Les espaces ouverts intra-urbains sous le prime de l'éco-pâturage - Rémi Arcoutel

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Travail Personnel d’Étude et de Recherche (TPER) de la formation Paysagiste DEP

LES ESPACES OUVERTS INTRA-URBAINS SOUS LE PRISME DE L’ÉCO-PÂTURAGE Rémi Arcoutel

Ecole nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux Année universitaire 2018/2019


RÊmi Arcoutel Date de soutenance orale: 23 Janvier 2019 


Remerciements

Je voudrais saluer chaleureusement toutes les personnes, qui ont contribué de près ou de loin à l’élaboration de ce mémoire, car elles m’ont aussi permis d’ouvrir des horizons quant à mon avenir professionnel. Tout d’abord, un grand merci, au corps enseignant de l’ENSAP de Bordeaux et en particulier à Cyrille Marlin, Alexandre Moisset, Vincent Tricaud, Rémi Bercovitz et Bernard Davasse, pour leur aide et leur précieux conseils qui m’ont permis de co-construire la réflexion présentée dans ce travail Par ailleurs, je remercie sincèrement les personnes avec lesquelles j’ai eu la chance de m’entretenir pour mon enquête à savoir, Benjamin Chambelland, Matthias Morel et Isabelle Maillé, qui ont été d’une grande patience et d’une grande sympathie. Enfin, je ne pourrais pas terminer ces remerciements sans adresser ma plus profonde affection pour mon entourage proche, Thomas, Léa, Adrien et Guillaume, qui ont toujours su trouver les mots pour m’aider à avancer.


Avant propos

C’est une expérience vécue il y a quelques années que je vous relate ici, celle qui a fait naître mes interrogations autour de la gestion d’espace au moyen de l’éco-pâturage. Tondeur de moutons, j’ai participé il y a 9 ans, à la tonte de quelques dizaines d’animaux au pied d’une cité de Villenave d’Ornon, en Gironde. Installé sur un plancher de fortune, je me retrouvais face à une grande prairie clôturée dans laquelle les moutons étaient « parqués ». En arrière-plan, quelques grands immeubles de logements sociaux encadraient cet espace de toute leur verticalité. Le contraste entre la prairie enherbée pâturée par les moutons et les immeubles en béton était plutôt saisissant, sans compter sur le bruit incessant et régulier du trafic routier qui circulait, en pleine journée, sur la rocade de Bordeaux. Ayant plutôt pour habitude de tondre dans des bergeries ou des salles de tonte, voilà que j’étais face à une expérience que je n’avais jamais vécue: tondre des moutons dans la ville. Durant la tonte, une dizaine de familles s’était réunie autour des barrières pour me regarder à l’œuvre, ou plutôt, pour regarder les moutons qui leurs étaient devenus familiers, se faire « déshabiller ». Je me souviens alors qu’une certaine forme de fascination émanait du groupe d’enfants. A l’occasion du module de recherche proposé au sein du DEP, dont ce travail tente d’illustrer les objectifs, j’ai découvert de nouvelles approches de la ville, notamment au travers des espaces ouverts qui la composent. De cette façon, j’ai aussi étudié certaines pratiques de gestion et en particulier celle de l’écopâturage, qui m’a très rapidement poussé à mobiliser le cas de Villenave d’Ornon pour construire, pour l’associer à une problématique de Paysage.


Table des matières

Introduction

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1.

Les espaces ouverts intra-urbains à travers le territoire métropolitain 11 1.1. Le déploiement des villes sur le territoire 11 1.1.1. Des villes diffuses et aux limites poreuses : les conséquences de l’étalement urbain 11 1.1.2. L’absorption d’espaces non urbanisés : l’apparition de la notion d’intra-urbain 13 1.2. Lecture du territoire urbain sous le prisme des espaces ouverts 17 1.2.1. Un lien indéfectible avec la campagne, l’apparition de la notion d‘espace ouvert 17 1.2.2. Vers l’étendue de l’espace ouvert à des espaces difficilement appréhendables 19 1.3. Des espaces ouverts intra-urbains à la gouvernance territoriale 22 1.3.1. L’ouverture au public des espaces ouverts intra-urbains: l’apparition de la notion de « publicisation » 22 1.3.2. La préservation des espaces ouverts intra-urbains et « processus de territorialisation » 23 1.4. Conclusion: Vers une gestion des espaces ouverts intra-urbains 25

2.

Les espaces ouverts intra-urbains sous le prisme de l’éco-pâturage 26 2.1. Faire le choix de l’éco-pâturage 26 2.2. Etude des expériences d’éco-pâturage bordelaises 28 2.2.1. Recueillir et analyser le discours des acteurs de l’éco-pâturage 28 2.2.2. Le recueil des expériences d’éco-pâturage bordelaises : tour d’horizon des différents projets 29 2.2.2.1.Le cas du Parc des Coteaux 30 2.2.2.2.Le cas de Villenave d’Ornon 32 2.2.3. L’analyse des expériences d’éco-pâturage bordelaises, entre émergence de tendances et de divergences 34 2.2.3.1.Le rapport à l’espace ouvert 34 2.2.3.2.Le processus de projet choisi 35 2.2.3.1.Le rapport au contexte urbain 36

3.

Discussions 38 3.1. vers un processus de requalification de l’espace ouvert? 38 3.2. vers un processus de mise en réseau d’espaces ouverts intra-urbains pâturés? 39

