La résilience hydraulique du territoire, tremplin de l’adaptabilité urbaine Stratégies d’avenir du technico-sensible
PROJET DE FIN D’ETUDE Rapport de présentation . Juin 2018
Quentin AUBRY
StratÊgies d’avenir du technico-sensible
Quentin Aubry Juin 2018
Projet de Fin d’Étude Studio Borderline École Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes
REMERCIEMENTS Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont apporté leur soutien et leurs conseils pour l’écriture de ce mémoire et pour le développement de ce PFE. Merci notamment à l’équipe enseignante, Sabine Guth, Petra Marguč, Nathalie Duez, Maëldan Le Bris Durest, Loïc Touzé et Kantuta Quiros. Merci à mes collègues de studio, à ma famille et à mes amis, en France ou ailleurs, pour les échanges qu’on a pu avoir sur le sujet. Merci à Jean-Marc Benguigui pour la rédaction de l’avant-propos et merci surtout à Zeger Dalenberg pour son aide et son soutien sans limites.
AVANT-PROPOS
rédigé par Jean-Marc Benguigui, enseignant responsable de l’option Ingénierie de la transition écologique à l’Ecole Centrale de Nantes Je me souviens encore du jour où, il y a deux ans, un étudiant de mon option « Ville Durable » a interpellé l’un des intervenants. Il se plaignait d’entendre toujours le même discours sur le catastrophisme écologique. À juste raison, il me rappelait que les jeunes sont aujourd’hui sensibilisés dès le lycée, ou même bien avant, aux conséquences du réchauffement climatique. Ce que mes étudiants attendent donc d’une école d’architecture et d’ingénieurs, ce sont désormais des solutions. Nous n’avons en effet plus besoin de les convaincre sur l’urgence d’agir vite. L’un des enjeux forts pour nos futurs architectes et ingénieurs est d’imaginer et de concevoir des bâtiments et des villes capables de s’adapter aux différents impacts environnementaux. La pollution de l’air, de l’eau ou l’élévation des températures dans les agglomérations font partie des problèmes à résoudre. Les questions qui vont mobiliser nos concepteurs portent sur la montée des eaux et les inondations récurrentes dans les zones urbaines liées aux changements climatiques. Comment peut-on limiter les dégâts causés à ces types de catastrophe ? Créer des bassins de rétention, renforcer des digues ou aménager des polders ne constituent pas des réponses suffisantes. L’idée de développer des espaces verts ou des zones humides en ville fait son chemin. Surélever les habitations et construire des maisons sur pilotis devient une évidence, quitte même à concevoir des maisons flottantes. Les Néerlandais, par exemple, doivent faire preuve d’imagination pour continuer à vivre sur leurs propres terres. Pourquoi ne pas voir encore plus grand avec des immeubles ou des quartiers flottants, voire même flexibles ? Alors que les villes sont actuellement statiques, l’architecte néerlandais Koen Olthuis les imagine dynamiques avec des bâtiments pouvant facilement se déplacer. Il travaille actuellement sur un hôtel en forme de grande tour qui tourne sur elle-même et flotte sur l’eau. Les surfaces habitables sur notre planète vont se réduire à cause de la montée des eaux en lien avec le réchauffement climatique et l’augmentation de la population mondiale. Ce risque laisse présager qu’une grande partie de l’humanité devra adapter son habitat. Nos étudiants attendent probablement qu’on leur propose des solutions miracles. Or je ne crois pas que nous soyons en mesure dans nos grandes écoles de répondre à leurs attentes. Combien de technologies ont été développées par des ingénieurs qui aujourd’hui contribuent au dérèglement climatique ? Je pense qu’il est important de rappeler à nos jeunes qu’un ingénieur et un architecte ont des responsabilités vis-à-vis de la préservation de notre planète. A défaut de délivrer des solutions clé en main, les enseignants se doivent alors plutôt de les aider à les imaginer et à les construire en s’assurant qu’elles respectent la nature et l’environnement.
Nous pouvons les former à des outils et à des méthodes qui permettront de créer de nouveaux concepts. Mais j’insiste sur le fait que ceux-ci doivent être sobres et non futiles. Une grande tour flottante qui tourne sur elle-même a-t-elle une grande utilité si, de par sa construction ou son fonctionnement, elle émet davantage de gaz à effets de serre ? Comment nos futurs concepteurs peuvent-ils s’assurer que leurs solutions soient viables et respectueuses de l’environnement ? C’est ce qui me conduit aujourd’hui à penser qu’en apportant des outils d’analyse adaptés, l’enseignement de l’éco-conception constitue une discipline indispensable. Pour adapter ses décisions aux fonctions attendues d’une habitation ou d’une zone urbaine, l’ingénieur ou l’architecte doit contrôler le cycle de vie de la solution qu’il propose. Il lui faut anticiper l’ensemble des impacts environnementaux afin de réduire les effets nocifs comme les déchets ou la pollution de l’eau et préserver les ressources non renouvelables. Les matières premières extraites et acheminées, la construction, l’usage ou la fin de vie d’un bâtiment ou d’un quartier nécessitent d’être maîtrisés. Le concepteur doit éviter les transferts d’impacts entre les différentes étapes d’un cycle de vie et les critères de nuisance environnementale. Gérer cette complexité implique d’être formé à l’eco-conception ainsi qu’à ses outils. Nos architectes et ingénieurs auront besoin de savoir mesurer l’incidence de leurs ouvrages sur la nature. Dans la transition écologique qui s’annonce, je compte sur la nouvelle génération pour changer de modèle sociétal, réparer nos erreurs et garantir à nos enfants une existence viable.
Projet de filtration et requalification du Gowanus Canal (Port de New York) par l’utilisation des huîtres. Innovation et sobriété : oyster-tecture par Scape Studio.
TABLE DES MATIÈRES BORDERLINE 8 texte de présentation du studio rédigé par l’équipe enseignante
INTRODUCTION 11 déclencheurs de la réflexion
I. HYDROBIOGRAPHIE NANTAISE évolution d’une relation tumultueuse
1. L’EAU AIMÉE 2. L’EAU REDOUTÉE 3. L’EAU RÊVÉE
II. CHANGEMENT CLIMATIQUE la montée du risque
1. DESTIN CLIMATIQUE, URGENCE ET RÉACTIVITÉ(S) 2. MÉTHODES ET LIMITES ACTUELLES 3. FAIRE UN PAS DE CÔTÉ, LA PENSÉE MULTISCALAIRE
III. ENGAGEMENTS ET VALEURS postures personnelles
18 18 21 24
30 30 33 36
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1. TRAVAILLER AVEC, L’IMPORTANCE DE LA PLURIDISCIPLINARITÉ
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2. PRINCIPES DU CONTESTATAIRE OPTIMISTE
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3. LE TEMPS COMME ÉCHELLE COMPLÉMENTAIRE
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→ SITE N°1 : RETROUVER LA CHÉZINE
→ SITE N°2 : DÉNOUER CHANTIERS NAVALS
→ SITE N°3 : IRRIGUER LA PETITE HOLLANDE
IV. COSMOGONIE DE L’EAU, DE LA RÉALITÉ À LA FICTION ressource du technico-sensible
1. L’EAU EST DANS TOUT, ET INVERSEMENT 2. POTENTIEL D’AMBIANCES ET FORCE DE LA RUINE 3. LA FICTION COMME OUTIL DE PROJECTION
64 64 67 70
CONCLUSION 73 synthèse de la posture et de la démarche
MEDIAGRAPHIE 74 sources et références
ANNEXES 76 CARNET DES MODÈLES D’ACTION 76 MÉMOIRE DE MASTER : SCÉNARIO DE DESTRUCTION DE NANTES À L’ÉCRAN 98 CARTES POSTALES BORDERLINE 104 CARTES DE NANTES 106
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BORDERLINE
texte de présentation du studio rédigé par l’équipe enseignante
Le projet architectural comme posture critique et recherche en action. Penser l’impensé / Désobéir à la limite / La frontière comme méthode DE2 Espaces critiques. Architectures et urbanités à l’épreuve de la métropolisation SS8/S10 2018 ÉQUIPE ENSEIGNANTE Sabine Guth (coord.), Petra Marguč, Kantuta Quiros, Loïc Touzé, Nathalie Duez, Maëldan Le Bris Durest
CONTEXTE PÉDAGOGIQUE Le studio de projet Borderline a pour visée d’offrir le goût et les moyens d’une pratique de la conception architecturale et urbaine émancipée, consciente et engagée. Son assise méthodologique est constituée par le domaine d’étude Espaces critiques : architectures et urbanités à l’épreuve de la métropolisation, dont l’un des principaux enjeux est l’élaboration d’une approche critique du conditionnement des acteurs, des logiques de projet et des formes architecturales et urbaines, qui sont à l’œuvre aujourd’hui (cultures professionnelles, banalisation des enjeux sociétaux, ségrégations...). Dans ce cadre sont imaginés et expérimentés des processus de projet capables de saisir et dépasser ces conditionnements, pour appréhender les enjeux de rupture et de transition qui animent et modèlent le monde contemporain.
OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES L’objet de son enseignement est le projet architectural, dont il s’agit de construire non seulement les attendus et la nature des transformations visées, mais aussi les moyens et les outils qui soutiennent et servent son action. Travaillé dans sa capacité à condenser des échelles multiples et des questions parfois contradictoires, il est exploré et développé dans un état d’esprit de dévoilement des modes de production actuels de l’architecture et de la ville. En ce sens, il ne s’agit pas de répondre explicitement à une demande de type professionnalisant ou de type agence, mais plutôt de mener une investigation prospective à court terme : le projet comme recherche et expérimentation permanente. Selon cette hypothèse peuvent être proposées des formes de recherche expérimentale, mobilisant des méthodologies d’écriture, d’enquête, de restitution du
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savoir et de formalisation issues d’autres disciplines, empruntant aussi bien à des démarches artistiques que scientifiques. C’est pourquoi cet enseignement repose sur une équipe associant des représentants des différents champs de l’enseignement, et intégrant des profils et des compétences rares dans une école d’architecture : Loïc Touzé, artiste chorégraphe, et Kantuta Quiros, critique d’art et commissaire d’exposition.
MÉTHODE Le point de départ du travail de projet est le mémoire de master : qu’il soit déjà réalisé par l’étudiant en Master 2, ou en cours d’élaboration pour l’étudiant en Master 1 ; et quels que soient sa filiation disciplinaire d’origine et le séminaire de mémoire dans lequel il prend ou a pris place. Cette matière donne lieu à la formulation d’une question de projet, qu’il s’agit d’inscrire dans le territoire nantais ; ce qui oblige à l’énoncé d’une pensée problématisée et au décentrement des références du mémoire qui seraient elles-mêmes situées (mais ailleurs). Développée dans un état d’esprit d’élargissement du champ des possibles, impliquant la relecture des composants classiques du processus de conception du projet, cette approche prend appui sur un triple protocole d’interrogation, qui incite au déplacement du regard et au choix de son propre positionnement : - LA FRONTIÈRE COMME MÉTHODE : Décentrer le regard, donc le questionnement. Être borderline de sa discipline pour travailler avec les autres, ou envisager la frontière comme un espace physique et imaginé, comme un lieu de passage, de traduction, d’entre-deux, et comme une occasion singulière de production de savoirs et de formes. - PENSER L’IMPENSÉ : S’intéresser aux situations qui apparaissent négligées ou en creux de la fabrication de la ville - angles morts de l’architecture et de l’urbanisme, hors champ des habitudes de production du projet, de ses règlementations, de son cadre marketing... - DÉSOBÉIR À LA LIMITE : Remettre en cause les cadres juridiques pour revenir à l’esprit de la loi, inventer des ruses et des détournements, jouer l’ambiguïté, hybrider le générique et le théorique. Tout au long du studio, l’étudiant.e se voit proposer une succession d’étapes comme autant de tests ou retours sur la démarche en cours. Il/elle fait ainsi l’expérience d’une série de mise à l’épreuve : d’un travail déjà réalisé par l’étudiant.e / de la dimension
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projective d’une question issue du travail de mémoire / et enfin d’un positionnement de l’étudiant.e dans le travail de projet.
ORGANISATION DU STUDIO DE PROJET Le studio intègre plusieurs temps forts. PHASE 1 : À partir du travail de mémoire en cours ou réalisé, déploiement de manière individuelle d’une question (une problématique et une programmation comme objet d’étude de cette problématique). Cette phase comprend en particulier une immersion dans le festival Dansfabrik, à Brest. PHASE 2 : À partir de la double approche d’un état de l’art précis et documenté et de premières intuitions formelles, le programme/question est mis à l’épreuve du protocole d’interrogation du studio de projet : La frontière comme méthode / Penser l’impensé / Désobéir à la limite. PHASE 3 : Reformulation critique de la problématique dans la projection d’un dispositif / d’une forme architecturale qui puisse condenser dans le détail les diverses occurrences de la question posée. L’articulation des positionnements théoriques, critiques et formels issus de la problématique déployée constitue le travail de PFE pour les étudiants de S10.
ATTENDUS A la fin du studio de projet l’étudiant.e aura su mobiliser son travail de mémoire vers une problématique de projet. Il/elle aura su identifier et proposer un territoire d’étude en cohérence avec sa problématique de projet. Il/elle aura su articuler de manière critique les acquis du mémoire, la définition de son territoire d’étude et les questions architecturales et urbaines contemporaines.
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INTRODUCTION
déclencheurs de la réflexion Ce travail de fin d’étude constitue le point final de mon parcours d’étudiant, la synthèse des expériences, des projets, des stages, des découvertes et des rencontres de ces six dernières années. Cependant, il me tenait à cœur d’en faire également un point de départ de ma position professionnelle, un axe d’entrée sur des sujets qui me passionnent, qui résonnent avec mon histoire et mes valeurs. Le studio Borderline m’a offert l’occasion de mettre à l’épreuve mes connaissances et mes centres d’intérêt dans un exercice de recherche et projcetion de stratégies d’action.
DÉCLENCHEURS HYDROLOGIE Tout au long de mon parcours, de nombreux éléments sont venus étoffer mon intérêt pour le sujet de l’eau et de sa relation à l’architecture et à la ville. Dès les semestres de Licence, un exercice de conception d’une base nautique1, au Pellerin, m’a permis de développer une première approche. Comme un premier contact au paysage, ce projet [Figure 1] a entraîné des recherches d’ambiances, des jeux de relations visuelles entre les corps, de l’homme, du cours d’eau et du sol.
1. Espaces Publics et Habiter, semestre 6, avec Gilberto Pellegrino et Gilles Chabenes
Figure 1. Impression de la base nautique du Quai Rouge depuis la rive Sud du canal de la Martinière, au Pellerin.
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2. (Solid Thinking, semestre 8, avec Michel Bertreux et Francis Miguet)
Deux semestres plus tard, un exercice de création de smart-cities utopistes dans l’Inde de Narendra Modi2 m’a permis de découvrir le potentiel de l’eau comme créateur d’urbanité, comme source de projet et générateur d’espaces du public [Figure 2, Figure 3]. Ce concept technico-utopiste, m’a offert une approche de la bioclimatique des espaces urbains irrigués [Figure 4] et du pouvoir symbolique, culturel et religieux, de l’eau pour les hommes.
Figure 2. Axonométrie du système de filtration des eaux de l’Amanishah Nala, du contaminé au potable. Figure 3. Climat des espaces publics couverts, inspirés des systèmes d’irrigation des logements indiens.
Figure 4. Coupe de principe montrant l’impact bioclimatique des circulations d’eau dans les cours couvertes.
