SOMMAIRE
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O.
L. LIV• • LA eUI.ZAI• •
Svetlana Allilouyeva
En une seule année
par Maurice Nadeau
5
BO.A.S "BA.ÇAIS
Philippe Boyer Albert Cohen
Mots d'ordre Les valeureru
par Lionel Mirisch Dar .losane Duranteau
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Une lettre d'André Gide LIT'rIi:.A'l'U• • *T.A.G:&• •
10
Léon Edel
H. P. Lovecraft
The lile 01 Henry James The treacherow years 1895-1901 Maud-EtJelyn. La mort du lion Un portrait de lemtt&e Gustave Flaubert Dagon et autrf!$ récits Epouvante et surnaturel en littérature
par Diane Fernandez
par Serge Fauchereau
Invecrah Mouloud Mammeri
Les isefra, poèmes de Si Mohand-ou-Mhand Poèmf!$ à jouer (Théâtre II) Les porlf!$ de toile
par Michèle Cote par Claude Bonnefoy
1.
Jean Tardieu
Il
Edmond J ahès
Elya
par Philippe Bover
Pierre Cabanne et Pierre Restany Fernand Benoit
L'Ot1ant-garde au XX" siècle
par Marcel Billot
Art et Diewc de la Gaule
Dar Jean Selz
.88,A1
NorthroD Frve
Anatomie de la critique
par Anne Fabre-Luce
BCOROMI. POLITleU.
François Quesnay
Tableau éeonomique desPhysiocraIes u.s.A. 1985
Bernard Cazes
18
.0 11
A.TS
Donald N. Michael
par Michel LutfalIa par François Châtelet
..
BISTOI• •
Fernand Braudel
••
POLITleU.
Milovan Djilas Sacha Simon Geor!!es Bortoli
Une sociéIé imparfaite La g~f!UTe SOI1Ïétique Vivre ci Moscou
par Janina Lagneau . par M. F.
Pierre Daumard
Le priz de renseignement en Fnmœ lnslilutriœ th villGge
par Louis, Arenilla
.5
. . . . . . .IG• • • • • '!"
Hu!!Uette Bastide
.par Michèle Albrand par Georges Perec
Shakespeare
Biehard fi
par Gilles Sandier
François Erval, Maurice Nadeau.
Publicité littéraire : '22, rue de Grenelle, Paris-7". Téléphone : 222·94-03.
Crédits photographiques
Comeiller : Joseph Breitbach.
-
La ~inzaiDe
Comité de rédaction : Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Gilles Lapouge, Gilbert Walusinski. Secrétariat de la rédaction : Anne Sarraute. Courrier littéraire : Adelaïde Blasquez. Rédaction, administration : 43, rue duTemple, Paris·4·, Téléphone: 887·48-58.
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p.
3
Magnum
p.
6
Gallimard
Prix du n° au Canada: 75 cent•.
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7
D. R.
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9
D. R.
Directeur de la publication François Emanuel. Imprimerie: Graphiques Gambo. Printed in France
p. I l
L'Herne
p. 13
Vasco
p. 15
Bernard Carrère
p. 17
Arthaud
p. 21
D. R.
p. 22
Calmann-Lévy
p. 25
Mercure de France
p. 28
Bernand
LE LIVRI!: DII:
La fille de Staline LA QUINZAINE
Svetlana Allilouyeva En une $eule année trad. du russe (remarquable~ent) par Nadiejda Gneditz Robert Laffont, éd., 396 p.
1
Le passag~ de la, fille de Staline à l'Occident et la publication de Vingt lettres à un ami ont fait tant de bruit qu'on semble en être désormais quitte avec l'événement: à Qreuve le peu d'empressesement à signaler ici et là t'intérêt exceptionnel des nouvelles confidences de Svetlana Allilouyeva. On s'est peut-être dit aussi qu'elle n'avait plus rien à révéler, ou que, réfugiée aux Etats·Unis (. entre les mains des Américains .), vomie par son pays (qui vient de lui retirer la nationalité soviétique) , elle ne pouvait qu'être conduite à tirer le profit maximum du rôle de vedette qui lui est échu. Pour un camp, contre l'autre, n'est-elle pas devenue, en outre, a r me de guerre? StleIlGnG AUiluyeiIG
Ces préventions s'évanouissent à la lecture d'En une seule année, au ton d'évidente sincérité de l'auteur, à la sympathie que peu à peu il suscite. Pour feindre les sentiments qu'elle montre, il faudrait à Svet· lana moins de naïveté, et si l'on était porté à croire qu'elle a détesté son père en tant que principal responsable du suicide d'une mère qu'elle adorait après tout, ce n'est pas une mince raison - , on constate qu'elle n'est pas plus enfermée dans les histoires de famille qu'elle n'a paru l'être, pendant dixsept ans, entre les murs du Kremlin. L'école, l'Université, les amis qu'elle s'est choisis, ses propres observations et réflexions, ses préoccupations, la droiture qu'on lui voit et l'attention qu'elle porte à son prochain, autant de sources ou d'éléments qui ont formé son jugement et l'ont menée à condamner, outre son père, le régime dont il fut pendant plus de vingt ans l'incarna· tion. Etre fille du dictateur ne lui a pas facilité les choses. Ce n'est pas un mince mérite que d'avoir réussi à l'oublier soi-même comme à le faire oublier à ses condisciples et amis. La Quinzaine littéraire, du 16
IIU
e~ aoB c
mari,. indien.
Ce ne sont pourtant pas les vues politiques qui l'ont menée là où elle. se trouve présentement. Comme beaucoup de cette génération des fils et petits-fils, elle n'a que désin· térêt ou même mépris pour ce dont s'occupe une poignée de nantis : dix familles, dit-elle, pas plus, et qui forment un~ nouvelle classe de seigneurs, administrant ce qu'ils apeellent encore Révolution ou Socialisme et qui n'est plus pour elle que mensonge, exactions, esclavage,,_ au sein d'un des régimes les plus rétrogrades qui soient. En rom· pant avec ce régime et en cherchant refuge à l'étranger, Svetlana n'a fait que profiter des circonstances. Ses amis auraient-ils eu les mêmes possibilités : ils n'auraient pas manqué non plus de saisir l'occasion aux cheveux. Ce qui les anime, c'est moins une idéologie, ou même un idéal, que l'impossibilité de continuer à pOrter un carcan qui limite leurs mouvements, comprime leurs pensées, étouffe leurs désirs les plus naturels, les empêche de vivre. Le pays de li: l'internationalisme prolétarien » a été en fait coupé du monde, et il cuit dans son jus millénaire de
28 /étlrûr 1970
chauvinisme grand.russien, d'anti· sémitisme, de xénophobie. Ce que Lénine appelait la « com-vantardise) (une propriété qu'ont les communistes de se croire plus ma· lins que tout le monde, et de don· ner leurs ordres à l'Histoire) est venue corser ce bouillon de sorcières. Pour Svetlana, qui n'a d'autre ambition que de vivre libre et heu;reuse, tout autre pays ou régime parait un paradis : l'Inde misérable et ses castes, la Suisse aux horizons limités, l'impitoyable Amérique où elle se voit exposée nue et impuissante à la curiosité de la foule. Quand elle caractérise le climat de l'URSS, elle n'y va pas par quatre chemins : « La police secrète au foyer, à la cuisine, à l'école. Audessus de tout ça un homme ( ...) qui, avec quelques complices, avait reconverti notre pays en une prison, dans laquelle tout être vivant, dès qu'il pensait un tant soit peu, était assassiné... ». Elle hait son père et les éternels beni . oui - oui ne manqueront pas de la taxer de « délire anti· communiste ». En fait, elle hait seulement ceux qui empêchent les
autres de vivre. Son état habituel se caractérise plutôt par une bienveillance diffuse pour l'humanité entière et une attention particulière à l'égard de ses amis, surtout ceux qui, parmi eux, figurent les victimes. Elle a, de plus, la tête solidement fichée sur les épaules, et l'on a du mal à reconnaître en cette femme brave, franche et lucide, la névrosée ou l'aventurière que dénoncent Kossyguine et ses acolytes. C'est bien pourquoi, d'ailleurs, ses paroles portent, avec une force que possédaient seuls jusqu'à présent l'auteur du Premier Cercle, celui du Vertige, celui encore de l'Accwé; elles possèdent l'acceIlt inimitable de la vérité, on ne doute pas qu'elles soient la vérité, quelque souffrance qu'on ait à voir celle-ci gi. sant parmi les débris des espoirs piétinés. Une fille qui se voit reprocher par· son père de tenir des « propos antisoviétiques» quand elle sait ce que signifie une telle expression tombant d'une telle bouche n'a pas envie d'employer le langage des théoriciens : elle appelle « contre·révolution » ce qui a succédé à la Révolution de 1917, et
~ 3
,~
La fllle de Staline
contre·révolution comme il n'yen eut jamais de plus ample, de plus hypocrite, de plus sanguinaire. Ce n'est pas d'un coup que les écailles lui 99nt tombées des yeux. Enfant préféré du dictateur, jusqu'à son adolescence, elle était moins préparée que personne à dé· couvrir la vérité. Il aura fallu le suicide d'une mère, la déportation d'un premier amoureux, coupable d'être juif, l'envoi en Sibérie de deux tantes « qui en savaient trop » et l'exécution de quelques oncles, les coups de téléphone qu'on surprend et qui ne laissent aucun doute sur la responsabilité du père en tant qu'assassin, la découverte de la vraie histoire de la Révolution et du Parti alors que l'esprit se for· tifie et rejete les nourritures frelatées, il aura fallu tout cela pour refuser de continuer à croire que Staline incarne, comme on l'a enfoncé dans la tête de millions de Russes et d'autres millions d'hom'mes à la surface de la terre, « ce qu'il y a de plus beau dans l'idéal du communisme D. « Chef génial », doué d'une « toute-puissance infail· lible li ? Avant que son père meure et avant « les demi-efforts bien timides de cette tête de cochon fan· faron et bon bougre », Khrouchtchev, pour lever une partie du voie le, Svetlana sait que l'homme dont elle est la fille est un despote à la façon de ses prédécesseurs, les tsars, un tyran d'autant plus redoutable 'VI'il règne au nom d'une idéologie qui prétend abattre toutes les tyran· nies. Déjà, lors de son entrée à 'l'Université, elle avait voulu se débarrasser du nom qu'elle portait : .Stalina, et qui lui pesait (mais, au regard du Chef, elle sut immédia· 'tement ce qu'il lui en coûterait), le père, mort, elle le répudie en adoptant le nom de sa mère. Les circonstances dans lesquelles 'elle 's'est échappée de Russie la peignent autant que ses déclarations. Après avoir divorcé d'un deuxième mari (le fils de Jdanov) et avoir eu un enfant du premier comme du deuxième, on ne saurait affirmer qu'elle tombe amoureuse du « vieil Indien malade D - il a dix-sept ans de plus qu'elle et elle va sur la qua· rantaine - qu'elle rencontre dans le couloir de l'hôpital où ils se font soigner tous deux. Il est déjà extraordinaire qu'elle rencontre un Indien dans un hôpital et plus extraordinaire encore qu'elle ose lui parler. C'est l'ère post-krouchtche. '. vienne : les étrangers (il s'agit de membres des partis frères) ne sont <
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plus comme du temps de Staline systématiquement parqués, bien qu'il soit mal vu de leur adresser la parole. Svetlana enfreint les consignes: la douceur de l'homme, le fait qu'il vienne d'ailleurs et qu'elle puisse parler avec lui en anglais, une certaine volonté de défier les imbéciles de l'Appareil et de faire la nique au règlement, la font se rapprocher de lui. Au point qu'il devient question de mariage. Alors, les Kossyguine et les Souslov se fâchent. Une loi khrouchtchévienne, fruit d'une déplorable libéralisation, permet au mari étranger d'emmener sa femme. Voit-oJi la fille de' Staline préférer, un autre pays à sa patrie bien-aimée, s'installer en Inde, et, qui sait ? faire des décla· rations à la presse? On renvoie
teurs. Expérience cuisante : « Le passage de ma Russie du black-out au monde de la « liberté de la presse » était si violent, et si brus· que, que j'avais l'impression qu'on m'avait écrasé les os ». Il lui faut faire l'apprentissage du Nouveau Monde, qui est aussi le monde capi. taliste, avec ses tares, ses injustices, sa férocité. C'est lui qu'elle choisit malgré tout en brûlant solennellement son passeport soviétique. Elle ne doute pas qu'une autre sorte de solitude l'attend. A mettre l'accent sur un person· nage, aussi attachant et sur son audacieuse aventure,' on risque de perdre de vue l'essentiel: l'extraor· dinaire document de première main que constitue son ouvrage et la ré· vélation circonstanciée de ce qu'est
tout ce qui ne regarde pas son uni., que passion : l'exercice du pou. voir, absolument dépourvu de tout trait diabolique : l'expérience du séminaire lui a appris à considérer les hommes comme un troupeau qu'il faut « abuser pour le tenir à sa merci», une conception ultraprimaire du marxisme lui a fourni un certain nombre d'autres recettes. « L'invention d'un monde micachots mi-casernes, voilà le fin du fin des « immenses mérites historiques D de mon père D. Encore une fois, elle ne prétend pas avoir la tête politique. Les dignitaires du régime (pauvres dignitaires qu'un clin d'œil du maître envoie ad patres) jouissent d'énormes privilèges pour le temps où ils sont en faveur et, apparaissent comme les délégués de la toutepuissance. Pour Svetlana qui les a approchés de très près, ce ne sont que de pâles, marionnettes (comme Molotov qui va jusqu'à' dire oui à la déportation de sa femme : elle a le tort d'être juive), ou des incapables, comme Kaganovitch - qui «Ch•• lui, le premier mouvement était toujoura prémé- fait raser les plus beaux monuments de Moscou - ou des faibles, comdité: aSlI&ssiner 8es adversaires. Pour le reste, on verrait me Jdanov, qui ont besoin d'une forte armature dogmatique et qui, plus tard». au besoin, la créent, ou des roués comme Mikoyan, ou des caractériels comme, Béria. Tous ignorants d'une réalité qui ne passe pas la porte de leurs luxueuses datchas (ors, mare bres, tentures, tapis et porcelaines, chez lui « le vieil Indien malade » la vie en URSS, tant dans les hau· collections coûteuses) et tous par(alors, dit Kossyguine, qu'il existe tes sphères que dans l'intelligentsia faitement cyniques. A la diffé~nce tant de « sains et beaux jeunes et parmi les non-conformistes. des Boukharine, Zinoviev, Radek Russes») et un an et demi s'écoule Svetlana brosse à nouveau un por· - qui ont aidé Staline à se hisser avant que, par faveur diplomatique, trait de son père, plus nuancé que au pouvoir - ils ont continué de il revienne occuper un poste de tra· dans les Vingt lettres, mais sans plier l'échine et s'en félicitent : ducteur à l'Institut de Littérature doute plus féroce : c'était, dit-elle, c'est grâce à une obéissance de tous mondiale. Il revient pour mourir. « essentiellement un homme sans les instants qu'ils ont pu survivre, Pourquoi faut·il que Svetlana se instruction », un ignorant qui tran- fût-ce en tremblant. mette en tête de respecter l'envie chait de tout sans rien savoir et Plus rafraîchissante est la peine qu'il avait de savoir ses cendres qui avait le redoutable pouvoir de ture que fait l'auteur de ses amis : jetées dans le Gange et se propose « simplifier les choses », de les « ré. Andrei Siniavski, avec qui elle traelle-même pour ce pieux devoir? duire au niveau pratique ». « Chez vaillait étroitement à l'Institut de Passons sur la suite de 'l'histoire, lui, dit-elle encore, et cela fait froid littérature mondiale et dont elle a pourtant passionnante et révélatri- dans le dos, le premier mouvement osé prendre publiquement la défence, qui lui fait découvrir, dans le etait taujours prémédité : assassi· se; Berta, fille d'un Noir et d'une Juive américains - révolutionnai· village de Kalakankar, non, certes, ner ses adversaires. Pour le reste, « l'homme nouveau», mais des on verrait plus tard D. Cette même res enthousiastes des années trente « simplicité », on la' retrouve dans - que les bureaucrates voudraient hommes vrais, et la fait aboutir après des heurts sans nombre, des la vision que Staline se faisait des transformer en uzhèque en dépit de tracasseries infinies suscités par autres : « il y a les plus forts que la couleur de sa peau (laquelle lui ceux qui la tiennent au bout d'une soi, dont on peut avoir besoin ; ceux vaut d'ailleurs maintes avanies) et qui devient spécialiste de l'Afrique laisse, ses compatriotes, à l'am- de même force, chez qui il faut sans avoir pu y mettre le pied; bassade américaine de Delhi, puis, voir des gêneurs, et les moins forts après un transit de plusieurs semai- que soi, qui ne servent à rien D. Alyocha, le musicien qui n'a jamais nes en Suisse, aux Etats-Unis. Elle Sauf dans les dernières années de pu se faire entendre et sa mère, p0éavait fait passer entre des màins sa vie, où le délire de persécution tesse qui n'a jamais eu le droit de amies le manuscrit de ses Vingt l'emporte, il est un homme froid et ' publier; les savants de l'atome et Lettres, son seul viatique, et la voici raisonnable, maître de ses émotions, des fun dont les RU88e8 ignorent précipitée IOUI le feu des projéC "désintéressé et même ascétique pour o
~
ROMANS
Une forme ouverte
La ftlle
~ de Staline FRANÇAIS
les noms ; Essénine-Volpine, fils du poète fameux et mathématicien, qui a trouvé une forme originale de contestation : il réclame et exige le respect de la loi; Fanny Nevskaia, l'actrice au franc-parler qui brocarde les importants. C'est là le tissu vivant dont est faite une Russie qui existait déjà du temps de Tolstoi et de Dostoïevski, et qui vit, travaille et souffre, aspire à la liberté. li( Quand tu rentreras chez toi, Andrei, écrit Svetlana à l'adresse de Siniavski, tu retrouveras ta femme, ton fils, tes amis. Ta place en prison sera prise par ceux qui ont condamné un écrivain innocent. Telle est l'histoire de Russie, sinistre, inexplicable, grotesque ». Pourtant, le dictateur a fini par mourir. Chose inouïe : il a même été officiellement condamné en raison de ses « crimes ». Dès que « la foudre frappa le sommet de la montagne », écrit Svetlana, « on entreprit de respirer, de parler, de penser, on se mit à se promener, dans les rues, d'un pas naturel. Moi parmi eux ». On croit que « le jour ~tait arrivé de ne plus trembler pour sa vie, celle de sa famille, celle de ses amis », et les libérateurs se présentent en foule : Béria, Malenkov, Kaganovitch, Molotov, Boulganine. Après quelques révolutions de palais, Krouchtchev l'emporte et c'est poussé par tout un courant qu'il révèle l'envers du décor précédent. Lui aussi, hélas! avait été complice : il s'aperçoit qu'à vouloir « tout mettre sur le dos du mort formidable », c'est «discréditer formellement le Parti» et parce qu'il n'a pas le courage d'y faire des coupes sombres, le Parti, menacé, se retourne tout entier contre lui. Révolution hongroise, révolte des étudiants géorgiens et révolte des ouvriers de Novotcherkassk : voici Khrouchtchev entre deux feux. Et qui s'applique à scier la branche sur laquelle il est assis. Après quelques années, où du moins l'air du dehors a pu pénétrer jusqu'à revigorer l'in· telligentsia, la chape retombe. Pour combien de temps encore ?
La réponse, comme la conclusion du livre de Svetlana Allilouyeva, appartiennent à l'avenir. Et chacun sait, Svetlana la première, que c'est pure illusion de croire qu'on peut se contenter de tirer individuellement Sôn épingle du jeu. Elle a' raison de faire confiance aux « hommes· d'Espérance» dans leur combat contre les «hommes de Mémoire ». Mau1'ÎCe N~au
w.
QuiDame Jj.t~,.ue, du 16
GU "
Philippe Boyer Mots d'ordre Change Seuil éd., 216 p.
1
Forêt de symboles ou récit d'aventures, roman d'amour ou débat ontologique sur le livre qui s'écrit? Mots d'ordre, le premier roman de Philippe Boyer,. ne Hotte pas entre ces possibilités, il semble chercher plutôt à les rassembler, à intégrer tous les possibles, et si solide que soit sa substance, il demeure une forme ouverte que seul l'interprète, le lecteur, s'y glissant, aura le droit de fermer sur soi, derrière soi, pour soi. Ce que l'on peut dire d'un tel livre est donc terriblement sujet à caution, subjectif. Dans sa cons· tante mobilité (bonds en avant, bonds en arrière, frissons de peur ou de désir qui ne cessent de trou· bler la phrase la plus limpide), dans la remise en cause, d'une page à l'autre .et jusqu'à la dernièrp., jusqu'au dernier mot, de tout ce qui a été dit avant, cet ouvrage n'offre au premier abord qu'un chatoiement de questions sans réponse, un perpétuel débat venu de sphères de l'esprit où vivre est particulièrement incommode. C'est le jeu, et il faut l'accepter comme tel, comme ce « jeu du pendu» qui, réduit longtemps à un rôle contrapuntique, surgit à la fin comme l'activité essentielle, (ré)génératrice, et dont la solution (éventuelle mais plausible) est : un objet auquel on n'aurait pas pensé jusque.là, de désir tendu, visant au centre (ici même) : ne visant désormais qu'un but ima· ginaire, toujours sûr de l'atteindre. Cet objet c'est l'arc, suggèret·on. Mais pourquoi pas la pensée créatrice, ou même le stylographe ? Et le but, pourquoi pas le livre à écrire?
Le but, pourquoi ne serait-ce pas non plus une femme rêvée, de rêve, avec qui un accord tacite pero met. enfin l'apaisement, donc le silence (le livre se termine sur cet « accord») ? Car, auprès des trois hommes de ce roman, hommes qui sont bien évidemment le même, en trois faces, phases, de sa vie, quantité (une société,. un monde) de femmes désirées vont et viennent, blondes et brunes toutes _ sculpturales, hiératiques, dllnge.
livmr
1970
reuses, et la moins énigmatique n'est pas cette femme vêtue de noir (la mort?) qui marche la nuit dans les rues de la ville, sa· chant bien que celui qui la re· garde finira par la rejoindre. L'amour joue donc, lui aussi et, bien sûr, avec la mort. Comme, au sein de l'Organisation omnipré. sente et à laquelle chaque individu est peut-être affilié sans le savoir, les bourreaux jouent avec leurs victimes (les uns et les autres interchangeables). Le Patron de l'Or. ganisation, qùi ne quitte guère sa « bibliothèque » (et observatoire) paradoxalement débarassée de tous les livres, est aussi la marionnette de ceux qu'il dirige, jusqu'à ce qu'il soit mystérieusement mis « hors jeu ». . Ces quelques coups de sonde ne peuvent rendre compte que de certains aspects de ce livre, riche,. complexe et difficile. C'est cette richesse, .cette complexité et cette difficulté (qui ne frôle la gratuité qu'à cause de partis pris très actuels de présentation), que précisément ils tendent à souligner. La mer est profonde, et son fond accidenté, mais les eaux sont pois. sonneuses, et chacun doit y faire bonne pêche: il suffit d'être attentif et patient.· Il y a enfin, dans Mots d'ordre (un ordre que Philippe Boyer, en véritable écrivain, a imposé aux mots : son ordre), une volonté presque musicale, un lyrisme sous-jacent, qui donnent aux jeux de l'intelligence la di· mension plus humaine d'une blessure. Lionel Mirisch
MALTHUS les principes d'économie politique Préface de J. -F. Faur!t-Sou/et
14.40F
QUESNAY le tableau économique des physiocrates Préface de MIchel Lutfalla
11.40F
à paraitre :
TURGOT écrits économiques
J.-B. SAY cours d'économie politique
ARTHUR InESUER Le démon de Socrate. .. CALMANN-LEVY
1 •
IN:f:DIT
Solal et Mangeclous
1
Alhert Cohen
Les valeureux
Gallimard éd., 362 p.
