Q 2窶各
Édito
— Le XX° siècle, suivant les velléités progressistes de la modernité nous a légué un patrimoine bâti conséquent, la plupart du temps conçu dans une démarche utilitaire peu souvent esthétique. De la reconstruction de logements d’après-guerre à la production en masse de bâtiments industriels, ce bâti n’a pas été produit dans le but d’être transmis à la postérité mais pour un besoin immédiat et fonctionnel. Au terme de ce siècle d’innovations et d’évolutions, notamment techniques et constructives, nous faisons le bilan de cet héritage, tentons d’en saisir les enjeux, d’en comprendre les échecs. Alors que certaines architectures comme le Salk Institute de Louis I. Khan, se constituent en exemple de syntaxe architecturale du béton et traversent l’histoire du XX° siècle, d’autres présentent des limites par rapport à la société de demain. Accueillit à bras ouverts au début des Trente Glorieuses, l’habitat de masse, par exemple, était la promesse de confort et d’avancées sociales. Désormais, il abrite une population qui, à l’inverse de ses prédécesseurs, n’a pas nécessairement choisi d’y vivre. Expliquant les premières révoltes qui éclatent dès 1981 aux Minguettes, quartier de la banlieue lyonnaise, marquant le début d’une politique de réhabilitation de ces lieux où le mal vivre est la réalité quotidienne de beaucoup. h é r i tag e
De ces architectures en béton, voisines dans leurs matérialités, l’histoire aura donc attribuée deux valeurs opposées. La première se présente aujourd’hui dans son idiosyncrasie comme une architecture singulière, soumise à un programme extraordinaire. La seconde, aujourd’hui mal aimée, est caractéristique de la période d’après-guerre; époque la plus prospère en matière de construction dans l’histoire de l’humanité. Durant le XX° siècle, la politique du logement standardisé à bon marché s’est paradoxalement réalisée par le biais d’un matériau «trop» durable qui s’est affirmé de façon péremptoire dans notre espace bâti : le béton armé 1
Édito
préfabriqué. Plus proche de notre époque, les grands sites industriels de la Ruhr, en Allemagne, remarquables par des installations mécaniques de grande ampleur, conçus sans aucune démarche esthétique sont aujourd’hui, comme de nombreux autres dispositifs de ce type, considérés comme relevant d’une valeur patrimoniale. L’Emscher Park est un excellent exemple témoignant de cette nouvelle perception de l’architecture industrielle, dont les vestiges sont aujourd’hui réinterprétés grâce des programmes culturels et paysagers. Ainsi, malgré un certain rejet populaire, ces constructions sont investies par les artistes, les architectes et finalement par la société contemporaine toute entière. Cette architecture, répétitive, générique, dont la réponse à un contexte passé est désormais archaïque, n’avait pas vocation à être conservée contrairement au patrimoine d’hier, produit dans une volonté de durabilité et de transmission assumée. Pourtant ce leg du XX° siècle est en passe de constituer le patrimoine de demain. Il semble donc que l’architecte doit plus que jamais tirer des conclusions de ce siècle passé et du lourd héritage qui l’accompagne. Le futur architecte doit apercevoir le rôle que demain il sera amené à remplir, en tant qu’acteur du territoire à part entière, conscient de l’impact de son travail dans le temps. Plus que jamais, les lois environnementales (RT 2012 et bientôt RT 2020 dans le cas de la France) contraignent l’architecte et les acteurs de la construction à innover et nous incitent à envisager nos projets dans une dimension temporelle, nous engageant sur la question de la pérennité environnementale et constructive de l’architecture. Ce sont ces enjeux qu’il nous semble précisément important de traiter au sein de ce numéro. Comme nous l’avons dit, les ouvrages en béton et les constructions industrielles se sont installés de façon 2
Édito
péremptoire dans notre paysage, au cours d’une époque progressiste et euphorique n’ayant aucun recul sur les conséquences à long terme des avancées techniques et sociales que chaque jour elle développait. Pourtant, ces bâtiments semblent aujourd’hui prêts à disposer d’une nouvelle vie dans le monde contemporain. La question environnementale soulève une thématique extrêmement importante ; dans un contexte de crise, énergétique et financière n’est-il pas plus judicieux de reconvertir plutôt que de démolir ? Ou alors, comme le dit Luigi Snozzi, s’agit-il d’apprendre à «détruire avec conscience» ? Dans nos conceptions actuelles, doit-on penser la construction en terme de durabilité, comme semble l’encourager un certain nombre de mesures réglementaires ou au contraire nous interroger sur le potentiel de transformation et de reconversion de l’architecture ? Il s’agit donc bien de s’intéresser au nouveau bâti de demain à partir de sa forme actuelle, à ce patrimoine qui parfois semble « en marge » de la société, qui a pu être reconverti ou qui est, plus rarement, toujours d’actualité (ex : le Lignon à Genève). Cette question d’actualité et de qualité du patrimoine, Cyrille Simonnet la pose à travers le matériau qui symbolise l’architecture du siècle passé : le béton. Il pèse son poids aussi bien en terme patrimonial qu’en terme environnemental et représente une «calcification du territoire dans sa lente progression urbanistique». Il a permis de construire «le leg bâti sans qualité du XX° siècle », un patrimoine d’aujourd’hui et surtout de demain».
L’équipe QNDMC. 3
Sommaire
Qui ne dit mot consent #1 Héritage Le patrimoine sans qualité 8
Mood 14 Rotonde de la gare de triage 20 de Badan, Grigny
Héritage 26
Vingt fois sur le métier remettez 30 votre ouvrage
Le complexe de l'héritage dans 32 le projet architectural
Entretien avec Luigi Snozzi 36
Communauté 42 La loggia corbuséenne, le couvent dominicain et le village japonais
Diane Berg Poster central
Dispositifs et généalogie de 48 l’architecture du temps présent
Héritage : être et avoir 52
Jean-Phillippe Aubanel 54
L'héritage des grands ensembles, 58 un consensus impossible
Crédits & bibliographie 64 5
Hé Qndmc
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érita numéro 1
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Qndmc
Le patri moi ne sans quali tĂŠ
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Héritage
Cyrille Simonnet
Héritage : deux domaines au moins peuvent se prévaloir de cette notion. Le patrimoine, dont la vocation est assez précisément de définir ce qui, du tout venant de la production matérielle et culturelle, peut constituer un héritage digne de mémoire pour la société qui le décrète. Et l’environnement, catégorie d’obédience naturelle mais devenue éminemment morale, qui se mesure désormais à l’aune de la qualité du milieu vital – la planète – que les sociétés humaines laissent en héritage aux générations futures. A certains égards, on peut même confondre environnement et patrimoine sous ce même aspect : quel héritage va-t-on offrir à nos descendants, l’un concernant la Nature, l’autre la Culture. Sous ce vecteur de la transmission générationnelle, ces deux catégories de nature et de culture ne s’opposent plus désormais. Au contraire, elles s’unissent sous le même label – legacy – et constituent le repère relativement nouveau permettant d’évaluer, voire de mesurer la conduite des sociétés humaines [Descola, 2005].
la planète (7% des émissions mondiales) ; le béton ne se recycle quasiment pas ; le béton armé, indestructible, génère des friches qui font des décors de cinéma hallucinants mais qui sont des cauchemars pour les aménageurs. Il y a donc matière à s’interroger sur ce patrimoine, ce bien de nos pères, ce legs à nos enfants. Ainsi, les lignes qui suivent ne proposent que des jalons conceptuels ; elles sont un programme plus qu’une analyse, une sorte de constat organisé (et référencé : c’est le sens des renvois bibliographiques qui ponctuent ce texte). Quantité Si l’environnement peut se définir au premier degré comme lieu (le milieu, comme ce qui nous environne est un repère topographique), alors les objets qui l’occupent participent à sa qualification [Augoyard, 1995]. En l’occurrence, le matériau dominant de notre domesticité moderne – le béton armé – façonne et matérialise en partie les coordonnées environnementales1. Il y a bien sûr autre chose. Mais le génie du lieu, qu’on le veuille ou non, se trouve largement conditionné par ce qui le fait exister, en deçà des représentations romantiques ou psychologiques qui lui confèrent son aura particulière. Or la ville contemporaine présente cette particularité d’être autrement plus étendue, plus vaste que la ville « ancienne », ce qui induit l’idée qu’une autre dimension que celle de la qualité (qualité de vie, qualité esthétique…) interfère avec l’espace. Cette dimension, c’est la quantité [BeaujeuGarnier, Dézet (dir), 1991, A Font (dir) 2007]
Le patrimoine construit en béton armé est une petite branche de l’héritage patrimonial, mais déjà un bon poids dans l’héritage environnemental. Architecture, ouvrage d’art, fragment de ville, le XXème siècle a coulé une quantité de béton gigantesque, difficilement mesurable, mais aux effets bien visibles. Le phénomène généralisé de l’urbanisation, à l’échelle mondiale, et ses corollaires territoriaux comme les infrastructures routières, portuaires, aéroportuaires, en est le symptôme le plus spectaculaire ; si on garde en tête l’idée que le béton est le matériau le plus utilisé dans le monde (après l’eau…) : 25 milliards de tonnes par an. Petite branche, donc, mais assez envahissante pour que l’on pose le problème de son devenir, tant en terme patrimonial qu’en terme environnemental.
La grande impulsion économique initiée après guerre a engendré un style de construction assez particulier, que l’on associe aujourd’hui sans discernement avec les problèmes sociaux liés à la pauvreté, la délinquance, l’immigration. Pourtant, cette architecture du nombre était appelée à conférer de la dignité dans l’habitat, pour une population qui en était privée [R.H. Guerrand, R Quillot, 1989, S. Paugam, 1996]. Cette architecture que l’on a pu qualifier de
Comme on a pu redire récemment par exemple (après Fukushima) « sortir du nucléaire », peut-on dire « sortir du béton » ou du tout béton ? Cela suppose une mise à plat conceptuelle d’un certain nombre de critères et de valeurs, à commencer par celle d’une inéluctable croissance, compte tenu du fait qu’a certains égards, le béton et le béton armé ont été les matériaux de la croissance par excellence. La fabrication du ciment est une des sources majeures des émissions de CO2 sur
1 Les ¾ du poids de la construction livrée annuellement sont en béton ou béton armé, à rapprocher du fait que les ¾ de ce qui est construit (en France) l’ont été au XXème siècle (source FFB 1999). 9
Qndmc « statistique » condensait dans ses « cellules types » quelques grandes conquêtes de la période moderne : de l’air, de la lumière, du chauffage, des équipements sanitaires [B. Vayssière,1988, Monnier, Klein, 2002]. Cet acquis n’est pas négligeable. Seulement l’histoire a tourné. En devenant quantitative et presque exclusivement confortable, la qualité architecturale s’est aveuglée sur son propre contenu, sans voir ni son contenant, ni son encombrement. Toutes catégories également spatiales, qui à grande échelle ont provoqué ces effets de ghettoïsation et de stigmatisation territoriale que l’on connait [M Delgado,1997, Tchibindat, 2005].
Indifférence Le patrimoine bâti en béton armé n’est pas exempt de signification. En architecture, le terme recouvre un domaine plutôt lié à ce que l’on entend généralement par symbole. Une autre dimension y participe également, plus essentiellement patrimoniale : le message. Le message se lit dans le monument patriotique, comme il se lit dans le chevalement d’un puits de mine de charbon, comme il se lit dans la batterie d’artillerie du mur de l’Atlantique [Virilio, 1975]. Autant d’objets singuliers immédiatement déchiffrables, certains classés monuments historiques [Toullier, 1999]. Mais le patrimoine quantitatif en béton armé, que dit-il, si l’on s’abstient d’écouter la seule bravoure de quelques chantiers ou la spectaculaire monotonie de quelques grands ensembles ? Sa pesanteur, sa fixité, son peu de qualité ? [Abram, 1999] Que voit-on, que lit-on éventuellement dans ces témoins dispersés, émiettés sur la grande nappe urbaine, constitutifs de sa rugosité ? Du fait même de son échelle, cette architecture témoigne de sa stature, d’un certain encombrement, vertus embarrassantes mais significatives de leur participation à l’élaboration de la forme urbaine [R Burdett, D Sudjic, 2007].
Cette histoire n’est pas celle de tous les pays d’Europe, mais elle a eu des résonnances importantes (en témoigne le concept de Bigness introduit par Rem Koolhaas en 1995). En matière de construction, l’architecture dite « du chemin de grue », encore formatée par la rationalisation excessive de l’Existenz Minimum et de la préfabrication industrielle des éléments de construction, a constitué une sorte de modèle quasi indépassable jusqu’au moment du choc pétrolier de 1973 [J Fourastié, 1979]. En quarante ans, le béton armé a littéralement calcifié le territoire dans sa lente progression urbanistique ; non seulement au niveau des objets édifiés, mais encore au niveau des espaces non construits, sols et sous sols, dont l’extension contribue également au durcissement de l’immense chape qui supporte le socle urbain [S. Barnes, A Guillerme, 1995]. En trente ans…, mais bien plus encore, car ces années de croissancebéton ont contribué à développer un tissu entrepreneurial quasi exclusif voué à cette matière [B. Vayssière, 1988, J F Crola, A Guillerme, 1989]. Aujourd’hui, les grands groupes de construction tout comme la myriade des petites entreprises de maçonnerie développent des savoir faire essentiellement liés au béton armé, pour le bonheur des grands industriels de la production de matériau, les cimentiers, qui font partie des leaders de l’économie mondiale [L Dubois, 1988]. Cette donne n’est pas sans conséquence au niveau de ce qui fait l’objet de notre interrogation : les traces de ciment dans l’espace environnant.