3. (ou Phycité). Option encadrée par Jean-François Hetet. 4. (ou HATUR). Cours encadrés par Isabelle Calmet, Béatrice Béchet et Katia Chancibault
5. (ou PEI). Projet de 6 mois en partenariat avec l’entreprise d’ingénierie Artelia, service hydraulique et environnement
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Dans le cadre d’un double-cursus avec l’École Centrale de Nantes, j’ai suivi une formation d’ingénieur généraliste en parallèle de mes études en architecture. Cette formation, très enrichissante, m’a offert un tout nouveau point de vue sur les choses et de nombreuses connaissances techniques, notamment sur le domaine de l’eau. M’étant orienté vers les Sciences de l’Ingénieur pour l’Habitat et l’Environnement Urbain3, j’ai eu notamment accès à des cours d’Hydrologie et ATmosphère Urbaines4. Ces cours m’ont permis de découvrir les mécaniques de fonctionnement du cycle de l’eau d’une manière plus précise, notamment par l’étude du système de bassin versant ou encore par l’étude des systèmes d’assainissement urbain. Lors d’un Projet d’Etude Industrielle5, en groupe avec cinq autres étudiants, il nous a été demandé de produire un état de l’art des réalisations urbaines en zones inondables, en limitant la zone d’étude à l’Europe. Ce projet a abouti sur des fiches thématiques et des fiches de descriptions détaillées de plus de vingt projets européens regroupés sous cinq grandes thématiques : Prévention, Barrières, Hydro-squares, Trames vertes et bleues, Bâtiments imperméables et Résilience des réseaux [Figure 5]. Cette étude était réalisée en tant que recherche de références dans le cadre du démarrage du projet de la ZAC
Pirmil les Îles, à Rezé. Elle nous a permis à tous d’appréhender les échelles d’action et de découvrir de nombreux projets urbains à travers toute l’Europe.
Figure 5. Schéma de présentation des thèmes de l’état de l’art des réalisations urbaines en zone inondable
HISTOIRE DE LA VILLE En tant que Nantais de naissance et féru d’histoires, je me suis souvent intéressé aux questions d’évolution de la représentation des villes. Cette réflexion a trouvé un moment de cristallisation lors de mon travail de mémoire de master, réalisé dans le séminaire Architecure en Représentation6.
6. Encadré par Laurent Lescop, et soutenu par Bruno Suner
La question de la représentation de la ville et de son architecture constitue un sujet de réflexion récurrent, notamment dans sa dimension cinématographique. En effet, le Septième Art s’est toujours imposé comme l’un des outils les plus efficaces en ce qui concerne la communication de l’image d’une ville à grande échelle. Ce travail de mémoire abordait la question sous un axe singulier. La réflexion a trouvé ses bases dans l’étude d’un corpus cinématographique précis : les ouvrages grand public mettant en scène des destructions de ville (films catastrophes, films de guerre ou d’action, etc.). C’est l’intérêt porté à un certain nombre de villes et la manière dont elles sont présentées à l’écran qui ont permis de repérer les différents processus développés et leurs impacts sur le spectateur. La destruction, comme sujet complémentaire, apporta elle aussi son lot d’éléments de compréhension des modes de construction de la ville à l’écran. Ces ouvrages révèlaient la ville telle qu’elle voulait apparaître en reliant son
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Histoire à celle de son image, en connectant l’urbanisme contemporain à son aspect virtuel altéré, en confrontant la cité à sa propre Ruine. À partir d’un corpus de quatre-vingts longs-métrages, j’ai pu réaliser une étude de l’évolution de l’image des villes de Paris, Londres, New York City, Los Angeles et Tokyo Cette étude m’a permis des développements sur le rôle et le pouvoir du marketing urbain dans l’économie et l’histoire des mégalopoles. En conclusion, il m’a aussi été possible de développer un scénario fictif pour un film de destruction adapté à la ville de Nantes. [Figure 6]
NANTES
9. treNteMoult 10. eau
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1. Château des duCs 2. Cours des 50 otaGes 3. PassaGe PoMMeraye 4. Cathédrale de NaNtes 5. les MaChiNes de l’île 6. Quai des aNtilles 7. eGlise saiNt NiColas 8. théâtre GrasliN 9. lieu uNiQue 10. Musée Jules verNe 11. PlaCe royale 12. PlaCe MaréChal FoCh 13. Gare de NaNtes 14. PlaCe du CoMMerCe 15. tour bretaGNe
Scène d’ouverture
Deux adolescents, Hugo et Zoé, traversent la ville de Nantes à bicloo et se rejoignent au 29 rue des Réformes à Chantenay, où résident Hugo et sa famille.
2
par
miSe en plAce de l’intrigue
La «maison de C raymond du Cresthantenay» de ViLLeneuVe neVeu de JuLes Verne
Alors qu’ils comptaient profiter du fait que la maison soit vide, les deux adolescents se retrouvent nez à nez avec un vieil homme, barbu. Une fois la panique estompée, celui-ci affirme s’appeler Jules Verne, revendique la propriété de la demeure et s’indigne de son état actuel de conservation. Croyant avoir affaire à un fou, Hugo et Zoé observent la colère du vieil homme se renforcer, sans savoir comment réagir. C’est au moment où il regarde par la fenêtre Sud que la rage de Jules Verne explose, où se trouvait l’immense jardin familial de ses souvenirs, se trouve aujourd’hui Du côté du jardin où donnait la principale, le un immense bâtiment gris, des plus laids qui lui aient façade d’une glycine double perron était garni été donnés à voir. dont les grappes et le feuillage s’enroula violettes Indigné, il chasse de la main cette vision qu’il ne peut autour ient gracieuse comprendre. À l’instant même où sa main balaie bignoniades balustres de l’escalier. ment s et des glycines Des l’horizon, les adolescents assistent alors à une scène façade (…) bordaient la Les incroyable, le lycée, ce bâtiment qu’ils ont toujours suite en terrasse.deux jardins se faisaient Le premier, planté jardin vu à l’arrière de leur maison est violemment projeté français d’autrefo is, ne tarda pasen dans l’espace, réduit à un amas de débris enflammés, être transformé par Pierre Verne en jardinà anglais (…) Une laissant place à une étendue d’herbe et de buissons la seule allée de tilleuls taillée fut partie taillés ... mur en terrassequ’on en garda le long du qui • Vues d’intérieur pour la rencontre • Vues depuis la fenêtre pour la destruction • Points de vue multiples aériens et humains • Couleurs plus sombres
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Hugo & zoÉ
Les adolescents appellent les secours et accourent dans les débris du lycée pour aider les rescapés. Alors qu’ils s’occupent des blessés, ils apprennent que les monstres des machines de l’île ont pris vie. Témoins de l’impuissance et de l’incompréhension de la population et des forces de l’ordre, les adolescents comprennent qu’ils sont les seuls à pouvoir voir celui qui semble être le fantôme de Jules Verne. Ils décident d’aller se renseigner dans le musée à proximité. • Communication indirecte de la destruction (infos, écran de télévision) • Points de vue humains
La six
ièm
Les monstres marins du Carrousel s’échappent et terrorisent la population.
• Images de la ville d’antan, grâce à d’anciens supports de représentation • Points de vue humains
n où donnait la façade uble perron était garni nt les grappes violettes oulaient gracieuse tres de l’escalier. ment glycines bordaien Des t la eux jardins se faisaient Le premier, planté en trefois, ne tarda Pierre Verne en pas à jardin ée de tilleuls taillée n en garda le long fut du dominait le deuxièm omenoir bien exposée Loire et ses prairies, rmille et une tonnelle chemin.
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Les adolescents appellent les secours et accourent dans les débris du lycée pour aider les rescapés. Alors qu’ils s’occupent des blessés, ils apprennent que les monstres des machines de l’île ont pris vie. Témoins de l’impuissance et de l’incompréhension de la population et des forces de l’ordre, les adolescents comprennent qu’ils sont les seuls à pouvoir voir celui qui semble être le fantôme de Jules Verne. Ils décident d’aller se renseigner dans le musée à proximité. • Communication indirecte de la destruction (infos, écran de télévision) • Points de vue humains
Après avoir contemplé les créations de Delarozière, Jules Verne reprend sa route vers l’immeuble rue Rousseau dans lequel il a vécu. Sur la route, il modifie à son gré les éléments qui ne lui plaisent pas. Au moment où il arrive dans le quartier de l’île Feydeau, quelle n’est pas sa surprise que de voir qu’elle n’est plus une île ! Il décide d’y remédier et rend son lit originel à la Loire, retrouvant l’aspect de la ville portuaire qu’il chérissait tant. Les forces de police sont déployées et les hypothèses fusent quant à l’origine de ces catastrophes, en vain.
Devenu conscient de son pouvoir, et toujours aussi en colère, Jules Verne décide d’aller voir l’état de la maison de ses parents. Sur le chemin, il ravage les rues de Chantonnay sans aucune pitié. Quand il aperçoit les machines de l’île, il décide de s’y rendre. Fasciné par les créatures animées, ils leur donnent vie et elles s’échappent dans le quartier.
• Destructions non identifiables sur le trajet, chute de débris, fumée • Vue du ciel et vue du sol pour l’inondation du quartier Feydeau • Marque une nouvelle étape de l’intrigue
• Destructions non identifiables sur le trajet, chute de débris, fumée • Plans de face et aériens de la libération des machines de l’île • Marque une étape de l’intrigue
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Apogée du dAnger
Le fantôme de l’auteur ne parvient pas à se calmer, tout dans cette ville lui donne l’envie de la réduire en poussière. Quand il aperçoit la Tour Bretagne, c’est la catastrophe. Inspiré par ce qu’il a vu dans la Halle des Machines, il fait croître l’Arbre aux Hérons, en plein coeur de l’édifice. Les branches de métal et de bois détruisent la tour, qui s’écroule tout autour. Alors que la situation semble irratrapable et que la population se résigne à voir venir sa fin, les deux adolescents retrouvent le fantôme. Calmement et après un long discours de persuasion, ils le convainquent de les suivre au Château des Ducs de Bretagne. • Vues multiples de la Tour, d’abord depuis le point de vue éloigné du fantôme, puis en contre plongée depuis le bas du bâtiment • La destruction est spectaculaire,détaillée • Musique assourdissante
dénouement
Les monstres marins du Carrousel s’échappent et terrorisent la population.
Les deux héros découvrent les motivations de Jules Verne, son goût pour les navires dans le Port de Nantes et son amertume face au développement récent de la ville. Le port et les bateaux semblent lui manquer. Ils découvrent également qu’il a vécu près de l’île Feydeau avec sa famille et qu’à l’époque la Loire passait toujours devant le Château. Ils décident de s’y rendre pour aller lui parler. Hélas, ils arriveront trop tard ... • Images de la ville d’antan, grâce à d’anciens supports de représentation • Points de vue humains
Vern
e
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Une fois arrivés dans la cour du château, les trois personnages pénètrent dans le Musée d’Histoire de Nantes. Après la visite, Jules Verne, calmé, découvre que Nantes n’a pas renié son passé et qu’elle continue de le communiquer et de le mettre en valeur. Définitivement plus à l’aise dans cette partie de la ville, le fantôme décide d’y rester. A l’exception de nos deux tourtereaux, personne n’aura vraiment compris ce qui a frappé Nantes ce jour-là. Les plus attentifs, cependant, pourront encore entendre une voix leur murmurer cette histoire, sous la nef retournée que constitue la charpente du musée. • Points de vue humains, multiples, du château et du musée • Le château mis en valeur, comme défenseur de l’Histoire nantaise • Vues du ciel de la ville de Nantes, en partie ruinée, sous un grand soleil, avec une musique calme mais joyeuse
modèle de deStruction utiliSé : bulldozer
Figure 6. Storyboard d’un scénario de destruction de Nantes à l’écran cf Annexes [page 98] pour une version agrandie
e ville Un qu de Fr Entre artier ne ance Des bon no uf et pré sot En aff s bâtissmbre de sentab aires ant sur hideu le x peu De sci scrup le sable, ; ence A uleux Quelqson endroun peup ; le ue it D’unes millierstoujours incapab bêtise de cer crasse le, De riz, indécr veaux ux ; Sacha sucre ottab creux le ; Qui nt bienun peup le jou com le ma r la nu pter son rchan d, Le sex it le tourmargent, e en géné ente Un cle ral for ; rgé nu t laid, l, un Pas de sot pré fontai fet, Nantenes : c’e st là s!
Jules
Un jardin à l’anglaise et une allée de tilleuls remplacent le lycée qui est réduit à un amas de débris en feu.
JuleS verne
• Destructions non identifiables sur le trajet, • Vue du ciel et vue du sol pour l’inondation • Marque une nouvelle étape de l’intrigue
• Destructions non identifiables sur le trajet, chute de débris, fumée • Plans de face et aériens de la libération des machines de l’île • Marque une étape de l’intrigue
Les deux héros découvrent les motivations de Jules Verne, son goût pour les navires dans le Port de Nantes et son amertume face au développement récent de la ville. Le port et les bateaux semblent lui manquer. Ils découvrent également qu’il a vécu près de l’île Feydeau avec sa famille et qu’à l’époque la Loire passait toujours devant le Château. Ils décident de s’y rendre pour aller lui parler. Hélas, ils arriveront trop tard ...
Hugo & zoÉ
Après avoir contemplé les créations de Delaroziè vers l’immeuble rue Rousseau dans lequel il a vé gré les éléments qui ne lui plaisent pas. Au mom de l’île Feydeau, quelle n’est pas sa surprise que île ! Il décide d’y remédier et rend son lit origine de la ville portuaire qu’il chérissait tant. Les forc les hypothèses fusent quant à l’origine de ces ca
JuleS verne
Devenu conscient de son pouvoir, et toujours aussi en colère, Jules Verne décide d’aller voir l’état de la maison de ses parents. Sur le chemin, il ravage les rues de Chantonnay sans aucune pitié. Quand il aperçoit les machines de l’île, il décide de s’y rendre. Fasciné par les créatures animées, ils leur donnent vie et elles s’échappent dans le quartier.
jardin ; c’était un dominait le deuxième promenoir bien d’où on voyait exposé terminé par une la Loire et ses prairies, qui donnaient surcharmille et une tonnelle le chemin.
• Mention écrite indirecte (ex : panneau Voyage à Nantes) • Musique dynamique • Aucun dialogue • Grand soleil • Mise en avant de certains bâtiments identifiables • Clous de Tchekov
aison de Chantenay » nd du Crest de ViLLeneuVe eu de JuLes V erne
de débris en feu.
TOP 10 des siTes nanTais TOP 15 des siTes nanTais « à ne Pas raTer » les Plus PhOTOgraPhiés (sightsmap.com)
(nantes-tourisme.com) qui s’étend l’Ouest de la France Commune de la Loire, à 50 km de l’océan ent de la sur les rives de 1. Cathédrale de NaNtes du départem la région des Atlantique. Chef-lieu et préfecture de 2. Château des duCs Loire-Atlantique elle est l’élément central de Pays de la Loire, peuplée de près de 600 000 3. les MaChiNes de l’île le Nantes Métropo de la huitième aire urbaine 4. JardiN des PlaNtes sein s en habitants, au t 873 133 habitantSaint5. estuaire de France, comptan ération de l’agglom à sur l’estuaire 2010. Associée NaNtes - saiNt Nazaire un avant-port hui la Nazaire, avec constitue aujourd’ e Nantes 6. Quartier GrasliN Labellisé de la Loire, Grand Ouest français.en 2012, la métropole du 7. MéMorial de , Nantes est, de France ville d’art et d’histoire ne la plus peuplée l’abolitioN de l’esClavaGe sixième commu habitants, et la première de 604 291 ses 8. île de NaNtes avec d’habitants. l’Ouest en nombre
FIN
Modèle le plus adapté à une ville «peu connue» et qui cherche donc à faire découvrir une large palette de quartiers et de bâtiments. Balade en bicloo Présentation de la ville Clous de Tchekhov (Pré-cibler les bâtiments)
La six
ièm
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Jules
Vern
e
Libération des Machines Inondation de Feydeau Etapes clé de l’intrigue Identifiable
Destruction du lycée Naissance du risque Non identifiable
La Loire reprend sa place dans le quartier Feydeau, engloutissant tout sur son passage.