Conclusion

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Références bibliographiques

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Annexes

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Introduction

C’est un fait, « En ce début de siècle, un constat s’impose : l’urbanisation est planétaire. » (Paquot, 2016). Au surplus, on ne peut que constater que « Nos sociétés connaissent un avènement urbain sans précédent, bouleversant notre rapport au monde, notre manière de l’habiter et de le concevoir » (Janin, 2017). En France, les conséquences de cette évolution sont nombreuses, à différents niveaux, différentes échelles, mais notons que les villes mutent. Cette dynamique découle, soit directement, soit de manière plus discrète, de l’évolution des pratiques individuelles et de nombreuses politiques qui ont pensé, au fil des années, le développement d’un territoire dédié au déplacement et à la machine, et non à l’Homme. Bien que cette urbanisation soit contrastée d’une région à une autre, les villes contemporaines n’ont plus un « contour » aussi net que dans le passé. Les villes cerclées de leurs enceintes se font de plus en plus rares. Elles sont désormais complexes, diffuses, poreuses, et se composent souvent de plusieurs communes. Ces dernières sont reliées et connectées entre elles, selon un savant maillage de réseaux de transports et d’échanges qui servent une économie mondialisée. Pour désigner ces ensembles de commune, l’INSEE parle d’« aire urbaine », mais retenons que cette notion qui évoque littéralement une surface, laisse entendre que les villes forment un territoire. Un territoire qui est à la fois concurrentiel et attractif car il semble concentrer de plus en plus les grands capitaux et les nombreux flux économiques et sociaux. Depuis plusieurs années, les financements publics pour la gestion des communes se sont vus progressivement affaiblis. Mais, pour pallier à ce manque, de nombreuses formes d’intercommunalités ont été instaurées ces dernières années - bien que les premières formes de coopération intercommunales soient apparues en 1890 - pour faciliter la mise en commun de moyens : conséquences directes d’une redistribution des dotations de l’Etat pour la gestion des territoires. Si les statuts sont nombreux et sont fonctions de critères démographiques et économiques, il s’avèrent que la gouvernance des « aires urbaines » les plus importantes sont désormais aux mains des métropoles, notamment depuis la création de leur statut avec la réforme territoriale de 2010. On parle aussi d’un phénomène de métropolisation, tant le modèle se généralise : « Nous sommes entrés dans un nouveau temps de l’urbanisation, celui de la métropolisation, troisième temps de la modernité » (Ferrier, 1998 par Banzo, 2009). Aux vues de leurs nombreuses ambitions, les métropoles deviennent progressivement des acteurs territoriaux majeurs, si ce n’est les plus importants : leurs champs d’action s’étendant de l’amélioration du cadre de vie des

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populations, à la mise en place d’une planification territoriale visant à répondre aux grands enjeux environnementaux du XXIème siècle. D’ailleurs, après une période d’urbanisation immodérée, imperméabilisant les sols, et plus grave encore, les terres agricoles et fertiles, les métropoles se veulent être plus vertes que jamais. Elles envisagent de « panser les maux urbains » en renouant avec une nature et un végétal trop longtemps mis de côté, ou à l’inverse, trop souvent utilisé à des fins décoratives, au point de tomber dans le « pastiche ». Ce paradigme de la ville dite verte et durable est le reflet de nouvelles attentes de la part de la société française, devenue majoritairement urbaine. La confrontation aux pollutions atmosphériques, aux inondations, aux ilots de chaleurs ou bien encore, aux pollutions sonores, sont autant d’impacts sur le cadre de vie des habitants qui accentuent la prise de conscience d’un dérèglement climatique en marche. Il semblerait que ce soit en partie pour cette raison, que des projets urbains tentent d’apporter des solutions scientifiques et techniques à ces grandes problématiques, et que les métropoles prônent en parallèle, un retour de la nature en ville, offrant aux habitants un cadre de vie, qui se veut pleinement conscient des défis environnementaux. Pour y arriver, les métropoles travaillent de concert avec un corps pluridisciplinaire pour identifier la nature qui compose le territoire. Là aussi, les appréciations de la nature sont nombreuses mais elles semblent toutes s’accorder sur la présence du végétal, qu’il soit « maitrisé » ou plus « spontané ». Les espaces qui émergent sont de fait, aussi bien des parcs, des interstices, des délaissés que des prairies bocagères. En somme, des espaces qualifiés d’espaces ouverts. C’est pourquoi, cette re-qualification d’espaces constitue une véritable aubaine pour la gouvernance, qui peut de cette manière communiquer sur la présence de la nature au sein du territoire métropolitain. D’autant plus que ces espaces sont en nombre et qu’ils s’étendent à travers toute la métropole, « depuis ses formes habitées les plus denses jusqu’au cœur des activités agricoles de son arrière-pays » (Rosensthiel, 2017). Au coeur ou en bordure des villes, les espaces ouverts sont aussi intra-urbains, privés ou publics, et donc potentiellement accessibles aux habitants. En effet, s’ils peuvent être laissés pour compte dans certains cas, ils sont aussi considérés comme des espaces libres, qui sont ceux « des pratiques citadines qui s’approprient les espaces agricoles, forestiers et naturels » (Vannier, 2008 par Banzo, 2009). Bien que la notion de liberté des citadins reste « très conditionnelle » (Banzo, 2009), les métropoles tentent de proposer des espaces qui répondent à leur besoin en ouvrant des espaces au public. Les « processus de publicisation » (Banzo, 2009) auxquels elles ont recourt dans cette situation, 7


semblent étendre le domaine public mais implique le développement de « nouvelles formes de gouvernance » (Banzo, 2009) et la mise en place de politiques publiques oeuvrant à la gestion des espaces ouverts métropolitains. Nous le disions plus haut, ces espaces sont en nombre, mais la pluralité de leurs formes nécessite de penser des modèles de gestion spécifiques et adaptés. Bien que les services techniques communaux fassent évoluer leurs techniques d’entretien, il semblerait que les métropoles délèguent et soutiennent d’autres structures pour la gestion de certains espaces. Cette gestion est dépendante d’un cadre réglementaire national et européen et intervient aussi bien sur de le domaine public que privé sous différents visages: par exemple lorsqu’il était question de Paysage et Biodiversité dans les années 90 - notamment avec la création de NATURA 2000 - les efforts et les moyens se sont plutôt concentrés sur le Développement Durable au début des années 2000, ou encore sur un engagement en faveur de l’environnement avec le Grenelle de l’environnement entre 2009 et 2010. On peut enfin clôturer cette liste par la dernière mesure en date, interdisant à toutes les collectivités l’utilisation de pesticides chimiques, la loi Labbé, plus connu sous l’étiquette « loi zéro-phyto ». Manifestant une conscience du déclin de la diversité biologique, ces règlementations s’accompagnent de mesures favorisant certaines pratiques comme celle de la gestion différenciée survenue au début des années 1990. Ce modèle de gestion a été un véritable changement au sein des collectivités car c’est en partie grâce à lui, qu’un nouveau paradigme est né dans l’appréciation des espaces ouverts qui composent les villes: l’adaptation de l’entretien de l’espace fonction de son usage a permis de mettre en place de nouvelles pratiques plus écologiques mais aussi plus économiques. C’est dans ce contexte que la pratique de l’éco-pâturage est apparue. Mais si elle restait moins connue des collectivités à cette époque - car plutôt développée pour la gestion d’espaces ruraux depuis la fin des année 1970 - il semblerait qu’elle ait aujourd’hui « le vent en poupe » (Frileux, 2018). Elle occupe en effet une place de plus en plus importante dans les débats institutionnels, interprofessionnels ou encore publics. De nouvelles professions (ex: berger urbain), un nouveau vocabulaire (ex: moutondeuse), de nouvelles pratiques (ex: transhumance urbaine) ou encore de nouvelles prestations de service dédiés (ex: Ecomouton) voient le jour. Toutefois, bien que les « externalités environnementales » (Darly, 2014) de l ‘éco-pâturage soient peu discutables, sa mise en place dans un contexte urbain est encore bien souvent de l’ordre de l’expérimentation. Loin de penser que cette pratique ne s’établit que sur des espaces appartenant au domaine public, l’engouement qu’elle génère auprès des institutions nous interpelle, car il mobilise de nouveaux champs de réflexions sur les réponses qu’elle leur apporte et interroge sur son rapport aux paysages métropolitains. 8


