur des
vents, fréquents sur les côtes, accusent par leur
de près de 300 millimètres.
autres le silène de Thore (Silene vulgaris subsp.
Loire-Atlantique.
resse sévère, durant laquelle elles survivent à
terres.
action desséchante l’aridité de ces milieux.
l’état de graines. Des espèces vivaces comme
rales en relation avec des littoraux.
94
303 / NA 103 / 08
d’espèces
d’origine
enrichir
méridionale, qui
l’élément
Adaptations à la sécheresse
végétaux possèdent un appareil souterrain très profond qui leur permet d’atteindre des couches
95
1
Allium sphaerocephalum, dune fixée, « dune grise ». Cl. B. Renoux.
la romulée à petites fleurs (Romulea columnae
hydrique réellement fort ou prolongé. On
à la manière de draperies dont les plis ondulent
subsp. columnae) ont elles aussi une floraison
rencontre la succulence chez les différentes
transversalement au vent. Derrière les premiers
très précoce au premier printemps, et subsistent
espèces de salicornes (genre Salicornia), chez
rangs d’arbustes véritablement nanifiés, les ra-
ensuite sous forme de bulbes.
les soudes (genres Suaeda et Salsola) ou chez
meaux des rangées suivantes s’élèvent progres-
l’aster maritime (Aster tripolium).
sivement. Les anémomorphoses ne résultent
Adaptations à la salinité
Une alternative consiste à rejeter du sel
pas d’une action éolienne de nature mécanique,
Le chlorure de sodium (NaCl) est généralement
à l’extérieur des tissus par l’intermédiaire de
qui infléchirait la pousse des végétaux, mais
toxique pour les tissus des végétaux supérieurs.
glandes qui assurent l’excrétion du chlorure
d’une nécrose des jeunes pousses exposées aux
La betterave maritime (Beta vulgaris subsp. ma-
de sodium. Chez les lavandes de mer (Limo-
embruns que le vent projette sur les plantes.
ritima) fait cependant exception et démontre
nium ssp.), la spartine maritime (Spartina ma-
De la même façon, on observe souvent des
une véritable affinité pour ce sel, en révélant une
ritima) ou la frankénie lisse (Frankenia laevis),
plantes dont les parties exposées à la côte sont
meilleure croissance en sa présence. En fait, la
ces glandes sont épidermiques, tandis que
brûlées, en raison d’une action conjointe des
plupart des autres végétaux supérieurs capables
chez les arroches (genre Atriplex) ou l’absinthe
vents et des embruns. Dans ces conditions, les
de vivre en milieu salé (appelés halophytes ou
de mer (Artemisia maritima), elles se trouvent
végétaux à port couché (prostré) sont favorisés.
plantes halophiles) tolèrent le sel par différents
au niveau racinaire.
Parfois, il s’agit de simples accomodats, c’est-à-
mécanismes de résistance à sa présence
En milieu dunaire ou rocheux, l’influence
dire de formes dues au vent, pour lesquelles les
dans l’environnement. On constate souvent,
du sel est véhiculée par les embruns et décroît
individus qui sont expérimentalement mis en
d’ailleurs, qu’ils germent à la faveur de condi-
rapidement lorsqu’on s’éloigne du front de mer.
culture en situation abritée reprennent un port
tions adoucies et ne développent que par la
Ce sont donc surtout les premières ceintures de
dressé normal. Dans d’autres cas, les modifica-
suite une tolérance à des conditions plus salées.
végétation qui sont marquées par ce facteur. En
tions ne sont pas individuelles, mais fixées de
Beaucoup de ces halophytes appartiennent à la
haut de plage, on retrouve des plantes grasses
manière héréditaire à l’échelle de populations.
famille des Chénopodiacées (genres Beta, Atri-
comme la roquette de mer (Cakile maritima), la
Elles correspondent alors à des écotypes prostrés
plex, Halimione, Salicornia, Suaeda, Salsola).
soude brûlée (Salsola kali) ou le pourpier de mer
dont les caractères sont inscrits génétiquement
Les plantes halophiles sont particulièrement
(Honckenia peploides). Sur les côtes rocheuses,
et se maintiennent même s’ils sont soustraits
bien représentées sur les côtes vaseuses pério-
les premiers végétaux supérieurs situés au
par expérimentation à l’influence du vent. Elles
diquement inondées par les marées, où elles
contact supérieur des ceintures d’algues et des
constituent ce que l’on appelle des microtaxons
sont à la base de la végétation. Sur les côtes sa-
tapis de lichens qui se développent sous les plus
littoraux, parmi lesquels on peut citer sur les côtes
bleuses et rocheuses, en revanche, les végétaux
hautes mers de vives-eaux endurent une asper-
rocheuses la très rare sous-espèce prostrée
supérieurs ont une répartition strictement ter-
sion régulière et massive par les embruns et
du genêt des teinturiers (Genista tinctoria subsp.
restre puisqu’ils ne descendent pas au-dessous
correspondent à un étage de végétation baptisé
prostrata) et en milieu sableux l’asperge pros-
du niveau des hautes mers de vives-eaux, cédant
« aérohalin ». On y rencontre de nouveau des
trée (Asparagus officinalis subsp. prostratus).
la place, notamment sur les bas niveaux rocheux,
espèces succulentes : la spergulaire des rochers
à des peuplements d’algues marines. Sur les
(Spergularia rupicola), le silène maritime (Silene
vases salées, les halophytes baignent plus ou
vulgaris subsp. maritima) ou la criste marine
moins régulièrement dans l’eau salée et doivent
(Crithmum maritimum), mais aussi des lavandes
Dans les milieux dunaires, les vents entraînent
faire face à une plus ou moins grande pénétra-
de mer (genre Limonium) et l’armérie maritime
des grains de sable (on parle de déflation) qui
tion du sel dans leurs cellules.
(Armeria maritima), qui excrètent le sel.
peuvent blesser les organes aériens des végé-
La succulence est un moyen développé très fréquemment par les halophytes pour résister
Adaptations à l’action du vent
Adaptations aux remaniements du substrat sableux
taux. Là encore, le développement d’une cuticule épaisse, comme chez l’oyat (Ammophila
à l’accumulation de sel dans la plante. Elle per-
Les vents, fréquents et souvent forts en raison
arenaria) et le chardon des dunes (Eryngium
met de réguler la concentration saline interne
de l’absence d’obstacle au déplacement de l’air,
maritimum) ou la pilosité, comme chez la diotis
des cellules par augmentation de la quantité
impriment une physionomie très particulière
maritime (Otanthus maritimus) ou la luzerne
d’eau retenue. Orientée vers une économie de
aux premières rangées de plantes ligneuses
l’eau du fait également que le sel gêne l’alimen-
marine (Medicago marina), sont des protections
situées en bord de mer : les anémomorphoses.
naturelles contre ce phénomène.
tation hydrique, la morphologie des plantes
Ces déformations plissées sont orientées selon
Les sables dunaires sont caractérisés par
halophiles rappelle donc celle des plantes
la direction des vents dominants et modèlent
adaptées à la sécheresse. Les halophytes ne
une forte mobilité de leur substrat. Les mouve-
le manteau forestier des chênes verts (Quer-
ments de sable les plus importants se font sous
peuvent pourtant pas résister à un déficit
cus ilex) ou parfois des ormes (Ulmus minor),
l’effet de la mer. Le haut de plage qui se trouve
96
303 / NA 103 / 08
97
L’angélique des estuaires
L’angélique est une grande ombellifère qui doit
sur tout le territoire national de détruire, de col-
En Loire-Atlantique, en 2006, 100 espèces
son nom à de prétendues propriétés surnatu-
porter, de mettre en vente, de vendre ou d’ache-
étaient présumées disparues, 111 étaient en
relles et à la liqueur que l’on fabrique à partir
ter et d’utiliser tout ou partie des spécimens
danger de disparition et 85 vulnérables. Les
de l’espèce cultivée, l’angélique officinale
sauvages de ces espèces sauvages présents
plantes disparaissent parce que leur habitat se
(Angelica archangelica).
sur le territoire national, à l’exception des
dégrade progressivement, soit par abandon du
L’angélique à fruits variés – traduction
parcelles habituellement cultivées ». Son aire de
mode de gestion durable favorisant la biodiver-
littérale du latin Angelica heterocarpa – a la
développement, dans l’estuaire de la Loire, a été
sité, soit par destruction directe ou indirecte par
particularité de s’implanter sur les berges va-
intégrée dans un site Natura 2000, ce réseau
des aménagements ou des pollutions. Face à
seuses soumises à marée des estuaires, c’est
européen d’espaces naturels qui vise à assurer
cette crise globale de la biodiversité, une prise
pourquoi elle est plus communément appelée
la conservation des habitats et espèces rares ou
de conscience a eu lieu au sommet de la Terre de
en français Angélique des estuaires (Angelica
menacées1.
Rio, en 1992, puis au sommet de Johannesburg
heterocarpa Lloyd). Elle peut atteindre deux
Les maîtres d’ouvrage et aménageurs ont
en 2002. Au niveau européen, la France s’est en-
mètres de haut, ses feuilles sont composées
souvent quelques difficultés à comprendre l’im-
gagée, avec les autres pays membres, à enrayer
et ses fleurs blanches en ombelle se déploient
portance de préserver une espèce qui ne pré-
la perte de biodiversité, à travers notamment la
à l’extrémité de ses tiges, au milieu de l’été
sente pas de caractéristiques exceptionnelles et
mise en place du réseau Natura 2000. En février
dans notre région. James Lloyd, le grand bota-
somme toute abondante localement, face à des
2004, elle a adopté une stratégie nationale pour
niste anglais, installé à Nantes, qui a arpenté
enjeux de développement économique et urbain.
la biodiversité, avec pour objectif de stopper le
tout l’Ouest de la France pour nous offrir l’une
C’est toute la question de la préservation de la
déclin de la diversité biologique d’ici 2010. Une
des plus anciennes flores de notre région, l’a
biodiversité qui est posée, celle de la préserva-
charte constitutionnelle de l’environnement a
découverte en 1859 sur les berges de Loire, au
tion de l’ensemble du patrimoine naturel que
été adoptée en février 2005 par le congrès. Plus
débarcadère du bac au Pellerin. L’exemplaire de
nous devons léguer aux générations futures.
récemment, le 26 février 2008, dans le cadre du
référence, dénommé « lectotype », est précieuse-
Les plantes participent à l’équilibre écolo-
Grenelle de l’environnement, un premier outil
ment conservé au Muséum d’histoire naturelle
gique des écosystèmes qui assurent des
opérationnel, la Fondation scientifique pour la
d’Angers, avec l’ensemble des 14 000 planches
fonctions indispensables à notre survie (ini-
biodiversité, a été créé. Ses fonctions seront de
d’herbier que Lloyd lui a léguées par testament,
tiation des chaînes alimentaires, production
coordonner la recherche et de mener une mission
à la suite d’un duel perdu avec le directeur des
d’oxygène, rétention et épuration des eaux…).
d’information auprès du grand public.
Jardins des plantes de Nantes.
Elles constituent également une ressource bio-
Mais l’État ne peut pas tout, et la protection
Au-delà de ses caractéristiques physiques,
logique précieuse et une réserve de gènes im-
purement réglementaire des espèces végétales
qui pour certains n’ont rien d’exceptionnel, la
portante. Certaines ont des usages alimentaires,
ne suffit pas. Au-delà de l’impératif légal, il existe
particularité de cette plante est qu’elle est rare
d’autres produisent des molécules aux propriétés
un véritable enjeu qui nécessite de ne pas se
et vulnérable. Rare, parce qu’elle n’existe au
thérapeutiques ou aromatiques : 65 % des pro-
contenter de constater la rareté ou la disparition
monde que dans les estuaires de l’Atlantique. La
duits de l’industrie pharmaceutique sont élabo-
d’une espèce, mais demande la mise en œuvre
population en Loire représente 25 % de la popu-
rés à partir de substances chimiques extraites
de mesures actives pour assurer son maintien. La
lation mondiale ! Vulnérable, car les estuaires
de plantes dont la plupart sont sauvages.
démarche de plan de conservation répond à cette
sont des lieux de développement économique
Des analyses ont montré que l’angélique des
attente. Elle concerne la préservation d’une
et urbain liés au fleuve, et pas toujours compa-
estuaires est très riche en composés chimiques
espèce rare et menacée et vise à maintenir ou
tibles avec la protection de l’environnement !
et qu’elle possède un fort intérêt scientifique
développer ses populations dans son environ-
Ainsi, notre angélique est menacée de régres-
en raison de la présence, dans ses différents or-
nement naturel. Elle s’appuie sur un document
sion, voire de disparition ! C’est pourquoi elle
ganes, de trente-huit molécules inconnues qui
élaboré par des naturalistes qui font une synthèse
est protégée par des textes réglementaires.
pourraient présenter une utilité pour l’homme.
des connaissances générales disponibles sur
Au niveau national, l’angélique des estuaires
Les espèces ont souvent mis plusieurs centaines
l’espèce, un diagnostic de l’état de conservation
fait partie des quelque 100 espèces végétales
de milliers d’années à se façonner. Or, quelques
des populations à l’intérieur des différentes
protégées sur l’ensemble du territoire français
décennies suffisent pour provoquer une dispa-
stations recensées, et enfin élaborent des pré-
par l’arrêté interministériel du 20 janvier 1982,
rition brutale et irréversible : sur les quelque
conisations concrètes pour la gestion favorable
modifié par les arrêtés du 15 septembre 1982 et
350 000 espèces végétales estimées dans le
de l’espèce, le plan d’action.
du 31 août 1995. Elle est classée dans l’annexe I,
monde, 60 000 sont actuellement menacées,
Le plan d’action énumère des objectifs en
qui regroupe les taxons faisant l’objet d’une
dont 400 en France ! Environ 270 d’entre elles ont
matière d’amélioration des connaissances, de
protection totale, interdisant « en tout temps et
disparu de la planète au cours du siècle dernier.
conservation et de prise en compte de l’espèce,
110
303 / NA 103 / 08
111
Plante & Cité
Le centre national Plante & Cité, plate-forme
pour la conduite d’une analyse paysagère…) ;
d’expérimentations et de conseils techniques
la mise en place des projets 2008 selon les diffé-
spécialisée dans le domaine des espaces verts,
rents axes : PBI en espaces verts, diversification
a été initié en 2006 avec l’appui des centres de
végétale, référentiel d’indicateurs économiques
recherche (INH, INRA), des représentants des col-
et environnementaux, amélioration de la ferti-
lectivités territoriales (AITF, AFDJEVP, ATTF, CNFPT,
lité des sols urbains, outils de planification du
FN CAUE) et des entreprises (ASTREDHOR, UNEP).
territoire, toitures végétalisées…
Ses missions principales sont d’organiser et d’animer des programmes d’études et d’expérimentations sur des problématiques de terrain en espaces verts, de réaliser une veille technique et de mutualiser les connaissances au service des collectivités territoriales et entreprises adhérentes. Recherche et expérimentation s’articulent autour de six thèmes : agronomie et artificialisation des sols urbains ; gestion sanitaire et protection biologique intégrée ; innovation et diversification végétale ; économie et gestion des services d’espaces verts ; écologie urbaine et gestion de la biodiversité ; paysage urbain. Son fonctionnement et son financement reposent à terme sur l’adhésion des collectivités territoriales et des entreprises. En contrepartie, les adhérents intègrent un réseau d’échanges
Camille Jouglet
Pour en savoir plus sur nos activités et les lieux où nous rencontrer : Salon Citexpo, le salon des collectivités Le 16 / 12 / 2008 de 8h30 à 17h30 5 ème rencontres du végétal Angers- Institut National d'Horticulture et de Paysage Du 13/01/2009 au 14/01/2009 Plante & Cité Lille, Grand Palais Tél. : 02 41 72 17 37 contact@plante-et-cite.fr www.plante-et-cite.fr
de connaissances, bénéficient de références techniques validées, peuvent participer à des études et des expérimentations conduites en réseau et animées par Plante & Cité, deviennent
1
utilisateurs des services documentaires accessibles sur un extranet : fiches de synthèse sur des techniques nouvelles en matière de plantation, de gestion de l’eau, des intrants, de la planification et de l’aménagement durable des villes ; comptes rendus d’études et d’expérimentations déjà mises en œuvre par Plante & Cité ; fiches sur des réalisations originales conduites par d’autres collectivités ou entreprises ; prescriptions techniques, pour aider la rédaction de CCTP ; forum d’échanges réservé aux adhérents. Pour 2008, Plante & Cité s’est donné trois buts : la mise en ligne du site définitif et des bases de données documentaires ; la valorisation des 1
116
303 / NA 103 / 08
Espace vert en gestion différenciée, Cholet, Maine-et-Loire. Cl. B. Renoux.
essais et études conduits en 2007 (typologie des structures arbustives, recensement du patrimoine arboré et diversification végétale, mélange dans les fosses de plantation,recueil des références
117
végé tal ET ES PACE UR BAIN 1
120
303 / NA 103 / 08
Erigeron canadensis et jeune Platanus acerifolia profitant d’une anfractuosité, prémice d’une possible forêt urbaine. Cl. B. Renoux.
121
Les grands parcs nantais
1
Arrivé au service des Espaces verts de Nantes
lieu de restauration, d’un point d’accueil et de
Le parc devient également plus ludique : le
en 1985, j’ai eu ainsi la chance de participer aux
vente au rez-de-chaussée du manoir. Tous ces
petit jardin d’enfants créé avant 1960 est toujours
grands changements qui nous ont conduits à
nouveaux aménagements visent à conforter le
très fréquenté, et sa pataugeoire a hérité d’un en-
gérer l’un des plus beaux patrimoines en parcs,
jardin comme la locomotive du développement
tourage en granit provenant de l’ancien bassin de
jardins et espaces naturels de France. Les amélio-
touristique des espaces verts nantais.
la place de la Duchesse-Anne. La piste de baby-
rations auront été à la fois quantitatives, la surface des espaces verts passant de 415 hectares
Jardin coréen, parc du Grand Blottereau, Nantes. Cl. B. Renoux.
bob et le manège sont arrivés plus récemment, et Le parc de Procé
ont permis d’animer un espace plus ombragé.
en 1977 à 1 030 hectares aujourd’hui, et qualita-
Ce vaste parc aménagé « à la campagne » à la
tives, avec le désir constant de l’ensemble des
fin du xviiie siècle, cédé à la Ville par la famille
jardiniers d’améliorer au quotidien le cadre de
Caille en 1912, est aujourd’hui le plus fréquenté.
C’est certainement la tempête de 1989 qui a
vie des Nantais.