Découverte du Château des Ducs Dénouement Environnement identifiable (Bâtiment bouclier) Observation des ruines
Destruction de la Tour Bretagne Apogée du danger Besoin de réaction immédiate Identifiable
L’Arbre au Hérons croît au coeur de la Tour Bretagne, sans pour autant l’effondrer.
TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 7. Encadrés par Bettina Horsch et en partenariat avec l’Ecole Supérieure du Bois de Nantes
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Assez rapidement en étude d’architecture, et notamment en cours de Construction Bois7, des questionnements font surface quant à l’impact du domaine de la construction sur l’environnement. La lecture des scénarios Négawatt, la découverte des principes du développement durable, de la construction passive, de l’économie circulaire et des circuits courts et bien d’autres éléments ont fait croître mon intérêt pour les questions environnementales. Plus tard, à l’Ecole Centrale, toujours au sein de l’option disciplinaire Phycité3, de nombreux cours interrogeaient ces questions d’atmosphères urbaines et architecturales. Les cours d’énergétique, à travers divers projets, m’ont permis de rencontrer divers acteurs proposant des solutions nouvelles pour la génération ou cogénération d’énergies responsables.
La Loire reprend sa place dans le quartier Fey
En parallèle, j’ai intégré l’option professionnelle Ville et Industrie Durable8, qui faisait intervenir de nombreux professionnels de ces domaines : urbanistes, architectes, ingénieurs, chercheurs, élus, responsables d’associations, etc... Cette option m’a aussi fait découvrir les impacts individuels et collectifs sur l’environnement, en termes de consommation, de transport, d’industrie, mais aussi les solutions actuelles et les systèmes de contrôle de la qualité des modes de productions des biens et des espaces (notamment les écolabels).
8. Encadrée par Jean-Marc Benguigui, auteur de l’avant-propos
L’existence du risque climatique dans nos régions, notamment en termes d’inondations, m’a amené aujourd’hui à mettre à profit tous ces déclencheurs afin de m’intéresser à cette problématique actuelle de la résilience hydraulique des villes. Les épisodes comme la tempête Xynthia à la Tranche-sur-Mer, ou les inondations ponctuelles à Nantes ou à Paris en 2017, motivent particulièrement ce projet de fin d’études. Ce risque hydraulique peut-il devenir le porteur d’un changement de paradigme dans la conception de l’urbain de demain ?
La résilience hydraulique du territoire peut-elle devenir un tremplin de l’adaptabilité des villes ?
Figure 7. Cartes postales réalisées au démarrage du studio Borderline : du mémoire de master au projet de fin d’étude cf Annexes [page 104] pour une version agrandie
Note : afin de mieux se repérer, de retrouver les rues et lieux nantais cités dans ce mémoire, deux cartes de Nantes ont été ajoutées en annexe, sur les quatre dernières pages de l’ouvrage. Source : nantes tourisme.
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Figure 8. (Double page précédente) Vue de Nantes depuis un ballon en 1920. Source : «Nantes, histoire d’eau» par Stéphane Pajot
I. HYDROBIOGRAPHIE NANTAISE évolution d’une relation tumultueuse
L’histoire de la relation de Nantes à l’eau est un redondant ballet de je t’aime / moi non plus. Si on s’intéresse aux représentations iconographiques de Nantes et à l’évolution de ses emblèmes, on peut voir que la Cité des Ducs assume des positions qui varient rapidement quant à son rapport à l’élément eau. De l’Antiquité à nos jours, aperçu d’une relation tumultueuse.
1. L’EAU AIMÉE Fondée en -56 av. JC par le peuple des Namnètes, la ville de Nantes s’est installée sur la Loire. L’eau du fleuve lui apporta la protection nécessaire, car le chapelet d’îles sur lequel Portus Namnetus s’est installé la rendit difficile à attaquer et à assiéger [Figure 10]. Il n’existe pas de représentation de l’état à l’époque antique, mais en observant la topographie et la composition du sol, on peut toujours distinguer les lits alluvionnaires des différents cours d’eau autour de Nantes [Figure 9]: la Loire (EstOuest), l’Erdre (N-S), le Cens (O-E), la Sèvre (SE-NO) et la Chézine (NO-SE).
Figure 9. Représentation topographique des sols de la région nantaise, tracé des îles à l’époque antique. Source IGN Figure 10. Proposition de fortification beaucoup plus récente (1716) mais illustrant la position hydrostratégique de Nantes
9. Source : «Nantes : une histoire au fil de l’eau» de Thierry Guidet et Jean Renard
Ce sont aussi les cours d’eau qui ont permis à Nantes de développer sa puissance commerciale. Connectée à la Bretagne par l’Erdre, et surtout à l’arrière-pays par les cours de la Loire, la ville de Nantes, à proximité de l’Océan Atlantique, devient un port majeur. De nombreuses traces9 d’un conflit de compétitivité entre Nantes et SaintNazaire témoignent de l’importance économique de cette situation dans l’estuaire. Jusqu’au XXe siècle, une grande partie de l’économie repose alors sur le cours d’eau : certains bras de Loire (les bras de la Bourse et de l’Hôpital) et le cours de l’Erdre irriguent le nouveau centre de cette ville en expansion. [Figure 11, Figure 12]
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Bon nombre de pêcheurs vivent à Nantes, où le marché aux poissons est l’un des plus réputés. Les lavandières frottent le linge dans les bateaux-lavoirs puis l’étendent sur les quais. Les roquios, comme des taxis aquatiques, transportent les Nantais sur les cours d’eau. Les premiers bassins flottants de natation font leur apparition près de l’hôpital... Le fleuve fait partie intégrante de la vie quotidienne des Nantais et la cité porte fièrement le surnom de Venise de l’Ouest.
Figure 11. Représentation de Nantes dans l’Atlas National, en 1875. On y voit les îles Gloriette et Feydeau et les cours d’eau du centre-ville.
Figure 12. Représentation de Nantes par Hugo d’Alesi en 1888. Source : musée Dobrée.
C’est d’ailleurs aussi par son biais que Nantes entrera dans la liste de ports majeurs du commerce triangulaire. Si celle qu’on appelle encore parfois la Reine des Magnolias a développé une économie et une végétation si florissantes, c’est notamment grâce aux échanges de produits coloniaux et par la traite négrière [Figure 13]. Les Hangars à Bananes, la Capitainerie, les usines Beghin Say et même l’usine LU sont autant de traces de cette période de l’histoire. Un passé douloureux qui contribua à l’enrichissement de la
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ville mais vis-à-vis duquel elle ne peut aujourd’hui qu’assumer son devoir de mémoire.
Figure 13. Affiche de Nantes grand port industriel et colonial peinte par Bernard Lachèvre en 1932. On y voit le Pont Transbordeur, symbole de l’époque industrielle nantaise, porte d’entrée gigantesque
Même quand les eaux de la Loire ne permettent plus la baignade (cf. I.2.), Nantes apprend à développer une image de ville balnéaire pour attirer les voyageurs [Figure 14], en prônant une image de porte de l’Atlantique, à proximité des plages de la Baule. On peut également citer certains évènements, comme les expositions universelles, avec notamment l’installation Water Toboggan [Figure 15].
Figure 14. Affiche «Nantes, plaisirs du corps et de l’esprit», de Jean Picart Le Doux et Bernard Roy, 1955. Source : Nantes une histoire au fil de l’eau de Thierry Guidet et Jean Renards Figure 15. Carte postale de l’exposition universelle de 1924.
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2. L’EAU REDOUTÉE Cette relation des Nantais au fleuve a cependant pris un tournant dans le contexte de l’industrialisation et de cette course à la popularité avec Saint-Nazaire. D’une Loire subjective, actrice de la ville et de la vie quotidienne des Nantais, on découvre une Loire objective10, support de trafic, de commerce et de vitesse.
10. Source des termes : «Nantes» par Monique Sclaresky
En effet, l’installation des chantiers et des industries de tris sur les berges de la Loire (île Beaulieu, Chantenay) ont développé un nouveau type d’espaces, où l’usager du quotidien n’a pas sa place. Les nouveaux quartiers d’habitation ont été installés à distance du cours d’eau et la vie s’y est développée indépendamment. L’augmentation des flux de cargos a également modifié la qualité de l’eau, polluant le cours. Les habitudes de lestage11 des bateaux et le marnage de l’estuaire ont, de plus, entraîné un ensablement du lit. Les navires ne pouvant plus naviguer, des opérations de dragage du lit du Bras de la Madeleine ont été organisées : on creuse le fond du lit pour obtenir une profondeur navigable jusqu’à Nantes. Cette modification du lit n’aura cependant pas que des conséquences positives :
11. Remplissage de la cale avec du sable, pour pouvoir naviguer «à vide» jusqu’au lieu de chargement
- le reste des bras, non dragués, virent leur niveau d’eau baisser. Les bras du centre-ville notamment (de la Bourse, de l’Hôpital et de l’Erdre) devinrent des boires, comme des marais nauséabonds où l’eau n’était visible qu’en période humide. Ces boires, ou seils, provoquèrent de nombreuses plaintes des riverains et usagers des lieux. L’hygiène urbaine s’en trouva fortement diminuée (apparition de moustiques, stagnation d’eaux souillées). - le niveau d’eau à l’étiage (on pourrait dire «à marée basse») s’en trouva abaissé. Les fondations de bois des ponts et quais se retrouvèrent mises à jour pour la première fois depuis leur construction, quelques décennies auparavant. Fragilisés par cette mise à l’air, de nombreux ouvrages s’écroulèrent, comme le Pont Maudit, les Quais de la Fosse, le Pont de Pirmil,... [Figure 16] Des mesures ont été prises pour régulariser la situation, on décida de rebâtir les ouvrages effondrés et les éléments fragiles de manière à ce qu’ils résistent à ce nouvel état. On décida également de combler les bras du centre-ville [Figure 17, Figure 18]. Bien que cette stratégie ait réglé les problématiques d’hygiène et de confort olfactif, la relation à la Loire au cœur de Nantes s’en trouva complètement altérée.12 Les cours comblés reçurent majoritairement des infrastructures automobiles (Cours des Cinquante Otages ou Parking de la Petite Hollande par exemple). Dans ce contexte de course à la popularité et à l’attractivité commerciale avec Saint Nazaire, les stratégies politicourbaines assénèrent un dernier coup de mise à distance des Nantais aux bords de Loire : l’installation des lignes ferroviaires, puis de la ligne de tramway sur les quais de la Fosse et devant le Château des Ducs de Bretagne.13
12. Une fois les cours comblés, le cours d’eau perturbé entraina des accidents hydrauliques inattendus. Pour régler cela des opérations supplémentaires ont été menées, comme le rescindement de l’île Gloriette en 1928. 13. Ligne ferroviaire installée dès 1850 le long de la Loire, en plein centre-ville, nécessitant 23 dangereux passages à niveau, jusqu’à son enfouissement en 1955. Source : «Nantes, histoire d’eau» par Stéphane Pajot
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Figure 16. Effondrement du Pont Maudit en 1913. Source : archives municipales, photo de V.Girard
Figure 17. Comblement du bras de l’Hôpital en 1931. Source : Stéphane Pajot, Nantes Fascinante
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Figure 18. Cartographie des comblements.
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3. L’EAU RÊVÉE De l’époque de la Venise de l’Ouest subsistent beaucoup de marques dans la cité. Outre les tracés d’implantation des bâtiments et les infrastructures des espaces comblés, on peut également s’intéresser à la toponymie officielle ou aux dires locaux : les Quais de la Fosse ne sont plus des quais sur la totalité de leur longueur, les Quais de Turenne et Baco ne sont même plus du tout des quais, les quartiers de l’Île Gloriette et de l’Île Feydeau ne sont ... pas des îles, ou ces places aux noms témoins de leur fonction passée comme la Place de l’Ecluse, exemples parmi d’autres.
Figure 19. Illustration des dires nantais, mettant en scène des pêcheurs et des lavandières
Depuis les années 1970-80, s’est engagé un mouvement de désindustrialisation. Les chantiers et les hangars à bananes ont fermé et leurs structures ont été réutilisées dans le plan guide d’Alexandre Chemetoff, requalifiant le développement de l’Île Beaulieu, alors renommée Île de Nantes. Le développement de cette île rend à Nantes, phase par phase, une relation à la Loire qu’elle avait perdue.
14. Extrait de thèse sur la Loire en projet, Centre d’études sur les sociétés, les territoires et l’aménagement de Nantes, 2004
« Pour lutter contre les effets de la désindustrialisation sur le tissu urbain, la régénération urbaine s’est généralisée au sein des politiques françaises de la ville. [...] Aujourd’hui, le projet Île de Nantes est devenu l’élément phare de cette politique et apporte une nouvelle dimension au renouvellement, celle d’un retour vers la Loire. [...] Il vise ainsi, à travers un certain nombre d’aménagements et d’opérations architecturales, à recréer un lien fort entre la ville et le fleuve et à redonner à Nantes l’identité d’un port ligérien.» Aude Chasseriau, Au cœur du renouvellement urbain nantais 14
15. Krzysztof Wodiczko, artiste polonais et Julian Bonder, architecte américain
D’aucuns diront que si ce quartier connait une expansion et un développement si important, c’est parce qu’il reconnecte la ville à son élément de prédilection. Le succès de ce plan-guide et du développement de ce nouveau centre témoigne de l’émergence d’une catégorie de projets en progression [Figure 20]. On peut aussi citer la réalisation de wodiczko + bonder15, le Mémorial de l’Abolition de l’Esclavage, qui propose une
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descente sous les quais et une déambulation au sein de leur structure de béton, en lien direct avec le niveau de la Loire. Les projets en développement d’Agence TER, pour le développement d’une plage urbaine sur le canal Saint Félix16 font aussi montre de cet élan de retour aux berges. Depuis quelques années également, les berges de l’Erdre, plus sauvages, sont rendus accessibles aux promeneurs à certains endroits, des pontons y ont été aménagés. Période 1 – pré-industrielle : ville et fleuve s’apprivoisent, naissance de Nantes sur la Loire (Xe siècle) Période 2 – industrielle (a) : forte imbrication ville-fleuve, développement des industries, port et chantiers navals (XIXe siècle). Période 3 – industrielle (b) : imbrication toujours forte, la Loire est utilisée au maximum mais des contraintes apparaissent remettant en cause cette imbrication début des comblements (1910-1950) Période 4 – post industrielle (crise des activités, déclin de la relation ville-fleuve, Nantes se détourne de la Loire (19601990) Période 5 – actuelle : début d’un renouveau de la relation ville-fleuve grâce aux projets de renouvellement urbain visant à renouer avec la Loire (décennies 1990-2000)
Nantes métropole présente aujourd’hui la ville dans une nouvelle situation, forte, et à renforcer, celle de l’Etoile Verte17 [Figure 21]: comme une réouverture sur un constat oublié, Nantes est située de nouveau comme articulation des 5 cours d’eau de la Loire, l’Erdre, la Chézine, le Cens et la Sèvre Nantaise.