Quels sont les espaces ouverts mis en pâture ? Pourquoi faire de choix de cette pratique ? Dans quel but la met-on en place ? Quelles sont les intentions du collectivités territoriales ? Quels sont les moyens ou les outils nécessaires à la mise en place d’une telle gestion ? Quels sont les rapports qu’entretient la pratique avec l’urbain ? De quelle manière s’adapte-t-elle au contexte de la ville ? Quelle est son rapport au territoire ? En somme, en quoi l’éco-pâturage est-il une forme de réponse pour la gestion des espaces ouverts intra-urbains? Ces questions nous amènent à réfléchir sur la manière dont sont appréhendés les espaces ouverts à l’échelle du territoire métropolitain et au travers de la mise en place d’une pratique d’éco-pâturage. Nous supposons que si une telle pratique de gestion est mise en place dans un contexte urbain, elle devrait avoir des effets sur la manière dont sont appréhendés les espaces ouverts intra-urbains. C’est une hypothèse selon laquelle les collectivités, qui font le choix de cette pratique, mettraient en place des processus constructifs d’une vision singulière du territoire et des espaces ouverts. Plus simplement, nous supposons que l’éco-pâturage des espaces ouverts intra-urbains participerait à la construction d’un paysage métropolitain pâturé. Pour mettre à l’épreuve notre hypothèse, nous avons entamé nos travaux par la construction d’un cadre théorique pour affiner notre vocabulaire et étudier certaines notions entre l’approche sémantique et l’observation des processus qui les font exister. Ensuite, pour aller plus loin, nous avons fait le choix de réaliser des études de cas, qui nous permettent d’analyser des situations concrètes. Au travers de cette approche nous souhaitions entrevoir de nouveaux éléments qui nous permettraient d’apporter des éléments de réponse à notre problématique. Nous voyons cette exploration comme un processus de construction de la connaissance et de valorisation des apports de notre étude de cas Pour traiter de notre problématique générale, nos travaux s’organiseront en trois grandes parties. Dans un premier temps, nous déterminerons les caractéristiques de l’espace sur lequel nous nous appuyons dans cette recherche, savoir, l’espace ouvert intraurbain. Progressivement, nous tenterons d’en cerner les contours, parfois flous, et les processus qui fondent son existence au sein de la ville étendue et plus largement du territoire métropolitain. De cette manière nous le confronterons aux nouvelles réalités des villes pour tenter d’identifier son rapport à l’urbain et les origines d’une nécessité à envisager sa gestion. Dans un deuxième temps, nous allons aborder l’espace ouvert sous le prisme de l’éco-pâturage. Pour cela, nous observerons les contours de cette pratique, puis son rapport aux espaces ouverts intra-urbains. Nous détaillerons les multiples fonctionnalités qui sont accordées à cette pratique, depuis sa création jusqu’à 9


aujourd’hui. Transgressant sa simple valeur fonctionnelle de gestion, nous observerons la manière dont l’éco-pâturage rejoint les politiques publiques. Ensuite, nous passerons à notre étude de cas : « les expériences d’éco-pâturage bordelaises ». Il sera question d’analyser le discours de nos enquêtés au travers différentes entrées, afin d’apprécier de l’action directe ou indirecte de la pratique sur le paysage métropolitain. Enfin, nous discuterons des observations tirées de cette analyse, dont la prétention n’est pas de dresser une présentation exhaustive ; notre travail traitant d’un sujet contemporain qui « […] n'a pas encore été véritablement questionné par la recherche » (Bories O. et al., 2016), et qui nécessitera encore l’apport de nombreuses connaissances. Puisse ces travaux apporter des éléments constructifs et ouvrir des champs de réflexions pour l’appréhension des paysages métropolitains.

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1.

Les espaces ouverts intra-urbains à travers le territoire métropolitain 1.1.

Le déploiement des villes sur le territoire

Le territoire et le paysage urbain sont marqués par une histoire complexe, faite d’un enchevêtrement d’événements, de bouleversements mais aussi de grandes évolutions. Autrement dit, les villes contemporaines sont à l’image des transformations sociétales tant dans leurs organisations que dans leurs morphologies. Plus précisément, nous pouvons faire le constat que leurs superficies augmentent au fil du temps. De ce postulat, nous essaierons de comprendre cette réalité, à savoir, celle des villes qui s’étendent sur le territoire et qui se caractérisent du même coup par des contours difficilement définissables. Ce phénomène laisse notamment entendre que la ville « consomme » de nouveaux espaces qui, par un processus d’urbanisation deviennent des espaces urbains. 1.1.1. Des villes diffuses et aux limites poreuses : les conséquences de l’étalement urbain Pour comprendre le contexte dans lequel nous nous situons dans cette recherche, nous serions bien évidemment tentés par l’élaboration d’une définition de la ville en tant qu’entité physique, avant d’entamer l’appréhension de son déploiement sur le territoire, mais cela paraît bien complexe. En effet, l’interprétation des propos de Philippe Aydalot par Rahim Aguejdad en témoigne : « La ville est un concept difficile à définir, car elle est à la fois une réalité matérielle concrète et un ensemble de fonctions sociales et économiques où les échanges matériels et immatériels jouent un rôle moteur » (Aydalot, 1976 par Aguejdad, 2011) Aussi, « […] les villes sont des objets trop riches et trop divers pour qu’une seule définition, une conception unique, puisse en rendre compte. Selon que l’intérêt est porté au cadre bâti, à l’architecture, à l’habitat, aux activités et aux fonctions urbaines, au statut politique ou encore aux modes de vie des habitants, les définitions changent et les mesures aussi » (Lajoie, 2007) Ainsi, il est aisé de comprendre que la ville ne peut être considérée comme une entité physique à part entière, car son existence est dépendante de nombreuses dynamiques qui sont à la fois matérielles et immatérielles. Se définissant à travers de multiples approches, le concept de la ville, complexe et riche à la fois,