Les Solal de Céphalonie, lié. par un cousinage qui les emplit d'orgueil; assument chacun dans son style propre la condition diffi. cile qui est celle des Juifs de la Diaspora. Saltiel est un exemple de piété, de respect sans faille pour la Loi dans son antique tradition. Salo· mon, petit homme ingénu qui vend de l'eau d'ahricot, adore Dieu et sa création avec un en· thousiasme attendrissant et non dénué de quelque niaiSerie. Lé somhre Mattathias, convaincu que pour un Juif vivre est un luxe qui 8e paie cher, amasse les sous avec une fixe âpreté, obsédé par le sen· timent qu'il n'aura jamais asez d'argent pour se racheter, en cas de malheur. Michaël, toujours luisant de transpiration, se voue à un donjuanisme sans frein : quand il paraît, les femmes au moins démontrent qu'elles ne sont pas contaminées par l'antisémitis. me, - et Michaël vole de victoire en victoire'. Quant à Mangeclous, - persona nage de très haute fantaisie, grand dévoreur, grand rêveur, myth,oma. ne, mégalomane, cyclothymique, toujours au bord de la gloire et de la fortune ou à deux pas du suicide, péroreur incessant, - par sa truculence, sa grandiloquence, l'excès de ses élans comme l'excès de son langage, - il fait penser parfois aux plus belles inventions de Dickens, ou de Céline, ou de Rabelais. En reprenant la geste de ces Valeureux, Albert Cohen avertit le lecteur que nous sommes cette fois en 1935, c'est-à-dire avant l'époque où se situe Belle 'du Sei. gneur. Et si le Solal de Genève (important personnage à la Société des Nations) n'apparaît pas en personne dans ces pages, il est pourtant heaucoup' question de lui, en son ahsence, puisque ce hrillant neveu de Saltiel a envoyé aux Valeureux un chèque confor. tahle pour qu'ils se transportent à Genève auprès de lui. Après des adieux emphatiques à Céphalonie, Mangeclous ayant, devant le public, serré sur son cœur ses trois petits garçons en redingote et gihus, mais toujours pieds nus (<< pingouins », «pin. gouillons », dit le narrateur), les
•
Albert Cohen.
cinq cousins s'emharquent dans des tenues houffonnes (frac, et souliers à crampons, - ou hien smokings,chaussures de tennis, et masque d'escrimeur, par exemple) dont chacune, a été longuement méditée, son incohérence apparente couvrant de profondes raisons, des raisons de sécurité. Mangeclous emporte, avec force victuailles orientales, le titre prestigieux de recteur de l'Université de Céphalonie, - titre d'autant plus enviahle qu'il se l'est conféré lui.même, fondant ladite université dans son propre appartement, à savoir trois caves en Èmfilade où il vit avec l'ohsèse Rehecca son épouse «< je salue tes cent vingt kilogs, jardin de mon cœur »), les trois pingouillons merveilleusement intelligents (à six ans Eliacin, l'aîné, poursuit les travaux d'Einstein, et réfute avec autorité les thèses du prince de Broglie), - et deux longues filles somnolentes, Trésorine et Trésorette, qu'on aura bien de la peine à marier, vu leur absence conjuguée de dot et de heauté. Mais toute cette cocasserie, invention débridée, semhle·t.il déguise et en même temps révèle les contradictions de la condition juive dans ce qu'elle a, en fait, de moins amusant. Parfois, rarement, il est vrai, le récit crève comme une bulle, et le lecteur éhahi se trouve face à face avec Albert Cohen, qui pense à sa mort, à sa mère, à la guerre, aux désastres de l'extermination dans les camps. Le temps à 'peine d'entrevoir
l'écrivain à sa tahle, - et repa· raissent, haguenaudant, se chamaillant, et prenant le Ciel à té· moin, les cinq Céphaloniens en voyage, grotesques, grandioses, solennels, tantôt haisant le sol crasseux de la France sur le quai de déharquement, et tantôt obser. vant une minute de silence devant la tomhe du Soldat inconnu. Epris d'honnenrs et de recon· naissance officielle, ils s'appellent eux-mêmes « délégation françai. se» (puisque leurs papiers sont français) ; ils écrivent au prési. dent de la République, et à la reine d'Angleterre, sollicitant sans rougir des titres, des fonctions" des décorations de toutes sortes. Mangeclous ne va-t-il pas jusqu'à briguer une charge de cardinal" où il assure qu'il ferait merveille, à condition, bien entendu, qu'on ne lui demande pas de se convertir, car il est un hon Juif. Nous ne sommes pas très loin alors de la raillerie d'un Patrick Modiano, quand il invente les fol. les tentatives et les incroyables prétentions de Raphaël Schlemilovitoh. Ici aussi, la difficulté d'être juif se manifeste, par une extravagance qui n'est pas inexplicable. Le grand problème de l'adaptation qui ne doit pas être, pour le Juif religieux, une assimilation totale où son identité se perdrait, - on en voit chez les Valeureux, la di· mension écrasante. Est·ce un problème insoluble ? Les Solal de Céphalonie, en 1935, rêvent d'un futur état juif. Et Mangeclous s'interroge sur ce que seront les Juifs de cet état : « ... pourvu aussi qu'i:ls ne 'deviennent pas trop bronzés. Ccu si tu es bronzé et heureux et blondinet, :tu deviens moins intelligent et en. quelque sorte hoUanJdais.» Indigné, Saltiel s'écrie: « Et parfaitement, mon cher, nous deviendrons normaux, nous serons comme les autres, nous ne serons plus étrangers et malheureux ! » « Et s'i'l me plait à moi d'être anormal et étranger! cria Mange. clous. Et pas comme les autres, et même malheureux! Non, monsieur, je ne renoncerai pas à cet honneur! Anormal je suis, anormal je resterai, et grand profit me fasse !... » L'orgueil et la mélancolie de ce choix se lisent en filigrane au long de ce roman plein de verve et de drôlerie, où le comique n'est que la part visihle de l'iceherg. /O$4Re
DuranteGu
La lettre d'André Gide que nous publions ne comporte ni date ni signature. Elle est adressée à Léon Blum, alors président du Conseil, et les événements auxquels elle fait allusion laissent penser qu'elle a été écrite en décembre 1936. Dans le « grand proscrit », on aura reconnu Léon Trotsky. Celui· ci avait bénéficié de l'exil politique dans notre pays, de l'été 1933 au printemps 1935, au milieu de tra· casseries sans nombre suscitées par les communistes français (1). Il est victime d'une mesure d'expulsion après que Laval est revenu de Moscou, en mai 1935, où il a conclu avec Staline les fameux accords sur la nécessité pour la France de « pore ter son armement à la hauteur des impératifs de sa défense nationale ». La Norvège, où le parti travail· liste vient de gagner les élections, accorde l'autorisation de séjour qu'avait sollicitée l'ancien compagnon de Lénine. Il débarque dans ce pays le 18 juin 1935 et y écrit la Révolution trahie. Entre paren· thèses, on trouve dans l'ouvrage ce passage sur Léon Blum et les « nouveaux amis de l'URSS » :
Léon Blum, qui fut l'adver· saire du bolchévisme dam sa période héroïque e t 0 u v rit les pages du Populaire aux cam· pages contre l'URSS n'imprime plus une ligne sur les crimes de la bureaucratie soviétique. De même que le Moise de la Bible, dévoré du désir de voir la face divine, ne put que se prosterner devant le postérieur de la divine anatomie, les réformistes, idolâ· tres du fait accompli, ne sont capables de connaître et de reconnaître que l'épais arrière-train bureaucratique de la révolution. Trotsky, qui s'est engagé à ne pas s'immiscer dans la politique inté· rieure du gouvernement norvégien, ne tarde pas, cependant, à ê.re l'objet de mesures vexatoires et de persécutions. Le 6 août 1936 dans la nuit, alors qu'il était absent de son domicile, une bande, officiellement qualifiée de « fasciste D, tente de s'emparer de ses archives: les cambrioleurs étaient déguisés en poli. ciers. La « droite» accuse les travaillistes au pouvoir de donner tou· te facilité à Trotsky pour « fomenter la révolution et troubler les relations internationales de la Norvège ». C'est précisément le moment où des mesures restrictives pour sa liberté de mouvement et d'expression sont prises à l'encontre
Une lettre d'André Gide de l'e~é par le ministre de la justice. Trotsky est finalement arrêté et trans~rté au bord d'un fjord sous la surveillance de treize policiers. Heureusement, le Mexique accepte' de lui donner l'h~italité. C'est qu'entre-temps avait commencé, précisément en août, le premier" des Procès dits de Moscou. Zinoviev et' Kamen~v figuraient parmi les seize accusés à qui l'on reproche (faussement) de s'être mis aux ordres de Léon Trotsky pour assassiner Staline, affamer le peu-
Mon cher ami, On fait, de nouveau, appel à notre amitié pour me demander d'Intervenir auprès de toi : Il s'agit encore du grand proscrit. Après avoir refusé, le Mexique accepte de l'hospitaliser, tu le sais. D'autre part il est à expira· .tlon du bail (si j'ose dire) avec la Norvège; prêt à partir; mais gagner le Mexique n'est pas chose aisée. La question se pose -ou, du moins, on me demande officiellement de te la poser: le gouvernement français lui accorderait-II le transit (avec protection assuréè) le temps de passer d'un bateau sur un autre. Forcé de quitter Paris ce soir, et regrettant de ne pouvoir attendre ta réponse, tu voudras bien donner celle-cl à Magdeleine Paz qui saura la transmettre. Dols-je 'ajouter qu'II y a urgence. Bien avec toI. J'al, en vain, cherché à te téléphoner ce matin.
pIe russe, faciliter l'invasion de l'URSS par les impérialistes selon des directives données par Hitler et le Mikado. Trotsky, dans des articles ou des déclarations à la presse, réduit à néant ces accusations fan. tastiques et révèle les vrais buts de SiaIine, ce qui ne plait ni' à l'intéressé ni au gouvernement soviétique, ,qui mettent en demeure le gou_vernement norvégien d'expulser « l'indésirable » sous peine de voir le commerce maritime de la Nor· vège (4" flotte marchande du monde) boycotté. Les ministres socialistes s'inclinent: « Nous ne pouvons pas sacrifier à Trotsk..y:. les intérêts vitaux du pays!» s'écrie l'un d'eux. La Quiœaino littéraire. lu. 16
lm
Léon Trot!ky
exprime dans Retour de l'URSS et Retouches.... Gide ne peut être in· sensible au sort d'un des deux prin• cipaux artisans de la Révolution d'Octobre désormais condamné à l'errance et en butte aux persécutions de son tout.puissant advel'saire. Déjà, avec Romain Rolland, Gide était intervenu en faveur de Victor Serge, grâce à eux libéré des prisons staliniennes. Et, dans une lettre à Jean Paulhan, récemment publiée dans la N.R.F.• il proteste contre un article de Cingria qui parlait dans cette revue avec un peu trop de désinvolture du « grand proscrit ». Si An~ Gide n'agit pas de sa propre initiative (la lettre que nous publions semble l'indiquer), du moins ne cache-t·il pas sa sympathie à l'exilé en un moment où la plupart des intellectuels franç$ dits de gauche tressent des couron· nes au· « Père des peuples » et app~uvent bl'\lyamment les Procès de Moscou. "
La lettre d'André Gide à Léon Blum.
Trotsky, avant de s'embarquer pour le Mexique, craint pour sa vie. Il sait que Staline cherchera à l'atteindre par tous les moyens, fût-ce en plein Océan, et il envoie à son avocat parisien, notre ami Maitre Gérard Rosenthal, cette lettre qui en dit long : (... ) Il paraît qu'on veut nous faire partir demain. Je m'abstiens des commentaires sur les conditions de ce départ. En tout cas je vous fais comme à mon avocat la communication suivante : s'il nous arrive, à Nathalie et moi, quelque mauvais tour en route ou ailleurs, c'est Léon Sedov, mon ,fils, qui devrait d4· poser de tous mes « biens »,
28 fivrier 1970
c'est-à-dire des paiements des dif· férents éditeurs. Je vous remer· cie bien pour votre amitié agissante. Nous vous embrassons tous deux chaleureusement. Nos saluts les plus cordiaux à tous les amis. Qu'on envoie immédiate· ment a~ Mexique tous les matériaux et lettres. Salut et fraternité! V'otre Léon Trotsky. Léon Sedov, tout comme son père, sera assassiné par les Services secrets staliniens, mais c'est le père qui survivra au fils, pour peu de temps, il est vrai. On voit mieux le sens de la dé· marche d'André Gide auprès de son ami de jeunesse Léon Blum. Revenu d'URSS avec les sentiments qu'il
, Maitre Gérard Rosenthal nous fait remarquer que' Léon Blum n'eut pas à faciliter le transit de Léon Trotsky par la France"et pour cause : embarqué de fôrce vingtquatre heures avant la date fixée pour le départ du bateau, Léon Trotsky, accompagné seulement de sa femme. débarque le 9 janvier 1937 à Tampico. Le voyage a duré vingt-et-un jours. Il n'y a pas eu d'escale. (1) Un article de Jacques Duclos publié en décembre 1934 dans l'Humanité, parIait des «mains de Trotsky couvertes de sang de Kirov". «On salt que c',est Staline qui fit assassiner 80n' fidèle disciple et dauphin éventuel).
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LITT• •ATU• •
Henry JaBles ou Léon Edel The Life of Henry lame!, The treacherous Years 1895·1901. N.Y. 1969.
I
Maud.Evelyn. La Mort du Lion. Introd. par Tzvetan Todorov, Trad. par L. Servicen. Aubier-Flammarion éd.
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Un Portrait de Femme, trad. par Philippe Nee!. Stock éd., 702 p.
Gustave Flaubert, trad. par Michel Zeraffa. L'Herne, 156 p.
Henry James, dont tout le souci fut d'élaborer une technique des points de vue, se· rait sans doute agréablement chatouillé de voir la multipli· cité d'approches que son œu· vre suscite. Si, au terme de son Introduction à Maud Evelyn et à La Mort du Lion, Todorov, avec la grâce d'une pirouette, conclut au sujet de James ; • Aucun événement ne marque sa vie; il la passe à écrire des livres; une vingtaine de romans, des nouvelles, des pièces de théâtre, des articles. Sa vie, autrement dit, est parfaitement insigni· fiante (comme toute présen· ce) ; son ~uvre, absence essentielle, s'impose d'autant plus fortement -, Léon Ede!, lui, vient de nous donner le tome IV d'une remarquable biographie à laquel.le il se consacre depuis trente ans, dont chaque page dénote l'in· fluence de l'événement vécu sur la scène de l'imaginaire. D'un même écrivain, il y a, nul doute, plusieurs lectures.
A celle proposée. par Todorov, on peut opposer une autre approche qui mettrait autant l'accent sur le pourquoi de l'œuvre que sur le comment, où le comment, dans une certaine mesure, serait commandé par le pourquoi. Points de vue inconciliables ou complémen. taires ? Fidèles à l'esthétique jamesienne, laissons au lecteur le soin de conclure. Précisons tout de même combien il importe de ne point perdre l'au· teur lui·même de vue, sa singula. rité, la puissance unique de sa
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vISIOn; aussi bien écoutons James parler de lui-même dans cette ad· mirable autobiographie qu'est A Small Boy and Others écrite dans sa vieillesse: « Mon principe domi· nant, je l'avoue, et celui par lequel je ne cesse aujourd'hui d'être guidé est que, dès qu'il s'agit de proje. ter une image, il n'existe point de fragment, si minime soit·il, qui n'ait son importance pour la mémoire ou qui ne puisse servir de quelque façon à l'esprit... » Ces faits minimes provoquent en James des « vibrations » grâce auxquelles l'écrivain est à même de composer son œuvre. Vibrations si ténues, si subjectives, que Percy Lubbock, dans son édition des Lettres de James met en doute la possibilité d'écrire une biographie de James: seul l'auteur lui·même serait capable de juger, de peser, de présen. ter les événements de sa propre vie. De quelque façon que l'on ajus. te sa lunette, et à plus forte raison si l'on se sert de la lorgnette psy· chanalytique (une méthode comme une autre) ce qui ·ne cesse d'appa. raître chez James, c'est cette subtile interaction entre l'extérieur et l'intérieur dont tant de critiques ont dernièrement dégagé l'importance depuis Jean Delay dans présentation de la correspondance Martin du Gard-Gide jusqu'à· Marcel Moré dans son essai sur Verdi.
sa
Sur cette imbrication du vécu et du créé, sur cette rencontre (unique) entre une certaine sensibilité et le spectacle de la vie, James insiste d'ailleurs longuement dans sa préface aux Dépouilles de Poynton, texte capital pour saisir sa conception de la création. James s'y explique sur la collaboration entre le fait et l'auteur fécondé, comme sur celle entre l'auteur fécondant et le fait choisi : sans le créa· teur, le fait resterait parcelle perdue au sein du chaos. « Rien n'est moins commùn qu'un œil perspi. cace, capable de discerner un su· jet... La vie étant toute inclusion et confusion, et l'art discrimination et sélection, ce dernier, en quête de la valeur latente et durable qui seule lui importe, flairera cette substance avec un instinct aussi sûr que le chien flairant la présence d'un os enterré ». L'accent est donc mis sur la vi· sion, sur la qualité de celle.ci, sur le tri que doit opérer la sensibilité, cette sensibilité dont on disait à la fois le caractère unique et la vulné.
rabilité, et que James qualifie de « terrain» ( sail) où le fait prend racine. Dans cette préface, le voca· bulaire de James s'inspire conti· nuellement du biologique (germe, graine, essence féconde, aiguillon, virus, idée-germe) comme s'il rapprochait l'élaboration artistique de la gestation. Analyse de la création qui donne à réfléchir: d'une part il apparaît combien serait artificiel de dissocier la graine du terrain, le matériel de l'intelligence qui rem· ploie, en coupant le cordon ombi· lical entre l'écrivain et l'écrit puisque c'est la sensibilité qui capte ou écarte; d'autre part on saisit coma bien l'art et la vie, loin de s'opposer, se nourrissent l'un de l'autre, l'art étant de la vie transfigurée. De plus, les « ~vénements» ne manquèrent point dans la vie de l'écrivain. Pour n'en citer que quel. ques·uns : en mai 1844, alors que le jeune Henry n'a qu'un an et demi, son père a la vision d'une « forme fétide » tapie dans un coin de sa chambre, apparition maléfi· que qui «brisa sa virilité ». (Il avait été, par ailleurs, amputé d'une jambe à treize ans). Mort en 1870, à l'âge de vingt.quatre ans, d'une douce cousine angéliquement révérée, Minny Temple; mort, en 1892, de la sœur cadette et bien aimée d'Henry avec qui « il se sen· tait marié », Alice James, qui n'avait cessé toute sa vie d'osciller entre la folie, l'appel du suicide et une passion frénétique de la vie. Mort, par le suicide, en 1894, d'une amie et confidente de James, Miss W0015On, qui se tue à Venise. Même s'il n'y avait pas eu autant de drames dans la vie de James (quoi. qu'ils expliquent l'importance que tient dans l'œuvre le culte des morts), les mémoires (1) dont on parlait plus haut, si révélateurs d'une démarche qui exige toujours de remonter le cours du temps, montrent à quel point il n'existe pas pour cette sensibilité si parti. culière de fait insignüiant. Les quarante premières pages de A Small Boy and Others sont particulièrement frappantes : les souvenirs y sont évoqués, non pas à l'ombre du père, dont on a vu qu'il était lui·même un être diminué, fantomatique, mais à travers le frère ainé, William. De même on de· meure frappé pàr la vision des femmes, toutes dépeintes au premier plan, composant un monde matriar· cal impérieux, qu'elles soient femmes de la famille, nurses ou institutrices, tandis que les personna-
ges masculins sont relégués dans une aimable nullité ou entourés du prenant mystère (rich mystery) que confère l'absence. Alors revient en mémoire cette .galerie de persona nages évanescents qui n'eussent point existé tels quels si l'enfance d'Henry eût été düférente : le mari berné et boîteux de sa première nouvelle A tragedy of Error (1864) que sa femme veut faire assassi· ner; le sourd mentionné dans un canevas des Carnets dont on espère qu'il sera un mari complaisant et aveugle; le mari Touchett dominé par son épouse dans le Portrait de Femme; le père de Kate, Lionel Croy, que James se reproche de n'avoir pas assez fortement dépeint dans les Ailes de la Colombe Il ne fait qu'entrer et sortir, pauvre apparition qui aurait dû être belle, éblouissante, accablante»); les fi· gures du père absent, du tuteur démissionnaire et du ft! '1tôme pero vers dans le Tour d'Ecrou.
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La scène de la bougie éteinte Non moins importante que la « faiblesse » de l'image virile pater-
nelle (en regard de la présence usurpatrice de William) apparaît le choix des scènes conservées par la mémoire de James. Citons celle de la bougie éteinte: James avait en· viron dix ans, William onze, lors. que leur institutrice Lavinia leur apprit comment éteindre une flam· me en se saisissant de la mèche en· tre pouce et index. Expérience ja. lousement « épiée» par le cadet, que l'aîné reproduit aussitôt, mais qu'Henry se refuse à effectuer, au grand mépris de Lavinia. Bien sûr, lui dit-elle, vous avez peur. Vous n'êtes pas comme Lui. Episode où l'on peut être tenté de voir tout un rés eau d'associations jamesien (flamme, bougie, peur, ressenti· ment) exactement comme dans l'Autel des Morts. Mais même sans prétendre se servir de cette « grai. ne» pour interpréter et conclure à une double castration (si le père a manqué, le frère et les femmes ont marqué) on ne peut qu'être saisi par la singularité du terrain qui enregistre urie si bénigne humi· liation, par l'approche craintive et détournée de l'action (la scène est « épiée », c'est la femme qui dirige et le frère qui triomphe tandis que le prot;agoniste se refuse à l'épreuve
la richesse des possibles du réel) que révèle cette scène enfantine, symbolique de toute l'optique jamesienne. Cette opproche indirecte du réel, qui a subi comme une altération dans son trajet, nous la retrouverons dans la vision du monde qu'ont les personnages du Portrait de Femme. Isabel Archer communique à travers la frigidité et le refus. Mais si elle incarne cette peur devant la vie, sur laquelle un du Bos a eu raison d'insister, elle célèbre à sa façon la revanche de l'écrivain, prÏ$e grâce à la création, puisque son personnage, ambigu, reste libre d'évoluer dans le miroir du lecteur : Isabel est-elle naïve ou pharisienne (ou les deux); son expé. rience débouche·t-elle sur la con· naissance ou sur le masochisme (ou sur les deux)? Autant de questions, autant de réponses. Si James est un nostalgique en proie à ce qu'on pourrait appeler une névrose du regret, n'est-ce pas d'avoir choisi dès l'enfance de remplacer l'action par la contemplation ? Ce choix est moins vécu comme une diminution que comme un point de départ pour de subtiles compensations. Evoquant le petit garçon rêveur qu'il fut, James écrit : li. Il pourrait avoir à se priver de beaucoup de choses, et même de tant de choses, comme c'est le cas de tous ceux pour lesquels la contemplation prend à ce point la place de l'action... mais en fait, je pense qu'il allait en tirer un profit infini» (1). Cette ambiguïté du li: voyeur », à la fois délivré des épreuves et maître à bord sur les plans spirituel et imaginaire est flagrante chez le Ralph du Portrait. James s'identifie également à des personnages ~n apparence éloignés : la frêle silhouette de Pansy, esquissée, disponible, sert le" besoin du créateur de se mirer dans l'inachevé, d'y contempler ses virtuali· tés, d'où, dans l'œuvre, toute une galerie de doubles rajeunis grâce auxquels les protagonistes" vieillis frôlent encore le futur. Et encore, James se retrouve jusque dans Madame Merle, à qui il confie le soin d'énoncer sa propre théorie de la personnalité; jusque dans la nar· ratrice de Maud-Evelyn, Lady Emma, li. prise au.. spectaCle D d'une macabre li. fantaisie à trois D au point d'avouer : « Je- crains après tout que mon anecdote ne soit un simple exposé de ma propre folie ». Loin d'être seulement un témoin, Lady Emma est celle qui, insidieu-
sement, provoque les confidences, mène le jeu sans lequel il n'y au· rait point de réeit, ll.On rôle se confondant avec celui de l'écrivain créateur. Ce que James vise à travers ce lien inteme qui le relie à ses personnages, c'est à explorer la richesse des possibles. Le roman apparaît comme le lieu idéll1 pour ceux que hantent les visag~$ d'euxmêmes demeurés inconnus. Si Gide disait que l'on écrit avec &es p0ssibles, si certains écrivains se consu· ment de curiosité pour ce qu'ils auraient pu devenir et subissent jusqu'à la folie la nostalgie d'être ce qu'ils n'ont pas été, encore faut·il faire le départ, pour les compren· dre, entre ce qu'ils ont choisi d'être, et ce qu'ils ont choisi de vivre de biais à travers leurs doubles.
La oomplezité de l'être Ce que toute œuvre ne cesse d'illustrer, c'est la complexité de l'être si multiple en ses facettes, si divers grâce à ses plans d'existence, qu'il devient illusoire de prononcer à son sujet le mot d'essence, comme il est téméraire de vouloir le saisir ou le juge~ : il est déjà réfugié ailleurs. Pourtant il existe; il est toujours quelqu'un par rapport à quelqu'un, ce qui prouve non point son néant, mais ses potentialités. Selon James, les personnages de Flaubert n'ont pas ces dimensions multiples. Aussi, malgré toute l'admiration qu'il voue au créateur d'Emma et à sa personnalité « cor· rompue» mais si peu « corruptrice », éprouve-t-il des réticences quant aux héros choisis. Loin d'accomplir le trajet d'une conscience qui s'élargit jusqu'à la révélation (trajet parcouru par l'héroïne du Portrait) Emma reste embourbée, li( conscience objet liée au monde par des sens et no"n par un regard », (2) vaincue par la bêtise. James exi· ge du mal qu'il ait "plus d'envergure et de la nature humaine qu'el,le ait plus de ressources; peu lui chaut la médiocrité des miroirs exigus. D'où un registre de thèmes par· ticulièrement riche : pour ne pù. 1er que des vingt premières nouvelles, voici quelques-uns des thè· "mes traités : désir d'être autre; l'horreur des ainés et revanche remportée sur les cadets; poids d'une fatalité pesant sur l'amour (la fem-
La Quinzaine littéraire, du 16 au 28 févrÛIr 1970
Henry lame&., jeune.
me, le mariage tuent); vengeance contre la femme vampire; regard posé sur un autre qui a vu l'amour (pour ne point dire le sexe); fascination du rival. Dans ces premières nouvelles, particulièrement violentes, le crime et le ressentiment jouent un grand rôle. Une vengeance plus secrete n'est-elle pas aussi le sujet de Maud.Evelyn où le jeune homme prend prétexte d'avoir été refusé par une Lavinia bien en chair pour se mettre à aimer une ombre? Amour dont il tire des joies tangibles puisque le voilà devenu li: gros sans embonpoint », li: replet, heureux, joli garçon », prêt à fuir les réalités charnelles dans la mort. li faudrait citer encore d'autres thèmes, ceux relevés par Jean-Jacques Mayoux dans sa pénétrante étude de James : le regret lancinant à la vue du trop tard ; li: la révélation de soi évitée au profit de celle des autres D, l'horreur de soi et la poursuite de l'échec; le refus de vivre, car li( vivre c'est se retenir de vivre pour conserver intacte l'imagination illimitée de la vie D (3); ceux analysés par Todorov (c présence de la quête, absence de ce qui la provoque D, c présence D du fantôme; la mort comme source de vie, le secret, rapports cie la vie et de l'écri-
ture) sans oublier celui de 1~homo se:lUalité lié, selon nous, au thème de l'imposture et du secret. Que le c secret D conceme "la sexualité, plusieurs critiques "l'ont suggéré (4). Le volume IV de Léon Edel apporte à ce sujet d'importantes (et de discrètes) précisions, avec la publication des lettres d'un James isolé, vieilli, au jeune sculpteur Hendrick Andersen, traité. dès la première rencontre en li( alter ego D. (N'ont-ils pas, fait remarquer Edel, le même prénom; ne sont-ils pas tous deux c artistes » et c cadets » ?). Curieux ton que celui de cette correspondance, à la fois angoissé et efféminé, étrangement matemel, au vocabulaire tactile qui rappelle brusquement quelque c h 0 se: l'étonnante scène où Isabel Archer est embrassée par Goodwood dans le Portrait. Le vertige qu'éprouve notre froide héroïne, qui nous vaut une série d'admirables images liquides insolites, trahirait-il des attraits et des effrois éprouvés par James lui-même? De plus, analysant le Tour d'Ecrou, ~del rappelle comment James a bien connu le sentiment qu'avait Miles d'être exclu d'un monde viril. Ceci à cause du danger que représentait la femme: danger lié aux fantasmes d'un petit
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Il n'était pas Henry que l'amputation patemelle inquiétait. (Sur ce sujet, on lira avec intérêt l'identification du fils au père mise en lumière par O. Mannoni) (5).
Si ce thème de l'homosexualité, dont il nous paraît être continuelle· ment question en sourdine dans l'œuvre, n'est pas le secret de James, ni la clef de l'œuvre, car il faudrait remonter plus loin pour en connaître les raisons secrètes et les clefs, cependant il projette un éclairage particulier sur l'univers du romancier, sur la texture et le choix de ses personnages. (Hommes imposteurs ou évanescents; fem· mes vampires ou femmes confidentes; sentiment d'exclusion qui ani· me tant de héros; quête-fuite et secret jamais dévoilé; atmosphère de société secrète, de complicité et de mystère; dialogues qui demeurent en suspens, incompréhensibles pour le tiers; désir et impossibilité des a v eux; multiplicité des « complots» etc). Une des toutes dernières nouvelles de James est à relire dans cet éclairage : La Tournée de Visites où l'escroquerie, tout comme la boisson chez Lowry ou le jeu chez Zweig, pourrait bien être le symbole d'un «vice» plus ca· ché. Des courants de communica· tions étranges, toujours entre êtres d'un même sexe, baignent d'ailleurs les romans les plus élaborés de James, où les personnages ont le plus d'épaisseur: Ralph et Osmond dans le Portrait ne communiquentils pas à travers Isabel ? Ainsi la présence de James se fait-elle continuellement sentir à travers l'œuvre qu'il a détachée de lui-même. Comme l'écrivait Wil· de : « La forme objective est en réalité la plus subjective. L'homme est moins lui-même quand il parle pour son compte. Donnez-lui un masque et il dira la vérité ». Diane Fernandez (1) Henry James: A Small and Others. Londres, 1913. Notes of a son and brother, Londres, 1914. (2) Michel Zéraffa j PersonJJ§ et pero sonnage (cf. 1étude d"Emma et Isabel) Kllncksleck 1969. (3) Jean·Jacques Mayoux Vivant. PI· 11er.. Julliard, Lettres Nouvelles. (4) Stephen Spender : The Destructive Element Londres 1935. Edmund Wilson ln The Triple Thlnker•. New York 1938. J.-B. Pontalls : Après Freud. Jul· liard, 1965. (5) O. Mannoni : Clef. pour l'lm. nalre, Seuil, 1969.