16. Phase de développement Petite-Hollande / Canal St Félix, ouverte à concours par Nantes Métropole en 2017
Figure 20. Réalisation : A. Chasseriau, 2004 Source : R. W. Butler, 1980 17. Terme utilisé dans l’exposition Complétement Nantes et dans les documents de communication sur le développement des quartiers Petite-Hollande / Canal Saint-Félix.
Figure 21. L’étoile verte, au croisement des corridors écologiques que forment les cours d’eau. Source : Phytolab
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18. Construit en 1903 et détruit en 1958, par Ferdinand Arnodin, pour traverser le bras de la Madeleine, à hauteur de l’actuel pont Anne de Bretagne, entre le quai de la Fosse et l’île de la Prairie au Duc.
Figure 22. Photographie de 1870. On y voit les bateaux-lavoirs, les roquios et le marché couvert sur la pointe de l’île Feydeau. Source : «Quand la ville se mirait dans l’eau : quais de Loire à Nantes» par Loïc Menanteau et Nicasio Perera San Martin
Figure 23. Photographie de 1900. On y voit les bateaux-lavoirs, les roquios et le marché couvert sur la pointe de l’île Feydeau. Source : Nantes fascinante, Stéphane Pajot
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Il existe également, dans le folklore nantais et les légendes urbaines, des rêves de Loire sous les pavés, de retour aux canaux et aux bateaux-lavoirs. L’une de mes préférées, en bon nantais, est celle qui dit que les pièces du Pont Transbordeur18 auraient été conservées et que la ville attendrait le centenaire de son démantèlement pour le réinstaller, offrant de nouveau un point de vue sur la cité et sur son tissu hydraulique.
Figure 24. Photographie de 1820. On y voit les cours de l’Erdre, où se trouve l’actuel Cours des 50 Otages. Source : «Quand la ville se mirait dans l’eau : quais de Loire à Nantes» par Loïc Menanteau et Nicasio Perera San Martin
Figure 25. Photographie de 1914. On y voit le Pont Transbordeur, à l’emplacement de l’actuel Pont Anne de Bretagne. Source : Nantes fascinante, Stéphane Pajot
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Figure 26. (Double page précédente) Photographie des habitations submergées par la tempête Xynthia en 2010, en Vendée. Source : REUTERS, Regis Duvignau
II. CHANGEMENT CLIMATIQUE la montée du risque
A plusieurs reprises, l’eau a aussi envahi physiquement la région nantaise. Certaines crues historiques de la Loire ont provoqué de nombreux dégâts et ont marqué les esprits (notamment les crues de Juin 1856 à +6.72m, Novembre 1910 à +7.06m, ou Janvier 1936 à +6.83m, toutes fortement documentées). Plus récemment les épisodes de la tempête Xynthia en 2010, ou les fortes précipitations de 2016 et 2017 ont entraîné de nouvelles catastrophes naturelles dommageables aux cours d’eau.
1. DESTIN CLIMATIQUE, URGENCE ET RÉACTIVITÉ(S) 19. Source : rapport du GIEC de 2014 (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat)
La hausse de température moyenne entre 1880 et 2012 est enregistrée à 0,85°C. Les scénarios à l’horizon 2100, prenant en compte l’évolution actuelle de la courbe, prévoient une hausse de 4,8°C dans les calculs les plus pessimistes19. [Figure 27]
Figure 27. Evolution de la courbe de température sur le dernier millénaire, et projections à l’horizon 2100. A partir des données du site de Jean-Marc Jancovici 20. Source : «Menace sur le vin: Le défi du changement climatique» par Valéry Laramée de Tannenberg et Yves Leers
Ces modifications climatiques ont déjà des conséquences observables. Pour exemple, je proposerais de citer la migration des zones de culture de la vigne20. Ces zones de culture diminuent fortement en Espagne et dans le Sud de la France, surtout à cause de la chaleur des étés, de la faible fréquence et de la forte intensité des précipitations. Au contraire, la culture se développe rapidement au Royaume-Uni, où le climat est plus propice au développement de la vigne. Si l’évolution géographique des zones de culture viticole ne semble pas forcément du caractère de l’urgence universelle, elle nous permet d’observer que ces changements climatiques impactent un élément majeur du fonctionnement de nos territoires et de nos sociétés : le cycle de l’eau.
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J’ai tenté de résumer le fonctionnement de ce cycle dans un diagramme de transferts hydrauliques dans le territoire [Figure 28]. En bleu, le cycle naturel, d’échanges entre l’atmosphère, les eaux des surfaces (océans, lacs, cours d’eau) et les eaux souterraines. En orange, le cycle anthropique, modifié pour les usages de notre confort de vie moderne (assainissement, irrigation, eau potable).
Figure 28. Schéma du cycle de l’eau, naturel en bleu, et anthropique en orange
P : Précipitations, chutes d’eau après condensation et agrégation dans les nuages EV : Évaporation, passage de l’état solide à l’état gazeux, par apport de chaleur ET : Évapotranspiration, cumul de l’évaporation et de la transpiration des plantes IT : Interception, stockage d’eau sur les surfaces hors-sol (canopées, bâtiments,...) R : Ruissellement, phénomène d’écoulement des eaux à la surface des sols IN : Infiltration, phénomène de pénétration des eaux dans les sols PE : Percolation, phénomène d’écoulement des eaux dans les milieux perméables IR : Irrigation, apport et circulation d’eau en surface DR : Drainage, extraction des eaux du sous-sol vers les cours d’eau D : Distribution, transport d’eau artificiel par canalisations F : Fuite, échappée d’eau depuis les canalisations vers les sols
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21. Source : site du réassureur Munich Re, données des NOAA (National Centers for Environmental Information)
Intrinsèquement lié à nos modes de vie et au fonctionnement des espaces naturels et urbains, ce cycle constitue un pilier de l’équilibre de notre environnement et de notre écosystème. Les changements climatiques ont tendance à venir le perturber : diminution de la quantité des précipitations (environ -20% en 2017 par rapport à la période 1961199021), augmentation de leur intensité, périodes de sécheresse plus longues et plus intenses et, comme une conséquence directe, une augmentation du nombre de catastrophes naturelles [Figure 29]
Figure 29. Nombres de catastrophes naturelles déclarées depuis 1985. Données : Munich Re NatCat
Malgré l’ensemble de mesures prises par l’homme pour le limiter, l’impact des catastrophes naturelles n’est pas à prendre à la légère : 22. Source : bases de données CatNat.net et NatCat Service.
Entre 2001 et 2015, une moyenne de 514 évènements, 78 119 décès et 129 milliards de dollars de dégâts sont recensés chaque année à cause de catastrophes naturelles22. Dans la première décennie du troisième millénaire, parmi les 20 évènements les plus meurtriers, 3 sont dus à des inondations (Inde en 2007, Haïti en 2004 et Pakistan / Inde en 2010)22. Ces modifications climatiques entraînent également une fonte des glaciers et donc, une augmentation du niveau des eaux océaniques. Le scénario le plus pessimiste du dernier rapport du GIEC (2017) rapporte un risque d’augmentation à l’horizon 2100 de +98cm. De nombreux organismes indépendants et même les instances intergouvernementales s’organisent pour calculer des modèles climatiques (simulations informatiques du climat actuel et de son évolution pour projections et hypothèses sur le développement futur). Aujourd’hui, plus de 15 modèles globaux ont été développés à l’échelle internationale, et prennent chaque année de plus en plus d’éléments en compte. Aujourd’hui les modèles les plus poussés intègrent l’influence des courants marins, les échanges chimiques entre l’atmosphère et les aérosols, les conséquences avec la déforestation, etc.. Ces scénarios offrent aussi en général des propositions de changements de comportements, de stratégies politiques, financières et économiques pour pouvoir redresser la barre. Certains pays, comme le Danemark, se sont fortement engagés dans la transition et montrent des résultats dès à présent encourageants.
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2. MÉTHODES ET LIMITES ACTUELLES La méthode traditionnelle de gestion de ces crises hydrauliques est celle du «lutter contre», de la protection par rapport à l’élément eau lui-même. On peut citer ici tous les ouvrages de gestion directe de la protection (digues, barrages, remblais), toutes les stratégies de recul devant le risque (acquisition publique de foncier de berges, annonces du risque) et tous les systèmes de réparation a posteriori (secours, indemnisations)23. Ces systèmes, mis en place dès l’Antiquité, et tels que décrits précédemment par Monique Dacharry en 1990 pour la France, ont la particularité de ne pas avoir réellement évolué depuis, et ce malgré la constatation d’une augmentation du risque. Du moins, si les techniques de réalisation ont progressé, ce n’est pas le cas de l’approche stratégique et du paradigme d’action.
23. Classification proposée par la géographe Monique Dacharry en 1990.
S’il y a aujourd’hui des preuves chiffrées de la non-adéquation de cette lutte contre à la situation climatique, on peut même lui observer des conséquences néfastes : - les seuils de résistance n’évoluent pas avec le climat, on crée alors un nouveau risque, celui de la rupture ou de la submersion des digues - l’artificialisation des cours d’eau a un impact écologique important, notamment sur le nettoyage naturel des cours d’eau, les vitesses d’érosion des lits et berges ou la conservation des écosystèmes - si elles visent à réduire l’aléa en lui-même, ces infrastructures de contrôle ne réduisent pas la vulnérabilité même des sites - le sentiment de protection que procure l’échelle de ces ouvrages peut entraîner une perte de réactivité et une méconnaissance du risque réel par les populations24
24. Source : Raymond J. Burby, «safe development paradox»
La stratégie d’action en France consiste majoritairement à la mise en place de Plans de Prévention des Risques d’Inondation. Utilisés depuis la moitié des années 90, ces PPRI consistent en une cartographie des risques, en déterminant des zones en fonction du niveau de risque et en l’établissement d’un règlement pour la construction et l’usage de ces zones. Si la stratégie semble intéressante, elle possède cependant des limites dans le sens où l’établissement de ces zones se fait à l’échelle locale, par le biais de recherches historiques et de simulations, par cours d’eau. On perçoit donc que ces études sont très chronophages, très coûteuses et possèdent un degré d’incertitude avéré, à cause du modèle de simulation. Ceci entraîne donc la division des zones d’études en Plans de Prévention à des échelles réduites et donc une perte de lisibilité de la stratégie d’ensemble (trois PPRI différents seulement pour la ville de Nantes, pour le fleuve Loire uniquement [Figure 30]). Les communes n’ayant pas les ressources financières pour établir ces plans ne possèdent donc en général que des plans incomplets ou imprécis, limitant fortement la couverture globale du territoire français. Une fois encore, on peut
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également critiquer la capacité d’évolution et d’adaptation de ce système. En effet, la prise en compte de nouvelles données sur le climat ou le comportement des cours d’eau devra entraîner une nouvelle simulation, une nouvelle cartographie, un nouveau règlement, etc..
Figure 30. Cartographie réalisée à partir de données historiques et des données des : PPRI_Loire_Nantes Amont PPRI_Loire_Nantes Centre PPRI_Loire_Nantes Aval PPRI_Loire_Rezé PPRI_Loire_Saint Herblain PPRI_Loire_Saint Sébastien s/L AZI_Sèvre Nantaise (Début PPRI) AZI_Erdre
Les PPRI ne concernent en général que les cours d’eau principaux, comme la Loire pour Nantes. Certains des affluents, à Nantes, ont fait l’objet d’AZI (Atlas des Zones Inondables) comme l’Erdre ou la Sèvre. Ces plans sont plus succincts et délimitent les zones inondables notamment à partir de la ligne des Plus Hautes Eaux Connues (PHEC), donc à partir d’un recensement historique. Certains cours d’eau n’ont cependant pas encore été simulés, comme le Cens ou la Chézine. De plus, ces Plans de Préventions ne
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prévalent pas sur les autres documents d’urbanisme (comme le Plan Local d’Urbanisme ou le Plan d’Occupation des Sols), bien que les villes y apportent une grande importance dans la validation des permis de construire. Si on imagine donc s’intéresser à une zone urbaine, à proximité de deux cours d’eau, alors il faut être capable d’intégrer les règlements urbains tout en combinant les données de simulations hydrauliques des différents cours d’eau, traités de manière indépendante. Et tout cela dans un unique but sécuritaire, à un instant t, négligeant la potentielle évolution du risque et l’aménagement du territoire dans son ensemble. À Nantes en particulier, lors de l’établissement du dernier PPRI, le niveau d’eau de simulation avait initialement été aligné sur celui qui était contemporain à la crue meurtrière de 1910, à l’époque où la Loire était encore ensablée [Figure 31]. Puis, le niveau d’eau ayant baissé de manière significative depuis, on a décidé de le revoir à la baisse25, -1m, pour réajuster les calculs, diminuant fortement la quantité de zones classées à risque sur l’agglomération nantaise. Ce nouveau calcul cependant, ne prend en compte que superficiellement le phénomène de montée des eaux océaniques et surtout, ignore un phénomène local et actuel : le réensablement naturel du lit du fleuve. En effet, de par sa situation en estuaire, Nantes est soumise au marnage et aux dépôts de sables, depuis la mer, mais aussi d’une grande quantité de sables torrentiels venus de l’arrière-pays26. Reconnus comme désastre écologique, fragilisant l’équilibre hydrogéologique, le dragage et le désensablement du lit sont aujourd’hui interdits. Le niveau d’eau monte, mais les plans d’action n’évoluent pas.
25. À la suite d’une réunion d’information publique et des plaintes de propriétaires de terrains devenus nonconstructibles. Source : minutes de ces réunions publiques, disponibles en ligne 26. Presque deux fois plus que l’Estuaire de la Gironde par exemple. Source : «Nantes et sa conquête de l’eau : Une histoire... Des hommes... Un service...» par Claude Richomme
Figure 31. Carte postale retrouvée par Stéphane Pajot, montrant la Loire en crue, en 1910.
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3. FAIRE UN PAS DE CÔTÉ, LA PENSÉE MULTISCALAIRE Tous ces éléments m’amènent aujourd’hui à prendre une posture en opposition aux mesures de gestion des risques du passé (digues et barrières), à requestionner la manière d’approcher le problème, à motiver un changement de paradigme dans les modes de gestion du risque hydraulique sur le territoire : une posture du vivre avec, plutôt que du vivre contre. Une posture qui implique une considération du territoire dans une cohérence hydraulique, en termes d’échelles et de fonctionnement des milieux. De la goutte d’eau désaltérante au raz-de-marée meurtrier, de la source ténue à l’exutoire océanique, du minéral au vivant, l’eau est par définition multiscalaire et universelle. C’est d’ailleurs cette rencontre des échelles, qui constitue une partie de l’impact psychologique des grandes catastrophes hydrauliques : rencontre du corps humain, de la cellule individuelle, avec l’entité élémentale de l’eau, immense et libre. Il semble donc primordial de sortir la tête du sable, de ne pas se concentrer uniquement sur l’échelle purement locale (cf. II.2), mais de considérer les mécaniques du territoire et des relations homme - eau dans leur ensemble.