Chaque week-end ensoleillé, des milliers de vi-
déclenché le vaste programme de réaménage-
siteurs flânent dans les allées ou s’allongent
ment de cette partie du parc. En effet, après la
sur l’herbe. Ce principe de liberté, avec de vertes
chute de nombreux arbres autour du ruisseau
De 1984 à 2001, le directeur du SEVE (service des
pelouses accessibles, le rend particulièrement
de la Patouillerie, Roland Jancel a proposé de re-
Espaces verts et de l’Environnement), Roland
attractif. Les derniers aménagements ont
créer dans ce secteur une vaste rocaille alpine,
Jancel, a toujours voulu améliorer les grands
conforté son esprit de parc « à l’anglaise ». En
avec pour objectif de mieux maîtriser le flux
parcs nantais. Le principe général était de déve-
1976, des mixed borders ont été dessinés le long
impétueux du ruisseau en créant des zones de
lopper leur spécificité en privilégiant une thé-
de la Chézine, en un patchwork chamarré de
cascades et des plans d’eau.
matique sur chacun des sites. Ainsi les Nantais
plantes vivaces où se mêlent les hémérocalles
Mes nombreuses randonnées en montagne
peuvent-ils apprécier aujourd’hui des espaces
et les bouquets. Une rocaille a ensuite été amé-
et ma connaissance de la géologie et de la
très différents à la fois dans leur fonctionne-
nagée dans le bas du parc. Rhododendrons, aza-
flore alpines m’ont été très utiles pour lancer
Le parc a reçu de nouveaux aménagements
coréens en France et tout particulièrement
ment et leur aménagement, ce qui permet de
lées, magnolias, cornouillers et érables du Japon
cette construction de pierre, dont nous vou-
Cette propriété, léguée à la Ville par Thomas
en cette fin de siècle, dans la volonté de confor-
Ju Pavageau, qui nous a accompagnés, avec
varier les promenades dominicales et de s’éva-
viennent enrichir les collections du parc autour du
lions qu’elle paraisse totalement naturelle. Les
Dobrée en 1905, a connu un xxe siècle très per-
ter l’idée initiale du legs de Thomas Dobrée :
Françoise Barret et Jean-François Cesbron, dans
der sans franchir les limites de la ville…
nouveau cheminement qui serpente au-dessus
jardiniers du parc, autour d’André Hode et Loïc
turbé. Elle abrita une École d’agronomie coloniale
faire découvrir les plantes utilitaires du monde
son pays natal. Elle nous a aidés à réaliser ce
d’un petit bassin. Le dallage en barrettes d’ar-
Teffo, ont réussi à mener ce chantier à bien,
au début du siècle, mais cette vocation n’a pas
entier. La partie méditerranéenne lance le prin-
projet partagé. Le pavillon est inspiré d’un
doise de Nozay a été réalisé par les jardiniers
malgré des conditions parfois difficiles, au fond
survécu à la Première Guerre mondiale. Pendant
cipe, et nous constituons une vaste rocaille
jardin du palais royal de Séoul. L’ensemble du
C’est un peu la « cathédrale » du SEVE ; dessiné
du parc, qui ont rapidement excellé dans ce
d’un lieu souvent inondé. Ils ont ainsi progres-
la Seconde Guerre mondiale, le château et ses dé-
comme à la Gaudinière ; seule la couleur de la
jardin ressemble à un paysage coréen typique
par Dominique Noisette, il est ouvert au public
domaine particulier. Ce parc est particulière-
sivement atteint le niveau des anciens maîtres
pendances sont occupés par les Allemands ; après
pierre change et le rose prédomine, avec un
du Sud de la péninsule, où poussent des plantes
depuis 1865. En perpétuelle amélioration, il est la
ment beau au printemps, avec un coteau très
rocailleurs, avec l’aide d’un chauffeur de pelle
la Libération, des baraquements de fortune sont
schiste découvert à Saint-Just, car il s’agit de
d’intérêt agronomique essentiel, comme le riz
référence de l’horticulture dans l’Ouest. Il fut vi-
fleuri, clin d’œil aux parcs de Cornouailles, en
atypique, Jean-Pierre Leray, dont le coup d’œil
installés dans le parc pour reloger les habitants
rappeler la teinte des paysages de l’Esterel, de
et le thé.
sité récemment par nos confrères britanniques,
Angleterre, très appréciés des concepteurs nan-
unique a permis de positionner chaque bloc en
suite aux bombardements. Il faudra attendre
la Corse, de l’Andalousie ou de la côte nord-afri-
En 2010 naîtra le vallon du Drakensberg,
qui n’hésitèrent pas à le consacrer comme l’un
tais de l’époque (Paul Plantiveau, André Vollet,
l’intégrant au mieux. Les végétaux sont ici plan-
1974 pour donner un nouveau dessin aux allées
caine. Ce travail a été réalisé en totale synergie
qui accueillera la flore d’Afrique du Sud avec la
des plus beaux et des mieux entretenus de
Michel Bouyer).
L’évolution des grands parcs nantais
Le Jardin des plantes
Le parc de la Gaudinière
1
Le parc du Grand Blottereau
tés plus librement. Nous anticipions un mou-
du parc et reconstituer un parterre à la française
avec le personnel du parc et les moyens du ser-
participation de nos amis des services d’espaces
France. Claude Figureau, directeur du Jardin
L’enrichissement du parc se poursuit avec
vement nouveau où la notion de « mauvaise
face au château. Les serres d’agronomie, rebapti-
vice. Lavandes, romarins, cistes, chênes-lièges,
verts de Durban, ville jumelée avec Nantes.
jusqu’en avril 2008, aura consacré toute son
l’aménagement, dans la partie nord, d’un sen-
herbe » n’existe plus. Des milliers de bulbes
sées « tropicales », ont été totalement restaurées
amandiers et oliviers prospèrent dans un cadre
L’inauguration aura lieu pendant la XXIe Folie
énergie à le hisser à ce niveau, aidé en cela par
tier dallé permettant l’accès aux collections de
viennent également orner les pelouses, avec
et inaugurées en septembre 2000.
où le relief abrite du froid. Ainsi, au fond d’un
des plantes, un événement annuel incontour-
des jardiniers d’élite, dénommés aujourd’hui
dahlias et de fuchsias, le long du stade de Procé.
des variétés de jonquilles qui justifient le nom
Elles ont été agrandies et le pitchpin
« erg », sont blottis des lauriers-roses qui refleu-
nable pour tous les amateurs de jardins et de na-
« jardiniers botanistes ». La découpe des gazons
Le pavillon « mauresque » a été implanté en
de « Val d’or » (Orvault, étymologiquement) qui
vermoulu qui structurait les chapelles rem-
rissent chaque année.
ture du Grand Ouest ; cette fête des plantes née
est parfaite, les décors floraux somptueux mais
2000. Il provient des anciens salons Piou, route
a été donné au versant nord de la rivière.
placé par une structure métallique, le vitrage
Le parc connaît ensuite de nouveaux amé-
d’une initiative associative en 1987 est aujourd’hui
surtout la diversité végétale est impressionnante
de Paris. Roland Jancel a décidé de le sauver de
En 1992, la municipalité nantaise décide d’ac-
double permettant d’appréciables économies
nagements. La partie américaine vient prendre
une manifestation de référence nationale, un lieu
(près de 11 000 espèces et variétés réunies sur
la démolition et, avec l’aide de l’Atelier muni-
quérir la partie haute du parc avec son château,
d’énergie tout en améliorant la viabilité des
sa place autour des plans d’eau ; 2009 verra
d’échanges, de conseils et de passions.
7 hectares) ; elle est née de multiples échanges
cipal, a fait entreprendre sa restauration. Il est
nous donnant ainsi l’opportunité de retrouver
plantes, qui bénéficient maintenant d’un
les derniers aménagements, avec la plantation
de graines avec les jardins du monde entier.
vrai que le parc de Procé, ces dernières années,
l’emprise initiale de la propriété. La nouvelle
climat mieux régulé. C’est ainsi que, pour la
d’un champ de coton. La canne à sucre, elle, a
Parmi les dernières étapes, rappelons la restau-
a pris l’habitude de recevoir des « rescapés » re-
entrée nord permet un meilleur accès aux
première fois, certaines plantes présentes
déjà trouvé sa place.
ration complète du palmarium, qui accueille
marquables, vieux magnolias penchés, lilas des
Nantais et depuis le château, après quelques
depuis plus d’un siècle ont fleuri : le giroflier
Un des projets les plus passionnants à mettre
présence de l’Erdre, qui reflète les frondai-
une
d’épiphytes,
Indes centenaires ou statues de l’ancienne pois-
tailles d’éclaircie dans les arbres, on a à nouveau
déploie enfin ses jolies corolles orangées
en œuvre aura certainement été l’aménagement
sons magnifiques des vieux arbres de cette
la réouverture des cours municipaux de bota-
sonnerie Neptune, mises en scène au-dessus
vue sur la route de Rennes. Il reste à lui trouver
– c’est d’ailleurs le bouton floral qui donne le
du jardin coréen, la « colline de Suncheon ». Il
propriété. Son entretien et son aménagement
nique en 1998 et l’installation d’un nouveau
d’un miroir d’eau.
une nouvelle vocation.
fameux clou de girofle.
est né d’une amitié liée avec des ressortissants
tendent à restaurer avant tout la conception
122
collection
exceptionnelle
303 / NA 103 / 08
La Chantrerie
Le plus naturel de nos jardins bénéficie de la
123
Flore des villes, fleurs des champs
1
1
128
303 / NA 103 / 08
Papaver rhoeas, « coquelicot » et Lepidium virginicum, Nantes. Cl. B. Renoux.
La ville offre une sollicitation visuelle forte au
par ces intrusions campagnardes venues rompre
Inutile de parler de la pierre : chacun sait de quoi
travers des vitrines des magasins, de la publi-
avec ses lignes droites et ses surfaces nettes.
il s’agit. Revenons au béton, dont les constituants
cité, des enseignes de toutes sortes ; les lumières
Mais pour une plante ou un animal venant
principaux sont un broyat de pierre calcaire, du
très vives font que très souvent on déambule
de la campagne, qu’est-ce qu’une ville ? Si l’on
sable et du gravier. Ces constituants minéraux,
sans réellement prendre soin de regarder ce
se réfère au dictionnaire Larousse, le mot vient
une fois réunis et mélangés avec de l’eau, sont
qui est à nos pieds – seules les immondices
du latin villa, qui désignait une maison rurale !
moulés selon la forme désirée. En considérant
nous y incitent. Pour que la ville offre un spec-
Aujourd’hui c’est une agglomération dont la
une agglomération sous un autre angle, on peut
tacle où il n’est plus nécessaire de prendre des
majorité des habitants sont occupés par le
dire qu’il s’agit d’une colline constituée de blocs
précautions pour marcher, en dehors d’être
commerce, l’industrie ou l’administration. On
minéraux (roche ou béton) parcourue par des
attentif à la circulation, aux autres personnes
parle évidemment de mœurs des villes par op-
canyons (les rues) plus ou moins profonds et
qui circulent, elle doit être propre. Nous tirons
position aux mœurs de la campagne. Il y aurait
plus ou moins étroits. Ces canyons ensoleillés,
cette notion de la propreté de l’hygiénisme
donc des végétaux des campagnes aux mœurs
surchauffés, froids, humides, etc. forment un
initié par Pasteur, celui-ci ayant attiré notre
bien particulières, qui en formant des commu-
réseau qui offre des caractéristiques écolo-
attention sur le monde des microbes et leurs
nautés sont à l’origine de grandes formations
giques favorables à de nombreuses espèces vé-
conséquences sur notre santé. Notre société
végétales, forêts, landes, prairies, bocages, ma-
gétales. Parfois ces canyons s’élargissent pour
est donc microbophobe. Et par extension, tout
rais, etc. Ces ensembles constituent des pay-
former des espaces nettement plus ensoleillés
ce qui apparaît sur l’espace dédié à la circula-
sages structurés en « habitats » qui à leur tour
que l’on pourrait qualifier de vallées : ce sont
tion des automobiles et des piétons doit être
constituent les écosystèmes. Et puis, à l’opposé,
les grands boulevards. En général, ces canyons
nettoyé.
il y aurait les végétaux des villes qui auraient
et ces allées se réunissent en des point nodaux
Mais dans les fentes du macadam, dans les
des mœurs de citadins, ne constitueraient pas
pour former des places, ajoutant des conditions
joints des pavés, au pied et sur les vieux murs,
de formation végétale, ne se retrouveraient pas
écologiques supplémentaires liées à l’aridité, à
sur les monuments en pierre de taille, sur les toi-
non plus pour constituer des habitats et encore
la vitesse du vent et à bien d’autres facteurs.
tures, et en bien des endroits inconcevables se
moins des écosystèmes. Ces végétaux seraient
Presque toutes les agglomérations offrent
développent timidement, parcimonieusement,
là tout simplement pour embêter le citadin, in-
encore une autre catégorie de vallée, les vallées
un grand nombre d’espèces tenaces, adaptées,
soumis, bravant les produits, les machines, les
fluviales parcourues de ruisseaux, de rivières et
qui bravent en permanence cet interdit. Pour
roues des voitures, les pas des piétons, dans
même de fleuves.
bon nombre d’habitants des villes, elles sont
une espèce de résistance malsaine qui donne-
En un mot, nous avons en ville toutes les
le reflet du malpropre ! Des armées de canton-
rait à la ville un caractère d’abandon. Ces sau-
caractéristiques d’un grand écosystème consti-
niers s’y sont attaquées pendant des siècles,
vageonnes entraînent avec elles un cortège
tué d’un grand nombre de biotopes rocheux,
à coups de racloirs, de binettes, de râteaux,
d’espèces animales parfois tout aussi indési-
rocailleux, sablonneux, caillouteux et terreux.
de balais, mais tranquillement ces plantes
rables : des fourmis, des insectes butineurs (qui
Finalement, la ville peut être considérée d’un
s’adaptaient à la situation.
piquent), des moucherons, des papillons, des
point de vue écologique comme indispensable
Après la Seconde Guerre mondiale vient
limaces, des escargots… Et les choses en reste-
au maintien de certaines formes de vie liées au
la grande époque de la chimie. On disait alors
raient là si ces petites bêtes ne servaient pas
substrat rocheux.
que ce serait la fin des mauvaises herbes, à tel
de nourriture à d’autres animaux plus gros, des
La troisième composante, le goudron, est issue
point que l’on a créé dans les écoles d’agrono-
oiseaux et de petits mammifères. Alors pré-
de la dégradation de la matière végétale. Il est le
mie et d’horticulture des chaires de malherbo-
férons dans les villes la nature domestiquée,
résultat d’un raffinage, ses composants ont perdu
logie. Sans doute cela était-il justifié, lorsqu’on
contrôlée, faisons des jardins rectilignes avec des
les fractions polluantes du pétrole brut. D’ailleurs
a dû séparer dans les blés les graines de la
gazons bien taillés, des arbustes exotiques qu’il
des espèces végétales s’y trouvent parfaitement
nielle ou de la nigelle, toxiques. L’avènement de
faudra malgré tout entretenir, et si par hasard
bien : citons une plante connue dans le Sud de la
désherbants chimiques a révolutionné le net-
une mauvaise herbe des trottoirs favorisait
France, Psolarea bituminosa, une espèce des ro-
toyage des villes. Avec moins de cantonniers,
la reproduction des coccinelles, il serait bien
cailles qui se développe souvent dans le bitume
on pouvait obtenir des résultats très nette-
qu’elles viennent manger les pucerons des rosiers
ment supérieurs en épandant chaque année
du bord de la chaussée.
du jardin d’à côté, cela nous éviterait peut-être
une potion chimique au pied des arbres, sur les
d’avoir à les traiter !
Il est donc normal que des espèces végétales trouvent dans une ville des conditions favorables
trottoirs, dans les caniveaux, sur les terrains de
Mais envisageons les choses d’un autre point
à leur développement : il existe une flore des
sport, dans les allées et massifs… La ville avait
de vue : il y a trois constituants principaux pour
rues, des pieds des arbres, des vieux murs, des
enfin retrouvé un visage qui n’était pas perturbé
faire une ville : la pierre, le béton et le goudron.
terrains vagues. Les plantes de la campagne
129
Son fauve est fauvette.
Le jardineur
Il est fou, À vouloir, Mains perdues dans cette chose, Fou à se soucier de tous les bouts qui se tendent ; Sachant que cela doit être. Il est fou, Imagine : il ne lui reste plus qu’à faire. Punaisées là-haut dans les nuits, des étoiles Jalousent le doux balancement de ses multicolores cosmos. Œillet : l’œil y est, dit l’escargot, Genêt : je renais, dit le jaune. Il est complètement fou, Une lune observe qu’après son départ Il a déjà déplacé une montagne ainsi qu’une herbeuse présence. Son chapeau c’est papillons vers… Et rondes d’ailes, Alors : lotus ! Il y a un tas au fond, dit l’hibou, Où ? S’ébroue la brouette, Là, dit le grillon des neiges. Il est vraiment fou, À enfouir. Toyo, son serpent de dix-huit mètres, pleure dans l’arrosoir. Il sait que les framboises, les enfants et des lois existent. « Oenothera missoutiersis creusae », crie-t-il à ce petit bout de jaune, Puis il s’offre un bouquet de bleus et d’orange, Et regardez-le maintenant : il mange du noir et du violet. Il est décidément fou, À continuer. Et comme l’herbe se laisse faire et que beaucoup de fleurs l’aiment, Vouloir l’arrêter, c’est pelle perdue. À la fin, il se relève, il n’y a plus personne, Mais comme il croit à l’autre, Le vert croît avec lui. Et le vent au passage comme il en prend de la graine. Il dit le mot terre, Que l’on ne peut pas nier, Car c’est vrai, Ce soir, La terre est bleue Comme cette petite pomme qui flotte dans l’arrosoir. Et rose le soleil par le sépale de la trémière. Ah oui, j’allais oublier, Son œuvre aussi donne des vers, Et il sait fermer la boue. Qui n’aimerait ce fou ? Thierry Champigny
1
142
303 / NA 103 / 08
Power Flower, Cl. Thierry Champigny.
143
Les jardins partagés
Jardins familiaux, jardins partagés, parcs po-
qui a créé le premier jardin communautaire en
alimenter la réflexion sur l’agencement de ces
tagers, jardins collectifs : ces différentes ter-
1973, au cœur de Manhattan. Depuis, ce mou-
nouveaux potagers. D’une surface moyenne de
minologies recouvrent une pratique citadine
vement, la « green guerilla », basé sur l’écono-
150 mètres carrés, les parcelles sont plus petites
du jardinage en plein essor. On assiste en effet
mie informelle du jardinage et la reconquête
que par le passé ; si la dimension vivrière du
depuis une quinzaine d’années au renouveau
de l’espace public, a essaimé au Canada et en
jardin est moins présente, elle reste un élément
des jardins ouvriers : l’importance que prennent
particulier au Québec, puis en Amérique du Sud
attractif pour le jardinier. Le jardin ne fonc-
des valeurs s’appuyant sur la participation, la
et en Europe. On trouve des jardins réalisés par
tionne pas en vase clos : au cœur d’un quartier
citoyenneté active en matière d’environnement
les habitants au cœur de grandes métropoles
populaire, à la croisée des cités de Bellevue et
va de pair avec celles du monde ouvrier, solida-
comme Londres, Berlin, Bruxelles, Amsterdam,
Dervallières, les jardins de la Contrie déve-
rité, entraide et convivialité.
Paris, Lyon… Les municipalités ont accompagné
loppent des valeurs portées par les habitants
Les premières traces de jardins collectifs re-
cette demande avec des programmes visant à
qui y jardinent. On y parle semis, taille, plan-
montent au Moyen Âge. À proximité des villages,
cadrer les conditions de mise à disposition des
tation et récolte, autant que vie quotidienne,
ils contribuaient à l’autonomie alimentaire des
terrains et à encadrer, voire soutenir, les actions
actualité sociale ou convivialité.
habitants. Mais le véritable développement des
d’animation sociale ou d’éducation à l’environ-
Aujourd’hui, le jardinage est à la mode, un
jardins ouvriers a lieu au xixe siècle dans les
nement portées par les habitants au sein de ces
Français sur trois manie la bêche, et l’autopro-
régions industrielles de l’Europe. Il s’appuie sur
jardins ou plus largement sur l’espace public.
duction atteindrait 22 % de la consommation de
un mouvement catholique et social qui s’émeut
En France, c’est le Mouvement des jardins dans
fruits et légumes des ménages. Il est difficile de
de la condition ouvrière. Très vite repris par les
tous ses états, fondé par Éric Prédine, co-inven-
dénombrer avec précision l’ensemble des jardins
grandes entreprises qui mettent des terrains à
teur1 du concept du jardin au carré, qui reprend
collectifs de France. Ils peuvent être fédérés à
disposition des ouvriers, il est fortement teinté
la philosophie de la « green guerilla », fondée
l’association des Jardins du cheminot, ou à la
de paternalisme. L’abbé Lemire, député-maire de
sur une approche citoyenne du jardinage. Ce
Fédération nationale des Jardins familiaux et
Hazebrouck dans le département du Nord, très
mouvement est particulièrement bien implanté
collectifs, issue de la Ligue française du Coin de
industrialisé, crée en 1896 la Ligue française du
en Rhône-Alpes, en région parisienne ou lilloise
terre. Ils semblent le plus souvent autogérés au
Coin de terre et du Foyer. Basée sur des valeurs
ainsi que dans le Finistère. Aujourd’hui, les fédé-
sein d’associations locales en partenariat ou non
morales – famille, travail, vie saine –, elle sera
rations historiques ont également évolué dans
avec les Villes. Au vu de la multiplication des opé-
déclarée d’utilité publique en 1909. Dès lors, le
ce sens, introduisant dans leur programme des
rations ces dix dernières années, on peut estimer
développement des jardins ouvriers est fulgu-
jardins collectifs, d’insertion ou éducatifs.
