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DIMANCHE 05 JUILLET 2015
CTUALITÉS
Interview Ajay Daby Je trouve dommage que l’application des lois dans nos cours de justice n’ait pas été bien suivie...
LE JOURNAL DU DIMANCHE
Je pense que les politiciens se comportent mieux depuis la dernière commission d’enquête.
“ La PoCA est une loi scélérate qui veut purifier la société mais met en danger ses gestionnaires ”
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ncien commissaire du bureau des narcotiques et ex- Speaker de l’Assemblée nationale, Ajay Daby ne passe pas par quatre chemins pour qualifier la Prevention of Corruption Act de loi dangereuse. En un mot, c’est une loi scélérate qui veut purifier la société mais met en danger ses gestionnaires. Dans l’entretien qui suit, il revient aussi sur la lutte contre la drogue. Ajay Daby, Pravind Jugnauth a écopé de 12 mois d’emprisonnement sous la Prevention of Corruption Act (PoCA), comment interprétez-vous ce jugement ? Tout d’abord, c’est toujours un défi quand quelqu’un est appelé devant une cour de justice. Les lois lui permettent d’avoir recours à d’autres moyens pour maintenir son combat et prouver son innocence. Le jugement de la cour intermédiaire n’est pas une fin en soi. Après les magistrats, l’affaire sera maintenant entendue devant les juges. ‘’ You just don’t give up because you failed to convince at first instance”. La tâche de Pravind sera d’indiquer à la Cour Suprême que le ‘’trial court might have been on the wrong side of the right track. ‘’ La perception dans le public veut que Pravind Jugnauth qui a déjà soumis sa démission comme ministre le fasse aussi comme député. Nous vivons dans un pays démocratique et il faut se conformer aux lois régissant le Parlement. Il est clair que les articles 34-36 de la Constitution ont prévu qu’une condamnation de 12 mois ne peut disqualifier un membre de siéger au Parlement. C’est évident que dans le présent cas, la question ne se pose pas selon les Standing orders et la loi. Avec une telle tournure des évènements, est-ce que vous pensez que sa carrière politique est compromise ? Un politicien ne disparaît jamais. Il doit laisser le temps au temps et persévérer pour maintenir la confiance de l’électorat. « The metal of a man is judged over the passage of time. And you never
give up.” La vie publique est very demanding. Et cela s’applique également dans le cas de Navin Ramgoolam qui encourt plusieurs procès ? Evidemment. On ne pourra conclure sur sa capacité de revenir qu’après les enquêtes et selon les moyens qu’il se donne pour mener son combat. ‘’The right to answer implies the duty to answer. Never write them off.” Ajay Daby, vous êtes un ancien commissaire du bureau des narcotiques, comment jugez-vous la situation de la drogue dans le pays ? Estce que le gouvernement a demandé l’institution d’une commission d’enquête sur ce fléau ? Je trouve cela drôle que pendant la campagne électorale, ils aient annoncé l’institution d’une telle Commission. On n’a pas eu de débats sur la question au préalable. L’institution d’une Commission d’enquête sur la drogue demande une grande volonté d’action. Elle aidera à la réorganisation du Network anti-drogue, à l’élaboration de lois modernes, et à une réactualisation des données de base pour l’’’intelligence gathering.’’ Bref, ce sera bénéfique pour les législateurs, les law enforcement officers, et les service providers. En tout cas, le rapport qui en sortira aura tout son poids, tout comme le rapport Rault et les Select Committee reports sur la question. Il est donc grand temps d’avoir un audit national sur les ‘’drug and crime issues.’’ Quelles devraient être nos vraies préoccupations ? Pendant mon passage comme
Speaker dans les années 80, j’avais présidé les ‘’major debates’’ sur les drug laws et sur l’empowerment de la classe politique afin de combattre efficacement l’infiltration des trafiquants dans les milieux d’influence. Le Parlement en est sorti grandi. Et tant que Drug Commissionner, j’avais eu pour tâche de mettre sur pied un bureau de répression de trafiquants, me basant sur les jugements des cours de justice, les’’intelligence reports’’ de la police, et de mes enquêtes. Cela avait abouti à plusieurs demandes de saisie de biens des trafiquants en cour suprême pour la première fois dans l’histoire. Avec le changement de gouvernement, j’ai dû partir. Je peux vous dire que l’ADSU a abattu un travail formidable sur le terrain mais il y a encore un long chemin à parcourir. Dans le combat contre la drogue, il faut agir avec sévérité et ne pas tolérer des brebis galeuses peu importe le gouvernement en place. Est-ce qu’on peut dire que certains politiciens auraient un lien avec les milieux de la drogue ? Je ne peux répondre à cette question. Ce n’est pas ‘’within my terms of reference’’. Je pense que les politiciens se comportent mieux depuis la dernière commission d’enquête. Heureusement qu’ils ont pris conscience du danger auquel ils sont exposés et qu’ils doivent faire très attention aux personnes qui les entourent. Il faut tout simplement éviter que ce type de personnes ne les influencent. Avez-vous déjà subi des pressions ? Avec moi, ça ne marche pas.