27. Catastrophe hydraulique majeure de l’histoire des PaysBas qui a entraîné la création de nombreuses nouvelles stratégies en Europe : Plan Delta (NL), Plan Sigma (BE), barrière de la Tamise (UK), barrière de la Hull (UK) 28. De la place pour les rivières en français. Stratégie mise en place par le gouvernement depuis 2006, à la suite du Plan Delta
29. Source : cours d’hydrologie HATUR à l’ECN
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On peut s’intéresser ici aux Pays-Bas, qui, sur ces questions de gestions du risque hydrauliques, ont eu à réagir bien avant la France. En effet, la survie de ce territoire, situé en moyenne sous le niveau de la mer, n’a pu être assurée que par des stratégies fortes et une volonté réelle de les faire évoluer. Aux Pays-Bas aussi, la méthode traditionnelle recourait à la lutte contre, à l’aide de barrières océaniques, de digues et de moulins pour pomper l’eau en dehors des terres. Cependant, après des accidents catastrophiques à cause de rupture de ces éléments (combinaison d’évènements océaniques et territoriaux en 1953 : 1800 morts27), le pays meurtri et les organisations territoriales ont opéré un changement d’approche. Le projet Ruimte voor de rivier28 par exemple, consiste à considérer le territoire national dans son ensemble et à agir tout au long des cours d’eau. On apporte des solutions à des problèmes locaux tout en considérant le bénéfice créé pour la situation globale. On offre ainsi au territoire une capacité de résilience hydraulique : c’est-à-dire une capacité à absorber une perturbation hydraulique, à se réorganiser, à continuer de fonctionner et à évoluer de manière à s’adapter aux potentielles perturbations futures. Puisqu’à travers l’eau se sont les échelle du corps au paysage qui entrent en résonnance, pour nous intéresser à l’échelle de l’humain, intéressons-nous donc à celle du territoire : le bassin versant. La définition topographique d’un bassin versant est la suivante : « espace drainé par un cours d’eau et ses affluents, l’ensemble des eaux qui tombent dans cet espace converge vers un même point de sortie appelé exutoire. Le bassin versant est limité par une ligne de partage des eaux et est divisé en un certain nombre de bassins élémentaires correspondant à la surface d’alimentation des affluents ayant pour exutoire le cours d’eau principal. »29
Les pages suivantes sont dédiées à la définition des échelles et outils d’action qui porteront la posture d’action de ce PFE.
Figure 32. Carte topographique de France mettant en lumière le bassin de la Loire
Le bassin versant qui nous intéresse ici est celui de la Loire, s’étendant sur presque un cinquième de la France. Depuis la source, près du Puy en Velay, jusqu’à l’embouchure, à Saint-Nazaire [Figure 32]. C’est le plus grand bassin versant entièrement situé sur le sol français 117 500 km2 pour environ 7 000 000 d’habitants30.
30. Données démographiques de 2012 pour le bassin administratif Loire-Bretagne, un peu plus vaste que le sous-bassin topographique de la Loire (car prenant en compte les écoulements côtiers en Vendée et Bretagne).
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Figure 33. Vision axonométrique du bassin versant de la Loire, de la source vers l’exutoire
Avec un total de plus de 40 000km de cours d’eau, il contient, en plus de la Loire, l’ensemble de ses affluents : dont l’Allier (410 km), le Cher (396 km), l’Indre (265 km) et la Vienne (363 km) notamment. Plusieurs métropoles françaises peuvent y être recensées : Nantes, Angers, Le Mans, Tours, Orléans, Nevers, Bourges, Poitiers, Clermont-Ferrand, Saint-Étienne, pour n’en citer que dix.[Figure 33]
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Figure 34. Coupes topographiques transversales empilées de la vallée principale du fleuve Loire (facteur 15 d’accentuation des altitudes)
Le bassin versant est un espace de relief, avec des sens et des règles d’écoulement, des ordres de ramification et des mécaniques climatiques complexes. Afin de comprendre ce territoire, d’appréhender sa topographie et de qualifier des types d’espaces, j’y ai réalisé une série de coupes topographiques [Figure 34].
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Figure 35. Présentation des 20 modèles d’actions de la palette d’outils hydrauliques
31. Source : «Water and Asphalt, the project of isotropy» par Paola Vigano, Lorenzo Fabian et Bernardo Secchi
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Dans une stratégie de ce que Paola Vigano et Bernardo Secchi appellent « Every drop counts »31, chaque goutte a son importance, l’idée est d’imaginer le territoire comme une éponge, dans laquelle chaque projet, chaque cavité, viendrait participer de la mécanique globale de résilience hydraulique. Donc, à partir de l’identification de ces types d’espaces, j’ai bâti une série de vingt modèles d’actions, inspirés de réalisations existantes ou de concepts nouveaux. Comme une palette d’outils, de stratégies d’action visant à améliorer la résilience de l’ensemble. [Figure 35]
Figure 36. Coupes topographiques de la vallée principale du fleuve Loire (facteur 15 d’accentuation des altitudes)
Puis armé de ces outils j’ai donc percé l’éponge, dans une soixantaine de sites potentiels sur le cours d’eau principal du bassin versant [Figure 36], afin de définir au mieux ces outils tout en découvrant, en appréhendant les paysages et les échelles du territoire. Ces projets d’action (sites et modèles mis en place) sont détaillés à la fin de ce mémoire, dans le Carnet des modèles [page 76].
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Figure 37. Territoire-échantillon : l’estuaire de la Loire
On peut s’intéresser particulièrement à l’extrême Ouest du bassin pour sa vulnérabilité duale, sa position de double aval : en aval des écoulements du bassin, car proche de l’exutoire, récepteur des conséquences pluviales de l’ensemble et en aval des épisodes maritimes, dans la traîne de l’estuaire, ou le marnage, les flux et reflux sont influencés par le rythme océanique. [Figure 37]
Figure 38. Territoire-échantillon : la ville de Nantes
La situation de la ville de Nantes, en lien entre ses vulnérabilités et son histoire hydraulique (cf. I.), en fait un lieu-échantillon privilégié de cette éponge. J’y ai identifié un secteur d’action, regroupant des caractéristiques intéressantes : historiques, hydrauliques, urbaines [Figure 38]. De la vallée de la Chézine perméable à l’Ouest à la place de la Petite Hollande à l’Est, un secteur d’action analysé ci-après.
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Figure 39. Caractéristiques du secteur d’action urbain et légende de la Figure 40 Figure 40. (Double-page suivante) Territoire-échantillon : de la Vallée de la Chézine à la Place de la Petite Hollande
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Figure 41. (Double page précédente) Bobbing Forest, Forêt flottante en expansion dans le port de Rotterdam. Source : photographie personnelle
III. ENGAGEMENTS ET VALEURS postures personnelles
Comme évoqué en introduction, le sujet de ce PFE m’implique personnellement, de par mon parcours et mes centres d’intérêt. En sus, il me paraissait primordial que la méthode et les postures adoptées au cours de la recherche et pour la formulation de propositions de projet reflètent également mon mode de vie et de pensée. Afin de développer au mieux ces postures et de les rendre communicables, j’ai décidé de les personnifier. Chacune des trois postures des sites d’interventions répond à la même posture globale d’approche de ce PFE, celle du technico-sensible :
Figure 42. Portrait de la posture adoptée pour ce PFE : le technicosensible
Le technico-sensible approche les choses d’une manière duale, dans le sens où sa posture se veut à la fois fondée sur une réelle fonction de régulation de la situation hydraulique sans pour autant oublier la dimension sensorielle de l’élément eau. Il préfère la lisibilité naturelle du risque par l’observation du niveau ou de l’aspect de l’eau, à des mesures de prévention généralisées et automatisées. Il met à profit ce risque hydraulique comme prétexte au développement de lieux urbains qualitatifs où l’eau se révèle.
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1. TRAVAILLER AVEC, L’IMPORTANCE DE LA PLURIDISCIPLINARITÉ → SITE N°1 : RETROUVER LA CHÉZINE
La Chézine est l’un des derniers affluents se jetant dans la Loire avant l’exutoire du bassin. Elle prend sa source à Saint Étienne de Montluc et fait son entrée dans Nantes tout en douceur, depuis Saint-Herblain et à travers le parc de Procé. [Figure 43] Saint Etienne de Montluc Sautron
Parc de Procé
Couëron
Saint Herblain
Nantes
Figure 43. Cours de la Chézine, de Saint Etienne de Montluc à Nantes.
Elle s’enfonce profondément dans le centre-ville puisque sa vallée, toujours assez sauvage, atteint presque Canclaux. Ici elle s’enfouit sous la rue de Gigant et ne reparaît que discrètement sous les quais de la Fosse pour se jeter dans la Loire. [Figure 44, Figure 45]
Figure 44. Disparition de la Chézine, dans un coeur d’îlot privé, au milieu de la végétation Figure 45. Ré-apparition de la Chézine, à son embouchure sous les quais, visible quand le marnage est très bas
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En m’intéressant au tracé des réseaux, j’ai découvert que l’ensemble du centre-ville historique de Nantes est assaini par des réseaux unitaires. Ces réseaux récoltent dans une même canalisation les eaux usées et les eaux de pluie pour les acheminer vers les centrales de traitement. Depuis 1949 cependant, les villes installent des réseaux séparatifs comportant deux canalisations : l’une qui achemine les eaux usées à la centrale de traitement, et l’autre qui guide les eaux de pluie vers les cours d’eau. Ces réseaux évitent l’engorgement des centrales en cas de forts épisodes de pluie, et préveinnent par conséquent les rejets d’excédents d’eau souillée dans les cours d’eau lors de ces épisodes. Dans le quartier qui nous intéresse, en centre-ville, une unique canalisation séparative est recensée, ne récoltant que les eaux pluviales. Ce réseau démarre sous la rue de Gigant et aboutit sous les quais de la Fosse : on a retrouvé la trace de la Chézine.
Figure 46. Plan-masse du site 1, vallée enfouie de la Chézine. En orange le seul réseau séparatif recensé dans le quartier
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Parmi les différentes postures du technico-sensible ; celle qui s’est développée en lien avec l’histoire et les qualités du site et qui prendra en charge ce projet est la posture du sourcier temporel.
Figure 47. Portrait de la posture adoptée pour Retrouver la Chézine, le sourcier temporel
Le sourcier temporel est un scientifique rêveur, féru d’histoire et de poésie. Ce qui l’interpelle ici, c’est que se reconnecter au cours de l’eau enfoui, c’est aussi se reconnecter à celui du temps. C’est rendre à l’homme une relation à la ruine. C’est multiplier les disciplines pour réguler l’hydraulique en travaillant l’espace, et pour réguler l’espace en travaillant l’hydraulique. S’il est tant attaché à ces marques du temps, le sourcier temporel est avant tout fervent défenseur de la pluridisciplinarité, du travailler ensemble. Les outils de la palette que cette posture pourra manipuler et combiner pour les mettre en place sur ce site seront les suivants :
Figure 48. Représentation des outils d’action sur le site 1.
Ces modèles sont adaptés pour ce type de site [cf. Carnet des modèles, page 76], qui pourra, tout au long du tracé de cette Chézine enfouie, venir développer des projets
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32. Source : «Patrick Geddes in India : pour une relecture contemporaine de Valencia», article rédigé par Adrian Torres Astabruaga et Nicolas Tixier dans Le sol des villes
ponctuels visant à modifier la dynamique hydraulique et à développer des espaces urbains à la fois fournisseurs de confort urbain, mais aussi annonciateurs de risque potentiel. Un peu comme Patrick Geddes le fait avec son principe de conservative surgery, ou microchirurgie urbaine, qui prend le contre-pied des postulats modernistes en proposant «des interventions délicates, minutieuses et pensées de manière à limiter les démolitions et les ouvertures trop excessivement hygiénistes ou fonctionnalistes.»32 Comme je l’ai déjà précisé auparavant, j’ai suivi un double-cursus, avec l’Ecole Centrale de Nantes. S’il y a bien quelque chose que cette double-casquette architecteingénieur m’a enseigné c’est que chaque discipline a beaucoup à apprendre de l’autre. Dans l’équilibre entre la technique et les ressentis, entre la fonction et l’usage, entre l’efficacité et la sobriété. L’architecte Luc Weizmann qui, depuis quelques années, produit de nombreux bâtiments à vocation technique (centrales de traitement, barrages, etc.) est revenu sur le sujet de cette pluridisciplinarité à de nombreuses reprises.
33. Interview réalisée par Delphine Désveaux en 2014. Source : Chroniques d’architecture (site web)
« Quand on évoque une usine qui traite des eaux sales, des déchets ou de l’énergie, ou une machine qui régule un fleuve, on parle de la gestion du réel visible de l’univers. L’enjeu de l’architecture est le rapport entre cette réalité perceptible – la loi de la pesanteur, les contraintes physiques, spatiales…- et une dimension subtile.» Luc Weizmann, la résistance positive à la dématérialisation des choses33 Comme l’ont très bien fait le Mémorial de l’abolition de l’esclavage ou l’aménagement des berges opposées, des ambiances très fortes peuvent être dégagées de ces quais et berges... auditives, visuelles, olfactives, climatiques, matérielles... autant de pistes pour le sourcier temporel. [Figure 49]
Figure 49. Photos prises lors d’une exploration le long de la Chézine, de Saint Herblain aux quais de la Fosse
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2. PRINCIPES DU CONTESTATAIRE OPTIMISTE → SITE N°2 : DÉNOUER CHANTIERS NAVALS
Ce deuxième site contient la place du Commandant Jean l’Herminier, l’arrêt de tramway Chantiers Navals, un axe routier de 7 voies de large et l’extrémité du Pont Anne de Bretagne. [Figure 50] Cette place n’est pas fréquentée, l’œuvre Labyrinthe qui s’y trouve a été dessinée par l’artiste Dan Graham, actuellement en procès avec la ville de Nantes pour non mise en valeur de son travail au vu de la désertion de l’espace. Place du Cdt Jean l’Herminier
L1, arrêt Chantiers Navals
Pont Anne de Bretagne
Figure 50. Vue aérienne du site numéro 2, autour de l’arrêt Chantiers Navals
Figure 51. Mise en évidence de la présence importante des infrastructures automobiles.
L’axe automobile est si large qu’il faut en général s’arrêter deux fois pour le traverser en temps que piéton [Figure 51]. La création d’une ligne de tramway supplémentaire sur l’île de Nantes est prévue pour 2020, ainsi que le doublement du pont Anne de Bretagne, densifiant le trafic de transport au niveau de Chantiers Navals.
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Figure 52. Plan-masse du site 2, alentours de l’arrêt de tramway Chantiers Navals
34. Source : «Anne de Bretagne : un nouveau pont pour remplacer l’actuel», article Ouest France de décembre 2017 et exposition Complètement Nantes organisée par Nantes Métropole
Pour quelques précisions supplémentaires sur le doublement du pont : le plan de Nantes Métropole prévoit la destruction du tablier, mais la conservation des piles du pont existant. L’objectif est la réduction du nombre de voies automobiles de quatre à trois et l’ajout d’une ligne de tramway. Les espaces piétons et cyclistes seront quant à eux retirés et placés sur un autre pont, jouxtant le premier, à l’Est.34 La ville de Nantes utilisera également ce projet de transport pour entraîner la requalification de la place du Commandant Jean l’Herminier. Le potentiel urbain de ce site est très élevé, car, orienté plein sud, il fait face à l’esplanade des Machines de l’Île et sera à proximité direct du nouvel arrêt Chantiers Navals, au croisement de la ligne 1 en direction du centre-ville et de la nouvelle ligne en direction de l’Île de Nantes.34
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Pour approcher ce site, la posture du technico-sensible se décline en celle de l’entremetteur.
