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Il y a de l’espace pour la gauche Jérôme Guedj

député PS de l’essonne

Nous traversons le conflit social le plus long et le plus massif depuis 1968. Il oppose le monde du travail – et singulièrement celui de la France des sous-préfectures – et un Président qui se cramponne à un agenda libéral suranné et à la force exorbitante dont dispose l’exécutif sous la Cinquième République. Les tenants de la « fin du cheminement démocratique » comme ceux de « l’insurrection inéluctable » font une même erreur. Ils s’imaginent être à la conclusion d’une séquence, alors que nous sommes au début d’un nouveau chapitre. Les législatives ont été l’aube d’un grand mouvement de contestation du libéralisme. La mobilisation contre la réforme des retraites se présente comme l’aurore d’un monde nouveau, débarrassé des vieilles lunes du macronisme. Et si la lutte est intense, la France n’est pas au bord du chaos insurrectionnel. Les poubelles brulées des métropoles ne sont pas représentatives de la force tranquille qui s’est levée depuis janvier. Sa spécificité réside au contraire dans son calme, son nombre (3,5 mil- lions de manifestants dans les rues à deux reprises), sa régularité (déjà 12 grandes journées de mobilisation) et son universalité (métropoles et souspréfectures, employés et étudiants, fonctionnaires et salariés). Cette mobilisation est profondément démocratique car éminemment pédagogique. Les grèves et les marches populaires sont la dramatisation d’un dialogue entre la majorité sociale et le pouvoir. Le peuple a fait deux choix successifs décisifs : reconduire Emmanuel Macron et le mettre en minorité à l’Assemblée nationale. La remise en cause du fait majoritaire lors des élections législatives était porteuse d’un message clair au président de la République : la poursuite de l’agenda libéral n’est pas la solution. Aussi, ce n’est pas l’exécutif qui a loupé la pédagogie de sa réforme, c’est le pouvoir qui n’a pas compris le message des législatives. Depuis janvier, l’immense mobilisation sociale se présente comme un acte de pédagogie à l’encontre de l’exécutif.

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Nous sommes aux prises avec une double incertitude – politique et institutionnelle – mais la bonne nouvelle est que la gauche évolue sur un terrain favorable.

Avec la réforme des retraites, le Président a fait passer sa « réforme totémique » mais il a perdu une bataille politique : son bloc si compact depuis 2017 commence à s’effriter. C’est un fait nouveau. Le macronisme n’a plus de dynamique. Cela crée une double incertitude, sur le terrain institutionnel et politique.

Le Président veut apparaître comme « un réformateur inflexible », un nouveau « Thatcher ». Sur les retraites, après la validation par le Conseil constitutionnel et la promulgation de la loi, l’incertitude est toute relative. Il reste le deuxième RIP (réponse le 3 mai) et le vote éventuel d’une loi d’abrogation. Toutefois, cela n’épuise pas l’incertitude institutionnelle. La Cinquième République n’est pas conçue pour une telle majorité relative – encore moins depuis la révision de 2008 qui limite l’usage du 49.3. Sans coalition avec Les Républicains, le gouverne- ment est soumis à un « parlementarisme de fait » incompatible avec la verticalité d’Emmanuel Macron, lequel perd de plus en plus d’influence avec le temps qui passe. L’éventualité de la dissolution reste posée. L’incertitude politique sur les gagnants de ce moment est bien plus forte que l’incertitude institutionnelle. L’extrême droite serait renforcée et la gauche stagnerait. Cela pose une question stratégique fondamentale : comment la gauche peut ne pas gagner du terrain alors que 70% des actifs sont d’accord avec elle et qu’elle s’est autant mobilisée ? Nous devons nous questionner, mais ne pas céder au fatalisme. Si les oppositions grandissaient sur le terrain identitaire, la gauche aurait perdue d’avance. Or, l’opposition progresse sur le terrain de la justice sociale et de la reconnaissance du monde du travail. Sur ce terrain, il y a de l’espace pour la gauche. Pour l’occuper, nous devons construire une force qui canalise la contestation et la transforme en une espérance pour la majorité sociale. Une chose est sûre, c’est que la lutte n’est jamais vaine : « Elle éduque, elle aguerrit, elle entraîne et elle crée », pour reprendre le mot de Victor Griffuelhes sur la grève. À nous d’écrire la nouvelle page du jour qui se lève.

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