Mardi 30 juin 2015
Lettre ouverte à Madame la Directrice de l’agence pour l’enseignement français à l’étranger
Madame la Directrice de l’agence pour l’enseignement français à l’étranger, Nous souhaitons par ce courrier vous faire part de notre inquiétude sur l’avenir de l’enseignement des langues anciennes dans la zone Asie du réseau AEFE. En effet, ces enseignements, surtout représentés par le latin, sont très vivaces et vivants dans nos établissements et nous voudrions être rassurés sur leur maintien quand la nouvelle réforme du collège entrera en application à compter de la rentrée 2016. La nouvelle réforme prévoit la suppression des options facultatives latin et grec en collège. Ces options seront remplacées par un EPI, Enseignement Pratique Interdisciplinaire, Langues et Cultures de l’Antiquité. Cette redéfinition du statut du latin et du grec dans les programmes du collège laisse, pour l’instant, planer le plus grand doute sur la survie effective de ces enseignements. Selon les dernières informations officielles dont nous disposons, l’EPI Langues et Cultures de l’Antiquité sera dérogatoire, ce qui signifie qu’il pourra être suivi, à la différence des autres EPI, par un même élève en 5ème, 4ème et 3ème. Le même élève, s’il persévère dans cet EPI, pourra bénéficier d’un enseignement complémentaire d’une heure de latin en 5ème, de deux heures en 4ème et de deux heures en 3ème. Ce dispositif permet donc d’affirmer en théorie que les élèves qui le souhaitent pourront disposer du même nombre d’heures de latin qu’aujourd’hui. Cependant, plusieurs zones d’ombre dans le décret de réforme laissent craindre que le réel puisse difficilement coïncider avec le possible : - Si tous les élèves doivent étudier six EPI sur huit entre la 5ème et la 3ème, il est logiquement impossible que l’EPI Langues et Cultures de l’Antiquité soit maintenu trois ans de suite. - Si l’EPI a un caractère dérogatoire, il sera en concurrence avec les autres EPI. Aucun professeur de Lettres Classiques ne pourra, et sans doute ne voudrait, prétendre à une telle hégémonie de sa discipline. - L’horaire complémentaire a peu de chances d’exister en dehors de la 5ème, puisqu’il doit nécessairement être adossé à l'EPI Langues et Cultures de l’Antiquité.
- L’horaire complémentaire est à prélever dans une réserve d’heures qui peuvent être mobilisées à d’autres fins. Sur quels critères pourrons-nous invoquer la priorité de l’horaire complémentaire latin? En l’état actuel des choses, il faut donc bien admettre que, comme l’ont souligné l’ensemble des associations qui militent pour la sauvegarde des langues anciennes dans l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur, mais aussi de nombreuses personnalités publiques ou intellectuelles dans des tribunes publiées dans la presse, le latin et le grec sont menacés de disparition au collège. Or s’il n’y a plus de latinistes en collège, il n’y en aura bientôt plus en lycée et bientôt plus à l’université. Madame la Ministre de l’Education Nationale a répété à plusieurs reprises que l’objectif de la réforme n’était pas de supprimer les langues anciennes, mais au contraire de favoriser leur démocratisation pour mettre l’excellence dont elles sont porteuses au service de tous. Elle a garanti que la publication dans les mois à venir des programmes en cours de rédaction dissiperait les malentendus. Souscrivant à l’ambitieux projet d’une refondation de l’école qui promouvrait l’égalité des chances sans sacrifier l’excellence et estimant que nous n’avons pas à soupçonner la bonne foi de la puissance publique, nous voulons attirer l’attention sur la nécessité et l’utilité toutes particulières de protéger les langues anciennes dans l’institution que vous dirigez. L’enseignement des Langues et Cultures de l’Antiquité est solidement implanté depuis longtemps dans les établissements de la zone Asie du réseau AEFE. Il permet à de nombreux élèves originaires de nationalités différentes d’approfondir leur connaissance de la langue et de la culture françaises, mais aussi européennes. Nous pensons qu’il serait