En réalité, et sans faire de la fiction sociologique, nous pensons que c’est plutôt quelque chose comme l’indifférence que suscite cette architecture anonyme – quand on n’y habite pas bien entendu. Elle est effectivement anonyme : qui serait capable de citer le nom de l’architecte qui a conçu son logement ou son bureau ? L’indifférence est un qualificatif de la réception de l’œuvre [R Klein, Ph Louguet, 2002]. Il renvoie assez bien à la nature du message patrimonial que nous évoquons, qui n’a guère que son encombrement physique pour s’exprimer. Et c’est peut-être là, dans ce décalage – anonymat, indifférence vs envergure, calibre – que se glisse le déficit environnemental de tels objets, toujours en rapport avec la dimension du locus recouverte par le concept. Dans un autre ordre d’idée, la sociologie a introduit le concept de non-lieux, qui a connu (et connait encore) un vif succès notamment dans la littérature architecturale et urbanistique [Augé, 1992]. La notion cible plutôt l’incapacité des « non-lieux » à susciter de la sociabilité. Elle mériterait d’être requalifiée spatialement : on y verrait poindre l’espèce de vacuité environnementale qui sourd à 10
Héritage
Cyrille Simonnet
partir de la banalité (relative…) de la boite en béton. Nous forçons le trait – ces méchantes boites ont une âme : elles sont des lieux de vie ou de travail – pour tenter de mieux qualifier cette dimension « sans qualité » d’un patrimoine dont la singularité est estompée du seul fait d’une certaine mésestime dont ce type d’architecture fait l’objet [F Chevallier, J-Y Andrieux, 2005].
table rase… mais bientôt intégrée dans le tissu urbain, dont peu à peu les architectes reconnurent l’importance, à tous niveaux : morphogénétique, sociologique… et mémorielle [Rossi, 1966, Aymonino, 1966]. Depuis les années ’80, en Italie d’abord, puis dans le reste de l’Europe, il n’est plus question que de trace, de continuité, de réminiscence [Querrien et al., 2004]. L’objet s’est fait modeste, pour se dissoudre dans une sorte de neutralité géométrique seulement agrémentée de quelques signes de modernité, mais judicieusement inscrite dans le palimpseste de la trame urbaine [Corboz, 2001]. La relative pauvreté plastique qui en résultait n’a guère été prisée par un public pour finir peu au fait du débat des maîtres du moderne, et surtout peut-être assommée par le déploiement d’une culture kitsch – qui a pu un temps laisser son empreinte sur l’architecture elle-même, celle qui s’est fait appeler « postmoderne » [Jenks, 1977, Krier, 1989] – aux antipodes de la difficile expression matérielle du béton. Le désamour a peut-être commencé à cette époque. L’architecture de béton, objet dédaigné, sans prise signalétique pour le souvenir ou le divertissement contrairement à l’architecture régionaliste, faisait insulte à un désir de mémoire qui ressemblait à un désir de spectacle [Callinos, 1997]. Et il fallut, une ou deux décennies plus tard, que le paradigme environnemental vienne contaminer un paradigme patrimonial déjà fortement imprégné de mise en scène pour discréditer cette architecture « sans qualité » et les fragments de ville qu’elle formait. Le genius loci avait émigré ailleurs [Norberg-Schultz, 1997].
Oubli La dimension mémorielle est consubstantielle à la notion de patrimoine culturel [F Choay, 1988]. Face à cela, l’environnement a-t-il à voir avec la mémoire ? Pas vraiment si l’on considère que l’environnement est avant tout une catégorie spatiale. Une spatialité vivante cependant, capable de féconder et de mourir : une matrice en quelque sorte. Mais il est patent que l’ordre monumental articule très directement la dimension temporelle, celle du souvenir particulièrement (monumentum, de monere, faire se souvenir de). La composante mémorielle de l’objet patrimonial lui appartient comme l’esprit au corps humain : c’est par elle que toute société transmet, précisément, sa sociabilité et se perpétue. Même si d’une société à l’autre, les modalités mnémotechniques transitent par des supports qui peuvent être forts différents (ruine, totem, mythe, chant, rite…), la ville en elle-même apparait comme un fantastique transmetteur de mémoire [Clavaron, Dieterle, 2003, de Boisdeffre, Brévan, 2004]. Outre ses monuments à proprement parler, dans sa seule forme (sa morphologie) elle engendre du souvenir, parce que son inertie matérielle la fait durer sur plusieurs générations.
Décrépitude
La ville du XXème siècle, au-delà de son noyau historique muséifié (concentré de patrimoine), est une ville fortement bétonnée, et doit beaucoup aux « acquis » du mouvement moderne, tant au niveau de l’organisation (circulation, services, équipements) que de l’habitation [Colquhoun, 2006]. La table rase imaginée dés 1925 n’aura eu lieu que sous les bombes de la seconde guerre mondiale, et le « nouveau construire » (Neue Bauen) codifié par le Bauhaus notamment aura permis d’établir un certain nombre de règles que les concepteurs de la génération suivante – qui construisit après guerre donc – ont appliqué avec attention [Lewis, 1968, Baudoui, 1987]. Une architecture inspirée de la 11
Comment le béton armé réagit au quotidien, aux attaques du quotidien qui sont le fait par exemple des fumées des gaz d’échappement, des caprices du climat, des divers coups que reçoit un édifice tout au long de sa vie : le vandalisme du temps qui passe [Mostafavi, Leatherbarrow, 1993]. Une discipline récente s’est crée dans les milieux de l’enseignement de l’architecture, en relai aux actions menées par l’association Docomomo (créée initialement à Eindhoven, 1990), dont le but est de faire connaitre et de préserver le patrimoine architectural, urbain et paysager du XXème siècle, la « sauvegarde du patrimoine bâti contemporain » qui a élaboré des outils de diagnostic et d’intervention extrê-
Qndmc Pour autant, le patrimoine bâti moyen, statistique et nombré, peut-être parce qu’il est « sans qualité », n’est pas figé. On doit toujours faire des retouches, des réparations. Combien de rustines, de pansements pose-t-on quotidiennement sur ce corps qui ne meurt jamais ? Des mises aux normes constamment réclamées, des ajustements constructifs, des interventions suite à des dégradations, voilà le lot quotidien du soin réclamé par ces grandes carcasses indémontables, qui n’ont pas la souplesse de la construction en pierre ou en bois (ou même en métal). Car le béton est monolithe : c’est la qua-lité qui l’a fait vendre à ses débuts [Simonnet, 2005]. C’est ce qui le rend indestructible, durable à l’excès, dramatiquement éternel parfois, sauf à le faire exploser, comme à la guerre2 [Parvu, 2010].
mement rigoureux [Reichlin, 1997-98]. Or un des problèmes majeurs de cette architecture moderne est son matériau. Ainsi, la décrépitude matérielle du moderne est à entendre dans son sens propre : la perte du crépi qui en badigeonne presque toutes les réalisations phares, masquant sous sa blancheur impérativement immaculée une construction souvent chaotique, faite de béton, de parpaings, de briques [Wigley, 2001]. Les réalisations moins notoires, celles qui postérieurement ont contribué au tonnage de ce patrimoine sans qualité, sont aussi fragiles et nécessitent un entretien permanent [Casciato, d’Orgeix, 2003]. Il est à souligner que le rôle de ce crépi n’est pas uniquement de masquer la malfaçon mais aussi de construire, de « tutorer » la perception des ouvrages, qui articulent des plans – des pans de surface selon une géométrie travaillée. La fragilité de ce patrimoine n’est pas que matérielle, elle est aussi perceptuelle [Baudin, 2000, Mostafavi, Leatherbarrow, 1993]. Même les réalisations en béton brut, qui a priori, s’exposent originairement dans leur nudité et n’ont donc pas besoin de la prothèse de l’enduit superficiel ou du revêtement, accusent le temps et ses agressions dans une relation difficile où la tache, la fissure et l’éclat par exemple illustrent bien le drame du vieillissement de l’architecture en béton armé [Simonnet, 2006]. Une architecture qui vieillit mal – alors qu’elle est censée durer plus que toute autre, et qui plus est ne sait pas ruiner. Car son obligation, tribut de la table rase, est d’être (d’apparaitre) neuve en permanence.
Obsolescence Les programmes architecturaux des constructions édifiées depuis l’après seconde guerre mondiales sont essentiellement issus du fonctionnalisme. L’architecture, en une vingtaine d’années (1910-1930) a considérablement complexifié le système distributionnel des activités humaines, tant en termes de logement qu’en termes de lieu de travail. Sans parler des grands dispositifs de circulation. Une fonction, une forme : la vulgate fonctionnaliste, plutôt « fixiste », gelait un peu l’idée d’évolution [J. Guillerme,1987]. Or depuis une dizaine d’années, en Europe, pour le secteur du bâtiment, l’intervention sur le déjà construit représente une part de marché légèrement supérieure à celle de la construction neuve3. On aperçoit parfois des chantiers spectaculaires où l’on attaque le béton avec des instruments dignes de l’armement des séries télé belliqueuses qui font rêver les adolescents. Ces chantiers témoignent de toute la difficulté rencontrée pour reprendre ce genre d’édifice que leurs proprié-
Le chantier coule le béton, et l’œuvre édifiée est la mémoire de cette coulée [Simonnet, 2006]. L’environnement construit déborde sa seule dénotation spatiale, minérale, au profit d’une signification plus fécondante. Le seul travail de maintenance ou de réparation, dont la matérialité urbaine fait l’objet, témoigne d’une constante animation du corps urbain [Miles L Colean, 1959, Arie Graafland and Leslie Jaye Kavanaugh edit 2006]. La cité est organique, elle respire, sécrète, s’alimente, mue. Ses membres (ses organes) sont des entités fonctionnelles. Les rues, les trottoirs sont en permanence défoncés, perfusés. Des chantiers s’ouvrent, des immeubles sont détruits. Dans ce concert d’activité, un bruit familier, celui du marteau piqueur, domine souvent [Augoyard, Torgue, 1995]. Car la croûte est dure. Le béton qu’il faut transpercer ou détruire résiste particulièrement.
2 En France, info 2011 (Le monde 31 juillet 2011): d’ici 2014 : 138000 logements devront être détruits ; 132000, reconstruits. « Pour détruire ou rénover les immeubles qui, par ricochet, sont touchés par les dégradations, l’ANRU et les maires réclament un deuxième programme national de rénovation urbaine qui aille au-delà de 2014 ». 3 Source fnb 2010, www.ffbatiment.fr 12
Héritage
Cyrille Simonnet
taires hésitent à transformer, sauf dans le cadre de réhabilitations stratégiques [S Le Garrec, 2006]. Le message parfois assourdissant de ces massacres à la tronçonneuse, c’est que le béton n’est pas le matériau le plus adéquat pour épouser les caprices changeant d’une société qui aime à se déplacer, à évoluer, à s’adapter aux changements qu’elle ne cesse de promouvoir. Plus que jamais déjà – et sans préjuger e ce que demain nous incitera à penser – la donne environnementale pointe les contradictions dont l’hyper-ville [Corboz, 2000] et ses infrastructures sont porteurs. L’architecture (moderne, contemporaine) semble coincée entre la métamorphose accélérée du tissu urbain et l’inertie de ses composantes matérielles. D’où cet état patrimonial particulièrement troublant dans sa survivance obligée qui en interdit la consumation – à moins de le faire disparaitre par déflagration, ce que certains édiles ont commencé à faire [Bandimarti, Giachetti, 2008].
aussi est empreinte, participant de ce fait à l’édification d’une mémoire, d’une identité. Cela sonne comme une évidence lorsque l’on considère la ville historique, la « ville centre » (quand elle n’est pas réduite en centre commercial…). Mais pour ce qui concerne la frange, la périphérie des villes, si bien planifiée mais souvent si mal urbanisée, ces « couronnes » si mal nommées tant leurs joyaux semblent en avoir déserté la monture, il apparait que la trace se fait plus cicatrice qu’ornement [Davidson, 1996]. Un mur en lambeau, une friche hésitante, un hangar à l’abandon, une voie sans issue, quelques cubes de collectifs défraichis, composent des morceaux de ville à l’identité problématique, même si ces zones sont fréquemment investies. Havre de la « marge », ces milliers de mètres cubes de bétons abandonnés couverts de graffitis disent plus que jamais leur destin qualitatif. Cette empreinte est totalement disqualifiée. Le municipalisme (ses règles, ses procédures) intègre mal ces déchirures, ces pièces, ces souillures, déshonneur des villes. Espaces laissés pour compte. Ils ont parfois une emprise énorme, et ils durent [Hatzfeld, 2006]. Comme leur destin est l’effacement, elles n’ont pas (plus) d’identité. Ils sont la matière de l’absence [Joseph, 1998]. On dira encore qu’ils sont des lieux d’incommunicabilité. Espaces publics sans public, ils n’offrent plus que leur substance matérielle à moitié ruinée à la considération. Ils n’émettent guère que le silence brutal d’un ennui profond4. De tels sites sont chose courante dans le paysage urbain contemporain. Mieux que des « sites », ce sont des « situations » [Marot 2010]. Leur aspect est un déni paysager. On aimerait les oublier ; mais leur empreinte foncière les rappelle à la mémoire, la mémoire administrative ou cadastrale qui n’oublie pas. Si la sociologie produit une littérature relativement abondante sur de tels thèmes5, la pensée des matérialités urbaines, la pensées des cultures constructives ne l’aborde quasiment pas. Car de tels objets, de tels sites sont a-patrimoniaux, ils sont des ratés de la mémoire. Ils sont la négation de la mémoire autorisée de la ville. ■
Empreinte Une figure rapproche les deux catégories de la matrice (environnementale) et de la mémoire (patrimoine), celle d’empreinte. Le terme est riche tant au niveau de l’artefact que celui de la signification. L’art dans son essence la plus profonde et son histoire la plus ancienne travaille avec la notion d’empreinte [Didi Huberman, 1997]. La matrice aussi est essentiellement affaire d’empreinte. Dans le domaine environnemental, le terme a gagné une seconde vie (empreinte écologique, empreinte carbone, etc.). L’écologie a plutôt spatialisé la métaphore, qui demeure riche cependant de l’idée de pression associée au terme (en anglais : footprints), que le terme d’impact restitue parfaitement. L’empreinte joue de la mémoire et de la matrice, sa présence est une survivance [Didi Huberman, 1997]. Empreinte territoriale, la ville accuse physiquement cette touche, cette engravure qui lui confère sa forme, sa morphologie [Fortier, 1989]. Dans son propre tissu, une sorte de processus cellulaire la gangrène et la régénère en permanence. Cela s’appelle à la fois la destruction, la construction, la restauration, la transformation, la réhabilitation…, autant de termes qui illustrent cette métamorphose permanente qui vitalise le socle urbain [Colquhoun, 1995]. L’empreinte, c’est l’impact sur le temps long. Car la marque du temps, usure et réparation, 13
4 Beauté désespérée¸ série télé québécoise, Marc Cherry, oct. 2004 (diff depuis n Fr, en Suisse…) 5 Cf la revue Espace et société, Cnrs, depuis 1970
Qndmc
Tipha ine Va sse Moo d
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1 Pana, shop owner Stockholm
Camera : Nikon D700 – 35mm 15
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3 Martin, journalist Copenhagen
Camera : Nikon D700 – 35mm
2 Pat, movie maker, Paris
Camera : Nikon D800 - 60mm
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5 BĂşri, tattoo artist Reykjavik
4 Camilla, Sales assistant Copenhague
6 Anna, student, boss of her own business Copenhagen 18
7 Mai Britt, motion designer and artist Copenhagen 19
Qndmc
Rotond e de la gare d e triage de Ba dan, Gri gny
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Héritage
Charlène Azé & Pierre Dumas
Carte D’identité Localisation : Rhône, Grigny Superficie : 9000 m2 Diamètre : 114 m Hauteur sous charpente : 11 m Année de construction : 1945 Matériaux : béton, acier, brique Entreprise de construction : Boussiron Ingénieur chef de projet supposé : Nicolas Esquillan
Il existe des lieux qui se distinguent par l’émotion qu’ils produisent sur ceux qui franchissent leur seuil. La rotonde ferroviaire du triage de Badan à Grigny en fait partie. Ce bâtiment en friche étonne par les prouesses techniques que ses concepteurs ont réalisées pour l’ériger. Il émeut par son atmosphère, sa lumière, ses volumes, les fantômes des âmes qui autrefois y travaillaient. Les concepteurs de l’édifice, n’ont sans doute pas recherché cet effet, mais sa fonction, ses évolutions, sa monumentalité et son histoire se sont chargés de lui offrir.