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s’interprète alors selon plusieurs point de vue et domaines de compétences. (Aguejdad, 2011). Cet auteur met notamment en avant les propos de Gilles Lajoie qui nous éclairent à ce sujet : « le géographe approchait d’abord la ville par sa matérialité et sa territorialité quand le sociologue se tournait prioritairement vers ses fonctions sociales tandis que l’économiste approchait sa dimension fonctionnelle à partir du concept d’économie d’agglomération » (Lajoie, 2007) On remarque ainsi qu’il n’est pas évident de poser et de cerner les contours de la ville. En effet, les villes délimitées par leurs enceintes ne sont plus. Cette frontière physique aux fonctions à la fois politiques, administratives, ou bien encore défensives, n’est aujourd’hui plus qu’un vestige, quand elle existe encore, d’une ville ancienne qui s’opposait fermement à la campagne en s’en isolant. « les murs d’enceinte qui séparaient deux mondes aux lois distinctes ont partout disparu. L’élévation des niveaux de vie et le développement des transports ont affranchi les citadins de la nécessité d’habiter un périmètre bien circonscrit, bâti en continuité. Des activités et des résidences se diluent dans des zones naguère franchement rurales. Statistiquement, ces nouvelles formes d’urbanisation sont de plus en plus difficiles à saisir » (Le Gleau et al., 1996) Nous entendons ici que les évolutions sociales, démographiques et techniques ont provoqué un changement de morphologie des villes, notamment celui de la disparition des limites qui créaient dichotomie entre ville et campagne ou urbain et rural. N’ayant pas pour objet de recherche l’histoire de cette extension urbaine, nous nous accorderons sur l’idée que les villes « se développent encore, essentiellement par leurs périphéries » (Allain, 2004) tout comme « la ville grandit, s’étend et s’étale » (Aguejdad, 2011). Mais « les mots et les néologismes ne manquent pas pour qualifier l’étalement de la ville contemporaine. Mais ils donnent qu’une idée assez vague de réalités morphologiques complexes qui se caractérisent par de faibles densités, des discontinuités, la prédominance du fonctionnel, la juxtaposition, les mutations rapides des usages et des formes. » (Allain, 2004) L’étalement urbain est en effet une dynamique observée à travers le monde et notamment en France à partir du milieu des années 50. Les communes situées 12


en périphérie des grandes et moyennes agglomérations sont devenues, au fil du temps, les nouvelles banlieues dépeuplant progressivement les centres urbains. Les raisons de cette ferveur pour ce nouveau territoire sont cependant difficiles à étudier, tout comme la dynamique d’étalement urbain, car elles dépendent de facteurs géographiques, sociaux ou bien encore sociétaux (Aguejdad, 2011) spécifiques à chaque territoire. Les villes prennent cependant de nouvelles formes, plus complexes, plus diversifiée. En effet, l’étalement urbain génère « des tissus […] globalement discontinus » (Allain, 2004) qui rompent avec les tissus urbains denses, plus anciens, et qui connectent une urbanisation groupée à une urbanisation diffuse. C’est pourquoi, la notion de « ville diffuse » se définit selon Grosjean par des discontinuités largement répandues, avec des usages variés et dans des sens parfois très différents (Grosjean, 2012). Nous restons toutefois vigilants sur l’utilisation cette notion de « ville diffuse », car initialement créée par les urbanistes italiens. La « città diffusa », caractérisait en effet, un phénomène de décentralisation des activités et des emplois et la volonté des italiens de vivre dans des habitats offrant la possibilité de vivre en famille. (Novarina, 2013) Dans les travaux de Bénédicte Grosjean, nous observons que la « ville diffuse au sens strict implique de s’intéresser à des échelles différentes » car le « diffus » ne se vérifie pas tout le temps. Mais, « la première nécessité est donc d'ouvrir très fortement le panel du vocabulaire, non pas pour désigner différemment des situations semblables mais au contraire, pour les distinguer, en gardant l'idée de « ville diffuse » au sens strict pour une forme d'urbanisation qui cumulerait tous les critères » (Grosjean, 2012) L’étalement urbain est donc une dynamique qui rend l’appréhension de la ville complexe car, les termes qui en caractérisent ses spécificités ont tendance à proposer des approches indicatives. Mais retenons que « la ville s’étend, se diffuse dans le territoire et ce faisant intègre à son fonctionnement des espaces qui restent non bâtis, ouverts » (Banzo, 2009) et que « le processus d’urbanisation induit des modifications profondes de l’espace » (Aguejdad, 2011). 1.1.2. L’absorption d’espaces non urbanisés : l’apparition de la notion d’intra-urbain Comme précédemment évoqué, il n’est pas aisé de définir ce qu’est véritablement la ville. Cependant, l’approche morphologique de l’urbain permet de mettre en évidence un phénomène d’étalement urbain. Ce dernier ne se produit pas de manière identique d’un territoire à l’autre car son « attitude » 13


semble être en étroite relation avec l’époque dans lequel il prend place (Grosjean, 2012); et ce même si les formes de diffusion urbaine sont contrastées (Novarina, 2013). Aussi, cette dynamique n’est pas sans conséquence sur le territoire et le paysage puisque, rappelons-le, elle « […] induit des modifications profondes de l’espace » (Aguejdad, 2011). Cette observation prend son sens dans notre recherche, car elle nous permet d’introduire une approche de l’étalement urbain par le paysage. En effet, malgré des visions parfois divergentes de cette dynamique, il ne serait pas difficile de se mettre d’accord, professionnels de l’aménagement et institutionnels, sur l’inéluctable évolution, voire le bouleversement, des paysages engendré par l’étalement urbain. L’évolution de ces paysages, ou plutôt de leurs structures paysagères, passe par une conversion souvent irréversible du rural à l’urbain (Aguejdad, 2011) ; le rural étant considéré comme ce qui ne fait pas physiquement parti de la ville avant le processus d’étalement urbain. En effet, la ville est avant tout considérée comme « […] un milieu hautement hétérogène, où les ruptures structurales sont nombreuses, créant ainsi un contexte discontinu et complexe » (Weber, 1995 par Aguejdad, 2011) car l’anthropisation y est quasi-totale. Comprenons dans ces termes que la construction de la ville, ou plutôt l’urbanisation, génère des processus d’artificialisation des sols pour répondre à des besoins « urbains » d’habitat, mais aussi d’infrastructures de transport et de locaux d’entreprises. Ces évolutions se vérifient au sein même des villes, mais malheureusement et surtout, sur des sols agricoles et des surfaces boisées ; les surfaces en eau étant moins affectées (Aguejdad, 2011). En réalité, ces évolutions de destination et d’utilisation des sols sont posées bien en amont dans les documents d’urbanisme : « Dans le cadre de l’étalement urbain, les conversions des surfaces naturelles et agricoles vers les surfaces artificialisées sont quasiment irréversibles, tandis que les modifications d’occupation des sols engendrées par l’urbanisation peuvent être réversibles quand elles concernent les espaces agricoles et naturels, les modifications de ces espaces se produisant sous l’influence de la ville. » (Aguejdad, 2011) Il apparaît à ce sujet que les terres n’ont que peu de poids face au processus d’urbanisation. Ce dernier facilite notamment la conversion d’une terre agricole en terre dite « constructible » mais ne saurait envisager le processus inverse. La « ville » devient alors une « consommatrice » d’espace puisqu’elle « absorbe » et convertit des sols afin de subvenir à ses propres besoins d’extension et d’expansion - cette remarque n’étant utilisée ici que pour appréhender la dynamique d’étalement urbain. 14