à 150 000 le nombre des parcelles cultivées. À
rant : on a estimé à près de 700 000 le nombre
Le déclin des jardins ouvriers a cessé avec le
Vannes, dans le cadre des politiques de dévelop-
des jardins ouvriers en France à la veille de la
choc de la crise pétrolière qui signe le retour de
pement social urbain, la municipalité a équipé
Première Guerre mondiale.
la pauvreté en France dans les années 1970. On
les quartiers de Minimur et Kercado d’une
Après la Seconde Guerre mondiale, la de-
assiste alors à l’installation de la précarité, à la
centaine de parcelles mises à disposition des
mande est moins forte : le plein emploi et l’ac-
dégradation des conditions de vie dans les zones
habitants de ces deux quartiers populaires. On
cession à la propriété détournent les ouvriers
d’habitat social ; on découvre les « nouveaux
retrouve le même processus à Brest, qui compte
du jardinage, les familles vont au supermarché.
pauvres ». Dans l’Ouest, à Nantes, Rennes, Brest
aujourd’hui 160 parcelles, à Lorient avec 220 jar-
Parallèlement, la reconstruction grignote bon
ou Angers, les politiques publiques mises en
dins et à Rennes, où le service des Parcs et Jardins
nombre de sites : à Nantes, la cité des Hauts Pa-
place dans les quartiers populaires pour re-
gère 950 parcelles. Le développement des jardins
vés est ainsi construite dans les années de l’im-
qualifier les logements et l’espace public, et
est également enclenché en Pays de la Loire
médiat après-guerre à l’emplacement de pépi-
construire de nouvelles solidarités, vont porter
avec la rénovation ou la création de nouvelles
nières et de jardins ouvriers. Dans les années
des projets de jardins familiaux et de potagers
parcelles. On en compte 250 à La Roche-sur-Yon,
1970, c’est la cité du Bout des Pavés, au nord de la
collectifs. À Nantes, la première réalisation date
380 à Laval, 1 000 à Angers.
ville, qui supprimera de nombreuses parcelles.
précisément de 1980. Adossées au réservoir
Avec un programme volontaire qui pré-
Ainsi, l’offre baisse considérablement ; les
d’eau de la Contrie, à l’ouest de la ville, soixante-
voit pour les prochaines années une aug-
derniers recensements ne sont pas précis mais il
trois parcelles sont créées par le service des
mentation de 60 % de l’offre, le service des
semble que dans les années 1980 on ne comptait
Espaces verts, à la demande de quelques jardi-
Espaces verts de la Ville de Nantes, créateur
plus que 100 000 jardins sur tout le territoire
niers amateurs. Représentants de l’association
du concept de parc potager – Nantes a été
national. Le renouveau arrive d’Amérique.
des Jardiniers de France, ils diffusent son cata-
lauréate du prix Eurocité 2003 pour celui de la
C’est à New York que l’idée d’utiliser les espaces
logue de graines vendues par correspondance
Crapaudine –, gère aujourd’hui 900 parcelles
délaissés a été mise en pratique par Lyz Christy,
et animent un réseau de jardiniers qui vont
réparties sur 18 sites au cœur des quartiers.
144
303 / NA 103 / 08
1
1
Les jardins de la Contrie, au pied des réservoirs d’eau, Saint-Herblain, Loire-Atlantique. Cl. B. Renoux.
2
Les jardins de Malakoff, Nantes. Cl. B. Renoux.
3
Marieke et Norbert, la Simbrandière, La Roche-sur-Yon, Vendée. Cl. B. Renoux.
4
Joseph dans le jardin familial Georges Maillard à Sorges, Maine-et-Loire. Cl. B. Renoux.
2
3
145
146
303 / NA 103 / 08
147
La Société d’horticulture et le Jardin des plantes du Mans
1
1
Autrefois l’activité ludique de la pêche attirait de nombreux curieux au bord du lac du jardin des plantes. Coll. Louis Féaux, ancien chef jardinier.
ne s’ennuient pas pendant que ces messieurs
propre terrain de culture prend naissance dans
est renouvelé le 16 septembre 1857 pour neuf
devisent autour des plantes, un comité de dames
l’esprit des membres du Comité.
ans. En 1864, le bordage de 5 hectares est mis
patronnesses est créé pour, selon le secrétaire
En 1854, sous la présidence du juge Surmont,
en vente. La Société en fait l’acquisition pour
Le Bêle, « apporter à nos fêtes un nouvel éclat
le directeur de l’asile d’aliénés, M. de Saint-Rémy,
60 000 francs, en partie grâce à un emprunt de
et un gracieux et bienveillant concours pour ré-
prête une partie de son clos. La main-d’œuvre
30 000 francs hypothéqué sur le bien.
compenser le plus beau bouquet ou la plus belle
ne coûte pas cher : elle est fournie par les pen-
Le terrain n’est disponible qu’en 1867, au
plante d’appartement ». Il y a bien longtemps
sionnaires sous la surveillance de leurs gardiens.
terme du bail. Les trois années d’attente de
que ce comité a disparu !
Une pépinière est aménagée ainsi que des carrés
disponibilité sont mises à profit pour établir le
La croissance de la Société est importante :
de culture. La solution n’est pas satisfaisante car
projet d’aménagement. Dès 1865, le président
en 1864, elle réunit 15 membres honoraires,
l’accès au jardin est réservé aux membres de la
Surmont prie l’ingénieur en chef des Ponts et
289 sociétaires, 152 dames patronnesses et
commission chargés de son suivi.
Chaussées, M. Martin, de consulter son collègue
42 correspondants. Elle est connue jusqu’à Paris :
En 1855, le ministre de l’Instruction publique
et ami Alphand, ingénieur en chef et adminis-
le 9 août 1864, Napoléon III signe le décret de
prie la Société d’organiser des leçons d’arboricul-
trateur des promenades de la Ville de Paris et
déclaration d’utilité publique de la Société. Pour
ture pour les élèves de l’École normale. C’est dans
créateur du bois de Boulogne. Alphand et ses
son exposition de 1869, trois médailles d’or sont
le jardin des Petites Sœurs des pauvres, proche
services dressent gracieusement le plan du futur
offertes par l’impératrice, une par le ministre de
de l’École normale, qu’un sociétaire, M. Gombert,
jardin anglais avec ses fausses rivières, ses cas-
l’Agriculture ; une médaille d’or et une d’argent
par ailleurs professeur de belles-lettres, initie les
catelles et son lac. En remerciement, la Société
sont offertes par le prince impérial pour récom-
futurs instituteurs à la culture des racines.
le nomme membre honoraire.
penser les exposants.
Mais rien de tel que de vivre sur ses terres !
Avec ce grand projet, les premiers soucis
Il faut donc chercher un terrain, si possible en
d’argent arrivent, et la Société appelle à l’aide
limite de la ville. La zone urbanisée s’arrête
la municipalité. Après un débat de deux ans,
Les premières années, la Société rencontre des
alors au boulevard Négrier et à son prolonge-
la municipalité se porte garante de la Société
difficultés d’hébergement : elle fut logée tout
ment, la rue de Flore. Au-delà, l’habitat est très
en lui octroyant une subvention annuelle de
1
La naissance du jardin
1851, naissance de la Société
musée du Mans) un jardin botanique à l’usage
élus, de faire partie d’une société élitiste. Pour
d’abord dans deux pièces à la préfecture, mais
clairsemé le long des chemins de l’Éventail et
3 000 francs sur vingt ans pour amortir le coût
Le 30 avril 1851, des amateurs de jardins se réunis-
de l’École centrale du département, mais il ne
ceux qui, royalistes, ont quitté leur hôtel pari-
un changement de préfet entraîna son expul-
de Prémartine, avec quelques maisons rurales
d’acquisition du terrain de Sinault, mais l’opé-
sent sous la présidence du préfet de la Sarthe et
vit jamais le jour. Le préfet ratifie l’existence de
sien pour fuir les troubles et ont retrouvé leur
sion. Le maire Surmont prête de 1852 à 1857 une
et des guinguettes fort prisées par les prome-
ration n’est pas gratuite ! Par un acte des 17 et
de M. Surmont, maire du Mans, pour constituer
la Société le 18 août 1851 dans un contexte po-
château sarthois, il est nécessaire de trouver
pièce de l’hôtel de ville.
neurs du dimanche. Or, en 1855, un champ en
25 février 1868 devant Me Douzilé, notaire au
un comité provisoire. Avec le soutien du préfet,
litique particulier : les orléanistes ont quitté le
des conseils pour restaurer, tracer des parterres,
Après les soucis de logement arrivent dès
pente de 116 ares, bordant la côte de Prémartine,
Mans, la Ville devient nu-propriétaire du fonds,
2 retrouvent à la préfecture le 11 août 1851 ils se
gouvernement, Louis Napoléon Bonaparte est
créer des pépinières, reconstituer des vergers.
1854 les soucis d’argent, avec un premier défi-
est mis en vente. Grâce à un emprunt, la Société
la Société en garde l’usufruit et paie les intérêts
sous la présidence de M. Ruillé, conseiller de pré-
devenu prince-président. Ceci va expliquer la
Ainsi, dès l’exposition de 1860, le marquis de
cit de 220,14 francs ! Il est vrai que l’essentiel de
s’en porte acquéreur. Dès 1856, elle en dispose
de sa dette. Curiosité de la situation : la Ville
fecture, dans la salle des Abeilles, pour rédiger
rapide montée en puissance de la Société.
Talhouët, propriétaire du château du Lude, et
l’activité tourne autour de la réalisation d’une
et met en place un potager et un jardin d’essais.
se réserve le droit de reprendre possession du
exposition annuelle.
L’année suivante, elle lance une souscription
jardin en cas de dissolution de la Société, ce qui
les statuts. Autour de la table se trouvent M. Becqx,
Le premier comité est constitué de nota-
le duc des Cars exhiberont les plus beaux fruits
ancien financier venu du Midi, MM. Vétillard,
bles manceaux : son président est M. Gaude,
de leurs vergers reconstitués. Ainsi trouve-t-on
Les expositions agricoles étaient jusqu’alors
auprès de ses sociétaires afin de bâtir au bas
paraît normal, mais encore à sa convenance, ce
Foulard et Tireau.
fonctionnaire de l’Empire, neveu du maréchal
encore les noms de propriétaires de châteaux
réalisées par la Société d’agriculture, sciences et
de la pente la maison du jardinier, se réservant
qui semble contradictoire avec la notion d’usu-
Dans son article 1, la nouvelle Société se
Masséna en retraite au Mans. Le juge Amédée
qui font actuellement partie du patrimoine touris-
arts de la Sarthe qui, malgré sa rivalité avec la
l’étage pour y installer la bibliothèque et son
fruit ! C’est donc ainsi que depuis 160 ans, la
propose « d’encourager la culture des plantes
Hardouin est nommé vice-président, le docteur
tique du département : Bonnétable, Courtanvaux à
Société d’horticulture, s’en dessaisit. Bien que les
bureau. Cette maison a disparu lors de l’élargis-
Société d’horticulture de la Sarthe et la Ville du
indigènes les plus remarquables par leur utilité
Jules Le Bêle, grand collectionneur de plantes,
Bessé-sur-Braye, par exemple.
relations avec le nouveau préfet soient difficiles,
sement de la rue Prémartine en 1982.
Mans vivent un « mariage » peu commun, avec
ou leur agrément ; de favoriser l’introduction
est secrétaire et M. Becqx vice-secrétaire. Des
L’époque est aussi à la découverte des plantes
la première exposition se tient dans l’orangerie et
En 1861 est acquis un petit terrain situé der-
et la naturalisation des plantes exotiques ; de
membres comme M. de Richebourg, Narcisse
rapportées d’expéditions lointaines : le docteur Le
le vestibule de la préfecture. Le colonel du 7e régi-
rière la maison et à l’angle des rues de Flore et
répandre l’usage des bonnes méthodes et d’or-
Desportes, conservateur du musée et grand
Bêle entretient ainsi dans ses serres une collec-
ment de dragons prête ses hommes pour assurer le
Prémartine, ce qui porte la surface à 133 ares.
ganiser des expositions annuelles de fleurs, de
naturaliste, M. Foulard, horticulteur réputé,
tion de nymphéas, de broméliacées et de cléma-
service d’ordre ! D’autres expositions ont lieu à la
Cet ensemble constitue à l’heure actuelle la
Dès la fin du bail avec le cultivateur, en 1867,
fruits, d’arbres, arbustes et légumes ».
des hauts et des bas… La réalisation du jardin
complètent la partie active de ce comité. S’y
tites. Vétaillart soigne ses camélias et le pharma-
Halle aux toiles (aujourd’hui disparue et rempla-
terrasse et le jardin français. L’ambition de la
les travaux d’aménagement de ce qui va deve-
L’idée n’était pas nouvelle puisqu’un supé-
ajoutent des membres honoraires : le préfet,
cien Guéranger collectionne les conifères.
cée par un parking), sous toile place des Jacobins
Société ne pouvait pas en rester là. Au sud du
nir le jardin anglais commencent. Ils doivent
rieur des Lazaristes de la mission, Pierre Davelu,
l’évêque, le général commandant la subdivi-
Mais il n’y a pas que des notables parmi
ou en 1877 sous les voûtes du tunnel lors des fêtes
terrain se trouve le bordage de Sinault, instal-
durer trois ans.
avait réuni après 1765 une collection de plantes
sion, le maire… Dès 1851, la Société compte
les membres de la Société : des professionnels
marquant son inauguration. Un cercle horticole
lé entre le chemin de Sinault et le chemin de
C’est tout d’abord le déménagement du
rares dans les jardins de l’Hôtel-Dieu de Coëffort.
113 membres titulaires, et 149 en 1855. Un tel
y adhèrent, grainetiers, horticulteurs, fleuristes,
permet de donner des conférences et des cours
l’Éventail. Propriété de M. de Saint-Cher, conser-
potager primitif à l’emplacement actuel de
Plus tard, un autre projet prévoyait de créer
engouement a certainement plusieurs causes.
maraîchers et jardiniers de château comme Vidy,
du soir, de distribuer des graines sélectionnées.
vateur des Eaux et Forêts à la retraite, il est loué
la résidence du Parc. La construction de cette
dans les jardins de l’hôtel de Tessé (actuel
Tout d’abord, il y a le souci, pour les nouveaux
jardinier du château du Lude. Afin que les dames
Mais cela ne suffit plus, le besoin d’avoir leur
à M. Serbelle, cultivateur, depuis 1848 ; le bail
dernière, en 1959, l’a fait disparaître mais une
150
303 / NA 103 / 08
151
156
303 / NA 103 / 08
La haie vive, centre commercial, Nantes. Patrick Bouchain architecte. Cl. Cyrille Weiner & Audrey Cerdan / Construire.
végétal, ART e t arc h itectu r e
1
157
156
303 / NA 103 / 08
La haie vive, centre commercial, Nantes. Patrick Bouchain architecte. Cl. Cyrille Weiner & Audrey Cerdan / Construire.
végétal, ART e t arc h itectu r e
1
157
4
se veulent singulières, mais des parcs encore, des
et les zèbres sur fond d’architectures, avec le
territoires de ville inscrits dans l’histoire de la ville,
même don de l’univers par les créatures que celui
sans modèles mais non sans les anciennes règles
des tortues et des grues posées sur l’îlot d’un lac
de composition de la ville dense et d’inclusion
auprès du Ryoan-ji.
de la « troisième nature » dans la masse bâtie.
Mais ces actes exemplaires de l’urbanité sont
Et chaque fois le retour offert d’un débouché de
si rares, si dérisoires face à la pensée bâclée par
la ville, en son sein, sur l’imaginaire de notre vie
l’idéologie « verte » qui nous fait courir vers l’illu-
avec la Terre et non sur la réalité de sa fragile
sion d’une architecture « verte », soi-disant capable
matière qui n’appartient pas à l’urbain – sortes
de sauver la planète et qui ne sert en fait qu’à
d’emprunts à la nature pour qu’elle continue à
nous déculpabiliser à moindres frais, avec le
se présenter en se représentant, avec du vivant
risque pris d’une fin de l’urbanité en dispersant
mais dans l’artifice, pouvant même convoquer
la vie dans la « verdure », en diluant la forme
les animaux auprès des hommes et des plantes,
d’une ville dans l’informe.
Le Bois des Moutiers, Edwin Lutyens architecte, Gertrud Jekyll. paysagiste, Varengeville-sur-Mer, 1898.
5
Edgar J. Kaufmann House, Fallingwater, Frank Lloyd Wright, architecte, Pennsylvanie, 1936. Crayon et pastel sur papier de F. L. Wright.
6
Highrise of Homes, James Wines architecte, 1981.
comme dans la « plaine africaine » de Jacqueline Osty au parc de la Tête d’Or, où passent les girafes
Claude Eveno
5
6
4
162
303 / NA 103 / 08
163
1
1
Em exercillam, sulit in exeriure te tisi eugait lore conse dui et autpatetue tat nim do consequat wisi.
il devait aussi se poursuivre le long du
me dire : « Vous faites la même chose, mais vous
puisse communiquer sans dessin. Je lui raconte
nouveau parking extérieur, dit le parking silo.
supprimez cela et puis cela aussi. » Alors j’ai voulu
une histoire et il comprend instantanément. Si je
À l’origine, l’épaisseur de la haie devait être
rencontrer le cabinet choisi pour la faire. J’étais
lui dis par exemple : « une courbe orientée à 30° par
bien plus importante, mais pour des raisons
plein d’a priori sur ce genre d’entreprises et sur
rapport à un point 0 et inclinée à 45° et la courbe
budgétaires le nombre des feuilles a été un
les gens qui y travaillaient, et finalement j’ai
reliée par une corde », eh bien pendant que je lui
peu diminué. Quant au parking extérieur, nous
rencontré quelqu’un d’intelligent. Je lui ai raconté
parle, lui dessine. C’est comme si je lui donnais
l’avions imaginé sur quatre niveaux et placé le
mon histoire et il m’a répondu : « Ne vous inquiétez
une indication scénographique. Il comprend tout.
long de la rue Gaétan-Rondeau. Desservi par
pas, on va faire l’enquête avec un objectif que l’on
Il est atteint d’une sclérose en plaques, et ce
deux rampes hélicoïdales placées à chaque
peut orienter. » C’était l’époque de l’ouverture du
travail intellectuel est comme un exercice à la
extrémité, il devait être construit sur une trame
Guggenheim à Bilbao. Dans toutes les revues, il y
recherche des terminaisons nerveuses abîmées.
de portiques en béton et comporter six cents
avait un reportage sur le Guggenheim. Quant à son
Du fait de ces déficiences, il a une capacité de
places. Le niveau I devait relier de plain-pied la
architecte, Frank Gehry, il s’exprimait dans tous les
dessin phénoménale. On a cherché, cherché. Bien
galerie marchande par des passerelles habitées.
journaux, sur toutes les radios. Finalement, mon
sûr, on a pensé au panier de la ménagère, mais
Les plafonds de chaque niveau devaient être
enquêteur monta son enquête avec des questions
c’est tellement bête, le panier de la ménagère…
peints de couleurs différentes. Le dernier
simples que le promoteur lui avait imposées, puis
On avait aussi imaginé travailler sur des images de
niveau sera couvert fin 2008 par une centrale
en proposa d’autres sur la qualité architecturale
Cupidon, sur l’argent. On tournait un peu en rond.
photovoltaïque placée en pergola qui produira
et l’architecture en général. Bien entendu, il
Puis,d’un seul coup,il me lance :« Mais si on travaillait
l’équivalent de la consommation électrique de
montra des photos de centres commerciaux
sur l’arc et la flèche ? » L’idée était trouvée. Restait
cinquante logements. Quant aux extensions
classiques, une boîte à chaussures toute blanche,
à régler un autre problème. Le tube fluorescent ne
commerciales, elles devaient enserrer, sur deux
et il proposa des photos du Guggenheim. « Et ça,
peut pas être courbé, et il fallait donner l’impres-
niveaux aussi, le volume de la galerie existante.
qu’est-ce que vous en pensez ? » et juste après, la
sion d’une courbe ; c’est là que l’on a décidé que
Au nord, les restaurants et les services seraient
photo de notre maquette. « Entre ça et une boîte
ce serait le tube de métal. Celui-ci serait courbe
disposés de part et d’autre d’une large place
à chaussures toute blanche, que préférez-vous ? »
et représenterait l’arc ; quant au tube fluorescent,
raccordée d’un côté au mail existant et de l’autre
À 90 %, les personnes sondées ont choisi mon
il serait la corde. Le résultat est un truc indes-
au nouveau parvis urbain, situé au rez-de-chaussée
projet. Les commanditaires ont été surpris. La
criptible, impensable à faire. Quand on a présenté
sur l’angle de l’avenue du Général-de Gaulle et de
lecture de l’enquête les a rassurés. Ils ont dit :
le premier lustre aux décisionnaires, ce fut un
la rue Gaétan-Rondeau, en contact avec le réseau
« Bon, on y va. » Si le projet était validé, il fallait
grand moment tout à fait étonnant. Ils avaient le
de transports publics. Le souci que nous avions
aussi parler budget. Et celui qui nous était imparti sembla à certains bien trop faible. « Ils
regard des enfants que l’on mène au spectacle. Ils
eu à l’extérieur fut le même pour l’intérieur de la galerie : respect des aménagements existants
n’arriveront jamais à faire ce truc-là. » Nous, on
et augmentation des espaces publics. Lors des
avait bien entendu commencé à estimer le
travaux, tous les faux plafonds ont été déposés.
coût des travaux. J’ai défendu mes estimations,
On y a vu l’occasion d’augmenter le volume, et la
qui avaient été chiffrées très sérieusement.
couverture ainsi découverte fut percée partout où
En travaillant avec des entreprises locales, en
cela était possible, pour créer une constellation
discutant bien du projet, en négociant les prix,
de points lumineux, ces cônes en plexiglas de
sans nous mettre en difficulté, le projet était
différents diamètres qui émergent sur le toit et
parfaitement finançable avec le budget de
trouvent leur prolongement dans la galerie par
départ. Et nous avons été entendus. Les feuilles,
des lustres.
par exemple, ont été faites pour un tiers en Bulgarie, un tiers en Alsace et un tiers à Nantes.