Naissance, apogée et déclin du triage de Badan, une succession de rotondes Depuis son ouverture en 1833, la ligne de chemin de fer de Lyon Saint-Etienne connaît un succès considérable avec les grands progrès que font les locomotives à vapeur à l’heure de la révolution industrielle. En 1857, les lignes Paris-Lyon et Lyon-Marseille fusionnent et le tracé est concédé à la compagnie du Chemin de fer de Paris à Lyon, souvent appelée PLM. En 1874, suite à l’obtention de nouvelles concessions, la compagnie décide de l’implantation d’une gare de triage et d’un dépôt de locomotives sur le territoire de Grigny. 21
Qndmc La première rotonde dite « rotonde primitive » est contemporaine de la création du dépôt en 1880. Le cœur du bâtiment de forme circulaire est une plaque tournante qui permet de desservir les voies rayonnantes convergeant vers ce centre et réservées au stockage et à l’entretien des locomotives. Considérablement touchée par les bombardements lors de la 2nde guerre mondiale, cette rotonde devenue obsolète pour la maintenance des nouvelles machines sera démolie lors de la restauration du dépôt en 1979. Une seconde rotonde fut édifiée de 1914 à 1920, appelée « la remise ». Il s’agit d’une rotonde de type G, modèle créé par la compagnie PLM, caractérisée par ses 3 niveaux successifs de voutes rayonnantes. L’édifice était à parc découvert, c’est à dire qu’il ne couvrait pas la totalité du parc rayonnant. Il comportait 32 voies rayonnantes avec fosses plus 11 petites du côté de l’avenue Berthelot. La remise fut pulvérisée par les bombardements de la seconde guerre mondiale. A la libération, il fut important de remettre rapidement en activité le triage et de rétablir les voies de communication. Ainsi, une rotonde identique, celle que nous connaissons aujourd’hui, fut alors reconstruite en un temps record par l’entreprise Boussiron, grâce à l’utilisation novatrice des voutes minces de béton précontraintes. De 1945 à 1952, l’activité du triage est intense puis connaît un déclin brutal car le parc est vieillissant et techniquement inadapté aux nouvelles machines. En 1960, le dépôt de Badan est démantelé, puis totalement abandonné en 1970, suite à l’ouverture de la gare de triage de Sibelin, sur la rive gauche du Rhône entre Chasse et Lyon. A partir de 1974, seul le bâtiment dit « la remise » sur son tènement continue d’être exploité par des sociétés privées pour la réparation et l’entretien de matériel ferroviaire et notamment des wagons ayant servi au transport des produits chimiques. L’édifice subit alors plusieurs transformations pour acquérir sa physionomie actuelle : il est coiffé d’une couverture supportée par une charpente métallique puis complètement clos par l’ajout d’un volume de bureaux. Depuis 2010, suite à un dépôt de bilan, la rotonde est elle aussi laissée à l’abandon.
Des proportions majestueuses et des dispositions innovantes Les débuts de l’architecture des bâtiments industriels ont fait naître des innovations et d’autres façons de penser l’art de construire. Les ingénieurs développaient des solutions pour répondre aux contraintes de ces nouveaux lieux de travail. On pensait l’ergonomie, la fonction, la rentabilité, et même l’aspect social… Ces hommes avaient la volonté de faire de l’usine un lieu d’expérimentation de la modernité architecturale. Le développement du chemin de fer dans le cas des ateliers de Badan a fait émerger la nécessité de construire de grands volumes pour assurer l’entretien des locomotives. Ici l’architecture est au service de la fonction pour permettre la meilleure utilisation de l’espace possible et l’éclairage naturel en tout point de ce volume cylindrique de 9000 m2. Dans ce cadre précis de lieu de labeur, la forme idéale était le cercle et ses déclinaisons pour permettre dans un volume minimum, un accueil maximal de locomotives et la possibilité d’embrasser tout le parc d’un seul regard. Le plateau tournant central permettait de desservir toutes les voies et orientait les locomotives vers des secteurs spécifiques suivant le type d’intervention. Cette forme, en architecture ferroviaire se nomme rotonde. A Grigny, la rotonde actuelle fut construite sur un plan en ¾ de cercle. Elle comporte encore 32 voies rayonnantes pouvant accueillir 64 locomotives. L’observation attentive du bâtiment de la remise a démontré une grande maîtrise de la matière béton. La technique de la coque mince qui forme la toiture périphérique en est l’un des exemples majeurs. La coque épouse le concept structurel de la résistance mécanique par la forme. La coque, comme les voûtes sont des solutions autostables. Dans notre cas, la poussée des coques est retransmise à des poutres qui renvoient les efforts au sol par des poteaux béton de section carré. Ce sont les règles structurelles et programmatiques qui ont fait la forme de cet objet singulier, elles reflètent la philosophie de la vérité de la structure que l’on trouve toujours aujourd’hui dans le vocabulaire de certains architectes. L’observation de cette œuvre, a révélé la recette d’un porte à faux astucieux. A l’intérieur de la rotonde, les toitures coques au plus proche du cœur semblent défier l’apesanteur en flottant sur près de 7 m,
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Charlène Azé & Pierre Dumas
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Qndmc pour servir la nécessité d’un sol libre d’entraves. Pour permettre cette prouesse technique, les ingénieurs ont imaginé la solution d’un aisselier intérieur qui porte la poutre des coques supérieures en limitant le déversement et d’un tirant béton extérieur qui agit en traction sur la partie en porte à faux. L’entreprise qui a réalisé l’édifice, spécialisée dans les constructions en béton armé a été créée en 1899 par M. Simon Boussiron, formé chez Eiffel. L’innovation était le mot d’ordre de l’entreprise qui réalise en 1906 et 1910 des voûtes minces à semi-articulations ou percées de lanterneaux (telles que l’on en trouve à Badan). L’édification de la rotonde a lieu quelques années avant la réalisation des hangars de Marignane construits avec Auguste Perret (1948 et 1951) avec leur 100m de portée (aujourd’hui classés Monuments Historiques), ou encore le pont de Tancarville et le CNIT de la défense avec Camelot, Zehrfuss et Mailly. Bien qu’elle ne représente pas une prouesse technique en termes de portée, la rotonde possède d’impressionnantes proportions avec ses 9000m2 d’emprise au sol. Il s’agit donc d’un bâtiment modeste dans la production de l’entreprise mais qui a peut-être joué un rôle de prototype. Malgré tout, les valeurs de l’entreprise : réserve, rigueur, risque, sens du beau, travail, se retrouvent indéniablement dans cet ouvrage et lui confèrent une qualité indéniable. L’émergence d’un patrimoine industriel, un avenir possible
Cette prise de conscience concerne également la rotonde de Badan. En 2002, un projet de révision du PLU est soumis à enquête publique. Il propose d’inscrire le bâtiment de la rotonde au sein d’un périmètre à protéger, assurant une protection de l’édifice et la prescription que les évolutions pouvant impacter le bâtiment respectent sa valeur ainsi que son identité et concourent à la mise en valeur de son architecture particulière. Aujourd’hui, près de 70 ans après sa construction, le bâtiment ne parait souffrir que de rares pathologies comme la présence de mousses et d’humidité sur les voûtes, ce qui atteste de la belle qualité de cette construction pourtant édifiée en quelques semaines. Cependant, l’arrêt de son exploitation et de son entretien accélère sa détérioration ; un bâtiment à l’abandon, en friche est un bâtiment en perdition. Cet état de friche, de latence, pose la question du réemploi. Ce lieu voué au mouvement, doit être réanimé. Les lieux qui sont nés d’une pensée fonctionnaliste et qui ont servi une activité précise ont néanmoins la capacité de pouvoir servir d’autres fonctions. Reste alors à trouver le programme idéal qui animera cette grande halle et qui offrira une articulation entre cet héritage industriel et la dynamique du territoire d’aujourd’hui… ■ « C’est parce qu’un lieu est porteur de qualités qui ont pu servir à quelqu’un, que ses qualités peuvent être transmises à un autre » Patrick Bouchain
La rotonde de Badan est un édifice qui possède un intérêt patrimonial certain ; elle est représentative du savoir-faire d’une entreprise spécialisée et des innovations constructives du XXème siècle ; elle possède de belles proportions et sa silhouette imposante appartient désormais au paysage de la ville de Grigny dont elle demeure actrice et gardienne d’une part de l’histoire et de l’identité de la commune. La notion de patrimoine industriel comme héritage important de notre histoire est récente. Le label patrimoine du XXème siècle a, par exemple, été créé par le Ministère de la Culture et de la Communication en 1999. La reconnaissance du patrimoine industriel est donc en bonne voie et il commence à être acquis que cet héritage doit être intégré dans le renouveau du territoire. 24
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les Amis du Vieux Grigny
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Héritage Charlène Azé & Pierre Dumas
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Isabelle Dumas
De quoi, de qui, de quand parle-t-on ? Héritage matériel, mais aussi immatériel. Architectes, nous ne travaillons pas que la matière, celle qui laisse trace dans l’espace. Héritage d’aujourd’hui, héritage d’hier et de demain. Notre histoire et notre culture architecturale nous permettent de nous inscrire dans le temps, d’hériter de nos prédécesseurs et de transmettre à nos successeurs. Héritage reçu, transmis, donné.
Des matériaux transformés sur place ou le moins loin possible, dont les qualités de vieillissement étaient connues, auxquels le travail artisanal et de petite industrie donnaient toute leur valeur ajoutée (le carrier, la taille de pierre, la scierie, le four à chaux). Des matériaux durables (au sens contemporain) dans une économie durable. Dernier élément naturel dont nous héritons, la lumière, dont l’architecture se joue pour créer des puits de lumière, de l’ombre, de la fraîcheur, des murs épais à l’inertie thermique appréciable.
Héritage matériel / immatériel Nous ne travaillons pas que sur la matière qui fait trace dans l’espace. Nous travaillons aussi à offrir aux usagers, au public, à la société en général, des lieux à partager, où l’on se sent bien. En cela, l’héritage spatial des générations précédentes est immatériel. Notre héritage immatériel, c’est aussi notre culture architecturale, pétrie du croisement de nos centres d’intérêts respectifs. Une collectivité publique qui acquiert un bâtiment ancien pour l’ouvrir simplement à la visite met en évidence, car l’attractivité du site se vérifie, l’importance que nous accordons à la mémoire collective, à l’histoire commune. Prendre un café sur le cours Mirabeau ou sur le vieux port de Marseille, au café de Flore ou à la Coupole, sur une péniche des quais du Rhône à Lyon ou à un comptoir de la Guillotière, c’est poser un acte banal de la vie courante en acte culturel. Dans notre pratique professionnelle, les références culturelles à nos prédécesseurs, architectes connus ou anonymes, sont la source immatérielle à laquelle nous puisons.