Figure 53. Portrait de la posture adoptée pour Dénouer Chantiers Navals, l’entremetteur
L’entremetteur est un contestataire optimiste, il questionne l’opposition qui est faite aujourd’hui entre les différents usagers. Il s’interroge sur la nature des relations entre le piéton et l’automobiliste notamment, et propose de reconsidérer la méthode de mise à distance des espaces réservés aux uns et aux autres pour y préférer une mise en commun. Il propose de laisser à chacun une plus grande part de responsabilité dans ses déplacements, dans son utilisation de l’espace et de développer une part de conscience de l’autour et de l’autre : un partage des lieux qui a tendance à diminuer dans les espaces fortement urbanisés. S’il soutient la diminution de la circulation automobile en ville, il pense que pour la catalyser il faut donner à chaque usager une motivation pour y préférer des modes de déplacements alternatifs. Les outils de la palette que cette posture pourra manipuler et combiner pour les mettre en place sur ce site seront les suivants :
Figure 54. Représentation des outils d’action sur le site 2
Ces modèles, adaptés pour ce type de site [cf. Carnet des modèles, page 76],
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permettront de développer cette question de la responsabilisation individuelle et collective. Cette dernière est l’une de celles qui me touchent le plus, personnellement, et j’aimerais ici partager, quelques expériences professionnelles pour préciser mon propos. Afin de ne pas perdre espoir face à la situation environnementale actuelle, chacun peut prendre en main son mode de vie afin d’apprendre à maîtriser son propre impact. Une ouverture à cette urgence environnementale lors de mes études a motivé une modification de mes modes de consommation (régime végétarien, achat de produit locaux/écologiques, achats matériels de seconde main, déplacements en train, réduction des déchets...). L’objectif étant d’obtenir une certaine conscience de mon impact et de devenir acteur de son évolution. 35. Agence associée au laboratoire C2Clabxx, fondés par Frido van Nieuwamerongen # www.arconiko.nl/ # www.c2clabxx.com/ 36. Ou C2C, du berceau au berceau : prise en compte du cycle de vie des matériaux et des fonctions du projets, dans une démarche d’écoconception
Les choix de mes lieux de stages (en architecture, ou en ingénierie) m’ont permis de développer une posture qu’il me plairait également de mettre en lumière ici. En travaillant chez Arconiko Architecten35, à Rotterdam, je me suis retrouvé en pleine zone de confort : l’agence produit des projets de petite échelle, conçus de manière durable, selon le modèle du cradle-to-cradle36, en prenant soin de maîtriser le bilan carbone de l’ensemble. Ce stage, bien que très intéressant, m’a rapidement permis de m’apercevoir que hélas, je n’avais rien à apporter à ce type d’agence. Les éléments qui m’intéressent y étaient déjà maîtrisés. J’ai donc effectué des stages dans des entreprises qui allaient, pour moi, un peu à l’encontre de ces pratiques et considérations (Carrefour, Groupe Lamotte Immobilier et MVRDV). Dans ces entreprises, malgré une simple position de stagiaire/emploi étudiant, j’ai réussi à influencer certains changements, à modifier, à mon échelle, les modes de travail et de conception : → en organisant la réutilisation des cintres et la récupération des catalogues périmés par des associations de tri, chez Carrefour
37. Nouvelle collaboration du Groupe Lamotte avec l’agence nantaise Vendredi
→ en présentant des agences d’architecture plus responsables, et en provoquant des questionnements en terme de climat intérieur, chez Lamotte37 → en introduisant des concepts de récupération des eaux de pluie pour irrigation en circuit court et des méthodes alternatives à la climatisation électrique par protection des ouvertures et ventilation nocturne chez MVRDV Ce n’est pas en attaquant de front, en prônant le rejet et l’opposition de ces organisations ou gouvernements que les pensées évolueront. C’est en convertissant ces énormes corps inertes par la cellule, par l’individu, doué de sa sensibilité et de sa raison propre qu’on pourra influencer l’ensemble. Prôner la pensée binaire, du « tout blanc » pour contester le « tout noir », consiste à se placer dans une nouvelle situation de confort,
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déconsidérant tout le travail de ces individus particuliers, qui petit à petit grisent la nuance, et éclaircissent le tableau. Il est important qu’aujourd’hui chacun soit capable de mesurer son pouvoir sur le changement. Si certains accusent, à raison, les gouvernements et grandes sociétés d’une certaine culpabilisation des populations lorsqu’elles incitent les individus à modifier leurs modes de vie, il ne faut pas pour autant sous-estimer le pouvoir d’un basculement des modes de pensée. La définition de l’anthropocène38, comme « nouvelle période géologique, succédant à l’holocène, pendant laquelle l’impact de l’activité humaine devient prépondérant sur l’évolution de l’écosystème terrestre, devant tous les autres facteurs naturels prédominant jusque-là », témoigne du début d’une prise de conscience de l’impact de l’homme sur le climat et l’environnement. Dans son article Advancement versus Apocalypse39, Rem Koolhas identifie ce changement à la période des Lumières, vers 1750. Il met en avant le développement des techniques, des industries et des marchés financiers. Puis, lorsqu’il parle de la prise de conscience des hommes sur leur situation, il critique un nouveau comportement qui, bien que partant d’une intention juste, ralentit l’amélioration des choses : celle du greenwash et des discours bien pensants.
38. Néologisme créé en 1980 par l’écologiste Eugene f. Stroemer
« A question that doesn’t seem to be asked is : is this all so necessary? And, do we need more aquariums? [...] It [the Zeekracht project e.d.] also indicates the direction in which I think we need to move : we need to step out of this amalgamation of good intentions and branding and move in a political direction and a direction of engineering »40
40. «Une question qui ne semble pas avoir été posée serait : est-ce tout cela bien nécessaire ? Et, avons-nous besoin de plus d’aquariums ? [...] Cela [le projet Zeekracht ndlr] indique également la direction vers laquelle je pense qu’il nous faudra nous diriger : nous devons nous retirer de ce mélange de bonnes intentions et d’images de marque pour nous prendre une direction de politique et d’ingénierie.»
Rem Koolhas, Advancement versus Apocalypse Un commentaire qui fait écho à l’avant-propos de ce mémoire, rédigé par Jean-Marc Benguigui [page 4], ainsi qu’à de nombreux développements actuels dénonçant le manque d’actions réelles face à la multiplication des discours politiques et des promesses non tenues. (Affaire Juliana C. en Janvier 2018, Manifestations de Bonn en Novembre 2017, de New York en Juin 2017, etc.)
39. Recueilli dans l’ouvrage «Ecological Urbanism» edité par Mohsen Mostavafi et Gareth Doherty
À l’échelle individuelle, il faudrait donc infiltrer, un peu comme un virus de l’écologie, les organisations pour contaminer les modes de pensée, afin de donner conscience de la situation et d’engranger son amélioration. Ces mesures, émancipée du greenwash, si elles ne parvenaient pas à provoquer cet optimiste changement, permettraient tout au moins d’améliorer la connaissance globale de ces sujets et l’efficacité des modes de prévention, en cas de catastrophe ou d’accident climatique.
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3. LE TEMPS COMME ÉCHELLE COMPLÉMENTAIRE → SITE N°3 : IRRIGUER LA PETITE HOLLANDE
Bâti sur le bras comblé de l’Hôpital à partir de 1931, l’immense tapis d’asphalte, du parking Gloriette-Petite Hollande constitue la plus vaste zone de stationnement du centre-ville : 700 places à l’air libre pour le parking Petite Hollande et environ 280 places supplémentaires dans les parkings annexes Gloriette 1 et Gloriette 2, à proximité directe. On peut, de plus, citer le parking souterrain de la Médiathèque, également à proximité, offrant plus de 430 places de stationnement couvert. [Figure 55]
Figure 55. Plan-masse montrant la forte offre en stationnement public sur et aux alentours du site de la Petite Hollande
Figure 56. Plan relevé des installations de marchands le Samedi matin sur la Petite Hollande
Une fois par semaine, le Samedi matin, les voitures disparaissent pour laisser place au marché de la Petite Hollande, très populaire, avec près de 300 marchands, de nourriture, de vêtements ou de quincaillerie [Figure 56]. Cette place constitue aussi un point de rassemblement pour le départ des manifestations ou pour certains évènements (écrans géants, festivals,..). Au Sud, on trouve la piscine Léo Lagrange, implantée ici, en tant que bassin d’été, en 1951, après les comblements. [Figure 57, Figure 58] Un bassin ouvert, qui donnait à voir le centre-ville et les chantiers navals, sur l’île de Nantes. Elle a depuis été couverte dans
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les années 70, et a perdu la plupart de sa relation à la Loire, car les machineries ont été installées du côté des berges. Elle est, de plus, temporairement fermée au public pour des problèmes de canalisations.
Figure 57. Vue du ciel du bassin d’été de Gloriette au début des années 60 Figure 58. Vue depuis le bassin d’été de Gloriette en 1956
Repéré comme site à fort potentiel urbain par Nantes Métropole, elle a fait l’objet d’un concours pour sa requalification, aux côtés des berges Nord du bras de la Madeleine, et du canal Saint Félix. Les résultats sont exposés sur le site de Complètement Nantes, mais ne donnent que peu de précision quant à la nature du futur aménagement. Une rumeur a pour un temps répandu l’idée que des bâtiments commerciaux seraient implantés dès le Square Jean-Baptiste Daviais. Bien que non fondée, cette information a provoqué manifestation et réactions fortes des nantais.41
41. Source : «Ils veulent sauver le square Jean-Baptiste Daviais» article Presse Océan de décembre 2017
Figure 59. Plan-masse du site 3, alentours de la Place de la Petite Hollande
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Sur un site aussi emblématique, la posture déclinée du technico-sensible qui interviendra est celle de l’échalas, du tuteur.
Figure 60. Portrait de la posture adoptée pour Irriguer la Petite Hollande, l’échalas
L’échalas est une posture patiente, mais pas pour le moins passive. Il se situe dans cette idée constante que l’évolution des sites doit se faire sur des échelles de temps longues. Qu’on ne peut que guider. Que si on ne peut pas envisager la suppression pure et simple des usages, on peut toutefois mettre au point leur effacement, progressif et organisé. Il s’intéresse même à la potentielle réversibilité des projets et des espaces, sur des échelles de temps maîtrisées. Par l’installation progressive d’une adaptabilité des lieux, l’idée est d’inspirer et d’influencer un changement, plutôt que de prôner et imposer ce dernier. Les outils de la palette que cette posture pourra manipuler et combiner pour les mettre en place sur ce site seront les suivants :
Figure 61. Représentation des outils d’action sur le site 3
Ces modèles permettront à l’échalas d’adapter ce site [cf. Carnet des modèles, page 76], à de nouvelles valeurs. La posture adoptée est bien celle d’une contestation des systèmes de fonctionnement actuels, comme le dessin urbain pro-automobile ou la multiplication des espaces de
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stationnement imperméables en zone urbaine. Elle propose une fois encore la remise au centre des préoccupations environnementales, climatiques et hydrauliques. Cependant, ce n’est pas une posture de confrontation. Pour préciser le propos, on peut rapprocher la démarche de celles de certains projets biomimétiques. Le projet de Scape Studio, pour le Gowanus Canal, dans le port de New York City par exemple. J’ai d’ailleurs choisi une illustration de ce projet pour accompagner l’avantpropos de Jean-Marc Benguigui [page 4], au début de ce mémoire. Lors d’un concours sur la requalification des berges et abords du port de New York, le projet Oyster-tecture42 propose d’utiliser des huîtres afin de filtrer l’eau, d’assainir les sols voire même de regagner du terrain sur les eaux nauséabondes et fortement polluées du site. La stratégie démontre des échelles d’action longues et une évolution de la fonction des espaces et des installations.
42. Source : «Reviving New York’s rivers -- with oysters!» TED talk donné par Kate Orff, et sur le site web de SCAPE Studio
Ainsi, les bacs à huîtres, appelés «flupsies» fournissent dans les premières décennies un mode de filtration et de nettoyage des eaux du port. Puis, quand celles-ci seront assez saines pour être utilisées, le projet imagine le développement d’activités de loisirs et de tourisme sur les bords de ce canal, montrant des images de parades et d’évènements sportifs par exemple. Enfin, à l’horizon d’un demi-siècle d’existence le projet devrait être capable d’entraîner une production ostréicole consommable, fournissant des denrées locales et financièrement valorisables, tout en reconnectant le port de New York avec son passé de «vendeurs d’huîtres» On peut aussi pour terminer parler du projet de Zandmotor43, sur la côte des Pays-Bas. Chaque année, pour protéger son littoral, le pays doit dépenser des sommes très élevées et beaucoup d’énergie pour déplacer le sable des dunes et protéger ainsi l’arrière-pays, de l’érosion et des inondations. Le projet du «moteur à sable» a demandé plus de 10ans de simulations hydrodynamiques avant le dépôt de 21.5 millions de m3 de sable dans la mer, créant ainsi une presqu’île de plus de 2km² le long du rivage.
43. Source : «Etat de l’art des réalisations urbaines en zones inondables» réalisés à l’Ecole Centrale en partenariat avec Artélia [cf. page 11]
L’objectif ? Guider les courants marins, en temps normal et en temps d’épisode océanique afin qu’ils redistribuent naturellement le sable sur le littoral. On pourrait ainsi laisser les courants faire le travail qui était fait chaque année, et ce pendant plus de 20 ans. Installé en 2011, la première phase terminée en 2016 semble concluante, les prochains résultats, plus précis, attendront 2021. L’eau, dans sa définition géographique, apparaît comme un élément fondamentalement multiscalaire. On propose ici d’ajouter une échelle complémentaire, celle du temps et de l’évolutivité des milieux et des modes de pensées.
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Figure 62. (Double page précédente) Ecume et rochers. Photographe : Aaron Ross
IV. COSMOGONIE DE L’EAU, DE LA RÉALITÉ À LA FICTION ressource du technico-sensible
1. L’EAU EST DANS TOUT, ET INVERSEMENT 44. Puissances de dix, en français, est un film documentaire de 9 minutes d’un voyage entre l’infiniment grand et l’infiniment petit
Un peu comme l’ont fait Charles et Ray Eames, dans leur œuvre Powers of Ten44 [Figure 63], l’eau trace un axe direct de l’échelle de la cellule vivante à celle du cosmos.
Figure 63. Captures du film Power of Tens de Chqrles et Ray Eams
45. Source : «l’eau dans l’organisme», site du CNRS
Principal constituant du corps humain, l’eau est présente à hauteur d’environ 45 litres d’eau pour une personne de 70 kilogrammes (soit 65% de son organisme), bien qu’elle dépende de la corpulence et de l’âge. L’eau n’est pas répartie uniformément, à l’intérieur de l’organisme. Outre le sang (90% d’eau dans le plasma sanguin), les organes les plus riches en eau sont le cœur et le cerveau. Le corps humain ne stocke pas l’eau, c’est une machine-filtre qui a son propre cycle de traitement des eaux. La quantité globale d’eau nécessaire au fonctionnement d’un organisme adulte de taille moyenne est d’environ 2,5 litres par jour dont environ 1 litre est apporté par les aliments et 1,5 litre par les boissons (besoin pour une vie en région tempérée et sans effort physique particulier). Après avoir utilisé le liquide pour ses propres besoins (maintien de température, apports de substances, exports de déchets), le corps humain peut évacuer l’eau souillée à travers les urines, la respiration, la transpiration ou les excréments45 [Figure 64]. On pourrait également décrire le fonctionnement des organismes de chaque autre animal de la planète. Dans chaque cas, bien que le processus varie d’une espèce à l’autre, le corps compose cette machine-filtre, qui a besoin de l’eau pour continuer de fonctionner. D’une autre manière, les organismes végétaux ont également besoin de l’hydrogène de l’eau pour entraîner leur croissance et permettre la circulation des sèves.