Au contraire, je suis très fier aujourd’hui que la saisie des biens des trafiquants a été un succès. Cela a comblé plusieurs lacunes qu’on avait à l’époque. On a donné une bonne leçon à tous ceux qui croyaient que ‘’it could not be done’’. J’avais soumis plusieurs rapports à SAJ pour un suivi. La meilleure arme pour combattre la drogue ? La vigilance. La vigilance des autorités, des Service Providers, des Law Enforcement Agencies et j’en passe. Il ne faut pas être hystérique en voulant fouiller tout le monde. Le ministère de l’Intérieur ne doit non plus être complaisant en disant qu’une fois les lois proclamées, on peut dormir sur nos deux oreilles. La vigilance doit être toujours de rigueur et à tous les niveaux. Toutefois, je trouve dommage que l’application des lois dans nos cours de justice n’ait pas été bien suivie par les législateurs pour une mise à jour de nos lois. Il faut moderniser les lois existantes et créer un ‘’Forfeiture Court’’. Il faut réfléchir sur la portée des conventions sur nos lois et corriger les lacunes. Cela devrait impliquer une révision des lois sur la corruption aussi. Il existe un mismatch entre l’application de la loi et la manière dont les législateurs doivent réagir. La PoCA est une loi dangereuse par manque de définition. Vous dites bien dangereuse ...? Je pèse bien mes mots : c’est une loi très dangereuse et contre l’intérêt de l’ordre public. Cette loi a été votée dans le cadre des combats de plusieurs partis politiques contre la fraude et la corruption et la PoCA a été introduite d’urgence avec ses forces et ses faiblesses. Le cas de Pravind Jugnauth laisse perplexe quant à la portée de cette loi. De quelle façon ? On demande à un ministre de
se mettre en retrait d’un comité de son ministère pour permettre à un officier de diriger une instance de décision. Ce n’est pas normal, parce que ceci va à l’encontre de la notion de ‘’ministerial responsibility’’. La section 13 de la PoCA, après le récent jugement est un cas flagrant de mismatch et d’anomalie qui peut causer de graves préjudices. Il y a certainement quelque chose qui cloche ... “There is something rotten in this kingdom”. On a proclamé des lois pour épater la galerie et aujourd’hui on est en train de décapiter l’Etat. Cela peut arriver à n’importe qui... Il faut revoir toute cette loi dans sa profondeur et il est primordial de réagir le plus vite possible. En un mot, c’est une loi scélérate qui veut purifier la société mais met en danger ses gestionnaires. Parlons de la Dangerous Drug Act. Ally Lazer avait soutenu qu’il y a aussi des lacunes dans cette loi en qu’il s’agit des drogues synthétiques ...Partagez-vous cet avis? Non, il n’y a pas de lacunes, mais il faut certainement faire quelques ajustements. Il faut appliquer cette loi dans toute sa rigueur et ceux chargés de faire appliquer la loi doivent recevoir une formation appropriée pour combattre le crime organisé. Vous êtes connu comme proche des Jugnauth, verra-ton Ajay Daby dans les hautes sphères de la politique active? Nos longues années de collaboration nous ont beaucoup rapprochés. Cela a toujours été un atout majeur quand il s’agissait de travailler dans l’intérêt du pays. On se respecte mutuellement. On a vieilli ensemble. On a fait équipe. Je sais que nos supporters sont nostalgiques et veulent nous voir ensemble.