La connaissance du fonctionnement « technique » du bâti ancien est l’objet de recherches permanentes qui font avancer la connaissance. Les modèles mathématiques n’expliquent pas la plupart de ses fonctionnements structurels D’après les calculs de stabilité, peu d’ouvrages anciens élaborés peuvent tenir. Les planchers bois et les voûtes en pierre devraient être au sol sous l’effet de leur propre poids. Pourtant, ils sont là et supportent des charges. Les techniques modernes nous permettent cependant d’approcher la connaissance des matériaux traditionnels, en particulier par des analyses de constitution (sur des composites comme les enduits notamment), par l’étude des caractéristiques pétrographiques. Cette connaissance nous permet d’orienter au mieux le choix de matériaux de substitution ou de restauration. Elle peut surtout être source d’innovation, en particulier dans l’optique du développement durable. Héritage reçu / transmis / donné
Le bâti ou la composition spatiale ancienne (espace ou séquence urbaine) apprend à celui Le bâti utilise l’espace, de l’espace. Le premier qui veut bien prendre le temps d’observer et de héritage dont l’architecte dispose lorsqu’il comprendre son évolution, que le travail du imagine l’avenir, c’est cela : de la place sur la temps sur la matière et les volumes est une terre. Elle est plus précieuse que jamais. Notons immense chance pour l’architecte. Chance, car qu’aujourd’hui, le luxe est avant tout cela : de la valeur d’ancienneté se traduit souvent par la l’espace, de l’air, du volume. L’apprépermanence de l’usage d’un site et par un vieilciation de la qualité des matériaux, plus cultulissement qui rend l’épiderme tout simplement relle et subjective, vient ensuite. Nous héritons beau. Chaleur du roux d’une tôle, grain d’un d’une planète dont les ressources ne sont pas enduit dont le sable scintille au soleil, lichens inépuisables. Elles nous sont données en hérid’un béton du mur de l’Atlantique ou de l’usine tage et en partage. Elles permettent de conRicola rendent vie à la matière inerte. Herzog et struire les lieux de notre vie personnelle et colde Meuron le savent. L’adaptabilité de certains lective. La fin du XXe s. a vu se développer l’idée bâtiments à des usages pour lesquels ils n’ont de sustainable architecture. C’est ce qu’ont gé- pas été conçus révèle bien qu’un édifice correcnéralement pratiqué, sans la nommer ainsi, tement construit, qui a des qualités structules sociétés traditionnelles. relles et spatiales, qui est réhabilitable ou res27
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Alvar Aalto, Esquisse pour l’université de technologie d’Otaniemi, 1949
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A. Alto, La table blanche et autres textes, Ed. Parenthèses, Marseille, sept 2012. ISBN 978-2-86364-268-9
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Isabelle Dumas
taurable, peut abriter différentes fonctions successives. L’exemple de l’immeuble hausmannien, conçu comme immeuble mixte habitation/commerce, d’abord transformé en immeuble de bureau, puis devenant le jeu des grands investisseurs internationaux, est fréquemment évoqué comme bâti dont la « permanence », fait foi. Ce vocabulaire rossien nous rappelle que le bâti passe à travers (per) les âges, traverse les époques en demeurant là où il a été conçu. Les constructions d’habitations sous les arcs des arènes d’Arles ou à l’intérieur d’un bas-côté de l’église Notre-Dame à La Charité-sur-Loire, confèrent au monument des allures d’architecture urbaine banale. Pourtant, elles révèlent une stratification urbaine, fonctionnelle et formelle, exceptionnelle, source d’adaptations surprenantes aux besoins de chaque époque. Nombreux sont les bâtiments qui possèdent cette capacité évolutive. Grandes halles du XIXe devenant lieux de spectacles ou d’exposition, espaces industriels devenant équipements culturels, prisons transformées en logement étudiant, bâtiments monastiques abritant espaces de centres de rencontre, séminaires ou fêtes familiales, hôpitaux se cherchant des vocations d’hôtellerie ou de médiathèque…
Nous préférons alors concevoir des dispositifs contemporains adaptés. L’architecture d’aujourd’hui, si elle sait vieillir, sera le patrimoine de demain. Certains carnets de croquis nous parlent. Ceux de Louis Kahn, Le Corbusier ou Alvar Aalto montrent bien leur connaissance intime de l’architecture ancienne. Le croquis, comme la pratique du relevé, sont des exercices très utiles pour appréhender la composition des bâtiments, leurs pathologies, leur capacité à bien vieillir. Le relevé et le diagnostic sont aussi des outils indispensables pour étudier le potentiel de reconversion d’un bâtiment, garant d’un entretien renouvelé et de la pérennité d’un ouvrage. La limite de l’exercice est atteinte lorsque les caractéristiques intrinsèques du bâti ne sont pas respectées et ne priment pas sur le programme que l’on cherche à y faire entrer au chausse-pied. Veillons aussi à prendre l’attache des confrères qui nous ont précédés lorsque nous intervenons sur l’espace qu’ils ont conçu. La création architecturale est une œuvre à part entière dont l’auteur est le mieux placé pour garder en mémoire la genèse et en exprimer la signification. ■
L’évolution des usages est facilitée par les qualités constructives du bâti dont nous héritons. La notion du « bon vieillissement » des matériaux est fondamentale. Les bâtiments les plus précaires ont disparu. Le patrimoine architectural dont nous héritons peut être banal (architecture civile qui marque l’essentiel de nos paysages urbains ou ruraux, architecture vernaculaire ou industrielle…) ou labellisé comme tel (« patrimoine XXe », immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques). Support de notre mémoire collective, cristallisation des périodes ou événements forts de notre histoire, lieu de pratiques sociales en perpétuel renouvellement, ce patrimoine est aujourd’hui reconnu comme un bien commun. Il justifie que nous en prenions soin pour le transmettre à nouveau aux générations futures. Il ne justifie pas que l’on suspende la création dans ses entrailles ou à ses abords. Les fonctions évoluant, les dispositifs anciens n’étant pas toujours connus avec certitude, il est souvent impossible (impensable) de revenir à un état connu antérieur d’époque homogène. 29
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Vingt fois su r le mĂŠti er remett ez vot re ouvrag e
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Théo Baillet
Composer avec l’existant (site, processus de projet, méthodes, matières...) sont des questions quotidiennes à l’école. Néanmoins nous allons également hériter d’autres choses, qui va bien plus modeler notre production que nous ne l’admettons. Être architecte c’est faire partie d’une profession réglementée (habitudes, image, loi). Afin de mieux la connaître, jouons avec elle, changeons un de ses composants et imaginons ce qu’il adviendrait d’elle, de notre futur et de notre architecture.
Et si ce monopole disparaissait ? Les lobbys du BTP parviennent à influer sur nos députés, et le gouvernement, devant la menace d’un arrêt des chantiers, cède. L’architecte devient un employé comme un autre, intégré à une chaîne de production, éminemment remplaçable, un simple dimensionneur ou une vague caution artistique BBC. Comment pourrions-nous défendre notre valeur ? Nous pouvons conférer une plus-value financière non négligeable à un bâtiment (les maisons d’architecte valent 30% plus cher que les autres à surface égale !), et ce, sans parler des qualités spatiales, constructives, sensibles, etc...
Et si le recours à un architecte devenait obligatoire ? Le gouvernement change le décret d’application de la loi de 77 et tout permis doit être déposé par un architecte. Cette hypothèse Ce jeu sans fin met en relief nos forces et nos faiblesses, ouvre la question : comment hérisemble être le paradis pour nous, avec la récutez-vous ? ■ pération du marché de la maison individuelle. Mais avons-nous été formés à cela ? Avons-nous les moyens de répondre à chacun des cas avec la même inventivité et la même sensibilité ? Une demande aussi énorme ne risque-t-elle pas de pousser les agences à faire à leur tour leurs propres catalogues ? A tel point que toutes les réalisations d’un même architecte seraient l’application d’un seul et même raisonnement, catapultées d’un site à l’autre ? Et si les architectes exerçaient leur droit de grève ? Conformément aux lois et à notre constitution, ils cesseraient collectivement de signer des permis de construire pendant une semaine. Cette grève s’appuyant sur le fait que l’architecture est d’intérêt publique (loi de 77, toujours), nous pourrions facilement attirer le regard de l’opinion publique et l’interpeller. Le poids des architectes dans la politique est actuellement nul, nous n’avons ni syndicats puissants ni représentation légitime. Mais nous avons sans doute l’un des plus puissants leviers de pression : un monopole.
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L e compl exe d e l'hĂŠri tage d ans le proj et arch itec tura l 32
Héritage
Benoît Teissier
En amont de toute réalisation concrète, le projet d’architecture est une étape par définition « hors lieu » — u-topique — bien qu’il soit généralement question d’un site, parfois d’un programme, dans tous les cas d’un contexte réel, objet d’étude dans les premières phases du projet.
tique est in fine un processus créatif fondé sur le « recyclage des significations érodées du monde »2 qui phagocyteront à terme la réalité par de nouvelles significations plus vraies et plus réelles. En conséquence, « l’architecture est inévitablement une forme d’activité PC »3, donc un processus foncièrement psychanalytique.
Ce contexte, de quelque ordre qu’il soit (urbain, topographique, culturel, programmatique, patrimonial, etc.), est pareil à un héritage qui — à l’étape hors-sol du projet — acquiert d’emblée une dimension conceptuelle et symbolique qui intéresse l’architecte. Même le patrimoine le plus empirique d’un site ou de son contexte possède une force symbolique signifiante — première mutation d’importance dans le processus de projet.
Héritage, psychanalyse et maturation du projet, il y a là un cocktail que l’on peut interpréter à la lumière du célèbre complexe œdipien ! En effet, lors de la phase du projet, les architectes sont pris au piège par des forces inconscientes qui les animent comme Œdipe l’a été par celles de son destin.
En refusant les « significations érodées » dont on hérite à travers le site, le contexte et la culture qui leur donnent sens, nous ‘‘tuons notre Mais malgré cela, cet héritage ne peut prétendre nous donner directement une production père’’ sans le savoir au détour du chemin qui est architecturale. Le processus de projet est juste- le nôtre. En répondant aux questions que nous ment ce temps nécessaire à la rumination archi- nous posons au sein du processus de projet, en suivant les transformations successives qui tecturale, cheminement difficilement linéaire nous mènent à une forme architecturale, nous fait de transformations successives. Ainsi, les ne faisons que lentement répondre à la mystééléments hérités du site et ceux du contexte rieuse question du sphinx qui gardait les portes sont amenés à muter irrémédiablement. de la ville de Thèbes. Le temps du projet est bien ce temps de la maturation que l’on commence Le temps du projet peut alors être vu comme balbutiant à quatre pattes, que nous continuons une quête paradoxale menée par l’architecte. sur deux jambes dans la dynamique de la déD’un côté, ce dernier est poussé à refuser les réponses prédéterminées par le site qui n’aumarche, et que nous finissons par la stabilité raient, comme seule justification, qu’une préten- tripodique au soir du processus de projet quand due cohérence avec un contexte reçu comme la réponse architecturale est donnée. un héritage intouchable. Mais d’un autre côté, il cherche par tous les moyens à crédibiliser la Mais qui est la mère ici, celle qui est donnée à réponse architecturale en montrant combien le Œdipe pour un incestueux mariage en récomprojet « s’inscrit dans son contexte »… De fait, pense de la libération de la ville de l’emprise du le processus de projet est un psychodrame qui sphinx ? La mère-épouse — autre moitié de l’hécherche à distinguer dans l’héritage contextuel, ritage mais une moitié qui possède un mystéce qui doit rester pour muter de ce qui doit être rieux fondement — peut être reconnue dans cet écarté, ce qui est viable de ce qui ne l’est pas. espace du site « recyclé » qui a acquis une nouvelle signification pour l’architecte. Un espace Dans New York Délire, pour décrire l’essence du pseudo-vierge que le processus de projet projet architectural, Rem Koolhaas reprend à son a fécondé mais qui garde un ancrage dans compte ce que Salvador Dali a décrit comme la réalité contextuelle héritée. Cette mère — étant sa méthode paranoïaque-critique (MPC). Cette méthode consiste à exploiter consciemLa conquête de l’irrationnel, ment le « pouvoir des associations systémacité par R. Koolhaas dans New York tiques propre à la paranoïa ». Grâce à la MPC, « la Délire, Editions Parenthèses, 2002, réalité du monde extérieur sert comme illustrap.237 et p.238 tion et preuve, et est mise au service de la réalité 2 R. Koolhaas, de notre esprit. »1. La méthode paranoïaque criNew York Délire, Editions Parenthèses, 2002, p.243 3 Ibid. p.246 1 S. Dali, 33
Qndmc fécondée par la démarche et grosse de son projet — est ce qui reste du lieu après la mutation, autrement dit la partie pérenne du site qui structure la réponse architecturale tout en permettant sa nouveauté. Dans le cas de Manhattan, Koolhaas montre que le bloc issu de la grille manhattanienne est un site a priori sans contexte. Hors sol par luimême, il est le site idéal pour la méthode paranoïaque-critique qui garantit une totale liberté créatrice. Avec le bloc, aucun héritage paternaliste, mais tout de même un héritage maternel : la trame. C’est la trame qui donne naissance au bloc, qui le tient, qui lui donne son sens, à savoir l’absence de significations. La grille de Manhattan est cette mère épousée à chaque fois que s’exerce la MPC sur l’un de ses rejetons. C’est une matrice féconde sans risque de consanguinité avec ce à quoi elle donne naissance. La trame est cet héritage commun aux architectures décontextualisées de Manhattan. Elle est la part de pérennité dans le renouvellement, elle est la réalité capable de porter toutes les réalités produites. Elle est la condition de possibilité de l’héritage et de l’histoire du site, d’une transmission des significations. Donc, pas de New York sans délire, mais pas de délire sans trame ! Ainsi, chaque projet dans lequel s’engage l’architecte est la recherche de cet espace — empirique aussi bien que conceptuel — sur lequel le projet va se déployer. La réponse architecturale consiste à proposer une solution qui saura tout autant répondre aux attentes du Maître d’Ouvrage que reformuler le contexte dans lequel elle s’inscrit. Cette reformulation est une reprise de l’héritage contextuel en même temps que sa transformation. L’architecture réalise cette unité trouvée. Alors, pas d’architecture sans délire, mais pas de délire sans héritage ! ■
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Madelon Vriesendorp, The City of the Captive Globe Project, New York, Axonometric from Delirious New York Š
Courtesy of OMA
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Entret ien avec Lu igi Snozz i
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Antoine-Frédéric Nunes
Luigi Snozzi, né à Mendrisio (Tessin), est un architecte suisse de l’école tessinoise. Il défend dès ses débuts une architecture du territoire et s’engage contre la société du politique, de l’éphémère, de l’efficience et de la spéculation à travers une résistance active. Pour lui l’architecte à besoin d’éthique, c’est un intellectuel critique doté d’une conscience morale. Ses travaux sur le territoire et la ville font manifeste en Europe. Adepte du béton, Il est l’auteur de nombreuses réalisations à Monte Carasso, exprimant à chaque fois le caractère intemporel de l’architecture.