Comment les commanditaires ont-ils reçu le projet ?
2
166
303 / NA 103 / 08
Et ces lustres si étonnants ?
Eux, bien. Mais ils m’ont aussitôt dit : « OK, mais
Je travaille sur tous les chantiers avec mon
nous nous posons quand même la question de la
meilleur ami, Jean Lautrey, qui est une personne
réaction du public. Nous allons donc lancer une
d’exception. Il sait tout faire. Il devait être
enquête. » Pour moi, cette enquête d’opinion était
vétérinaire et il a tout arrêté en 1968. Il vit à la
la mort du projet, elle ramènerait obligatoirement
campagne, près de Manosque, au milieu des
un point de vue médiocre. Et je les entendais déjà
chèvres. C’est la seule personne avec laquelle je
sont entrés dans le hangar ; à la vue des feuilles, leur qualité, comme celles des lustres, ils ont dit : « Non, ce n’est pas possible, on n’a jamais vu ça. » Et les réactions de la municipalité ?
Jean-Marc
Ayrault
était
très
inquiet
de
l’extension du centre commercial. Il aurait préféré, à cet endroit, de la mixité, du logement étudiant, des bureaux. Mais je crois qu’il est finalement satisfait du résultat. Cela a été une aventure humaine formidable. J’ai rencontré certains de mes collaborateurs actuels à cette occasion. Quant au centre commercial, pendant la durée du chantier – un an et demi –, il est toujours resté ouvert au public et, finalement, a trouvé sa nouvelle image. Il est devenu l’un des grands pôles urbains de l’Île de Nantes en renforçant son rattachement à la ville. propos recueillis par Jacques Cailleteau
167
L’Arbre aux hérons
1
1
303 / NA 103 / 08
Cette branche implantée sur le parvis des Machines de l’île est une des 22 branches de l’Arbre. © Jean Dominique Billaud.
3
La maquette au 1 / 10 de L’Arbre aux Hérons dans la Galerie des Machines. © Jean Dominique Billaud.
la faiblesse du volume de substrat expose le
leur résistance et leur croissance ? Comment
ont toutes les caractéristiques des plantes
sur lequel un couple de hérons tournoyait : une
système racinaire à des écarts de température
implanter ces végétaux dans la structure métal-
chasmophytes !
sculpture urbaine de 35 mètres de haut, à laquelle
importants et ne lui confère aucune inertie
lique des branches ? Comment allier résistance
Mais, pour que l’image du végétal qui s’en-
le public accéderait en embarquant dans des
thermique.
aux conditions extrêmes et volume de végétal
racine dans l’acier existe le jour de l’ouverture
en rapport à la masse et à l’esthétique générale
de L’Arbre aux hérons, il faut faire germer puis
de l’Arbre ?
mettre en culture nos graines cinq ans avant
nacelles placées sous les ailes des hérons. Cette
Enfin les contraintes liées à l’entretien
image revenait sans cesse dans nos discussions,
des jardins : le linéaire des branches de l’Arbre
sans pour autant s’enraciner dans un projet. Un
atteint plus d’un kilomètre. Conscients, dès le
En juin 2004, Nantes Métropole vote la pre-
jour, je me suis dit que ce qu’il manquait à cet
départ, du fait que l’exploitation de l’Arbre doit
mière tranche des Machines de l’Île de Nantes,
L’arbre est porteur de quantité de symboles,
arbre, c’était tout simplement le végétal. À partir
trouver son équilibre, nous avons dû imagi-
dont l’ouverture au public est prévue en juillet
tous positifs : on lui associe les idées d’enraci-
de cette évidence, il n’y avait qu’un pas pour
ner un système végétal tendant à l’autonomie
2007. Cette première tranche inclut les études
nement, de temps qui passe, de transmission
imaginer que le public puisse passer de branche
(durée de vie des plantes, durabilité du substrat,
de faisabilité de L’Arbre aux hérons et la construc-
– comme un arbre généalogique –, de sagesse
en branche au milieu de jardins suspendus. Nous
entretien, arrosage, etc.).
leur transplantation dans les branches.
tion d’une des vingt-deux branches de l’Arbre.
– on y rend la justice –, de rencontre si l’on pense
étions alors en Bourgogne, en pleine nature,
Lors de la deuxième réunion de travail,
Cette branche prototype, que le public emprunte
à l’arbre à palabres. C’est à la fois un ancrage
chez notre ami l’ingénieur Claude Rigo. Nous
Claude nous a emmenés faire le tour des murs
aujourd’hui en fin de visite de la galerie des
dans le sol et une montée vers le ciel.
avons observé et photographié les arbres, nous
de pierre qui bordent le Jardin des plantes. Pre-
Machines, permet de valider nos choix concer-
Pour garder l’énergie de porter un tel projet
avons construit une petite maquette au 1 / 100
mière constatation : ces murs sont végétalisés,
nant la solidité et la sécurité de la branche,
sur une période aussi longue, il faut revenir à ce
du projet et François a dessiné L’Arbre aux hérons.
des mousses, des fougères mais aussi des arbres
mais aussi toutes nos recherches sur l’implanta-
qui est essentiel dans toute démarche créatrice,
Voilà l’origine de cette idée qui n’a plus quitté nos
y poussent. Nous étions fascinés par la manière
tion des végétaux. Pendant cinq années (2002-
le plaisir d’imaginer et de faire. La rencontre
esprits, et qui est très vite devenue le point fort de
dont les racines trouvent leur voie dans les fis-
2007), nous avons avancé en complicité avec
avec Claude Figureau et sa présence constante
ce projet des Machines de l’Île de Nantes.
sures et entre les pierres. Certains arbres de ce
Claude Figureau, posant, puis résolvant par l’ex-
à nos côtés, alliant l’intuition, la connaissance
Dès que nous avons imaginé cette dimen-
mur ont plus de 2 mètres de haut. Nous avons
périmentation les différents aspects du système
et la rigueur dans l’expérimentation, nous ont
sion végétale de L’Arbre aux hérons, nous avons
alors fait un travail de recherche d’images
de culture : la forme des sacs, qui se rapproche
permis de dépasser les doutes et les fausses
présenté cette idée à Jacques Soignon, direc-
sur les arbres remarquables poussant sur des
de la coupe d’une fissure profonde ; la nature
pistes et de réussir à faire travailler ensemble
teur du service des Espaces verts de la Ville de
falaises, et nous avons observé les plantes
du substrat, qui est à 90 % composé de roche
notre bureau d’étude, nos constructeurs de la
Nantes. Nous avions développé avec lui et les
des murs, falaises et rocailles…
concassée ; la nature des mèches et du système
branche prototype et les équipes de jardiniers du jardin botanique et de la Ville de Nantes.
jardiniers quelques complicités à l’occasion de
Très vite, Claude Figureau nous a parlé de
d’arrosage qui assurent une arrivée d’eau per-
précédents spectacles, et pour nous leur collabo-
plantes chasmophytes. Ce terme un peu barbare
manente à la base des sacs. Parallèlement, nous
ration était incontournable. Jacques nous a tout
nous a fascinés. Il ne définit ni une catégorie ni
avons mis en action le réseau des jardins bota-
de suite mis en relation avec Claude Figureau,
une espèce de plantes : une plante est dite à ca-
niques, liés depuis des siècles pour l’échange de
directeur du Jardin des plantes, en nous souf-
ractère chasmophyte quand elle a prouvé qu’elle
graines et de connaissances. Nous avons reçu
flant qu’il pourrait être notre homme ressource
est capable de s’adapter et de se développer
des milliers de graines provenant de soixante-
sur ce projet. Claude nous a fait comprendre,
alors qu’elle est soumise à des contraintes par-
deux jardins botaniques des zones tempérées et
dès la première rencontre, pourquoi il fallait
ticulières. La connaissance ne vient donc que de
tempérées froides. Leur mise en culture, d’abord
tourner le dos à l’horticulture et inventer un
l’observation de la nature. Le savoir encyclopé-
dans les pépinières de Nantes (dix-huit mois),
véritable écosystème propre aux contraintes de
dique de Claude et le travail de documentation
puis depuis un an dans la branche prototype,
l’Arbre. En schématisant, nous avons identifié
de Thomas Ferrari, jeune ingénieur de l’Institut
sont les dernières phases de la validation de no-
ensemble trois types de contraintes.
national d’horticulture d’Angers, qui a rejoint
tre écosystème. Nous surveillons attentivement
notre équipe, vont nous permettre de lancer la
le développement de ces plantes à croissance
recherche de la palette végétale de l’Arbre.
lente, et nous faisons évoluer la palette végé-
de charge et aux dimensions des branches : le
176
2
François parlait d’un arbre en acier, très grand,
D’abord les contraintes liées aux limites
2
L’Arbre aux Hérons, Dessin de François Delarozière
poids de la branche est une contrainte majeure
Cette intuition concernant ces plantes
tale. Nous avons aujourd’hui la conviction que
qui conditionne évidemment l’existence même
orientait nos recherches dans une direction
cet écosystème est viable. Le fait de tourner le
de l’arbre ; le volume de substrat indispensable
donnée et posait une série de questions dont
dos à l’horticulture en remplaçant le terreau par
à la croissance des plantes doit donc être aussi
les réponses allaient nous aider à définir un
un substrat presque essentiellement minéral est
réduit que possible.
écosystème propre à l’Arbre.
un véritable défi. Claude Figureau a la certitude
Ensuite, les contraintes liées aux conditions
Quel type de plantes peut se développer dans
que ces plantes, dans ces conditions de culture,
climatiques des cultures : l’Arbre est situé en
les conditions extrêmes d’un mur ou d’une fa-
se développeront comme elles le font sur les
bord de Loire, donc exposé au vent ; le dessè-
laise ? Existe-t-il des caractéristiques communes
falaises et dans les anciennes carrières. Pour
chement des jardins suspendus est plus rapide,
à ces plantes ? Quel substrat permet d’assurer
lui, les pins parasols des estampes japonaises
François Delarozière et Pierre Orefice
177
Branches, lianes et feuilles, le végétal en images
Bouquet de fleurs, Jean-Adrien Mercier, aquarelle, 1982. Cl. B. Renoux.
Le jardinage est à la mode et les Français en
renvoie à celle de l’Homme. L’aspect drolatique
de Piles (1635-1709), dans son Cours de peinture
de feuilles qu’un paysage au sens propre. Repre-
sont férus. Cet engouement pour l’art de cultiver
de la composition ne dédaigne pas une vision
par principes, fait référence à la construction de
nant la leçon classique du croquis préparatoire
plantes et arbres n’est pas nouveau, et l’histoire
réfléchie du monde et du rythme des saisons,
ce genre qui prend progressivement sa place
à l’œuvre achevée en atelier, le peintre angevin
de l’art a souvent donné des images heureuses
prenant en compte la recherche scientifique la
– l’une des meilleures – auprès du sujet d’histoire
pouvait mettre son talent au service d’une na-
ou inquiétantes d’une nature domptée ou sau-
plus récente par le biais des traités zoologiques
et du portrait. Le paysage est même un chapitre
ture codifiée qui respirait également la liberté
vage. L’intérêt des puissants pour les sciences a
largement étudiés par l’artiste.
à part, ce qui prouve son importance pour le
de sa touche (Le Chasseur de l’Apennin, 1822,
permis un développement inattendu de la repré-
L’architecture maniériste de la Renaissance
théoricien. Marianne Roland-Michel a montré la
Angers, musée des Beaux-Arts). Cette démarche
sentation des éléments végétaux – en dehors de
fut un espace d’expérimentations très fécond
pertinence des notions proposées par Roger de
ouvrira la voie à l’école de paysage de plein air,
la nature morte, genre apparu dès l’Antiquité si
de ce type de recherches. Des jardins de Boboli à
Piles pour l’élaboration d’une poétique cham-
presque à la même époque. Les académies d’art
l’on en croit les analyses encore pertinentes de
ceux de Bomarzo, l’art des grotesques exploita à
pêtre, où les ruines, les fabriques et les roches
entraînaient alors leurs élèves à copier tout et
Charles Sterling1. Le sujet n’est pas neuf, mais ses
fond les possibilités d’expansion végétale dans
venaient ennoblir le site représenté. Passant du
partout. Luc-Olivier Merson sut retenir la leçon
implications économiques, sociales et culturelles
un paysage créé. Philippe Morel a bien rendu
ciel à la terre, le peintre doit s’attacher aux acci-
et ses Études de feuilles sont de bons témoins
ont beaucoup évolué au cours du temps. S’il ne
compte de l’évolution du genre4 . Passant d’un
dents de la nature. Dans cette optique, de Piles
d’un enseignement pratique rehaussé par une
s’agit nullement de refaire cette histoire large-
détail ornemental (les Loges du Vatican peintes
intègre les « plantes » et les « arbres », qui doivent
curiosité personnelle pour un sujet a priori ano-
ment connue, on s’est peu interrogé sur la per-
par Raphaël), il devint au fil du temps un élément
être peints « avec quelque exactitude » sur le
din. Mais certaines œuvres peuvent étonner car
manence d’un modèle pourtant éphémère d’une
décoratif majeur qui envahit tout l’espace. La dif-
site afin de leur communiquer un « caractère
elles dépassent la simple leçon académique.
représentation du végétal qui passe de la feuille
fusion de l’œuvre de Raphaël par Giovanni Volpato
de vérité ». C’est bien ce qui a permis aux ar-
Ainsi Auguste Renoir est-il bien connu pour ses
à la branche, du pétale à la liane. Les interpréta-
(1735-1803) fut d’une portée considérable5. Au
tistes de se consacrer pleinement à des études
femmes en chair, ses paysages ensoleillés et ses
tions follement variées de ce sujet laissent devi-
musée des Beaux-Arts de Nantes sont conser-
de paysages plus poussées : les détails d’une
scènes urbaines vivantes ; il s’adonna aussi à la
ner une implication personnelle des artistes qui
vées de manière un peu incongrue deux chemi-
plante, d’une feuille, d’un arbre sont alors né-
nature morte et à la représentation bien parti-
ont traité le thème. L’irruption de l’inconscient et
nées. Elles proviennent de la collection Cacault et
cessaires pour concevoir une œuvre cohérente,
culière des bouquets de fleurs. Ses Anémones
du rêve à la fin du xixe siècle à travers ce thème a
sont, semble-t-il, dues au ciseau de Massimiliano
proche de la nature scrutée. Alexandre-François
(vers 1900, Nantes, musée des Beaux-Arts) sont
permis d’en faire un sujet d’intérêt renouvelé.
Laboureur (1767-1831). Leur intérêt majeur réside
Desportes (1661-1743) fut un observateur atten-
ainsi un précieux témoignage de la sensibilité
dans leur décor. On a longtemps cru qu’elles té-
tif de la nature. Tout comme Oudry, il multiplia
de l’artiste âgé envers les choses immobiles.
moignaient de la mode des grotesques de la
les sujets de chasse. Ce fut le prétexte à de belles
Bien plus qu’à une représentation savante d’ob-
Albrecht Dürer fut l’un des premiers, à la Renais-
Renaissance, mais la manière très libre d’interpré-
feuilles où la nature est magnifiée dans ses
jets à sens allégorique, Renoir choisit de s’inté-
sance, à traiter pour soi un sujet aussi banal qu’une
ter le motif floral laisse davantage penser à une
moindres détails, comme dans ce petit croquis
resser aux pétales posés sur la table. Le format
touffe d’herbes (1503). Et pourtant ! Il a su rendre
technique néoclassique. Laboureur, sculpteur de
(Étude de deux plantes à larges feuilles, Paris,
réduit de l’œuvre est parfaitement adapté au
au plus près le frémissement du vent sur les brins
Napoléon, fut un proche de François Cacault. Son
musée du Louvre, fig. 2) qui annonce les subtilités
sujet. La touche libre et vibrante, les couleurs
d’herbe et les feuilles ; on reconnaît parfaitement
Hyacinthe blessé par Apollon comprend un socle
de l’art français du paysage au xixe siècle.
claires et la concentration de la vue font de ce
pissenlits, plantain, achillées, pâquerettes et gra-
qui s’apparente aux motifs relevés sur les deux
La modernité vient des peintres de plein air,
petit tableau une pièce magistrale. L’artiste la
minées. Ce fut « en fait le premier à oser traiter
cheminées. L’entrelacement des feuilles dans une
qui composent des œuvres où le végétal s’in-
considérait comme une œuvre achevée et la
un biotope totalement dépourvu d’attraits en une
ligne très construite illustre le style d’un même
vestit de connotations très personnelles. Retour
signa fièrement. Le décalage entre notre vision
forme qui revendique tranquillement son autono-
artiste épris de simplicité et de grandeur. Tout
aux sources ? Dürer avait ouvert la voie. Mais
« moderne » de Renoir et la technique d’un ar-
mie2 ». Il hésite ainsi entre paysage et nature morte,
le contraire de ce que peut donner ce genre ap-
comment ne pas lier les peintures de certains
tiste libre de créer ce qu’il veut est saisissant.
mais l’intérêt de l’artiste pour un sujet aussi mi-
pliqué au mur : le décor peint de Despouy (1898),
peintres de l’école de Barbizon puis des impres-
L’émotion qui pousse un peintre à illustrer un
nuscule démontre aussi une vision religieuse qui
fresque circulaire du salon 1900, atteste ainsi la
sionnistes à un regain d’intérêt pour le végétal,
motif aussi futile qu’un pétale de fleur est ca-
rend grâces au Créateur. Le xvie siècle fut fécond
résurgence au xixe siècle de l’ornement végétal.
la nature sauvage et libre telle que l’avait en-
ractéristique d’une passion marquante pour
en réalisations humoristiques et sensibles à la
Mais l’esprit est tout autre. Cette fois-ci, le décor
visagée la Renaissance ? La Vanne de Constant
la nature, à une époque où le marché de l’art
beauté de la nature, où celle-ci vient renforcer un
vient célébrer l’Antiquité et la feuille, appliquée
Troyon (Nantes, musée des Beaux-Arts, fig. 3) est
commence à s’emballer pour les œuvres des im-
discours sur la place de l’homme dans l’univers
aux voûtes, s’enroule comme une liane sur un
un magnifique témoignage d’un sujet dévoyé : le
pressionnistes…
sans pour autant en être le sujet principal.
fond rouge pompéien, très « fin de siècle ».
sujet n’est plus le simple cours d’eau, mais bien
Dans la même veine,les estampes d’Emmanuel
le tracé du vent dans les feuilles… de choux !
