L'enfant et la vie n°179

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LE MAGAZINE DES PARENTS ET DES ÉDUCATEURS DEPUIS 1969

L’enfant et la vie

JANVIER

- FÉVRIER - MARS 2016

n° 179

MULE NOUVELLE FOR

95099 - 179 - F : 5,95€

9 771148

5 75002

> DOSSIER : SÉPARÉS MAIS TOUJOURS PARENTS > ANDRÉ STERN : À HAUTEUR D’ENFANT > QUAND “MONTESSORI” DEVIENT UNE MARQUE


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DANS CE NUMÉRO sommaire n°179 4

BRÈVES

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DOSSIER Séparés mais toujours parents

DEVENIR PARENTS 10 • Et si le futur papa n'assistait pas à l'accouchement ? 12 • Devenir parent quand on a été adopté ENFANCE 14 • Éduquer à la diversité en 2016 16 • Moi, enfant PORTRAIT 17 André Stern, à hauteur d’enfant ADOLESCENCE 20 La sexualité : des mots pour en parler APPRENDRE • Quand “Montessori” devient une marque 24 • Reportage : l’approche Gattegno 22

RESSOURCES 26 • À la rencontre des parents 27 • Faire ensemble... une boîte à moi 28

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LU, VU, ÉCOUTÉ…


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ÉDITO Elisabeth Martineau

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Touchée… par tant de soutien !

Depuis l’annonce de la transmission de L’enfant et la vie entre le Centre Nascita Montessori du Nord et une nouvelle équipe, vous avez été très nombreux à exprimer combien ce magazine comptait pour vous. Vos mots d’encouragement ont été une formidable source d’inspiration dans nos moments de doute. Fallait-il poursuivre la rédaction d’un magazine qui, en 178 numéros, a peut-être fait le tour de toutes les questions liées à l’enfant et à la parentalité ? Fallaitil miser sur le papier dans un monde numérique où tant d’informations circulent ? Comme vous, nous pensons plus que jamais que oui. Si L’enfant et la vie a marqué des générations - les premiers lecteurs abonnent aujourd’hui leurs petits-enfants devenus parents - c’est parce qu’il a su donner à ses lecteurs, dès 1969, le sentiment d’être accompagnés dans leur quotidien de parents ou d’éducateurs, d’être entendus dans leurs questionnements sur des sujets alors peu abordés : la naissance physiologique, le portage, l’allaitement, les besoins fondamentaux des enfants à la lumière de Maria Montessori… Vous nous remerciez de respecter votre liberté de pensée en transcrivant les propos de spécialistes très différents. Vous soulignez l’importance des témoignages personnels auxquels vous vous identifiez. Nous allons continuer de cette façon, avec une équipe de professionnels, pour donner plus de visibilité à ce travail, le rendre plus accessible, plus attractif aussi, grâce à une nouvelle maquette.

Je n’ai pas eu la chance de faire la connaissance de Jeannette Toulemonde, la fondatrice du magazine et du Centre Nascita Montessori du Nord. Je nourris une profonde admiration pour cette mère de sept enfants, bien décidée à faire connaître en France les travaux de Maria Montessori et à créer une dynamique d’échange entre parents. En 2000, devenue rédactrice en chef, Odile Anot pousuit ce travail. Elle me transmet cette belle mission en 2014. En 2015, le Centre Nascita Montessori du Nord choisit de se concentrer sur sa vocation de lieu-ressources et souhaite transmettre à d’autres l’édition du magazine. C’est avec gratitude que je reprends le flambeau, certaine qu’il pourra éclairer encore beaucoup de parents et d’éducateurs à la recherche d’informations fondées, profondes, respectueuses de l’enfant dès sa conception et jusqu’à l’âge adulte. Je remercie Anne Bideault, nouvelle directrice de publication, et Morgan Railane, gérant de la coopérative CAPresse*, d’avoir accepté de se lancer dans l’aventure avec moi - jamais je n’aurais poursuivi sans eux ! Ensemble, et avec vous, nous continuerons à questionner l’enfance et la parentalité, et à chercher des réponses qui sonnent juste pour chacun, pour l’humanité. J’espère que vous serez nombreux à nous lire, à vous abonner surtout ! L’avenir du magazine dépend de votre engagement à nos côtés. * Voir p. 31 “Qui sommes-nous ?”

Magazine L’enfant et la vie, 13 rue du Beauvallon, 69380 Lozanne contact@lenfantetlavie.fr / 06 09 32 03 58 Directrice de publication : Anne Bideault (anne.bideault@lenfantetlavie.fr) Rédactrice en chef : Elisabeth Martineau (elisabeth.martineau@lenfantetlavie.fr) Direction artistique et mise en page : Annie Lebard Photographie de couverture : Audrey Chanonat Responsable de la diffusion : Raphaël Baldos (raphael.baldos@lenfantetlavie.fr) Le magazine L’enfant et la vie est édité par la SAS L’enfant et la vie, au capital de 5000 €. Associés : Elisabeth Martineau, Anne Bideault, Channel Agence de Presse, Morgan Railane. ISSN : 1148-5752 - CPPAP en cours Impression : IML Capcolor, Z.A. Les Plaines, 69850 Saint-Martin-en-Haut Ont contribué à ce numéro : Odile Anot, Agnès Bouvier, Marie Chardin, Béatrice Doruk, Sophie Helmlinger, Béatrice Kammerer, Florentine Krawatzek, Ingrid Lebeau, Erika Leclerc-Marceau, Eugénie Longueville, Laurent Prum, Christelle Souriau. Magazine L’enfant et la vie

> Pour toute question concernant les abonnements : elisabeth.martineau@lenfantetlavie.fr > Pour toute question ou proposition concernant la diffusion dans tout type de points de vente : raphael.baldos@lenfantetlavie.fr > Pour toute remarque, suggestion, courrier… n’hésitez pas ! contact@lenfantetlavie.fr

Cadeaux de naissance : offrez un abonnement ! Voir page 31

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r v s è e Le Printemps de l’éducation Une aventure humaine et inspirante

Relier, partager, valoriser les initiatives éducatives positives, se faire l’écho des acteurs et des projets disséminés sur le territoire pour un renouveau de l’éducation, c’est le défi que relèvent l’équipe du Printemps et ses nombreux partenaires depuis 2012. L’enjeu majeur de 2016 est de faire face à l’ampleur du mouvement tout en le structurant, dans un esprit collaboratif. Plateforme de ressources en ligne, pôle formation, observatoire de la diversité éducative... Les projets sont multiples et reflètent la dynamique actuelle. Gardons un œil tourné vers le Printemps de l’éducation, acteur désormais incontournable de la sphère éducative. www.printemps-education.org

Film à guetter : “Écoles en vie” Un projet à suivre : voici en cours de production un documentaire qui prouve que des pédagogies différentes au sein de l’école publique, c’est possible. Mathilde Syre, réalisatrice, nous introduit dans des classes où les enseignants ont choisi d'accompagner leurs élèves vers plus d’autonomie et de coopération. Montrer le quotidien de ces classes c’est affirmer qu'il est possible de réinventer une école publique ouverte et attentive au développement de chaque enfant. Bientôt en salles !

Maisons de naissance - Feu vert pour l’expérimentation de 9 projets pilotes en France Le 23 novembre dernier, neuf projets de maisons de naissance en France ont reçu l’autorisation du Ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes de fonctionner de manière expérimentale. Une maison de naissance est un lieu géré par des sages-femmes où peuvent accoucher des femmes ne présentant aucune pathologie pendant la grossesse. Grand pas en faveur de l’accouchement physiologique, l’expérimentation sera évaluée au bout de deux ans d’activité.

Bientôt une assurance pour les accouchements à domicile ? Une brèche vient de s’ouvrir vers une reconnaissance du droit des sages-femmes à exercer enfin toutes leurs compétences dont la possibilité d’accompagner des accouchements physiologiques à domicile. Alors que le bureau central de tarification (BCT) avait fixé le montant de sa responsabilité civile professionnelle à 22 099 €, celui-ci a reconnu récemment qu’il n’y a pas de commune mesure entre les risques des gynécologues-obstétriciens et ceux des sages-femmes exerçant à domicile. Il reste à convaincre le Tribunal Administratif de Paris en espérant qu’il ira dans le même sens et imposera au BCT de convaincre les assureurs de fixer une prime en adéquation avec la réalité du risque.

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Nous y serons ! 180 crèches Ecolo crèche® en France ! Un label crée par l’association Ecolo crèche® en 2013 pour améliorer la qualité de vie des enfants et du personnel et réduire l’impact de la crèche sur l’environnement. Entretien, alimentation, ameublement, gestion des déchets, énergies, bâtiment, outils de communication, activités écologiques et ludiques : toutes les thématiques rencontrées en crèche sont couvertes par cette démarche globale. Claire Grolleau Escriva, écotoxicologue de formation en est la fondatrice et présidente. Jeune maman en 1998 à Marseille, elle avait créé une première association pour mettre des enfants de crèche au contact de la nature. Ensuite, les crèches n’ont cessé de lui demander des conseils sur le choix des matériaux, des aliments ou des activités qu’elles mettaient en œuvre. Pour connaître les crèches labellisés ou les démarches pour obtenir ce label : www.ecolo-creche.fr


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DOSSIER

Séparés mais toujours parents Elisabeth Martineau

Lorsqu’un couple se sépare, la famille entière vit un tremblement de terre. À l’épicentre, les enfants ont du mal à comprendre pourquoi maman et papa ne veulent plus vivre ensemble. Comment leur expliquer ce choix ? Quels mots peuvent les aider à vivre cette période le plus sereinement possible et retrouver des repères ? Nous avons interrogé parents et experts pour en savoir plus. En rentrant à la maison le soir, Stan, 12 ans, se connecte à l’ordinateur pour parler à son père qui vit en Pologne. Ses parents ont divorcé tout récemment et la mère de Stan l’a amené en France pour commencer une nouvelle vie. Beaucoup de changements pour ce jeune garçon en peu de temps. Le fait de parler à son père régulièrement lui permet de maintenir un lien et de grandir, en quelque sorte, avec deux parents. Même si le cas de Stan est hors normes, puisqu’il est séparé de son père par près de 2000 km, tout couple parental séparé se confronte au même défi de maintenir un lien malgré la distance et les désaccords. La garde alternée constitue à ce titre une solution intéressante. Ce mode de garde, instauré par la loi du 4 mars 2002, est en hausse : 21% en 2012 contre 12% en 2003. “Une bonne chose”, note Liliana Perrone, psychothérapeute et médiatrice familiale qui nous rappelle que la loi parle de “résidence” alternée, un terme qu’elle estime davantage parce qu’il évoque le lieu où va habiter l’enfant et non la personne qui va en avoir l’autorité. “Cela induit une décision collaborative de la part des parents et non une injonction qui définit quel parent va prendre possession de l’enfant pendant un

temps.” Le dialogue s’impose mais il n’est pas toujours simple : la séparation s’accompagne très souvent de sentiments négatifs tels que la rancœur ou le désir de vengeance. Pour surpasser ces états, la spécialiste invoque la nécessité d’une “décentration de soi”, c’est-à-dire la capacité de passer outre son intérêt personnel et se recentrer sur les besoins de l’enfant. Un véritable challenge, car dans un couple, constate la spécialiste, l’un est souvent “plus marié” à l’autre ou a plus de mal à accepter la séparation. Nous n’aurions pas tous la même capacité à prendre de la hauteur sur des situations difficiles et sortir du schéma conflictuel pour l’amour de l’enfant. Si le conflit perdure après la séparation des parents, les souffrances de l’enfant sont redoublées, comme en témoigne Ombelline, qui, dix ans après le divorce de ses parents, continue de subir leur mésentente et ne peut en parler sans pleurer (voir son témoignage). Deux territoires différents “Se séparer implique aussi d’accepter que chez l’autre parent, les règles pour l’enfant peuvent différer” explique la thérapeute. Hormis les questions de sécurité - le port d’un casque à vélo, d’une ceinture en voiture... qui doivent être constantes pour l’enfant, chacun doit admettre que l’autre parent exerce des règles différentes chez lui avec l’enfant - il a le droit de regarder la télé chez maman mais pas chez papa, il peut se coucher un peu plus tard chez papa le samedi soir, mais pas chez maman... L’enfant peut s’adapter, d’après Liliana Perrone, et il est important de respecter le “territoire” de l’autre, ne pas interférer ou critiquer devant l’enfant les choix de l’autre parent. “Il est souhaitable que chacun des parents alimente une image positive de l’autre”.