C’est le but qu’un architecte devrait avoir dans la tête. C’est ton métier, c’est celui-là. On vit dans un monde où tout bouge. La seule discipline qui s’occupe de poser des points fixes pour l’Homme c’est l’architecture. L’architecture c’est le permanent, la longue durée, c’est la base. Aujourd’hui c’est tout le contraire on fait tout rapidement.
C’est en regardant l’héritage que nous ont laissé les romains, tant au niveau de la ville que de l’architecture, que Luigi Snozzi place l’architecture au-delà de la futilité, de l’éphémère et de la mode. Quel que soit le contexte historique, il s’agit de répondre à la même question fondamentale : « Comment habiter sur terre ? ». Luigi Snozzi à travers cet entretien affirme la valeur de la terre face au monde politique et pense la valeur patrimoniale comme exception. En faisant le constat d’une société déboussolée, la patrimonialisation apparait comme consolidation identitaire en dépit d’un réel questionnement pragmatique. Il pose alors indirectement la question « Cette architecture nous manque-t-elle si nous décidons de la détruire ? A-t-elle modifié singulièrement l’espace ou n’est-elle rien d’autre qu’un bâtiment désuet ? ».
L. S. Oui l’architecture ne peut pas se faire autrement. Aujourd’hui il n’est pas question de faire comme il y a mille ans évidement. Tu agis sur ton actualité avec tes moyens, ceux de ton époque. Evidement il y a aujourd’hui des moyens très intéressants pour l’architecture, mais cela ne signifie pas que les moyens anciens sont mauvais. Je pourrais bâtir aujourd’hui un bâtiment extrêmement moderne en pierre et en bois. Ce n’est pas en utilisant seulement le verre et le métal que l’on est moderne, non ? Nous possédons des outils qu’il faut savoir utiliser.
Voici quelques extraits d’entretien réalisés en juin 2011 à Locarno. Sous l’impératif social et politique la question du durable en architecture est très clairement posée. Antoine-Frédéric Nunes Ce qui me venait en premier quand j’entendais parler du durable était les édifices parfois présents depuis des centaines d’années et qui résistent aux forces de la nature – à la pluie, aux vents, aux océans-. Un phare au bout d’une jetée, les pyramides, et comme vous aimez l’évoquer le pont du Gard. C’est au fond ce qui me semble durer. Pourrait-on déplacer ce terme de durable vers ceci? Luigi Snozzi Je dirais que toute architecture tend vers le permanent, jamais vers l’éphémère. Donc lorsque l’on fait de l’architecture, on tend vers l’éternité.
A.-F. N. L’architecture doit s’adapter au temps dans lequel elle se construit et répondre à des questionnements de l’actualité.
A.-F. N. Si on considère que les problèmes qui se posent à l’architecture ont toujours été les mêmes, il devient alors évident de construire pour l’éternité. Le référentiel temporel change et l’on se place dans une démarche transhistorique. L. S. Les cisterciens, 1200 a-p. J-C plus modernes que cela ? Ce qui est intéressant quand on travaille l’architecture c’est que l’on a des repères. Les repères sont les pyramides, Palladio, Corbu, Wright, tu les as là sur la table, mais ils ne sont pas datés, c’est-à-dire pour moi, quand je travaille, je les considère comme mes contemporains. Nous ne sommes pas des historiens. Il y a toujours de la contemporanéité dans les choses. Il n’y a aucune différence entre Franck Lloyd Wright et les Pyramides non ? Les principes d’architecture sont toujours là. A.-F. N. Derrière vous je vois le plan pour la mégapole de Hollande. Il y a pour moi dans ce projet un
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Antoine-Frédéric Nunes
véritable devenir qui est exprimé. Il y a la possibilité d’un urbanisme à venir, un construire pour l’éternité. Cette démarche pose la question de la fonction et de l’architecture en elle-même, que se passe-t-il quand un bâtiment perd sa fonction ? Vous comprendrez alors le sens de ma question : Aimeriez-vous que de vos projets il n’en reste que les murs ?
connais bien, il vient toujours ici à Monte Carasso. Et lui il dit que la nature est une merde. Je le trouve extraordinaire cet aphorisme ; C’est le plus bel aphorisme que je connaisse. Parce qu’il le motive aussi ; il dit que la nature nous fait le plus grand cadeau qu’elle puisse nous faire, elle nous consigne sa nature et nous dit : s’il vous plait, changez moi ! Parce que la nature n’est pas faite pour l’Homme. Si vous voulez faire votre paysage vous devez me changer, mais pour me changer vous devez toujours me contrarier. Faites toujours l’opposé de ce que moi j’ai fait. Pour moi c’est peut-être la clé fondamentale pour tout architecte de comprendre ce fait là.
L. S. Un autre aspect de l’architecture pour moi le plus important de tout : l’architecture on ne peut la comprendre seulement quand elle perd son contenu. C’est-à-dire, le viaduc a commencé à vivre au moment où il a cessé de porter l’eau. Il y a une question qui se pose, prenons le pont du Gard. Ce pont qui ne sert plus à rien du tout, pourquoi l’homme ne le détruit pas ? Si quelqu’un disait qu’il faut le détruire, ce serait la révolution. C’est à l’intérieur de ces murs qui n’ont plus aucune fonction, qu’il y a l’architecture. L’architecture c’est cela, quand un bâtiment perd sa fonction, dans ses ruines, c’est là qu’elle sort. Motiver l’architecture à travers sa fonction, c’est faux. Elle doit fonctionner quand tu la fais mais elle doit être capable de suppléer sa fonction pour rester elle, l’architecture. Et l’homme a besoin de cela, sinon il la jetterait. C’est cela se poser les vraies questions plutôt que cette merde. A.-F. N. Pour en revenir au pont du Gard, plus qu’un bâtiment, il devient également un élément du paysage, comparable à un rocher à côté. L. S. Et plus fort que le rocher d’à côté ! (rires) Parce que c’est lui qui met en évidence le rocher à côté ! S’il n’y avait pas eu le pont, personne ne l’aurait remarqué, ni vu ni repéré. C’est lui qui fait le paysage, voilà ! Ce n’est pas le bon dieu, ce sont les architectes ! A.-F. N. Nous parlons alors du contact entre l’architecture et le paysage. L. S. Tout cela remonte encore plus loin, pour moi tout commence avec notre rapport à la nature. L’aphorisme le plus intéressant que j’ai lu dernièrement c’est celui de Paulo Mendes da Rocha, le brésilien ! C’est un Prix Pritzker que je
Alors, la première fois que j’ai enseigné à Zurich, je ne savais pas enseigner donc au lieu de présenter mes choses - il y avait au moins mille étudiants qui choisissaient les professeurs -, j’ai posé une seule question aux étudiants qui devaient me répondre par écrit : vous faites une promenade et tout à coup vous vous trouvez devant une apparition extraordinaire, le plus beau, le plus grand arbre que vous ayez jamais vu. Quelle est votre première réaction ? J’ai reçu plus ou moins mille réponses… les oiseaux, l’ombre, la nature ; les plus scientifiques disaient « l’arbre change le gaz carbonique en oxygène ». Je leur ai alors répondu : vous êtes entrés par cette porte là, vous pouvez rentrer à la maison, aucun de vous ne sera architecte. Parce que la première chose que pense un architecte devant une apparition de ce type, ce n’est pas dans la tête mais bien dans le ventre qu’il doit avoir ça, c’est : je le coupe. Pourquoi ? Je le coupe parce que de cet arbre, et ça c’est mon métier, je dois le transformer en culture. Alors je pense : quel beau toit je peux faire ! Une formidable table ! Ça c’est la première idée. Et seulement s’il y a cette idée-là de détruire, tu peux comme deuxième solution le maintenir. Mais si tu maintiens l’arbre seulement parce que c’est nature, tu fais une faute, toujours. Alors si tu le tiens, c’est qu’avec cet arbre tu réussis à proposer un paysage nouveau. Je jure que moi, dans ma vie entière je n’ai jamais coupé un arbre même comme ça – Il écarte ses bras de 40 cm -. A chaque fois que je vois un arbre, j’ai envie de le couper. Je n’en ai jamais coupé un seul. Ça c’est la deuxième réaction. Ce sont pour moi des principes tellement fondamentaux. Aujourd’hui ce serait blasphématoire de dire cela.
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Qndmc A.-F. N. Aujourd’hui nous sommes en admiration devant la nature, comme soumis face à des principes que l’on érige pour elle, à sa place. L. S. Pour moi c’est une fausse admiration. Et puis la nature… 99% de ce que l’on appelle nature est faite par l’Homme et pas par le bon dieu. Si je regarde mon pays, tous les bois que l’on voit, dans le Tessin, il faut dire qu’il n’y a que des montagnes, jusqu’à 400/450 m il y a la ville, les villages… tu la vois la ligne. Au-dessus il y a la forêt, des châtaigniers qui ont été plantés par l’homme car le châtaignier arrive vers 1500. Cette nature est plantée par l’homme, arbre après arbre. On se met donc ici en relation avec un paysage qui n’a pas été fait par le bon dieu. C’est tout artificiel, et heureusement. J’ai un aphorisme important qui dit : « toute construction présuppose une destruction. Détruit avec conscience, et après j’ai ajouté : avec joie ! ». Tout architecte quand il bâtit, même la plus petite maison du monde sur un pré, qu’est-ce qu’il fait ? Il détruit, forcément. Il ne peut pas faire autrement. Les premiers 30 ou 40 cm de terre, la terre la plus féconde pour l’Homme il la détruit. Le problème n’est pas qu’il détruise cette portion de terre mais c’est d’avoir conscience qu’il est en train de la détruire. Il y a très peu d’architectes qui ont conscience de cela. Parce qu’ils devraient comprendre qu’ils détruisent un morceau le plus important de notre terre car c’est là que croissent tous nos biens. L’architecte doit être capable de le remplacer avec une autre valeur qui est celle de l’architecture. Alors si tu n’es pas capable de faire une architecture qui a la même valeur que ça, tu mets le crayon à côté et tu ne bâtis pas. Je me demande combien d’architectes sur cent mille, deux ou trois, pensent à cela. Tout le monde dit qu’ils ne détruisent pas. Le problème c’est d’avoir conscience que l’on détruit. Si on a cette conscience, alors on peut détruire avec joie. Pas avec le mal du ventre. C’est l’autre aspect de notre profession, fondamental. C’est pour cela qu’ils te regardent mal.
A.-F. N. Dans votre projet de villages vacances en Sardaigne (cinq au total), vous avez traité la question de la concentration et de la densité avec une grande radicalité. Il s’agit d’une seule chose. L. S. La densification est une chose fondamentale. Si on veut préserver la campagne, qui est pour moi fondamentale. C’est pour ça que je dis, même quand j’ai fait ce projet-là, toute ville d’Europe devrait être limitée. Rétablir de nouveau le rapport ville/campagne. Parce que la terre est ronde, elle n’augmente pas, à moins que l’on réussisse à fuir sur Mars ou Vénus. L’Homme est là et son nombre augmente toujours, donc si on consomme toute cette terre, on est foutu. C’est fondamental de préserver la campagne qui est une sûreté et donc il faut limiter la croissance des villes, il n’y a rien à faire. Comme c’était dans le moyen-âge. On reprend à nouveau un thème historique, eux ils les limitaient pour des questions de défense, aujourd’hui il faut les limiter pour d’autres raisons, mais il faut les limiter et c’était un peu ce projet-là [métropole de Hollande]. Alors moi qui passe pour un anti-écologiste, anti-nature, dans ce projet-là, j’ai fait le projet le plus écologique du monde, le plus vert du monde, les verts ont toujours été mes ennemis. Dans le centre de la métropole il y a les brebis, il y a les tulipes, il y a les fleurs et rien d’autre. Il n’y a pas une seule maison là-dedans, plus vert que ça tu meurs.■
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Antoine-Frédéric Nunes
Extraits de A propos de la permanence en architecture Luigi Snozzi Nunes Antoine-Frédéric Juin 2011, Locarno, Suisse
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Comm u naut é la loggia corbu séen n e, le couvent domi nicai n et le vill age japonai s Qndmc
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Armelle Le Mouëllic
Partant d’une analyse des dispositifs architecturaux de seuils au sein du Couvent de la Tourette imaginé par Le Corbusier à la fin des années 50, je me propose de définir le terme de communauté. En complément de ce travail et afin d’introduire de nouvelles problématiques, je ferai appel aux mécanismes physiques et sociales participant à l’idée de communauté villageoise au Japon. Le terme de communauté est trop souvent galvaudé, renvoyé à de fausses images, confondus avec le communautarisme. Le recours à la discipline architecturale ainsi qu’au village japonais est une opportunité de dépasser nos idées préconçues, nos héritages. Prendre le parti du dehors, modestement, à l’image d’un François Jullien1, ouvre de nouvelles voies de compréhension pour le terme de communauté et notamment des liens qu’il entretient avec l’architecture.
chartreux au paysage (au monde?) par l’intermédiaire des dispositifs architecturaux du jardin intérieur ou encore de la loggia. Rythmée par six colonnes, la loggia donne à voir le paysage. Les espaces communs au sein de la chartreuse ne sont pas relevés. Le Corbusier nous conduit à penser que le seul contact des moines avec l’Autre passe par cette relation au paysage, au dehors. « La cellule semble avoir un objectif heuristique et métaphysique pour l’habitant, activant tout le temps, par le cadre et par la mise en confrontation de choses similaires et différentes, une attitude d’étonnement. »3
Le Petit Robert définit une communauté comme un ensemble de personnes partageant un lieu, des biens ou/et des intérêts communs. La vie religieuse, telle que pratiquée par les frères dominicains, est par conséquent le paradigme de la communauté. Les frères partagent leur lieu de vie, leurs possessions mais aussi leur engagement religieux. Le couvent (ou le monastère) est de fait l’incarnation physique de cette communauté au sein de laquelle s’articule individu et collectif. Cette articulation est un des thèmes majeurs du débat architectural moderne. Ainsi Le Corbusier a fondé sa pensée de l’habitat collectif suite au choc spatial et architectural que fut sa visite de la chartreuse d’Ema (ou de Galuzzo) en Toscane en 1907 et 1911 lors de ce que l’on appelle Le voyage d’orients. Ce n’était pas la première fois qu’il la visitait mais, ici, débarrassé de son guide et des instructions de voyage, il se laisse surprendre. Ses notes vont se concentrer principalement sur les cellules de moines chartreux. Lors du voyage en 1907, il note le plan et la coupe de celle-ci. La seconde visite est l’occasion de « revenir sur son étonnement »2. Il note plus précisément la relation des
La question de la cellule apparait de nouveau dans les écrits de Le Corbusier par sa fascination pour les prouesses technologiques du début des années 1920. Ainsi dans le paragraphe « Des yeux qui ne voient pas... » de l’ouvrage fondateur paru en 1923 Vers une architecture4, il nous montre ce qui constitue à ses yeux un des monuments du XXème siècle : les paquebots. Les nombreuses photos qui illustrent l’ouvrage exposent surtout la prouesse technologique que constitue ces grands édifices. Mais à travers les photos des ponts, on sent tout de même la préoccupation de Le Corbusier pour la vie en commun sur ces bateaux. La croisière est une forme de vie religieuse limitée dans le temps où le capitaine prend le rôle du frère prieur5. Les passagers s’en remettent à lui respectant le temps du voyage les règles de la vie à bord. La communauté est en conséquence constituée de cellules individuelles multipliées, régies par une règle commune. Cependant cette définition manque la notion de dedans et de dehors qui apparaît dans la cellule chartreuse.