Phelippes-Beaulieux (1819-1874) sont aussi des illus-
De feuilles en feuilles
1
1
Arcimboldo et ses visages drolatiques manifestent un autre aspect de la curiosité des artistes
196
303 / NA 103 / 08
La naissance d’un genre
Turpin de Crissé, bien représenté à Angers, sut
trations très intimes de la vision que le graveur
pour les éléments naturels3. Il ne s’agit pas de
On sait que le genre du paysage est fort ancien,
manifester une prédilection délicate pour le
a de la vie. De 1853 à 1868, il multiplie les sujets
créer une nature morte en tant que telle, mais à
mais c’est bien au xviie siècle qu’il fut théorisé
paysage bellifontain. Sa Vue prise dans la forêt
et les paysages, ajustant une technique par-
travers les légumes, les fruits ou les animaux, de
en Europe et au xviiie qu’il prit son essor en
de Fontainebleau de 1848 (plume et lavis, Nantes,
faite aux thèmes abordés. De la simple vignette
composer une image éphémère de la nature qui
tant que « genre » à part entière. En 1708, Roger
musée des Beaux-Arts) est davantage une étude
d’illustration à la planche de grand format,
197
Le végétal dans les peintures murales L’époque romane et le début de l’époque
la course du rinceau, mais il en a varié les effets.
facilitée par la disposition des branches basses
Il a placé au sommet de l’intrados et au flanc de
de l’arbre, qui rappelle le chandelier hébraïque
Les clercs de l’époque romane utilisaient la
l’arc voisin le mufle d’un lion et un visage, d’où
à sept branches. L’association de Marie et de ce
peinture murale pour exprimer le caractère in-
partent quatre variétés de rinceaux ornés de
symbolisme végétal place la mère du Christ dans
dicible de Dieu et de la divinité du monde dans
feuillages divers ou de demi-palmettes stylisées.
son rôle de médiatrice dans l’économie du Salut.
lequel ils vivaient. Les artistes exprimaient leur
Dans une autre visée plus signifiante qu’orne-
Toutes les images d’arbres ne présentent
message dans un langage pictural particulier,
mentale, l’artiste a employé d’autres motifs-
pas une telle richesse de sens. L’arbre peint
hautement symbolique et allégorique, exécuté
dans sa vaste décoration de la chapelle haute.
dans la Seconde Annonciation à Notre-Dame
en deux dimensions mais appliqué à l’espace
Dans ce lieu dédié à saint Michel, où se dérou-
de Vieux-Pouzauges, en Vendée, se détache sur
tridimensionnel de l’architecture. La peinture
laient les rites de funérailles des chanoines, le
un fond uniformément clair, tandis qu’un ange
murale était perçue comme la peau de l’édifice,
programme pictural présente non seulement
portant une palme sort d’une nuée qui court au
qui le parachevait et le magnifiait. De même, les
le Christ de la fin des temps accompagné des
sommet de la scène. Le peintre utilise ici le motif
images étaient organisées en fonction d’objectifs
symboles des évangélistes et entouré du chœur
de l’arbre au même titre qu’une frise architec-
déterminés à l’avance au sein de programmes,
des anges, des chérubins et des séraphins, mais
turée dans d’autres scènes, pour définir l’espace
suffisamment complexes parfois pour dérouter
aussi le combat des Vices et des Vertus, la chute
dans lequel se déroule l’action : l’arbre, simple
le spectateur, voire l’historien. En effet, chaque
des mauvais anges et les travaux des hommes.
signal, indique l’extérieur et l’architecture l’inté-
objet ou chaque figure présenté portait en lui
L’organisation en trois registres inégaux repro-
rieur. Le même artiste a par ailleurs employé
une multiplicité de sens au sein de l’ordonnan-
duit les trois niveaux terrestre, céleste et divin.
l’objet végétal comme un ornement fonctionnel.
cement divin, ce qui impliquait une variété de
Dans la partie supérieure, Dieu et les siens sont
Il a matérialisé le cadre circulaire des scènes du
significations en fonction du contexte dans
placés dans un espace limité par une nuée maté-
calendrier des mois par une série de feuillages
lequel la figure ou l’objet était peint : selon les
rialisée par l’ondulation de la ligne blanche qui
stylisés noués les uns aux autres. Cet encadrement
cas, l’image du lion peut être symbole du Christ
sert de cadre. Dans la partie inférieure, notam-
constitue sans aucun doute l’un des plus beaux
ou au contraire du mal.
ment sur les piliers orientaux de la chapelle, des
gothique (xi e-xive siècle)
Em exercillam, sulit in exeriure te tisi eugait lore conse dui et autpatetue tat nim do consequat wisi.
2
Bore mod modit at. Duis et, conse feumlor feu facin hendre con sequisim illam, sustie exerosto ea feugait la faccum zzrit alit alit
1
1
La vogue de représenter un appareil de
ce n’est qu’à l’approche de la Renaissance que la
maçonnerie de pierre de taille avait pris une
description de la nature pour elle-même devient
sitions constituées d’arbres servant de support
effets décoratifs de la peinture murale romane.
telle ampleur que peu d’églises ou de manoirs
plus fidèle. Comme toujours, le mouvement ne
à des armoiries. Le premier groupe, avec des
Peu de temps auparavant, à la fin du xiie siècle,
décor végétal couvrant, et la seconde des compo-
Il est d’usage de répartir les images entre
hommes sont debout, équipés de leurs outils :
échappèrent à ce type de décoration. Cependant,
fut pas linéaire, et les images de végétaux peints
motifs couvrants utilisés en semis, demeura
décor iconographique ou historié, qui inclut
équerre, pic ou pioche. Entre ces deux niveaux,
est apparue une nouvelle esthétique ornementale
la sécheresse de ce géométrisme simplifié fut
de manière réaliste en côtoyèrent d’autres aux
longtemps marqué par le poids de la tradition
la majorité des messages – religieux, moraux,
dans cet espace intermédiaire qui sépare l’homme
qui privilégiait un espace architectural intérieur
rapidement adoucie par la présence de fleurettes
formes plus fantaisistes.
et des conventions. L’effet décoratif l’emporta
politiques – que le commanditaire désirait faire
du ciel, le peintre a placé des représentations
de tonalité particulièrement claire. Cette réaction
stylisées, et la couleur eut de nouveau la faveur
La fin du Moyen Âge est marquée par un dé-
dans bien des cas sur le souci naturaliste. Les
passer à ses contemporains, et décor ornemental
de bouquets de fleurs dans des vases ou sur des
décorative s’opposait aux tons saturés proposés
des peintres. L’église du prieuré de La Haye-aux-
veloppement considérable des représentations
formes simplifiées reproduites à l’infini grâce
qui a pour double fonction de structurer l’ensemble
monticules, pouvant évoquer à la fois l’aspect
par la peinture murale des deux siècles précédents.
Bonshommes d’Avrillé (Maine-et-Loire) conserve
végétales non seulement dans l’ornementation,
à la technique du pochoir correspondaient à un
de la décoration picturale et de l’intégrer dans
naturel du végétal et le côté artificiel d’une nature
Le décor de la salle des malades de la Maison-Dieu
un décor peint à partir du milieu du xiiie siècle qui
mais aussi dans le décor historié. La dimension
nombre limité de variétés de plantes parfaite-
le cadre architectural en soulignant les lignes de
organisée par l’homme. Ces images de fleurs,
de Coëffort au Mans (Sarthe) en constitue l’un des
est à la fois caractéristique de ce mouvement déco-
naturaliste se développa surtout dans la peinture
ment définies. Même effectué à main levée, le
force de l’édifice. Des motifs géométriques ou
toutes semblables, n’ont pas été peintes pour
premiers exemples connus. Dans cette vaste salle
ratif, avec des imitations de pierres de taille emplies
profane et tout particulièrement dans l’univers
traitement de la végétation demeura souvent
inspirés du répertoire végétal – le plus souvent
illustrer une espèce précise – on aimerait pourtant
à trois nefs égales, la totalité de la surface des
à profusion de fleurettes munies de tiges,et novateur
courtois et chevaleresque. Alors que durant les
conventionnel et éloigné de la réalité, comme
stylisé – constituent l’essentiel du vocabulaire
y voir la tige du lis et la corolle de la campanule –
murs, des colonnes et des voûtes était peinte en
dans la présentation indépendante du végétal. À la
siècles précédents les commanditaires avaient
au logis prieural de Saint-Georges-sur-Layon, où
ornemental.
mais pour matérialiser la séparation entre ciel et
blanc rehaussé de lignes rouges reproduisant
voûte du chœur, constitué d’un cul-de-four artifi-
principalement orienté leurs choix vers des motifs
des rameaux pourvus de très grandes feuilles
terre ; elles symbolisent donc l’espace terrestre
les joints d’une maçonnerie de pierres de taille,
ciellement divisé en plusieurs voûtains par des
géométriques, des imitations de pierre de taille ou
polylobées stylisées évoquant celles du chêne se
dans lequel évolue l’homme.
rejetant le programme iconographique au sommet
ogives simulées, le peintre a alterné des motifs
d’étoffe pour décorer les murs de leurs demeures,
développent sur les parois de la cage d’escalier.
Les sondages pratiqués dans les enduits de la chapelle du Géneteil de Château-GontierBazouges, en Mayenne, illustrent bien cette
L’objet végétal peint dans la scène de la
des voûtes et des arcs. La progression des images,
animaliers et géométriques avec des rinceaux
au xve siècle leur préférence va vers des décors de
Du plus bel effet décoratif, les feuilles bicolores,
répartition binaire. Un quadrillage rehaussé de
Vierge à l’Enfant de Sorpe, en Catalogne, possède
constituées de végétaux, d’animaux fantastiques,
fleuris libérés de leur cadre étroit. Plus tard, l’ajout
verdure. Dans l’Ouest, et plus particulièrement
impressionnantes par leurs dimensions – elles
demi-cercles, de façon à créer une suite d’hémi-
une haute valeur symbolique. La Vierge, assise sur
d’hommes et de femmes, enfin de rois et de reines,
de feuilles de chêne repéré dans ce type de rinceau
en Anjou, ces décors se singularisent par l’abon-
sont entre cinquante et soixante centimètres
cycles adossés, agrémente de manière statique
un trône, son enfant sur les genoux, est accom-
aboutit à la représentation de l’Agneau divin
peint au xive siècle à Saint-Genest-de-Lavardin,dans
dance des motifs héraldiques caractéristiques
de haut –, sont pourvues de longues aiguilles
le flanc de la grande arcade de la croisée du tran-
pagnée, en fond d’image, d’un arbre doté d’une
célébré par des anges. Une végétation imagi-
le Loir-et-Cher, constitue un témoignage nouveau
de la vie chevaleresque. En effet, la présence
rouges, placées en faisceau le long de la tige et
sept, tandis qu’un rinceau, fait d’une épaisse
belle frondaison à sa droite et d’un arbre sec à
naire occupe la majeure partie des nefs latérales,
d’une évolution vers un certain naturalisme.
de la seconde maison d’Anjou et plus particu-
autour des lobes. Dans la salle située au premier
tige accompagnée de feuilles et de boutons
sa gauche. Hélène Toubert a montré toute la
mais cette situation en marge ne permet pas
lièrement du roi René favorisa l’existence d’une
étage du logis, des bouquets de ces feuilles sont
disposés de part et d’autre des ondulations,
puissance du symbole qui se dégageait de ces
de lui attribuer une haute valeur signifiante.
cour et le développement d’un foyer artistique
répartis dans un décor d’arbres et de rinceaux
court le long de l’arc doubleau voisin.
détails. L’arbre vert ou vif équivaut à l’Église,
Particulièrement décoratifs, ces motifs végétaux
Le passage d’une représentation symbolique de la
dynamique et créatif.
fleuris si exubérant et si dense qu’il n’est pas
L’artiste qui opéra à Saint-Julien-de-Brioude
tandis que l’arbre sec renvoie à la Synagogue.
pourraient figurer le monde dans lequel se meut
nature à une évocation plus réaliste s’est effectué
Les verdures angevines présentaient deux
immédiatement lisible : c’est encore là une ca-
(Haute-Loire) a lui aussi joué sur le dynamisme de
L’identification de ce dernier symbole est
l’homme en quête du divin.
très progressivement au cours du xve siècle, et
grandes tendances : la première privilégie un
ractéristique de l’esprit médiéval. L’aspect le
214
303 / NA 103 / 08
La fin du Moyen Âge (xve siècle)
215
La mort noble : les photographies de Jean-Paul Texier N’a-t-on jamais été étonné par la présence en-
L’effet aveuglant de ce dernier pousse la compo-
d’un fragment de végétation, dépouillé, frontal,
l’Art nouveau, un type de fleur deviendra une
cadavres fit des écorchés. Au musée de l’École
têtante des plantes, par leur port altier ou leur
sition vers le regardeur. Comme dans les herbiers
majuscule, entre en résonance avec les œuvres
rampe de fer forgé…). Il sème le désordre dans
vétérinaire de Maisons-Alfort, ils trônent dans la
rétractation, leur flamboiement chromatique
de cimetière, ces fleurs ont une troublante
de ces deux photographes. Il y ajoute cepen-
l’inventaire, dans l’ordre des espèces, même si
dignité de leur reconstruction, des chairs acidu-
ou leur terne réserve ? Une humeur végétale,
charge mortifère malgré leur vive parure. Elles
dant une certaine brutalité de l’image, stimulée
le souci décoratif affleure encore. Les corolles
lées, des oripeaux musculaires, des réseaux de
mille cas de figure, du chiendent envahissant
témoignent de la fugacité d’une existence, celle
par la polychromie. Sans doute la biographie de
et les pétales de Texier passent dans un autre
veines, éclatés comme des câbles électriques…
aux pousses majestueuses. La plante – sa va-
des plantes, et renvoient naturellement à notre
Texier pourrait-elle se résumer à une inavouable
monde, sexuels, effondrés, tumescents ou rape-
L’Homme à la mandibule et Le Cavalier sont des
nité – avait une telle importance au xviie siècle
propre vie. Outre le caractère monomaniaque
violence et à l’instantané d’une hémorragie
tissés. Le dessin existe encore, mais la matière
défis à la mort d’une beauté trompeuse, effroi
que le « peintre de fleurs » Nicolas Robert fut
des fragments photographiés – il faut les discer-
dans la vie : en 2003, il photographiait ses gants de
colorée la recouvre comme dans une aquarelle.
et jouissance mêlés. Dans le même esprit, « l’odeur
chargé par Gaston, duc d’Orléans, d’exécuter le
ner pour les comprendre –, les séries de fleurs de
travail, qui gardaient la mémoire des efforts, de la
La corolle froissée, désordonnée, devient une
de sainteté », lors de la découverte de corps mar-
dessin des spécimens les plus remarquables du
Texier, Hibiscus, Tulipes, Iris, Lavatères, expriment
douleur, du temps passé (la série Tanto Lavoro).
taie : nous retournons donc au regard et à ses
tyrs, cèle de semblables et fatales dégradations…
Jardin des plantes. Plus tard, il peignit quelques
une essence, une saturation des couleurs que
En sillonnant encore le champ photographique,
fleurs de la célèbre Guirlande de Julie, recueil
la putréfaction ne saurait éteindre. Moisissure
nous passons obligatoirement par l’Allemand Karl
À mon sens, ce qui densifie la signification
de Texier balancent entre élégance et obscure
de madrigaux en l’honneur de la belle Julie
noble, lenteur de la transformation : comme on
Blossfeldt (1865-1932). Ce dernier mena une carrière
des clichés de Jean-Paul Texier tient à une union
sexualité. Dans Les Larmes d’Éros, Georges Bataille
d’Angennes. Parmi elles, la « Tulipe flamboyante ».
vieillit le vin, la fleur se raréfie et se singularise
de professeur à l’École des arts décoratifs de
étroite entre la vie et son contraire, une mise en
a écrit : « Il y a une indécence dans la mort diffé-
Le xixe siècle multipliera de semblables méta-
par ses tiges saisies dans leur élan vital, par les
Charlottenburg, près de Berlin, et aimait davan-
scène des fins dernières (l’eschatologie) sous
rente sans doute de ce que l’activité sexuelle a
phores, celles du passage du végétal à l’humain.
feuilles grimaçantes, par la séduction des fleurs
tage les plantes que les appareils photographiques.
le fard de la beauté. Fortes comme la mort, ces
d’incongru. » C’est parce que nous vivons dans la
Avec le dessinateur, caricaturiste et lithographe
fanées, comme fardées.
Ses prises de vues, didactiques et documentaires,
fleurs. Elles ont le raffinement, la cambrure ultime
perspective de la mort que nous accédons à la vio-
obstacles, de l’illusion au réel.
Au-delà du plaisir esthétique, les fleurs
Grandville, cela prend la tournure d’un récit, d’un
La photographie primitive connue de Texier
étaient avant tout des diapositives projetées
des momies incas, desséchées, recroquevillées
lence, à la dislocation, par l’érotisme. Il s’accommode
vaste théâtre de plantes et de fleurs prenant
s’attache à la fois aux morts sur leur lit, portraits
pour les étudiants. Blossfeldt s’intéressait à la
dans les grottes des montagnes.
de l’abandon impudique des fleurs étales sous
apparence humaine, avec Fleurs animées, un livre
flétris mais angéliques, et aux fleurs, notam-
valeur encyclopédique de la fleur ou de la tige, à
La lavatère (« lavatère vivace », son nom savant)
l’objectif. Il n’est sans doute pas nécessaire de
de planches publié en 1847. Fleurs, avez-vous
ment celles du Strasbourgeois Adolphe Braun,
l’enseignement exemplaire de la nature pour les
est pliée comme un vieux cuir, gardant la trace
revenir sur le pouvoir évocateur des corolles
donc une âme ?
qui s’en fit le spécialiste, ou de Joseph Philibert
arts décoratifs, pour la mécanique… Il a mis en
de sa corolle épanouie. Exsangue, la tulipe laisse
et des pistils (Mapplethorpe traitait tout à la fois
L’idée de l’anthropomorphisme, de la « tête-
Girault de Prangey, qui immortalisa les arbres
avant le dessin, la frontalité, l’équilibre des lignes
échapper pistil et étamines. L’iris se dresse, fragile
des lys et des nus masculins). Comme souvent
corolle », est reprise un siècle et demi plus tard,
de son jardin et les plants exotiques de sa
et des masses : « En plus de sa forme ornemen-
comme un os. Les fleurs de Texier ont la beauté
Tanathos s’invite chez Éros. Dans cette ambiguïté
par un créateur publicitaire, pour la Twingo,
maison-atelier de Haute-Marne. Voici un rap-
tale, porteuse de rythmes, primitive et puissante,
des planches anatomiques de Gautier d’Agoty :
fondamentale, un entre-deux séduisant et fatal,
une voiture… Ajoutons enfin qu’au xixe siècle
prochement que les seuls mots de nature morte
que l’on retrouve partout dans la nature, la plante
le corps ouvert, un épanouissement rose et
les fleurs de Texier ont toute leur pertinence,
chacun herborise : les volumes et cahiers d’her-
rendent sensible…
contient des formes qui sont structurées selon
carmin de muscles et de nerfs, de la chair. Elles
une flamboyance ultime.
boristes sont légion dans nos musées et nos
Jean-Paul Texier est né en Vendée en 1954
le besoin et la fonction. » Les photographies de
nous saisissent comme les préparations savantes
bibliothèques, tentatives de classification plus
et travaille (un certain temps) dans le Maine-et-
Texier se sont affranchies de ce modèle (dans
d’Honoré Fragonard, le cousin du peintre, qui de
romantiques que scientifiques. On herborise
Loire. Après une riche expérience d’enseignant
alors sur la tombe des illustres défunts, comme
en arts plastiques, notamment en direction des
au cimetière du Père-Lachaise. Les pages du
publics exclus, celle de l’« art-thérapie » – la
recueil assemblent le dessin aquarellé de ladite
création comme processus de transformation –,
tombe et le reliquat séché, la fleur ou le rameau
il se consacre essentiellement à la photographie.
végétal poussant sur celle-ci : la correspondance
Du monde du spectacle et du théâtre, il est passé
entre le caractère moral et les qualités du mort
à celui des objets inanimés. Avec Claude Dityvon
apparaît d’évidence avec le souvenir infime,
(1937-2008), dont il soutient activement l’œuvre
le rejeton d’une existence naturelle, avec ses
(invitation à Angers et scénographies dont celle
quelques couleurs et ses innervations.
de la rétrospective de La Rochelle), il avoue son
C’est dans ce contexte général, après ces re-
admiration pour Denis Brihat et Jean-Pierre
tours sur les rapports familiers entre le végétal et
Sudre (1921-1997). Tous deux incarnent une pho-
l’humain, qu’il faut regarder l’œuvre photogra-
tographie en noir et blanc précise et construite,
phique de Jean-Paul Texier. Depuis plus de vingt
à la française : Brihat s’inspire de la nature et
ans, il consacre ses prises de vues aux plantes
use de procédés subtils, comme des tirages au
et aux fleurs séchées, qu’il cultive, prélève, récu-
sélénium ; Sudre, avec son épouse Claudine,
père. Il les choisit pour leurs formes déconcer-
a joué de matières et de lumières pour pho-
tantes et leurs couleurs, tout en les installant,
tographier des natures mortes, des fruits, des
agrandies, sur un fond blanc, très lumineux.
fleurs, de la vaisselle… Chez Texier, le silence
222
303 / NA 103 / 08
Benoît Decron
223
Le festival des jardins de Chaumont-sur-Loire Né de la débordante imagination de Jean-Paul
vivants de Villaines-les-Rochers ont été remis à
originale, une invention qu’il a tenté de repro-
Pigeat, un passionné de jardins, le Festival interna-
l’honneur ; c’est à Chaumont que des expériences
duire dans son propre jardin.
tional des jardins s’est installé, en 1992, à l’ombre
nouvelles de lagunage et d’irrigation ont été pré-
Chaumont, c’est aujourd’hui un festival in-
du château de Chaumont-sur-Loire. Mettre en évi-
sentées, unissant efficacement science et poésie
ternationalement connu, attirant des concep-
dence la richesse et la diversité de l’art des jardins
et inspirant un public avide de découvertes…
teurs venus d’Asie ou d’outre-Atlantique, es-
d’aujourd’hui, montrer le foisonnement des ten-
Le maître mot du festival a toujours été : « Venez
saimant en Europe et en Amérique latine ; c’est
dances dans ce domaine, tel était le pari d’une
piquer nos idées. »
aussi un centre de formation aux métiers du
manifestation conçue dès l’origine avec beaucoup
À côté de jeunes talents encore peu connus,
paysage et des jardins, dont le rôle n’a pas été
d’audace et d’ambition, dans un lieu plutôt difficile
des paysagistes célèbres comme Shodo Suzuki,
mineur dans l’évolution des techniques de fleu-
bien que situé au cœur du « jardin de la France ».