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H.P. Lovecraft Dagon et autres récits Trad. de l'américain par Paule Pérez Pierre BeHond éd., 352 p. Epouvante et surnaturel en littérature Trad. de l'américain par J. Bergier et F. Truchaud Christian Bourgois éd., 170 p. Lovecraft Cahiers de l'Heme, 380 p.
Lovecraft est depuis peu l'objet de démonstrations admiratives variées: éditions et rééditions coïncident avec la parution d'un recueil d'hommages, avec des expositions ou des spectacles autour de son œuvre. A-t-on découvert un nouvel Edgar Poe?
Inconnu de son vivant, ayant une vie étrangement recluse, Howard Phillips Lovecraft (1890. 1937) avait déjà les qualités requi. ses pour devenir un écrivain mau· dit. On scrute aujourd'hui son héré· dité, l'échec de son mariage, ses manies et ses phobies. Il n'est pas mauvais qu'un écrivain maudit soit éthylique ou toxicomane, mais celui.ci n'était gourmand que de glaces; il faudra s'en contenter... En fait, il y a plus de quinze ans que Lovecraft a été présenté pour la première fois au public fran· çais. La Couleur tombée du ciel, qui, avec Démons et merveilles, représente de loin le meilleur de son œuvre, parut en 1954, qua· trième titre de la collection « Pré· sence du futur» (1) de Denoël. Comme ses autres ouvrages l'année suivante, l'œuvre ne passa pas ina· perçue et fut plusieurs fois réédi. tée ce qui ne contente pas les zéla· teurs de Lovecraft : ils font la pee tite bouche parce que le « génie » s'est trouvé placé dans une collection de science.fiction. En outre, les traductions leur paraissent «faibles» ou « désinvoltes »... (2) La presque totalité des contes de Lovecraft (une soixantaine, de 2 à 120 pages) est à présent traduite en français. Dagon rassemble des contes de diverses époques dont certains même sont inachevés. Or Lovecraft reste peu traduit hors de France. Si l'on en croit la biblio. graphie de L'Herne, les traduc.
tions françaises représentent à elles seules autant que toutes les autres. Exception faite d'Edmund Wilson qui écrivit dans les années qua· rante un article intitulé « Contes merveilleux et ridicules », la critique américaine non spécialisée dans le fantastique a assez généralement ignoré Lovecraft. Un article récent de l'Américain Vemon Shea déclare Sans ambages « Dans le coton du charlatanisme de Poe se trouvait le génie, tandis que H.P.L. était seulement doué d'un talent exceptionnel... Si l'œuvre de Lovecraft est jugée du point de vue du grand art, c'est plutôt un échec» (L'Heme, p. 298). Après tout, Edgar Poe n'était-il pas encore méconnu en Amérique quand on le célébrait en France ? Cette fois, il nous sera plus diffi· cile de convaincre l'Amérique de placer Lovecraft dans son pan· théon littéraire. Pour qui connait les contes et nouvelles d'Arthur Machen, d'Algemon Blackwood, de Bram Stoker, de Lord Dunsany, de M.R. James, Lovecraft parait bien moins original pour une bonne partie de son œuvre. L'au· teur d'Epouvante et surnaturel en littérature connaissait ces auteurs et les admirait au point de les dé· marquer parfois d'assez près (3). Les difficultés sont d'une autre sorte lorsqu'on en vient à la tenue littéraire du maitre. Voici une di· zaine de lignes d'un des premiers paragraphes de Je suis d'ailleurs:
Dans le crépuscule moite, je montai donc les degrés de pierre usés par les siècles jusqu'au der. nier, et ensuite, entamai la dan· gereuse ascension en m'aidant de saillies précaires aux jointures des pierres. Epouvantable, affreux et lisse, ce puits de pierre morte, un puits d' encre, fissuré, désert, siniSe tre avec ses chauves-souris étonnées dont j'éveillais les ailes silencieuses. Mais plus affreuse et plus angoissante encore la lenteur de ma progression ; car j'avais beau monter et monter, au·dessus de moi l'obscurité ne s'éclaircissait point ; une nouvelle terreur grandit en moi, celle que suscite la pourriture maudite et vénérable. Des frissons m'ébranlaient... De tels passages sont courants chez Lovecraft. On aurait tort de mettre ces effets forcenés sur le compte d'une médiocre traduction : l'œuvre de Lovecraft est le royaume du superlatif absolu. Ses
personnages monologuent mais ne dialoguent guère; ils s'expriment ordinairement par le rictus, la grimace, le hurlement d'horreur. Plus le hurlement est fréquent et violent, plus l'action est intense : c'est un signe. En elles.mêmes, les monstrueuses entités de Lovecraft sont peu impressionnantes, ou bien elles sont laissées à l'imagination du lecteur avec les loots rituels : « effrayant, vivant l'inconcevable, l'indescriptible, l'innommable monstruosité... Je ne peux même pas donner l'ombre d'une idée de ce à quoi ressemblait cette chose, car elle était une combinaison horrible de tout ce qui est douteux, inquiétant, importlUl, anormal et détestable sur cette terre ». L'auteur se dérobe avec une hécatombe d'épithètes ne suggérant rien de l'horreur que peu. vent susciter d'un seul mot un Poe, un Wells ou un Klipling (certes, un abominable impérialiste, mais l'a-t-on relu récemment ?). La nouvelle vague de fans de Love. craft, qui se donne commodément la caution de citations de Heidegger, Derrida, Lacan (et j'en passe) ne parviendra pas, malgré son im· pressionnante panoplie linguisti. que, à nous faire admirer là « une perpétuelle torsion pour exprimer l'indicible» (L'Herne, p. 95) (4). C'est un mauvais service à rendre à Lovecraft que de le mettre sur le même pied que Kafka ou Edgar Poe, que de déclarer : « Le, écrits de Lovecraft sont des poèmss en prose ».
Les auteur.
qu'il admirait Lovecraft rêvait de faire une œuvre aussi forte que ces auteurs qu'il admirait : Machen, Black· wood, Dunsaoy. Dans 20 contes il a égalé ses maitres. Dans quelques autres, dans Démons et merveilles, il les a dépassés. Avec Epouvante et Surnaturel, qui constitue un des manuels les plus auto. risés qu'on puisse trouver sur la littérature fantastique (anglo.saxonne surtout), Lovecraft a dit son goût pour la littérature gothique : « des éclairages étranges, des trappes humides, des lampes éteintes, des manuscrits tombant en poussière et effroyables, des portes qui grincent, des tentures qui bougent et ainsi de suite... Rien de tout ce·
, tout a fait Poe
la petite collection maspero Les socialistes avant Marx Anthologie en 3 volumes
CELESTIN FREINET
la n'est complètement mort au· jourd' hui, même si une technique plus raffinée leur donne une forme moins naïve et apparente ». Châ· teaux, tombeaux, vampires et re· venants sont effectivement nom· breux dans l'œuvre de Lovecraft, dans Dagon et Je suis 'd'ailleurs en particulier. Les textes américains rassemblés par « L'Herne » sont là pour en témoigner : Lovecraft était un homme du XVIIIe siècle, un contemporain de Walpole et Beckford, bien aise d'habiter, comme tous ses personnages et comme autrefois Hawthorne, obsédé comme lui par l'hérédité et la dégénérescence, dans cette Nouvelle Angleterre où l'on brûlait les sorcières et dont il ne sortira pratiquement jamais de toute sa vie. Dans son attachement au passé, Lovecraft voyait la société d'un œil pessimiste : « se livrant au bruit, à l'excitation, aux distractions barbares et aux sensations animales, ils prirent leur ennui pour un affairement prétendûment utile» (Dé. mons et merveilles). Or on ne peut voir en Lovecraft un passéiste préoccupé par les époques païen. nes, comme l'étaient Machen et Blackwood : il regardait beaucoup plus loin, ailleurs, au-delà du monde humain, et il se montre plus résolument moderne que ces auteurs encore très pris dans les
H.P. Lovecraft.
ques sont, certes, importants chez Lovecraft, comme le sont aussi les livres maudits, tel le fabuleux Nécronomicon. En fait, le rêve est le matériau et l'outil essentiels du savant lovecraftien : preuve d'une existence et d'un monde autres, c'est ce qui l'amène à fouiller le désert australien (Dans l'abîme du temps) ou le Pacifique (L'Appel de Cthulhu). Mieux que les explo. rateurs de Jules Verne ou de Rider Haggard, Randolph Carter par. "iendra au terme d'un voyage fantastique à travers de dangereuses et merveilleuses contrées au·delà
Votre mervenleuse oité d'or et de marbre n'est que la .omme de oe que vou. aves vu et aimé dans votre jeune.se.
courants d'occultisme et de mysticisme de la fin du siècle. Le héros de Démons et merveilles, Carter, malgré des goûts à la Des Esseintes, a quelques phrases très dures contre l'occultisme et la religion et conclut : « la fausseté, la stupidité grossière et l'incohérence de la pensée ne sont pas l' équivalen~ du rêve ». Le rêve, l'évasion hors de la vie réelle, le grand mot lovecraftien vient d'être dit. Ces êtres, ces paysages inouïs dont regorgent ses livres, Lovecraft les découvre dans ses rêves, ses rêves que, comme l'auteur de Peter lbbetson, si· gnificativement absent d'Epouvante et surnaturel, il sait liés à son enfance. L'appareil et le savoir scientifi-
de la vie, de l'espace et du temps, au pied du grand Nyarlathotep luimême, le Chaos rampant : et l'homme qui avait pu être un petit garçon en vacances chez -son grandpère reçoit alors la révélation :
Ce n'est pas au·delà de mers ignorées mais dans votre passé bien connu que vous devez poursuivre votre quête ; dans un retour aux étranges illuminations de l'enfance et aux visions inondées de soleil et de magie que les vieux paysages apportaient à de jeunes yeux grands ouverts. Sachez que votre merveilleuse cité d'or et de marbre n'est que la somme de ce que vous avez vu et aimé dans votre jeunesse.
La Quinzaine littéraire, du 16 au 28 février 1970
Celui qui se plaint qu'il y a trop de sang, trop de hurlements et trop de portes qui grincent dans les films d'horreur ne comprend pas que ce sont là les signes distinctifs, les conventions du genre. Il me semble qu'on ne lit pas tout à fait les contes de Lovecraft comme on lit ceux de Pierre Reverdy. Il faut les aborder avec l'intention de respe~ter la règle du jeu; à cette condition, un bon conte est, pour prendre une de ses expressions, le meilleur antidote à la banalité. Que l'œuvre de Lovecraft ne soit pas à proprement parler littéraire mais un peu marginale n'empêche pas qu'elle puisse inté· resser - la littérature au premier chef. Lovecraft est un de ces écri· vains-mythes cam m e l'étaient Anne Radcliffe, l'auteur du Moine ou celui de Melmoth. C'est plus qu'il n'en faut pour justifier les hommages qui lui sont rendus. Après «L'Herne», quelle revue américaine nous rendra la pareille en faisant un J.H. Rosny, ou un Maurice Renard? Serge Fauchereau
Pour l'école du peuple PAUL LAFARGUE
Le droit à la paresse PIERRE JALEE
L'impérialisme en 1970 WOLFANG ABENDROTH
Histoire du mouvement ouvrier en Europe L. ALTHUSSER et E. BALIBAR
Lire le Capital WALTER BEN.JAMIN
Essais sur Bertolt Brecht CHARLES BETTELHEIM
Planification et croissance accélérée La construction du socialisme en Chine N. BOUKHARINE etE. PREOBRA.JENSKY
ABC du communisme PIDEL CASTRO
Révolution cubaine .JEAN CHESNEAUX
Le Vietnam REGIS DEBRAY
Révolution dans la révolution? et autres essais FRANTZ PANON
1. Dans l'Abîme du temps, Par-delà le Mur du sommeil et Je sUÏ3 d'ailleurs sont également dans la coll. « Présence du fu· tur» ; Démons et merveilles a été réédité dans la coll. « 10/18 ». 2. Un peu de 'Pudeur aurait dû retenir François Truchaud de s'en prendre aux traductions de ses prédécesseurs : on n'arrive pas à croire que des amateurs avertis de littérature fantastique aient pu laisser autant d'erreurs dans leur traduc· tion d'Epouvante et surnaturel: le châ· telain d'Ütrante est rebaptisé Manfield ; Bürger, Maupassant et Th. Gautier voient leurs titres modifiés, tandis que ceux de Villiers de l'Isle Adam et Erckmaun·Cha· trian sont rendus méconnaissables; et que dire de ceci : « Victor BUBO, avec des récits comme Han d'ldande, Balzac, avec Peau d'Ane, Séraphita, Louis Lom· bert emploient tous deux le surnat~el à un plus ou moins grand niveau» (p. M). Quel que soit le traducteur du livre, tout cela n'est pas d'un « grand niveau D. 3. On a découvert une source de Lovecraft dans l'énorme Diable au XIX· liècle du Dr Bataille (l'Herne, p. 141·146) ; je me suis demandé si Lovecraft, grand lecteur s'il en fut, n'aurait pas lu également le roman de science·fiction de Defonte· nay, Star (Cf. Raymond Queneau, Bmons, chiffre& et lettre&, NRF, « Idées », pp. 261·272). Il est regrettable que, dans Epoutumte et surnaturel, d'excellents auteurs comme J.-H. Rosny et Maurice Renard ne soient pas nommés, et peu vraisemblable que Peter Ibbeuon ait été omis involontairement. 4. Ces dissertations usant d'un amphi. gouri à la mode sont heureusement peu nombreuses dans « l'Herne Il qui renferm.~ des textes et témoignages des auteurs consacrés du genre {J. Bergier, H. Juin, F. Lacassin, T. Owen, M. Béalu) et de solides études dont la plus 10nBue et la plus remarquable est de Gérard Klein.
Les damnés de la terre Sociologie d'une révolution Pour la révolution africaine M.I. FINLEY
Le monde d'Ulysse LORAND GAIIPAR
Histoire de la Palestine CHE GUEVARA
Le socialisme et l'homme Œuvres (4 voU Générat V.N. GIAP
Querre du peuple, armée du peuple P.-O. LISSAGARAY
Histoire de la Commune de 1871 (1 vol. triple) GEORG LUKACS
Balzac et le réalisme français ROSA LUXEMBURG
Œuvres (4 vol.) MALCOLM JI:
Le pouvoir noir MAO TSE-TOUNG
Ecrits choisis (3 voU PAUL NIZAN
Aden Arabie Les chiens de garde Les matérialistes de l'antiquité chaque vol. 5,90 F
FRANÇOIS MASPERO 1. place Paul-Painleve. Paris
~.
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PO*SIB
Poésie kabyle , Mouloud Mammeri ,Les isefra, poèmes de Si Mohand-ou-Mhand édition bilingue Maspero éd., 480 p.
Il est en Kabylie un nom que tout le monde connaît, dont tout le monde vénère la légende : Si Mohand-ou-Mhand des Aït-Iraten. Lorsqu'en 1960 MQuloud Feraoun avait fait paraître en un recueil bilingue les poèmes du chantre national (1), c'était grâce à Boulifa qui avait, au début du siècle, collationné les poésies kabyles de sa connaissance, qu'il avait entendues chanter ou déclamer par le « meddah » lui-même, ses témoins oculaires ou ses proches disciples. Si Mohand n'est peut-être, d'ailleurs, qu'un nom plus prestigieux que les autres, tant il est vrai qu'« ici, tout le monde il est poète», comme on le disait à Saint-John Perse en Guadeloupe. Aujourd'hui Mouloud Mammeri qui enseigne Démosthène, Virgile et la littérature française à l'Université d'Alger, et dont on n'avait guère entendu parler depuis la Colline oubliée, le Sommeil du Juste, l'Opium et le Bâton (2), nous donne une édition presque savante des «isefra» de Si Mohand, texte berbère en regard de la traduction française. Presque savante, car comment déterminer l'authentique de l'apocryphe, comment établir scientifiquement un texte lorsqu'on bute sur des obstacles inhérents à tout esSai d'enregis-
trement de la tradition orale: la difficulté d'attribution et l'abon. dance des variantes ? Le chantre est en effet toujours repris par ses auditeurs qui participent du même fonds culturel et peuvent aménager le texte initial d'autant plus facilement qu'illettrés ils ne peuvent le fixer p,ar l'écriture, et que le poète lui-même avait fait vœu de ne jamais se répéter. Si Mohand répond par toute sa vie au stéréotype dù poète dont l'histoire confine à la légende, dont le « carm'en » est aussi bien le vers que la formule magique. Sa naissance, entourée d'un halo mythique, revendiquée par plusieurs villages à l'instar des sept cités grecques pour Homère, ne peut pas davantage être datée précisément, puisque l'état civil, en Kabylie, n'eut pas d'existence officielle avant 1891. On penche néanmoins pour 1845 et pour le ha· meau Icheraiouen, dans la région de Tizi-Ouzou. Ni l'une ni l'autre de ces coordonnées n'est indifférente. Mouloud Mammeri en est conscient qui précise que cette zone de piémont, «intermédiaire entre une montagne aux coutumes ancestrales vives et denses et une plaine plus ouverte aux influences du dehors, était donc plus perméable aux aléas de l' his.toire ». La date importe aussi puisque Si Mohand naquit à une époque où la Kabylie se sentait indépendante, et que son adolescence fut marquée par les premières révoltes de 1857 (la résistance du bastion kabyle) prélude au sursaut épique de 1871 où elle est écrasée
M. ~
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pour avoir revendiqué son iden· tité. De son histoire, la collectivité kabyle n'avait subi pareille muta· tion et atomisation : « le monde pour tous
a volé en morceaux» Du jour au lendemain, on assiste à l'exode vers la Tunisie, à l'interversion des rôles économiques puisque les honnes terres sont confisquées au profit des Algériens collaborateurs ou des Alsaciens-Lorrains devenus Français « Celui qui avait une paire de
bœufs Devient khammès (3). ...Les hommes sont ramollis comme des fruits mûrs Coupés en deux Foulés aux pieds sur le sol ». Ainsi psalmodie le poèt~, qui sait, ailleurs, fustiger les « charognards » au pouvoir, « la valetaille » qui a le vent en poupe et commande, les imposteurs politiques et religieux : « Beaucoup qui font vœu de
dévotion Ruissellent de péchés Lors même que leur chapelet ne quitte point leur cou Ils ont laissé le Koran pour l'intrigue ».
43 rue du 'rempl,·. Paria 4, c.c.P, 15.S~ 1.53 Paris
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Toute une période de l'histoire kabyle s'exprime à travers la vie de ce personnage haut en couleur. Les misères de la pauvreté et de l'exil vécu sur sa propre terre, sont les principales inspira. trices de sa poésie, transfigurées au besoin par le kif ou l'alcool. Et seule la résignation religieuse empêche la protestation de se muer en cri de révolte. Volontairement, le poète coule son chant dans une forme fixe « l'asefrou », trois strophes de trois vers où alternent deux rimes seulement. Le lyrisme est contraint, épuré. Plus suggestif sans rappeler la manière des graveurs néolithiques du Sahara. L'intérêt majeur de cette anthologie réside dans le paradoxe que souligne Mouloud MalllJlleri luimême: le plus personnel des poètes se trouve être le plus répandu. L'adéquation est parfaite entre l'expression poétique d'un homme né pauvre parmi les pauvres, et la vision socio-politique de toute la communauté dont. il est issu. Il ne s'agit pas de «reflet », mais d'interaction, d'osmose entre les structures de l'univers de l'œuvre et les structures mentales des contemporains de cette œuvre.
Si Mohand visité bientôt par un ange qui lui assigne le destin de rimer, entre en poésie comme Michèle Cote on entre en religion (4). Sa renom· mée grandit. On l'invite de par- 1. Ed. de Minuit. 2. Respectivement publiés en 1952, 62, tout et ses goûts de sybarite pour 65 chez Plon. l'absinthe, la cocaïne et les filles 3. Khammès = le métayer au' quint (kham8â = cinq). ne sont imputés qu'à l'envers de son génie. Il n'en est pas riche ~. La particule Si qui précède son nom n'est nullement d'origine marabou·' pour autant (car les drogues sont tique, mais transmise par son père, chères, les amours vénales) , ni fin lettré, qui l'avait placé dans une zaouïa pour apprendre la langue heureux, car il se dit en proie à sacrée. un mal secret (l'impuissance sans doute), que « Dieu seul connaît »' et qui lui fait distinguer deux sortes d'amoureux: ceux qui ont domestiqué (sic) leur bonheur et LA LIBRAIRIE TSCHANN a le les frustrés, plaisir de vous Inviter à rencon·
Qui jamais n'obtiennent ce qu'ils désirent,
trer Albert MEMMI qui signera "ensemble de ses livres à l'occasion de la parution de son
Renvoyez celle carte il
La Quinzaine .""rat..
taire dans un hôpital de Sœurs Blanches. Il est ainsi inhumé, selon son vœu, en terre étrangère.
ce qui lui fait utiliser souvent une métaphore devenue célèbre: lui moissonne, rassemble les gerbes sur l'aire, les bat... et nn autre emporte le grain. ' Famélique, nomade, apatride, il le restera jusqu'à sa mort soli·
roman LE SCORPION (Ed. Gallimard)
le mercredI 18 févrIer,
de 18 à 20 h, 84, bd Montparnasse, Paris-14°, DAN.-74-57.
Poèmes à jouer Jean Tardieu Poème. ci jouer (Thétitre 11) Gallimard éd., 328 p.
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Le. Porte. de Toile
Gallimard éd., 168 p.
Parmi les auteurs qui ont profondément modifié le fonctionnement de la littérature, qui ont miné le langage du dedans, on oublie souvent de citer Jean Tardieu. C'est peut-être qu'on ne sait pas où situer cet écrivain discret, ennemi des querelles, des manifestes, du tapage, et qui manie de la dynamite avec des -gestes rares et mesurés d'orfèvre hollandais ou de musicien de chambre. Du côté d'André Breton, puisqu'il est avec celui-ci, Julien Gracq et Lise Deharme l'un des responsables du très précieux c Farouche ci quatre feuille. :t? Du côté de Queneau à cause d'Un mot pour un autre que les critiques dramatiques qui aiment le long, le sérieux, le reposant, tiennent pour une pochade de cabaret ? Du côté de Beckett, d'Ionesco et du théâtre de l'absurde parce qu'il n'y a ni action ni logique apparente dans la Serrure ou la Sonate et les trois messieurs? C'est oublier que l'œuvre de Tardieu est comme ces pierres travaillées dont les facettes peuvent bien refléter les nuan· ces de la lumière, mais dont le dur noyau est quasiment infracassable. Réunissant des textes déjà connus et des inédits, les deux volumes qui viennent de paraître, l'un de théâtre, Poèmes ci jouer et l'autre sur l'art, les Portes de toile nous permettent de mieux saisir ce qui fait, sous une apparente dispersion, la singularité et l'unité de la démarche de Jean Tardieu. Qu'il écrive pour la scène ou dans les marges des tableaux, Tardieu est d'abord, et radicalement, poète. Qu'il ait profondément le sens du théâtre et du jeu, qU'il déchüfre la peinture mieux que quiconque au point non pas d'en décrire, mais d'en réinventer les lignes, les mouvements, les résonances, ses Poè· mes à jouer et les Portes de toile en témoignent, sans pour autant nous autoriser à le dire auteur dramatique (donc confrère d'un quelconque Achard) ou critique d'art. Le critique di88èque des œuvres,' les rapporte à des règles formelles, à une histoire -de la peinture ou à la biographie La Quimùao Utténire, du 16 au 28
de l'artiste. L'auteur dramatique anime des personnages et tire les ficelles d'une histoire. Le critique et l'auteur dramatique s'efforcent d'éclairer (une œuvre, une situation), ils parlent à peu près un même langage où l'explication, la· discussion ont leur large part. Les mots pour eux sont des outilti. Pour Tardieu au contraire, il sont la matière première ; ils n'ont pas pour fonction de traduire des images, des émotions, mais de les faire naître ou d'en répercuter l'éch9. Aussi bien ses pièces dont Sylvain Dhomme, Pierre Peyrou et surtout Jacques Poliéri ont mon· tré l'efficacité scénique sont-elles moins des drames que des ora· torios ou des c poèmes à jouer :t. Lui·même le précise, la -plupart d'entre elles ne comportent pas d'action, mais présentent, à l'exem· pIe d'une sonate ou d'une sym· phonie, la combinaison d'un certain nombres de thèmes poéti. ques. En fait, tous les textes dramatiques de Tardieu n'ont pas le même degré d'abstraction. Certai· nes pièces, notamment du Théâtre de chambre, conservent comme un fantôme d'action. Le personnage du Guichet qui se heurte à l'absurdité de l'administration, qui est détourné de son chemin par cette absurdité même, reste encore un personnage de théâtre, passe pour victime d'une étrange mésaventure. Même dans les Temp. du Verbe (Poème. ci jouer) où la réalité présente vacille, est comme envahie, et presque gom· mée, non par la résurgence, mais par la permanence du passé, et cela à. cause d'un déréglement du discours, d'un discours dont on pourrait dire qu'il c retarde :t comme une horloge retarde, une histoire se dessine, des person· nages se déterminent les uns par rapport aux autres. Mais dans r A.B.C. de notre vie, dans Rythme à trois temps, comme dans la Sonate et les Trois messieurs, l'histoire disparaît au profit d'un pur échange de IlOns - et de signes. Sons du poème et bruits de fonds, voix bruissante d'un_ peuple anonyme, mais tour à tour aimant, souffrant, se réjouissant, s'accordant au souffle du vent ou aux rumeurs de la ville, s'ordonnent selon- une progression musicale, naissent des corps des protagonistes et des choristes pour se déployer dans l'espace scénique, répondre aux sollicitations lumi·
févn.r 1970
Jean Tardieu.
neuses, se marier ou s'opposer aux lignes du décor, aux gestes des acteurs. Ces paroles ainsi nouées et dénouées dans le grave ou dans l'aigu, si insolites ou obscures qu'elles puissent paraître, sont plus que les figures d'un jeu, elles sont comme l'écho des mur· mures du monde ou de nos rêveries secrètes. C'est ce que nous signifie le c protagoniste :t à la fin de L'A.B.C. de notre vie :
rai oublié le sens de. mot•. Je ne .uis qu'un murmure .oulevé par la joie,
serré par la douleur. Des mots? Moins que de. mots : de. sons, de. plainte., de. cris, des 8estes de la voix, un murmure .ans parole parmi d'autre. murmure••.• Tardieu sait capter, transmet· tre ces murmures. Cependant, aussi abstrait, aussi proche de la musique qu'il soit, son théâtre est essentiellement scénique, appelle le geste et le déploiement dans l'espace. n suppose une incarna· tion des voix, une mise en scène (et sur ce point les indications du poète sont si précises qu'elles conduisent à un élargissement du champ de l'expressio1l dramati· que) non point réaliste, mais transfigurant les éléments de la réalité, suggérant rapprochements et métamorphoses. Sans doute est-ce là, pour le théâtre contem· porain, un apport extrêmement
preCieux, analogue à ce que fut pour la peinture, la découverte , de l'informel. Rien d'étonnant donc, si la peinture, comme la musique, est chère à Jean Tardieu, si, dans l'une de ses pièces les personnages sont e~prisonnés élans les projections lumineuses de toiles de Braque, de Miro, de Chagall, sont transportés dans l'univers de ces peintres. Lorsqu'il parle dans les Portes de toile de Corot ou de Georges de La Tour, de Satie ou de Ravel, d'Hartung ou - de Vieira da Silva, Tardieu ne procède pas autrement. Ses proses et ses poèmes nous transportent: à cotIp sûr au cœur d'une œuvre, de sa tonalité ou de sa probléma. tique. Par le verbe, le poète chante sur le même rythme, explore le même paysage, les mêmes figures, fait jaillir les mêmes trilles ou les mêmes signes que les musi· «liens ou les peintres, -nous donne A voir ou à entendre. Non point analyste, mais alchimiste, dans les marges d'une œuvre picturale ou musicale, il en erée une autre, poétique, qui se mire dans la prelQière oU consonne avec elle. Ces œuvres d'art, en définitive, comme il fait de la réalité dans son théâtre, il les transforme en poème. Comme Jacques Villon, dont il parle si bien, il accomplit l'acte néçessaire « pour que ce
monde devienne un autre monde, sans cesser d'être ici :t.Claude Bonnefoy 18
Les revues REivues françaises ESPRIT (N° 1 - Janvier 1970) Gros numéro consacré à l'AdmInIstration et présenté par éasamayor. Rébarbatif pour qui n'est pas concerné de l'intérieur par ce problème. C'est pourquoi, on apprécie le témoignage d'André Lepage qui raconte une expérience vécue de dégradation de la personnalité à l'intérieur d'une entreprise privée. LA REVUE DE PARIS (N° 1 Janvier 1970) Entre une étude du général Beaufre sur les modalités de la prochaine guerre et les souvenirs de Mgr Mobit sur son séjour à Madrid, André Pieyre de Mandiargues parle de Lermontov, l'auteur très peu connu en France de Un Héros de notre temps. RAISON PRESENTE (N° 13 - la trimestre 1968) Ce numéro s'ouvre par un Appel aux prêtres du fameux Curé Meslier dont les œuvres complètes sont en Instance de parution (1). Outre quelques études philosophiques, on retiendra le texte du Dr Henri Bangou, maire de Pointe-à-Pitre sur Personnalité et culture aux Antilles, synthèse rapide (1) Ct. Maurice Dommanget : Le Testament du cur6 Muller, Les Lettres Nouvelles, Julliard.