En revanche, l’étude de l’impact de l’étalement urbain sur la biodiversité de Rahim Aguejdad nous montre une toute autre illustration de cette dynamique de consommation d’espaces. Il associe plus particulièrement le morcellement et la fragmentation du paysage avec la dite « diffusion » de la ville sur le territoire. En effet, si - comme nous l’avons vu précédemment - l’étalement urbain engendre des modifications notoires de l’espace, nous retiendrons également les conséquences et ses impacts de ce phénomène sur le territoire : la création de fortes discontinuités qui « provoque(nt) une altération des processus écologiques » (Serrano et al., 2002 par Aguejdad, 2011). Par exemple, les « coupures » engendrées par les voiries, les lotissements de tous types (Allain, 2004), les grands ensembles, ou bien encore les zones artisanales ou d’activités génèrent avec leur organisation, une « fragmentation » du paysage qui « correspond à une interruption de la continuité de l’organisation spatiale » (Lord et Norton, 1990 par Aguejdad, 2011). En parallèle, plutôt dirons-nous, au sein même de « l’aire » d’étalement urbain, certaines terres restent et demeurent « non investies » par l’urbanisation. Les raisons de cette préservation face à une urbanisation toujours plus rapide des territoires, peuvent être nombreuses. La principale explication que ces terres ont reçu l’attribution de « titres » n’autorisant pas la « constructibilité ». Ce principe s’illustre par exemple sur les plans d’urbanisme comme le Plan Local d’Urbanisme, où sont appelées A les zones agricoles qui sont « nonconstructibles » puis N les zones naturelles « protégées », relevant des milieux remarquables et du titre d’intérêts écologiques. Bien que ces terres ne soient pas littéralement « construites » il n’en est pas moins que leur positionnement au sein de la ville diffuse, les inclut dans les réflexions sur le fonctionnement de l’urbain. Ainsi, « Des franges intra-urbaines se dessinent entre tous types d'espaces qui ne sont ni des zones tampon ni des limites d'agglomération. Elles s'immiscent dans les interstices des villes à côté de l'espace aménagé et fonctionnel. Les franges intraurbaines sont aussi considérées par des acteurs de l'urbain comme des entre-deux qui contribuent à la fragmentation des territoires et qu'il s'agit d'effacer, dans un souci de maîtrise et de cohérence territoriale. » (Bailly, 2016). La notion de “frange” fait alors référence à des territoires intermédiaires ou encore des flous entre plusieurs réalités spatiales, sociales et idéologiques (Bailly, 2016). En outre, nous verrons par la suite que l’ « intra-urbain » définit le positionnement de ce qui est considéré comme des interstices non-bâti ; et cela, par rapport à l’urbain.

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In fine, l’étalement urbain génère parfois de tels évènements dans l’espace que les « faiseurs de villes, ceux qui gouvernent et dirigent les transformations de la ville » (Guérard, 2018) intègrent tous ces espaces non seulement dans les documents de planification mais également dans leurs réflexions. C’est ainsi que naît de cette proximité géographique, entre le bâti et le non-bâti, la notion d’espaces intra-urbain. Pour nuancer cette réflexion urbanistique, nous dirons que ces espaces « non-bâtis » seraient « nouvellement urbains » du fait de leurs interactions plus ou moins directes avec la ville. C’est pourquoi nous retiendrons que la ville « […] transforme les espaces les plus utiles à ses stratégies d’aménagement, elle délaisse ou protège les autres. Ces « autres » constituent l’espace ouvert. » (Banzo, 2009). Mais la désignation de ces espaces, tout comme leur structuration, restent plus difficile qu’il n’y paraît du fait de leur nombre. Les professionnels de l’aménagement, quant à eux, utilisent cette notion « d’espace ouvert », pour regrouper tous les espaces sous une même entité selon une caractéristique commune, celle de proposer une « échappée visuelle paysagère par contraste avec l’horizon fermé qui caractérise l’espace bâti » (Banzo, 2009).

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1.2.

Lecture du territoire urbain sous le prisme des espaces ouverts 1.2.1. Un lien indéfectible avec la campagne, l’apparition de la notion d‘espace ouvert

L’appréhension des dynamiques urbaines, au travers du déploiement et de la diffusion de la ville sur le territoire, nous permet de continuer notre réflexion sur une approche sémantique de la notion d’« espace ouvert ». Cette dernière apporte notamment un regard sur les espaces sur lequel nous nous appuierons dans cette recherche. Pour définir les contours de ces espaces sans pour autant déconstruire la notion « d’espace ouvert », nous développerons les travaux de Maïté Banzo. Elle rappelle justement que la complexité de ce terme équivaut à une variété de définitions issues des différents domaines d’étude. Malgré tout, elle démontre que l’« espace ouvert » existe par la ville et pour la ville (Banzo, 2009). A travers son analyse, nous comprenons que cette notion est tour à tour employée comme un qualificatif ou un outil d’aménagement selon le contexte pour lequel il est employé. Selon elle, la notion d’espace ouvert existe depuis des décennies dans le champ de l’urbanisme pour caractériser « des superficies non bâties intégrées dans le fonctionnement des aires urbanisées » (Banzo, 2009). De même utilisé en géographie, l’espace ouvert définit « un sol qui n’est pas bâti » et qui « maintient les caractéristiques d’un état initial, sous-entendu avant l’urbanisation » (Banzo, 2009). Néanmoins, nous resterons prudent quant à la définition des espaces ouverts donnée par les géographes et urbanistes puisqu’il s’agit d’une conception de l’espace très pragmatique : les espaces minéraux ou les friches, parc, espaces verts, campagnes, forêts, bois, champs, etc., sont ramenés au même titre d’ « espaces ouverts » (Banzo, 2009). Aussi, toutes ces terminologies d’espace font références à ce qui se trouve en dehors de la ville car l’espace ouvert « […] émane tout d’abord du regard porté par les citadins sur la campagne. Une campagne qui résulte des imaginaires urbains et qui perd de sa matérialité. Une campagne paysage qui se pare des vertus de la nature. Une campagne idéalisée, lisse et bienveillante, attirante. A la recherche d’un contact physique plus fort avec cette campagne-nature-paysage, la ville s’étend au gré des réseaux qu’elle exploite ou qu’elle crée. » (Banzo, 2009) Ce lien, qui paraît indéfectible avec la campagne, la nature, le paysage prendrait sa source dans l’histoire et plus précisément au cours du XVIIème siècle. Isabelle Auricoste nous explique dans ses travaux qu’