1 David Pascal, « En lisant François Jullien - pour ouvrir des possibles », Collèges des Bernardins, Lethielleux, 2010. 2 Diètre Stéphanie, L’émergence du visible interrogée par les architectes. Le dessin de note et la 43
construction du regard de CharlesEdouard Jeanneret, Paul Tournon et Jean-Charles Moreux, Université de Grenoble, Grenoble, 2012. 3 Ibid. 4 Corbusier Le, Vers une architecture, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1995, vol. 1/, 253 p. 5 Serenyi Peter, « Le Corbusier, Fourier, and the Monastery of Ema », The Art Bulletin, décembre 1967, vol. 49, no 4, pp. 277-286.
Qndmc En outre, le terme de communauté villageoise ( 村, mura) au Japon renvoie tout autant à une réalité sociale que spatiale. Tout d’abord, il convient de préciser qu’au sein de celle-ci au Japon, la cellule est familiale (家, ie) dont les principes sont d’origine confucéenne6. Elle est doublement communautaire. La communauté villageoise et familiale sont fortement marquées par leur relation au dehors. Les limites du village sont clairement définies. La forêt, les montagnes et plus tard la ville lointaine sont en dehors. Mais ces limites sont aussi sociales, ainsi, on accompagnera celui qui quitte la communauté à la sortie du village en lui remettant un présent7. Les limites de la communauté sont ainsi imperméables, à l’image de l’insularité japonaise.
« Cet enrégimentement collectif dessinait l’image d’un peuple replié sur lui-même dont le conformisme tenait lieu de consensus. Au début du XIXème siècle, les antagonismes étaient peu perceptibles, les règles de bienséance observées par tous, et le recours à la violence, exceptionnel. »9
« Enfin chaque hameau forme une entité extrêmement consciente d’elle-même et, comme telle, exclusive de tout élément étranger. Jusqu’à l’ère Meiji, les relations entre hameaux voisins étaient fort limitées et, plus que la famille dont il est le multiple, c’est lui qui apparaît encore comme l’unité sociale fondamentale de la vie rurale. »8
Comme nous l’avons vu précédemment la communauté villageoise japonaise et la communauté dominicaine sont de nature très différente mais je fais le pari qu’à travers les dispositifs architecturaux mis en place, on peut bâtir des problématiques communes. Ainsi le village japonais est fait de multiples seuils entre l’intérieur de sa maison et son jardin (縁側, engawa), entre l’habitat et la rue, entre le village et la montagne. A chaque fois, la limite est clairement définie mais toujours la relation est maintenue. Ce qui fait le lien, c’est le paysage. Du jardin de la maison, ceint d’un mur, on aperçoit le paysage lointain10 ; le mur nous préservant simplement du paysage urbain proche souvent dénué d’intérêt méditatif. L’architecture japonaise peut se définir dans le rapport qu’elle entretient avec le paysage, cette juste distance.
Ainsi la communauté se définit aussi par ses limites, son dehors et non plus par ce qui est son essence plus difficile à définir. Afin de le comprendre nous analyserons les dispositifs architecturaux de seuils au sein du Couvent de la Tourette mais aussi dans la spatialité japonaise. Ces dispositifs sont le reflet d’une vision spécifique de la communauté et de son rapport avec le dehors.
Cependant, comme l’histoire japonaise nous le démontre, c’est quand le pays a complètement fermé ses frontières que celui-ci a été le plus en péril. Parlant de l’ère Tokugawa (1603-1867), Edwin O. Reischauer décrit une paix social qui amènera le Japon à prendre du retard par rapport aux autres grandes puissances occidentales. On pourrait citer, en outre, la montée des nationalisme des années 30 au Japon qui va le conduire dans la folie de la seconde guerre mondiale. 6 Pezeu-Massabuau Jacques, La maison japonaise, Paris, France, Publications orientalistes de France, coll. « Bibliothèque japonaise, ISSN 0293-0684 ; 2 », 1981, 694 p. 7 Berque Augustin et Sauzet Maurice, Le sens de l’espace au Japon : vivre, penser, bâtir, Paris, Éditions Arguments, 2004, vol. 1/, 227 p. 8 Pezeu-Massabuau Jacques, La maison japonaise, op. cit.
Le couvent de la Tourette offre lui aussi de nombreuses d’illustrations de ces dispositifs de seuils qui permettent de répondre à une préoccupation de l’architecture que de concilier temps et espace. Ainsi l’entrée du couvent faite d’une simple arche de béton épaisse de 50 cm 9 Reischauer Edwin Oldfather, Histoire du Japon et des Japonais. 1, Des origines à 1945, traduit par Richard Dubreuil, Paris, France, Éditions du Seuil, coll. « Points. Histoire, ISSN 07680457 ; 9 », 1973, vol. 1/, 251 p. 10 Pezeu-Massabuau Jacques, La maison japonaise, op. cit.
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Armelle Le Mouëllic
permet de dilater dans le temps et l’espace le moment de l’entrée. La ligne tracée au sol (joint de dilatation) qui rejoint le tilleul dénote de la volonté de Le Corbusier d’établir une relation avec le paysage. Cette entrée ne marque pas la différence entre le dedans et le dehors mais plutôt le lien entre les deux, la juste distance temporelle et spatiale. Il est intéressant de noter que Le Corbusier utilise le même dispositif architectural pour la loggia des cellules des frères dominicains. Il est toujours question ici de marquer une distance temporelle et spatiale. Reprenant ses notes prises au couvent d’Ema, Le Corbusier donne un cadre pour voir le paysage à sa juste distance.
d’« écart fertile »12 par rapport au monde. Cette notion est décrit comme une position dans le monde. Jean-Claude Lavigne utilise le terme de fertile qui signifie la possibilité d’une production, d’une création. La distance ou l’écart ne sont que le support de la pensée ou du regard. Ainsi la loggia dans le couvent nous aide à construire notre regard mais ne le fait pas à notre place. C’est l’étude qui le permet. Contrairement aux autres ordres religieux où la dimension contemplative est centrale, l’étude et le prêche sont les raisons d’être de la vie dominicaine : ils « vont se mêler au monde des villes et iront prêcher partout »13. Bien qu’il soit athée, Le Corbusier a compris l’enjeu de la vie religieuse pour les dominicains.
La relation avec le dehors dans le couvent se fait à l’aide de deux autres dispositifs architecturaux : les pilotis et le toit terrasse. La ligne horizontale du toit terrasse est le trait premier dans le dessin du couvent. Il relie le paysage lointain des monts du Beaujolais à la proche colline du parc paysager. L’ensemble de l’édifice se construit en dessous de ce toit terrasse. Le garde corps de celui-ci est à 1,83 mètres de haut, ne permettant pas d’apercevoir le grand paysage naturel ou architectural. Il se mérite. « Les délices du ciel et des nuages sont peutêtre trop faciles » s’amusait à dire Le Corbusier11. Contrairement aux Unités d’habitations de Marseille ou de Firminy, les pilotis dans le Couvent de la Tourette ne sont pas là pour libérer le sol et permettre la libre circulation. Leurs vocations, ici, est de faire le lien entre l’horizontal et la déclivité du sol. Mis à part l’église, qui pour des raisons liturgiques est ancré dans le terrain, on pourrait défaire le couvent en ne laissant que la trace, l’empreinte sur le sol. A nouveau, le bâtiment dialogue à juste distance avec ce qui l’entoure, le modifiant nécessairement mais sans jamais prendre le dessus. Si le couvent vient à être détruit, on retrouvera la pente du terrain originelle marqué de l’empreinte des pilotis et du cloître.
« Mais, continuellement, le poids du monde met ainsi en échec l’Evangile et continuellement la tâche de l’Eglise est d’empêcher que le monde ne s’organise en un système clos, imperméable au mystère. »14 Au vue des discours prononcés lors de l’inauguration du couvent, Le Corbusier est fasciné par le mode de vie spartiate des frères dominicains qu’il reproduira en quelque sorte dans son cabanon de Roquebrune Cap Martin. Il aurait aimé, semble-t-il, que chacun épouse ce mode de vie communautaire tourné vers le monde et l’étude. Et c’est peut-être ce mode de vie qui se rapproche le plus de celui de l’homme moderne ; celui même autour duquel Le Corbusier aura conçu son architecture. Recourons une nouvelle fois au Japon pour nous ré-interroger à propos de cette notion d’écart. Omniprésente dans le quotidien japonais, on peut la rapprocher du concept d’espace entre deux entités (間, ma). On le retrouve dans la musique, l’architecture, l’habillement, les formes de politesse...
Cette notion de « distance juste » est à l’essence de la vie religieuse et, en particulier, chez les dominicains. Jean-Claude Lavigne (frère dominicain, spécialiste de la vie religieuse) parle 11 Petit Jean, Un couvent de Le Corbusier, Paris, France, Ed. de Minuit, coll. « Les Cahiers Forces vives », 1992. 45
12 Lavigne Jean-Claude, Pour qu’ils aient la vie en abondance : la vie religieuse, Paris, France, Cerf, coll. « Perspectives de vie religieuse, ISSN 0986-4849 », 2010, vol. 1/, 300 p. 13 Petit Jean, Un couvent de Le Corbusier, op. cit. 14 Ibid.
Qndmc « Le ma serait donc le lieu de la pleine communication – non restreinte à un mode déterminé – entre le sujet et autrui. »15 Ainsi dans cet écart se construit et se représente le rapport à l’autre au Japon. L’écart ici n’est pas le vide, mais bien une relation. En conclusion, la communauté se définit dans les rapports qu’elle entretient avec son dehors. Si l’on peut parler d’«écart fertile» alors la communauté se détache clairement de toute forme de communautarisme. Si celle-ci est capable de penser son dehors, elle est aussi en mesure de se penser du dehors. C’est à dire d’engager des processus de changement, de négocier avec son héritage voire même le dépasser. ■
15 Berque Augustin et Sauzet Maurice, Le sens de l’espace au Japon, op. cit. 46
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Armelle Le Mouëllic
Travail originellement présenté lors du Séminaire de la Tourette, qui a eu lieu les 5,6,7 octobre 2012, au Couvent de la Tourette à Eveux.
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Disposi tifs et généal ogie d e l'archi tect ure d u tem ps présent 48
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Jean-Louis Violeau Contenu
En réponse à l’appel à contributions de QNDMC pour sa première levée sur l’héritage, nous avons souhaité, quatre enseignants de l’école d’architecture de Paris-Malaquais, transmettre le programme et les attendus de notre séminaire pour l’année scolaire 2012-2013. Les questions que nous y abordons concernent en effet le rapport à l’histoire, l’architecture de la ville ou encore l’héritage moderne. Elles intègrent les spécificités de l’histoire du temps présent, en termes de méthodes et de sources, mais aussi de regard. Elles nous conduisent enfin à nous interroger sur la validité certaines catégories pré-construites, en premier lieu celles qui sont précédées d’un néo, d’un pré ou d’un post : les présocratiques ignoraient la venue de Socrate, et les néo-platoniciens se sont tous simplement dénommés platoniciens à leur naissance, ne devenant « néo » qu’aprèscoup. Que dire alors des néo-modernes ? Et des post… La complexité et la multiplicité des définitions du « postmoderne », à la fois concept et période (l’après 1960), nous amènent en effet à réfléchir autant sur les formes construites que sur les idées, les enseignements ou les postures. Et un séminaire de master, au sein d’une école d’architecture (encore) implantée sur le site-même de l’École des Beaux-Arts, nous semble le lieu tout indiqué pour mener de telles réflexions. À la rentrée d’octobre, nous nous adressions ainsi aux étudiants… Objectifs de l’enseignement Le séminaire porte sur la situation de l’architecture actuelle, dans une approche française et internationale, et se situe dans une double dimension, contemporaine et historique. Son intention est de vous pousser à explorer le domaine de la pensée architecturale, ses doctrines, ses tendances, ses problématiques changeantes, et à comprendre comment elles se sont réorganisées dans les récentes années sans perdre de vue leurs rapports avec d’autres champs de la pensée contemporaine (les arts, la philosophie, la technique, la réflexion politique et sociale). Notre ambition est de vous aider à comprendre les interrelations entre idées et pratiques, entre théories et métiers, environnement social et projet architectural.