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DOSSIER

Un sur Cinq

c’est la proportion d’enfants qui ne voient plus leur père quatre ans après la séparation1. Accompagner les émotions de l’enfant Anne Roussel, thérapeute pour enfants et parents formée au coaching parental et à la Grammaire des émotions® à l’EIREM2, explique que l’enfant vit un paquet d’émotions à la séparation de ses parents, et qu’il est crucial de les prendre en compte. Il est avant tout secoué par la culpabilité. Ayant entendu ses parents se disputer à son sujet, sur le mode “tu le laisses trop faire...”, “tu es trop sévère...”, il s’imagine que ses parents se séparent à cause de lui. En outre, la séparation représente pour lui la fin d’un idéal. Lui qui croyait que l’amour, c’était pour toujours, le voilà qui s’arrête d’un coup. Il a peur alors que l’amour que lui portent ses parents puisse cesser à son tour. Il est donc essentiel de lui expliquer que l’amour entre un parent et un enfant ne s’arrête jamais. “Quel que soit son âge, il peut l’entendre”, dit Anne Roussel. L’ado, lui, risque de remettre en question la possibilité d’un amour durable dans sa propre vie future et cela complique parfois ses relations amoureuses. La séparation peut éveiller des questionnements sur son identité : je suis issu d’un couple qui n’a pas tenu. Quel que soit son âge, il est important que l’enfant entende de la part de ses parents qu’à sa naissance, ils s’aimaient réellement, que son existence est le résultat d’une relation d’amour. Lorsque l’enfant est petit, Anne Roussel conseille de perturber le moins possible son environnement. Si un changement de crèche ou d’école s’ajoute à la nouvelle situation familiale, cela va accentuer sa déstabilisation. On peut même l’observer dans des détails très concrets : si c’était sa mère qui s’occupait jusqu’alors des repas, il arrive que l’enfant montre des résistances devant les plats préparés par son père. “Rien d’insurmontable, rassure Anne Roussel, mais lorsque c’est possible, il est important de diminuer au maximum les sources de stress pour l’enfant

et tenter d’être à l’écoute de ses émotions, même si les parents sont souvent submergés par les leurs.” Attention aussi à ne pas faire porter à l’enfant notre charge émotionnelle ou lui confier une place trop lourde à assumer. Claudine, 46 ans, se rappelle la période qui a suivi le divorce de ses parents alors qu’elle avait six ans : “Je suis devenue la main droite de ma mère qui a dû travailler pour la première fois de sa vie. Je l’ai beaucoup aidée à s’occuper de mes deux petites sœurs, à les habiller, à les amener à l’école. J’étais la grande !” Pour Claudine, le divorce de ses parents a été un traumatisme dans sa vie d’enfant. Aujourd’hui, elle souligne pourtant le lien positif entre cette épreuve et la personne qu’elle est devenue : “Je suis celle qui trouve des solutions, à qui on demande des conseils. Je suis toujours là pour les autres.” On peut constater que malgré les “erreurs” commises par les adultes, les enfants font avec et peuvent aussi en tirer du bénéfice. L’enfant aime voir ses parents ensemble L’enfant de parents séparés garde en général l’espoir que ses parents se remettent ensemble. Selon Anne Roussel, là aussi, il faut entendre et accepter cet espoir sans pour autant le nourrir. Les passages de relais, lorsque le papa dépose l’enfant chez sa mère ou vice-versa, nous révèlent discrètement ce souhait. Souvent, l’enfant va inconsciemment tenter de prolonger ce temps, en s’agitant ou en se comportant de manière à ce que ses deux parents soient obligés de rester avec lui encore un peu. Les enfants aiment voir leurs parents ensemble et certains parents (voir le témoignage de Sandrine), prennent le temps de boire un café ou de manger ensemble avant de quitter l’enfant. Parfois le conflit est trop important et il vaut mieux trouver un sas pour que la transition se passe paisiblement. Romain, le papa d’Anna, 12 ans, s’est séparé

1. Patrice Huerre et Christilla Pellé-Douël, “Pères solos, pères singuliers ?” Albin Michel, 2010. Note tiré du livre “Il est où mon papa ?” d’Edwige Antier, Robert Laffont, 2012 2. Ecole des intelligences relationnelle et émotionnelle

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Témoignages Sandrine, mère de Raphaël, 5 ans, et séparée depuis 18 mois Ombelline, 17 ans “Cela fait déjà dix ans que mes parents sont séparés. Aujourd’hui, j’ai envie de leur demander pourquoi ils sont restés centrés sur eux à ce point, sans chercher à savoir si ma sœur et moi, on allait bien ou pas. J’ai jamais vraiment su pourquoi ils s’étaient séparés, ils ont été très maladroits, nous ont beaucoup menti, en donnant des versions très différentes. Avec l’âge, je comprends que les sentiments puissent ne pas persister dans le temps. Mais je me demande vraiment pourquoi ils ne nous parlent pas clairement, pourquoi ils se font la guerre à travers nous. Ils n’ont pas de comptes à nous rendre, d’accord, mais quand je vois que ma mère n’est toujours pas passée à autre chose au bout de dix ans, alors que nous, ses filles, on aurait besoin de plus d’attention… Même si ce sont des parents géniaux, je trouve qu’ils se comportent comme des gamins.”

“Notre fils a été au cœur de nos préoccupations lors de notre séparation - comment faire pour qu’il vive ce bouleversement le mieux possible ? Nous avons cherché de l’aide auprès d’un psychologue, ce qui nous a permis de faire le point dans notre couple et de confirmer notre décision de nous séparer, sereinement. A partir de là, nous avons profité de la période de trois mois où nous vivions sous le même toit pour préparer ce changement. Nous avons expliqué à notre fils que nous n’étions plus amoureux, mais que nous nous aimions autrement. “Elle est nulle votre idée !” nous disait Raphaël. Il était plus colérique qu’à son habitude. Nous avons accepté sa colère et reconnu qu’il était normal qu’un enfant souhaite que ses parents vivent ensemble. J’ai la garde principale de Raphaël et je vis à une heure de chez mon ex-compagnon. À trois, nous avons visité l’école de Raphaël. Lorsqu’il faut prendre une décision concernant notre fils, pour faire une activité extrascolaire par exemple, ou si j’ai un problème, comme en ce moment - Raphaël refuse systématiquement de se laver - j’appelle son papa et on cherche des solutions ensemble. Lorsque le papa de Raphaël vient passer le mercredi aprèsmidi, on prend le temps de déjeuner tous les trois. Raphaël nous dit que c’est important d’être ensemble de temps en temps. Notre relation se passe bien. Notre “secret” ? La communication avant tout, la promesse qu’on s’est faite de toujours viser le bien-être de notre fils, le soutien de la famille aussi. Nous ne nous étions jamais nourris de conflits auparavant. Pourquoi commencer maintenant ?”

Romain, père de Léa “Je n’ai pas su m’opposer aux décisions de mon ex-compagne de peur de perdre le peu de temps que je passais avec Léa. Sa maman menaçait de partir avec elle, alors j’ai accepté toutes ses conditions et récupérais ma fille quand ça arrangeait mon ex. On a choisi de ne pas faire appel à l’aide d’un juge, mais c’était une erreur. Ma fille a perçu cette faille chez moi et se comportait mal. Pour pallier nos tensions, elle surinvestissait l’école et ses notes étaient “ trop bonnes”. J’ai consulté un psychologue pour m’en sortir et j’ai appris à affirmer mes conditions, et mon autorité de père. Le comportement de Léa s’est nettement amélioré. Elle vit chez moi une semaine sur deux et ses notes ont baissé. C’est bon signe !”

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DOSSIER

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il y a six ans. À son grand regret, il n’a jamais réussi à s’entendre avec son ex-compagne. Les moments de passation d’une maison à l’autre étaient très tendus et faisaient souffrir leur fille. Collégienne aujourd’hui, Anna se déplace toute seule. Plus jeune, son école a servi de sas physique et émotionnel. Le personnel enseignant était présent pour l’accueillir lorsqu’elle quittait maman ou papa pour la semaine. Anne Roussel explique également que l’enfant peut éprouver le sentiment de devoir choisir entre sa mère ou son père. Encore une fois, il incombe aux parents de lui expliquer qu’il peut aimer chacun de ses parents pleinement, que ses parents sont assez “grands” pour ne pas se sentir jaloux. Si l’un des parents refait sa vie avec un nouveau partenaire, ne pas s’attendre à ce que l’enfant s’entende automatiquement avec celui-ci. “Evitez de cultiver un sentiment de concurrence entre le père et le beau-père” conseille notre spécialiste, “ces deux personnes n’ont pas la même place dans la vie de l’enfant. L’enfant n’a que deux parents”. Il a aussi des grands-parents qui jouent un rôle très important dans la période de séparation des parents, d’après Anne Roussel. S’ils arrivent à ne pas prendre partie dans le conflit qui sépare les parents et à se soucier avant tout de l’équilibre de l’enfant, eux aussi, c’est extrêmement aidant pour l’enfant. À lire toutes ces recommandations, les parents concernés peuvent se sentir découragés : demeurer un couple parental malgré une séparation, c’est nécessaire mais pas facile. Se tourner vers un professionnel (psychologue, psychothérapeute…) pendant ou après la séparation peut être bénéfique, comme l’a vécu Romain (voir son témoignage). Certains vont même jusqu’à consulter avant la séparation pour la préparer (voir témoignage de Sandrine). L’écoute d’un tiers peut aider à reconstruire sa place de parent en dehors du couple. Lorsque le conflit semble insurmontable, remonter à la source pour comprendre ses causes peut être salvateur pour l’adulte bien sûr, mais aussi pour l’enfant qui a besoin de parents solides qui assument leurs choix, et continuent de l’accompagner.

>>> Pour en savoir plus Pour les adultes : Le Père et l’enfant - à l’épreuve de la séparation. Jean Le Camus et Michèle Laborde. Odile Jacob, 2009. Couple, Filiation et parenté aujourd’hui. Essai sociologique sur l’évolution de la famille. Irène Théry. Odile Jacob, 2014. Quand les parents se séparent. Françoise Dolto, Inès Angelino. Seuil 2014 Pour les enfants : Les parents se séparent Docteur Catherine Dolto. Giboulées, 2009. Les Parents de Zoé divorcent. Serge Bloch, Dominique de Saint Mars. Calligram - Ainsi va la vie, 1998. Comment survivre quand les parents se séparent. Stéphane Clerget et Bernadette Costa-Prades. Albin Michel Jeunesse, 2004.


© Isabelle Franciosa

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3 questions à... Edwige Antier Edwige Antier est une pédiatre française connue pour son engagement au service des enfants et de leurs parents. Néo-féministe, elle réconcilie le combat pour l’égalité des sexes avec le désir d’une maternité épanouie, à l’écoute des besoins des enfants. Elle est auteure de nombreux ouvrages dont Il est où mon papa, Ed. Robert Laffont 2012, et L’enfant de l’autre, Ed. J’ai lu, 2002.