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« On peut en retracer l'évolution depuis le goût développé par les élites anglaises de la fin du XVIIIe siècle pour le spectacle du tapis vert ondulant des paysages pastoraux. » (Auricoste, 2003) Autour de cet attrait, s’est construite une véritable culture pour des représentations idéalisées de la nature, qui, à compter de la période romantique, a littéralement intégré les réflexions des « faiseurs de villes » (Guérard, 2018), tout aussi bien représentés par les paysagistes que par les urbanistes. Si cette notion prend de l’épaisseur, elle exclue toutefois de nombreux espaces, difficilement qualifiables, et qui font partie intégrante de la composition générale du paysage urbain (voir partie 1.1.2.2.). Maïté Banzo précise à ce sujet que l’espace ouvert est un terme générique qui ne parle qu’aux professionnels de l’aménagement et qui « […] traduit une nécessité d’utiliser un terme englobant tentant de rendre compte de la grande diversité des interstices que révèle la dilatation de l’urbain. » (Banzo, 2009) Il y a donc un véritable besoin d’avoir de concevoir une notion, à la fois claire et précise, qui intègre le lexique interprofessionnel afin d’utiliser un vocabulaire commun lorsque les faiseurs de villes pensent la ville; L’espace ouvert par ailleurs fait « […] par la ville et pour la ville » (Banzo, 2009) ce qui le rend intraurbain et directement associé aux projets de planification urbaine. Mais, malgré la difficulté de rendre compte de toutes les situations existantes, cette notion reste évocatrice des espaces qu’elle désigne, notamment, avec la signification de l’adjectif « ouvert ». Ce terme cherche à créer un « contraste avec l’horizon fermé qui caractérise l’espace bâti » (Banzo, 2009), il n’en est pas moins que l’horizon d’un bois est fermé. C’est pourquoi la notion d’espace ouvert évolue et s’enrichie de vision plus conceptuelle permettant de dire dans ce cas précis que « L’écran végétal de la lisière forestière, s’il contraint la perspective, offre néanmoins l’idée d’une échappée possible vers un autre monde, celui de la « nature ». On est paradoxalement dans le même registre d’ouverture. » (Banzo, 2009) La suggestion de l’ouverture d’un lieu ou d’un espace devient alors le moyen de donner une impression de liberté, même subjective, qui permet à l’esprit de dépasser la perspective obstruée. En ce sens, Louis Benech nous rappelle que « Croire que l’on voit plus loin que loin est un cadeau; lorsque l’infini est bloqué, peut être faut-il chercher à rappeler son

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existence, et suggérer son pouvoir apaisant et si serein. » (Benech, 2017) Enfin, nous retiendrons que l’espace ouvert participe à la construction et à la lecture, aussi sommaire soit-elle à première vue, du paysage urbain lui même car il « […] est le plus souvent envisagé comme : un espace végétal ; un gage de qualité environnementale pour une ville plus durable ; une condition du bien-être et de la qualité de vie des habitants ; un outil de qualification et de requalification des interstices urbains ; une matière pour l’élaboration de nouvelles formes d’espaces publics. » (Banzo, 2009) Alors, s’il reste très souvent associé à une vision abstraite, virtuelle et simplifiée mettant de côté la matérialité du lieu, sa relation au sensible et sa complexité, son association au végétal, lui offrent une véritable raison d’exister et prendre du poids dans les documents et les politiques d’urbanisme pour son pouvoir évocateur d’une « nature pleinement urbaine ». 1.2.2. Vers l’étendue de l’espace ouvert à des espaces difficilement appréhendables Si la présence de l’espace ouvert au sein de la ville peut être volontaire, elle est dans certains cas involontaire. Pour rappel, nous avons vu que la ville mute de façon parfois si brutale et si rapide, que les projets d’urbanisme absorbent les espaces, qu’ils jugent « disponibles », et ce en quantité. De plus, s’ils savent en valoriser certains (point de vue discutable), ils en dévalorisent d’autres, ne sachant pas qu’en faire ou en tirer profit. Les évènements économiques de ces dernières décennies semblent expliquer cette situation. Hélène Soulier et Pauline Boyer ont étudié la question - dans le cadre d’un module de projet à l’ENSAP de Bordeaux sur les « Paysages indéterminés » - et démontrent que ce phénomène de dévalorisation, est le fait d’une présence d’espaces ne répondant plus aux besoins actuels de « la cité ». C’est de cette manière qu’est apparu notamment la notion de « terrain vague » qui « correspond au déclin de la banlieue agricole et maraîchère de la première moitié du XXème siècle, laissant çà et là d’anciennes parcelles inexploitées » (Soulier et Boyer, 2017) Aussi, d’autres espaces, qualifiés de « friches » ou encore de « délaissés », sont devenus, au fil du temps, de nouvelles formes d’abandon urbain. On retrouve dans ce cas d’anciens terrains industriels, abandonnés en particulier après le choc pétrolier de 1974. On y inclut également les friches militaires, portuaires,