L’accélération des changements de problématiques architecturales récentes est-elle assimilable à une fuite en avant? La vitesse qui régit le fonctionnement de nos sociétés contemporaines nous paralyse. Faute d’avoir su, ou pu tirer les leçons d’expériences récentes issues d’un passé tout juste immédiat, sommes-nous condamnés à errer sans fin et tourner en rond en martelant les mots « expérimentation » et « innovation » ? Gardons-nous de l’évasion dans la prospective comme simple exorcisme au manque de perspectives. Et gardons-nous aussi de la crise de l’avenir et du projet, tentation qui traverse en permanence nos sociétés où tout aurait été essayé, où nous serions comme tétanisés par la mémoire de nos « échecs » les plus récents. Au fil de ce séminaire consacré aux décennies 1980/90, nous chercherons donc à revisiter notre espace d’expérience ainsi qu’un certain nombre de possibles, non avérés ou bien encore oubliés, dans une perspective de ressourcement de notre futur. Nous attacher plus spécifiquement à cette période impliquerait en outre une inflexion vers des notions jusqu’ici tenues trop souvent pour marginales par la recherche architecturale : ainsi du « postmodernisme», par exemple, qui nous a fait passer des masses aux multitudes, processus où les architectes (chargés dans le meilleur des cas de concevoir et organiser l’habitat) jouèrent un rôle à la fois pionnier et fondamental. Approches Deux termes structureront notre approche : « dispositif » et « généalogie ». Par « dispositif » on entendra toute forme d’agencement d’éléments (matériels ou symboliques) destinés à créer des « effets ». Certains sont propres à l’architecture domestique (gradation de l’intime, espaces intermédiaires), d’autres sont techniques, d’autres encore ressortissent à une forme de rhétorique architecturale (les registres de l’humour, de l’ironie et du cynisme, l’inquiétude devant ces « temps sauvages et incertains », le retour du « sublime »…, autant de thèmes qui intéressent aussi la postmodernité architecturale).
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Qndmc Par « généalogie » on entendra une méthode d’investigation ou de « résolution d’énigme ». Pour faire image et expliciter la démarche, on peut prendre la généalogie au sens familier de la généalogie familiale, c’est-à-dire que l’on part de soi, maintenant (en quoi tel objet pose problème aujourd’hui?), pour filer l’histoire à rebours jusqu’à une origine possible de ce problème qui éclaire en retour votre problématique. Il s’agit, en somme, de comprendre le passé par le présent (et inversement). ■
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Héritage
Jean-Louis Violeau
Travaux demandés
Invités, au fil du premier semestre
Le séminaire doit être considéré comme un lieu vivant, dans lequel la matière théorique acquise lors des enseignements précédents est réengagée au profit de la construction d’un débat collectif. De ce débat émergeront des questions que nous nous attacherons, ensemble, à énoncer en problématiques. Pour répondre aux curiosités de chacun, les sujets de recherche sont libres. La présence est obligatoire. Vous ne serez pas uniquement évalués sur travaux mais également sur votre participation au travail collectif. L’élaboration du mémoire de master est progressive.
Michèle Champenois (critique d’architecture), Eric Lengereau (historien des institutions de l’architecture), Dominique Lyon (architecte), David Peycéré (conservateur des archives d’architecture XXe siècle), Florence Wierre (historienne, spécialiste des archives d’agences d’architecture). Invités, pressentis pour le second semestre Hervé Cividino (historien des architectures agricoles), François Cusset (historien des idées), Jean-Claude Garcias (critique d’architecture), Christian Girard (historien des idées architecturales), Jacques Lucan (historien et critique d’architecture), Nicolas Michelin (architecte-urbaniste), Jean-Pierre Pranlas-Descours (architecte-urbaniste), Léa-Catherine Szacka (historienne des expositions d’architecture), Hubert Tonka (éditeur de livres d’architecture), David Trottin (architecte).
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Héritag e : être et avoir
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Christophe Dethe
La question de l’héritage nous renvoie immédiatement à la notion de passé. L’héritage c’est ce que nous avons reçu, ce qui est transmis et qui m’est destiné aujourd’hui. Cette transmission, et de fait l’action de transmettre, relève de l’avoir. Mais c’est par conséquent ce qui est et ce avec quoi nous devons choisir ou non de composer, de faire, ce qui nous amène à la notion d’être. Différencier l’héritage en soit de ce qu’il deviendra, l’avoir et l’être, c’est comprendre que l’on a le choix d’accepter ou non ce que l’on nous impose, mais que nous serons responsable de ce que nous imposerons aux autres. Car l’héritage est bien imposé puisque de fait on ne le choisi que rarement. Nous échappe seulement l’appropriation de cet héritage que nous laissons, l’être, par la génération suivante, conflit éternel du fils et du père.
nateurs, buvant la parole des quelques élus. Pauvres étudiants en architecture, qui attendaient du prophète la parole divine. Eux a qui l’on a demandé de parcourir l’Europe et même le monde pour comprendre et toucher du doigt ce que les maîtres ont laissé à l’histoire, ils ont tous fait le même voyage. Eux qui ont parcouru toutes les capitales en si peu de jours, ils en ont même oublié de s’intéresser aux gens qui étaient là. Consommer le voyage tant que le savoir à en devenir boulimique, ils ont seulement fait ce qui leur a été dicté sans poser de questions. Car l’étudiant en architecture, petit bourgeois, n’est que peu prompt à la révolte, à la remise en question de l’ordre établi, il ne descendra d’ailleurs jamais dans la rue, il la regarde d’en haut et en réalité, la méprise. Mais il serait faux de dire que tous les architectes sont ainsi, puisqu’à toute culture s’en oppose une autre, vous les trouverez dans la case des décroissants ou encore des marginaux. Certains arrivent parfois à atteindre le prix de l’architecture durable, si tant est que ce prix soit encore une récompense étant donné le galvaudage et la banalisation de la notion de durable, notion qui par ailleurs ne peut concorder avec le système dans lequel nous vivons qui lui est basé sur la consommation cyclique.
L’héritage est double. D’une part, il est matériel, appliqué à notre cas, l’architecture, concrète, construite. Celle que nous vivons et celle qui nous est imposée via différents médias, celle que nous devons étudier et qui constitue pour nous un matériel. D’autre part immatériel, puisque culturel, social etc... Il se rapporte pour nous, étudiants, à la vision de l’architecture, du projet et de la profession qui nous est imposée à travers nos études. Inutile alors de croire à l’hypocrisie de former des autodidactes quand ils ne peuvent que penser ce qui leur est dicté.
Car le voilà notre réel héritage, un système économique, social et culturel qui aujourd’hui, à travers la crise, montre ses limites. Cet ébranlement de nos sociétés doit nous amener à nous remettre en question sur ce que nous sommes et sur ce que nous allons transmettre, en tant qu’architectes mais avant tout en tant qu’hommes. Faute de quoi nous n’aurons d’autre avenir que celui que l’on nous a imposé, et rien d’autre à transmettre qu’un autre monde en crise.
Rappelons que de par ces deux aspects c’est essentiellement une seule vision de l’architecture qui nous est transmise. Cette vision c’est évidemment celle qui découle du mouvement moderne, et de son héros national (lui qui voulait raser Paris), Le Corbusier, élevé au rang d’idole par nos chers professeurs. Mouvement dont nous pensons vainement être sortis via un épisode post moderniste. Le modernisme s’étant en réalité seulement revêtu d’une belle parure de technicité et de «nouveaux» matériaux. Mettez du bois sur la villa Savoye, celle-ci deviendra une référence du mouvement HQE, cher à notre ami Rudy Ricciotti. L’héritage qui est imposé est toujours celui de la culture dominante, en l’occurrence aujourd’hui une culture occidentale mondialisée, capitaliste et libérale. Nos archis star en portent le flambeau, à leurs pieds une armée de dessi-
Au delà de ce constat teinté de pessimisme, ce qu’il faut tout d’abord comprendre c’est que l’héritage ce n’est pas seulement ce que je reçois mais c’est aussi ce que je donne. Alors que laisserons-nous? Cette question qui devrait précéder chacune de nos actions nous invite à voir au delà de nous même et de l’échelle de temps que cela implique. Ce changement de paradigme nous amène surtout à penser au delà du simple «moi», et de ce que je reçois, pour aller vers «l’autre» et vers ce que je lui donne. ■
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La valeur patrimoniale est aujourd’hui devenue un véritable outil de promotion, culturelle mais aussi sociale et économique. Au sein d’un corpus de plus en plus vaste, allant depuis peu jusqu’au siècle dernier grâce au label « patrimoine XXème », la place potentielle des grands ensembles est pourtant largement débattue. Leur architecture est souvent prise comme bouc-émissaire, symbole des maux qui les caractérisent mais aussi solution pour leur devenir. Legs majeur et considérable qui a modifié le paysage français, les grands ensembles sont passés d’un consensus à l’autre. Considérés au départ comme seule solution à la crise du logement, nombreux sont ceux jugés désormais obsolètes et encombrants. Face à cette situation, l’image de cet héritage oscille souvent entre vision élitiste et démarche destructrice, entre besoin de reconnaissance ou de valorisation et inertie de la représentation traditionnelle du patrimoine. Au-delà de leur caractère patrimonial, leur légitimé en tant qu’héritage est parfois mise à mal.
recoupe des enjeux sociaux forts. De plus en plus connoté à des valeurs culturelles souvent valorisantes et identitaires, le patrimoine joue un rôle fédérateur. Il peut légitimer la présence d’une population sur un territoire en reconnaissant un cadre de vie et des pratiques localisées. Son intégration à l’histoire plus large d’un pays peut aider ses habitants à établir une construction sociale stable et durable, prenant racine dans un héritage accepté de tous et valorisé. A l’inverse, le rejet continu du territoire lié à une population déjà en défaut de patrimoine et sans racine locale ne peut qu’influencer négativement la relation qu’entretiennent habitants et lieux. Un environnement est d’autant plus subi qu’il est décrié par le reste de la ville. En reconnaissant ces lieux ainsi que les traces et empreintes des différents usagers, la société commence à accepter le fait qu’ils ont modifié pour toujours sa structure sociale, sa culture et son histoire.
Ainsi, à l’opposée de l’attitude de l’ANRU, une démarche « patrimonialisante » commence à émerger pour recenser certains morceaux de L’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine) est désormais le principal acteur dans cet héritage. Le Ministère de la Culture et son label « patrimoine XXe », créé en 1999, met en la transformation des grands ensembles. Son programme de rénovation urbaine (PNRU) a pour avant la volonté, pour les grands ensembles, de s’appuyer sur les « Grands Noms » de l’Architecbut d’intervenir fortement sur leur devenir en ture Moderne : Le Corbusier, Renaudie, Novaplaçant la démolition-reconstruction comme rina, Dubuisson, Lods, etc. Dans une course à la première force de changement. Ce système à patrimonialisation, on reproche à cette dé« guichet unique » décide alors des finanmarche d’être avant tout une appropriation intellcements et respecte la règle du « 1 pour 1 » : ectuelle et élitiste de la question, trop éloignée pour la construction d’un immeuble de logements, le quartier voit la destruction d’un autre. des réalités locales. Elle définit la valeur de cet Cette politique engagée et médiatisée a cepen- héritage en fonction des critères d’exemplarité, dant vu émerger des ambiguïtés et de nombreu- d’unicité ou de prestige proches de la tendance historique à identifier et protéger des objets reses critiques. La première étape des démolitions enclenchée, les projets de reconstruction marquables, des monuments. On veut alors ont du mal à suivre faute de fonds. De nouveaux classer ou collectionner l’ensemble de l’œuvre vides urbains et de nouvelles cicatrices accen- originale de tel architecte, présenter un corpus cohérent. La valeur patrimoniale est alors fortetuent ceux déjà présents. Pour beaucoup, la ment définie par la valeur que l’on reconnaît à démarche est aussi jugée trop réductrice car son architecte et se dégagent des enjeux locaux fondée surtout sur des objectifs financiers et d’identité ou de mémoire collective pour les poune vision trop rationnelle. Les interrogations pulations. Toutefois, pour une grande partie, ces patrimoniales ou seulement les questions de mémoire et d’appartenance sont souvent igno- territoires ne sont pas l’œuvre d’un architecte d’exception et sont pourtant le cadre de vie d’une rées. Le jeu d’acteurs intervenant sur ces terriforte population. Quel vecteur de valorisation toires met de côté des institutions telles que le Ministère de la Culture, la DRAC, etc. Or, projeter mettre alors en jeu ? Quelle légitimé leur donner ? un nouveau devenir pour les grands ensembles Le label XXéme met en lumière la nécessité de en omettant ces valeurs mémorielles, historiques ou sociales peut paraître dommageable. requestionner le regard que l’on porte sur ces Dans l’engouement actuel pour le patrimoine, territoires hérités et de l’apprentissage collectif. le travail sur la pérennité des grands ensembles Dans une société où le patrimoine n’est plus un 59
Qndmc statut imposé, la faculté de savoir identifier des objets et de les reconnaître tient d’une construction sociale. L’ensemble de la population appartient au processus par le regard qu’elle sait porter sur son héritage. Ainsi, l’architecture des grands ensembles est-elle si différente qu’elle ne puisse se rattacher à la notion traditionnelle du patrimoine ? Certes, de nombreuses réalités freinent le changement de représentation. Par bien des aspects, l’héritage du XXe siècle s’éloigne de l’image que l’on a du patrimoine, principalement fondée sur l’architecture classique et les quartiers historiques. Ceux-ci ont véhiculé des archétypes et des valeurs qui ont été digérés par tous et qui orientent aujourd’hui notre regard. Or, ils sont souvent très éloignés de ceux que représente l’Architecture Moderne. Tout d’abord, par sa forme et sa matérialité, l’héritage des grands ensembles est jugé, à première vue, uniforme et massif. Par sa répétition formelle d’immeubles, d’appartements, de fenêtres, … et son homogénéité fonctionnelle ou sociale, il s’oppose aux valeurs de rareté et d’exception si chères au monument classique. De même, leur conception industrielle s’oppose au pittoresque du travail artisanal fortement ancré dans la culture française et l’utilisation généralisée du béton est mal perçue face aux matériaux traditionnels, considérés comme plus nobles (bois, pierre, etc.). L’esthétique du béton peine à faire consensus ; à l’inverse, son caractère durable ne correspond pas à l’image tant recherchée du « patrimoine-ruine » dont les effets du temps, l’apparente fragilité et la peur de la perte sont sacralisés. La valeur esthétique est aussi en rupture avec celle héritée de l’histoire. Le reste de la ville est ordonnancé par des « styles » lentement appris, connus et reconnus de tous. A l’inverse, Eugène Claudius Petit alors ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme dira à propos des grands ensembles : «l’urbaniste se gardera bien d’être esclave d’une esthétique […], c’est au nom de l’esthétique qu’on s’oppose à toute entreprise, qu’on tolère et qu’on maintient les taudis.». Il est alors plus difficile de mettre aujourd’hui en avant les qualités picturales, que tout le monde recherche, dans des ensembles marqués par leur fonctionnalisme. De la même manière, l’échelle du bâti fait frein. Comme ailleurs, nous préférons sauvegarder des ensembles formant un tout cohérent et dans lequel certains édi-
fices particuliers, des monuments, ponctuent le paysage. La force imposante des tours et des barres de logements, pensées comme autant de monuments modernes, a du mal à s’inscrire dans cette démarche. La proximité temporelle de ces œuvres est aussi déstabilisante. Plus l’héritage est récent, plus le changement de regard porté sur celui-ci est difficile. En présence d’un patrimoine vécu et vivant, la mémoire récente des lieux influe sur notre perception. Davantage encore si les pratiques que l’on en a sont identiques à celles d’origine. Or, les usages des grands ensembles n’ont que peu changé, et l’on ne peut les voir qu’à travers les images connotées et négatives qu’ils ont véhiculées depuis plusieurs décennies. Une distance temporaire prise avec un héritage bâti, un temps de jachère laissé à un territoire facilitent une réappropriation patrimoniale par la suite. Cette période d’oubli permet à la fois un détachement sensible par rapport au vécu de l’objet mais aussi une rupture dans la mémoire collective. La réappropriation des objets industriels par une population et des usages qui ne sont pas ceux d’origine a permis le développement d’un imaginaire nouveau et positif bien différent de celui qu’ils symbolisaient dans le passé. Les usages d’origine sont d’autant perçus comme obstacle à la conquête patrimoniale qu’ils ont une visée sociale. En effet, la dimension sociale représente, dans la majeure partie des cas, l’inverse de l’image prestigieuse à laquelle doit répondre le patrimoine dans son acception traditionnelle. Elément symbolique le plus remarqué et remarquable d’une communauté, il doit de plus en plus représenter aussi un potentiel économique fort grâce au tourisme. L’image renvoyée à l’autre, touriste ou étranger, est de ce fait aussi importante que celle destinée aux habitants. Tous ces aspects montrent la difficulté de faire entrer ces territoires dans une démarche patrimonialisante et de transformation cohérente mêlant tous les acteurs. Toutefois, et pour conclure, rappelons qu’il y a trente ans le regard patrimonial porté sur d’autres morceaux de ville, les quartiers historiques, était lui aussi impensable. Ils partageaient ainsi plusieurs des tares que l’on reproche aujourd’hui aux grands ensembles. L’opération « bulldozer » et la table
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rase du passé constituaient la seule réponse des politiques de la ville pour inscrire le changement de façon durable dans ses tissus urbains. Leurs formes et leur population participaient à l’image négative et connotée pour le reste de la ville qui les jugeait responsables d’une partie de ses maux. Leur architecture ne connaissait pas l’engouement d’aujourd’hui mais était jugée archaïque, malsaine, répétitive et ennuyeuse. Il a donc fallu des démarches précurseurs comme, par exemple, la politique d’André Malraux ou encore celle engagée par le comité « Renaissance pour le Vieux-Lyon » afin d’élargir les notions de patrimoine et commencer un long processus d’apprentissage et de revalorisation auprès de la population. Processus sans lequel le changement du regard collectif et la requalification de ces territoires n’auraient jamais eu lieu. ■
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Metaplak est une metafont designée pour la revue Qndmc.