De quoi l’enfant a-t-il besoin lorsque ses parents se séparent ? Que ses parents restent amis ! Ce n’est pas simple au début, il peut y avoir de la rancœur, de la colère ou de la tristesse, mais le lien qui a scellé le couple existera pour toujours. Il prend simplement une nouvelle forme avec la séparation. Avec le temps, une réelle amitié peut et doit exister pour l’amour de l’enfant que le couple a mis au monde. Les enfants me racontent en consultation que “maman a dit qu’elle n’aimait plus papa” (ou l’inverse). Ils rapportent aussi des insultes portées vers l’un ou l’autre parent. Je les aide à prendre du recul pour qu’ils comprennent que, tout comme eux, les adultes disent n’importe quoi sous le coup de la colère. Ils arrivent petit à petit à dire simplement : “aujourd’hui maman s’est énervée”. De quelle manière est-ce que la séparation modifie les rôles des parents ? Puisque la mère exerce la garde principale de l’enfant dans la grande majorité des cas, elle a l’impression de porter une double casquette - celle de la mère, celle du père, et d’assumer une charge trop lourde. Le père, lui, devient

davantage maternant. Il profite du peu de temps dont il dispose avec l’enfant mais il n’est plus présent au quotidien pour protéger sa femme de l’enfant qui demande beaucoup. Une femme seule se fait tyranniser par l’enfant parce qu’elle n’arrive pas à mettre une barrière entre elle et lui. Elle lui consacre beaucoup de temps et ne prend pas forcément les moyens de se ressourcer. Ce n’est pas un problème d’autorité, mais de soutien à la mère. Pour rééquilibrer, il est important que le père puisse jouer pleinement son rôle malgré son absence et pour cela, le dialogue est nécessaire. Qu’est-ce qui change pour l’enfant lorsque ses parents refont leur vie avec un(e) autre ? Cette nouvelle relation ne doit revendiquer aucune autorité sur l’enfant mais soutenir les décisions du parent sans s’en mêler. Il ou elle n’est pas là pour éduquer l’enfant ni changer les habitudes de la maison. Par exemple, si l’enfant dort avec une veilleuse, son beau-père ne peut pas décider qu’il est mieux de dormir sans. Les parents sont parents jusqu’au bout car avec un enfant, on divorce, mais on se séparera jamais.

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DEVENIR PARENT

Et si le papa n’assistait pas à l’accouchement ? Christelle Souriau

Depuis l’arrivée des pères en salle d’accouchement dans les années 1970, leur place y est rarement remise en question. Les quelques papas qui n’y assistent pas surprennent et sont perçus comme de mauvais pères. Et si l’on laissait le choix aux hommes de trouver leur juste place à la naissance de leur enfant ? Paul ne s’est pas senti à l’aise à la naissance de son fils : “J’ai eu très peur, je ne reconnaissais pas ma femme dans cet état de douleur, je ne pouvais plus communiquer avec elle, j’ai demandé au personnel médical d’intervenir.” Même sentiment chez John. La naissance de son deuxième enfant a été si rapide qu’il s’est trouvé face à sa femme, Nathalie, en train d’accoucher. Alors qu’elle a vécu cet accouchement comme “un moment merveilleux”, l’expérience fut traumatisante pour John. Démuni et impuissant, il a ressenti de la peur et de l’angoisse. “J’étais trop près, je ne souhaitais pas voir le sexe de ma femme dans cette position. Certaines images me sont restées assez longtemps”. À la naissance de leur troisième enfant, John s’est autorisé à ne pas être présent. Il était dans une autre pièce et est arrivé dès la naissance du bébé. Sa femme s’est sentie en accord avec cette décision prise en couple et elle a été accompagnée par une sage-femme qui a pu entendre leur demande. Présence du père à la naissance : nécessité ou obstacle ? Face à cette question rarement posée, les réactions sont passionnées et variées. Une femme qui accouche a besoin de soutien et de protection. Cer-

taines femmes s’étonnent donc de cette remise en question et témoignent d’une très grande complicité et d’une force unique de leur couple au moment de la naissance. C’est le cas de Viviane qui affirme : “Je n’aurais pas pu accoucher sans mon conjoint. C’était ma force, mon soutien, comme une bouée de sauvetage au milieu de la tempête, il m’a beaucoup aidée”. D’autres femmes, comme Nathalie, trouvent leur soutien ailleurs ou sont gênées par la présence de leur conjoint. Liliana Hammers, doula en activité à Londres depuis plus de 15 ans, relate une multitude de situations où les parturientes préfèrent que le père s’éloigne : “Je me souviens d’Alice. Il était 4 h du matin. Elle était en plein travail et a demandé à son conjoint d’aller lui préparer du thé.” Interloqué, ce dernier s’est tourné vers Liliana Hammers : “Elle veut du thé à cette heure ?... Non, je crois qu’elle veut plutôt que je sorte.” La doula a acquiescé et le bébé est arrivé peu après que le papa ait quitté la pièce. Certaines femmes, assure Liliana Hammers, se cachent dans la salle de bain pour mettre leur bébé au monde sans le regard du papa. Michel Odent, obstétricien, défend cette théorie depuis plus de quinze ans. Selon lui, la place du père n’est pas aux côtés de sa femme pendant l’accouchement. Le stress et l’anxiété potentiellement ressentis par le papa pourraient bloquer la sécrétion de l’ocytocine, l’hormone nécessaire à l’accouchement. Le papa a-t-il le choix ? 22 papas ont été interrogés par Kathelyne Meyer, étudiante sage-femme à la Maternité régionale universitaire de Nancy1. Pour 8 d’entre eux, le choix d’assister à l’accouchement était influencé par une pression extérieure. Dans une étude allemande inti-

1. Kathelyne Meyer “Les hommes racontent leur passage en salle d’accouchement : entretien avec 22 primipares” [Mémoire en ligne] Disponible sur http://docnum.univ-lorraine.fr/public/BUMED_MESF_2013_MEYER_KATHELYNE.pdf

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tulée “Elle était là, passivement étendue comme Jésus sur la croix”, les 30 papas interrogés ont exprimé leur souhait d’assister à la naissance de leur enfant, mais 13 % d’entre eux avaient l’impression qu’il leur était impossible de refuser. Les résultats de cette étude indiquent que les papas ont vécu des sentiments positifs - joie, soulagement -, mais également négatifs - peur, anxiété, choc, impuissance, dégout. Amy Gilliland, formatrice en éducation sexuelle aux Etats-Unis, s’interroge sur les conséquences pour les pères de voir le corps de leur partenaire exposé à des inconnus dans un contexte médical hospitalier. Cette dépersonnalisation peut-elle avoir des effets sur le désir sexuel ? Si le papa est présent, il est préférable qu’il reste derrière sa femme ou sur le côté pour ne pas voir le sexe de la femme dilaté. Enfin, la spécialiste ajoute également que les hommes réclament souvent des “solutions” et des “réponses” médicales pour leurs femmes, afin de soulager leur propre stress. “Je n’attendais qu’une chose, c’est que la péridurale fasse effet” raconte Tristan2. Il arrive en effet que le père demande la péridurale alors que la mère ne la souhaite pas. Amy Gilliland constate également que la présence des pères répond à une pression culturelle, mais que

ceux-ci n’y sont pas toujours préparés émotionnellement. D’après la spécialiste, “les hommes et les femmes ne réagissent pas de la même façon aux situations de stress. Aux Etats-Unis, les pères ne bénéficient pas de préparation ni du soutien dont ils peuvent avoir besoin pendant l’accouchement et ne s’autorisent pas toujours à écouter leurs émotions.” En France aussi, les séances de préparation à l’accouchement spécialement destinées aux papas sont encore trop rares. Elles leur donneraient pourtant les moyens de comprendre le processus de l’accouchement et d’anticiper un tant soit peu leurs émotions. Ainsi les papas seraient libres de choisir et d’adopter le rôle qui leur convient le mieux en confiance, sans avoir pour autant l’impression de renoncer à leur rôle d’accompagnement et de soutien de leur femme dans ce moment si particulier.

>>> Pour en savoir plus Michel Odent, Le bébé est un mammifère, Éditions l’Instant Présent, 2011 Liliana Hammers : www.doulaauthentic.com (en anglais) Amy Gilliland : www.amygilliland.com (en anglais)

2. Von Sydow K. Happ N. “There she was – lying like Jesus on the cross… - Fathers experiences of childbirth”, Zeitschrift fur Psychosomatische Medizin und Psychotherapie, 2012

Le père est très présent dans les naissances que l’on voit dans “Loba”, un très beau film de Catherine Béchard, tourné récemment en France, en Catalogne, au Mexique et à Cuba. Pour la réalisatrice, qui a voulu montrer à travers ce film pourquoi et comment l’accouchement a évolué vers plus de médicalisation et le rôle menacé de la sagefemme, la place du père ne fait pas de doute. Consulter le site si vous souhaitez regarder “Loba” en ligne, acheter le DVD ou le voir au cinéma http://lobafilm.com/fr/

© Lila Fraysse - Photo du film “Loba”

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Témoignage

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DEVENIR PARENT

Devenir parent quand on a été adopté Julia Noblanc

Devenir parent, c’est toujours être renvoyé à sa propre venue au monde et à la question de la transmission. Lorsqu’on a été soi-même abandonné puis adopté, les questions sont les mêmes, mais restent parfois sans réponse. Comment, dès lors, endosser sa posture de parent ? Témoignage. Je suis née au Guatémala. À l’âge d’un mois et demi, j’ai été adoptée par un jeune couple de Français. J’ai grandi dans une famille aimante qui ne m’a pas caché mon passé. Mes parents adoptifs répondaient autant qu’ils le pouvaient à mes questions et ont ouvert avec moi mon dossier d’adoption lorsque j’avais 8 ans. Mais ce n’est qu’à l’âge de 23 ans, alors que j’étais déjà mariée, que j’ai entamé, avec succès, une recherche de ma famille maternelle de naissance. Retrouver ainsi un morceau de moi-même a été perturbant : soudain, j’ajoutais des pièces au puzzle du début de ma vie. Grâce au soutien de mes parents et de mon mari, j’ai réussi à prendre du recul. C’est aussi à ce moment-là que j’ai croisé l’association La voix des adoptés, qui venait de se créer. Rapidement, c’est devenu une deuxième famille : je me sentais comprise comme personne ne m’avait comprise auparavant. S’en est suivi un souhait de rencontre avec ma mère de naissance. Accompagnée par mon mari et mes parents, je suis partie à la rencontre de mes origines. Ce fut une rencontre bouleversante, remplie de larmes de joie et peut-être de tristesse. Un passé ravivé Je pensais avoir bouclé la boucle. Jusqu’à ce que nous commencions à avoir le projet d’un enfant. Mon mari se sentait prêt. Pour moi, c’était bien moins limpide. J’avais envie de maternité mais tout en posant des questions angoissées à mon mari :

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“Es-tu certain que nous avons les moyens financiers et matériels d’accueillir cet enfant ?” En somme, je craignais me retrouver dans la même situation que ma mère biologique à ma naissance. En discutant de cela avec mes amis de l’association, j’ai compris que le passage à la parentalité pouvait être sensible pour beaucoup d’adoptés. Chez certains, les questions se déclenchent non pas avant la grossesse, mais lors de la naissance de leur premier enfant. Il arrive qu’ils se lancent alors dans une recherche d’origine familiale ou culturelle. De mère(s) en fille ? Lorsque j’ai appris que j’attendais un bébé, j’ai rapidement décidé de lui raconter son histoire en “parlant à mon ventre” et en l’écrivant à son intention dans un petit carnet. Malgré les questions formelles de la part des médecins – “Quelles sont vos antécédents familiaux ?” – je me sentais bien. J’ai associé de très près mes parents à cette étape de ma vie. Le seul point qui m’a pesé, c’était de ne pas pouvoir échanger comme mère et fille sur cette étape. J’étais très proche de ma mère adoptive, mais elle n’avait pas été enceinte et ne pouvait me donner de conseils pratiques ou témoigner de sa propre expérience. J’avais rencontré ma mère de naissance à nouveau, au début de ma grossesse. J’ai parfois éprouvé le besoin de discuter avec elle. L’entendre à l’autre bout du fil, tout simplement, me rassurait. Enfin, notre fille est née. Lorsque je me suis retrouvée face à cette petite fille, ce fut comme un miroir de moi-même. Elle avait mes traits et je la sentais si fragile ! Je me suis vue à sa place vingt-sept ans auparavant. L’espace d’un instant, j’en ai voulu à ma mère de naissance. Je me suis dit : “Comment a-telle pu partir sans se retourner, me laisser sans savoir ce que j’allais devenir ?”. Puis je me suis mise à sa place, dans un contexte radicalement différent :