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Figure 64. Schéma de fonctionnement simplifié du cycle de l’eau dans le corps humain
Tous ces cycles individuels s’inscrivent dans le cycle global de l’eau, qu’on a déjà décrit précédemment [cf. II.1.]. Ce dernier nous permet également de changer d’échelle et d’observer qu’une fois encore, le système territoire fonctionne comme une machine alimentée par et fonctionnant pour : l’eau. Les relations cycliques entre l’eau atmosphérique, l’eau de surface et les eaux souterraines, dans leurs états liquides, solides ou gazeux, ont également des conséquences sur les courants atmosphériques, sur le vent, l’ensoleillement, les températures, l’humidité, sur l’état des sols et de l’air. La planète Terre, aussi appelée planète bleue car les eaux recouvrent 70% de sa surface, est la seule planète de notre système solaire à avoir vu se développer des organismes vivants (à notre connaissance). L’homme n’a pas mis longtemps à reconnaitre que c’est assurément grâce à ce système atmosphérique qu’une telle situation a pu se développer. Aujourd’hui, lors des explorations spatiales, les hommes continuent d’explorer les traces de cet élément eau, sur les planètes voisines. Le National Geographic publie par exemple de nombreuses photographies de la NASA [Figure 65] à ce sujet : « De l’eau s’écoule dans des ravines et le long des parois des cratères à la surface de Mars, renforçant le mystère autour de l’existence possible de la vie sur la planète rouge. »46, donnant à ces recherches spatiales une dimension de quête de ce que l’on connait déjà en soi, plutôt que celle d’une découverte de l’inconnu.
46. Source : «La NASA confirme la présence d’eau liquide sur Mars» article de Nadia Drake pour National Geographic (site web)
Figure 65. Photographie des falaises de Coprates Chasma sur Mars Source : NASA
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Si on s’intéresse de nouveau à Nantes, à son histoire et à sa morphologie, on découvre également que l’eau y est pour ainsi dire, presque partout. Dans ses cinq cours d’eau qu’on a déjà introduits, dans ses tracés urbains, dans les corps de sa faune et de sa flore. Mais aussi dans ses matériaux. Le tuffeau par exemple, matériau principal de la cathédrale de Nantes et de nombreux immeubles du centre-ville [Figure 66] est une pierre à l’origine très liée à l’élément eau. Extraite majoritairement des sous-sols des coteaux bordant la Loire, cette pierre calcaire se forme d’abord au fond de l’eau, de couleur blanc-crème pouvait ensuite être directement chargée sur bateau et acheminée sur les fleuves. Résistante, elle est malléable, facilement sculptable et n’est pas très dense, sa légèreté constituant ainsi un atout supplémentaire pour le transport fluvial.
Figure 66. Photographie des bâtiments penchés de l’île Feydeau, bâtis en tuffeau, sur pieu de bois dans un sol de sables Photographe : VJoncheray
Dans la ville de Nantes, les sous-sols sont imbibés de l’eau des nappes. À leur surface ruissellent plusieurs cours d’eau, près desquels grandissent des végétaux et se développent diverses espèces animales. Ces derniers, comme les habitants de la ville sont majoritairement composés d’eau. Même les matériaux des bâtiments, le bois, végétal, ou le tuffeau, minéral, sont étroitement liés à cet élément. L’eau est y dans tout, et inversement.
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2. POTENTIEL D’AMBIANCES ET FORCE DE LA RUINE L’eau possède une panoplie de propriétés physiques intéressantes pour une utilisation en tant que matière urbaine. Dans notre climat de vie, elle est capable de changer d’état à des températures facilement gérables par un individu lambda, sans équipement technique particulier. Liquide dans la majorité des situations du quotidien, elle se solidifie à la pression atmosphérique, en dessous de 0°C et s’évapore au-dessus de 100°C. Ces trois états modifient les caractéristiques physiques de l’eau. L’eau est un fluide, elle est soumise à la gravité qui provoque son écoulement, son ruissellement en surface, suivant la topographie. Formée de molécules d’oxyde d’hydrogène (H2O), ce corps peut accélérer comme un tout et se déformer, se séparer en particules appelées gouttes d’eau, se reformer. Cet écoulement peut lui aussi posséder des caractéristiques particulières, idéalement laminaire, il est bien plus fréquemment turbulent, fait de tourbillons se contrariant mutuellement. On peut également dire de l’eau qu’elle est isotrope, c’est-à-dire que ses caractéristiques évoluent de la même manière, quelle que soit la direction dans laquelle on l’observe. Bien qu’incompressible, elle a la capacité de propager les ondes. L’eau pure est transparente, elle laisse passer la lumière, mais la réfraction en déforme les rayons. Sa surface, selon la qualité de l’écoulement, est capable de réfléchir cette lumière. On la voit souvent bleue, par temps clair, car elle reflète les couleurs renvoyées par diffraction par les molécules d’hydrogène et d’azote de l’atmosphère. Ces propriétés physiques, quand elles ne sont pas observées d’un œil uniquement scientifique, provoquent pour celui qui les expérimente, une grande quantité de sensations et peut construire des ambiances très fortes. On peut citer les effets visuels provoqués par l’eau : les reflets dansants ou les projections de lumière sur les sousfaces. L’eau fait également du bruit, si elle est projetée ou si on la verse, si elle éclabousse ou si elle clapote, si elle bouillonne ou, formant une vague, elle se brise. Au contraire, si elle est calme et profonde, ou même si on y plonge, alors elle assourdit le son, atténue le bruit, inspire le silence ou le murmure. On peut la sentir sur sa peau, comme une brume ou bien comme une nouvelle enveloppe. L’eau, on peut aussi sentir son odeur, quand elle découvre la vase, ou quand elle s’accompagne du vent de mer. Quand on rentre dans un espace où il y a de l’eau, on le ressent, le climat complet des lieux est différent. Comme dans les palais indiens où l’eau ruisselle de pièce en pièce, dans des canaux et des fontaines, pour déplacer l’air et rafraîchir les espaces. Et puis l’eau a aussi toute une dimension psychologique et poétique, qui touche à la nature même de sa force et de sa relation à l’homme. Pour en parler, j’ai choisi de laisser s’exprimer Gaston Bachelard, dont j’ai relevé des extraits de la causerie qu’il donna sur la poésie de l’eau.
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J’ai essayé de montrer que la poésie, dès qu’elle voulait être un témoignage de notre passion pour la vie universelle, retrouvait d’instinct les longues pensées de philosophes, les longues rêveries des alchimistes, et qu’on pouvait dès lors prendre les quatre éléments matériels, eau, air, feu et terre, comme s’ils étaient à la fois les éléments de l’univers et les éléments de l’imagination poétique. [...] Aujourd’hui, nous allons consacrer notre causerie à la poésie de l’eau. Il semble qu’on n’ait même pas besoin de la définir. [...] On va voir que l’attachement que nous avons à la poétique de l’eau est forte de mille liens, on y voit s’accumuler les attraits les plus divers, les attraits les plus contraires. De sorte que notre amour pour l’eau est peut-être le plus ambivalent des amours. Ainsi l’eau sera aimée dans ses reflets et dans sa profondeur, dans son repos et dans son tumulte, dans sa substance et dans sa force. Les dialectiques se multiplient au point qu’il faudrait une véritable encyclopédie de l’eau pour les analyser toutes. Le monde des reflets, que serait-il sans le miroir des eaux dormantes ? Les hommes eussent-ils inventé des miroirs si la surface d’une eau tranquille ne leur avait pas rendu si fidèlement leur image ? [...] L’image naturelle véritable, celle qui étonne l’enfant, celle qui enchaîne le rêveur, associe en effet le reflet et la profondeur. Au sein de l’eau vraiment réfléchissante, nous découvrons une intimité, un être intime, un être profond. [...] Elle est sans doute la première image de la profondeur dangereuse, la grande et simple image de l’abyme. Sans doute, la terre a ses crevasses et ses falaises, mais de tels abymes, il semble qu’on puisse les explorer, les mesurer. Les abymes de la terre ont une géométrie. Les abymes de l’eau sont plus directs et plus simples, ils donnent tout de suite l’image de l’insondable. L’eau est alors un mystère et un vestige, elle attire et elle effraie. Si l’imagination ne s’arrête pas, le rêveur va voir la mystérieuse et dangereuse ondine. N’est-il pas étrange que la poésie soit, en quelque sorte, dialectisée jusque dans ses fantômes ? Par la naïade et par l’ondine, par Nausicaa et par Mélusine, par l’être qui a toutes les beautés de l’eau ensoleillée et par l’être qui a toutes les dangereuses séductions des ténèbres vertes, comme disait Baudelaire, de l’inconnu des profondeurs. [...] Mais ces mythologies et ces légendes, le poète ne leur donne-t-il pas une vie nouvelle, une vie naturelle, en marge de toute érudition ? Ne revivons-nous pas tous les adieux de notre vie dans un seul grand vers comme celui de Baudelaire : « Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre ! » ? De tels vers ont une résonance agrandie si on leur donne tout leur passé de légendes et d’images, si l’on retrouve les songes de l’âme devant les flots de la mer, devant le fleuve qui jamais ne reviendra à sa source. [...] Mais l’eau enchaîne aussi bien les images de la vie que les images de la mort. C’est précisément en raison d’un double enchaînement que l’eau est un élément éminent de la poésie universelle. L’eau, comme tous les éléments, donne fruit à de multiples ambivalences ou, pour mieux dire, elle concrétise l’ambivalence qui vit au cœur de l’homme. Elle est dans les beaux jours de la vie humaine, la substance de vie, elle est le lait de la terre. D’innombrables variations animent ce thème général de la maternité des eaux. [...]
47. Gaston Bachelard, «L’imagination poétique, deuxième causerie», extraits choisis
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Pour toutes ces raisons, nous pourrions fonder à dire que l’eau est un véritable élément psychique, un élément qui amasse les images de nos rêves comme de nos pensées, un élément qui règne dans notre conscient comme dans notre inconscient, un élément que nous aimons en nous et hors de nous, une boisson et un philtre, une réalité et une puissance. En suivant les images de l’eau, le poète est assuré de trouver un élément de la poésie universelle.47
Si on reconnecte tous ces éléments à la ville de Nantes, on peut voir que l’eau, dans sa définition matérielle et cosmique élémentaire, peut revêtir d’un impact supplémentaire : celui de la ruine, de la trace de l’histoire, du souvenir d’une vie passée. Lors de mon mémoire, je me suis intéressé à ce que la ruine provoquait chez l’homme, puis à l’impact qu’elle pouvait avoir au cinéma. Si l’on n’avait que quelques secondes pour la symboliser, on dessinerait sûrement une colonne corinthienne tronquée, ou tout autre élément se rapportant à sa dimension antique. C’est en effet de cette manière, à Rome ou à Athènes par exemple, que la ruine a su s’imposer aux Hommes et à leur architecture. Marque du passé, repère temporel par excellence, la ruine a longtemps été étudiée, recopiée et interprétée par les jeunes architectes, pendant les envois de Rome par exemple. Comme un recueil à ciel ouvert des proportions et des techniques de l’essence même de l’architecture, elle a su motiver les recherches et les créations humaines pendant des siècles. Cette dimension du bâti, laissé à l’abandon, témoin d’une vie passée sur laquelle le présent ne peut agir, ne cesse de fasciner l’homme. Comme une bulle temporelle, l’extrait d’un autre monde au sein même de son quotidien.48
48. Source : «Détruire et construire, la ville à l’écran», mémoire de master
Diane Scott avance une théorie selon laquelle notre espace-temps et notre société seraient basés sur trois éléments : la ruine, la catastrophe et l’utopie. Pour elle, « la ruine est la temporalité longue, [...] ce qui traverse et se prolonge, venant du passé dans un état d’éternité lente. La catastrophe est le régime du présent. Le futur ne cesse de se signaler sous le régime de l’impossible, ce qui est le pendant du présent catastrophique, aussi ce serait sous le régime de l’utopie comme impossible que le futur se signalerait d’emblée ».49
49. Source : théorie développée par Diane Scott dans l’article «Nos ruines» rédigé pour la revue Vacarme
À Nantes, les tracés urbains [Figure 67] sont les marques de cette ruine, comme les pierres érodées de ces lits qu’on a si vite comblés. Marques de cette temporalité longue que l’eau pourrait reprendre, en douceur ou avec force. À l’urgence, elle insuffle un rappel, que l’eau a ici déjà laissé sa marque et que le futur devra envisager les choses sous un angle nouveau.
Figure 67. Tracés urbains influencés par les anciens cours d’eau, à Nantes
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3. LA FICTION COMME OUTIL DE PROJECTION Afin de développer la projection des postures présentées pour les trois sites d’intervention [cf. III.], j’ai tenté d’explorer un mode de représentation par la fiction. Cette dernière me permet de me reconnecter au travail de mémoire de master [cf. Annexes], et ainsi d’approcher des éléments que l’image seule n’atteindrait pas, car en dissimulant certaines parties, elle les offre à l’imaginaire de celui qui ne les voit pas. Pour m’essayer à cet exercice, je me suis majoritairement intéressé au travail de l’architecte, enseignant et écrivain Luca Merlini. Dans sa conférence à l’ENSAS Strasbourg en 2018, comme dans ses ouvrages ou projets, l’architecte suisse propose de ne pas dissocier projets et positionnements, de ne pas subordonner les thèmes aux formes.
50. Extrait de la présentation de quastion Q5 : «Si la littérature est un immeuble, que se passet-il dans l’escalier?» pour le projet de l’immeuble-littéraire dans Le XIQ par Luca Merlini
« Trop souvent l’architecture est réduite, et jugée, à sa surface visible, alors qu’elle est combat, comme peut l’être la littérature. [...] Quand ces disciplines deviennent combat, on trouve des guerriers, des victimes, des désignés chair-à-canon, des lâches, des espions, des traîtres, des stratèges, des héros, des résistants dans chaque camp. C’est là qu’on découvre combien la fiction est nécessaire autant à la discipline architecturale qu’à la littérature : la fiction permet de décrire, de comprendre, et à partir de là, de concevoir et inventer éventuellement une réalité différente. La fiction devient arme de proposition.»50 Dans Le XIQ, dits et dessins d’architecture, Luca Merlini utilise le texte-dessin pour présenter trois séries de personnages (les inconnues X, les invité-e-s I et les quastions Q) [Figure 68]. Ces personnages se répondent et se combinent, pour définir de l’architecture, des ambiances, des thèmes, des postures et des ressentis. L’outil du texte-dessin permet à l’architecte d’utiliser la littérature pour construire l’architecture. Dans la préface de l’ouvrage, Bernard Tschumi présente l’œuvre de Merlini comme un Oudarpo, un ouvroir d’architecture potentielle au sens de l’Oulipo de Queneau, Le Lionnais ou Perrec pour ne citer qu’eux.