Emilio Ambasz, Andy Cao, Peter Walker, Fernando
rissement des villes, nombre de responsables
Fort d’une phénoménale énergie, Jean-Paul Pigeat
Caruncho, Fumiyaki Takano, Charles Jencks, Lucien
venant s’y ressourcer et enrichir leurs connais-
confia au grand paysagiste belge Jacques Wirtz le
Kroll, Adriaan Gueuze, Herbert Dreiseitl, Kunya
sances. C’est aussi un lieu de sensibilisation à
soin de concevoir le dessin général et la forme des
Maruyama, Gunther Vogt, Fiona Meadows, Peter
la nature et au jardin pour un nombre consi-
parcelles du Festival, destinées à accueillir des jar-
Latz, Susan Child, Marc Rudkin, etc., ont créé des
dérable d’enfants et d’adolescents : près de
dins éphémères, renouvelés chaque année autour
jardins à Chaumont pendant toutes ces années.
20 000 d’entre eux participent chaque année
d’un thème et donnant lieu à un concours inter-
Furent également accueillis des architectes
à nos ateliers pédagogiques, s’ajoutant aux
national. Le choix des paysagistes, la créativité et
comme James Wines, Shigeru Ban ou Jean-Michel
150 000 visiteurs du Festival.
la diversité des techniques et des propositions
Wilmotte, sans oublier les metteurs en scène Bob
présentées, autant que l’engouement exponentiel
Wilson, Macha Makaïeff et Peter Greenaway.
Longtemps géré par une association, le Conservatoire international des parcs, des jardins
Qu’ils nous entraînent dans les replis de la
et du paysage s’est fondu le 1er janvier 2008
vite de Chaumont un lieu de rencontre incontour-
« mémoire »,les risques du « chaos » ou les audaces
dans le Domaine de Chaumont-sur-Loire, au
nable, pépinière de talents et d’idées nouvelles.
de « l’érotisme », les jardins de Chaumont ont
moment où la Région Centre, après avoir acquis
C’est à Chaumont que Patrick Blanc a présenté
souvent inventé, parfois provoqué et toujours
le château et le parc, a créé un nouvel établisse-
pour la première fois au public ses célèbres murs
fait rêver le visiteur, et chacun a en tête une
ment public de coopération culturelle, destiné à
végétaux ; c’est à Chaumont que les saules tressés
image infiniment poétique, une idée tout à fait
mettre en œuvre un ambitieux projet artistique.
du public pour la nature et les jardins ont fait très
1
Vue aérienne du Domaine régional de Chaumont- sur-Loire. ©
2
Jardinière en carton recyclé vue dans « Le jardin poubelle » de Michel PENA (France - 2008). Dans cet espace, tous les « déchets » des autres jardins sont réutilisés. Cl. B. Renoux.
1
230
303 / NA 103 / 08
231
Le festival des jardins de Chaumont-sur-Loire Né de la débordante imagination de Jean-Paul
vivants de Villaines-les-Rochers ont été remis à
originale, une invention qu’il a tenté de repro-
Pigeat, un passionné de jardins, le Festival interna-
l’honneur ; c’est à Chaumont que des expériences
duire dans son propre jardin.
tional des jardins s’est installé, en 1992, à l’ombre
nouvelles de lagunage et d’irrigation ont été pré-
Chaumont, c’est aujourd’hui un festival in-
du château de Chaumont-sur-Loire. Mettre en évi-
sentées, unissant efficacement science et poésie
ternationalement connu, attirant des concep-
dence la richesse et la diversité de l’art des jardins
et inspirant un public avide de découvertes…
teurs venus d’Asie ou d’outre-Atlantique, es-
d’aujourd’hui, montrer le foisonnement des ten-
Le maître mot du festival a toujours été : « Venez
saimant en Europe et en Amérique latine ; c’est
dances dans ce domaine, tel était le pari d’une
piquer nos idées. »
aussi un centre de formation aux métiers du
manifestation conçue dès l’origine avec beaucoup
À côté de jeunes talents encore peu connus,
paysage et des jardins, dont le rôle n’a pas été
d’audace et d’ambition, dans un lieu plutôt difficile
des paysagistes célèbres comme Shodo Suzuki,
mineur dans l’évolution des techniques de fleu-
bien que situé au cœur du « jardin de la France ».
Emilio Ambasz, Andy Cao, Peter Walker, Fernando
rissement des villes, nombre de responsables
Fort d’une phénoménale énergie, Jean-Paul Pigeat
Caruncho, Fumiyaki Takano, Charles Jencks, Lucien
venant s’y ressourcer et enrichir leurs connais-
confia au grand paysagiste belge Jacques Wirtz le
Kroll, Adriaan Gueuze, Herbert Dreiseitl, Kunya
sances. C’est aussi un lieu de sensibilisation à
soin de concevoir le dessin général et la forme des
Maruyama, Gunther Vogt, Fiona Meadows, Peter
la nature et au jardin pour un nombre consi-
parcelles du Festival, destinées à accueillir des jar-
Latz, Susan Child, Marc Rudkin, etc., ont créé des
dérable d’enfants et d’adolescents : près de
dins éphémères, renouvelés chaque année autour
jardins à Chaumont pendant toutes ces années.
20 000 d’entre eux participent chaque année
d’un thème et donnant lieu à un concours inter-
Furent également accueillis des architectes
à nos ateliers pédagogiques, s’ajoutant aux
national. Le choix des paysagistes, la créativité et
comme James Wines, Shigeru Ban ou Jean-Michel
150 000 visiteurs du Festival.
la diversité des techniques et des propositions
Wilmotte, sans oublier les metteurs en scène Bob
présentées, autant que l’engouement exponentiel
Wilson, Macha Makaïeff et Peter Greenaway.
Longtemps géré par une association, le Conservatoire international des parcs, des jardins
Qu’ils nous entraînent dans les replis de la
et du paysage s’est fondu le 1er janvier 2008
vite de Chaumont un lieu de rencontre incontour-
« mémoire »,les risques du « chaos » ou les audaces
dans le Domaine de Chaumont-sur-Loire, au
nable, pépinière de talents et d’idées nouvelles.
de « l’érotisme », les jardins de Chaumont ont
moment où la Région Centre, après avoir acquis
C’est à Chaumont que Patrick Blanc a présenté
souvent inventé, parfois provoqué et toujours
le château et le parc, a créé un nouvel établisse-
pour la première fois au public ses célèbres murs
fait rêver le visiteur, et chacun a en tête une
ment public de coopération culturelle, destiné à
végétaux ; c’est à Chaumont que les saules tressés
image infiniment poétique, une idée tout à fait
mettre en œuvre un ambitieux projet artistique.
du public pour la nature et les jardins ont fait très
1
Vue aérienne du Domaine régional de Chaumont- sur-Loire. ©
2
Jardinière en carton recyclé vue dans « Le jardin poubelle » de Michel PENA (France - 2008). Dans cet espace, tous les « déchets » des autres jardins sont réutilisés. Cl. B. Renoux.
1
230
303 / NA 103 / 08
231
1
236
303 / NA 103 / 08
Through this, Jim Hodges, installation, 189 éléments (fleurs artificielles) épinglés au mur selon un schéma, soie et matière plastique, épingles métalliques, 1996. Coll. du Frac des Pays de la Loire. DR.
237
végé tal et méti e r 1
238
303 / NA 103 / 08
Plots de bois exotique, zone portuaire de Cheviré, port autonome de Nantes-SantNazaire.
239
Production actuelle des plantes médicinales Oui, Chemillé est bien la capitale du pays
du château des plants de camomille romaine
d’hommes réduits à l’inactivité par la destruc-
de son climat, produit à l’état spontané la plupart
les plantes à parfum, 17 000 hectares de lavandin,
Notre pays a également une longue tradition de
(Chamaemelum nobile) à titre ornemental ; M. de
tion des vignes, en attendant l’installation
des espèces utilisées en herboristerie et en phar-
Chemillé, « porte des Mauges », sur les bords de
4 000 hectares de lavande, 1 000 hectares de
cueillette sauvage pour des besoins très divers.
Quatre Barbes, revenant d’une campagne d’Italie
progressive de plants de vigne américains.
macopée ; et il serait aisé d’en intensifier la produc-
l’Hyrôme, au cœur du bocage, résume à elle seule
sauge sclarée ; pour les plantes aromatiques,
C’est ainsi que beaucoup de ramasseurs pro-
et probablement aussi des Balkans (1859),
L’arrivée du chemin de fer à Rablay et Chemillé
tion par sa culture. Non seulement elle pourrait
toutes les particularités de ce pays des Mauges.
1 500 hectares de thym, estragon, persil, basilic,
fessionnels récoltent dans la nature la partie
conseilla aux agriculteurs du village la culture de
ouvre un marché destiné aux herboristes
arriver à se passer presque complètement du
C’est Julien Gracq, enfant du pays, originaire
etc. ; pour les plantes médicinales, 7 700 hectares
aérienne de la reine des prés (Spirea ulmaria),
cette plante en vantant ses usages bénéfiques
des grandes villes de France ; des courtiers
concours de l’étranger, mais elle pourrait encore
de Saint-Florent-le-Vieil, qui nous en parle le
de pavot en production intégrée, 500 hectares
les jeunes rameaux feuillus du bouleau (Betula
sous forme de tisane.
et négociants s’installent, près de mille cinq
devenir exportatrice et conquérir des marchés,
mieux : « Ce qu’on découvre maintenant pro-
de ginkgo biloba en production intégrée,
alba), les feuilles du frêne (Fraxinus excelsior),
À Saint-Lambert-du-Lattay, l’histoire des
cents producteurs travaillent jusque vers 1965
qui avant la guerre, avaient été accaparés par
gressivement des deux côtés de la rivière, c’est
1 300 hectares de quantités d’autres espèces.
les racines du petit houx (Ilex aquifolium) ou
plantes est intimement liée à la famille Godillon.
et plusieurs milliers de femmes et d’enfants
les Allemands et les Austro-Hongrois. Il y a donc
des plantes médicinales !
ONIPPAM) détaillait les espèces cultivées : pour
La cueillette sauvage
un paysage que l’Ouest multiplie jusqu’à l’ob-
L’agriculture biologique est plus développée
encore les bractées et fleurs du tilleul (Tilia sp.)
Pierre Aimé Godillon, décédé en 1844, exerça le
récoltent la camomille, la rose de Provins puis le
là une source de richesse nationale qu’il importe
session… Non plus une gorge, mais simplement
dans cette filière que dans les autres filières
pour le secteur médicinal et notamment celui
commerce de la pharmacie à Paris, rue du Faubourg-
souci officinal (Calendula officinalis), le bleuet
de ne pas négliger. » Il existait deux comités im-
une vallée étroite et encaissée aux versants
agricoles en France, puisqu’elle concerne envi-
de l’homéopathie.
Saint-Martin, puis celui de l’herboristerie, dans
(Centaurea cyanus) et bien d’autres espèces.
ron 6 % et même près de 15 % des surfaces si
La racine de gentiane (Gentiana lutea), récol-
portants : le Comité régional de Provence et le
raides, où le roc affleure… » Ce pays de creux
le quartier des Halles. C’est à cette époque
Cette activité de production et de récolte
l’on ne considère que les plantes aromatiques
tée en Auvergne, ou les feuilles de thym (Thymus
Comité d’Angers, qui devait organiser dans cette
et de bosses, marqué par l’histoire tragique
qu’entre en lice la rose de Provins (Rosa gallica),
traditionnelles durera près de cent cinquante
et médicinales.
vulgaris) et de romarin (Rosmarinus officinalis)
ville, le 23 juillet 1919, sous la présidence d’honneur
de la période révolutionnaire, a su rebondir grâce
fournie par Nicolas Chiloret, marchand de fleurs
ans, puis la camomille romaine sera récoltée par
ramassées en Provence sont à destination du
de M. Émile Perrot, le premier congrès national
et beau-frère de Pierre Aimé Godillon.
des moyens mécaniques, et la rose de Provins
de la culture des plantes médicinales, ancêtre du
à son dynamisme légendaire et a inventé le concept des usines à la campagne.
Dans les régions
secteur alimentaire. Le mimosa (Acacia decur-
Selon l’histoire officielle, c’est Thibault IV de
disparaîtra de la flore locale. L’implantation des
colloque national « Les rendez-vous d’herbalia » qui s’est tenu à Chemillé en janvier 2008.
La production de plantes médicinales est la
Plus de cent vingt espèces différentes sont culti-
rens var.), le narcisse (Narcissus poeticus) et les
Champagne qui a rapporté cette espèce de Terre
cépages américains conduira au déplacement de
digne héritière de ce dynamisme et aujourd’hui
vées en France dans plusieurs régions anciennes
mousses d’arbres sont des espèces récoltées
sainte, vers 1240, et entrepris d’importantes
la production dans le Chemillois, qui deviendra
encore, même si la configuration initiale a bien
ou émergentes, pour un chiffre d’affaires à la pro-
pour la parfumerie.
plantations dans les environs de Provins. Le ro-
la principale région française de production, de
changé, après une période de calme relatif, au
duction de 85 millions d’euros.
siériste Charles Cochet mit à mal cette anecdote
commercialisation et de recherche sur les plantes
Le Maine-et-Loire compte près de 700 hectares
Les secteurs d’activité
Aujourd’hui
gré des modes, de la concurrence étrangère et
Le Maine-et-Loire – principalement la région
en 1933 en arguant du fait que le comte de
médicinales. Le 13 avril 1918 fut créé par décret le
de Chemillé –, différents massifs (Morvan, Alpes,
Les plantes à parfum sont utilisées dans les in-
de cultures de plantes médicinales, dont les
des contraintes réglementaires, elle fait toujours
Champagne n’a pu importer cette plante en
Comité interministériel des Plantes médicinales
etc.), la Vendée, la Champagne et l’Eure-et-Loir
dustries des détergents, de la cosmétique, de la
deux tiers dans la région de Chemillé.
preuve de dynamisme en s’adaptant sans cesse
France pour la simple raison que cette espèce
et à essences, sur proposition des ministres
(pavot), la Gironde (ginkgo), sont des régions
parfumerie bas de gamme et de la parfumerie
Plus de quatre-vingts espèces différentes
aux mutations imposées par le marché.
n’est autre que Rosa gallica, qui pousse spon-
du Commerce, de l’Instruction publique et de
alcoolique.
sont cultivées, comme le mélilot (Melilotus offici-
La France bénéficie d’une flore très variée,
historiques de production de plantes médici-
tanément dans notre région : la rose de Provins
l’Agriculture. Des comités régionaux y furent ad-
nales. D’autres, comme la Normandie (menthe
Les plantes aromatiques et alimentaires
nalis), la valériane officinale (Valeriana officinalis),
de climats particuliers suivant les régions et de
serait la rose de Damas, issue du croisement,
joints. Ils avaient pour mission de « rechercher
sols propices à la culture de bien des espèces.
pour l’huile essentielle) sont plus récentes. La
sont présentes dans quantité de secteurs comme
le cynara (Cynara scolymus), la camomille romaine
il y a nombre de siècles, de Rosa gallica et de
les moyens pratiques propres à organiser, dé-
Jusqu’au milieu du xixe siècle, il n’y avait que
ceux des boissons, des épices et aromates secs,
Rosa canina. Cette plante est, avec la camomille
(Chamaemelum nobile), la mélisse officinale
culture des plantes aromatiques est concentrée
velopper et intensifier la culture et la récolte
peu de cultures et les plantes médicinales
des plantes à infusion, de la charcuterie ou encore
romaine, la menthe poivrée (Mentha x pipe-
(Melissa officinalis), la menthe poivrée (Mentha
historiquement dans le Sud-Est de la France,
des plantes médicinales et à essences et leur
étaient ramassées à l’état sauvage ou culti-
des dentifrices.
rita), la mélisse (Melissa officinalis) et l’hysope
x piperita), le pavot de Californie (Eescholtzia
et notamment le département de la Drôme
commerce, en France et à l’étranger, déterminer,
vées par des religieux dans des monastères ou
Les plantes médicinales sont utilisées
californica), la partenelle (Chrysanthemum parthe-
(labiées méditerranéennes), pionnier en la
(Hyssopus officinalis) une des premières qui aient
centraliser et coordonner les besoins des acheteurs
abbayes, perpétuant une tradition remontant
dans l’industrie pharmaceutique allopathique,
été introduites dans notre région et dont il ne
nium), le radis noir (Raphanus niger), la matricaire
matière. La région de Milly-la-Forêt, région
et des vendeurs au mieux de l’intérêt général ».
au Moyen Âge, elle-même conforme au capi-
la phytothérapie humaine et vétérinaire, l’ho-
subsiste actuellement que quelques reliquats
(Matricaria recutita), le sisymbre officinal (Sisym-
historique de production de plantes médi-
tulaire de Villis, édité par Charlemagne vers la
cinales, comme celle de Chemillé, a dans les
méopathie, l’aromathérapie et l’industrie des
de culture.
cosmétiques.
qui ordonna la culture des
années 1990 réorienté sa production vers les
simples dans les monastères et les jardins
plantes aromatiques et plus particulièrement
royaux. Avant la Première Guerre mondiale,
culinaires (estragon, persil, ciboulette, etc.).
la France achetait également pour plus de
La région bordelaise accueille également des
20 millions de francs de plantes médicinales
cultures de plantes aromatiques.
fin du
viii e siècle,
Dans le rapport qu’il adressait en 1918 au pré-
brium officinale), le psyllium de Provence (Plantago
sident de la République, pour le prier de signer
arenaria) ou encore le chardon Marie (Silybum
Mais revenons à la famille Godillon, avec les
le décret proposé, M. Clémentel, ministre du
marianum). Le mode de production fait de plus en
deux fils de Pierre Aimé. Émile, pharmacien her-
Commerce, rappelait que « la récolte des plantes
plus appel aux techniques issues de l’agriculture
boriste à Paris, assure le commerce des plantes
médicinales, autrefois très active en France, a,
La fabuleuse aventure des plantes de notre région
biologique, Chemillé comptant parmi ses produc-
médicinales depuis Paris, et Jean Aimé, son aîné,
depuis un demi-siècle, subi une décroissance
commence au milieu du xixe siècle dans deux
teurs un des pionniers dans ce domaine.
revenu s’installer en Anjou, développe la culture
rapide. Notre pays, jadis maître du marché, était
lieux, les villages de Saint-Lambert-du-Lattay et
Les plantes sont exploitées pour leurs dif-
Les plantes à parfum (lavande, lavandin,
locale, en particulier celle de la camomille romaine
devenu au cours de cette dernière décade, tribu-
sauge sclarée) ont toujours été cultivées dans
de Chanzeaux, et grâce à quatre personnages : à
lorsque survient la crise du phylloxéra, dans
férents organes : feuilles, fleurs, fruits, graines,
taire de l’étranger pour presque tous ces produits.