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un père absent, un enfant en bas âge, un pays en guerre civile, pas de travail... J’ai ressenti toute la douleur qu’elle a dû avoir. Au moment de devenir maman, nos vies respectives n’avaient rien de semblable. J’ai alors compris qu’elle disait vrai lorsqu’elle m’assurait : “Je ne t’ai pas oubliée”. Avant la naissance de ma fille, comme une partie des adoptés, je pensais que ma mère avait pu m’oublier. Je sais maintenant qu’on ne peut pas oublier un enfant que l’on a mis au monde, qu’on l’ait attendu fortement ou pas. Une filiation à expliquer Ma fille grandissait et de plus en plus souvent, les gens disaient “Comme elle ressemble à sa maman !”. C’était nouveau pour moi, qui ai vécu sans ressemblance physique avec ma famille. La venue de ma seconde fille n’a pas été imprégnée de toutes ces questions sur mes origines. Toutefois, on est adopté toute sa vie et même adulte, on est rattrapé par certaines questions. Ma fille aînée m’y renvoit : des camarades lui demandent pourquoi elle a les yeux en amande et les cheveux presque noirs. Récemment, elle a commencé à poser des questions plus précises : “Si tu n’étais pas dans le ventre de Mamy, tu étais où ? C’est quoi un orphelinat ? Pourquoi Papy et Mamy n’ont pas pu avoir d’enfants ?” Grâce au travail que j’ai fait sur mes origines, j’en discute sereinement avec elle. Elle est venue avec moi à l’âge de 3 ans à la rencontre ma famille biologique. Elle en a encore des souvenirs. Avec mon mari, nous aimerions un jour les emmener toutes les deux visiter le Guatémala et rencontrer ma famille. Ce serait une façon de pouvoir leur transmettre mon histoire, de la façon la plus positive si possible. J’aurais peut-être enfin bouclé la boucle.

La voix des adoptés Association nationale avec plusieurs antennes régionales, La voix des adoptés a été créée en 2005 afin de proposer des temps et des lieux d’échanges pour des personnes adoptées, de témoigner auprès des futurs parents adoptants et de susciter une réflexion avec des professionnels sur la problématique de l’adoption. L’association accompagne celles et ceux qui souhaitent effectuer des recherches sur leurs origines et elle sensibilise à la désinformation au sujet de l’adoption. Tous les renseignements sur le site : www.lavoixdesadoptes.com

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ENFANCE

Éduquer à la diversité en 2016 ? Béatrice Kammerer Jamais dans l’Histoire nous n’avons côtoyé tant de diversité. Si les revendications pour l’inclusion de tout-e-s sont réelles, elles n’occultent pas pour autant le racisme et la discrimination sociale. Comment accompagner son enfant vers le vivreensemble dans ce climat de paradoxes ? Un matin, mon fils a refusé en hurlant d’aller à la bibliothèque car la bibliothécaire était “méchante”. En réalité, le nanisme de la bibliothécaire le terrorisait. Je me suis alors demandé comment écouter sa peur, tout en l’amenant à changer son regard. Peu après,

je découvrais sur Internet une vidéo déroutante : deux hommes étaient successivement filmés en train de forcer le cadenas d’une chaîne de vélo ; l’un blanc, l’autre noir, habillés de façon similaire, répondant de façon similaire aux badauds. Là où le premier semblait avoir égaré sa clé, le second semblait voler un vélo. Quel était donc ce racisme qui me brouillait la vue ? Comment pouvais-je prétendre aider mon enfant à cheminer vers plus de tolérance tout en abritant cette bête immonde ? La tolérance, ça s’éduque ? Les enfants sont-ils naturellement ouverts aux différences ou bien s’agit-il d’un comportement social à éduquer ? Il y a près de 300 ans, le philosophe Jean-Jacques Rousseau a formulé l’hypothèse d’une nature naturellement bonne : “L’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt”. Depuis, de nombreuses études lui ont donné raison : le psychologue et primatologue Frans de Waal a montré que les mammifères peuvent se montrer empathiques dès les premières années de leur vie ; plus récemment une étude allemande a mis en lumière des comportements de justice restaurative chez les enfants dès l’âge de 3 ans, dans laquelle la réparation du préjudice prévaut sur la punition du coupable. Néanmoins, si l’esprit humain est naturellement empathique, il est aussi naturellement enclin à la catégorisation. La psychologue et philosophe Alison Gopnik compare à ce titre l’activité du bébé à celle du scientifique qui catégorise les objets et les situations afin d’appréhender le monde. Cette catégorisation peut être à l’origine de discriminations : “Nous étendons notre sollicitude morale aux gens dont nous décidons qu’ils sont comme nous. […] À trois ans [les enfants] comprennent que les gens peuvent être répartis par couleur, par sexe, et même par langué parlée.” D’où la nécessité d’un accompagnement éducatif pour les aider à “élargir le cercle”. Quel rôle pour le parent? L’enseignant et militant anti-raciste Pierre Tevanian décompose la mécanique raciste en cinq étapes : la catégorisation des “différences”, la dépréciation des “différences”, la réduction de l’individu à sa seule “différence”, l’assimilation d’un groupe entier à une même “différence”, puis enfin la légitimation de l’inégalité, qui a pu conduire à des atrocités telle que l’holocauste.

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Si on admet que la catégorisation est inhérente au développement de l’enfant, le travail du parent sera de veiller à ce que celle-ci ne devienne péjorative : être atteint de nanisme ne fait pas de nous une personne méchante, tout comme être noir de peau ne fait pas de nous un voleur ! Outre cela, agir contre la focalisation, c’est aussi accompagner l’enfant dans la découverte de ce qu’il peut avoir de commun avec les autres, au-delà des “différences”. Enfin, il faut s’interroger sur la reproduction des stéréotypes : quels stéréotypes sexistes, racistes ou discriminants véhiculons-nous à notre insu ? Dans nos paroles, au travers d’expressions telles que “travail d’arabe” ou “manger en juif” ? Dans nos injures, souvent homophobes ? Dans nos blagues, souvent stigmatisantes ? Quel regard portons-nous sur les préjugés hérités de nos parents, de l’histoire de notre pays ? Il semblerait qu’une fois encore en matière d’éducation nos actions comptent plus que nos paroles. Après l’incident “bibliothèque”, j’ai discuté avec mon fils. Il m’a dit sa crainte d’être lui-même touché par la maladie, et son souci que la personne atteinte puisse en souffrir. Sa sœur a aussi partagé avec lui son plaisir de côtoyer cette personne : une des seules adultes à pouvoir voir le monde à hauteur d’enfant.

Les Vendredis Intellos Béatrice Kammerer est fondatrice du site associatif Les Vendredis Intellos, plateforme participative de partage de lectures dans les domaines de la parentalité et de l’éducation. Chaque vendredi, ce site invite tout un chacun, parent ou non, professionnel de l’enfance ou non, à venir débattre en ligne des questions d’éducation, considérées comme questions de société. L’association œuvre également en faveur de l’accessibilité des savoirs dans une perspective d’éducation populaire. www.lesvendredisintellos.com

>>> Pour en savoir plus Frans de Waal, L’âge de l’empathie 2011, Actes Sud Alison Gopnik, Le bébé philosophe 2010, Le Pommier

billedt’amour… et d’humour Erika Leclerc-Marceau

Mon petit papier replié La maîtresse, inquiète, ne voyait jamais d’émotions sur ton visage, je me demande si elle a entendu le son de ta voix. En classe, tu contrôlais. On aurait dit un petit robot, un petit papier tout replié. Au retour de l’école, j’avais l’impression de récupérer une bombe prête à exploser. Des émotions sous compression. Avec maman, plus de cran de sécurité, paf ! Ça pète ! Ça déchire. Sept, huit grosses crises par jour. On était tous essoufflés. Des câlins, de l’écoute, des débordements, des grandes fatigues, des questions. On t’a amené chez la psy à 4 ans. J’hallucinais. Où avais-je manqué pour que tu aies besoin d’une psy à 4 ans ? Tu as fait de la pâte à modeler avec elle. On a discuté tous ensemble. Aujourd’hui, tu as 5 ans, tu t’es dépliée, tu t’es déployée. Tu souris à la maison et à l’école, tu es en colère à la maison et à l’école. Tu veux devenir plasticienne de pâte à modeler en animaux. Super ! Tant que le papier continue à se déplier, à se déployer.

Pierre Tevanian, La mécanique raciste 2008, Dilecta

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Moi, enfant

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ENFANCE

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La jupe de Menton

Sophie Helmlinger

Avril 73, j’ai 9 ans ½. En vacances à Menton. Les vacances, c’est sacré. Ce sont elles qui nous font supporter l’absence de nos parents qui travaillent tous les deux. Durant l’année, Maman part dès notre retour de l’école pour aller faire ses soins et Papa visite ses clients en fin de journée, quand chacun rentre chez soi. Ma petite sœur vient de demander à notre mère “quand est-ce qu’elle fera son vrai métier de maman ?” Je suis d’accord avec elle, mais je ne dis rien, parce que je sens bien que cela blesserait Maman. Elle nous explique que nous avons de la chance parce leur travail nous permet de partir en vacances, ce que ne peuvent pas faire nos voisins. Si cet argument la décomplexe, je ne suis pas sûre qu’il convainque Hélène. Quant à moi, la “grande”, il faut bien que je m’en accommode ! Je réussirai même, quelques années plus tard, à être profondément contrariée quand l’un des deux sera là dès mon retour du collège. On s’habitue à tout, même à l’absence.

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La veille, marché de Vintimille, en Italie. Une jupe portefeuille sur l’étalage. LA jupe portefeuille qui me permettra d’effacer la honte de ne plus pouvoir fermer mon pantalon parce que l’infection urinaire a encore déformé mon ventre. Merci à l’inventeur de cette géniale invention ajustable ! Maman accepte de l’acheter, chouette ! Un habit neuf à porter, je me dépêche de l’enfiler dès le lendemain matin. - Va te changer immédiatement ! - Mais, Maman, je voudrais la mettre aujourd’hui ! - Pas question, tu attendras dimanche. - Ben je me demande bien pourquoi on achète des vêtements si c’est pour les laisser dans un placard ! Et vlan ! Je ne l’ai pas vue venir, mais je la sens encore, cette gifle injuste. Pourquoi est-elle partie ? Qu’ai-je fait pour la recevoir ? Est-ce vraiment une chance de partir en vacances avec des parents tellement fatigués qu’ils ne supportent plus la contrariété ? Qui dit “vacances” dit “photo de

vacances” : on immortalise l’instant. Le cliché rejoindra les autres sur le buffet de Mamie qui s’extasie de voir grandir ses petits enfants, pendant qu’elle vieillit tout doucement. Est-ce que la légende indiquait, en plus du lieu, de la date et de l’âge de ses petits (qu’elle a nombreux), que l’aînée porte la jupe de l’injustice ? Qui l’a vu ? Qui le sait ? Qui l’a compris ? En tout cas, aujourd’hui, il m’arrive de décrocher l’étiquette à peine un vêtement acheté, de l’enfiler illico presto en précisant à la vendeuse : “Pas besoin de paquet, c’est pour consommation immédiate”.

Vous souhaitez écrire dans cette rubrique ? contact@l’enfantetlavie.fr

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© Audrey Chanonat

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André Stern, à hauteur d’enfant Elisabeth Martineau Depuis la publication de son livre …Et je ne suis jamais allé à l’école et la sortie du film Alphabet, on entend beaucoup parler d’André Stern. Témoin furtif d’un choix éducatif inaccessible au plus grand nombre ou visionnaire ? Portrait.