INFORMATIONS
Romans à paraître Avec le Gé",ral de l'armée morte, par Ismail Kadaré, Albin Michel nous propose la première traduction française d'une œuvre littéraire albanaise. Le livre parait avec une préface de Robert Escarpit et nous offre, à travers une intrigue quelque peu macabre, une vision inattendue et pleine d'humour du petit peuple d'Albania vingt ans après la seconde guerre mondiale. Dans la collection des «Lettres Nouvelles" (Denoël), on attend beaucoup du nouveau roman de Geneviève Serreau, Cher point du monde, dont le héros est un comédien professionnel et un militant révolutionnaire (amateur) qÙi, tout au long d'un itinéraire le menant de l'expérience prémonitoire de la mort à la réalité de cette mort, ne cessera de confondre le théâtre et la vie, son personnage réel et son double imaginaire, l'utopie d'un monde réconcilié et la révolution truquée des technocrates, l'amour impossible et les compromissions de l'amour vécu. Autres titres : Anamorphoses, par Jean-Cl.aude Hémery, l'auteur de Curriculum vitae (voir le n° 11 de la Quinzai~e), et
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mais à peu près complète de toute la littérature de la Martinique et de la Guadeloupe. L'AAC (N° 27-28) Numéro consacré à Joseph Delteil. Interviews, témoignages, études, tout est dit sur cet écrivain vigneron qui occupe une place bien à part dans la littérature contemporaine. Les noms d'Henry Miller, de Montherlant, de Crevel, de Breton, d'Aragon, d'Arrabal, de Jean Cau sont, parmi d'autres, non moins célèbres, au sommaire de cette revue.
C' (N° 1) Une nouvelle revue trimestrielle de poésie publiée à Paris, revue dont on ne discerne pas encore quelle sera son orientation. Des influences multiples (et contradictoires) s'y font jour : André du Bouchet (chez Alain Malclès), Henri Michaux (chez Châteaureynaud), René Char (chez JeanPaul Seguin), Artaud (chez André Drean). De jeunes poètes qui cherchent leur voix... J.W.
Revues étrangères Wyndham Lewis Special Issue Londres, revue Agenda, vol. 8, n° 1 224 p., 67 reproductions Toujours inconnu chez nous, Wyndham Lewis (1884-1957) est copieuse-
Ainsi des exilés, premier roman de Viviane Forrester ayant pour cadre une station balnéaire de Belgique, juste après la guerre, dont les habitants. hantés par le passé récent, demeurent engourdis dans cette atmosphère nostalgique qui suit les grands évènements. Deux premiers romans aux éditions du Seuil : Graffites, par J.R. Gaxie et Yahia pas de chance, par l'Algérien Nabile Farès. Signalons également un livre traduit du serbo-croate : les Voleurs de feu, par Vuk Vtcho. Chez Gallimard, on pourra lire un nouveau roman de Romain Gary, Chien blanc, ainsi que la suite de la Bâtarde de Violette Leduc : la Folie en tête. Dans la collection «Le Chemin" parait un premier roman de J.A. Bourrec, la Brûlure et, dans la collection «Du monde entier", un recueil de contes 'de la romancière danoise Karen Blixen, Contes d'hiver, ainsi qu'un récit poétique qui se présente comme une sorte d'éducation sentimentale à l'américaine: Cri dans le désert, par Franck Conroy. Au Mercure de France, Olivier Perrelet, qui avait publié chez le même éditeur. en 1967, un roman intitulé Les petites filles criminelles (voir le
ment réédité et étudié en Grande-Bretagne depuis quelques années. La parution d'un numéro spécial abondamment Illustré de la revue Agenda marque sa sortie officielle du purgatoire où il se trouvait depuis deux ou trois décennies. Ce n'est que justice car Lewis est l'un des meilleurs peintres et l'un des écrivains anglais les plus intéressants de ce siècle; ceci étant reconnu, on peut se laisser aller ~ l'antipathie qu'inspirent le personnage et ses idées.
Il n'est certes pas commode de défendre Wyndham Lewis, mais qu'espère donc l'un de ses critiques les plus enthousiastes, E.W.F. Tomlin, en s'en prenant au communisme soviétique et chinois? A quoi sert de se réjouir aujourd'hui, comme C.H. Sisson, que quelques exceptions se soient trouvées pour approuver Franco pendant la guerre civile (des catholiques, Evelyn Waugh en tête, et Roy Campbell qui manifestait son originalité en s'engageant dans les rangs franquistes) ? On peut se féliciter de l'importance et de la célébrité du triumvirat Pound-Eliot-Lewis entre les deux guerres, mais appelons un chat un chat, et ce trio, des fascistes - ce qui n'empêche pas de saluer leur génie. Durant les années où T.S. Eliot se faisait le porte-parole à Londres de Maurras et de l'Action française, Wyndham Lewis publiait Hitler (1931). A l'approche de la guerre, Eliot perdra son
n° 30 de la Quinzaine), nous donne aujourd'hui, sous le titre du Dieu mourant, trois récits symboliques ayant pour thème la recherche de l'absolu et la nostalgie de l'ascèse, tandis que Michel Vachey présente, après C'était à Mégara, un second roman particulièrement représentatif des recherches littéraires actuelles la Snow. Autres titres : le Pistonné, par Claude Berry, l'auteur-réalisateur du Vieil homme et l'enfant, qui a tiré de ce premier livre un film à paraitre prochainement sur les écrans parisiens; Trois contes, première œuvre de François Lejeune. Chez Robert Laffont où, dans la collection • Pavillons", parait un nouveau· roman de Graham Greene : Voyage avec ma tante, on annonce également un court récit de Françoise Xénakis dans la lignée de Kafka : Elle lui dirait dans l'île et un premier roman : Point virgule, par Evelyne Soren. Chez Grasset, Yves Buin, l'auteur des Alephs (voir les nO' 10 et 51 de la Quinzaine), publie la Nuit verticale, tandis que Françoise MaHet-Joris publie, sous le titre de la Maison de papier, une chronique inspirée de sa vie familiale. Dans le domaine étranger, on pourra également lire, traduit de l'italien, Madame aller et retour, . par Lisa Marpurgo et, traduit du portugais, l'Instinct suprême, par A. Ferreira de Castro.
enthousiasme et Lewis fera amende honorable. Soit, mais l'homme qui a pu intituler un livre Les Juifs sont-Ifs humains ?, dont seule la bibliographie d'Agenda fait état, ne saurait jamais en être blanchi. Wyndham Lewis fut d'abord un peiptre. Sa revue Blast (1914), à laquelle Kandinsky collabora, était destinée à défendre la peinture nouvelle et les idées de Lewis en matière d'art. Lewis a dit son admiration pour Picasso et Chirico (plus tard, Il célébrera aussi Max Ernst et Yves Tanguy), et ces affinités marquent aussi dans quels parages peut se situer son œuvre. Vers 1912, Lewis peint des abstractions géométriques et combine les influences du cubisme, du futurisme et de l'expressionnisme pour aboutir à un art très particulier qu'il nomme vortlclsme, Isme dont il sera, avec peut-être le sculpteur Gaudier·Brzeska, le seul représentant. Ces tableaux vortlclstes forment l'une des périodes les plus intéressantes du peintre, des œuvres d'une structure très élaborée, très sculpturales, culminant avec la série inspirée par Timon d'Athènes. C'est au cours des années 20 et 30 que Lewis se révélera l'un des plus grands portraitissiècle: portaits de T.S. tes du Eliot et d'Ezra Pound, et le féroce portrait d'Edith Sitwell de la Tate Gallery. Le graphisme des œuvres de sa dernière manière fait parfois songer à André Masson mais, dans son ensemble, l'art de Lewis reste unique et ne peut être défini par quelque rapprochement ou étiquette de mouvement. C'est grâce à sa revue BIast, qu'il dirigeait avec l'aide de Pound, que Lewis en vint à la littérature. Plusieurs des grands peintres de notre époque ont écrit; il n'en est guère cependant dont les écrits peuvent balancer l'œuvre picturale. C'est pourtant le cas avec Wyndham Lewis, comme avec ses compatriotes William Blake et D.G. Rossetti. Son œuvre comporte des essais, des romans, des poèmes, plus de trente volumes, de Ta" (1918) à The Red Priest (1956) fe Prêtre rouge! seuf quelqu'un d'aussi éloigné du socialisme que' Lewis pouvait forger un pareil concept. On n'en finirait pas d'énumérer tout ce qu'a combattu celui qui se baptisait lui-même l'Ennemi: « le culte des enfants, le snobisme littéraire, l'homosexualité, l'idolâtrie de l'inconscient, l'exaltation et l'exploitation simultanée des Noirs, le jazz, les romans policers... " Moins nombreuses que ses aversions, les affections de l'écrivain n'étaient pas moins discutables. Ses meilleures œuvres sont celles où les idées sociales et politiques sont au second plan. De l'un de ses livres, Lewis disait au lecteur : « je vous prie d'oublier sa politique, si vous la trouvez détestable ". Faute de pouvoir l'oublier, il faut s'efforcer de n'y pas penser en lisant ses romans : Ta", The Revenge for Love, Self Condemned ou bien son unique recueil de vers, l'étrange One-Way Song; de la même façon qu'on regarde ses toiles sans arrière-pensée. Car, en dépit de tout, Wyndham Lewis fut un homme de génie.
xx·
Serge Fauchereau
L'oubli du livre 1
Edmond Jabès Elya Gallimard, éd., 192 p.
Parler du livre de Jabès pour l'ouvrir plutôt que pour le fermer, exige d'abord qu'on ne s'embarrasse d'autre intention que de n'en rien dire, ou de dire à propos de ce rien. Suivant ainsi la voie tracée par le livre, comme impossibilité et comme absence. Alors seulement, risquant par détour de le rejoindre. L'attente, l'oubli. Le titre de M. Blanchot devient ainsi mode de lecture. Et si l'on veut encore parler de récit, aux confins de l'histoire (juive) et d'un désir (muet), ce serait l'histoire du livre lui-même qu'il faudr,ait évoquer, émanation d'un premier livre, originel et toujours perdu, et comme en écho, l'histoire de. celui qui écrit : s'y perdant et perdant le livre pour s'y trouver et le trouver. Cette difficile remontée aux sources du livre se fait sans hâte ni souci, mais plutôt par retenue et réserve ; ne laissant sur la page que l'amorce d'un chant dont le silence est l'écho; ouvrant des portes vers les marges blanches. Elya, c'est un livre et un nom. Comme Ya,ël. Les lettres sont les m·êmes, à l'ordre près. Un livre pour effacer un livre. Un nom pour effacer un nom. Parce qu'écrire, c'est toujours réécrire, c'est toujours effacer. Effacer la parole aussi, celle de Yaël, femme d'origine. « Lorsque nous nous rencontrâmes, Yaël, bien que tous deux jeunes encore, nous étions arrivés au terme de notre errance ; toi, dans ton devenir de parole et moi, dans celui, parallèle, d~hom. me de la Lettre. » y aël, dans le livre précédent, était la femme de la parole pero due, mémoire d'un nom qui est à l'origine du monde: le nom d'une femme, et d'une mère. L'homme de la Lettre, celui qui écrit, s'efforce de retenir, en ces mots rares venus s'inscrire sur la page, la mémoire d'un livre toujours perdu : arrière-livre, comme gage et possibilité du livre. Ainsi le livre n'est jamais que la porte du livre, et chaque mot, porte d'un mot perdu. Le livre se fait entendre, en un imperceptible murmure des marges, à fleur de mémoire attentive et distraite. Et il se fait entendre précisément à ce moment privilégié où l'ordre de la mère,
Yaël, devient l'ordre du livre, Elya, l'enfant mort-né d'un amour impossible. Mais l'ordre de Yaël, nom d'origine, c'est peüt-être' aussi l'ordre de ce Dieu absent dont l 'histoire juive porte le nom dans sa mémoire et son oubli : nom de désir, nom interdit. Et le livre, enfant mort-né, « c'est-à-dire mort afin de naître» ouvre à l'ordre d'un nom propre qui est celui des premières traces : là où la mort de Dieu est naissance du désir.
nom oublié, mémoire de cet oubli : « nous partons de ce qui fut oublié. Le livre se fait à partir de l'oubli du livre. » C'est à reprendre la langue première, celle de la mère, à la pétrir, à en changer l'ordre, que le livre apparaît. Mais l'interdit qui pèse sur lui le soumet à l'exigence de sa propre perte.
Mémoire de l'arrièr. livre Ainsi, ce que raconte le livre, c'est toujours et obstinément ce qu'il est : mémoire de l'arrièrelivre perdu depuis toujours. « D'une entreprise qui n'a cher· ché qu'à se libérer du joug de la parole et qui, un jour, s'est enlisé dans ses marécages, je n'aurai rien sauvé ». Ecrire, c'est se libérer de la parole, tenter de l'effacer jusqu'à cette arrière-parole qu'est le cri d'origine, cri de mort et de naissance. « Ne crois pas que le livre, qui n'est pas épargné non plus par la. maladie, dis paraisse avec le livre. Il ne meurt que dans son filigrane. Et nous savons qu'il nous incombe d'aller le chercher au-delà, où il nous restitue notre univers écrit. » Cet univers écrit que tente de rejoindre l'homme de la Lettre, n'est-ce pas finalement ce nom du désir qui n'a pas de nom ? Le livre de Jabès s'inscrit d'évi· dence dans le champ de l'histoire et de la culture juive. Mais ce seJ:'ait encore masquer l'enjeu du livre que de le réduire à sa seule inscription historique. Dire ici que le juif est d'abord homme d'exil, c'est aussi faire ouverture à la mémoire de cet autre exil qu'est la naissance - pour chacun d'entre nous. « Car être juif c'est, à la fois, s'exiler dans' la parole et pleurer son exil. Le retour au livre est retour aux sites oubliés. » Exil dans la parole du Christ qui, se faisant entendre, occulte l'écriture dont elle est né. Exil dans la parole de la mère. Les sites oubliés sont aussi ceux des premières ins· criptions, des premières traces inscrites snr le corps mémoire d'écriture. Le livre est au prix de perdre la voix, la parole pleine et chaude de la mère. Car il s'agit bien de remonter derrière la parole pour trouver la trace : « le livre est le lieu où l'écrivain fait,
La Quinzaine littéraire, du 16 au 28 février 1970
Edmond Jabès.
au .~iÜ!nce, le sacrifice de sa voix. Il Sacrifice de cette voix qui est comme le reflet de la voix mater· nelle. La naissance est la première lIDort et le premier crime. Le prelIDier cri aussi. Elya, enfant mortné d'un impossible inceste, est ce Jlivre des premières traces, contem· 1P0raines du premier cri. Mais ces 1traces sont déjà la marque de JI'exil, posées sur le corps par une lIDain étrangère, anonyme, avant lIDême que la main de la mère vienne marquer son bien. Elya est encore ce livre qui efface Yaël comme livre et comme lIDère. « Après "Yaël", "Elya"; après la parole à l'affût du livre, ile livre du refus de la parole. » La DDère est parole à l'affût de l'en· lant, ce texte précédant toute lParole. Elya refuse la parole pour retrouver l'écriture de son nom;
Elya tue Yaël, le livre tue le livre. Mais aussi la naissance du livre tue la mère du livre. Et celui qui tue, c'est celui qui fait le livre. Le prix du livre est exigence de ruine, exigence de crime. « Ah, combien de fois es-tu morte pour le livre? En te supprimant, je m'identifiais à chacune de ses pages, je m'appropriais Elya.» Cette appropriation fait apparaître aussitôt que rien jamais n'appar. tient. Elya comme image du désir de Yaël, se substituant à elle, devient ce lieu de l'autre où le livre, en ce qu'il se manque à lui-même, ne se donne à lire que comme question. n s'articule des portes qu'il ouvre et non de celles qu'il ferme : « un livre, telle une suc· cession de portes, dont le passage de l'une à l'autre est seul à dire, seul à lire. » Entre les portes le silence est à l'œuvre, porteur de signes, porteur de traces. Et si, parlant du livre, on n'en a rien su dire, alors peut-être en aura-t-on repéré par hasard, et sans même le savoir, une porte possible.
Philippe Boyer
NAISSANCE ET MORT DE...
LA Ille REPUBLIQUE plr
MICHEL WINOCK
pl
JEAN-PIERRE AZEMA
déjà paru:
LA ,." REPUBUQUE par ALBERT SOBOUL LA Il''''' REPUBUQUE par LOUIS GIRARD LA IV"'" REPUBUQUE par JACQUES JULLIARD
CALMANN-LÉVY lS
AB'I'8
Avant-garde Pierre Cabanne et Pierre Restany,
1
L'avant-garde au XX" siècle.
Balland éd., 474 p.
« L'avant-garde existe, l'avons rencontrée. »
nous
Cette « dévote» paraphra!le ouvre un long dialogue en guise de préface de MM. Cabanne et Restany au cours duquel ils tentent de cerner la nature de ces moments de créativité qu'on appelle avantgarde tant qu'ils n'ont pas été reconnus et accepté8. Pour Pierre Cabanne, ils 8eraient une rupture sociologique, pour Restany une rupture de langage. N'entrons pu dam le débat, puisqu'aussi bien l'un et l'autre sont d'accord pour affirmer que le bilan qu'ils publient reflète avant tout leur attitude pe1"8onnelle devant les «moments, les pe1"8onnalités, les mouvements d'avant-garde depuis le début du siècle )). C'est donc un choix plus qu'un bilan qu'ils propo8ent à travers soixante-douze articles classés alphabétiquement, trente-huit à Pierre Cabanne contre trente-trois à Restany, le soixante-douzième - et premier puisqu'il s'agit de l'abstraction lyrique - leur étant commun. Voici, assez doctement énoncé par Pierre Restany, comment a été fait cet équitable partage : « Une 'ois reconnue la dimension
objective du temps, deux attitudes sont possibles : être l' horloger de l' histoire qui attend que sonnent les consécrations, ou s'engager pleinement dans l'aventure du langage, dans le présent de la communication. C'est ce que nous avons laït dans ce livre, dans la logique de nos personnalités et de nos options respectives. )) Il n'y a pas à s'y tromper. Bien qu'il lui arrive d'avancer sa pendule et de chiper Warhol, le hard edge et le cool art à son compère, Pierre Cabanne est bien l'horloger en question, mais pour ce qui est de l'histoire ce serait plutôt Alain Decaux. La période qu'il a prise en charge, du début du siècle jus> que vers 1945, il la raconte beaucoup plus qu'il ne l'analyse et, de ce fait il écrit le plus banalement du monde le roman de l'avantgarde, tel que bien d'autres avant lui l'ont fait. Rien n'y manque. Soutine est «le peintre crasseux et lamélique de la Cité Falguière », Diaghilev répond à Cocteau « Etonne-moi )), Paul Guillaume invente les bals nègres et Sonia
Il
Delaunay prophéti8e l'avènement du prêt-à-porter. Il semblerait pourtant que Cabanne se veuille plus hardi que ses devancie1"8. Il n 'hé8ite pas en effet à compter au nombre des pe1"8onnalités qui pour lui correspondent à des étapes-clés de l'avant-garde, Aubrey Beardsley dont « le principal titre de gloire
est d'avoir tenté de 'aire, avant le surréalisme et Bacon, l'éducation sexueUe des Anglais)); Gaudi Cl qui n'a pas lait avancer l'architecture d'un pas»; Gertrude Stein et ses frères dont on sait qu'ils soutinrent exclmivement Picasso, Matis!le et Juan Gris, lesquels ne figurent que par la bande à son ilITentaire. Et pourquoi cet éreintement de Balthus dont on se demande bien ce qu'il a à voir avec l'avant-garde? Pierre Cabanne reproche à « l'esthète passéiste Malraux )) son Musée imaginaire. Pourquoi pas ! à chacun son musée, mais le sien ne 8erait-il pas le musée Grévin? Il en va tout autrement avec Restany. Lui, ce sont ses campagnes qu'il raconte et personne ne songera à le lui reprocher. Il en a le droit. L'avant.garde, il y participe, il la vit avec l'impétuosité, la fougue que l'on sait. Il est un de ces critiques promoteU1"8 qui ont animé les arts pla8tiques depuis vingt am. Lo1"8qu'il parle des biennales ou des galeries expérimentales, c'est en connaissance de cause et en ce qui concerne Klein, Arman, Raysse et quelques autres, c'est à lui que les futurs horloge1"8 de l'histoire auront recours, non pour savoir s'ils portaient les che· veux longs ou courts, mais pour connaître le sens de leurs recherches, de leurs manifestations. Certes, il faut faire la part de !leS enthousiumes excessifs, de ses outrances verbales (Cl César, le
moderne démiurge du polyuréthane )), « La grandeur de Fautrier, c'est celle de l'insurgé vainqueur ))) il n'en reste pas moins qu'il introduit - de façon partielle et volontairement partiale, mais il le revendique - aux multiples formes que revêt actuellement ce qu'il est encore convenu d'appeler art. Malheureusement, cela ne saurait suffire à justifier pareil ouvrage qui ressemble par trop à un recueil factice de fonds de tiroir ou de textes écrits à la hâte, que seul en effet, l'ordre alphabétique pouvait ra88embler. Marcel Billot
Fernand Benoit Art et Dieux de la Gaule 314 photos et 4 cartes Arthaud, éd., 200 p.
1
Dans un vaste domaine de l'archéologie, notamment pour les obscures périodes de la protohistoire, l'art est le principal et souvent le seul instrument de connaissance à l'aide duquel on parvient peu à peu à déchiffrer les modes d'existence et de pensée des peuples disparus. Le titre même de l'ouvrage de Fernand Benoit, Art et Dieux de la Gaule, est révélateur de cette indissociable union des croyances de l'homme et des formes créées de sa main.
C'est souvent à partir de la mort, c'est-à-dire à partir de ce que nous ont livré les nécropoles, que la vie s'anime aux yeux de ces sortes de nécromanciens que sont les archéologues. Leur tâche n'a pas été facile en ce qui concerne une civilisation aussi dispersée et instable que le fut le monde des Celtes. La complexité des mouvements de migration en Europe occidentale a été telle Qu'il est impossible de savoir avec précision comment se sont formées les zones de population les plus stables à l'époque de la grande expansion celtique, entre le V," et le Il'" siècle avant J.-C. Pour mieux comprendre sur Quelles données et sur Quelles incertitudes se fondent l'histoire et la géographie de ce Que furent, à l'époque de leur indépendance, avant l'invasion romaine, les peuples que, faute d'une meilleure dénomination, on appelle gaulois, il serait profitable de commencer par lire l'ouvrage de Guido A. Mansuelli sur les Civilisations de l'Europe ancienne (égaIement publié chez Arthaud). On y trouvera une utile approche des problèmes étudiés par Fernand Benoit. A partir de l'occupation romaine, tout devient plus facile pour l'archéologue et pour l'historien, encore que les chroniques contemporaines ne
puissent être utilisées sans éclaircissements et que beaucoup de pierres n'aient pas livré leur secret. Nous ne connaissons aucune littérature des Celtes du continent, et celles de la Celtique insulaire, galloise et irlandaise (les poèmes épiques des Mabinogion) , ne remontent pas au-delà du haut Moyen Age. Des poèmes chantés par les druides ne nous sont parvenus que des échos chez les auteurs romains. Et tout ce qui peut être dit au sujet de leur religion se fédult à quelques aperçus sur le culte des ancêtres et sur la croyance à la survie. Même plus tard, à l'époque d'une imprégnation romaine des cultes, la part de survivance d'un.e magie Indoeur.opéenne devait Introduire dans l'imagerie sculptée des sanctuaires bien des éléments demeurés mystérieux. Aussi, lorsque César, dans ses Commentaires de la Guerre des Gaules, citait les dieux adorés par les Gaulois: Mercure, Apollon, Mars, Jupiter, Minerve, nous devons comprendre qu'il n'était pas en mesure de découvrir en quoi les dieux ainsi nommés se différenciaient profondément de ceux qu'ils avaient en partie empruntés à la théogonie gréco-romaine.
Pluralité des iDflu8nOH Le reflet de ces conjonctures spirituelles apparaît dans l'art gaulois en même temps que s'y révèlent les divergences esthétiques dues à la pluralité des influences qui ont orienté ses créations. Ce manque d'unité a été pendant longtemps la cause d'un désintérêt des historiens de l'art, sauf en ce qui concerne les monnaies où s'est manifesté le style gaulois le plus original. Pour Fernand Benoit, une continuité celtique se dégage à travers les styles successifs qu'il étudie à partir des œuvres les plus primitives que la terre gauloise ait recélées. Il constate ainsi la persistance de certains caractères d'origine préhistorique et l'utilisation de motifs et de symboles • barbares. (le chien et la tête coupée) prolongée jusqu'à l'époque romanisée.
