Robert DELORD Professeur de Lettres Classiques Président de l'association « Arrête Ton Char ! les Langues & Cultures de l'Antiquité aujourd'hui » Madame Najat VALLAUD BELKACEM Ministre de l'Education Nationale 110, Rue de Grenelle 75 357 PARIS SP 07 Die, le 1er février 2016 Madame la Ministre, Monsieur le Président du Conseil National pour la Réussite Educative Par la présente, j'ai l'honneur de vous présenter ma démission du Conseil National de l'Innovation pour la Réussite Educative dont je suis membre depuis sa création par George Pau-Langevin en avril 2013. Recevoir le courrier signé de la main de la ministre déléguée en charge de la Réussite Educative, me proposant une place de membre titulaire du Conseil National de l'Innovation pour la Réussite Educative, fut pour moi, je dois l'avouer, un grand honneur . J'ai alors considéré, peut-être à tort, que cette mission arrivait comme la reconnaissance par mon Ministère de tutelle, du travail accompli sur le terrain et des distinctions nationales reçues pour les projets menés pour et avec mes classes et mettant tous en oeuvre langues anciennes, pédagogie de projets, interdisciplinarité et usages numériques. Cependant, malgré ma solide détermination à oeuvrer à la réussite éducative de tous les élèves au sein de ce Conseil National, j'ai progressivement déchanté devant le manque d'organisation, d'efficacité et d'indépendance de cette instance. Les débuts de ce Conseil furent, il faut bien le dire, assez chaotiques puisque face au trop grand nombre de personnes sollicitées par le Ministère pour être titulaires ou suppléants, c'est le chef de cabinet de Mme Pau-Langevin, en personne, qui a décroché son téléphone pour s'en excuser et proposer aux membres surnuméraires de bien vouloir se contenter de participer, sans titre officiel, à des groupes de travail du Cniré totalement déconnectés de leurs domaines de spécialité. En présence de Vincent Peillon et de George Pau-Langevin, une séance d'installation du Cniré a été organisée le 19 avril 2013, à laquelle ont été conviés seulement les titulaires, les « têtes d'affiche » qui devaient figurer sur la photographie officielle mais que nous n'avons malheureusement pas tous revus depuis pour les séances de travail du Conseil. D'ailleurs, l'actualisation, par voie inter-ministérielle, de la liste des membres du Cniré qui est attendue depuis l'année dernière n'est toujours pas arrivée au moment où je vous écris. Ma déception porte également sur la composition et l'organisation du Cniré. Comment se fait-il que la proportion d'enseignants en poste, sur le terrain devant les élèves, atteigne péniblement les 10% de l'effectif d'un Conseil National en charge de l'innovation éducative ? Les enseignants qui sont au contact direct des élèves tous les jours, ne sont-ils pas les mieux à même de définir ce que sont non seulement l'innovation et la réussite éducative, mais aussi les conditions et moyens qui leur sont nécessaires ? On serait également en droit d'attendre une meilleure organisation de la part d'un conseil national que ce soit pour les questions pratiques ou même pour le fonctionnement de cette instance. Depuis plus de deux ans les problèmes sont toujours les mêmes. Difficultés de communication entre le Ministère et les rectorats qui entraînent une édition très tardive des convocations et donc des frais de remboursements inutilement élevés pour des billets de train achetés à la dernière minute. Certains membres sont contraints de faire l'avance de leurs frais de transport et d'hébergement, notamment à l'occasion de la Journées de l'innovation à laquelle les membres du Cniré devraient pouvoir participer sans encombre. Conflit de territoire aussi, quand le coordinateur d'un des groupes de travail me demande ainsi qu'à un autre membre du Cniré, spécialiste de la question de travailler sur des préconisations en matière de numérique : machine arrière, c'est le domaine de la Division du Numérique Educatif, nous avons travaillé pour rien. 1