Rue Falguière, Paris XIVe. André Stern me reçoit entre deux temps forts d’une formation menée par son père, Arno, au Closlieu1. La discussion s’engage aisément, même joyeusement. Depuis toujours, André Stern, grand enfant de 44 ans, élégant et spontané, répond aux questions des journalistes sur sa vie sans école, et ne s’en lasse pas. À le voir, il y a de quoi s’interroger sur ses origines. On perçoit la chaleur et les traits méditerranéens de son héritage maternel, tout autant que la stature

germanique paternelle. Car sa mère est moitié italienne, moitié française et a grandi au Maroc, et son père est natif de Kassel, en Allemagne. Leur fils né à Paris aurait presque quelque chose d’indien ! Ses ongles longs à la main droite nous rappellent qu’il est musicien et luthier, sa chemise blanche et sa cravate renforcent son allure de conférencier, invité en France, en Europe et au Canada pour parler de ce qu’il connaît le mieux : les dispositions spontanées de l’enfant. Pour nous relater tout cela, sa voix prend par moments des sonorités allemandes. Il s’agit pourtant pour lui d’une langue apprise à l’adolescence. Mais c’est elle “qui structure ma pensée en ce moment”, reconnaît-il : son travail a reçu un accueil phénoménal en Allemagne et en Autriche ces dernières années et il y passe beaucoup de temps. L’enthousiasme, suc gastrique du cerveau “Un enfant, si on ne le dérangeait pas, jouerait du matin au soir”, soutient André Stern, et il vivrait dans un état constant d’enthousiasme, ingrédient nécessaire au développement du cerveau”. Apprendre et jouer, pour lui, c’est la même chose. Lorsque l’enfant s’intéresse à quelque chose, tout ce qu’il apprend sur le sujet lui procure du plaisir, et il mémo-

1. Lieu où s’organisent les ateliers d’Arno Stern depuis 70 ans. Nous en parlerons plus longuement dans un prochain numéro.

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ENFANCE

rise sans peine une quantité d’informations. Et de parler de son propre fils, Antonin, qui ne va pas à l’école et grandit dans la campagne poitevine, fief de la famille Stern depuis vingt ans. Âgé de 6 ans, il se passionne actuellement pour les fusées et les moissonneuses batteuses. Il lit couramment depuis l’âge de 4 ans. André Stern appuie son discours sur sa propre expérience de vie sans école, sur les travaux de son père Arno, chercheur et pédagogue, et sur les recherches du Dr Gerald Hüther, l’un des spécialistes du cerveau les plus réputés en Allemagne, qui démontrent, entre autres, les liens entre émotions et apprentissages. La peur et le stress seraient capables de ralentir voire de stopper le développement du cerveau. “Il n’y a pas de cerveau bête ni de cerveau intelligent, assure André Stern, j’étais moimême un enfant banal !” L’environnement serait-il seul responsable de nos capacités intellectuelles ? Pour André Stern, cela ne fait pas de doute. Tout enfant est un potentiel génie et grandit naturellement grâce à la diversité de son environnement, si les adultes le considèrent comme membre à part entière du monde des grands. S’il a pu, lui, développer ses talents au fil des années et vivre heureux et épanoui, c’est, dit-il, grâce à ses parents, qui ont pris la décision de ne pas le réveiller le matin, de ne pas l’inscrire à l’école pour suivre des cours à des heures fixes, et de faire confiance à sa capacité d’apprendre à son rythme. “Personne ne m’a interrompu dans mon jeu, se souvient-il. Je me passionnais pour les trains, pour la dinanderie, la littérature, la langue allemande... j’y passais des heures et les jours ne se ressemblaient pas.” Sa mère, ancienne institutrice, n’avait pas supporté les programmes imposés aux enfants à l’école. Avec les siens, André et Eléonore, sa sœur cadette de 5 ans, le programme était modelé sur place par et pour chaque enfant. Ainsi André a-t-il appris à lire tardivement, si l’on en juge selon nos standards français : à l’âge de 8 ans, quand “[il] était prêt”. Loin du concept du home-schooling - auquel André Stern reproche de trop souvent confiner l’enfant à un environnement trop réduit - ses parents lui ont donné accès au “vaste monde” qui dépassait largement la sphère familiale. Ils répondaient au mieux aux demandes venant de leurs enfants, procurant

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des livres si nécessaire, les mettant en lien avec des personnes capables de leur transmettre des connaissances particulières sans qu’il s’agisse de “cours”. C’est de cette façon qu’André Stern a appris divers métiers, dont celui de luthier. Tel que tu es, tu es parfait “Sans qu’ils me l’aient dit ouvertement, raconte André Stern, j’ai toujours ressenti chez mes parents cette certitude que tel que j’étais, j’étais parfait”. L’homme aux multiples métiers ne nie pas ses défauts, mais se félicite de ne pas avoir subi l’injonction omniprésente dans notre société d’être différent, d’être meilleur. “Dès les premiers jours d’existence, on dit à l’enfant : je t’aime, mais je t’aimerais encore plus si tu dormais toute la nuit... Plus tard la pression se concentre autour de l’école : tu es bien comme tu es, mais si tu avais de bonnes notes, tu serais encore mieux, tu pourrais avoir un diplôme, puis un travail, une belle maison et une voiture...” Disant cela, il élève la voix, se lève, me domine et me regarde de haut, pour me mettre à la place de l’enfant, comme il se plaît à le faire lors de ses conférences. Si le public écoute André Stern avec grand intérêt, il est parfois assez sceptique et exprime des réserves : n’est-ce pas un cas à part, un surdoué de naissance, doté de parents exceptionnels ? Et puis, qui serait capable de faire les mêmes choix aujourd’hui, avec un emploi à plein temps et personne pour aider ? Jamais pourtant André Stern ne prône la déscolarisation des enfants même s’il est convaincu que ce choix est possible pour tous. Rêve-t-il d’une nouvelle société ? Sans apporter de solutions concrètes, il nous invite à réfléchir, à changer notre regard sur l’enfant en passant “de l’autre côté du miroir”, pour percevoir sa façon d’appréhender le monde, se mettre à sa hauteur et s’émerveiller comme l’enfant sait si bien faire. Le cinéaste Bernard Martino voit en André Stern un homme “indemne”, préservé d’une société qui met l’enfant en bas de l’échelle. André Stern va-t-il réussir à modifier ce regard pour valoriser la place de l’enfant et l’intégrer pleinement dans notre société ? On ne peut que le souhaiter, car c’est à l’enfant - adulte de demain - qu’incombe la mission de nous montrer le chemin vers plus d’ouverture et d’humanité.


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Alphabet Film d’Erwin Wagenhofer Allemagne, 2013

André Stern en six dates 1971 : naissance à Paris 1989 : début de sa carrière de compositeur interprète, spécialisé dans la musique pour spectacle vivant.

© Peter Lindberg

1993 : rencontre avec Werner Schär, maître luthier. André Stern développe l’instrument et la musique. Il fonde un genre nouveau : l’électro classic. 2009 : parution de son livre ...und ich war nie in der Schule en Allemagne. Il est nommé directeur de l’Initiative “Des hommes pour demain” par le Prof. Dr. Gerald Hüther, chercheur en neurobiologie avancée. 2013 : Il est l’un des protagonistes du film Alphabet, de Erwin Wagenhofer. 2014 : Il initie les mouvements “écologie de l’éducation” et “écologie de l’enfance”. André Stern est aujourd’hui directeur de l’Institut Arno Stern (Laboratoire d’observation et de préservation des dispositions spontanées de l’enfant).

Troisième volet d’une trilogie sur l’épuisement après We feed the world et Let’s make money, Alphabet questionne les systèmes éducatifs qui encouragent une performance de plus en plus rentable et compétitive au détriment du bien être de chacun. Les exemples montrés, que ce soit en Chine, aux Etats-Unis, en Allemagne ou en France, sont commentés par neuf experts, dont André et Arno Stern. Leurs propos sont nourris de la conviction absolue qu’il faut préserver l’enfant et les seules ressources illimitées sur terre : la créativité, l’imagination, l’enthousiasme. Un message noble soutenu par de nombreuses études et témoignages. On regrette cependant une certaine lenteur dans la mise en scène de Wagenhofer et le côté exceptionnel de ses témoins : le premier homme porteur de la Trisomie 21 qui a obtenu un diplôme universitaire, un conférencier-luthier qui n’a jamais été à l’école... Des exemples édifiants certes, mais qui soulignent les lacunes de l’école aujourd’hui, sans lui accorder de circonstance atténuante, ni souligner les initiatives positives qui y voient le jour ou esquisser de solutions pour le plus grand nombre. Le spectateur aurait pourtant besoin d’espérer que d’autres solutions sont possibles.

© Giancarlo Ciarapica

>>> Pour en savoir plus ...Et je ne suis jamais allé à l’école. Histoire d’une enfance heureuse. Actes Sud, 2011. Semeurs d’enthousiasme. Ed. L’instant présent, 2014

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ADOLESCENCE

La sexualité : des mots pour en parler Ingrid Lebeau

Pas toujours facile d’aborder le thème de la sexualité avec les ados… et pourtant les parents jouent un rôle primordial. Comment dépasser le malaise et instaurer un dialogue tout en respectant l’intimité de chacun ? Entre les nouveaux modèles familiaux, une société érotico-publicitaire, en passant par la modernité de nos méthodes de contraception et l’accès pour tous à Internet et à l’imagerie pornographique, l’environnement informatif des jeunes en matière de sexualité peut paraître dense aujourd’hui. Est-il pour autant suffisant et adapté ? Certes, les cours d’éducation sexuelle ont été rendus obligatoires par l’Education Nationale à raison d’un minimum de… trois heures par an. Mais en général, ces séances se focalisent sur l’aspect physiologique des rapports sexuels et sur la prévention. Résultat, les adolescents sont calés en anatomie et informés des risques de la sexualité : maladies sexuellement transmissibles et grossesse… Rares sont ceux qui ont l’occasion de réfléchir à l’acte sexuel, aux émotions et aux relations amoureuses. Normal qu’ils en aient une vision technique plus que sentimentale ! Pour les parents et les éducateurs, l’enjeu est bien d’aider les adolescents à envisager la sexualité comme étant avant tout un langage émotionnel et relationnel généré par le plaisir. Un travail qui commence très tôt Dès 3-4 ans, les enfants ont des questions sur leurs organes génitaux et sur la façon de faire les bébés. Il est important de nommer leurs organes génitaux au même titre que leur orteil ou leur lobe d’oreille afin de poser un schéma corporel intégral et sans tabou. Donner des petits noms à leur sexe (zizi, zézette, minou, etc.) sans leur enseigner le terme “officiel” (sexe, pénis, testicules, vulve… ) risque de créer une zone de flou, d’interdits et de gêne que l’enfant capte aisément.