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ferroviaires, les dents creuses et les terrains en attente de quelconques projets (Soulier et Boyer, 2017). Dans un premier temps, la problématique qui émane de l’existence de ces espaces réside dans leur utilité au sein du projet urbain. Car, non seulement ils sont en nombre et occupent «une partie considérable de notre territoire » (Soulier et Boyer, 2017), mais ils peinent à être considérés comme des espaces ouverts en tant que tels, car ils sont « d’une certaine manière mis au ban de la ville parce qu’indéfinis, non-contrôlés, sombre parfois, sauvages souvent. » (Soulier et Boyer, 2017). Et c’est bien cette appréciation négative qui semble générer de grandes difficultés, pour les faiseurs de villes à les intégrer aux projets de planification urbaine. En revanche, il existe d’autres manières de valoriser ces espaces déchus de toute valeur au sein de la ville. Celles-ci leur procurent plus de consistance notamment au travers de la prise en compte de la matérialité du lieu et sa relation au sensible, à sa complexité. Pour cela, des paysagistes oeuvrent à « requalifier les délaissés urbains en espaces ouverts » (Banzo, 2009). Aussi, cette requalification « […] intéresse le professionnel de l’aménagement, le concepteur, en ce qu’il l’amène à inclure au projet une part d’espace non aménagé ou encore à désigner comme espace d’utilité publique les délaissés que génère, quoi qu’on fasse, tout aménagement. » (Clément, 2014) Maïté Banzo démontre par ailleurs, que les espaces ouverts d’aujourd’hui ne sont plus seulement les espaces ouverts d’hier, du moins dans leur composition et dans leur apparence: Il en existe autant qu’il existe de forme. Ce constat expliquerait leur « incompatibilité » avec les documents et politiques d’urbanisme. Ces derniers ont en effet tendance à mettre de côté la multifonctionnalité et la multi-potentialité des espaces notamment dans les documents d’urbanisme très normés: un lieu = une fonction. Mais une chose semble unir ces espaces « délaissés » aux espaces ouverts que nous avons définis précédemment, c’est la présence du végétal. Ici, un végétal pionnier, « plus spontané » en reconquête d’un espace anthropisé dans un temps antérieur. Cette dynamique végétale permettrait d’envisager une évolution de l’espace, qui ouvre la voie à sa possible re-qualification et donc reconsidération. En effet, ces « délaissés », sont des espaces qui possèdent une biodiversité naissante, mais intéressante, au point de légitimer la nature en ville (Bailly, 2016). De plus, ils « constituent un territoire de refuge à la diversité ». (Clément, 2014).

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Par ailleurs, bien souvent situés au coeur de « la ville constituée et habitée », nous pourrions dire qu’ils sont intra-urbains et faisant partie d’un paysage urbain qui « agglomère ce qu’il abrite tout comme ce qui se déplace en lui » (Paquot, 2016). Au surplus, leur relation avec l’urbain est tout aussi importante puisque ces espaces sont synonymes de libertés individuelles et suscitent d’autant plus un intérêt pour les habitants qu’il sont perçus comme « non maîtrisé par la puissance publique » (Bailly, 2016). En ce sens, comprenons que ces espaces rejoignent de fait, les réflexions sur les espaces ouverts intra-urbains, mais qu’ils nécessitent de repenser leur mode de gouvernance (Banzo, 2009), puisque s’étendant à travers tout le territoire de la ville, « depuis ses formes habitées les plus denses jusqu’au cœur des activités agricoles de son arrière-pays » (Rosensthiel, 2017)

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1.3.

Des espaces ouverts intra-urbains à la gouvernance territoriale 1.3.1. L’ouverture au public des espaces ouverts intra-urbains: l’apparition de la notion de « publicisation »

Le processus de métropolisation d’un territoire n’est pas l’objet de cette recherche toutefois, les éléments que nous avons apportés dans l’introduction générale nous rappellent que ces établissements publics que sont les métropoles prennent à leur charge de nombreuses responsabilités, notamment celle qui vise à améliorer le cadre de vie des habitants de l’agglomération. Or depuis quelques années, les métropoles se veulent être « vertes ». Le choix de ce qualificatif pourrait être en lien avec une vision plutôt réductrice du monde végétal, et plus largement de la nature, qui a pu se construire progressivement au fil des siècles au sein du langage des faiseurs de villes car: « L’idée de nature réduite à la fonction simple d’antidote au chaos social et urbain est très vite assignée dans le langage de l’architecture à une couleur qui permet de signaler sa présence au sein du nouveau dispositif urbain. Le vert universel du tapis gazonné permet de recouvrir ces espaces comme un pinceau chargé de couleur recouvre la feuille de papier. » (Auricoste, 2003). Nous comprendrons que les métropoles « vertes » sont des établissements qui intègrent la notion de nature à leurs politiques de gestion des territoires. Aussi, il semblerait que ces métropoles associent l’idée de nature aux espaces ouverts intra-urbains, car elles observent une émergence de nouveaux rapport de notre société et donc de leur population, à la nature (Banzo, 2009). En effet, cette nature semble être convoitée par les habitants, comme un remède à une ville, longtemps pensée pour la machine et non pour l’Homme. Ils ressentent « […] le besoin d'établir de nouveaux rapports avec la nature dans les espaces publics » (Auricostes, 2003). C’est devant ce constat que les métropoles lancent de grands projets urbains qui visent à améliorer le cadre de vie des habitants en leur proposant des espaces de nature au coeur de la ville étendue. Mais ce n’est pas sans passer par ce que Maïté Banzo appelle un processus de « publicisation », qui vise à étendre le domaine public, et qui envisage une ouverture de certains espaces ouverts intraurbains au public - faisant initialement partie du domaine privé ou étant tout simplement fermés au public. La publicisation lie les métropoles à ces nouveaux espaces en ce qu’elle les oblige à mettre en place des politiques pour leur préservation et pour la normalisation de leur accessibilité. En effet,