La Gaule et ses· dieux Dans le répertoire iconographique très étendu, les intentions symboliques ne sont pas toujours identifiables, surtout lorsqu'elles se cachent dans la pure abstraction des signes, héritée du langage magique. Le culte du héros, apparu dès l'époque mégalithique avec les statues - menhirs, nombreuses en Corse (où elles ont été l'objet d'une étude approfondie de Roger Grosjean) (1), se retrouve avec les cavaliers combattant de Glanum et les figures de guerriers, découvertes à Entremont, cette capitale de l'archéologie celtique méridionale. Ce sont encore des guerriers qui participent à une scène d'initiation ou de résurrection sur les parois du chaudron de Gundestrup trouvé dans un marais, au nord du Jutland, mais dont l'origine est restée ignorée. Le beau décor en relief d'argent se réfère au thème du «chaudron d'immortalité. que l'on voit entouré des dieux de la mythologie celtique avec leurs attributs: roue de Taranis et maillet de « l'Assommeur., libérateur des âmes. Toute une zoologie fantastique y est aussi figurée, le griffon et l'hippocampe ailé voisinant avec le serpent des divinités chtoniennes. Le style à la fois réaliste et synthétique du chaudron de Gundestrup se différencie, par sa finesse, des styles étrusques ou hellénistiques qui ont apporté leur contribution et souvent leur lourdeur à la sculpture gallo-romaine. Mais celle-ci, dans son évolution du 1" au lue siècle, s'est affirmée par une technique de la statuaire qui ajoute à ses sources romaines un génie particulier. La force, parfois la sensualité, des bas-reliefs de mausolées, annoncent la formation d'un art qui trouvera son plein épanouissement au Moyen Age. Ceux qui ont eu la chance de voir, cet été, l'exposition des Trésors de l'Art champenois au Musée d'Art et d'Histoire de Fribourg ont pu remarquer en même temps que de très belles pièces du xv" et du XVI" siècle, une série de sculptures galloromaines provenant du Musée Saint-Didier, à Langres. A côté de divinités dont les figurations ont été si bien étudiées par Fernand Benoit : Epona et
Masque de Tarbes.
son cheval, le Dieu cornu, le Dieu au maillet, etc., un Buste masculin, montrant non plus l'effigie d'un dieu mais le portrait d'un homme vêtu d'une pèlerine à capuchon, était un excellent exemple de cet art qu'il ne semble pas trop prématuré d'appeler pré-roman. On sent par quel caractère monumental l'œuvre se rattache encore à l'antiquité et par quel goût
La Quinzaine littéraire, du 16 au 28 février 1970
d'une observation sensible le sculpteur appartient déjà à la grande époque de la sculpture médiévale. Par ces pierres sculptées, dont beaucoup sont demeurées longtemps dans l'ombre déserte des musées d'archéologie, et que des travaux plus attentifs commencent à éclaIrer d'un jour meilleur, nous apparaît de plus en plus instruc-
tive et enrichissante l'exploration de la grande nuit gauloise. Jean Selz ,. Roger Grosjean, La Corse avant t'histoire (Klincksieck, 1966). Sur la conquête par les Celtes de l'Europe occidentale à l'âge du fer, sur leur place dans l'évolution de la civilisation occidentale. sur la survivance de leurs mythes et de certaines valeurs fondamentales. on lira utilement l'ouvrage qui vient de paraître de Jean Markale: Les Ce/tes et /a civilisation celtique. Payot. éd., 492 p. (N.D.L.R.).
1'7
B88AI
La nouvelle Northrop Frye Anatomie de la critique Traduit de l'anglais par Guy Durand Coll. Sciences Humaines, Gallimard éd., 455 p.
c'est dans l'optique des efforts décisifs que fait la critique littéraire depuis une vingtaine d'années pour constituer son propre objet qu'il faut considérer les mérites de ces essais dont la publication aux Etats-Unis remonte à 1957. L'intérêt de ce travail réside principalement dans la gageure qu'il tente de- soutenir à propos de la critique littéraire dont Frye veut struc· turer l'édifice à la fois global et autonome.
Rien, en effet, n'apparaît plus capital pour l'avenir de ce type d'écriture que de se remettre en question par rapport aux autres types de discours. On sait aussi que cet « exercice» a longtemps été considéré comme « parasitaire » vis-à·vis de l'œuvre « créa. trice D.
Il s'agit tout d'abord pour N. Frye d'un problème de délimita· tion de champ. Son désir est de constituer une « grammaire » spécifique du discours critique pero mettant de le dissocier du langage créateur qui est l'objet de ses énoncés. Ces « clefs de composition» ne doivent pas non plus recouper les autres «grammaires», celles des sciences humaines par exemple. Pour lui, la critique doit être par rapport à l'œuvre, ce que la philosophie est à la sagesse, c'est-à-dire un domaine de réflexion indépendant. Ce sont les langages mathématique et musical qui semblent les plus appropriés à isoler la critique des autres formes de discours, en raison de leur rigueur et de leur absence de conte· nu émotionnel. Mais ce sont encore des formulations idéales... En fait les essais contenus dans ce livre se fondent sur les distinc· tions formulées par Aristote dans sa Poétique et sa Rhétorique, d'une part, et sur la pensée Tho· miste, de l'autre, et l'apport de l'esthétique allemande, préfichtéenne. Les quatre grands chapitres 18
qu'il présente concernent respec. tivement : la critique historique (théorie des modes), la critique éthologique (théorie des symboles), la critique des archétypes (théorie des mythes) _et la critique rhéto. rique (théorie des genres). Les exemples littéraires sont pris pour la plupart dans la littérature anglaise (on sait que les autres travaux de Frye portent principale. ment sur Shakespeare, Milton et Spencer) et surtout dans l'Ancien Testament qui apparaît comme la source par excellence, l'archétype privilégié dont sont issus tous les autres mythes, symboles et métaphores de la littérature dans son ensemble. Partant comme Aristote des ori. gines formelles de l'art, Frye reprend l'étude des modes tragique, comique et ironique de l'œuvre littéraire en utilisant les niveaux de caractérisation des personnages selon une axiologie rationnelle : dans la mimésis supérieure, le héros est Dieu ou comparable à
imaginatif vers le mode thématique, c'est·à-dire de l'a_ffabulation encyclopédique et oraculaire à l'écriture de fiction « thématique » qui ironise sur des situations particulières et humaines. Frye fait appel aux quatre niveaux de la critique médiévale (littéral, allégorique, éthique et anagogique ou mystique) pour envisager les niveaux de signification de l'œuvre du point de vue de sa polysémie fondamentale. Le symbole peut être littéral ou descriptif : il est alors une structure verbale minimale renvoyant à la finalité interne de l'œuvre. Le symbole abstrait le germe hypothétique qui est à la base de tout discours littéraire. Les complexes d'images contenus dans un poème sont la matière, ou texture à la· quelle s'attache l'école de la «Nouvelle Critique » américaine. Celle. ci considère l'œuvre comme une « structure ambiguë de motifs enchevêtrés» dans 1 e s que 1 s « l'image récurrente » du symbole
La tâche du critique consiste à reforger les maillons rompus d'une chaine rattachant la création à la connaissance, l'art à la science, le mythe au concept.
lui, l'œuvre relève alors du mythe, les demi-dieux donnent l'écriture des légendes, le héros tragique, la tragédie et l'épopée. Dans la mimésis inférieure, on trouve l'homme moyen de la comédie, de la satire et de l'il'onie. Le mode tragique souligne l'aliénation du pero sonnage par rapport à son groupe social, la comédie relève au contraire de son intégration au groupe. D'une manière générale, les modes supérieurs tendent à l'impossible, au rêve de l'homme, alors que le mode inférieur demeure plus proche de la réalité quotidienne. Le mode thématique qui est celui de la pensée (diano'ia) s'oppose au mode imaginatif des mythes (mythos) et à celui de la situation morale des personnages (ethos). Dans son développement historique la création littéraire a progressivement évolué du mode
renvoie à des rapports internes. C'est, pour Frye, une critique de commentaire qui refuse de remonter aux sources véritables des images. En effet, s'il y a tautologie de l'œuvre par rapport à elle· même, elle se situe à un niveau plus profoud et les points de vue heuristiques, pour inépuisables qu'ils soient, doivent «remonter» dans l'univers des images signifiantes jusqu'aux instances d'ordre archétypal. Considéré comme fondamental, l'archétype est « l'agent symbolique de la communication» à tra· vers les âges; (le symbole n'en représente que l'élément instantané) il révèle une unité organique « semblable à l'unité organi. que de la nature Jl. Sans accréditer l'existence d'un inconscient collectif immanent à la création littéraire (celle-ci est toujours pour Frye, comme pour Aristote
« l'imitation d'une action et/ou d'une pensée) l'auteur remonte • la chaîne symbolique des images signifiantes» (comme la croix, ou la couronne) dans une optique jungienne et analyse successivement les imageries « apocalypti. que », « démonique », et « analo· gique ». Tous ces ensembles se raccordent à une totalité archétypale qui fonctionne comme un ordre naturel et dans lequel se situe l'affrontement originel entre le désir et la réalité, le rituel et le rêve. Les mythes sont alors des arché· types « déphasés » ou désacralisés qui « descendent» au cours de l'histoire depuis le niveau du divin jusqu'à celui de l'humaine condition sous l'égide de grands cycles, tell! ceux de la naissance et de la mort, ou celui des saisons.
Dans son quatrième essai, Frye propose une classification des œuvres d'art à partir des trois autres catégories aristotéliciennes concernant la «musique» (mélos), l'aspect visuel (l'opsis) et la dico tion (lexis). Pour lui, la notion de rythme est inséparable de l'écriture en général. Que ce soit le rythme de récurrence propre à la poésie, ou le rythme sémantique dominant dans l'ouvrage en prose, le lyrisme inhérent à la création artistique se fonde sur l'existence « d'accords fortuits» dans le rythme verbal ; ces accords dénoncent l'existence d'un centre de gravité profond, situé en deçà de la pensée consciente et dans lequel intervient le jeu associatif du rêve. La poésie jaillit de ce « murmure J) ou « brouillon» et compose les éléments de l'imagerie ly. rique, tel un idéogramme chinois, à la manière d'un collage associatif qui se détache peu à peu avec son rythme propre des zones feu· trées du subconscient. Dans l'évolution de l'expression théâtrale, qui va du sacré au réa· liste en passant par le mythique « semble se dégager l'idée que la poésie con.,titue un élément intermédiaire et médiateur entre la lit. térature et la philosophie, qui viendrait rattacher par ses images, les chaînes symboliques d'événe· ments de la première aux idées intemporelles de la seconde ». Entre «['autosacramental:ll du Moyen Age et la comédie propre· ment dite se trouvent « le masque J) et le mime, dans lesquels la musique retrouve ses droits au même titre que l'élément visuel.
. critique amerlCalne ~.
On peut, de nos jours le placer de type documentaire exhaustif et entre l'opéra (mélos) et le cinéma encyclopédique (Anatomie de la (opsis), c'est·à·dire à mi·chemin Mélancolie de Hurton), ~enre qui du mélodique et du visuel dans le se mêle intimement au roman. spectacle. Les « moralités » elles, C'est dans la Bible que N. Frye remontent aux archétypes et à la 8emble situer la 'source commune naissance de la tragédie telle que de tous les symboler. littéraires. la concevait Nietzsche, c'est·à·dire Elle représente l'archétype domià la représentation d'un affronte· nant qui va de la Création à l'Apo. ment entre le monde de la folie calypl!e au moyen d'un discours dionysiaque et celui de l'ordre fait d'identifications d'ordre métaapollinien. phorique. Forme suprême de A l'intérieur du cycle lyrique l'focriture « encyclopédique », elle que constitue l'œuvre d'art en gé. contient tous les thèmes de la litnéral, poésie et fiction se rejoi. térature à venir, celui du Retour gnent grâce à la continuité des (l'Odyssée), celui de la Colère archétypes. C'est ainsi que Frye (l'Illiade), celui de la Construcpeut rattacher les processus d'~s. tion ou de la Destruction de la sociation oraculaire propre aux Cité, celui des mondes Inférieur textes sacrés (où dominent la pro- et Supérieur (Dante). phétie, l'aphorisme, la parabole La tâche du critique consiste à et le proverbe) au lyrisme poéti- « reforger les maillons rompus que moderne de Hopkins ou de d'une chaîne rattachant la création T.S. Eliot. Leur ambiguïté poé- à la connaissance, l'art à la tique n'est pas différente en na- science, le mythe au concept ». ture de celle des psaumes hébraï· En dehors de la contribution ques par exemple. La fable et la évidente qu'une entreprise de sysparabole se retrouvent donc aux tématisation telle que celle·ci peut deux extrémités de la chaîne histo· offrir à la critique littéraire en rique dans une association spécitant que discipline autonome, une fique qui est celle des rythmes sémantique (de la prose) et tentative de cet ordre ne peut man· quer de soulever quelques ques. récurrent (de la poésie). tions de fond. On peut se demanFrye fait une distinction inté- der, par exemple en quoi consiste ressante entre la fiction et le ro· la distinction entre ce que Frye manesque du point de vue de la appelle « modes» et ce qu'il conception des personnages : le appelle « thèmes» dans l'œuvrf' romanesque, genre plus ancien, littéraire. S'agit-il de « tonalité» présen,te, de!! êtres stylisés, irréels, et de « contenu » ? Pour ce qui et « susceptible de représenter des est du « symbole » qu'il compare archétypes psychologiques» en à l'ethos (situé entre la pensée rapport avec l'interprétation de - diano'ïa - et l'action - mytype jungien. Le roman tend au thos), il ne fait pas l'objet d'une contraire vers la singularité de cas véritable analyse théorique. Sa individuels et l'intégration de sa nature contradictoire, 'par exemmatière à une conception de la ple, (son double aspect de particitemporalité de type occidental, pation et de résistance à la commu· c'est-à-dire le plus souvent contem· nication des consciences) n'est pas porain. Le romanesque demeure abordé, pas plus qu'il ne l'est pour un genre plus universel et proche la métaphore qui semble envisagée du mythe. sous l'aspect exclusif de « l'identi· Les autres formes de fiction ~i fication ». Il semble aussi que les existent à côté du « romanesque » unités minimales du discours, et du « roman » sont « la confes- telles que l'image verbale d'un sion» dans laquelle la réflexion côté, et l'archétype premier, de d'ordre politique, religieux ou l'autre, vus comme lieux de signi. esthétique domine (Rousseau), fication intime sont précisément « la satire» de type Ménippéen les éléments sur lesquels s'instaure qui ridiculise le « philosophe glo. toute problématique textuelle et rieux » et s'intéresse aux attitudes non son point d'aboutissement. mentales des personnages comme à Et puisque, en fait, il s'agit de des maladies de la pensée (Vol. concepts anthropologiques appli. taire, Rahelais, Swift) - alors que qués à une théorie de « l'origine », le romancier voit dans les attitudes comment rendre compte des myde ses personnages des maladies thes sans écriture? L'auteur de la société et enfin « l'anato. semble poser comme hypothèse mie » qui correspond à une œuvre que la littérature est déjà entière. La Quinzaine littéraire, du 16 au 28 f~rier .1970
1920-1970: il Y a cinquante ans la scission de tours...
ANNIE KRIEGEL AUX ORIGINES DU COMMUNISME, FRANÇAIS dans la collection
SCIENCE••• ...DE L'HISTOIRE .J. F. P. E.
BOUVIER: NAISSANCE D'UNE BANcaUE: L. CREDIT LYDNNAIS eRAUOEL : I!CRITS SUR L'HISTDIRE GOUeERT : 1CC acc PROVINCIAUX AU XVII. SII!CLI! LE ROY LADURIE: LI!S PAYSANS DI! LANGIUEDDC
...DE LA NATURE T. ooeZHANSKY: L'HEREDITI! I!T LA NATURI! HUMAINI! LECOMTE OU NOUY: L'HDMME DEVANT LA SCII!NCE H. POINCARE : LA SCII!NCE I!T L'HYPDTHESI! R. RUYER: LA CYSI!RNI!TlcaUl!' ET L'DRlcalNI! DI! L'INFDRMATIDN ,.J, ULLMO: LA PENSI!I! SCIENTIFlcaUI! MDDERNE
...DE L1HOMME FDNTANIER: L.S FIGlURI!S DU DISCCURS W . .JAMES: LI! PRAGIMATISMI! e. RUSSELL: SIGINIFICATIDN ET V.RITI! E. SOURIAU: L.A CORRI!BPDNDANC& DES ARTS
chaque volume: 7.2Df
FLAMMARION ment construite et qu'elle est ana· logue dans ses fonde.ments à l'or· dre naturel du monde. Dans cette perspective aristotélicienne de la continuité des manifestations, il ne semble pas y' avoir de place pour les. ruptures. ' Ùn objectera sans doute aussi à la fréquence des correspondances de type élétuentaire auxquelles les laborieuses nomenclatures de ces essais ont donné lieu (peut-on vrai. ment rapprocher la « petite madeleine» de Proust de l'Eucharis. tie ?). Il y a, à n'en pas douter, un nombre considérable de « fausses fenêtres» dans cet édifice où l'auteur fait correspondre chaque saison de l'année à un genre litté. raire particulier. Enfin deux questions se posent surtout : Pourquoi dem.ander à des systèmes de pensée révolus (l' Aristotélisme et le Thomisme) de résoudre les problèmes spécifiques de l'âge modeme, et ensuite com· ment peut·on envisager d'éviter dans l'activité critique la multidi· mensionalitéde l'homme telle que
l'énoncent la psychologie,. la socio~ logie, la psychanalyse et la lin· guistique ? En dehors de ces questions, aux· quelles, il faut bien l'avouer;'la critiJIUe contemporaine n'a pas encore répondu, ce travail présente le mérite insigne de tenter une synthèse des modes d'approche de l'œuvre d'art (3). Sa lectùre, permettra au critique de mesurer, une fois de plus l'importance de son discours dans un monde où le problème du langagé et de ses ma· nifestations demeure l'enjeu le plus passionnant, sinon le plus dif. ficile à assumer.
Anne Fabre-Luce 1. R. Genette; 'Enquête SUT la Critique, Tel Qnel, nO 14 p. 70. 2. R. Barthes, Critique et Vérité, Le Senil, 1965, p. 46. . 3. Les trois niveaux de significatiOn de l'œuvre d'an (naturelle, conventionnelle et de contenu), que propose Panofsky, par exemple, JNlI'IÙ8IIent remplacer dans une optique « moderne» le principe de cohérence proposé par Aristote. L'œuvre d'an et /lU si,nifU:ations, Erwin Panofsky, Gallimard, 1969.
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ÉCONOMIE
HI8TOIRB
Les Physiocrates U.S.A. 1985
POLITIQUE François Quesnay Tableau économique des Physiocrates Coll. « Les fondateurs de l'économie» . Calmann-Lévy éd., 272 p. Voici une nouvelle collection qui va enfin permettre d'accéder, pour .un prix modéré, aux grands textes économiques qui étaient généralement épuisés ou repris dans des éditions pour spécialistes. Son premier titre : les écrits essentiels de François Quesnay. Si l'on ne connaît les physiocrates que par l'ironie voltairienne de l'Homme aux quarante écus, ce choix peut surprendre. La présentation historique et théorique rédigée par M. Lutfalla est propre à éliminer d'éventuelles préventions,
ESPRIT Lettre sur l'homosexualité
• L'Université : enquête aux U.S.A.
• Giacometti
• La violence selon Freud et selon la Bible
• L'armée française ou Tchad
car il montre de façon convaincante l'importance de Quesnay sur le plan des techniques d'analyse économique. Son Tableau, qui décrivait graphiquement la création et la circulation des richesses à partir du secteur agricole, est en effet à l'origine des modèles économiques (tels que ceux de Leontieff), qui retracent les relations entre les diverses branches d'une économie et permettent, par exemple, de mesurer l'incidence d'une variation de la dépense (publique ou privée) sur les niveaux de production respectifs de ces branches. Il y a plus : Quesnay ne fut pas simplement un précurseur remarquable de ce qu'on pourrait appeler l'analyse macro-économique. Son originalité, c'est aussi d'avoir affir· mé, comme le dit très bien Herbert Lüthy (1) que « le travail humain ne peut créer des richesses qu'en s'alliant aux forces productives de la Terre ». Est-ce aller à l'encontre de l'analyse marxiste? Je ne le crois pas personnellement, si l'on veut bien se souvenir que l'apport de Quesnay a consisté à fonder la valeur économique sur des bases naturelles, à savoir les ressources du même nom, alors que Marx, tout en prenant comme fondement de la valeur le travail humain, donc de l'offre, n'a cessé en même temps d'insister sur l'origine sociale des besoins humains, c'est-à-dire de la demande. Or s'il est vrai que le travail humain devient au fil du temps plus productif grâce au progrès scientifique et technique, et que les besoins changent en fonction de la dynamique des sociétés, nous commençons maintenant à prendre conscience que la dialectique du travail et des besoins s'in· sère inévitablement dans un milieu naturel sans lequel la mécanique économique finirait par tourner à vide (2). Ainsi notre dette intellectuelle envers Quesnay, c'est d'avoir réintroduit cette partie ~anquante, la nature, qui après avoir été édifiée sous ce qu'Auguste Comte appelait l'âge théologique, avait été par un excès inverse totalement passée sous silence par les libéraux et les socialistes, pour une fois d'accord.
Bernard Cazes
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(1) Le Passé pr6sent. éd. du Rocher,
FËVRIER 1970, 8 F
p. 163. (2) C'est d'ailleurs un des aspects
ESPRIT l
8
19, rue Jacob, Paris 6 C.c.P. Paris 1154-51
l'
les plus originaux du livre de Rlchta. la Civilisation au carrefour (Anthropos) que ce rappel de la dimension écologique de la vie économique et sociale.
Donald N. Michael U.S.A. 1985, Editions ouvrières, 215 p.
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Une histoire vraie, et bien sûr cari· caturée, permet de définir l'attitude prospective : en France, lorsqu'il s'est agi d'élaborer une politique de la jeu· nesse, on s'est adressé aux jeunes pour leur demander leurs opinions, leurs désirs, leurs espoirs. On a oublié que lc temps du dépouillement et de l'inter· prp.tation, de la définition et de la mise en œuvre de la politique choisie, les jeunes pour lesquels celte politique devait être fondée étaient devenus des
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Fernand Braudel Ecrits sur l'Histoire Flammarion éd.
L'œuvre de Fernand Braudel est considérable. Les écrits de l'historien, la Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe Il - achevé il y a maintenant presque un quart de siècle - , Civilisation matérielle et capitalisme, paru en 1967, enCt v·jeux n. tre autres, constituent mainteAux Etats.Cnis, lorsque le ministère nant des modèles et ceux qui, de la Santé, de l'Education et des historiens ou théoriciens, s'intéAffaires Sociales a voulu élaborer une ressent aux méthodes des politique satisfaisante de la jeunesse, il s'e~t adressé à un sociologue pour lui sciences historiques ne peuvent demander ce que seront les Etats·Unis manquer de s 'y référer. en 1985. A partir de ce point d'arrivée, Au . Collège de France, depuis une politique cohérente et utile peut être préparée (sera·t·elle en œuvre? 1950, l'enseignant a révélé des do·c'est une autre histoire). maines de recherches nouveaux et Le livre de Donald Michael est le a allié au travail historien la cri. résultat Je cette enquête prospective. tique de ce travail. A la sixième Ecrit simplement (et fort bien traduit), section de l'Ecole pratique des il est une recherche de bonne foi dll futur probable de la société et de l'éco· Hautes Etudes, il a encouragé et nomie américaine. Si aucun palier de la protégé les chercheurs qui vouréalité sociale n'est oublié (on trouvera laient du nouveau, alors qu'il des développements intéressants sur la n'était pas entièrement d'accord famille et la sexualité), c'est sur la tech· nologie, l'économie et plus généralement avec eux. Et il a contribué à faire sur l'extension de la rationalité à tous les des « Annales (Economie-Sociététypes d'activité (l'économie est, rappe· Civilisation) » la revue historique lons.le, la science de l'aménagement rationnelle des ressources rares) que la plus riche, la plus vivante et la plus solide qu'on puisse lire actuell'auteur a les choses les plus stimulantes à nous dire. lement. Retenons que, malgré les grands pro· Précisément, l'intérêt de ce regrès de l'enseignement (machines à cueil de Fernand Braudel, Ecrit:. enseigner, etc.) le monde d'après.de. sur l'Histoire - qui regroupe des main souffrira d'une pénurie de main· d'œuvre qualifiée, la main·d'œuvre textes allant de 1946 l 1963 non for m é e , notamment noire, est de présenter les divers .aspects étant au contraire excessive, et que les de cette activité. Les articles sont hommes nouveaux - chercheurs scien· tifiques, mathématiciens, économistes distribués en trois rubriques d'inéspécialistes des ordinateurs (la « techno· gale longueur : le:. Temp:. de structure» chère à Galbraith) - travail· l'Histoire, l'Histoire et les autre:. leront 60 à 70 heures par semaine. Voilà sciences de l'homme, Histoire et qui chan!!e des prophéties de certains Temps présent. Il n'est pas sûr que ou des 35 heures présentes du plombier new·yorkais. ces titres soient bien choisis. Ils ont, Surtout le règne de l'ordinateur - ce en effet, un côté formel qui ne rend que l'auteur appelle la cybernation nullement oompte du frémissement conduira au travail continu, 24 heures des pages, de leur écriture, tantôt sur 24. On voit immédiatement les consé· ironique, tantôt érudite, tantôt chaquences de cette activité échevelée sur leureuse. le peu de vie de famille qui restera en 1985'! Il ne semble pas que l'autem En fait, à travers ces différents les ait toutes tirées. textes - différents par les objets, Donald Michael s'effraie des possibi· se manifeslités de sur-production : le vieux mythe le ton, les objectifs stagnationniste renait. Michael écrit : tent, semhle-t-il, les trois « obses« Il &e peut que notre cOMommation sions » majeures de Fernand Braunationale ne &oit plU &u//i&ante pour del. N'essayons pas de les classer maintenir le chômage (des non qualüiés) et risquons l'arbitraire. Il y a à un ni"eau tolérable ». Aussi faudra·t·il trouver un système pour surpayer les d'abord le thème de l' « intérêt J) inutiles et permettre à la machine ou de l' « utilité » de l'histoire. de con tin uer de tourner ration- On retrouve ici l'admirateur de nellement. Le rôle de l'Etat ne manquera Michelet. Que l'historien s'entoure pas de s'étendre sous la pression de ces de toutes les préca~tions, qu'il faits. L'auteur conclut sur le caractère non fasse œuvre de science, qu'il utiagréable du tableau tracé et sur son lise le contrôle des « disciplines pessimisme. En 't'ériré•.. annexes » : il ne .saurait oublier que son travail - porterait-il sur
Un grand historien le passé le plus lointain ou l'objet le plus abstrait - est du présent, qu'il a rapport à celui-ci et qu'en aucun cas ne saurait être abolie la co-présence du jadis, du naguère et du maintenant. Remarquable à cet égard est l'analyse consacrée au livre de Marwin Harris sur une petite ville brésilienne: l'étude portant sur la situation actuelle de Minas Velhas - qui a survécu à « la catastrophe des mines d'or» - rend intelligibles « les mécanismes mé.dié· vaux ou à demi-modernes que nous offre l'histoire européenne ». Déjà les prétentions de la philosophie de l'histoire sont contestées, qui voudraient que l'ordre d'une prétendue chronologie mondiale préside au choix des historiens. Mais c'est plus encore dans le chapitre V du vingtième tome de l'Encyclopédie française que se manifeste ce refus du· « tout-fait» de l'histoire spéculative. On se réjouira fort, par exemple, qu'à propos d'un essai de définition de la notion de civilisation, soient dénoncées les insuffisances radicales des « livres clairs, des plaidoieries habiles, des évocations intelligentes d'Arnold Toynbee» ou les improvisations poétiques d'Oswald Spengler. Bref, l'historien n'a pas à supposer un ordre préalable, manifeste ou caché qu'il soit désigné comme destin, cycle, répétition ou progrès - . Dans son présent, il a affaire à une dispersion ;' il doit, dès lors, découvrir des fils, tisser une trame, savoir jusqu'où « on peut aller trop loin» (dans le passé) et reconstituer, ainsi des temporalités. Voici la deuxième « obsession » admirateur cette fois de ceux qu'il nomme ses maîtres, Lucien Febvre et Marc Bloch, Fernand Braudel pose la question essentielle des sciences politiques, aujourd'hui celle qui est la plus souvent éludée. Entendons bien qu'il ne s'agit pas de la question philosophique du temps et de sa nature : le problème est celui de la pratique de l'historien face aux « consécutions tem-· porelles», « aux suites d'événements» que, dit-on, lui offre le passé. Deux interrogations intedèrent ici. Celle du « fil du temps» d'abord. Voici un fi: présent» : un présent politique, par exemple: jusqu'où est-on en droit de remonter pour que s'établisse une bonne explication; car il' arrive qu'au cours de cette régression, le « fil »
se casse et que, dès lors, on entre dans la variation romanesque. Cela, on l'appelle aussi le problème de la périodisation. Mais à le poser ainsi, on reste dans l'abstrait. Fernand Braudel suggère constamment que la' pratique historienne a affaire à des questions plus techniques, et qui exigent autre chose que des réflexions théoriques sur la validité de telle ou telle coupure, traditionnelle ou originale. Ainsi, la seconde « obsession » s'articule autour d'un thème plus important encore; celui de la diversité des niveaux de temporalité. La chronologie - celle des événements repérés, celle des années est un cadre vide. Quant aux informations que livre après quel effort! - le passé, il importe de les ordonner. La philosophie de l'histoire - d'Augustin à Hegel et à Spencer - , suivant en cela les récits historiens classiques ne fait guère de manières : pour ordonner son discours, elle s'accommode de ce cadre vide. Or, remarque F. Braudel, et ce n'est pas par hasard qu'il a mis en tête de ce recueil quelques pages de la préface à la Méditerranée... à l'époque de Philippe 11, ce qui compte, ce n'est pas le temps, le devenir, en général, mais la temporalité, pour ainsi dire, matérielle - au sens où Bachelard utilisait cet adjectif - , les modes de vie réels (et imaginaires) des sociétés. Sans doute, faut-il en venir enfin à « l'histoire tradi· tionnelle, si l'on veut l'histoire non de l'homme, mais de l'individu, l'histoire événementielle»; mais en-deçà il y a l'histoire sociale, « celle des groupes et des groupements »; en-deçà plus profondément, il y a « une histoire quasiimmobile, celle de l'homme dans ses rapports avec le milieu qui l'entoure... : Je n'ai pas voulu négliger cette histoire-là, presque hors du temps, au contact des choses inanimées, ni me contenter, à son sujet, de ces traditionnelles introductions géographiques à l'histoire, inutilement placées au seuil de tant de livres, avec leurs paysages minéraux, leurs labours et leurs fleurs qu'on montre rapidement et dont ensuite il n'est plus jamais question, comme si les fleurs ne revenaient pas avec chaque printemps, .comme si les troupeaux s'arrêtaient .dans leurs déplacements, comme si les navires n'avaient pas à voguer sur une mer réelle, qui change av'ec les saisons.» C'est cette histoire quasi-immo-
La Quinzaine littéraire, du 16 cm .28;évriB 1970
Fernand Braudel.