Elle utilise le langage de progra mmation Metafont, développé en 1977 par Donald E. Knuth.
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La police La théma Metaplak tique de est définie chaque par un édition ensemble de Qndmc de variables définit la tel que la valeur hauteur, de ces la largeur, variables. la réso lution des Ainsi ce courbes ou numéro #1 encore la attribue à graisse des chacune caractères. de ces variables la valeur de 1. 63
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L’École Nationale Supèrieure d’Architecture de Lyon Nathalie Mezureux Jean François Agier Paolo Amaldi Cyrille Simonnet Didier Michalet et Karen Firdmann Benoit Coulpier Jean Philippe Aubanel Frédéric Gillet ©
Tous droits réservés.
01 — Le patrimoine sans qualité Cyrille Simonnet Diplômé de l’Ecole d’Architecture de Grenoble en 1978 et Docteur en histoire de l’art en 1993 (EHESS, Paris), C. Simonnet débute sa carrière comme chercheur au laboratoire Dessin-Chantier à l’Ecole d’Architecture de Grenoble (1985-96). De 1990 à 1994, il est Chargé de Mission au Bureau de la Recherche Architecturale à la Direction de l’Architecture (Ministère de l’Equipement, Paris). En 1995, il enseigne l’histoire de l’architecture à l’Ecole d’Architecture de Grenoble. Il est nommé en 1997 professeur ordinaire à l’Université de Genève, à l’Institut d’Architecture de l’Université de Genève, qu’il dirige de 1998 à 2002. En 2008 il est rattaché à la faculté des Lettres, au déapartement d’histoire de l’art.
03 — Rotonde Badan Grigny Charlène Aze Designer d’Espace diplômée d’un BTS de la Martinière Terreaux à Lyon en 2005. Elle intègre ensuite une formation de technicien d’études CAO DAO spécialité architecture pour se perfectionner sur les logiciels de dessin. Elle travaille en tant que collaboratrice d’architecte depuis juin 2006 au sein de l’agence ARCHIPAT spécialisée dans l’intervention sur l’existant et les Monuments Historiques. Elle est actuellement étudiante en Master Matérialité à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon. Pierre Dumas Après une mise à niveau en arts appliqués, il obtient en 2005 un BTS Design d’Espace à l’école de Condé de Lyon. Il poursuit sa formation à l’université Lyon 1 par une licence réhabilitation des bâtiments pour se spécialiser dans ce domaine et intègre une fois diplômé l’agence ASUR Architectes, spécialisée dans l’intervention sur l’existant et l’habitat. Il est aujourd’hui parallèlement à son activité professionnelle étudiant en Master Matérialité à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon.
Ses nombreuses publications, historiques et théoriques, portent essentiellement sur l’architecture considérée comme fait matériel et social. C. Simonnet publie plus de cinquante articles et participe à de nombreux ouvrages collectifs. Parmi ses publications les plus marquantes, relevons : «Le musée-bibliothèque de Grenoble : histoire d’un projet, chronique d’un chantier», Pug, Grenoble, 1987; 04 — Héritage «La Tourette de Le Corbusier», Isabelle Dumas Parenthèses, Marseille, 1987 (avec S Ferro, Ph Potié, Ch Kebbal); «Les Isabelle Dumas est architecte architectes et la construction», T&A, DPLG (Paris-La Villette 1985) Paris, 1993 (avec V. Picon-Lefèvre); Associée de l’atelier cairn, «Le béton en représentation, les agence qui se situe à la croisée archives photographiques de entre patrimoine et architecture l’entreprise Hennebique», Hazan, contemporaine, structurée autour Paris, 1993 (avec R Legault, G de la restauration patrimoniale avec Delhumeau). «L’architecture, ou interventions contemporaines. la fiction constructive» (éditions de la Passion, 2000) ; «Le béton Après des expériences armé : histoire d’unj matériau» collaboratrice d’architectes (Parenthèses, 2005) ; «Le projet et de montage d’opération ou tectonique» (avec J P Chupin), d’assistance à la maîtrise d‘ouvrage (infolio, 2005) ; «Robert Maillart et dans différents contextes l’idée constructive» (infolio, 2013). professionnels (CAUE, organisme HLM, conseil général et caisse d’allocations familiales), sur des 02 — Mood types d’opérations allant de la Tiphaine Vasse restructuration de centres urbains à des projets d’infrastructure Tiphaine Vasse se passionne très (implantation de la gare TGV tôt pour le dessin, la photographie et contournement autoroutier, et les sciences. Elle étudie les traverses d’agglomération), arts appliqués et le design à Paris. en passant par des opérations Après plusieurs expériences de réhabilitation (patrimoine comme directrice artistique et architectural social XVII - XXème), designer au sein de différentes elle a développé des opérations en agences, elle s’investit dans sites protégés, naturels ou urbains. différents projets personnels. Elle crée Cerise noire, agence de design et de communication, en avril 2006 et développe depuis 2011 une marque de mobilier bois et luminaires, WOODEN. En parallèle de son travail de designer, elle est également photographe et cofondatrice de la galerie d’art MirorMiror. En octobre 2009, elle débute un travail de photographie de rue en noir et blanc, sur la ville de Lyon et entame une série de portraits de ses proches. Ce travail l’emmène à Yalta, où elle expose ses photographies sur Lyon et s’imprègne de la « petite Russie » avec curiosité et émotion.
Membre d’un syndicat d’architecte adhérent à l’Unsfa (Union nationale des syndicats français d’architectes) depuis 1998, du syndicat des architectes du Rhône depuis 2000, du conseil national de l’Unsfa depuis 2002. Adhérente de l’ICOMOS (conseil international des monuments et des sites) et de Maisons paysannes de France.
05 — Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage Théo Baillet Théo Baillet a obtenu son diplôme d’architecte en juin 2012 au sein de l’atelier Stratégies et Pratiques Architecturales Avancées (SPAA) au service d’un parcours tourné vers le croisement des échelles. Il étudie actuellement au DSA architecte-urbaniste de Marne-la-Vallée questionnant les villages de périphérie, l’habitat pavillonnaire et la ruralité. 06 — Le complexe de l’héritage dans le projet architectural Benoît Teissier Licencié en philosophie et Architecte Diplômé d’Etat, il effectue actuellement son Habilitation à la Maîtrise d’Œuvre en son Nom Propre à l’Ecole d’Architecture de Lyon. Il s’intéresse aux liens entre philosophie et architecture et leurs impacts concrets dans le projet d’architecture. 07 — Entretien avec Luigi Snozzi Antoine-Frédéric Nunes Antoine – Frédéric Nunes est étudiant en deuxième année de master à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, préparant actuellement son PFE. L’instabilité de la pensée et le concret de la matière sont les éléments qui participe à l’élaboration du projet d’architecture. Il dessine, redessine encore et encore, passant d’une maquette à une autre, d’une idée à son contraire. Rien n’est figé, tout est en cours. Par la production de frictions entre énergies et matière, son travail théorique met en centre le corps et toute expérience spatiale. Il ne s’agit plus d’être dans l’espace mais de le pratiquer pour habiter sur terre. 08 — Diane Berg Dina Berg est une jeune illustratrice-architecte issue de l’école de paysage et d’architecture de Bordeaux. Après avoir collaboré avec quelques agences, elle se consacre aujourd’hui exclusivement à son travail d’illustration, au services d’agences, des revues ou institutions liées au monde de l’architecture. 09 — Communauté La loggia corbuséenne, le couvent dominicain et le village japonais Armelle Le Mouëllic Architecte Diplômée d’Etat de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, elle a effectué en 2009/2010 une année d’étude à l’Université de Waseda au sein du laboratoire d’Urban Design du professeur Shigeru Satoh. Elle poursuit actuellement une thèse en architecture à l’ENSAG sous la direction de Catherine Maumi dans le laboratoire Métiers de l’Histoire de l’Architecture : Édifices-VillesTerritoires. Son travail interroge
la place de l’architecte dans les opérations de reconstructions menées par les habitants suite aux catastrophes urbaines qu’a subi le Japon au XXème siècle : processus des Machizukuri. Elle effectue actuellement un séjour de recherche d’une année à l’université de Waseda soutenu par la Japanese Foundation for the Promotion of Science. 10 — Dispositifs et généalogie de l’architecture du temps présent Pierre Bourlier Architecte, fait bientôt paraître Contre le style ? La mission historique de la Génération moderne et la fabrique du Réel Isabelle Chesneau Architecte, a fait paraître en 2011 L’abécédaire de Marcel Roncayolo. Entretiens (éditions In Folio). Soline Nivet Architecte, a conçu et coordonné avec Lionel Engrand l’exposition Architectures 80. Une chronique métropolitaine qui s’est tenue en 2011 au Pavillon de l’Arsenal (catalogue aux éditions Picard). Jean-Louis Violeau Sociologue, a fait paraître en 2011 Les architectes et Mai 81 (éditions Recherches). 11 — Héritage : être et avoir Christophe Dethe Diplômé il y a déjà quelques année à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon, Christophe DETHE travaille comme architecte au sein d’une petite agence de la région Lyonnaise 12 — Jean-Philippe Aubanel Né, vit et travail à Lyon 13 — L’héritage des Grands Ensembles,un consensus impossible? Vincent Schmitt Vincent Schmitt est étudiant architecte-ingénieur. Ces études oscillent entre l’ENSAL (Master II) et l’INSA Lyon (3e année GCU). Après une année en Histoire de l’Art et un changement d’orientation grâce aux études d’Architecture, son intérêt pour le patrimoine est toujours resté présent. Tout le long de son cursus, que ce soit à travers son rapport d’étude de Licence, un travail d’un semestre « Histoire et Patrimoine » sur l’héritage de la Part-Dieu et un mémoire esquissant des interrogations patrimoniales dans le devenir des Grands Ensembles français, les enjeux de l’outil patrimoine sont devenue évidents. Le PFE en AFT (master « Architecture Formes et Transformations ») continue aujourd’hui ce parcours dans l’héritage récent puisqu’il porte cette année sur la friche RVI, trace historique d’un des derniers grands tènements industriels de Lyon.