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Autour de 7-8 ans, l’enfant est une éponge, curieux de tout. C’est le moment idéal pour les parents de construire une relation de confiance. Il suffit de répondre simplement à leurs questions sans les susciter ou s’y appesantir. Ainsi, ils saisiront que le sujet n’est pas tabou. Il ne faut pas oublier, dans nos réponses, d’associer l’acte sexuel aux sentiments et au respect de l’autre. Dès 9-10 ans, l’enfant risque de tomber sur des images pornographiques (en 2011, la moitié des enfants de 11 à 13 ans a déjà visionné une vidéo choquante). Il faudrait aborder franchement le sujet, sachant que les enfants ne le feront pas d’eux-mêmes. L’ado a besoin de balises À l’adolescence, le dialogue devrait ainsi se poursuivre. L’ado se pose de nombreuses questions : qu’estce qu’un orgasme, c’est quoi être amoureux, c’est quoi la masturbation, qu’est-ce qui se passe dans mon corps, comment savoir si on est prêt ?... S’il n’ose pas les poser à ses parents ou à d’autres adultes de confiance, ou s’il ne reçoit pas de réponses, il ira les chercher auprès de ses camarades ou sur Internet – avec tous les risques d’inexactitude, de rumeurs, ou de sidération face à des images violentes que cela peut comporter. Les adolescents les plus fragiles sont ceux qui ne communiquent pas avec leurs parents, ceux qui sont livrés à eux-mêmes. Il est bon de savoir qu’à l’adolescence, tous peuvent passer par une phase d’“homo-érotisme” (expé-

La sexualité est un langage qui s’apprend !


www.bickel.fr

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riences d’homosexualité ou de bisexualité) leur permettant d’apprivoiser leur sexualité avec un proche du même sexe, avec un semblable qui ne lui fait pas peur. Ce n’est pas à proprement parler de l’homosexualité, mais une étape possible et non systématique. Ces expériences de découvertes chez les jeunes se font moins rares aujourd’hui parce que le regard sur l’homosexualité a changé positivement dans notre société. Miser sur la parole Même si ce n’est pas simple, il incombe donc à l’adulte de dépasser sa gêne et de briser le silence. Il faut tacher de parler “vrai”, sans faire référence à sa propre sexualité et sans employer de mots crus qui peuvent renforcer le malaise et créer de l’excitation. Éviter l’humour aussi car pour les ados, ce sujet est sérieux ! L’adulte peut avouer qu’il n’a pas de réponse à tout, mais qu’il reste à l’écoute et incite son jeune à être critique face aux informations reçues. Si besoin, un parent peut orienter son adolescent vers des “parents de substitution” : médecins, gynécologues d’esprit ouvert, formateurs en éducation sexuelle, ou vers d’autres parents qui sont plus à l’aise pour parler de sexualité. On peut aussi proposer des magazines ou des livres écrits spécialement pour les ados, des sites web... L’essentiel, c’est de souligner qu’avant tout acte sexuel, il y a bien une rencontre. Même si elle n’est pas destinée à durer, elle nécessite du respect, de la tendresse. Elle éveille à l’amour et donne beaucoup de plaisir mutuel. Dans “relation sexuelle”, le mot le plus important, c’est “relation”. C’est de cela qu’il faut parler avec les adolescents.

>>> Pour en savoir plus Bibliographie sur le site www.sexologie-montpellier.fr Le site www.educationsexuelle.com réservé aux adolescents

Cycle de soutien à la parentalité “Université de Parents” est un cycle de formation créé en Aveyron par deux professionnels dont Ingrid Lebeau, formatrice en éducation sexuelle, consultante en sexualité et vie conjugale. Au fil de 5 séances collectives, les parents apprennent à dépasser les difficultés rencontrées avec leurs enfants quel que soit leur âge. Deux thèmes difficiles sont abordés : l’autorité aujourd’hui et le rôle des parents dans l’éducation sexuelle des enfants. Il est possible d’organiser des formations près de chez vous ou bien de suivre un cycle spécifique aux professionnels qui souhaitent animer une Université de Parents à leur tour. Renseignements : Ingrid Lebeau 06 80 60 26 22 www.sexologie-montpellier.fr

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APPRENDRE

Quand “Montessori” devient une marque

MONTESSOR

I

Anne Bideault

Nature et Découvertes et Oxybul ont aménagé un rayon entier pour leurs gammes de produits “Montessori”. Plusieurs éditeurs ont développé des collections de livres et de coffrets sous la même estampille. Des applis pour tablettes se répondent du même nom. Cet usage commercial suscite beaucoup d’interrogations parmi les éducateurs Montessori et les professionnels de l’éducation. Le phénomène n’a échappé à personne. Jusqu’à présent, le nom de Montessori n’était familier que de ceux qui s’intéressaient de près à l’éducation, à la pédagogie ou au développement de l’enfant. Depuis quelque temps, utilisé comme un label de qualité, il atteint le grand public. Certains, comme Valérie Blu, la présidente de l’Association Montessori de France (AMF), ont envie d’y voir un bon signe et se disent que si cela peut développer l’intérêt et la curiosité pour la pensée de la pédagogue, tant mieux. Pragmatique, l’AMF a pris contact avec ces deux enseignes pour en savoir un peu plus sur leur démarche : “Nous ne pouvons pas empêcher ces nouveaux acteurs de faire ce qu’ils font, alors autant essayer de les amener à évoluer vers plus de rigueur.” À savoir, pour commencer, revoir la terminologie utilisée : “L’AMF ne se reconnaît pas dans l’appellation ‘jouet Montessori’, ça n’a aucun sens, explique Valérie Blu. Nous aimerions que soit ajouté ‘inspiré de’, autrement, cela crée de la confusion dans l’esprit du grand public.” À l’opposé de cette position, d’autres observateurs s’avouent mal à l’aise, voire indignés de l’usage incontrôlé qui est fait de ce nom de famille. Beaucoup

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tentent d’imaginer ce que la grande dame en aurait pensé, elle qui a laissé percer dans ses écrits sa réticence à ce que son propre nom soit utilisé pour qualifier son travail scientifique. Force est de reconnaître que certains des objets commercialisés semblent de bonne facture : jolis et réalisés dans de beaux matériaux. Cela ne suffit pas à convaincre ! “Les fabriquants se sont toujours inspirés de Montessori, mais en rajoutant des fantaisies pour que ça séduise les adultes et se vende”, constate Lydie Brunot, du Centre Nascita d’Angers, qui regrette la simplicité perdue : “les objets, dont les mesures ne sont pas respectées, ou auxquels on a ôté le détail essentiel, deviennent trop complexes, ne permettent plus un mouvement simple que l’enfant pourra répéter”. Des dérives encore plus évidentes sont à déplorer : “Un lavabo en bois avec un sticker Montessori ? J’ai cru rêver !, s’écrie une éducatrice. C’est tout l’inverse de son propos : elle préconisait d’adapter l’environnement réel aux enfants, pas de les faire jouer à la dînette !” “Pourquoi acheter une fausse chaussure à lacets pour que l’enfant apprenne à lacer ses chaussures ? Laissez-le faire avec ses propres chaussures !” Une professeure des écoles glisse au passage qu’elle a constaté que les tarifs pratiqués dans ces grandes enseignes ne sont pas forcément moins élevés que dans les boutiques spécialisées. Mais au-delà de ces remarques, les éducateurs s’interrogent surtout sur ce que ces objets laissent entrevoir du travail de la pédagogue. Si certains ouvrages de vulgarisation ont le mérite de constituer une introduction à sa pensée [voir encadré], les objets et les coffrets (hochets, jouets, mobiles, matériel pédagogique…) “entretiennent l’illusion qu’acquérir du matériel suffit à nous faire entrer dans


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la pédagogie Montessori”, note Valérie Guénec. Or, remarque cette éducatrice Montessori et conseillère pédagogique installée en Norvège, “c’est souvent l’inverse qui se produit : l’adulte focalise son attention sur le matériel et est moins dans la présence à l’enfant.” Se raccrocher au matériel a quelque chose de rassurant pour l’adulte, suppose-t-elle, alors que la posture éducative respectueuse, bienveillante et adaptée prônée par M. Montessori est bien plus difficile à endosser. Les commerçants expliquent-ils suffisamment dans quel esprit le matériel pédagogique a été imaginé ? Les modes d’emploi sont succincts, voire inexistants : comment donc seront utilisés ces blocs de densité, ces boîtes de couleurs, ces lettres rugueuses ? “On vend un peu aux parents la promesse qu’en offrant ça à leurs enfants, ils seront plus ‘performants’ que les autres,” note une éducatrice. Et de craindre qu’au lieu de respecter le développement naturel de l’enfant, comme le préconisait la pédagogue italienne, ce matériel soit plutôt l’occasion de les “pousser”. Réduire la démarche de Maria Montessori à du matériel pédagogique serait lui faire injure, elle qui propose non pas une méthode mais une véritable philosophie de vie. Mais “s’il y a un appétit, profitons-en !”, conclut une des interviewées. Reste encore à trouver la manière la plus fidèle de le faire.

Dans chaque numéro de L’enfant et la vie, nous consacrerons une double page à la pensée de Maria Montessori, soit en retournant aux sources (à ses écrits), soit en partant en reportage pour constater quels échos ont ses travaux dans le monde d’aujourd’hui.

S’imprégner de l’esprit Montessori avant de s’entourer d’objets > Jeannette Toulemonde, Le quotidien avec mon enfant, Editions L’Instant Présent, 2010. Dans cet ouvrage, dont la première édition est parue en 1985, la fondatrice de L’enfant et la vie, raconte avec beaucoup de fraîcheur et d’enthousiasme comment sa découverte de la pensée de Maria Montessori dès les années 60 l’amena à porter un regard nouveau sur ses enfants. > Charlotte Poussin, Apprends-moi à faire seul, Eyrolles, 2011. Préfacé par André Roberfroid, le président de l’Association Montessori Internationale, cet ouvrage constitue une bonne entrée en matière. > Eve Hermann, 100 activités d’éveil Montessori, Nathan, 2013. Une maquette simple, une approche immédiate, ce livre est un prêt-à-consommer familial. Atout : aucun achat de matériel spécifique n’est préconisé : il suffit d’utiliser ce que l’on a déjà à la maison. Rappelons que l’œuvre de Maria Montessori est publiée en France par Desclée de Brouwer. Les images qui illustrent cet article sont tirées de “Ma pochette Montessori, la nature” publiée par Nathan.

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APPRENDRE

L’approche Gattegno : la lecture en couleurs Elisabeth Martineau

Peu connue en France, l’approche pédagogique élaborée par Caleb Gattegno au cours de la deuxième partie du 20e siècle mérite notre attention. Des enseignants y trouvent une ouverture passionnante. Reportage. Dans la classe de CP d’Estelle Chastrusse, à la Cité scolaire internationale de Lyon, les élèves arrivent petit à petit ce vendredi matin. Originaires du Japon, d’Italie, d’Allemagne... ou de France, ils apprennent ici à écrire et à lire grâce à l’approche Gattegno et notamment par “la lecture en couleurs”, un outil décliné en plusieurs langues pour l'apprentissage de la lecture dans sa propre langue. Un panneau à fond noir rempli de rectangles de plusieurs couleurs est affiché au tableau. Chaque rectangle représente un phonème de la langue française. Une ligne horizontale sépare les sons qui “tapent”, les consonnes, des sons qui “chantent”, les voyelles. Avant l’appel de la maîtresse, Enzo prend un pointeur et s’approche du panneau. Plusieurs camarades se regroupent autour de lui. Silence. Il pointe sur un rectangle orange, “Mmmm” prononcent ses amis. Il pointe sur un rectangle marron. “On” répondent les enfants. D’un rectangle à l’autre, ça fait “mon”. “ Très bien !” dit le “maître”. Et il continue jusqu’à créer une phrase. Ses camarades veulent connaître la suite. Lorsque toute la classe se rassemble devant la maîtresse, c’est un peu plus compliqué. Gattegno voulait que l’enseignant guide chaque élève à son rythme

“Seule la conscience est éducable chez l’être humain” Caleb Gattegno 24

en intervenant le moins possible pour que ce dernier construise ses propres stratégies, mais lorsque les élèves sont nombreux, ce n’est pas si évident. Ils suivent néanmoins en silence le pointeur. Ils apprennent aujourd’hui que le rectangle bleu clair correspond au son “ch”. Estelle exagère le mouvement de ses lèvres pour que les enfants voient comment faire avec leur bouche pour produire ce son. Ils l’imitent. Ensuite, elle montre sur un autre panneau - appelé le Fidel®- la combinaison de lettres qui produisent le “ch”. Sur un Fidel, on trouve toutes les différentes façons d’orthographier un même son dans une langue donnée. Estelle Chartrusse est très heureuse de proposer cette approche dans sa classe pour la deuxième année consécutive : “Un enfant qui pointe et énonce un mot montre tout de suite où il en est dans son interprétation des sons - première étape essentielle pour pouvoir écrire” dit-elle. Sur le plan neurobiologique, cette approche se fonde sur la manière dont on apprend sa langue maternelle. Au lieu de mémoriser, un exercice énergivore et peu utile selon Gattegno, l’enfant apprend par rétention - tout ce qu’il voit s’imprime naturellement sur sa rétine, et par le plaisir d’explorer, de chercher, de déduire, de jouer. Les sons forment des images auditives. La lecture vient petit à petit par une série de prises de conscience et de jeux qui permettent de pratiquer, chacun à son rythme. C’est l’heure de la récré pour cette classe de CP. Avant de sortir, la petite Lila finit un exercice dans son livret de sons. Elle avait décroché pendant la leçon sur le “ch”. “C’est ça aussi, Gattegno, explique Estelle, être à l’écoute de l’enfant jusqu’à pouvoir entendre qu’il a besoin d’autre chose à un moment donné.” L’essentiel de cette approche réside dans le fait qu’il prenne conscience de ses difficultés et trouve lui-même le moyen de les surmonter. L’enseignant n’est qu’un guide sur ce chemin, au service de l’enfant.