bile qui fascine Fernand Braudel, c'est à elle qu'il a consacré ses analyses les plus riches et les plus novatrices. N'est-il point, dès lors, sociologue autant qu'historien ? La troisième « obsession » s'inscrit ici: les Ecrits sur l'Histoire posent constamment la question du statut de la science historique face à ces disciplines nouvelles-venues, impérialistes, remuantes, la sociologie, la psychanalyse, l'ethnologie. D s'interroge sur la place que doivent occuper ce qu'on tient trop facilement pour des l( sciences annexes »: la démographie, les géographies, l'économie, l'anthropologie physique, mais il ne tombe pas dans le piège de l'interdisciplinarité. Il sait bien que le « pluridisciplinaire » à la mode est le « Tout en un » du n'importe quoi de la culture, dont l'expresse finalité est la formation des cadres, de l'agent immobilier au P.D.G.; il sait bien qu'il convient de poser le problème des relations entre disciplines en termes tout à la fois institutionnels, techniques et théoriques. Cela vaut à son lecteur des études d'autant plus probantes qu'elles traitent, non de telle relation en général - celle de l'histoire à la démographie ou à l'étude statistique - , mais d'ouvrages effectivement écrits - de M. Sorre, de P. Chaunu, d'O. Brenner, de A. Sauvy, d'E. Wagemann, de L. Chevalier pour les évaluer dans leurs résultats et leurs méthodes. A la lecture de ces remarquables critiques on en vient à se demander si la perspective de Fernand Brau· deI n'est pas trop modeste ou, si l'on préfère, resserrée. Sévère pour les historiens «de profession:e, n'est-il point trop accueillant pour
les « sciences rivales », pour la sociologie en particulier ? Celle-ci, il la reçoit tout entière - avec une bienveillance trop grande. Il dialogue avec Georges Gurvitch comme si celui-ci, quelqu'ait été son apport, représentait l'essentiel des recherches de ce type ; il se met, pou.r ainsi dire, en retrait par rapport à ces disciplines de la fi: généralité humaine»: la sociologie, mais aussi la psychanalyse, la philosophie (dont il n'étudie pas précisément l'impact sur l'histoire mais qu'on sent implicitement présentes). Par souci de libéralisme, par volonté de briser les cadres institutionnels, par volonté de donner à la recherche scientifique les chan· ces qui lui restent, Fernand Braudel en arrive quelquefois à ne pas reconnaître aux travaux historiques l'importance exemplaire qu'ils ont aujourd'hui. Il est vrai que les historiens ont des difficultés à élaborer leurs méthodes et que, souvent, les plus inventifs sont dans le le droitfil» d'une référence quelque peu massive: démographique ou autre. Il est vrai aussi qu'il y a plus d'informations, de suggestions dans leurs textes que dans les exposés programmatiques des théoriciens sociologues, dans les réflexions des philosophes sur la nature du temps ou dans les méditations des prétendus adeptes de Freud sur le rapport travail-désir. Certes, fi: il n'y a pas de voie royale pour la science», comme l'écrit Marx à La Châtre - phrase que rappelle opportunément Fernand Braudel. Mais cet énoncé, il convient de l'entendre non comme affirmation d'un empirisme prêt à tout recueillir, mais comme formule polémique. Cela signifie que chaque science constituée par une tradition doit sans cesse détruire ses méthodes, ses modèles, ses objectifs, son objet et s'interroger sur les relations qu'elle entretient avec les institutions. Et c'est d'abord dans son propre travail, dans les obstacles qu'elle y rencontre, dans le combat qu'elle doit mener contre l'ordre idéologique et administratif régnant, qu '~lle puise sa force questionnante. Au vrai, les historiens n'ont guère à recevoir aujourd'hui, de la sociologie en général, de la philosophie en général... Ils ont à construire leur science : dans leur pléthorique solitude. Comme l'a fait, dans son œuvre, Fernand Braudel.
Françoi.$ Châtelet 21
POLITIQUE
Djilas Baudelaire ( ... ] Personne ne s'étonnera qu'une pen· sée finDle, suprême, jaillisse du cerveau du rêveur : «Je suis devenu Dieu!" qu'un cri SGUooge, ardent, s'élance de sa poitrine avec une én.ergie telle, une telle puissance de projection, que, si les volon· tés et les croyances d'un homme ivre avaient une vertu efficace, ce cri culbuterait les anges disséminés dans les chemins du ciel: « Je suis un Dieu! • Mais bien· tôt cet ouragan d'orgueil se transforme en une température de béatitude calme, muette, reposée, et l'universalité des êtres se présente colorée et comme illuminée par une aurore sulfureuse Si par hasard un vague souvenir se glisse dans l'âme de ce déplorable bienheureux : N'y auraitil pas un autre dieu? croyez qu'il se redressera devant celui-là, qu'il discuterases volontés et qu'il l'affrontera sans terreur. Qeul est le philosophe français qui
pour railler les doctrines allemandes modernes, disait : «Je suis un dieu qui ai mal diné ? " Cette ironie ne mordrait pas sur un esprit enlevé par le haschisch; il répondrait tranquillement : «Il est p0ssible que j'aie mal diné, mais je suis un dieu.• Ch. Baudelaire, Les Paradis artificiels,
Le Poème du haschisch. Paris, « Bibliothèque de la Pléiade. [1961], p. 382·383. L'auteur d'un travail sur Baudelaire demande si quelqu'un d'entre nos lec· teurs pourrait répondre à la question posée dans l'extrait ci-dessus des Paradis artificiels : "Quel est le philosophe français qui, pour railler les doctrines allemandes modernes, disait : «Je suis un dieu qui ai mal dîné? •.
Guernica Après
l'échange
de
lettres
entre
M. Brian Crozier (Franco, Mercure de France) et M. Herbert Southworth (voir la Quinzaine, n° 86, du 1« au 15 jan-
Pour ma part, je me réjouis de IGvoir que M. Southworth a l'intention de présenter à l'Université de Paris une thèse traitant de la destruction de Guernica.
vier), M. Brian Crozier nous écrit à nouveau, et en particulier ceci :
Le 15 janvier 1970 S'il est exact que la partie de Guernicll où se trouvent les bâtiments municipaux et le fameux chêne sacré étaient absolument intacts après le supposé bombardement nazi, il est bien évident que, la cause de la destruction partielle de la ville, il faut la chercher ailleurs. Il n'est même pas besoin d'être aviateur pour comprendre cette évidence : il suffit d'avoir fait l'expérience des raids aériens des anneés trente ou quarante. C'est mon cas, et c'est, je suppose, le cas de M. Southworth. Sur ce point, qui est fon. damental, M. Southworth n'a rien dit. Il s'est borné à tenter de jeter le discrédit ,ur Sir Archibald lames et moi-même. C'est facile, mais cela n'ajoute rien à l'évidence. Par ailleurs, je n'ai jamais dit, ainsi que M. Southworth me le reproche, que le professeur Seton-Watson m'avait soutenu sur le point précis de Guernica (lequel, soit dit en passant, est important en soi mais d'une importance très relative. dans une biographe de Franco). Mais puisqu'il me cite un passage de Seton-Watson, je lui rends la pareille. Dans le Spectator de Londres du 24 novembre 1967, le professeur Seton-Watson a écrit, au sujet de mon Franco : oc Pour moi aussi, Franco était un des grands «vilains. du drame intemational, d'autant plus odieux qu'il seÎnblait être de son propre gré l'agent de « l'archivilain D, Adolf Hitler. Cette vue simpliste ne suffit plus en 1967. M. Crozier a re-examiné la carrière de Franco à la lumière des trente dernières années. Il a étudié une large gamme de sources espagnoles, il a vécu et travaillé en Espagne et causé avec de nombreux participants aux événements, y compris Franco lui·même. Le public anglophone a de bonnes raisons de lui en savoir gré.,.
Brian Cro:r.ier. D'autre part, M. Seton-Watson, dont le nom a été prononcé par les deux jouteurs, nous écrit ceci :
1
Milovan Djilas Une société imparfaite Calmann.Lévy éd., 291 p.
De la Nouvelle Classe à une Société imparfaite, le chemin par. couru est long. Dans le premier livre, un homme politique au sommet du pouvoir accusait le ré. gime dont il était cobâtisseur de n'avoir pas su respecter la doctri· ne qui le fondait. Il dénonçait (dans une société qui prétendait réaliser l'égalité et qui se voulait sans classes) la formation d'un nouveau groupe de privilégiés, constitué par les bureaucrates du parti. En 1969, il rejette la doctri· ne elle·même. La Nouvelle Classe semblait aboutir à des conclusions optimistes : le croyant avait vu les imperfections de sa religion, ou plutôt le mauvais usage qui en était fait. Une fois les consciences éveillées par la révélation de ces perversités, les dirigeants pouvaient rentrer dans le droit che· min montré par le marxisme.
Une Société imparfaite est un livre pessimiste. L'auteur ne croit
21 janvier 1970 L'auteur du livre cité por M. Southworth était mon père, l'historien R. W. SetonWatson, mort en 1951. Lo critique du livre de M. Crozier que j'ai écrit pour l'hebdomadaire Spectator du 24 novembre 1967, et que M. Crozier cite dans la lettre qu'il vous a envoyée le 15 janvier, et dont il vient de m'envoyer une copie, qualifie ce livre d'étude sérieuse et utile de la vie de Franco. Si M. Southworth lit le texte entier de mon article, je ne pense pas qu'il en recevra l'impression que je sois admirateur du général. Le livre me semblait intéressant, et utile pour le public anglophone nonspécialiste qui veut se renseigner sur une personnalité importante de la politique internationale. Cela n'empêche pas que le livre puisse contenir des erreurs de fait. Je suis trop peu spécialiste des affaires espagnoles pour que je puisse reconnaître de telles erreurs, mais je sais bien, de mon expérience personnelle d'historien d~ l'époque contemporaine d'autres pays, combien il est difficile d'éliminer les erreurs même dans des matières que l'on connait relativement bien. le suis absolument incompétent d'exprimer une opinion sur la question du bombardement de Guernica. Je connais M. Crozier personnellement depuis des années, et je le connais comme journaliste, écrivain et commentateur sérieux de la politique internationale. Perosnne n'est infaillible, mais M. Cro:r.ier est un homme d'hon. neur. H. Seton-Watson, University of London SchOllI of Slavonic and East European Studies.
Miluvan Djilas.
plus à la cOllstruction d'une socié· té parfaite, qu'elle s'aide du mare xisme ou de n'importe quelle au· tre idéologie : « ..• j' affirme qu'il n'existe pas de système absolument supérieur aux autres, et de plus, que les systèmes fondés sur la propriété privée ou la bureaucratie du parti sont les uns com· me les autres inadaptés à la vie des nations et des hommes d'au· jourd' hui. » La critique du marxisme déve· loppée dans Une socl.ete impar. faite part de deux hypothèses, présentées déjà dans la Nouvelle Classe et qu'appuie l'observation empirique. Premièrement, tout pouvoir d'Etat né d'une révolution com· muniste se transforme progressive. ment en un gouvernement natio· nal, ou plus exactement en une forme du communisme national. Deuxièmement, le communisme est en voie de transformation continue, quoique demeurant identique à lui.même quant au fond : ce qui demeure c'est un système selon lequel un monopole du pouvoir règne sur l'économie, ainsi que sur ]a vie tout entière du pays. Le communisme d'aujour· d'hui est désintégré, car il a pero (lu son homogénéité, il « se dis· perse en autant de variétés qu'il y a de pays qui se réclament de lui, et dont chacun diffère 'des au· tn~s sous le rapport de la doctrine comme sous celui de la pratique politique ». Mais cette désintégra. tion en communismes nationaux s'accompagne de l'éclatement du marxisme.léninisme. Une idéolo· /!ie, considérée comme monoliti. que et monopolistique, se frac· t ionne en se fondant sur des bases nationales, et cela bien que, fidèle à l'héritage marxiste, les commu· nistes considèrent le nationalisme comme le plus mortel des péchés. Le marxisme, en se partageant en· tre des idéologies nationales, a perdu de sa force d'intégration, et prouvé qu'il est semblable à tous les autres mouvements qui se sont fixé des objectifs ultimes idéalement définis, « Les uns et les au· tres ont réalisé ce qui était pas· .~ible historiquement et socialement, mais n'ont rien inventé et, à cet égard, ils présentent les mê· mes caractéristiques de réalisme ou d'utopie que les sociétés et les révolutions qui les ont précédés. » Restant fidèles à eux·mêmes, les
Vivre en U.R.S.S. pays communistes ne peuvent pas sortir du dilemme où ils se sont enfermés. Ils n'ont pas plus de chance de transformer le marxisme, et ce, au nom de la doctrine elle-même. L'impossibilité d'un progrès quelconque peut-être im. putée à deux causes. D'une part, le marxisme se fige en une doctrine immuable dont la définition et le maintien appartiennent au même groupe ; la doctrine résiste à toutes les objections de la science ou de l'expérience. En outre, son immuabilité est maintenue par les groupes dirigeants, qui freinent toute transformation par « peur de perdre des privilèges économi. ques, par peur que le système de propriété qui les 'dote des avantages matériels dont ils disposent ne disparaisse ».
Toutes les tentatives de renouveler le marxisme de l'intérieur ont échoué. L'expérience montre que toutes les tentatives de renouveler le marxisme de l'intérieur (fut.ce simplement pour 1'« humaniser ») ont échoué. A vrai dire, elles ne pouvaient p,as ne pas échouer, car une telle mutation équivaudrait à une destruction. La doctrine ne peut rester inébranlable qu'en anéantissant toute autre forme idéologique; l'ouverture SUl' le monde conduirait inévitablement à la fin de la suprématie du marxisme en tant qu'idéologie. Son immu.abilité rend le marxisme « incapable de résoudre les prub:lèmes foooamentaux qui se posent aujourd'hui aux nations vivant sous sa loi car, en dépit des communistes, des nouvelles formes de propriété et de nouveaux rapports de production se développent dans les pays socialistes brisant les préjugés idéologiques et les stéréotypes bureaucratiques. » Au surplus I.a critique de Djilas vise, au-delà du marxisme, toutes les idéologi~s qui voudraient s'imposer totalement à l'homme. S'il n'y a pas de salut dans le communisme, où l'homme peut.il le trouver, selon Djilas ? Dans la liberté de l'esprit sur le plan intellectuel, et dans la collaboration pacifique entre toutes les nations sur le plan économique. Incapa. ble de construire la société parfai. te l'homme ne peut qu'essayer de l'améliorer; la situ~tion actuelle des pays communistes emprisonnés
Sacha Simon La gagelUe soviétique Laffont éd. 380 p.
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Georges Bortoli Vivre à Moscou Laffont éd. 222 p.
Entre les schémas des doctes et la vie quotidienne, il est vain de chercher les relais, l'explication : la réalité soviéti· que est bien souvent insaisissable. Deux journalistes qui ont séjourné de longues années en U.R.S.S. essaient, simultané· ment, de relater leur expérience. Sacha Simon ne manque jamais de l'intégrer dans un savoir : il présente, ainsi, un livre à deux tonalités, où l'anecdote et le vécu appuient ou confirment la description et l'analyse. La GagelUe soviétique est une sorte de petite introduction à l'U.R.S.S., bourrée d'informations utiles, pertinente et qui reflète le point de vue de l'Occidental, toujours prêt à juger, à évaluer, à corn· parer. Celle analyse clinique révèle les sympathies de l'auteur. Il aime les Russes, même soviétiques, mais les aspects révolutionnaires de l'organisation de la société le concernent, au fond, assez peu. Il est plus à son aise pour faire l'inven· taire de toutes les oppressions que le système secrète que pour décrire ses réussites. Il est vrai que celles-ci ne sont pas toujours sensibles aux Soviétiques eux.mêmes, plus prompts à critiquer les mille et un tracas de l'administration qu'à établir un diagnostic exact de la situation sociale, comparé à celle des pays non socialistes. Je sais bien que nous sommes ceDllés la connaitre et que nous avons été suffisamment abusés: est-ce une raison pour expédier' en quel. ques lignes des conquêtes aussi importantes que la sécurité de l'emploi, l'organisation, le système éducatif, l'hygiène sociale, le soutien aux personnes âgées, la réduction de la misère ? Est·ce parce qu'il n'a pas des objectifs aussi ambitieux? l'ouvrage de Georges Bortoli nous a fait respirer un air plus détendu, plus frais, plus soviétique. Aussi vraies que nature, vivement décrites, ses scénettes de, la vie' quotidienne nous apprennent infiniment plus qu'il n'y paraît sur la réalité soviétique. Certes, le fichier du soviétologue ne s'y enrichit ni d'un fait ni d'un ~oncept. Mais il se divertit et a l'impression, par instants, de lire, pour l'Union Soviéti· que, les nouveaux carnets du Major Thompson. M. F.
dans le corset d'une doctrine totalitaire, ne leur permet pas cet effort. Ce n'est pas là un réquisitoire, ni une analyse scientifique du marxisme de Marx, mais un jugement sur la pratique du matérialisme dialectique dans les pays dits communistes.
Janina Lagneau 1. Publié dès 1956 aux Etats· Unis, traduction française chez Calmann-Lévy.
La Quinzaine littéraire, du 16 au 28 février 1970
Je suivais avec intérêt l'émission télévisée intitulée Pelengator (le Goniomètre). La séquence type était la suivante: le présentateur exhibait un objet quelconque - mettons un rasoir électrique - en annonçant : • Voici le nouveau rasoir fabriqué par l'usine numéro... de la ville de... Nous invitons tout spectateur qui aurait pu l'utiliser sans s'arracher la peau du visage à nous écrire d'urgence. - Quant aux autres, à tous les autres qui se sont écorchés jusqu'au sang, qu'ils évitent de nous envoyer des lettres. Notre secrétariat n'est pas assez nombreux. Pelengator diffusà, plusieurs semaines de suite, un • concours du plus mauvais objet -. Le jury décerna le premier prix à un nouveau magnétophone transistorisé où personne, semble-t-il, n'avait jamais pu enregistrer le moindre son. Le second prix fut attribué à des collants pour enfants - article précieux sous ces climats qui, fabriqués en série, présentaient néanmoins une légère imperfection. Dans chaque paire, l'un des pieds regardait vers l'avant, l'autre vers l'arrière.
Le travall J'observe les ouvriers qui repeignent mon appartement. Et je suis fasciné par leur faculté de rester allongés sur une bâche en grillant des cigarettes. Cela s'appelle le perekour, ou pause-tabac. Mais quelles pauses, grand Dieu! Le plus gros du travail est assuré par les femmes de l'équipe, leurs compagnons manifestant la plus vive répugnance à prendre le rouleau en main. J'ai vu les camionneurs semer négligemment leur chargement tout au long des routes (faites très attention si vous roulez là-bas. Vous pouvez voir surgir devant votre capot n'importe quoi, de la brique au madrier). J'ai vu les bâtisseurs de Tachkent faire la sieste au haut de leur échafaudage, au bon soleil du midi. Et je ne sais que trop que mes compatriotes, ingénieurs ou techniciens, venus diriger le montage d'usines, ne sont pas toujours enthousiasmés par le rendement de leur main-d'œuvre locale. Notez qu'il ne s'agit plus cette fois de la « Sphère de Service -, aux défaillances reconnues, mais des secteurs clés - bâtiment ou industrie lourde que glorifie sans cesse la propagande officielle.
L'aloooi La littérature boit beaucoup. Verlaille et son absinthe, Musset avec ses cuites susciteraient tout au plus, à l'Union des Ecrivains, une ironie indulgente du genre: • Nous avons mieux chez nous. A cette intempérance littéraire, on peut trouver deux raisons. La première bassement'matérielle : les écrivains gagnent énormément d'argent. Alors que l'ouvrier, après avoir bu son salaire, essayé de boire celui de sa femme (mais en général elle résiste) et vendu à la sauvette les pauvres meubles du ménage connaît des difficultés d'approvisionnement, eux peuvent se procurer ces alcools si coûteux sans aucune limitation. Et puis, les écrivains ne manquent pas de motifs de chercher l'oubli. " y a les • rédacteurs - qui coupent dans leurs manuscrits et le glavlit - la censure - qui coupe dans ce qu'il en reste. " y a tous ces organismes officiels ou officieux qui les jugent, les exhortent, les mettent en demeure, les condamnent, les réprimandent, attribuent les gros tirages aux plus dociles et réduisent les contestataires à vivre de traductions. Les plus courageux se font insulter. D'autres vivent dans un conformisme pesant. Certains enfin pratiquent le double jeu, l'art de deviner. jusqu'à quel point l'on peut aller trop loin -. Dans tous les cas, l'alcool aide à vivre. Extraits de Vivre à Moscou
BII8IlIGNIIIImIT
Le prix de l'enseignement Pierre Daumard Le prix de l'enseignement en
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France Calmann-Lévy éd., 269 p.
En 1968. la France a consacré 5 % de son produit national brut à l'enseignement; les crédits de l'Education nationale représentent le 1/6 du budget de l'Etat et leur accroissement est Inéluctable. Dans ces conditions, il est légitime de déterminer le prix de l'enseignement en France et les facteurs qui entrent dans sa composition. C'est ce que fait Pierre Daumard. Sa méthode consiste à inventorier les charges financières que s'impose l'Etat pour accueillir et enseigner 12 millions d'élèves et étudiants. Elle discerne, dans les fascicules budgétaires, les crédits affectés au fonctionnement (rémunérations de 700.000 fonctionnaires, dépenses de matériel, allocations de scolarité), aux interventions publiques (bourses, aides à l'enseignement privé, transports scolaires) et aux investissements. Le volume des crédits de fonc. tionnement permet de définir le prix de revient d'un élève.
L'aspect qualitatif Il serait commode mais simpliste d'imaginer un quotient peu affiné tenant compte seulement du nombre des bénéficiaires ; en revanche la prise en considération de l'as. pect qualitatif (réduction du nombre d'élèves par classe, accroissement de la durée de formation des maîtres, adoption de nouveaux programmes et méthodes, développement de l'aide sociale) donnera lme idée plus exar.te des facteurs qui conditionnent le prix de l'enseignement. Daumard propose une formule de coût unitaire dont l'utilisation fait ressortir immédia· tement les incidences financières de n'importe quelle mesure pr,ise à ]a suite d'une réorganisation pé. dagogique, d'une augmentation de salaires ou d'effectifs, de l'introduction d'une réforme. Ce calcul ne tient compte que des sommes inscrites au budget. Or en 1964 pour un total de 8.200
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millions pris en charge par l'Etat (traitement du personnel et transferts sociaux) les collectivités locales ont dépensé 2.300 millions (entretien de locaux, investissements) et les ménages 7.700 (frais scolaires, etc.). Si l'on ajoute les dégrèvrements d'impôts résultant de la prise en considération des étudiants dans le calcul du quotient familial, les sommes consacrées à la formation technique et professionnelle par les entreprises, peut-être même le manque à gagner pour la collectivité, provoqué par toute prolongation de la scolarité (immobilisation de terrains et bâtiments à valeur locative élevée, absence de tout prélèvement fiscal sur une population croissante, etc. ), on déterminerait un coût social infiniment supérieur.