Chanzeaux M. Gourreau, maire d’Angers qui a ha-
les années 1880, qui entraîne la destruction
racines. Elles sont le plus souvent séchées dans
le Sud-Est de la France, souvent dans des zones
Avant la guerre, c’est par dizaines de millions
difficiles des départements de la Drôme,
bité le château de Chanzeaux, et M. de Quatre Bar-
d’une grande partie du vignoble. Émile Godillon
des séchoirs artificiels, à basse température
de francs que se chiffraient nos importations
Actuellement, environ quatre mille exploitations
du Gard, du Vaucluse, des Alpes-de-Haute-
bes, officier, maître d’œuvre du château actuel ;
revient en Anjou et crée son officine de phar-
de plantes médicinales en provenance notam-
destinées au secteur homéopathique sont,
cultivent en France près de 33 000 hectares de
Provence ou encore des Hautes-Alpes. On cultive
à Saint-Lambert MM. Émile et Pierre Aimé
macie-herboristerie à Saint-Lambert-du-Lattay.
ment de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie.
elles, vendues fraîches. Les plantes peuvent
plantes médicinales, aromatiques et à parfum.
encore la violette, le jasmin et la rose dans la
Godillon. À Chanzeaux, selon des témoignages
La culture des plantes prend de l’essor et permet
Et cependant la France,grâce à la fertilité de son sol,
être coupées avant ou après séchage, tami-
Le recensement général agricole de 2002 (source
région de Grasse.
oraux, M. Gourreau a installé dans les jardins
d’employer un grand nombre de femmes et
à la richesse de sa flore, à la douceur et à la variété
sées pour répondre aux besoins des acheteurs.
et à essences à l’étranger. La culture des plantes médicinales,
aromatiques et à parfum en France
244
303 / NA 103 / 08
Dans le Maine-et-Loire
(30 à 400C) et à l’abri de la lumière. Les plantes
245
Le bois, matériau d’hier et d’aujourd’hui Avec une mère commerçante et un père maçon,
Malgré ces contraintes, le bon sens des gestion-
en partie aux besoins en bois du futur, d’autant
rien ne me prédisposait à privilégier le bois, pas
naires de la forêt française en a fait la plus grande
que le bois massif est de plus en plus remplacé
plus priori que mon premier emploi, dans la
forêt d’Europe et surtout la plus diversifiée. Tous
par des collages, assemblages, placages, par de
comptabilité – même s’il nous fallait surveiller
les utilisateurs des forêts – récoltants de grumes,
l’aggloméré, etc. Tout le volume du bois récolté
des ratios plancher et avoir des bilans charpentés
dérouleurs, papetiers, fabricants de panneaux
est utilisé, les chutes et la sciure sont récupé-
et équilibrés !
agglomérés, tonneliers et plus récemment les
rées pour confectionner du contreplaqué ou des
Le hasard a voulu qu’une jeune entreprise
agents de la filière « bois énergie », à cause de la
granulés compactés de chauffage. Depuis peu,
nantaise recherche un comptable. Ce fut ma
hausse du prix des autres énergies – se montrent
des essences à croissance rapide permettent de
chance et ma rencontre avec ce produit étonnant
attentifs au maintien de son équilibre.
couvrir certains besoins. Certains arbres de l’hé-
qu’est le bois : entre 1960 et 1980, l’entreprise
La particularité de la forêt française est son
misphère Sud peuvent ainsi être abattus quand
est devenue l’un des acteurs dominants de l’im-
augmentation régulière, et pourtant le volume
ils sont âgés de 15 à 25 ans ; il en va de même
portation du bois en France.
de bois qui en sort ne s’est pas accru. Il y a à cela
pour certains pins à cycle court du Chili et de
deux raisons : la première est le fait que beau-
Nouvelle-Zélande.
Le bois hier
coup de propriétés ont une superficie de moins
La forêt a parfois dû laisser place au soja ou
Le bois a toujours été utilisé par l’homme pour se
de 4 hectares, donc aucune obligation de récolte ;
au maïs, et les politiques vont devoir statuer sur
chauffer, faire cuire ses aliments, se loger, se dé-
la seconde est la non-accessibilité de très nom-
ces nouvelles orientations dans un avenir proche.
fendre, fabriquer des charpentes et des bateaux,
breuses forêts, seules les zones de plus de 15 hec-
Soyons pourtant rassurés : le matériau bois saura,
installer des toitures, écrire, réaliser des outils,
tares ayant un plan de gestion.
comme il l’a toujours fait, s’adapter.
des meubles, des totems, des instruments de musique… Le Moyen Âge a vu l’essor des maisons
La gestion du bois au niveau mondial
en bois, la plupart du temps en chêne. L’impor-
Le volume de bois d’origine française a dû être
tance du bois pour l’architecture et les besoins
complété par du bois d’origine scandinave ou
de la construction navale ont entraîné sous
exotique, pour satisfaire notamment les besoins
Colbert (1670) la première « certification fores-
du bâtiment. Les espaces forestiers de l’hémi-
tière », qui a permis de préserver l’une des plus
sphère Nord sont correctement contrôlés et
grandes forêts d’Europe. La nécessité de mettre
« renouvelés », mais des prélèvements excessifs
en culture de nouveaux terrains a entraîné une
sont pratiqués depuis cinquante ans dans les
déforestation
encore
zones tropicales. Par exemple, entre 1950 et
par les besoins en bois de chauffage, en bois de
importante, accentuée
1970, du bois venu des Philippines a permis de
mine et en charbon de bois, très utilisés au début
compléter le chêne français pour la fabrication
de l’industrialisation, sans oublier les aciéries, le
de fenêtres ; plus tard, l’Indonésie, l’Afrique puis
chemin de fer, etc.
le Brésil ont souffert des coupes intensives des
Le bois aujourd’hui
Occidentaux. Les pays émergents d’Asie poursuivent un abattage intensif sans aucun scrupule.
Avant d’utiliser du bois, il faut le « récolter »
Cette gestion chaotique n’est pas irrémé-
dans les forêts, et donc défigurer ce que certains
diable. Il faut augmenter la surface des forêts
appellent des « cathédrales vivantes »… C’est en
et réfléchir aux essences les plus adaptées aux
partie ce qui fait la difficulté de la sylviculture : le
besoins futurs, replanter là où une exploitation
cycle long des arbres oblige le propriétaire à at-
anarchique a sévi – dans la mesure où les sols
tendre entre 20 et 150 ans selon les essences, et
ne sont pas « lessivés ». Les essences tropicales
le gérant ne s’inscrit pas dans la logique actuelle
poussent heureusement très rapidement. Des
de rentabilité à court terme ; les promeneurs
plans de gestion doivent être envisagés et sur-
qui ont vu la forêt grandir et embellir s’appro-
veillés par les États, si cela fait partie de leurs
prient aisément ce « parc d’attractions » ; l’en-
priorités… Mais les choses avancent car les forêts
vironnementaliste la considère indispensable à
font l’objet d’une médiatisation dont elles pro-
la gestion de l’eau, à l’équilibre de la biodiver-
fiteront un jour !
sité végétale et animale ; pour les chasseurs,
Une gestion raisonnée des immenses res-
c’est l’habitat naturel d’un gibier abondant.
sources de la Sibérie pourra permettre de subvenir
252
303 / NA 103 / 08
Daniel Prud'homme
1
2
Arrivée de bois exotique, zone portuaire de Cheviré, port autonome de Nantes-Saint-Nazaire, Loire-Atlantique. Cl. B. Renoux. Grumes au port à bois de Cheviré, port autonome de Nantes-Saint-Nazaire, Loire-Atlantique.
253
254
303 / NA 103 / 08
255
Le maraîcher nantais, homme de culture et artiste de variétés Héritiers des jardiniers des faubourgs nantais
Légumes de concours
variétés, les Nantais ont longtemps été orientés
et des savants horticulteurs du XIXe siècle, les
En 1831, La Revue des deux mondes signale que
vers la culture du précoce », confie Philippe Retière,
maraîchers cultivent dynamisme collectif et
« le syndicat professionnel de Nantes, société
producteur de tomates et de concombres sous
concurrence interne. Innovants, inventeurs de
fondée au capital de 15 000 francs, fait d’impor-
serres à Pont-Saint-Martin et actuel président
variétés et de procédés, domptant les saisons,
tantes expéditions en Angleterre ». L’annuaire de
de la fédération, née en 1928. Des maraîchers
fournisseurs officiels des conserveries, ils ont
l’horticulture nantaise de 1851 dénombre cin-
nantais qui ont toujours été voisins, concurrents,
creusé leur sillon entre plein champ et serres.
quante-quatre de ces jardiniers-maraîchers « dont
motivés par le sens collectif et l’intérêt commun.
Tout le monde ne peut pas prétendre à la
les établissements produisent des légumes des-
Dès 1884, quatre ans après un conflit sur les prix
gloire, même locale. Surtout quand on a une
tinés à l’alimentation de la région et à l’approvi-
avec les conserveurs, une société coopérative se
tête de feuille d’épinard, et le nom peu enviable
sionnement des navires ». Selon les Annales de
crée « pour la défense des intérêts matériels et
de « Monstrueux de Viroflay ». Passe encore pour
la société académique de Loire-Inférieure de 1859,
moraux de ses membres » ; elle est vite transfor-
une carrière de catcheur, mais le maraîcher n’est
« lorsque la société nantaise d’horticulture consent
mée en société à participation qui assure la pre-
pas lutteur de foire. Il a des racines, il a de la
à concourir à Paris, dans les expositions générales,
mière expédition de carottes et de radis à Londres
tenue, tout de même ! Depuis des générations, il
elle a l’habitude de remporter la médaille d’or -
et à Paris en 1889. Londres et son marché de
accroche le nom nantais à quelques fleurons de
pour ses légumes », ajoutant que « l’horticulteur
Covent Garden, les Nantais connaissent bien :
la sphère légumière. La « Gloire Nantaise », par
est pour nos régions, une création toute nouvelle.
ils y vendent déjà leurs poires Williams made
exemple. Une laitue dûment répertoriée. Tout
Son individualité, difficile à définir, résulte d’un
in Nantes, enveloppées dans du papier frisé
comme le « Joannet Nantais », un chou pommé
heureux mélange de caractères : de l’agriculteur,
pour éviter les mâchures. Le marché anglais a
qui a su prospérer en bordure des planches des
qui demande à la terre une rémunération de son
ses aléas quand les Britanniques voient du do-
tenues maraîchères.
travail ; de l’amateur de jardins, qui demande aux
ryphore partout et restreignent les entrées de
végétaux de lui procurer de nobles jouissances, de
carottes primeurs de Loire-Inférieure.
Tout un théâtre de variétés
flatter la passion la plus élevée, la passion du beau ;
En 1903, les maraîchers sont en grève : ils
L’influence des Nantais sur la dénomination de
du botaniste de profession qui ne se contente pas
protestent contre le parcours qui les mène au
variétés est un signe de créativité. On a ainsi
d’aimer et d’admirer les plantes mais veut aussi
marché de la Duchesse Anne et les oblige à tra-
retenu la « Nantaise à cœur plein », une carotte
et leur nom et leur organisation et leurs mœurs »,
verser le quatrième canton, trop rouge à leur
attendrissante, à ne pas confondre avec ses
notant au passage que « l’industriel, l’artiste et le
goût. Jusqu’en 1914, l’essentiel de la production
cousines à la mode de Bretagne, la « Carotte de
savant se sont fondus dans cette personnification
est absorbé par le marché nantais. Le 25 janvier
Chantenay » et la carotte « à forcer de Vertou ».
nouvelle », usant de « procédés basés non plus sur
1936 est lancée la marque MN, apposée en vert
Le panier compte aussi un céleri-rave variété
la routine mais sur une expérience raisonnée et
sur les « cageots nantais, légers et sans retour ».
« Saint-Sébastien » ; un artichaut, le « Gros Roux
sur les indications de la physiologie végétale ».
Mais des petits malins réutilisent quand même
de Nantes » ; une poire Williams nantaise ; un
Pour arriver à ce mélange industrieux d’art
ces cageots. La fédération engage de nombreux
melon cantaloup nantais ; un melon doulonnais…
et de science, la région a ses atouts : le climat
procès contre ces « aigrefins présentant à Covent
Les professionnels ont aussi laissé à la posté-
aux douceurs océaniques permet la précocité
Garden des produits très inférieurs venant de
rité une pelle à bêcher et un cageot, modèles
des légumes en leur évitant de se geler les pieds ;
toute autre région que Nantes ». La vigilance
nantais. On leur doit la découverte des cultures
la conserverie ouvre des débouchés à partir de
s’organise. Tous les jours, à tour de rôle, deux
forcées au fumier de cheval et les premières ap-
1820 ; le sable de Loire est à disposition, et l’eau du
maraîchers de la fédération contrôlent depuis
plications des châssis de verre, aussitôt baptisés
fleuve en abondance… La Revue horticole note en
la gare d’expédition les cageots estampillés.
« châssis nantais ».
1862 que « le climat de l’Ouest est très favorable
Au XIXe siècle, un distinguo apparaît entre
à la culture et la conservation pendant l’hiver
le simple amateur cultivant pour son propre
des pieds d’artichauts : aussi les jardiniers ma-
Tout vient des faubourgs nantais, Saint-Donatien,
pot-au-feu et le professionnel alimentant un
raîchers de Nantes et d’Angers font-ils de cette
Doulon puis Chantenay, qui fournissent marchés
marché, que l’on l’appelle légumiste, villager
plante un commerce étendu et lucratif. »
et conserveries. Les tenues maraîchères sont
des environs, primeuriste ou jardinier, voire jardinier de maison quand il est attaché à une
La culture précoce du jardinier
Tenues de faubourgs
d’abord de petites parcelles aux confins de la ville. Elles portent le nom du lieu-dit, ou celui du
propriété noble ou bourgeoise locale, mais peut
« On a la culture du jardinier, qui tire le meilleur
premier propriétaire. Chantenay a encore une
vendre au marché ses surplus. Le terme de ma-
parti de son potager, en exprime le meilleur.
« tenue Gouleau » devenue une simple impasse,
raîcher ne s’imposera véritablement qu’à partir
Avec la vocation du primeur d’être le premier
dont le nom se perd sur les plans et les plaques
du milieu du XXe siècle.
sur les marchés. Précurseurs dans la création de
de rue. Saint-Rogatien a bien une « tenue de la
256
303 / NA 103 / 08
1
1
Culture de tomates et concombres sous serre, Port-Saint-Martin, Loire-Atlantique. Cl. B. Renoux.
257
Les maraîchers nantais
fontaine stercoraire », mais Louis Biteau, ingé-
1995 a sonné le glas de la carotte nantaise.
nieur agronome qui a beaucoup écrit sur les
Des producteurs normands de carotte d’hiver
maraîchers, révèle que ce curieux adjectif n’est
investissent dans les Landes : grands terrains
qu’une « traduction polie du mot gallo-romain
disponibles et mécanisation leur ouvrent le
foutem merdam ». Comme quoi, tout vient bien du
marché de la carotte primeur, que les Nantais
fumier qui fait prospérer les plantes. On tentera
doivent vite abandonner pour la mâche, qui
aussi le guano, le crottin de cheval militaire ou de
n’est alors qu’une niche, comme disent les éco-
compagnie de fiacres, le phosphate de chaux, les
nomistes. Il faut mettre au point des machines
résidus d’usines de conserves, et des lots de cendre,
pour laver cette doucette ensablée, soigner les
boues, eaux d’égouts et autres vidanges.
conditionnements et installer des ateliers dédiés
Élargir les saisons
à la mise en barquettes, lancer des promotions en conviant de grandes toques. C’est un succès.
Délaissant les parcelles cachées derrière les murs
Mais « le danger, c’est le monoproduit. Si ça
de pierre, les producteurs passent la Loire, s’im-
coince, on n’a rien pour se rattraper », dit Olivier
plantent derrière La Divatte, dans la « Vallée », à La
Terrien, producteur de mâche et de poireau à
Chapelle-Basse-Mer, à Saint-Julien-de-Concelles.
La Chapelle-Basse-Mer. L’hiver dernier, le froid
En 1961, dans Voyage en France d’un agronome,
de novembre a retardé la pousse de la mâche,
René Dumont note comment les primeurs ont
absente des fêtes en décembre, et disponible le
trouvé un créneau dans le calendrier : « En carottes
10 janvier, après le meilleur des ventes. L’hiver
et concombres, la production de Nantes se situe
d’avant, humidité et bactéries ont obligé à jeter
juste dans un “trou“ européen et se défend
une bonne partie des récoltes. Et l’Allemagne
bien. » Dans ces années 1960, le plastique rem-
– 40 % du marché à l’export – commence à pro-
place le verre, alors que certains essayent – sans
duire sa propre mâche...
succès – de faire pousser des oignons américains
Alors, comment prévoir les évolutions ? « La de-
pour les déshydrater, d’autres pour la parfumerie.
mande actuelle de bio, il faut l’entendre, mais elle
La culture sous serre se développe. Une produc-
est inapplicable pour nous. Les très gros moyens
tion sur un lit de laine de roche, avec des armadas
de la recherche nous ont garanti une producti-
de mini-insectes comme auxiliaires, prédateurs
vité grandissante et le marché s’est découvert
des parasites et bactéries qui risquent de ratatiner
les exigences d’uniformisation de calibrage »,
les tomates et concombres hors sol. « Une lutte
dit Philippe Retière. « Ça remettrait en cause dix
biologique intégrée, réussie à 95 %. Notre métier,
ans de stratégie de mécanisation, d’intensifi-
c’est le confort de la plante, qui nous assure la
cation », reconnaît Olivier Terrien. Difficile de savoir
qualité », dit Philippe Retière. Sous verre, ces éco-
ce que l’on mangera dans une génération. Même
systèmes artificiels bénéficient des recherches de
les grosses légumes n’en savent rien.
l’INRA, se jouent des saisons et des aléas du climat et répondent à la « sécurité de l’approvisionnement » exigée par la grande distribution. Ces serristes trouvent leur place autour de Machecoul. La carotte est cuite
Aujourd’hui, à côté du muguet et d’un peu de radis, le plus gros du volume produit en plein champ est constitué par la mâche et le poireau primeur. Dernière évolution, les grands abris de plastique offrent une meilleure gestion de l’arrosage et du contrôle des intrants. Cela permet aussi d’optimiser les outils, en passant au radis après la mâche, et en gardant une partie de la main-d’œuvre toute l’année.
258
303 / NA 103 / 08
Nicolas de la Casinière
Jacques Cailleteau. Comment voyez-vous l’évolution de votre profession ?
niveau de notre profession, nous avons un animateur de santé publique que nous avons em-
Philippe Retière. Ce qui m’intéresse, c’est l’avenir,
bauché spécialement pour traiter des thémati-
le rapport aux autres, la dynamique que l’on
ques du développement durable, ce qui est assez
peut développer. Il y a des régions mortes, faute
rare en agriculture ! C’est la preuve que nous
d’avoir pu se projeter sur de nouveaux marchés,
sommes officiellement tous intéressés, et dans
sur de nouvelles productions, de n’avoir pas
tous les secteurs de notre activité. Mais, il faut
imaginé ce que sera la production dans quinze
bien le dire aussi, la notion de développement
ou vingt ans. Chez nous, chaque professionnel a
durable reste souvent un élément de pure com-
une responsabilité dans son domaine de compé-
munication. Dans les faits, en France, combien
tence. C’est de la prospective. Nous vivons dans
de personnes sont réellement concernées par
un monde qui va vite, où les gens disent tout
sa gestion ? Pas beaucoup, cela demande des
et n’importe quoi, souvent par peur. Ils veulent
moyens, il faut payer et pour payer, il faut se réu-
être au courant, participer à tous les débats
nir avec les professionnels et se dire : « On avance
sans avoir forcément les compétences pour cor-
dans cette direction-là et ça coûtera tant. » C’est
rectement juger et nous, nous pensons qu’il y a
ce que nous sommes parvenus à faire entre nous.
des choses inéluctables, dans nos compétences
Tout le monde a été d’accord et a payé. Ce sont
techniques et historiques. Nous ne pouvons
des cotisations volontaires. Il n’y a pas de système
faire comme si rien n’avait été fait avant nous,
de cotisation obligatoire chez nous.
jeter à la poubelle toute une tradition, une expérience, parce que deux individus ont décidé
Dans l’ensemble des maraîchers ?
que ce n’était pas comme cela qu’il fallait faire
Oui, ceux du département, même si l’on déborde
maintenant. Partout, on s’arroge le droit de
un peu sur l’extérieur et notamment sur la Vendée,
critiquer l’autre sans se remettre en question.
qui a une tradition maraîchère importante. Beau-
Donc, par peur, on devient accusateur de tout.
coup de maraîchers vendéens sont rattachés
On rentre dans un système où l’autre sert de
au système de cotisations nantais, ce qui n’est
bouc émissaire. À nous, donc, de tenir bon.
pas vraiment le cas dans le Maine-et-Loire par
Récemment, on s’est raccroché à un grand
exemple, qui a son propre système de marché.
mot, le développement durable qui est, en soit,
Mais il est vrai que nous tentons de nous ouvrir
une conception logique de nos métiers : il y a
le plus possible. Cela se passe plutôt bien car la
de l’économie, du social et de l’environnement.
transversalité est importante.
Mais ce principe était appliqué bien avant son
Et le consommateur, vous le voyez à l’occasion ?