extrêmement dommageable pour les familles qui nous font confiance – qu’elles souhaitent garder un lien fort avec la France, leur pays d’origine, ou qu’elles aient choisi notre système éducatif par admiration pour la culture française et les exigences spécifiques de nos écoles – que la poursuite de ces enseignements ne soit plus garantie. En effet, ils sont utiles à tous, parce qu’ils sont pluridisciplinaires, particulièrement structurants pour l’esprit et parce qu’ils permettent de s’approprier en profondeur les subtilités de la langue française. Or cette maîtrise n’est-elle pas la première des conditions pour réussir la dissertation, exercice commun aux lettres, à l’histoire, aux SES et à la philosophie ? L’étude des langues anciennes, au moins celle du latin, est même quasiment indispensable pour des élèves qui voudraient poursuivre dans le supérieur des études littéraires pointues : un réseau comme le nôtre qui, comme vous l’avez rappelé dans votre lettre du 12 mai 2015, assume fièrement et légitimement une politique du dynamisme et de l’excellence, pourrait-il se permettre de priver ses élèves d’enseignements que les lycées les plus prestigieux de métropole, ou d’autres régions du monde, continueront à prodiguer sans fausse honte ? Nos élèves devraient-ils renoncer à briguer des classes préparatoires littéraires, parce qu’ils considéreraient que leur ignorance du latin serait un inconvénient ou un obstacle à la réussite aux concours des ENS ? Nos élèves latinistes n’auront-ils plus le droit, à la différence de certains de leurs condisciples de France où d’ailleurs, de proposer l’option latin qui rapporte, quand elle est sérieusement préparée, de nombreux points au Baccalauréat ? Nous savons tous que ces questions sont loin d’être marginales dans un réseau où les parents sont souvent sociétaires des écoles et investissent beaucoup d’argent pour l’épanouissement et la réussite de leurs enfants.
Nos inquiétudes sont peut-être infondées. Assurément, vous nous rassurerez et vous nous aiderez à mettre en place la réforme dans nos établissements, si vous nous confirmez que l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger est soucieuse et attentive à ce que soit garantie, dans le cadre des EPI, la pérennité de l’enseignement des langues anciennes à tous les niveaux du collège de la 5ème à la 3ème. Sans doute le régime d’autonomie financière dont participe la majorité de nos établissements est-il déjà un atout pour une application réussie de l’esprit de cette réforme. On peut, en effet, présumer que les parents seront favorables à financer des enseignements qui ont durablement fait la preuve de leurs vertus. Cependant, une recommandation explicite de votre part favorisera le travail des porteparoles des langues anciennes dans les conseils pédagogiques, les conseils d’établissement et les conseils d’administration. Nous voulons, en effet, éviter que des collègues se retrouvent parfois seuls à défendre, en se demandant si c’est à tort ou à raison, ce qui constitue incontestablement un bien multiséculaire et une richesse originale du système éducatif français. Nous mettons en copie de cette lettre les Conseils d’Etablissement de nos lycées d’exercice. Nous invitons les parents et les collègues élus à la diffuser auprès de toutes les familles et de toutes les équipes pédagogiques. Nous pensons, en effet, qu’une collaboration étroite, nourrie par le dialogue et respectueuse des prérogatives et des droits de chacun, entre l’institution et les associations des parents d’élèves, entre les professeurs et les parents, est le meilleur gage pour la réussite de tous nos élèves et le rayonnement de la France dans le monde. Convaincus, Madame la Directrice de l’AEFE, que vous apprécierez la loyauté – envers les élèves, les familles, l’AEFE et l’Education Nationale – dont procède notre démarche, nous vous prions d’agréer l’expression de notre sincère dévouement au service de la promotion de l’enseignement français à l’étranger.
Les enseignants de Langues et Cultures de l’Antiquité de la zone Asie du réseau AEFE