Une signification pratique Le choix délibéré d'une hypothèse de travail purement comptable répond à une volonté d'efficience ; la formule mathématique établie par Daumard a une signification pratique dans la mesure où elle permet de prévoir et de diriger une politique scolaire au lieu de la subir; c'est une idée souvent reprise dans le livre que le financement actuel de l'Education est le résultat d'une pression mécanique, de compromis politiques et de traditions, que finalement les décisions ne devancent jamais les événements. La possession d'une formule opératoire doit remetttre à l'Etat l'initiative de tout développement éducatif. Un tel avantage est sérieusement atténué dans la mesure où le choix méthodologique de Daumard implique une définition classique de l'éducation et le maintien de l'institution scolaire traditionnelle. Or, si les facilités de prévisions budgétaires sont accrues, il ne s'ensuit pas nécessairement l'adoption des crédits ; ceux-ci une fois votés, assureront un fonctionnement meilleur ; mais ils ne remédieront pas à l'inadéquation profonde du système scolaire aux situations actuelles. Celle-ci réclame, contrairement aux présupposés du livre, un bouleversement radical des attitudes. Tout d'abord une remise en question des concepts de culture et d'éducation. La culture n'est plus un capital de connaissances
et de normes que le groupe social conserve, fait fructifier et transmet par l'éducation, celle-ci choisissant la période plastique de la jeunesse pour installer commodément et définitivement l'individu dans un univers désormais familier. De nos jours, la culture est une relation de l'homme au monde, une relation à la recherche incessante de son équilibre à travers les 'fluctuations d'un univers continuellement modifié. L'éducation n'est plus un moment de l'existence mais une formule de vie, par laquelle l'homme cherche à retrouver une familiarité rassurante. L'éducation deviendrait « nationale » en s'identifiant avec une fonction « éducation et culture» où seraient regroupés l'enseignement proprement dit, les arts et les lettres, l'information et peut-être les loisirs. Le prix de l'enseignement, calculé à partir d'une ventilation fonctionnelle des dotations budgétaires, méthode récusée par Daumard, serait considérablement accru; mais étant donné l'élargissement de la clientèle, il n'est pas certain que le coût unitaire soit plus élevé. Et le plein emploi des équipements servant aux jeunes et aux adultes, durant les périodes et horaires scolaires et en dehors, mettrait fin au scandale économique des faibles taux d'utilisation.
Un bilan des ooiite et des profite A ce renouvellement conceptuel doit ensuite correspondre l'élaboration d'une théorie économique de la fonction éducative et culturelle, en particulier un bilan des coûts et des profits escomptables. L'établissement de ces derniers est problématique (voir le rapport Robbins, Higher Education); mais l'évaluation chiffrée des avantages (la technique du bene/it casting) justifierait la légitimité d'une affectation importante des ressources nationales à l'œuvre éducative. La force persuasive des arguments économiques serait encore renforcée si les théoriciens de l'éducation cessaient de considérer celle-ci comme une simple industrie productrice d'aptitudes et de connaissances; car ces dernières consti· tuent également des produits récla· més par une clientèle sans cesse élargie. Déjà, l'Etat et l'entreprise pri-
vée investissent des sommes consi. dérables pour livrer au public la «culture considérée comme bien de consommation» selon l'expression de Magnus Enzensberger. Il est possible aujourd'hui et il sera demain nécessaire, avec l'organisation des loisirs et l'élévation des niveaux de vie, de ne plus regarder avec tristesse comme une perte financière toute poursuite d'études qui ne trouverait p'as son aboutissement dans une activité professionnelle. A la volonté d'épargner d'autrefois, les sociétés modernes substituent une éthique de la satisfaction immédiate des désirs et aspirations qui élève à la dignité d'impératif moral l'exigence de la consommation. La finalité socioculturelle et l'utilité économique se rejoignent, autorisant un dialogue entre économistes et universitaires et donnant à la fonction éducative une sigirification soci.ale, illustrée par la recherche avouée d'une démocratisation de l'accès à la culture et par le rôle de la carte scolaire qui, en creant de nouvelles zones d'attraction autour des centres scolaires, constitue l'extraordinaire instrument d'une « géographie volontaire de la France » commandant l'aménagement du territoire et les mouvements migratoires de la population.
Les sommes mises dans le circuit économique par une société qui veut assumer ses fonctions éducatives et culturelles sont considérables. Par elles transitent des impulsions diverses qui contribuent à l'aménagement rationnel des choses et des hommes eux-mêmes. 'Le livre de P. Daumard, malgré la modestie de ses ambitions a le mérite de poser en toute connaissance de cause le problème d'une option prioritaire en faveur de l'édncation. Mais nous pensons que cette option doit être solidaire d'un renouvellement total des concepts et des institutions.
LouÎ$ Arenilla 1. De la fonnule du coût unitaire on tire une fonnule analogue des dépeuses éducatives (U) présentées sous la fonne d'un produit: U = P.E.T. VI (k + 1) P = population à scolariser ; E = taux de scolariBation ; T = rappon entre le nombre d'enseignants et le nombre d'eneeipaée; VI = uiveau de rémunération des enseignants, (k + 1) = rappon entre la dépense totale par élève et les dé·
..-es de
pen6DDeI.
INFORMATIONS
« Faire -l'école »
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Huguette Bastide Institutrice de village Mercure de France éd., 198 p . .
Instituteurs de campagne. Il s'en trouve encore. Bravant les intempéries, la boue, la crasse, l'ennui, l'oubli. Minables héroÏques. Méprisés parce qu'ils sont pauvres, qu'ils ont perdu l'autorité dans la cité. Déchus. On les embauche le plus souvent au sortir du lycée et les voilà brusquement unis pour le pire à la plus grande tâche et la plus difficile, au moment même où ils découvrent la vie, le mariage, le premier bébé. Il ne leur reste qu'à se débrouiller, à ces bons à tout faire, ces bouche-trous d'occasion qu'au moindre pas de travers, un' inspecteur saura remettre dans le rang. La fatalité pèse sur les meil. leurs, pris qu'ils sont, malgré tout, par l'amour du métier, l'amour des gosses, dans l'engrenage des stages, du C.A.P., de ces petits échelons à grimper, humiliation après humiliation, vers la décoration pour bons offices, là retraite et la petite maison. Huguette Bastide témoibrne « Faire l'école aller ramasser du bois mort pour se chauffer cet hiver - préparer le souper, le déjeuner du lendemain - corriger mes cahiers ... Je vis seule, je tra· vaille seule, je suis seule au milieu de quelques enfants qui ont leur monde à eux bien fermé. ») Elle dit la routine des jours, le cafard et tout le gâchis; elle cite des textes officiels. Partie documentaire qui, dans ce coin de Lozère bien précis, peut servir d'illustration à tout un pays - d'heureuses exceptions confirmant la règle du primaire au supérieur, de la. campagne à la ville. Le décor change, mais c'est la même histoire. Une seule école échappait à ce dérisoire: l'école maternelle noue velle avec des cadres bien formés, un travail d'équipe, où l'enfant s'épanouissait, car elle s'ouvrait à la vie, au rêve, à l'imagination, au travail créateur. Alors, évidem. ment, un ministre dit de l'Educa· tion a dû la trouver trop belle et, dans un discours récent menace de la condamner. La foudre est tombée sur le toit de la maison, un soir de mai. On a bien été obligé de le rafistoler, tant bien que mal, - plutôt mal La Quinzaine littéraire, du 16
GU
8ooiologie, Philosophie Chez Flammarion, où Maurice Clavel publie un essai sur la société' de consommation intitulé Oui est aliéné 1, on fait beaucoup de cas d'un ouvrage dû à un psychanalyste suisse, S, Fantl, qui y expose quatre expériences psychanalystiques réalisées avec un générai américain, un abbé, une jeune femme et un médecin américain. Le livre s'Intitule Contre le mariage. Sous la signature de Massin, le directeur artistique des éditions Galll· mard, parait un ouvrage somptueusement Illustré: la lettre et l'Image, où l'auteur s'est efforcé de restituer, des dessins des cavernes à l'ère de l'audiovisuel, l'évolution de la civilisation de l'écriture, marquée, selon lui, par un retour à l'image après avoir été longtemps dominée par l'abstraction de la lettre, ainsi qu'en témoigne la place de plus en plus grande que tend è prendre, dans notre civilisation, la publicité. Chez le même. éditeur, dans la col· lectlon • Les classiques de la philosophie", on annonce un essai Inédit de Heidegger : Traité des catégories et de la signification.
E,·.. I., cl.. 1.. Vllissière· de Rieutort (intérieur de la classe).
que bien. Quant à l'école prie maire, fondation du bâtiment, ni gouvernement, ni direction de syn· dicat - grande machine à marchandages - n'ont osé y toucher vraiment. Elle est restée la même, avec ses programmes, ses méthodes, sa discipline de l'ancien temps, et, pour encadrer des en· fants de plus en plus difficiles et exigeants, en un moment où dans l'unité familiale menacée l'autorité du père est contestée, une main-d'œuvre féminine à bon marché, souvent sans formation, vite débordée et résignée. Les écoliers sont trop petits pour protester. Ils se contentent de pIeu. rer, de s'ennuyer, de dormir, de faire du bruit, d'être malheureux. On en fait vite de petits vieux, des aigris, des mal-aimés, bousculés de rebuffade en rebuffade, culpabilisés et honteux, craintifs ou vani. teux, à travers classements, punitions et programmes à boucler, depuis le Gaulois retrouvé à cha· que rentrée jusqu'au de Gaulle de la sortie et leur libération avec « Marseillaise» et distribution d'affreux livres enrubannés pour fermer le ban.
28 lévrier 1970
On aime entendre une voix pour briser le silence, dénoncer le système. Pendant que le Tout-Paris danse, que les Présidents jouent les Pères Noël, que dans un maga· zine féminin, des cover-girls écri· vent qu'elles ont trop d'argent, cette voix dit la misère, le découragement et même le désespoir des jeunes instituteurs : « Ma tête que je croyais solide me semble soudain fragile, fêlée, ébréchée, des envies subites d'en finir, des bouffées 'de mort s' y infiltrent et traversent mon esprit comme de mauvais éclairs. ») Le livre n'est pas seulement un document sur les instituteurs et la vie d'un village de Lozère - partie finale, trop rédaction française, qui semble rajoutée - il est plus que cela, heureusement. Quand, du témoignap:e d'une insti· tutrice solitaire, il devient réelle· ment confession, confidence de femme désenchantée, d é ç u e d'avoir trop espéré et tant atten· du, il est littérairement le plus in. téressant. « Le ciel était si près, le monde était si loin et nous étions si fow. J)
Chez Payot parait, dans la collection • Bibliothèque Scientifique", une étude sociologique et< clinique des conséquences de l'héritage esclavagiste que subissent les Noirs américains, par deux psychiatres eux-mêmes Noirs américains : la Rage des Noirs amérIcains, par W. Grler et P. Cobbs. Au Seuil, Alfred Willemer analyse le processus seloln lequel la société, secrétant sa propre image, trouve dans la nécessité qu'elle éprouve de coïncider avec cette image, le moteur qui la pousse à l'action. L'ouvrage Intitulé l'image-action de la société, parait dans la collection • Esprit ". Robert Laffont publie un texte de Bertrand Russell paru en 1929 dans une revue è petit tirage : le Mariage et la morale.
Par cette déchirure montent les mots purs, les passages les plus émouvants, meilleurs moments du livre. Livre tout gris de pluie et de désespérance, sans sourire et sans rire, écrit par une femme que l'on sent gaie pourtant tout au fond d'elle-même, avec, pour se défen· dre, ses sursauts de colère, sa ré. volte et ce geste d'écrire pour se prouver qu'elle existe, pour s'écouter vivre à travers «les mots sincères, les phrases simples comme un chemin, une herbe, un. ciel. » Michèle Albrand
COLLECTIONS
«En toute liberté»
Juillet 68 I,naugurée par un ouvrage de' réflexion sur cette révolution avortée qui a fait couler tant d'encre, ouvrage qui devait faire beaucoup de bruit et soulever bien des controverses (plus de 60.000 exemphiires vendus) et qui par sa conception, l'autorité de son auteur 'et la rapidité de sa' parution illustre parfaitement la politique de ses éditeurs : la Révolution Introuvable, par Raymond Aron (voir le n° 59 de la Quinzaine). Il devait être suivi, au lendemain des évènements de Prague, par un livre de Roger Garaudy où se trouvaient réunis, selon l'expression de l'auteur, • quelques fragments significatifs du dossier tchécoslovaque" éclairés par des textes de Dubcek, Ota Sik et Jlrl Hajek : la Liberté en sursis Prague 68. Puis devait venir, au moment où la gauche s'efforçait de tirer la leçon des évènements de mai, un essai de Guy Mollet ou le leader du
Les collections consacrées à l'actualité polltlque ne manquent pas. Elles répondènt à un Intérêt de plus en plus marqué chez le lecteur moyen - intérêt que l'on a fort bien pu mesurer à l'occasion des diverses foires du livre qui se sont déroulées récemment en France et dans les pays voisins pour les ouvrages qui lui permettent d'ordonner et d'approfon. dlr les formations contradictoires ou sporadiques que la presse, la radio et la télévision lui apportent au jour le jour sur des évènements dont "Incidence se fait sentir lourdement sur leur vie quotidienne. Comme la plupart des collections de ce type, • En toute liberté" a été créée peu après les événements de mal. Elle fut du reste dès le début de
FEUILLETON
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•
Parti SOCialiste s'Interrogeait sUr l'avenir du socialisme français : les Chances du socialisme. Mis en cause par "ensemble de ses partisans, devenu aux yeux du public le responsable de la catastrophe de la gauche, François Mitterrand apportait à son tour sa volx au débat dans un livre qu'II devait Intituler Ma part de vérité et qui arrivait à son heure, à en juger par l'accueil qui devait lui être fait (35.000 exemplaires). En 1969 était publié, sous le titre de la Vérité sur l'économie tchécoslovaque un recueil de conférences télévisées peu avant l'occupation de la Tchécoslovaquie et au cours desquelles Ota Sik c'était efforcé d'expliquer à ses concitoyens la situation de l'économie de leur pays. Cet exposé, dont l'lm· pact avait été très puissant et qui devait jouer un rôle sensible au cours du « Printemps de Prague " devait
avoir un Immense retentissement dans tous les pays de l'est. Enfin, attendu avec Impatience par ses adversaires, comme par ses par· tisans, paraissait ce mois-cl le livre d'Edgar Faure, un livre «essentiellement politique", pour reprendre j'expression de l'auteur, puisqu'II • va à l'essence de la politique et parce qu'II débouche sur la politique ", et qui présente en tout cas la double originalité d'être l'œuvre d'un homme politique en activité et celle d'un empirisme qui s'efforce de faire fi de toutes les doctrines : l'Ame du combat (38 000 exemplaires vendus). Ces ouvrages ont Lln dénominateur commun : ils sont tous l'œuvre d'une personnalité en vue dont l'autorité, dans le domaine concerné, est Incontestable, C'est là un impératif de base qui résume l'objectif de la col-
Après divers tâtonnements, reflets de tiraillements entre des tendances orthodoxes qui prétendaient s'en tenir aux épreuves des Jeux antiques ou, à la limite, aux douze qui furent choisies pour les Jeux d'Athènes de 1896, et des tendances modernistes qui souhaitaientimposer d'autres disciplines telles que l'haltérophilie, la gymnastique, le foot-bail, l'Administration des Jeux a fini par fixer à 22 le nombre des épreuves à disputer. A l'exception de la lutte gréco-romaine (qui est, ici, en fait, une sorte de pancrace où les lutteurs, outre qu'ils se battent à main nue, peuvent se porter des coups de coude, ceux-ci étant entourés de lanières de cuir plombées), toutes ces épreuves appartiennent à ce que les Américains appellent le « Track & Field -, c'est-à-dire à l'athlétisme. Douze sont des courses, parmi lesquelles 3 épreuves de sprint (100 m, 200 m, 400 m), 2 de demi-fond (800 et 1500 m), 3 de fond (5000 m, 10000 m, marathon), 4 d'obstacles (110 m haies, 200 m haies, 400 m haies, 300 m steeple) ; sept sont des concours, parmi lesquels 3 épreuves de sauts (hauteur, longueur, triple saut) et 4 de lancers (poids, marteau, disque et javelot). A 'ces dix-sept épreuves s'ajoutent deux concours mixtes combinant plusieurs épreuves d'athlétisme, le pentathlon et le décathlon. Assez inexplicablement, mais sans doute pour des raisons morphologiques, le saut à la perche n'est pas, ou n'est plus pratiqué. Il n'existe pas davantage d'épreuves de relais, elles n'auraient ici aucun sens, elles ne seraient pas comprises par le public: la victoire d'un homme est toujours la victoire de son équipe, la victoire • par équipes - ne veut rien dire. Po'ur que l'intérêt des Jeux soit assuré, il faut évidemment que la lutte soit chaude entre les représentants des villages. Chaque village est donc tenu d'aligner des concurrents au départ de chaque épreuve et doit, par conséquent, former ses hommes en vue de cette obligation. Il s'ensuit que l'entraînement des athlètes obéit à une spécialisation poussée et que l'on s'efforce de former, pour chaque type d'épreuve, ceux qui seront les meilleurs dans cette épruve et dans cette épreuve seulement. L'effectrf d'un village oscille entre 380 et 420 athlètes. Parmi ceux-cl, un nombre variable (entre 50 et 70) de novices (ce sont des garçons de 14 ans qui, venant des Maisons de Jeunes, arrivent au village au fur et à mesure,que les Vétérans le quittent) et un nombre Immuable de COAcurrents, 330, réparti en 22 équipes de 15 athlètes chacune. Lorsqu'un athlète quitte son équipe, soit parce qu'il est atteint par la limite d'âge, soit parce qu'il n'apparaît plus capable d'aucune performance valable, soit par suite d'un accident, les directeurs sportifs choisissent. parmi les plus anciens des novices (ils ont alors 17 ou 18 ans) celui qui leur semble, sur la base de critères morphologiques, physiologiques et psychologiques et en se fondant sur les résultats obtenus à l'entraînement, le plus apte à prendre sa place.
lectlon et qui lui confère toute son originalité. S'il la limite, d'entrée de jeu, quant au rythme de parution des titres, il assure, du même coup, à la plupart des volumes, un grand retentissement. Fondateur et directeur actuel de la collection "En toute liberté., Alain Duhamel définit ainsi sa politique : «Nous nous en tenons exclusivement à des ouvrages qui se rapportent à un évènement précis de l'actualité poli. tique et nous demandons à nos lec:teurs de s'en tenir exclusivement, de leur côté, à leur spécialité, au domal· ne où Ils font autorité. Notre ambl· tlon, en publiant ces livres qui «col· lent - à l'évènement et qui s'effor· cent de faire le point sur les problèmes politiques qui font la une des Journaux est que leur parution soit saluée à son tour par le public comme un évènement-. En préparation, un essai d'Edmond
Michelet où le ministre de la culture tentera de définir ce que représente à l'heure actuelle pour un compagnon de la première heure son appartenance à un mouvement dont l'évolution est inquiétante aux yeux de ceux qu'on appellent les gaullistes • historiques ".
«Histoire immédiate» Dans la collection • Histoire Immédiate", Morvan Lebesque analyse le problème des régionalismes dans un essai intitulé Comment peut-on être breton? Tandis que Madeleine Chapsai et Michèle Manceaux présentent un document explosif sur la situation de l'Université "française, appuyé sur une série d'entretiens avec une douzaine de professeurs en vue : les Antl·mandarins. B. Eliade défend avec brio un certain nombre de thèses
Les épreuves de classement régulièrement pratiquées dans cha· que village pour chaque équipe permettent de déterminer quels sont les trois meilleurs de ces quinze athlètes. Ce sont ces trois athlètes classés qui représentent le village dans les championnats locaux, dans les épreuves de sélection et aux Olympiades. Les deux meilleurs ont, de surcroît, le droit, farouchement envié, de participer aux Atlantiades. En revanche, ce sont les 12 derniers, c'est-à· dire les athlètes non classés, qui prennent part aux Spartakiades. On voit que ce mode de répartition en quelque sorte dynastique répond surtout à un souci d'organisation; il permet un décompte exact et rigoureux des athlètes ce qui, du point de vue des Officiels, réduit au maximum toutes les opérations de contrôle. On sait, une fois pour toutes, qu'il y a, dans tout W, 60 sprinters de 100 m répartis en 4 équipes de 15, que 6 participent aux championnats locaux ou aux épreuves de classement, 12 aux Olympiades, 48 aux Spartakiades. On sait, de la même façon, que les Atlantiades rassemblent 176 concurrents, les Olympiades 264 et les Spartakiades 1056. Une fois fixés, ces chiffres sont bientôt devenus immuables, Ils se sont incorporés au rituel des éliminatoires; grâce à eux, le déroulement d'une rencontre, quelle qu'elle soit, est toujours assuré d'une régularité absolue, ce dont l'Administration des Jeux, toujours soucieuse d'efficacité, ne peut que se réjouir. C'est évidemment pour les Directeurs Sportifs, qu'ils soient responsables d'un village entier ou seulement d'une équipe, que ce système présente quelques inconvénients. Le plus grave est sans doute qu'il interdit le cumul. On sait - les palmarès de la plupart des Jeux, les doubles victoires de Thorpe à Stockholm, de Hill à Anvers, de Kuts à Melbourne, de Snell à Tokyo, les triples victoires de Zatopek à Helsinki et d'Owens à Berlin, la quadruple victoire de Paavo Nurmi à Paris, sont la pour le démontrer - qu'un sprinter est généralement aussi bon aux 100 m et aux 200, un coureur de demi-fond aux 800 et aux 1 500 m, un coureur de fond aux 5000, aux 10000 ou au marathon. La plupart des Directeurs Sportifs auraient donc souvent tout intérêt, à la veille d'une grande compétition, à aligner un même athlète - celui qui serait alors au meilleur de sa forme - au départ de plusieurs épreuves. Bien que cela soit théoriquement possible, bien qu'aucune loi écrite n'interdise le cumul, cela ne s'est jamais vu : aucun village ne s'est jamais risqué à engager dans une rencontre moins de concurrents qu'il n'est normalement prévu, de peur sans doute d'indisposer les Organisateurs, ne serait-ce que parce que la présentation des Athlètes aux Officiels, lors de ('ouverture des Olympiades par exemple, affecte la forme d'un W grandiose dessiné par les 264 concurrents, et qu'une équipe à l'effectif réduit (mais comptant sur un seul de ses champions pour remporter plusieurs victoires) troublerait la perfection de cette mosaïque humaine. L'on préfère admettre, même si cela n'est pas toujours réelleLa Quinzaine littéraire, du 16 au 28 févriB 1970
révolutionnaires sur l'enseignement dans une étude qu'il intitule l'Ecole ouverte. Autres titres : dans la collection • Politique., Cuba est·1l révolutionnaire 1, par René Dumont qui nous y présente, en les commentant librement, une série d'entretiens avec Fidel Castro, l'Italie chaude, analyse de la situation politique actuelle de ce pays, par J. Nobécourt, et les Pay· sans dans la lutte, par un des diri· geants du mouvement des jeunes paysans, B. Lambert; dans la collection • Société., une étude très com· piète et sans doute la première du genre sur le problème des transports en France et dans le monde : le Mar· ché des transports, par J. Pellegrln, J. Frébanet et J.-N. Chapelut.
«Textes à l'appui lt Chez
Maspero,
Bernard
Granotier
analyse la condition des travalIIeura étrangers en France depuis 1945 dans un document à paraître dans la collec:tion • Textes à l'appui. et qui a pour titre les Travailleurs Immigrés.
« Les lettres Douvelles lt Un nouveau titre dans la collection • Dossiers des Lettres Nouvelles. : Dans le poing de la Révolution, par José Yglesias. L'ouvrage, traduit de l'américain, est un document de première main écrit par un reporter et un écrivain américain d'origine cubaine qui, pour nous donner cette image intime et vivante d'une petite bour· gade cubaine vivant à sa manière la révolution, s'y est installé pour trois mois en 1967 en s'attachant à y mener la vie de ses habitants.
ment vérifié, que les méthodes d'entraînement sont suffisamment appropriées aux différents types d'épreuves pour qu'un sprinter, par exemple, puisse être spécifiquement préparé pour le 100 m, tandis qu'un autre le sera pour le 200. il reste évidemment les cas du pentathlon et du décathlon. L'une des conséquences de cet entraînement ultra-spécialisé est que l'on n'a pas le temps (ni à vrai dire la méthode) de former un athlète capable de pratiquer 5 ou 10 épreuves différentes avec un minimum d'efficacité. L'entraînement pluri-disciplinaire que suivent les novices lors de leur première année dans le village serait encore le mieux adapté, mais les maigres efforts qui ont-été faits pour le poursuivre d'une manière professionelle en vue de former des athlètes réellement polyvalents n'ont pas été couronnés de sucèès. Ceci s'explique aisément: les lois du Sport W, chaque village l'a assez vite compris, sont ainsi faites qu'il vaut mieux tout mettre en œuvre pour remporter 5 courses avec 5 athlètes préparés pour ces seules courses, qu'une seule victoire avec un unique athlète devant triompher dans 5 ou 10 épreuves. Les Organisateurs, d'abord étonnés par la faiblesse véritablement déplorable des résultats obtenus lors des décathlons et des pentathlons, faillirent un instant supprimer ces épreuves. Ils les maintinrent, finalement, mais en les adaptant d'une façon tout à fait originale à la médiocrité des concurrents: ils en firent des épreuves pour rire, des fausses épreuves destinées à délasser le public de la tension extrêmement forte qui règne pendant la plupart des compétitions : c'est déguisés en clowns, grimés d'une manière outrancière, que les concurrents du pentathlon et du décathlon pénètrent sur le stade et chaque épreuve est prétexte à dérision : le 200 m se court à cloche-pied, le 1 500 m est une course en sac, la planche d'appel du saut en longueur est souvent dangereusement savonnée, etc. La victoire dans ces épreuves requiert certes quelques qualités sportives, mais surtout des qualités d'acteurs, un certain sens du mime, du grotesque. Un novice faiseur de grimaces, ou affligé de tics, ou légèrement handicapé, s'il 'est par exemple rachitique, ou s'il boite, s'il.présente quelque tendance à l'obésité ou s'il est au contraire d'une maigreur extrême', s'il est atteint d'un fort strabisme, etc., risquera fort (mais l'on court souvent sur W des risques beaucoup plus graves que d'être livré aux facéties. d'un public hilare) d'être affecté à l'équipe du pentathlon ou du décathlon. . C'est là aussi, rarissime exemple de changement d'équipe, que pourra se retrouver, s'il a eu les appuis nécessaires, un athlète en exercice évincé à jamais de la compétition, à la suite d'un accident par exemple, s'il est encore trop jeune pour jouir des droits des vétérans et trop manifestement inapte à devenir entraîneur..
(à
suivre).
Richard Il, par Chéreau
1
Shakespeare Richard Il Odéon.