Plus grave encore, le réseau des Cardie, chargé du recensement et de la valorisation des pratiques ou projets innovants dans les académies, semble fonctionner de façon assez disparate : bien que m'étant signalé dès le départ comme membre du Cniré, depuis 2013, pas une fois je n'ai été reçu par le Cardie de Grenoble pour faire remonter les projets innovants de la cinquième plus grande académie de France. Je m'étonne enfin que le dossier Ministre remis à Benoît Hamon en avril 2014 ne mentionne pas une seule fois le Cniré dans les quatre pages qu'il consacre à la réussite éducative. Après plus de deux ans de participation à la quasi-totalité des réunions du Cniré, j'en viens aujourd'hui à m 'interroger sur l'efficacité et l'utilité de cette instance. En effet, un rapide sondage permet de se rendre compte qu'une infime minorité d'enseignants connaît ce Conseil National, ses travaux et son réseau. De même, les coûteuses plateformes Internet Respire puis Viaéduc créées successivement pour la mutualisation de l'innovation en éducation, même si elles ont regroupé quelques centaines d'utilisateurs réguliers, sont totalement inconnues de la plupart des enseignants et donc sous-exploitées. On peut également se demander ce que deviennent les préconisations élaborées par le Cniré puis remises chaque année en main propre par le Président du Conseil à la Ministre de l'Education. Ainsi, à l'unanimité les membres du Conseil ont reconnu l'importance de temps de concertation indispensables aux enseignants pour la mise en oeuvre de dispositifs tels que les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires, l'Accompagnement Personnalisé ou les liaisons inter-cycles. Ces temps de concertation sont pourtant les grands absents des textes relatifs à la réforme du collège. De même, le Cniré s'est beaucoup intéressé à la question du climat scolaire et de la bienveillance avec les élèves et a fait des préconisations dans ce sens. Force est de constater, malheureusement, que ces deux principes ont été oubliés par le Ministère dans l'élaboration et la communication autour de la réforme du collège qui a considérablement dégradé le climat scolaire ces derniers mois. Enfin, chose qui pourra paraître paradoxale, je déplore à la fois le manque de considération du Ministère pour ce Conseil National à la tâche pourtant noble, mais aussi le manque d'indépendance du Cniré vis-à-vis du Ministère de l'Education Nationale. Ainsi, si la rencontre initiale avec Mme Pau Langevin et ses visites à la fin de certaines journées de travail du Cniré ont été fort appréciées, je regrette, Madame la Ministre de n'avoir pu vous voir à aucune de nos réunions, si ce n'est une fois, en novembre 2014, par le biais d'une courte vidéo enregistrée à l'attention des membres du Cniré et diffusée en début de réunion. Est-ce à dire que le Ministère accorde moins d'intérêt aux travaux du Cniré maintenant qu'à ses débuts ? Pour ce qui est du manque d'indépendance du Cniré vis-à-vis du Ministère, je me dois de vous fournir un exemple manifeste pour vous prouver la véracité des faits. Au mois de mai 2015, en pleine controverse sur la réforme du collège, le service de communication de votre Ministère a demandé au Cniré de rédiger un texte en faveur de la réforme du collège, sous l'angle, bien sûr, de l'innovation pédagogique. Le conseil s'est exécuté et j'ai moi-même assisté à cette séance de rédaction. Cela m'a permis de constater qu'une grande majorité de membres du conseil ne connaissaient pas précisément le texte de la réforme du collège pour lequel ils étaient enjoints de rédiger un panégyrique. Cela m'a également permis de faire amender la première mouture du texte en faisant supprimer une phrase qui se trouvait à l'initiale d'un paragraphe : « La réforme ne touche pas aux disciplines. » En tant qu'enseignant de Lettres Classiques dont les disciplines de spécialité, Latin et Grec ancien, disparaissent corps et âme, en tant que matières, dans le nouveau collège 2016, vous comprendrez, j'en suis certain, que je ne pouvais laisser passer une telle approximation et que je ne peux poursuivre mon engagement dans une instance sous influences. Je forme le voeu que ma démission vous conduise à reconsidérer certains points évoqués dans ce courrier et vous prie de croire, madame la Ministre, en l'assurance de ma haute considération. Robert DELORD
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