51. Extrait de la préface de Bernard Tschumi pour Le XIQ, de Luca Merlini
52. Pour la 7e édition du Festival de Brest, Dañsfabrik s’est intéressé au Portugal, du 13 au 17 Mars 2018
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« Son ouvroir n’est pas fait que de mots, il lui faut mettre les mots en question. Pour cela, il faut que le dessin soit accompagné par les mots, les mots par les dessins. Les textes de Merlini précèdent-ils ou bien suivent-ils les dessins ?»51 Lors d’un voyage à Brest avec le studio Borderline, nous avons pu participer au festival Dañsfabrik52. Lors de cet évènement de danse contemporaine, l’une des performances m’a particulièrement marqué. La chorégraphe et danseuse portugaise Vera Mantero a présenté une performance mélangeant rédaction, lecture, illustration, chant et danse. Pendant une heure et demie, l’artiste nous compte l’histoire d’un peuple ancestral portugais, nous illustre ses coutumes et nous chante ses mélodies. Elle nous présente ses habitants, leur caractère et leurs compétences. Enfin, en conclusion, elle explique
que l’exercice qu’elle vient de pratiquer sur scène est celui de l’anthropologie fictionnelle, que ce peuple, s’il a existé, n’est pas celui qu’elle a montré sur les vidéos, qu’il n’est pas celui qu’elle a chanté ou qu’elle a décrit. Que finalement, ce qu’elle nous a compté n’était qu’une fiction, manipulée pour nous faire découvrir un peuple méconnu : Les Serrenhos du Caldeirão53.
53. Performance vécue le 16 Mars à 21h au Quartz de Brest
Figure 68. Texte-dessin extrait du livre Le XIQ de Luca Merlini, présentation de l’inconnue X32 : usage
Pour projeter ses postures, le technico-sensible utilisera donc des scénarios fictionnels, des personnages inventés, des points de vue décentrés et formera ainsi autant d’outils pour motiver un changement de paradigme urbain dans la relation de la ville à l’eau.
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CONCLUSION
synthèse de la posture et de la démarche Pour conclure ce mémoire, reformulons précisément les questionnements qui nous intéressent et proposons-leur des hypothèses de réponses ; comme une synthèse de la posture d’action, en quelques points simples : → Face aux changements climatiques, les modes de vie et de pensée doivent évoluer. C’est dans une certaine prise de conscience de son impact et de son influence personnelle, individuelle et collective, que se trouve la potentielle solution d’un changement de destin environnemental. → Les villes, cadres privilégiés des usages concentrés, doivent, elles aussi, être en capacité de progresser. L’espace urbain doit avant tout devenir adaptable, voire réversible. La ville, plutôt que de freiner ces changements de modes de vie et de pensées, doit en devenir le catalyseur. → Pour ce faire, la question hydraulique comme gestion d’un risque actuel et d’un danger imminent, peut devenir un outil majeur d’un changement de paradigme dans la manière de concevoir l’urbain. Tel un philtre apaisant, l’eau peut constituer le matériau d’une guérison de la relation entre l’homme et son environnement. → La ville de Nantes, qui tisse un lien direct entre l’eau de son histoire et l’eau de son territoire, entre le corps de ses habitants et les sols du bassin versant de la Loire, apparaît comme une cavité privilégiée de l’éponge géographique. En offrant à Nantes ce pouvoir d’adaptabilité, on tente de faire de la cité le catalyseur territorial d’un changement primordial : d’un vivre contre vers un vivre avec l’eau, optimiste et engagé, et vers une réelle résilience hydraulique multiscalaire. Considérons dès à présent la résilience hydraulique territoriale comme tremplin de l’adaptabilité urbaine à un climat en évolution ; comme catalyseur d’un changement des modes de vie et de pensée ; comme une source intarissable de potentiels urbains et poétiques.
Comment développer les stratégies d’avenir du technico-sensible ?
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MEDIAGRAPHIE sources et références
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MENANTEAU Loïc, PERERA SAN MARTIN Nicasio, Quand la ville se mirait dans l’eau : quais de Loire à Nantes PAJOT Stéphane, Nantes, histoires d’eau PERRON André, Le pont transbordeur de Nantes PERRON André, Sur les ponts de Nantes RICHOMME Claude, Nantes et sa conquête de l’eau : Une histoire... Des hommes... Un service... SCLARESKY Monique, Nantes PROJETS REFERENCES BURO POELMANS REESINK, Sin Jaansbeek, Arnhem (NL) DE URBANISTEN, mutliples projets → Bethemplein Square, Rotterdam (NL) DLANDSTUDIO, Sponge park, New York City (US) GOUVERNEMENT NEERLANDAIS, Room for the river, Pays-Bas (NL) MVRDV, Lite urbanism OCTOPI, Bassin sur la Tamise, Londres (UK) SCAPE Studio, Oyster-tecture, New York City (US) SLA, multiples projets → Soul of Norrebro, Copenhague (DK) TREDJE NATUR, multiples projets → St Kjeld et Pop-Up Climate, Copenhague (DK) WODICZKO + BONDER, Mémorial de l’abolition de l’esclavage, Nantes (FR) FICTION, OUTIL DE LA REALITE AUBRY Quentin, Détruire et Construire, la ville à l’écran BACHELARD Gaston, Deuxième causerie, la poésie de l’eau LA FOLIE KILOMETRE, multiples projets →(Une nuit), Saint-Pierre-des-Corps (FR) MANTERO Vera, Les Serrenhos du Caldeirão MERLINI Luca, Le pays des maisons longues MERLINI Luca, Le XIQ STUDIO ROOSEGAARDE, Waterlicht
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CARNET DES MODÈLES D’ACTION
ANNEXES
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MÉMOIRE DE MASTER : SCÉNARIO FICTIONNEL DE LA DESTRUCTION DE NANTES À L’ÉCRAN
NANTES
TOP 10 des siTes nanTais TOP 15 des siTes nanTais « à ne Pas raTer » les Plus PhOTOgraPhiés (nantes-tourisme.com) (sightsmap.com)
nd ance qui s’éte l’Ouest de la Fr an Commune de la Loire, à 50 km de l’océ la sur les rives de lieu du département de 1. Cathédrale de NaNtes s efAtlantique. Ch et préfecture de la région de ue de 2. Château des duCs iq ral nt nt tla ce -A t Loire lémen ire, elle est l’é près de 600 000 Pays de la Lo 3. les MaChiNes de l’île de lée up le pe Nantes Métropo de la huitième aire urbaine 4. JardiN des PlaNtes in se en s au nt s, ta nt bi ta 3 ha habi mptant 873 13 5. estuaire de France, co à l’agglomération de Saint e e 2010. Associé t sur l’estuair or t-p an aNtes s aiNt Nazaire N av un aujourd’hui la Nazaire, avec es constitue nt ée Na , llis 6. Q uartier GrasliN ire be Lo La nçais. de la Grand Ouest fra t, en 2012, la es métropole du es 7. M éMorial de nt Na istoire, ce ville d’art et d’h e la plus peuplée de Fran un l ’a bolitioN de l ’e sClavaGe de m e m ièr co sixième et la prem 604 habitants, 8. île de NaNtes avec ses 291 d’habitants. e br m no en l’Ouest
9. treNteMoult 10. eau
1
1. Château des duCs 2. Cours des 50 otaGes 3. PassaGe PoMMeraye 4. Cathédrale de NaNtes 5. les MaChiNes de l’île 6. Quai des aNtilles 7. eGlise saiNt NiColas 8. théâtre GrasliN 9. lieu uNiQue 10. Musée Jules verNe 11. PlaCe royale 12. PlaCe MaréChal FoCh 13. Gare de NaNtes 14. PlaCe du CoMMerCe 15. tour bretaGNe
Scène d’ouverture
Deux adolescents, Hugo et Zoé, traversent la ville de Nantes à bicloo et se rejoignent au 29 rue des Réformes à Chantenay, où résident Hugo et sa famille. • Mention écrite indirecte (ex : panneau Voyage à Nantes) • Musique dynamique • Aucun dialogue • Grand soleil • Mise en avant de certains bâtiments identifiables • Clous de Tchekov
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La «maison de C raymond du Creshantenay» t de ViLLeneuV e neVeu de JuLe s Verne
Alors qu’ils comptaient profiter du fait que la maison soit vide, les deux adolescents se retrouvent nez à nez avec un vieil homme, barbu. Une fois la panique estompée, celui-ci affirme s’appeler Jules Verne, revendique la propriété de la demeure et s’indigne de son état actuel de conservation. Croyant avoir affaire à un fou, Hugo et Zoé observent la colère du vieil homme se renforcer, sans savoir comment réagir. C’est au moment où il regarde par la fenêtre Sud que la rage de Jules Verne explose, où se trouvait l’immense jardin familial de ses souvenirs, se trouve aujourd’hui Du côté du jar din où donnait principale, le do la façade un immense bâtiment gris, des plus laids qui lui aient uble pe d’u ne gly été donnés à voir. cine dont les grrron était garni appes violettes et le feuillage s’e Indigné, il chasse de la main cette vision qu’il ne peut au nrou ur des balustrelaient gracieusement comprendre. À l’instant même où sa main balaie bigto s de l’escalier. Des nonias et des glycines bordaie l’horizon, les adolescents assistent alors à une scène façade (… nt la ) Les deux jardin s se faisaien incroyable, le lycée, ce bâtiment qu’ils ont toujours suite en terrasse. emier, planté t vu à l’arrière de leur maison est violemment projeté jardin français d’autLerefpr ois ne tarda pa en s à dans l’espace, réduit à un amas de débris enflammés, être transformé par Pierre, Ve anglais (…) Un rn e allée de tilleu e en jardin laissant place à une étendue d’herbe et de buissons la se ls taillé ule partie qu’on taillés ... en garda le lon e fut mur en te g • Vues d’intérieur pour la rencontre • Vues depuis la fenêtre pour la destruction • Points de vue multiples aériens et humains • Couleurs plus sombres
rrasse du jardin ; c’était unqui dominait le deuxième promenoir bien d’où on voyait ex po sé terminé par un la Loire et ses prairies, e charmille et un qui donnaient su e to nn ell e r le chemin.
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Un jardin à l’anglaise et une allée de tilleuls remplacent le lycée qui est réduit à un amas de débris en feu.
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Hugo & zoÉ
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Les adolescents appellent les secours et accourent dans les débris du lycée pour aider les rescapés. Alors qu’ils s’occupent des blessés, ils apprennent que les monstres des machines de l’île ont pris vie. Témoins de l’impuissance et de l’incompréhension de la population et des forces de l’ordre, les adolescents comprennent qu’ils sont les seuls à pouvoir voir celui qui semble être le fantôme de Jules Verne. Ils décident d’aller se renseigner dans le musée à proximité. • Communication indirecte de la destruction (infos, écran de télévision) • Points de vue humains
Ap ver gré de île de les
JuleS verne
Devenu conscient de son pouvoir, et toujours aussi en colère, Jules Verne décide d’aller voir l’état de la maison de ses parents. Sur le chemin, il ravage les rues de Chantonnay sans aucune pitié. Quand il aperçoit les machines de l’île, il décide de s’y rendre. Fasciné par les créatures animées, ils leur donnent vie et elles s’échappent dans le quartier. • Destructions non identifiables sur le trajet, chute de débris, fumée • Plans de face et aériens de la libération des machines de l’île • Marque une étape de l’intrigue
La si
xièm
Les monstres marins du Carrousel s’échappent et terrorisent la population.
Les deux héros découvrent les motivations de Jules Verne, son goût pour les navires dans le Port de Nantes et son amertume face au développement récent de la ville. Le port et les bateaux semblent lui manquer. Ils découvrent également qu’il a vécu près de l’île Feydeau avec sa famille et qu’à l’époque la Loire passait toujours devant le Château. Ils décident de s’y rendre pour aller lui parler. Hélas, ils arriveront trop tard ... • Images de la ville d’antan, grâce à d’anciens supports de représentation • Points de vue humains
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Après avoir contemplé les créations de Delarozière, Jules Verne reprend sa route vers l’immeuble rue Rousseau dans lequel il a vécu. Sur la route, il modifie à son gré les éléments qui ne lui plaisent pas. Au moment où il arrive dans le quartier de l’île Feydeau, quelle n’est pas sa surprise que de voir qu’elle n’est plus une île ! Il décide d’y remédier et rend son lit originel à la Loire, retrouvant l’aspect de la ville portuaire qu’il chérissait tant. Les forces de police sont déployées et les hypothèses fusent quant à l’origine de ces catastrophes, en vain.
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• Destructions non identifiables sur le trajet, chute de débris, fumée • Vue du ciel et vue du sol pour l’inondation du quartier Feydeau • Marque une nouvelle étape de l’intrigue
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La Loire reprend sa place dans le quartier Feydeau, engloutissant tout sur son passage.
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Apogée du dAnger
Le fantôme de l’auteur ne parvient pas à se calmer, tout dans cette ville lui donne l’envie de la réduire en poussière. Quand il aperçoit la Tour Bretagne, c’est la catastrophe. Inspiré par ce qu’il a vu dans la Halle des Machines, il fait croître l’Arbre aux Hérons, en plein coeur de l’édifice. Les branches de métal et de bois détruisent la tour, qui s’écroule tout autour. Alors que la situation semble irratrapable et que la population se résigne à voir venir sa fin, les deux adolescents retrouvent le fantôme. Calmement et après un long discours de persuasion, ils le convainquent de les suivre au Château des Ducs de Bretagne.
Une d’H son plu deu plu sou
• Vues multiples de la Tour, d’abord depuis le point de vue éloigné du fantôme, puis en contre plongée depuis le bas du bâtiment • La destruction est spectaculaire,détaillée • Musique assourdissante
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L’Arbre au Hérons croît au coeur de la Tour Bretagne, sans pour autant l’effondrer.
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Une fois arrivés dans la cour du château, les trois personnages pénètrent dans le Musée d’Histoire de Nantes. Après la visite, Jules Verne, calmé, découvre que Nantes n’a pas renié son passé et qu’elle continue de le communiquer et de le mettre en valeur. Définitivement plus à l’aise dans cette partie de la ville, le fantôme décide d’y rester. A l’exception de nos deux tourtereaux, personne n’aura vraiment compris ce qui a frappé Nantes ce jour-là. Les plus attentifs, cependant, pourront encore entendre une voix leur murmurer cette histoire, sous la nef retournée que constitue la charpente du musée. • Points de vue humains, multiples, du château et du musée • Le château mis en valeur, comme défenseur de l’Histoire nantaise • Vues du ciel de la ville de Nantes, en partie ruinée, sous un grand soleil, avec une musique calme mais joyeuse
modèle de deStruction utiliSé : bulldozer
FIN
Modèle le plus adapté à une ville «peu connue» et qui cherche donc à faire découvrir une large palette de quartiers et de bâtiments. Balade en bicloo Présentation de la ville Clous de Tchekhov (Pré-cibler les bâtiments)
Libération des Machines Inondation de Feydeau Etapes clé de l’intrigue Identifiable
Destruction du lycée Naissance du risque Non identifiable
Découverte du Château des Ducs Dénouement Environnement identifiable (Bâtiment bouclier) Observation des ruines
Destruction de la Tour Bretagne Apogée du danger Besoin de réaction immédiate Identifiable
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CARTES POSTALES BORDERLINE
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CARTES DE NANTES
Nantes. La Venise de l’Ouest est comblée. Les sutures apparentes et les esprits tintés par les ruines du futur, ancrages du temps passé. « la forme d’une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel » Le Cygne . Charles Baudelaire
Catastrophes naturelles d’un climat déréglé. Les rues imperméables ruissellent des eaux courantes. Il est urgent d’agir, il est urgent d’agir. Résilience hydraulique et pluralité d’échelles. Penser l’eau pour panser la poétique urbaine adapter la ville à sa propre érosion.