D'humanisme chrétien, il n'y a, dans ce Richard Il, pas une once: aux orties, le roi dépossédé trouvant une grandeur dans sa misère, dans son martyre sa rédemption. Voici un gamin néronien, un petit Satrape de la Renaissance choisissant, en somme, de se suicider quand il comprend qù'il a perdu au jeu matérialiste de l'histoire qu'il n'a pas su mener. Dans ce spectacle superbe d'intelligence tout est superbement païen. De là, sans doute, la rage des cagots et de l'engeance imbécile déchaînée contre ce spectacle et appelant sur lui la répression. Mais la sottise nationale peut bien s'acharner contre Patrice Chéreau; de partout d é i à l'étranger appelle ce metteur en scène de 25 ans qui, d'entrée de jeu, domine sa génération. J'admire d'ailleurs l'assurance impavide de nos Vadius et Trissotins qui crient à la trahison de Shakespeare au nom d'une science de la chose shakespearienne qui peut tout au plus re: monter chez nous à 1820 et aux oripeaux romantiques dont on a continué, jusqu'à Laurence Olivier, de travestir Shakespeare. Avec Chéreau, comme avec Strehler, Planchon, Peter Brook - et lan Kott étant passé par là - toute la niaiserie idéaliste est extirpée, d'où les cris d'orfraie - ; le monde féodal et élisabéthain est retrouvé dans sa cruauté et la violence de ses affrontements, tous masques arrachés; la réalité est ramenée à ce qu'elle ést : I.e gratin aristocratique à une horde de bêtes s'étripant ou une bande de pantins j.nfantiles et grotesques, la lutte pour le pouvoir à des schémas stratégiques selon Machiavel, et le monde à une arène: il y a cinq tonnes de sable sur la scène de l'Odéon. Comme dans tous les spectacles de Chéreau il se joue sur la scène et à la Cour d'Angleterre, un jeu, un jeu violent, et les grosses machineries de bois issues de Léonard de Vinci, treuils, palans, pont-levis, passerelles roulantes sont là pour le
servir, ce jeu, comme aussi pour le révéler, pour en rendre visible le mécanisme et en scander la brutalité cynique; déjà Planchon, dans Richard III rendait visible, par des machines de bois la machine de l'Histoire. Le jeu qui se joue dans Richard Il - , Vilar aussi nous l'indiquait - , est celui d'une classe féodale précipitant du trône un roi lamentable et sybarite qui risquait le lui faire perdre le pouvoir par l'avilissement de la majesté, et portant au trône, en
mais jamais gratuite véritablement, de déplacements abrupts, mouvements arrogants, symétriques et ruptures, projections de corps dans l'espace, combat de litière et de chaise à porteurs, descente du roi dans le palan dérisoire et tragique de l'Histoire, bref cette construction savante, et toujours signifiante, de l'espace et des gestes, chargée d'imposer sur la scène ce western élisabéthain qui, la musique aidant - la Callas, pop 'music, airs 1925 - , prend par moments
Bolingbroke, l'arriviste providentiel qui, dans le bruit de bottes cher "à tous les fascismes, va liquider la • pourriture ., la • décadence ., c'est-à-dire faire régner l'ordre qu'on devine, ouvrant du même coup la Guerre des Deux Roses.
la figure d'un opéra. Cette belle et violente géométrie de l'espace,cette mise en scène éperdument physique Où tout est affrontement, défis, coups et blessures et mises à mort, servie d'ailleurs par l'étonnante science picturale de Chéreau, des Zurbaran, des Piero della Francesca - , cette architecture de gestes toujours lisible fait au texte un contrepoint et un commentaire lumineux.
Comme il l'avait fait pour Don Juan, Chéreau demande aux images scéniques, agressives, violentes, que la mise en scène a pour but de constituer, il leur demande de nous raconter ce jeu, de nous livrer ce que le seul discours rhétorique risque de ne nous donner à entendre qu'imparfaitement, voire de nous masquer. D'où cette polyphonie échevelée mais pourtant rigoureuse, et parfois provocante
Mois voilà que dans ce spectacle il s'est passé quelque chose : l'acteur Chéreau, qui joue le roi, a quelque peu perturbé, et c'est fort bien, le schéma analytique conçu par le metteur en scène, qui prétendait nous montrer le fonctionnement
du pouvoir et la fin d'un monde politique. Et certes la mise en scène nous le donne à voir, ce mécanisme de l'Histoire, mais le jeu de l'acteur, privilégiant un homme, explorant les abysses intimes d'un roi-enfant, confère à cette mise en scène, qui pourrait pécher par excès d'analyse et de démonstration, une sensibilité, et un pouvoir d'émotion qui éclatent dans la deuxième moitié (les longueurs de la première sont en partie imputables à la pièce). Même si Chéreau ne dispose pas encore d'un instrument vocal suffisant, sa composition de Richard est éblouissante d'intelligence et de sensibilité, une sensibilité moderne, accordée à cette fin de siècle qui est le nôtre. Qu'il soit, au début, un Néron Renaissant en robe blanche, virevoltant sur son char aérien qui a des seigneurs pour chevaux et ses mignons pour suivants, poupées au masque blême et aux yeux pailletés, - comme lui - , ou qu'il soit, à la fin, l'émigrant, l'exilé, traînant ses pieds dans la poussière et la couronne dans un panier, il demeure toujours un enfant : d'abord un enfant insolent, tyrannique, irresponsable, fastueux et pervers, affermant le domaine royal pour couvrir ses dépenses, et ensuite, la banqueroute venue, et la chute, un enfant malheureux à qui on a cassé son jouet et qui s'enivre de son désespoir : et dans les deux cas, un enfant toujours en porte-à-faux vis-à-vis de luimême et du monde. Et autour de lui, c'est bien aussi un monde infantile que celui de ces coqs, ces renards et ces loups se battant dans le sable pour jouer aux puissants à travers un rituel où la cruauté le dispute à la dérision. Et il est bien que, dans une distribution qui comporte des acteurs aussi remarquables que Gérard Desarthe, Michelle Marquais, Michel Hoppenot, Daniel Emilfork ait poussé jusqu'à l'insoutenable, jusqu'au monstre comique absolu, le rôle de ce Duc d'York, relique hypocrite de l'ancien temps et des anciennes valeurs, dont il a fait un dinosaure filiforme qui fait le matamore, donnant à la dérision du personnage la dimension du délire. Gilles Sandier
• • Livres publiés du 20 JanVier au 5 février 1970 • Edith Thomas sur la condition de représentative d'un Juan Montaner l'homme moderne, courant littéraire qui Le Jeu d'échecs RBEDITIONS Les écarlates Grasset, 272 p., 18 F. menacé par n'est pas sans rapport Préface de L. Pauwels la schizophrénie. A la ml-temps de sa vie L'Or du Temps, avec le «nouveau • Antonin Artaud 296 p., 31 F. une femme fait le bilan roman - européen. Œuvres complètes Jean Clémentln et choisit de payer le • John Hopkins et Supplément Six nouvelles érotiques L'affaire Fomasl prix de la lucidité et L'arpenteur au tome 1 dans la grande tradition Grasset, 352 p" 20 F. de la liberté... Trad. de l'anglais Gallimard, 460 p., 26,10 F. du genre. Par le chroniqueur du PO*SI. par Pauline Petit Une réédition «Canard Enchaîné-, Gallimard, 224 p., recomposée un roman de • E. Evtouchenko .Maurlce Raphaël 16,40 F. conformément aux ROMANS « politique-fiction. De la cité du oui Le fesUval de deux Les aventures d'un Intentions du poète et .TRANGERS qui met joyeusement à la cité du non. choses l'une jeune Américain au augmentée de nombreux à sac le monde des Préface d'A. Lanoux Ainsi solt·Il, Claquemur Pérou et un premier textes et documents affaires et de la Grasset, 216 p., 16 F. roman fort captivant. Losfeld, 328 et 256 p., • Erskine Caldwell politique.. John Cleland • Voir le n° 16 de la 24,60 F le volume. Miss Mamma Almée Mémoires de Fanny Hill Quinzaine. • Hermann Kant Trad. de l'américain Réédition de Pierre Fritsch Préface de Gérard L'amphlthéitre deux romans parus dans par Marle Tadlé Une enfance lorraine Bauer. Lawrence Ferlinghetti Trad. de l'allemand les années 50 (l'auteur A. Michel, 256 p., Tome Il : Nos cousins L'Or du Temps, 24,50 F. Un regard sur le monde par Anne Gaudu est également connu 15,90 F. d'Allemagne choix et traductions Un grand classique de Par un écrlcaln de sous le nom d'Ange Par l'auteur de Grasset, 320 p., 18 F. par Mary Beach et la littérature érotique l'Allemagne de l'Est, Bastlanl) . « La route au tabac La chronique d'une Claude Pélleu un roman paru en 1967 et du «Petit arpent du • Daniel Defoe petite ville ouvrière Edition bilingue et qui a obtenu le prix Romans • Tome Il Bon Dleu-. de l'Est, de l'ar~lstlce .Jacques Sternberg Ch. Bourgeois, 224 p., Heinrich Mann Introduction de Attention planète de 1940 à la Libération. 18 F• • Tonlno Guerra Francis Ledoux habitée • Léo Malet • Clarice L1spector l'équilibre Trad. de l'anglais Jean-Michel Frank Trilogie noire Losfeld, 416 p., 27,80 F. Le bitlsseur de ruines Trad. de l'Italien par Marcel Schwob et Ma fenêtre sur la folle Losfeld, 448 p" 24,60 F. Par J'auteur par E. Joly Trad. du brésilien Francis Ledoux Grasset, 120 p., 9 F. de «L'employé-, Réédition en un seul Gallimard, 168 p., par V. de Canto Bibliothèque de la volume de trois romans Grand Prix de l'Humour Gallimard, 328 p., 11,60 F. Pléiade Marc Plétrl parus Il y a plus noir 1961, et de «Je 22,20 F. Par le célèbre scénariste Gallimard, 1.760 p., Histoire du relief de vingt ans. t'aime, Je t'aime -. d'Antonioni, un roman Une œuvre Grasset, 80 p., 9 F. 65 F.
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Livre. publiés du 20 janvier au 5 février 1970 Kléber Haedens Une histoire de la littérature française Grasset, 408 p., 35 F. qéédltion revue et augmentée. • Jean Paulhan Jacob Cow, le pirate Tchou, 192 p., 18 F.
BIOGRAPHIES MEMOIRES CORRESPON· DANCES Samuel Bernstein Auguste Blanqui Trad. de l'anglais par Jean Vaché Maspero, 368 p., 23,70 F. Par un historien américain des idées sociales, qui volt en Blanqui un anti-marxlste. Cahiers Romain Rolland Gandhi et Romain Rolland Correspondance extraits du JOl,lrnal et textes divers A. Michel, 496 p., 31,70 F. A l'occasion du centenaire de Gandhi, un ouvrage qui jette une lumière nouvelle sur l'homme et sur le chef d'Etat. •
J. Humbert-Droz Mon évolution du tolstoisme au communisme (1891. 1921). Ed. de La Baconnière, 444 p., 46,60 F. Les Mémoires d'un jeune pasteur suisse qui devint secrétaire de l'Internationale en 1921, sur la proposition de Lénine. A.-D. Rabinel La tragique aventure de Roux de Marilly Préface d'A. Chamson Privat, 308 p., 24 F. Le destin à la fols picaresque et exemplaire d'un héros de la lutte du protestantisme français contre la politique religieuse de Louis XIV. Jean Sainteny Face à Ho Chi Minh 16 p. d'Illustrations Seghers, 224 p., 15,66 F. Un témoignage capital sur une des personnalités les plus étonnantes et aussi les plus mystérieuses de notre temps. F. Wilson-Huard Charles Huard (1874-1965) Préfaces d'A. Billy
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et de R. Dorgelès 4 gravures h.-t. A. Michel, 392 p., 25 F. La vie et l'œuvre de ce peintre, illustrateur de • La Comédie humaine •.
CRITIQUE HISTOIRE ttlTTÉRAIRE
fondamentaux de la pédagogie, de Platon à Bergson, de Rousseau à Freinet, etc. Oliver Cotinaud La rencontre du psychologue Centurion, 256 p., 12,60 F. Une vue d'ensemble, à l'intention du grand public sur la psychologie et ses applications.
chrétiens: les Aymaras Cerf, 484 p., 45 F. Une étude des mythologies et coutumes morales de • ces Indiens d'Amérique Latine qui ont assimilé les notions chrétiennes en les mélangeant à leurs habitudes de pensée. • F. Parent-Lardeur Les demoiselles de magasin EditioRs Ouvrières 160 p., 13,50 F. Les rapports que le grand magasin entretient avec son personnel.
A la fols un bilan de cette action et une étude prospective. Simone de Beauvoir La vieillesse Gallimard, 608 p., 30,90 F. Voir le n° 88 de la Quinzaine. Michel Butor La rose des vents (32 rhumbs pour Charles Fourier) Gallimard, 184 p., 12,60 F. Une extrapolation pleine d'humour par • laquelle se trouve savamment complété le tableau que Fourier avait prévu pour l'histoire de l'humanité et qu'il avait laissé inachevé.
Préface de J.-P. Sartre Gallimard, 368 p., 30,90 F. Voir le n° 88 de la Quinzaine • Daniel Pham Informatique à l'usage des éducateurs Préface de G. Bachelard P.U.F., 114 p., 12 F. Les notions de base de l'Informatique.
A.J. Festugière De l'essence de • Emile Durkheim HISTOI• • la tragédie grecque La science sociale Aubier-Montaigne, et l'action Jean Bécarud 146 p., 24,10 F. Introduction et Gilles Lapouge Les sources profondes présentation de J.-C. Anarchistes de la tragédie grecque Filloux • Carl Rogers d'Espagne et ses aspects P.U.F., 336 p., La relation d'aide Collection • R • spécifiques. 20 F. et la psychotérapie Balland, 164 p., 15 F. Un recueil de textes sur Editions Sociales René Godenne L'histoire de le rapport de la Françaises, 240 p., 29 F. Histoire de la nouvelle l'anarchisme ou sociologie à la pratique La première traduction française aux .xVII" et soixante-quinze années sociale. en français d'un livre Jean Cordat XVJII' siècles. de luttes qui de base écrit par un Révolution des Librairie Droz, 350 p., précédèrent la flambée • Sandor Ferenczi psychologue célèbre pauvres et Evangile 46 F. libertaire de 1936. Œuvres complètes dans le monde entier. Editions Ouvrières, Avec un répertoire par 272 p., 22,50 F. T. " : 1913-1919 année des titres de Walker Chapman Francine Roure Collection • Economie Psychanalyse " nouvelles de cette Le rêve doré Alain Butery Préface de M. Bàlint et humanisme •. époque. (les conquistadores) Payot, 360 p., 34,70 F. Mathématiques pour Trad. de l'américain Le deuxième volume des les sciences sociales Jacques Deval Robert Lafont par Robert Latour œuvres de ce pionnier 200 figures Afin de vivre Renaissance du Sud A Michel, 320 p., 23,10 F. Coll. • S.D.• de la psychanalyse. bel et bien Gallimard, 320 p., L'épopée extraordinaire P.U.F., 336 p., 38 F.. A. Michel, 192 p., 19,30 F. de ces aventuriers Joseph Folilet Inaugurant cette 11,50 F. La littérature occitane lancés à la recherche de La paix du cœur nouvelle collection, un Lettre d'un père à son au temps de Henri IV. l'Eldorado mythique et Centurion, 208 p., 12 F. ouvrage d'Introduction fils sur le bon usage dont les découvertes aux notions Une initiation à la paix Elsa Triolet de soi-même et des ont transformé le monde mathématiques autres. du cœur par "humour La mise en mots occidental. et la poésie. fondamentales. Coll. • Les sentiers Jean Fourastié de la création. Robert Christophe Colette Hovasse 22 hors-texte en Lettre ouverte Les grandes heures Du danger d'être noir et en couleurs à quatre milliards PHILOSOPHIE d'Italie sérieux Ski ra, 146 p., 33,55 F. d'hommes Plon, 470 p., 30,60 F. Centurion, 160 p., Voir le n° 88 de la A. Mihel, 168 p., 9,30 F. L'histoire de l'Italie Henri Avron 12,60 F. A l'intention du grand Quinzaine è travers ses grands La philosophie Pour un art de vivre public, une méditation personnages et ses allemande . Vercors basé sur l'humour. sur les problèmes monuments les plus Seghers, 224 p., 18 F. personnels qui Destin ou liberté célèbres. De Maître Eckart à La liberté et commandent l'existence Œdipe d'après sophocle l'ordre social Heidegger et à Marcuse, de l'homme d'aujourd'hui Hamlet d'après Emilienne Demougeot Rencontres en passant par Kant, et l'avenir de l'espèce. Shakespeare La formation de Hegel ou Nietzsche, un Internationales de Plon, 306 p., 16,90 F. l'Europe et les Invasions panorama historique des Michel Gauquelin Deux personnages clés' Genève 1969. berbares des origines tendances de la pensée Ed. de La Baconnière, Les horloges cosmiques du théâtre universel; germaniques à 336 p., 36,60 F. allemande. Gonthier, 272 p., 22,90 F. deux héros de l'angoisse l'avènement de Avec des textes de Une étude sur la genèse de vivre qui résument Dioclétien Emmanuel Kant Marcuse, Aron, Ricœur, de l'astrologie et sur en eux des valeurs Hors-texte, cartes et Lettres sur la morale Danlèlou, etc. l'exploration de spécifiques à notre dér' ants et la religion la science moderne temps. Aubier-Montaigne, Introduction, traduction Alnslie Meares dans le domaine des 616 p., 49 F. et commentaires par Soulagement sans Influences qui Franz Weyergans Six siècles d'histoire drogues Jean-Louis Bruch contrôlent la vie. Bibliothèque Idéale Impériale entre César Edition bilingue Trad. de l'anglais des jeunes et Justinien. Aubier-Montaigne, par G. de Cherisey • Eugène Ionesco Ed. Ouvrières, 272 p., 240 p., 26 F. A. Michel, 256 p., 18,50 F. Découvertes • Dominique Desanti 14,40 F. Vingt-elnq lettres, pour Coll. • Les sentiers Réédition entièrement L'Internationale la plupart inédites, qui Comment dominer ses de la création. revue et augmentée. communiste contribuent à placer angoisses sans recourir 20 hors-texte couleurs Payot, 400 p., 24,80 F. l'homme et l'œuvre dans aux tranquillsants. de "auteur De la révolution de leur juste éclairage. Ski ra, 128 p., 33,55 F. SOCIOLOGIE 1917 à la disparition du Louis Millet Voir le numéro 88 de la PSYCHOLOGIE Komintern, l'histoire des L'agressivité Quinzaine. ETHNOGRAPHIB hommes, des idées et Ed. Ouvrières, ESSAIS des évènements. Antonin Liehm 200 p., 15 F. Emile Chanel Trois générations L'agressivité et ses Jacques Duclos Les grands thèmes Suzanne Balous Entretiens sur le différents avatars dans Mémoires III de la pédagogie L'action culturelle phénomène culturel le monde d'aujourd'hui. Centurion, 320 p., de la France dans Première partie : tchécoslovaque 18,30 F. I.e monde de la drôle de guerre J.-E. Monast Trad. du thèque par Les textes è la ruée vers P.U.F., 192 p., 18 F. On les croyait Marcel Aymin
Stalingrad (1939-1942) Fayard, 320 p., 20 F. Le Parti Communiste dans la clandestinité. Histoire économique et sociale de la France Des derniers temps de "âge seigneurial aux préludes de l'âge industriel Ouvrage collectif sous la direction de F. Braudel 48 planches h.-t. P.U.F., 800 p., 68 F. La lente. mais puissante progression de la bourgeoisie jusqu'à l'éclatement de la vieille société seigneuriale. D. Dharmond Kosambl L'Inde ancienne Trad. de l'anglais par C. Malamoud Maspero, 260 p., 23,70 F. Une étude approfondie sur tous les aspects' de l'Indianisme, qui explique les structures actuelles de l'Inde. G. Legman
La culpabilité
Maspero, 376 p., 23,70 F Le sous-développement comme produit de la structure coloniale du capitalisme mondial. Georges Lefranc Grèves d'hier et d'aujourd'hui Aubier-Montaigne, 302 p., 23,10 F. L'idée de la grève à travers son histoire et à travers l'ensemble de problèmes qu'elle pose.
du Japon Ouvrage colle.ctlf par la Société japonaise de Recherches sur la guerre du Pacifique. Trad. de l'américain par Jane Fllllon 8 hors-texte Trévise, 284 p., 25,90 F. Le compte rendu des -journées d'aoOt 1945 qui devaient se terminer par la capitulation du Japon.
POLITIQUE ECONOMIE
Jean-Bertrand Bary Homme avec des hommes Editions Ouvrières, 184 p., 12 F. Un témoignage sur le métier de prêtre.
• André Gunder Frank Le développement du sous-développement : l'Amérique latine Trad. de l'anglais par Chrlstos Passadéos
O. Loretz Quelle est la vérité de la Bible? Centurion, 176 p., 17,10 F. Pour une nouvelle lecture des Ecritures basée sur une conception moderne de la foi. .
Le plus long Jour
Philippe Azlz Tu trahiras sans vergogne Fayard, 288 p., 22 F. A travers la figure de deux • collaborateurs" tristement célèbres, l'histoire d'un mouvement qui a profondément marqué la France.
Jean Charlot Le phénomène gaulliste Fayard, 208 p., 24 F. Le gaullisme en tant que • parti d'électeurs ", comme en connaît l'Angleterre, opposé aux • 'partls de militants" caractéristiques de la vie politique française jusqu'en 1962.
Michel Leclerq Le divorce et l'Eglise Coll. • Points chauds. Fayard, 160 p., 15 F. Un bilan des recherches théologiques qui tendent actuellement à assouplir la doctrine séculaire de l'Eglise en ce domaine.
DOCUMENTS
des Templiers suivi de L'innocence des Templiers par Henri Charles Lea et de Les Templiers et le culte des forces génésiques par Th. Wright, G. Witt et J. Tennent Tchou, 318 p., 25 F. Une révision du procès des Templiers appuyée sur des sources nouvelles.
Amilcar Cabral Guinée CI Portugaise» Le pouvoir des armes Maspero, 120 p., 6,15 F. Un recueil de textes politiques, par le leader du mouvement de libération de la Guinée et du Cap vert.
J.-M. Leclerc M.-F. Valkhoff Les premiers défenseurs de la liberté religieuse Cerf, 400 p., 30 F. Un- recueil de textes du temps de la Réforme et des guerres de religion.
•
Jacques Kermoal Procès en canonisation de Charles de Gaulle Balland. 148 p.• 12 F. Un roman de • politiquefiction» des plus savoureux.
Livres
de
Michel Butor Les mots dans La peinture Nombr. illustrations en noir et en couleurs Collection. Les sentiers de la création" Skira, 184 p., 33,55 F. Voir le numéro 88 de la Quinzaine.
poche
Robert Klein La forme et l'Intelligible Préface d'A. Chastel 16 pl. hors texte Gallimard, 504 p., 40,60 F. L'ensemble des études de Klein sur la Renaissance et l'art moderne.
RELIGION
La Quinzaine littéraire, du 16 au 28 février 1970
Jean-Louis Brau Les mauvais lieux de Londres Balland, 224 p., 80 F. Un haut lieu du fantastique et de la violence : le Londres nocturne.
ARTS URBANISME
Roger Gentis Les murs de l'asile THÉATRE Maspéro, 96 p., 5,90 F. Un réquisitoire • impitoyable contre la condition qui est faite Calderon aux aliénés en France, Le ~agicien par le directeur d'un prodl~ieux établissement TradUIt et préfacé par. B. Ses.é psychothérapique de la région parisienne Edit~on bilingue ," Aubier-Montaigne, 288 p., 17,35 F.
Bilan de la théologie du XX· siècle Ouvrage collectif sous la direction de R. Vander Gucht et H. Vorgrimler Casterman, 608 p., 65 F. Les grands courants théologiques du 'monde contemporain analysés par une équipe internationale et interconfessionnelle.
Sous la direction de Roger Caratinl Préface de M. Le Lannou Nbr. Illustrations Le tome VI de cette' encyclopédie thématique en vingt volumes aussi originale par sa conception que par sa présentation.
DIVERS Bordas Encyclopédie Visages de la terre
LITTERATURE Tieck Contes fanstastiques Bilingue AubierFlammarion. Yves Bonnefoy Du mouvement et de l'immobilité de Douve suivi de Hier règnant désert et accompagné d'Anti-Platon et de deux essais Gallimard poésie. Saint-John Perse Amers suivi de Oiseaux Gallimard/Poésie.
THEATRE Jean Genet Haute surveillance Gallimard/Le Manteau d'Arlequin. Reprise au format de poche, la célèbre pièce de Genet, créée en 1949 au Théâtre des Mathurlns. Roger Vitrac Le coup de Trafalgar Gallimard/Le Manteau d'Arlequin. Réédition au format de poche d'une pièce créée en 1934 et qui sera jouée .prochainement à Paris dans une mise en scène de Planchon.
ESSAIS Berkeley Cahiers de notes .et Essai d'une théorie de la vision Traduction et préface par André Leroy Aubier-Montaigne Philosophie en poche. Berkeley Trois dialogues eptre Hylas et Philonous précédé d'un essai par Michel Ambacher sur La Philosophie de la nature Commentaire par M. Amacher Trad. par A. Leroy Aubler-Montaigne/• Philosophie en poche. Berkeley Principes de la connaissance humaine édition bilingue Obéissance passive (extraits) Aubler-Montalgne/• Philosophie en poche. J. Chasseguet-Smlrgel l,a sexualité féminine Petite Bibliothèque Payot. Aldous Huxley L'art de voir Avant-propos de G. Neveux Petite Bibliothèque, Payot.
INBDITS Jean Boulalne Les sols de France Que sais-je 1 Glan Carlo Bravo Les soclaUstes avant Marx Trad. de l'Italien par Alice Théron Petite collection Maspéro. 3 tomes Anthologie avec introduction, notes et bibliographies des socialistes du XIX' siècle. Fernand Brunner Eckhart. Nombr. Illustrations Seghers/Philosophes de tous les temps Eclalrée par des textes jusqu'Ici inconnus en français. une introduction à la pensée du grand mystique allemand. Noam Chomsky Le langage et la pensée Petite Bibliothèque
Payot. Initiation à la méthode de la linguistique moderne. Robert J. Courtine La gastronomie Que sais-je? Michel Goustard Les singes anthropoïdes Que sais-je 1 Léon E. Halkln Erasme Ed. Ouvrlères/ Classiques du XX' Siècle Erasme contestataire avant la lettre. Jean Jolivet Abélard Seghers/Philosophes de tous les temps. Abélard ou la philosophie dans le langage : une étude éclairée par un choix de textes. Annie Krlegel Aux origine's du communisme français Flammarion/Questions d'histoire Voir le n° 65 de la Quinzaine. Albert Labarre Histoire du livre Que sais-je? C. lemercler-Quelquejay La paix mongole Flammarion/Questions d'histoire. le monde pendant la seconde moitié du XII' Siècle ou cinquante années d'histoire pendant lesquelles le monde connut la paix. André Nicolas Marcuse Seghers/Philosophes de tous les temps. Une étude critique de l'œuvre de ce philosophe de la contestation. Richard Stauffer La Réforme (1517-1564) Que sais-je'? Catherine Valabrègue La condition étudiante Petite Bibliothèque Payot. Une enquête sur le terrain : la condition sociale, matérielle, politique. affective et sexuelle de l'étudiant. Louis Gautier Vignal Machiavel Ed. ouvrières Classiques du XX' siècle la pensée de Machiavel aujourd'huI
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