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Journal d’un père Caleb Gattegno (1911-1988) Dans la lignée de Montessori, Freinet, Decroly... Caleb Gattegno a laissé son nom à une approche pédagogique fondée sur l’expérience, la recherche, l’observation, l’exercice de la liberté. Mathématicien né en Egypte, il a créé des outils pour l’apprentissage de la lecture (Lecture en couleurs), des langues étrangères (Silent Way - il en parlait 40 lui-même) et des mathématiques (Géoplans). Il a été missionné par l’UNESCO pour résoudre les problèmes d’analphabétisme en Ethiopie.

>>> Pour en savoir plus Des Chemins pour Apprendre. Nos remerciements à Martine Poirson pour son aide sur cet article. www.dcpalyon.fr

© Elisabeth Martineau

© UEPD

Pour se former : www.aster-formation.org Photos (ci-contre et au sommaire) avec l'aimable autorisation de l'association Une Education Pour Demain (UEPD) qui, depuis 1978, dispense des formations à l'approche Gattegno. www.uneeducationpourdemain.org

Laurent Prum

Aujourd’hui, c’est dimanche. C’est la fin de matinée. Mes deux enfants, devenus adolescents, dorment encore. J’aime depuis peu ce moment là. Le silence de la maison, le feu dans la cheminée, l’attente un peu crispée de leur réveil, la table du petit déjeuner patiemment dressée par celle qui partage notre vie. Je feuillette distraitement quelques revues, note négligemment une ou deux pensées sur des papiers abandonnés. Je regarde le jardin, l’hiver s’est installé, les hortensias aux fleurs d’apparat se nécrosent, doucement. Au réveil des enfants, la vie bruyante reprendra place et je serai à nouveau ce que je suis pour eux : un père. Un père en lisière de chemin, un père émerveillé de l’être et bousculé parfois, et par leur énergie, et par leurs désillusions. Un père qui défend à grands cris combien, sans affection, on devient fou, et sans reconnaissance, on n’existe pas. Un père qui porte en lui sa vocation de père mais qui ose leur avouer par trop souvent ses faiblesses et ses doutes (tentant avec force de ne pas s’y complaire). Au réveil des enfants, il me faudra incarner cette promesse-là : être celui qui inspire confiance, être celui qui sait donner sa parole sans la reprendre, être celui qui peut être tout à la fois et tendre et viril et doux et ferme et drôle et pathétique. Au réveil de mes enfants, et dans leurs yeux, je serai ce père-là, kaléidoscope et chimère, ce père du premier jour à la maternité, ce père d’aujourd’hui et de demain, ce père qui leur lancera pour ne pas changer en ce jour d’hiver et tout de go : “Vous avez bien dormi ? Vous prendrez du lait ? Vous voulez que je m’en occupe ? Je vous aime.”

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RESSOURCES

© Fanny Duhem

À la rencontre des parents Accueillir les sentiments Odile Anot

Odile Anot propose les Conférences et Ateliers Parent-Chercheur® d’après un concept qu’elle développe depuis 2006. Les extraits issus de ses rendez-vous avec les parents sont une invitation à vivre des relations profondément humaines. Ces tout jeunes parents d’un bébé né grand prématuré ont appelé à l’aide. La maman est en pleurs : “J’ai les pétoches, ma fille est une étrangère, je me sens spectatrice”. Seule la possibilité d’être accueillie sans jugement avec sa vérité du moment lui a permis de décharger son paquet d’émotions ailleurs qu’au chevet du bébé. Ensuite, elle a pu goûter à d’autres sentiments. Le papa bagarre aussi : “Il faut déjà que je pose des actes à partir de ce que je ressens moi, alors s’il faut que je pense à partir de ce que ressent ma fille ! Trop c’est trop !”. Il découvre qu’il ne fera pas l’impasse sur le vécu de ce petit être qui n’a pas encore les mots. Alma devait se rendre à l’évidence, leur fille de 20 ans ne ferait pas de rentrée. Pour accepter cette situation qu’elle vivait comme un échec et en faire quelque chose de constructif, elle commença, lors de la rencontre, par mettre en lumière ses sentiments douloureux et plus précisément son inquiétude, puis elle énuméra toutes ses idées à elle pour la rentrée de sa fille ! Moins tourmentée grâce à l’écoute bienveillante du petit groupe, elle put enfin entendre dans les jours qui suivirent ce que ressentait celle-ci : “J’ai besoin d’une pause”. Demande qui sonnait juste, après cinq années de galère au lycée. Alma se laissa toucher. Demeurant attentive à son ressenti personnel, elle fixa une limite de durée à cette pause et ressentit enfin de la paix en elle et une confiance en l’avenir.

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Comment éclairer ce papa qui se sentait épuisé face à son fils, 28 mois, qui refusait le coucher depuis plusieurs mois ? Il tentait de faire le tri entre son ressentiment et la rébellion de son enfant : “Il me teste, il est le plus fort, il a tout pour être heureux. Il est jaloux de sa petite sœur, je lui dis qu’il est grand maintenant”. Tellement submergé par ses émotions, il ne pouvait s’ouvrir à ce que vivait son enfant. Un peu libéré d’avoir exprimé sa difficulté, ce papa envisagea d’arrêter de parler à la place de son fils. Nadège ne sait plus comment dialoguer avec son adolescent de 12 ans. Elle explique à peu près ceci : “Il n’y a que l’heroic fantasy comme sujet, je ne peux même plus m’asseoir sur son lit. Quelque chose est fini entre nous.” Elle se sent triste et démissionnaire. Durant la séquence de travail, elle prend conscience qu’elle pourrait recréer le lien non pas en lisant de l’heroic fantasy, mais en s’intéressant à ce que son fils révèle à travers cet engouement. Elle repart ce jour-là avec le désir profond de lui demander quel est son héros préféré et pourquoi.

Ces parents, tout comme vous, ne se satisfont pas d’un ressenti de surface : – T’es en forme ? Bof ! – C’était dur ? Pas trop. – T’as du chagrin, prends un bonbon… Ils ont saisi l’importance d’explorer leur monde intérieur et s’intéressent à ce que l’autre à côté d’eux ressent ; ils ont le désir d’enrichir leur vocabulaire de ce registre aux mille subtilités.

>>> Pour en savoir plus • odile.anot@parent-chercheur.fr • www.parent-chercheur.fr


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BL E FAIRE ENSEM

Ma boîte à… moi ! Béatrice Doruk Chez sa nounou, Sidonie, 2 ans et demi, se retrouve entourée de cinq garçons âgés de 8 mois à 8 ans. Même si l’assistante maternelle accorde à chacun une attention bien spécifique, c’est parfois difficile de faire respecter ses petits trésors. Alors un mercredi, chaque enfant a fabriqué sa boîte à soi. Une précieuse boîte qui représente l’enfant, lui permet de trouver sa place au sein du groupe, et l’aide à se ressourcer et à se rassurer. Le soir, Sidonie était très fière de la présenter à ses parents avec solennité : “C’est ma boîte à moi ! “ Pour reprendre les mots de Janusz Korczak (18781942), dans son ouvrage Comment aimer un enfant, ces biens, aussi insignifiants semblent-ils, doivent être respectés. S’adressant à des éducateurs qui avaient fait place nette, ce pédagogue polonais s’écria : “Comment osez-vous demander à un enfant après un pareil crime de respecter quelque chose ou d’aimer quelqu’un ? Ce ne sont pas des morceaux de papier que vous brûlez mais des traditions chéries et des rêves de vie magnifique.”

COMMENT LA FABRIQUER ? Confier à chaque enfant une boîte à chaussures et l’inviter à la décorer comme il le souhaite. Ici, il la recouvre avec des morceaux de revues qu’il déchire, sur lesquels il applique au pinceau du vernis colle, finit par quelques touches de peinture. Une fois bien sèche, elle est prête à recevoir les objets représentatifs de son environnement familial (petit album photos de sa famille, de ses animaux familiers, des vacances, petits objets de sa maison, livre préféré…) ou de ce qu’il croise sur le chemin de la crèche, de l’école, en balade (ticket de bus, écorces, coquilles d’escargot…)

COMMENT L’UTILISER ?

À QUOI ÇA SERT ?

L’enfant : • Doit être libre d’y déposer ce qu’il veut. • Doit y avoir accès facilement pour se ressourcer et se rassurer dans la journée. • Alimente sa boîte au gré de ses découvertes et de ses envies de partage. • Prend confiance en lui en présentant le contenu de sa boîte à ses pairs.

• Accompagne l’enfant dès 2 ans qui utilise les mots “moi” et “je”. • Facilite l’intégration de l’enfant dans le milieu collectif. • L’aide à se (re)-connaître pour mieux aller vers l’autre. • Permet à l’adulte de renforcer l’estime de chacun et de préserver l’enfant de l’effet de masse.

L’adulte : • Organise lors de temps collectifs des échanges où chacun présente sa boîte. • Encourage à parler de soi au travers du contenu en valorisant chacun. • Veille à ce que la boîte de chacun soit respectée par les autres. • Autorise l’enfant à prendre sa boîte dans les moments sensibles.

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LU, VU, ÉCOUTÉ...

Le Cerveau de votre enfant, Tina Payne Bryson et Dr Daniel Siegel, Les Arènes, 19,90€

Non, les enfants n’arrivent pas avec un mode d’emploi. Mais ce livre nous propose de nous pencher sur leur cerveau pour mieux comprendre leurs réactions. Chaque chapitre commence par une explication simple du fonctionnement du cerveau de l’enfant (et du nôtre par la même occasion) : le cerveau gauche et le droit, le cerveau du haut et celui du bas, la mémoire etc. S’ensuit des exemples concrets et une proposition d’exercices afin que l’enfant exploite au mieux son cerveau. Un petit pense-bête à la fin nous permet d’afficher ces nouveaux outils sur le frigo. Les conseils donnés dans “Le cerveau de votre enfant” rejoignent les principes de la bienveillance. L’écriture de l’auteur, professeur de psychologie diplômé de Harvard, est claire et imagée. Et les différents chapitres sont ponctués d’illustrations et se terminent par une petite BD bien pensée. En prime, une petite vidéo pour expliquer leur cerveau aux enfants : http://youtu.be/9aONSCU9v_w Nous la mettrons en ligne sur notre profil Facebook. Eugénie Longueville

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Envies d’enfance, 55 recettes illustrées, Stéphanie Rigogne-Lafranque, Junko Nakamura, Editions du Rouergue, 18€

La collection Bébé Balthazar,

Marie-Hélène Place et Caroline Fontaine-Riquier, Hatier, 5,95€ Destinée aux plus petits (dès 1 an), une nouvelle collection de livres cartonnés et solides nous présente l’enfance de Balthazar, ce petit garçon, mascotte de la pédagogie Montessori. Cinq titres consacrés aux couleurs, à la gratitude, aux sensations du toucher, à l’écoute et au coucher. À chaque fois une histoire courte et tendre qui se finit toujours par un volet à détacher ou à soulever pour que l’enfant participe et manipule le livre. Charmant ! E.L.