Il est le plus difficile à toucher car nous avons un intermédiaire de poids, la grande distribution qui devrait, dans l’idéal, faire la courroie de transmission. Certes, il y a des initiatives ponctuelles comme les campagnes de publicité, pour la mâche par exemple, organisées directement par les producteurs en direction des consommateurs. Forcément, nous essayons de valoriser ces produits à travers la grande distribution mais ce ne sont jamais des campagnes de communication conjointes. L’effort vient de nous. Après, tant mieux si ça marche ! Nous faisons aussi des opérations plus directes avec un groupe de jeunes maraîchers qui a la charge de ces opérations. Nous allons dans les galeries marchandes des grandes surfaces, les centres-villes, au contact des consommateurs pour montrer et valoriser toute notre production, comme les tomates hors sol. Un dialogue s’installe souvent. Nous participons également à des manifestations plus officielles, ouvertes au public, comme au congrès de l’APL, l’Association nationale des Producteurs de Légumes. La cité des Congrès avait été remplie de machines, de plantes… Il y a eu aussi une exposition. L’objectif était d’expliquer toutes les étapes d’une production. Nous faisons chaque année plusieurs opérations de ce genre. On a souvent tendance à nous prendre pour des gens qui n’auraient à offrir que des services, qui seraient au service d’une économie qui ne vivrait,
Mais le maraîchage, c’est plutôt Nantes
comme on nous l’a expliqué il y a quelques années,
est une réalité très juste, mais très rude aussi.
Plutôt Nantes, effectivement, sur la forme lourde.
la frontière est un peu ténue. Et puis, après tout,
Elle permet de gérer les équilibres mais on ne
Mais nous la connaissons en termes de poids éco-
peut prendre une décision dans le développe-
nomique. C’est à partir de nos propres expériences
ment durable dans une thématique sans ex-
que nous devons régler plusieurs problématiques
pertiser les autres. Le problème, c’est que dans
pour l’avenir, sur les plans social, économique et
développement durable, les gens n’entendent
environnemental. Le marché social a été précur-
généralement que le mot environnement. Ça,
seur pour mettre en place des gestions de res-
c’est pour éviter que ça marche. L’idée a été
sources humaines dans les entreprises, et surtout
lancée il y a à peu près deux ans et aujourd’hui,
pour associer dans une même formation salariés
où en sommes-nous ? Pour nous, maraîchers, il
et chefs d’entreprises. Et je peux vous dire que
s’agit d’abord de faire l’analyse de nos pratiques.
les échanges sont fort intéressants. On a réussi
On est assez transparents sur ce point, ce qui
aussi à réunir deux financiers sur le même pro-
nous donne la possibilité de nous défendre, de
gramme. Ce sont des challenges qui ne sont pas
renvoyer les autres à leurs responsabilités. Au
simples. Mais on y arrive.
invention. On ne mettait pas de mots dessus, voilà tout. La réalité du développement durable
que la Vendée ?
que de services. Mais entre service et production, pourquoi pas ? De mon point de vue, il ne faut être ni dans l’un ni dans l’autre. Il faut conserver le milieu technique car l’énergie des deux fait la médiation. On sait très bien qu’un certain nombre de professionnels de l’économie ont disparu dans l’acte de production, soit par manque de recherche d’innovation, soit par réorientation des recherches d’innovation et notamment par la délocalisation. Ça, pour moi, c’est le pire en économie. Mais à l’époque, j’étais trop novice pour que l’on puisse me croire alors que j’étais parfaitement au courant des idées des économistes, ces mêmes gens dont les idées ont échoué dix ans plus tard !
259
264
303 / NA 103 / 08
265
Les Floralies, le pouvoir des fleurs
2
Bore mod modit at. Duis et, conse feumlor feu facin hendre con sequisim illam, sustie exerosto ea feugait la faccum zzrit alit alit
Une 10e édition en 2009, une association qui
l’image de Nantes et de sa région, aux niveaux
et le Crédit mutuel nous octroient des subventions.
groupements des maraîchers nantais ; Société
existe depuis soixante-cinq ans, une renommée
européen et mondial. Ainsi, nous avons exposé
La Communauté urbaine met à notre disposi-
des horticulteurs amateurs de Nantes et région ;
internationale, plus de 4 millions de visiteurs en
ces dernières années au Japon (en y présentant
tion du personnel pour nettoyer le site après la
Société nantaise des amateurs de cactées et plantes
neuf éditions… On ne compte plus les espèces et
le muguet nantais), à Gand, Gênes, Montréal,
manifestation. Nous avons également d’autres
grasses ; Société nantaise du dahlia et des amis
variétés florales qui sont présentées, ni les pays
Québec, Genève, Shanghai (nous y avons exporté
partenariats… La liste est longue !
des plantes ; Société nantaise d’horticulture ;
exposants… Mais qu’est-ce qui fait courir le public
en 2006 la tour LU en mosaïculture), Valence...
E.B. On établit le budget en fonction des
Syndicat professionnel des artisans fleuristes de
aux portes de la Beaujoire pendant ces quelque
Nous sommes également membre cofondateur
entrées, des subventions des partenaires et des
Loire-Atlantique ; Syndicat des producteurs de
dix jours de manifestation en mai ? « Le pouvoir
de l’AIF (Association of international Floralies),
emplacements payants. Nous sommes avant
fruits de Loire-Atlantique - GDAF ; Syndicat des
des fleurs ! », précisent Eugène Boussaud, prési-
au même titre que les quatre autres manifes-
tout une grosse équipe de bénévoles, ce qui
producteurs horticulteurs et pépiniéristes de Loire-
dent du Comité des Floralies, et son secrétaire
tations florales les plus importantes : Gênes en
entraîne une économie importante sur les frais
Atlantique ; Union nationale des entrepreneurs du
général, Frédéric Fourrier.
Italie, Budapest en Hongrie, Valence en Espagne
de fonctionnement. Nous ne souhaitons pas ac-
paysage (UNEP 44) ; Syndicat des producteurs de
et Gand en Belgique. Cette association a été
cueillir plus de public. Paradoxalement, ça nous
fruits de Loire-Atlantique.
fondée en 2005, à Gênes, avec pour objectifs
pénaliserait. Trop de monde dans les allées de la
de créer de nouvelles synergies entre les pays
Beaujoire n’est pas souhaitable, ni pour le public,
Eugène Boussaud. À 1942 ; à l’époque, Nantes, par
de l’Union européenne et d’offrir de nouvelles
ni pour les exposants. C’est pour cela que nous
sa situation géographique et son climat, est un
opportunités de collaboration, d’échanges com-
avons choisi, cette année, d’ouvrir jusqu’à 23 heures :
bassin horticole avec ses maraîchers, son muguet,
merciaux, de sponsorisations et de mises en
ainsi, le public pourra profiter pleinement du
et compte de nombreux producteurs de plantes.
commun de moyens d’action.
site. On avance prudemment, pour pérenniser
création du Comité ?
Afin de revaloriser l’image de l’horticulture, les
F.F. La semaine dernière encore, nous étions
cette manifestation historique sur Nantes et
représentants du monde horticole1, les asso-
au salon international de l’Horticulture de
au-delà ! D’ailleurs, la liste des pays participants
ciations et les organismes professionnels se
Chelsea, et hier matin nous recevions les délé-
est convaincante. Déjà cent exposants ornemen-
réunissent et créent alors le Comité. Ce n’est
gations coréenne et chinoise, qui souhaitent
taux sont inscrits à ce jour : Guinée, États-Unis,
que plus tard, en 1956, que la première édition
participer à la prochaine édition des Floralies.
Canada, Chine, Corée, Russie, Pologne, Croatie,
des Floralies verra le jour : c’était au palais des
Nous sommes d’ailleurs invités aux premières
Afrique du Sud, Espagne, Italie, Belgique et la
sports du Champ de Mars.
Floralies, qui auront lieu à Qingdao en 2010.
principauté de Monaco… Le pouvoir des fleurs
Frédéric Fourrier. Cette manifestation s’est toujours tenue sous le haut patronage du président de la République. On a pu voir, d’édition
1
n’a d’égal que la passion des plantes au service Quels sont vos moyens financiers… et humains ?
en édition, au Champ de Mars tout d’abord, puis
E.B. Aux bureaux de l’hôtel de l’Horticulture,
au parc de la Beaujoire, les grandes figures de
nous avons maintenant trois personnes à temps
l’État, ainsi que des personnalités du monde
plein, ce qui facilite le suivi des dossiers. Durant
artistique ou scientifique : Jean Cocteau, Grace
l’année qui précède les Floralies, sept personnes
de Monaco, et plus récemment Jean-Marie Pelt,
gèrent au quotidien toute la mise en place de la
Laurent Voulzy et Isabelle Autissier2.
manifestation. Quinze jours avant le jour J, huit
E.B. Pour 2009, ce sera très certainement le ministre de l’Agriculture.
cents à mille personnes s’activent sur le site pour l’installation des stands, restaurants et espaces ornementaux, et veiller au respect de
Cette manifestation a lieu tous les cinq ans ?
la sécurité, de la mise en place du gardiennage.
E.B. Depuis la 6e édition et conformément au ca-
Avec cinq cent mille entrées, on ne peut pas
lendrier international de l’AIPH (Association inter-
improviser… Le thème est choisi et voté en
nationale des Producteurs de l’Horticulture),
assemblée générale, puis étudié par un architecte
les Floralies internationales ont lieu tous les cinq
paysagiste sélectionné pour chaque édition.
ans. C’est la troisième manifestation nationale
Cette année, le choix s’est porté sur Arnauld
après les salons de l’Agriculture et de l’Automo-
Delacroix, qui met en scène les espaces de la
bile, et la deuxième manifestation européenne.
Beaujoire.
Mais nous ne nous contentons pas de faire parler
F.F. Nous travaillons en partenariat avec la Ville,
de nous tous les cinq ans ! Le Comité s’investit
qui nous fournit une quarantaine de jardiniers
pour promouvoir l’horticulture, de même que
du SEVE. Le Conseil général, le Conseil régional
des hommes ! propos recueillis par Nathalie Perdoncin
2. Personnalités reçues durant ces neuf éditions : en 1956, M. Dulin, secrétaire d’État à l’Agriculture ; en 1963, M. Pisani, ministre de l’Agriculture - Jean Cocteau rend un bel hommage de sa main : « Les Floralies, c'est un titre qui se passe de commentaires, un bouquet d'images, de poèmes et d'anecdotes pour apprendre à aimer Nantes et ses environs. Une promenade à la recherche de “simples” qui guérissent du mal de vivre. » ; en 1971, M. Guichard, ministre de l’Éducation ; en 1977, Mme Giscard d’Estaing, Première Dame de France ; en 1984, M. Poher, président du Sénat ; en 1989, M. Jung, président du Parlement européen ; en 1994, 1999, 2004, MM. Puech, Glavany et Gaymard, ministres de l’Agriculture. Pour la petite histoire et rétrospectives : http:// www.comite-des-floralies.com/retrospective.php
Du 8 au 19 mai 2009, Le Pouvoir des fleurs, Floralies internationales de Nantes. Notes 1. En 2008, l’association Comité des Floralies, loi
Affiche Floralies hauteur
6/09/07
10:11
Page 1
de 1901, www.comite-des-floralies.com, réunit toujours diverses organisations adhérentes, toutes professionnelles ou amateurs, du domaine de l’horticulture, dont le but est de promouvoir le dé-
floralies internationales Dixièmes
veloppement et la vulgarisation de l’horticulture dans sa diversité, de contribuer à l’amélioration de
le Pouvoir des fleurs
l’environnement, du cadre de vie, ainsi qu’à la protection de la nature : Amicale des anciens élèves du
:-)(-: www.studiocomplices.com / Visuel fotolia Emilia Kun
Nathalie Perdoncin. À quand remonte la
lycée horticole Le Grand Blottereau ; Association française des directeurs de jardins et espaces verts
NANTES•FRANCE 8 >19 MAI 2009
SEVE 44 ; Association gestionnaire des formations horticoles du Grand Blottereau ; Fédération des 2
266
303 / NA 103 / 08
267
L’évolution du métier de jardinier
Une formation pour des passionnés du végétal
Les étudiants de l’INH viennent de toute la
a reçu près de 8 000 visiteurs venus de toute la région pour voir comment le végétal a fait « son cirque ».
France et ont entendu parler de l’école dans les
Passionnés par le végétal, les étudiants
médias, lors d’un salon ou, de plus en plus, via
cultivent des jardins sur le terrain de l’école et
le site Internet… Deux chemins principaux exis-
s’investissent sans modération dans des actions
tent, mais il y a aussi des voies originales pour
professionnelles, comme leur participation cette
entrer dans cette formation du domaine des
année au très célèbre Festival international des
sciences de la vie. Une petite moitié de nos étu-
jardins de Chaumont-sur-Loire : leur projet raconte
diants passe le concours l’année du baccalauréat
comment la fragmentation de la Terre a créé
(48 places), une autre (50 places) vient en troi-
de la biodiversité. Quatre niveaux d’évolution
sième année à l’issue d’une classe préparatoire
végétale y sont présentés.
scientifique, après le concours Agro ; la majorité des candidats font de l’INH le « premier choix »,
Au cœur du pôle végétal
leur venue ne résultant pas d’abord d’un clas-
Le vert est un élément de vie et tous les pro-
sement sur une liste, mais de leur volonté de
fessionnels doivent innover, situer le végétal au
poursuivre un projet d’étude ou d’avoir un mé-
centre de nos villes. Il ne s’agit pas seulement de
tier en horticulture ou en paysage.
questions techniques mais aussi d’une question
Ces deux grands chemins avec des bacs S
de société et d’un choix de vie : quelle société
ne doivent pas faire oublier les autres accès, qui
voulons-nous léguer à nos enfants ? Quel futur ?
nous sont aussi très chers : par divers concours,
Quel projet de vie et de partage ?
1
des BTS-DUT peuvent entrer en deuxième et en
Et ce n’est pas un hasard si la plate-forme
troisième année (34 places par an), sans oublier
nationale pour des villes plus vertes, Plante &
les étudiants venus de l’Université, de licence
Cité, est née à l’INH : cette organisation est ca-
ou de master. On découvre ainsi, à la faveur
pable de mutualiser, de fonder un réseau d’ex-
Jardinier : un joli mot de la langue française,
de tel ou tel entretien ou de la réponse à telle
périmentations à destination des services verts
que l’on rencontre à la croisée de la sphère
« Aujourd’hui, les jeunes qui sortent de l’école
arborescence a éclaté au fil de la spécialisation
ou telle enquête, que quelques bacheliers non
et collectivités. Travaillant avec l’INRA dans
privée et du domaine public. Les jardiniers du
[d’horticulture] ne savent plus bêcher.
et au profit de l’arboriculture d’ornement pour
scientifiques, après un BTS, se hissent au rang
le cadre du pôle de compétitivité Végépolys,
dimanche, experts en potager, poètes des
– Et vous, vous bêchez les parterres ?
les jardiniers gestionnaires d’espaces publics.
d’ingénieur ! Il ne faut pas se voiler la face :
Plante & Cité est une application concrète des
jardins de curé ou passionnés des sociétés
– Bien sûr que non, on passe le motoculteur. »
c’est difficile dans les matières scientifiques,
savoir-faire mis en œuvre en écologie urbaine
d’horticulture, n’ont rien à envier à leurs
Ce court dialogue, recueilli dans le cadre d’un
taniques transocéaniques, l’acclimatation des
mais avec de la motivation et au prix d’un gros
et maintenant accessibles sur une plate-forme
confrères professionnels, gestionnaires et ani-
stage de formation continue destiné aux jardiniers
plantes, la sélection, les obtentions variétales
travail, ces étudiants-là (après un baccalauréat
informatique.
mateurs des espaces verts publics : l’intérêt
municipaux, illustre à la fois l’importance des sa-
ont, par leur extrême diversité, introduit l’exo-
L’INH n’est qu’un élément du dispositif de
qu’ils portent au monde végétal et leur désir
voir-faire traditionnels, le lien entre mécanisation
tisme dans les jardins et la nécessaire identifica-
formation et de recherche du pôle végétal. Forte
de partager leurs compétences les rassemblent
et modernité et l’ancrage des pratiques dans le
tion des espèces et des variétés. La recherche et
de deux universités, de deux écoles d’ingénieurs
sous l’expression d’« homme heureux », adres-
travail de la terre. Le rapport au travail du sol est
la production végétales, fleurons de l’économie
sée par Louis XIV à André Le
technologique ou économique) peuvent aussi devenir ingénieurs ! Ce parcours d’ascension sociale se retrouve
Nôtre 1.
Ils ne savent plus bêcher
potagère, fruitière, florale et ornementale. Cette
Depuis le XVIIe siècle, les expéditions bo-
dans un recrutement national qui comprend
et de lycées techniques, la métropole angevine
permanent dans les pratiques de jardinage : les
ligérienne, conduisent leurs expérimentations
un tiers de boursiers. Cette fonction de promo-
est aujourd’hui le premier site européen de for-
Aux portes du « jardin de la France », la
dictons comme « un bon binage vaut deux arro-
et façonnent leurs catalogues autour d’une
tion sociale est très estimée de nos étudiants,
mation supérieure dans ce domaine. Valcam-
région des Pays de la Loire accueille de
sages », les expertises techniques de l’entretien
nomenclature, les jardiniers partagent avec les
qui n’hésitent pas à donner de leur temps pour
pus, le campus angevin du végétal, avec plus de
nombreux établissements qui assurent la
des gazons qui préconisent scarification et aération,
scientifiques et les pépiniéristes un vocabulaire
aller porter la bonne parole dans un lycée et
vingt-cinq cursus de formation du BTS au docto-
formation des jardiniers, techniciens et in-
et plus récemment les recherches appliquées
à plusieurs entrées pour désigner les plantes.
trois collèges d’Angers afin d’y faire naître des
rat, accueille 2 500 étudiants qui contribueront
génieurs de l’horticulture et du paysage.
aux mélanges de terre et de pierre en milieu
Le latin, depuis Carl von Linné, botaniste et
vocations scientifiques.
au dynamisme des entreprises du secteur et à
Quelles
fondamentales
urbain illustrent l’importance des liens entre
auteur en 1753 de la classification universelle, est
l’amélioration de notre cadre de vie.
qui y sont dispensées ? Quelles sont les pra-
la terre et les jardiniers ainsi que leur filiation
réservé à un public érudit et exigeant sur la no-
tiques et transmissions de savoirs qui ont fa-
avec le laboureur de… Jean de La Fontaine.
menclature. Le nom français relève du langage
Le clou des activités des associations étudiantes, c’est la traditionnelle « expo flo » qui, tous les deux ans depuis 1978, mobilise l’ensemble des étudiants et permet de méta-
Corinne Bouchoux et François Colson
sont
les
notions
çonné cette culture commune des jardiniers ? Et comment évolue-t-elle en ce début de
courant, mais le nom familier lié à un terroir ou à Le végétal, pilier de la connaissance
une tradition orale se rapproche du vocabulaire
morphoser l’école, durant trois jours, en une
XXIe siècle ? Tel est l’objet des réflexions propo-
L’enseignement horticole avait naguère l’ambi-
des jardiniers amateurs : du sévère et rébarba-
multitude de jardins. La dernière exposition
sées dans les lignes qui suivent.
tion de former des jardiniers « quatre branches » :
tif Antirrhinum majus, le muflier passera ainsi
272
303 / NA 103 / 08
273
Revue 303
Président d’honneur
Diffusion-Distribution
Hors série novembre 2008
Jean-Jacques Viguié
Pollen-Littéral
Hôtel de la Région
Président et directeur de la publication
1, rue de la Loire
44966 Nantes cedex 9 T. 02 28 20 63 03 F. 02 28 20 50 21
revue.303@paysdelaloire.fr www.revue303.com
Alain Gralepois
ZI du Bois-Imbert 85280 La Ferrière T. 02 51 98 33 34
Fondateur de la revue et direction éditoriale
F. 02 51 98 42 11
Jacques Cailleteau
Email : infos@pl2d.com
Sous la direction scientifique de
Dilicom : 3012410370014 Photogravure
Claude Figureau
Les artisans du regard
Directrice
Impression
Marie-Cécile Groux
Legovic
Coordination éditoriale
Papier couché Arctic the Matt
Carine Sellin
ISSN Nº 0762-3291
Assistante de diffusion,
Dépôt légal : 4e trimestre 2008
suivi des abonnements
Commission paritaire : Nº 1107 G 82813
Catherine Gary
Les opinions exprimées dans les articles
Chargée de facturation
n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs.
Marie-Anne Riot
Toute reproduction même partielle est interdite.
Comptable
L’association 303 reçoit un financement
Marylène Michaud
de la Région des Pays de la Loire
Conception graphique Philippe Apeloig assisté de Alexandra Bauch
p. 279 : Production de semences de chicorée maraîchère, Melay, Maine-et-Loire. Cl. B. Renoux.
278
303 / NA 103 / 08
p. 280-281 : Le jardin en mouvement du lycée Jules Rieffel à Saint-Herblain, Loire-Atlantique. Cl. B. Renoux
p. 282-283 : Gunnera manicata, Jardin des plantes du Mans, Sarthe. Cl. B. Renoux.
279
282
303 / NA 103 / 08
283