Certains textes de ce livre de cuisine trouveraient leur place dans notre rubrique “Moi, enfant…”. Car Stéphanie Rigogne-Lafranque convoque les odeurs, les goûts, l’ambiance de son enfance pour partager les recettes qui l’ont rendue sucrée. Ou salée. Avec une pointe d’amertume parfois, mais douce, toujours. Sept chapitres joliment titrés : “Comment quelques plats peuvent sécher des larmes”, “Comment le sable, le vent et la mer ne nourrissent pas un corsaire”… Les calmes illustrations au pochoir de Junko Nakamura semblent elles aussi ressurgir des années 70. Et les recettes sont faciles à réaliser, même avec de petits marmitons. De quoi occuper un samedi d’hiver ? A.Bi.

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Medina

Réunis,

Dis, maîtresse !

Un jeu de Stefan Dorra, sorti en France en 2015, pour 2 à 4 joueurs, dès 10 ans (8 ans si joueur) Thème : Orient, Palais, architecture. Mécanismes : Placement, stratégie. Prix approximatif : 40 €

Jean-Paul Julliand, le réalisateur de ce documentaire, a passé une année dans une classe de Toute Petite Section (TPS), qui accueille des enfants avant leurs trois ans, dans un quartier défavorisé de l’agglomération lyonnaise. Des pleurs de la rentrée au spectacle de fin d’année, on les voit changer, grandir, s’exprimer, prendre confiance. Et on mesure l’énergie sans limite déployée par la maîtresse et par l’ATSEM. Pour ces enfants, dont certains ne parlent pas encore le français, c’est une année essentielle pour l’avenir, car c’est là que se noue la confiance des familles dans l’école. Un éclairage apporté au débat de l’utilité d’une scolarisation des tout-petits. Projections à guetter dans toute la France.

1882… Après des années de déclin, la Médina, située au pied de l’Atlas, va être reconstruite pour relancer son influence. Les joueurs, architectes du désert, vont participer ensemble à cette reconstruction, en bâtissant les plus beaux et les plus grands palais. Au fur et à mesure de la partie, la ville renaît en 3 dimensions sous leurs yeux. À chaque tour, les joueurs placent des palais, des étables, des marchands, des murs… Mais il n’y a pas de place pour tout le monde et tous les coups sont permis ! Médina est un jeu de stratégie aux règles simples, très familial, et aux tours de jeu rapides, où tout est question d’opportunité et de prise de risques. Un des plus beaux jeux du moment, avec un matériel somptueux !

Yu Liqiong, Zhu Chengliang, HongFei Culture, 14,50€

Agnès Bouvier

A.Bi.

Marie Chardin, association "Jeux, Tu, Ils". Contact : chardin-chardine@sfr.fr

LU

VU

LU

VU LUÉCOUTÉ

VU

“Papa construit de grands immeubles loin de chez nous. Il rentre à la maison une seule fois dans l’année : c’est au moment du nouvel an.” Pour nous, parents ou éducateurs occidentaux, quelle vie de famille inconcevable ! Pour Maomao, sa maman et son papa, quatre jours de bonheur simple : la fête du nouvel an et ses rites, les repas, les réparations de la maison, la neige, les jeux avec les amis. Les quelques jours s’égrènent et chaque moment est savouré dans l’instant. Au moment du départ, la pièce de la bonne fortune, transmise, est gage du prochain retour. La Chine, si différente, l’amour filial, universel. Un album émouvant.

ÉCOUTÉ

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LU, VU, ÉCOUTÉ...

Chanteline

L’ENFANT ET LA VIE

PARTENAIRE

Pascale Gueillet chante pour les tout-petits Illustrations de Pascale Breysse Chapeaubleu éditions, 2015, 20€

Des ateliers en duo accompagnent ce livre CD éco-conçu dans les structures petite enfance. www.info-groupe.com/chapeaubleu

Cet album (CD et livret) plaira aux poètes. Une voix douce s’amuse avec des paroles parfois loufoques autour de mélodies enjouées. La chanson phare Chanteline est une véritable rengaine rayonnante. Pascale Gueillet, auteur-compositeur-interprète, et Pascale Breysse, illustratrice, forment un beau duo. Ensemble elles transmettent de la musique pétillante et des illustrations créatives – par cet album éco-

conçu mais aussi de nombreux ateliers et concerts pour la toute petite enfance. J’aime : chanter les nombres de un à dix avec des mini-histoires très variées, apprendre facilement les chansons grâce aux répétitions (paroles, instrumental, paroles). J’aime moins : certains mots que je ne trouve pas bien choisis pour des tout-petits (ex : des mottes de terre, mortes et enterrées), la seconde partie instrumentale du CD (car il y a des petites interjections “encore” qui me dérangent). Lecteurs/Auditeurs ? Des familles avec des tout-petits (dès la naissance) pourront découvrir des chansons courtes, poétiques et simples à apprendre par cœur. Florentine Krawatzek

Nos collaborateurs publient… Pendant plus de huit mois, Anne Bideault, directrice de publication de L’enfant et la vie, a travaillé avec le chercheur Philippe Meirieu, spécialiste en sciences de l’éducation, pour proposer un livre de pédagogie familiale à destination des parents. Intitulé “Comment aider nos enfants à réussir, à l’école, dans leur vie, pour le monde”, il revient sur les acceptions du terme “réussite”, et insiste sur le sens à donner à notre action éducative. Un livre citoyen et optimiste et une belle aventure pour Anne qui ressort enrichie de ces échanges avec Philippe Meirieu.

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Comment aider nos enfants à réussir à l’école, dans leur vie, pour le monde, Philippe Meirieu, en collaboration avec Anne Bideault, Bayard, 2015, 16,90 €

VOUS RETROUVEZ À NOS CÔTÉS POUR CE NUMÉRO : Odile Anot, ancienne directrice de la publication. Fondatrice et animatrice des Conférences et Ateliers Parent-Chercheur, elle poursuit dans nos pages sa rubrique “À la rencontre des parents”. Florentine Krawatzek, fidèle journaliste installée à Londres. Christelle Souriau correctrice qui signe cette fois un article sur la place du père au moment de la naissance. Comité de rédaction : Agnès Bouvier, Gaëlle Brunetaud-Zaid, Adeline Charvet, Emmanuelle Gautier, Pauline Guedj, Valérie Guénec, Laetitia Kouzmenkov, Florentine Krawatzek, Magali Lombardo, Eugénie Longueville, Anne-Liesse Persehaye, Christelle Souriau. Comité d’experts : Nous sommes en train de rassembler autour de nous un comité d’experts. Il est pour l’heure composé de : Joël Clerget, Bernard Martino, Philippe Meirieu, Anna Pinelli, Marie Thirion.

Lecteurs, lectrices ! La page 31 vous sera réservée, faites-nous part de vos remarques, vos suggestions.

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qui sommesnous ?

Aux manettes, un trio de professionnels ELISABETH MARTINEAU Vous la connaissez déjà ! Elle assure la rédaction en chef du magazine depuis 2014. Installée dans la région lyonnaise depuis près de vingt ans, Elisabeth y a cofondé l’association La Cause des Parents et a ainsi nourri son expertise sur tous les sujets liés à la “parentalité”. Native de Toronto au Canada, “Liz” apporte à nos pages toute la créativité et la liberté d’esprit que lui vaut son éducation nord-américaine.

Pour mettre en forme tout cela ANNIE LEBARD Un texte n’est rien s’il n’a pas de lecteurs… S’ils sont intéressés par le fond, ils sont sensibles, souvent sans en avoir conscience, à la forme. Annie Lebard, graphiste, plasticienne et photographe a accepté d’orchestrer contenu et visuel.

ANNE BIDEAULT Est lectrice de L’enfant et la vie depuis la naissance de la première de ses trois filles, en 2004. Journaliste spécialisée en éducation et psychologie de l’enfant, publiée régulièrement chez Bayard Presse, elle était ravie de constater que seuls 7 km de campagne beaujolaise la séparait de sa consœur Elisabeth. Depuis cette découverte, elles réfléchissent ensemble à l’avenir du magazine. Anne en assure désormais la fonction légale de directrice de publication.

AUDREY CHANONAT Photographe lyonnaise spécialisée dans le couple et l'enfant, nous lui devons la couverture, les portraits de l’équipe et celui d’André Stern. www.audrey-chanonat.com

CAPresse CAPresse est une agence de presse coopérative qui regroupe une soixantaine de journalistes. Son siège est dans le NordPas-de-Calais. Anne comme Elisabeth en sont sociétaires. Par la voix de son gérant, le journaliste Morgan Railane, cette SCOP apporte un soutien financier, des conseils de gestion, un réseau de diffusion et - s’il le faut - toute son équipe de journalistes.

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l'enfant et la vie-n°179_Mise en page 1 11/01/16 10:49 Page32

Adèle Maury publie depuis 2009 ses dessins et ses peintures sur son blog minimoots.blogspot.fr. Elle a aujourd’hui 16 ans et nous a confié cette image.

Malgré la peur De ces jours-là, c’est mon souvenir le plus précis. Elle venait de naître et je contemplais dans mes bras cette petite fille qui avait fait de nous des parents. J’ai alors ressenti avec acuité que ce qui m’était donné avec elle, outre un attachement infini, c’était l’angoisse de sa mort. Cette découverte m’a saisie. J’ai repensé alors à mes taquineries et mes haussements d’épaules lorsque ma propre mère insistait : “Tu m’appelles pour me dire que tu es bien arrivée, hein ?” Tout d’un coup, je comprenais. Je comprenais que cette angoisse-là, il faudrait l’apprivoiser. L’apprivoiser pour que puisse grandir l’enfant. Accepter d’élargir peu à peu les mailles du filet, accepter de lui laisser la bride sur le cou. Jauger le risque et le prendre. C’était donc cela, élever un enfant ? Osciller sans cesse entre cette angoisse originelle et la confiance nécessaire pour qu’il devienne un jour adulte à son tour ? Non, même cet équilibre-là ne serait pas suffisant. Car, je le devinais, c’était bien en faveur de la confiance qu’il fallait que la balance penche. Une confiance vitale, à accorder à son enfant, bien sûr, mais aussi au monde, à l’avenir, à l’humanité. Cette confiance qui nous permettrait de lui dire un jour : “Vasy, je te regarde sauter de ce grand mur !” ou “je crois que tu es assez grand pour aller tout seul à l’école” puis “d’accord, tu peux partir en vacances seul avec tes amis” ou encore “tu veux faire un break dans tes études ? On peut y réfléchir”, “quels que soient tes choix, je serai là”… Le 7 janvier et le 13 novembre, ma confiance a été mise à mal. Le choc de ces deux attentats qui encadrent l’année

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2015 ébranle le regard que je porte sur le monde et m’accule à passer en revue mes convictions éducatives. Bien sûr, il y a eu ces conseils de psychologues, publiés dans tous les médias, pour nous aider à en parler à nos enfants. Bien sûr, il y a eu le précieux travail réalisé par les publications jeunesse pour décrypter ces tragédies avec des mots justes et adaptés. Mais c’est loin de me suffire. Car ma peur, elle est là désormais, non plus originelle, animale, irrationnelle, mais bien réelle, étayée par des images, des témoignages, des chiffres, des analyses, des projections d’experts. Je sens déjà qu’il va me falloir de la force pour lui résister. Je me laisse aller à des réflexes protecteurs et mes réponses aux peurs de mes enfants sont moins assurées. “Not afraid”, a-t-on pu lire sur la statue de la Place de la République, à Paris. Cette banderole bravache me rappelle ces petits bonhommes qui, le menton levé, se lancent à l’assaut d’un obstacle en affirmant, un peu tremblants : “Même pas peur !”. Ils ont peur, mais ils y vont quand même. C’est bien ce qu’il m’incombe de faire maintenant : avouer ma peur et, la regardant droit dans les yeux, continuer de dire à mes enfants : “Oui, tu peux aller au concert”, “Alors, ce match de foot, c’est pour quand ?”, “Une année d’études à l’étranger, pourquoi pas ?”, “On devrait aller à la manif, c’est important”… Être une mère bravache, consciente des risques à prendre pour que puissent se construire des adultes et un monde toujours plus humains. Anne Bideault


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