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« Elle répond au statut de bien commun qu’acquiert progressivement l’espace ouvert et pose la question en termes de gestion. La gestion de l’espace ouvert passe nécessairement par sa publicisation dont les principaux axes sont pour rappel : les politiques publiques, l’accessibilité, les liens sociaux, le débat public. » (Banzo, 2009) Aussi, il faut entendre en ces termes que la publicisation est un enjeu majeur dans la gestion du territoire métropolitain et plus particulièrement des espaces ouverts intra-urbains, car pour préserver leur qualité dans le temps et dans le projet urbain, il est nécessaire que leur gestion intègre un projet territorialisé (Banzo, 2009) afin d’associer les différents acteurs locaux à une gestion dynamique et adaptée au devenir de chaque espace. 1.3.2. La préservation des espaces ouverts intra-urbains et « processus de territorialisation » Si les espaces ouverts intra-urbains font partie des enjeux métropolitains, c’est parce qu’il semblerait qu’ils soient considérés comme des révélateurs des paysages des métropoles (Bailly, 2016) - qui associent un important complexe urbain/rural du fait de l’étendue du territoire. Cependant, la « reconnaissance » de la valeur et de la fonction de ces espaces dans le projet territorial ne paraît pas si évidente. Elle semble ne s’établir, le plus souvent, que lorsqu’il est question de rendre ces espaces accessibles au public (processus de publicisation) et de les préserver pour répondre à des objectifs écologiques. Mais cette préservation « induit nécessairement un processus de territorialisation de l’espace ouvert […] visant à produire l’effet géographique. » (Banzo, 2009). En effet, les gouvernances territoriales semblent avoir de plus en plus recourt à la « mise en parc » des espaces ouverts intra-urbains, qui constituent un ensemble au sein du territoire métropolitain. Le fait de caractériser ces ensembles d’espaces par l’entité du parc renforce l’idée d’une sectorisation du territoire et d’« une forte connotation environnementale et paysagère » (Banzo, 2009) ; mais cette notion semble être un « outil privilégié pour la préservation des espaces ouverts » (Banzo, 2009). « on voit là se dessiner la structure d’aménagement des espaces ouverts que l’on cherche à développer çà et là (figure 25). L’espace ouvert doit constituer un cadre paysager cohérent dans lequel on cherche à développer des activités respectant des normes de qualité paysagère et environnementale » (Banzo, 2009)

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En effet, en définissant des contours, les métropoles semblent intégrer à leur politique des sites souvent indéterminés dans le développement territorial. De cette façon, cette forme de mise en projet d’une partie du territoire implique de qualifier les espaces qui le composent et d’en définir une nécessaire politique de gestion. (Banzo, 2009)

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1.4.

Conclusion: Vers une gestion des espaces ouverts intra-urbains

Les villes contemporaines sont désormais diffuses, poreuses et forment de vastes territoires. Si, comme nous venons de le voir, les espaces ouverts intra-urbains font face à de nouvelles réalités sociétales et environnementales qui les propulsent désormais au coeur des nouveaux enjeux métropolitains, cette situation semble imposer à une gouvernance, devenue intercommunale, de mettre en oeuvre des politiques territoriales qui témoignent d’une vision commune. Pour appliquer ces politiques, les métropoles ont recours à des processus particuliers de territorialisation des espaces ouverts. Mais cela ne semble définir qu’un cadre, la mise en oeuvre de la politque de gestion des espaces ouverts passant par des pratiques et des actions in concreto. C’est dans ce contexte qu’intervient l’éco-pâturage, et qu’il rejoint les politiques publiques de gestions des espaces ouverts intra-urbains.

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2.

Les espaces ouverts intra-urbains sous le prisme de l’éco-pâturage

Dans ce second chapitre, nous allons observer les espaces ouverts intra-urbains sous le prisme de l’éco-pâturage au travers d’une approche à deux niveaux. La première est particulièrement basée sur l’analyse d’un corpus de documents qui va nous permettre d’entrevoir une approche à la fois sémantique et spécialiste de la pratique de gestion. La seconde, quant à elle, est plus particulièrement centrée sur l’étude des expériences d’éco-pâturage bordelaises. 2.1.

Faire le choix de l’éco-pâturage

Développons tout d’abord la notion de pâturage. D’un point de vue purement agricole et littéral, le pâturage représenterait « une surface fourragère destinée à une utilisation directe par les animaux pour leur alimentation » (Larousse agricole, 2002). Mais bien que désignant un espace, le pâturage serait avant tout une action qui sollicite les aptitudes de l’animal à se nourrir par lui-même, sur une surface définie comme étant apréciable d’un point de vue fourrager et nutritionnel. Le CNRTL nous invite même à ajouter une notion de temps à cette définition. En effet, il précise que le pâturage peut être permanent ou saisonnier, ce qui nous renvoie à la question de la qualité du fourrage, intimement associée à la composition floristique et au cycle végétatif. Rémi Janin, auteur de La ville agricole, nous propose « quant à lui » une autre version du pâturage urbain, qui nous intéresse particulièrement en ce qu’elle associe la pratique définie précédemment, au contexte dans lequel nous nous plaçons dans cette étude, à savoir, le territoire de la ville. Sa description découle de l’expérience qu’il s’est forgée dans ce domaine: « Le pâturage urbain est un principe général de valorisation des espaces enherbés qui le permettraient par la mise en place de troupeaux transhumants. » (Janin, 2013) Comme pour la définition littérale, l’auteur nous parle ici d’une valorisation d’espace mais qui ne serait principalement permise que par la transhumance du troupeau. Cette transhumance serait selon le Larousse agricole (2002) un « système d’élevage » qui utilise des ressources fourragères de différentes régions, en fonction du cycle végétatif. Il est intéressant de voir que cette définition apporte à son tour une nouvelle notion, celle de la mobilité et du déplacement. Cette mobilité ferait ainsi référence à l’éco-pastoralisme, correspondant à un procédé d’entretien des espaces naturels par l’action de pâture d’animaux ruminants, instauré par des mesures européennes en faveur de la protection de l’environnement. L’objectif de cette gestion écologique des milieux serait de préserver ou de restaurer ces derniers en y insérant des races d’animaux

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adaptées, contre une rémunération pour service rendu à la collectivité. Elle serait notamment fréquemment utilisée en milieu montagnard. Aussi, l’éco-pâturage serait en quelque sorte la conception moderne du procédé, car cette pratique partage le même objectif d’entretien écologique des milieux. La réelle différence avec l’éco-pastoralisme, résiderait dans le fait que l’écopâturage est devenue une pratique commercialisée de gestion d’espace. Ce serait le fait de la nouvelle conscience écologique. D’ailleurs, lorsque nous parlons d’éco-pâturage, l’adjonction du préfixe éco devant pâturage - à l’initiative du paysagiste Alain Divo - apporterait une réelle différence avec les objectifs du simple pâturage puisqu’il s’éloigne des principes d’élevage, pour se rapprocher du génie écologique. Cette terminologie serait de plus, issue de l’observation des travaux de Thierry Lecomte et Christine Le Neveu, qui ont développé la pratique dans les années 70, dans l’intention de faire de la restauration de milieux dans le marais Vernier, alors en train de se dégrader écologiquement et paysagèrement (Frileux, 2018). Le fait du pâturage devient, de cette manière et par ces intentions, un « outil de gestion capable à la fois de vivre d’un écosystème et de le faire vivre à son plus haut niveau de biodiversité » (T. Lecomte par Frileux, 2018). Il semblerait que ces raisons aient progressivement propulsé l’éco-pâturage dans les politiques publiques de gestion des territoires urbains. Le Grenelle de l’environnement pourrait bien avoir impulsé la mise en place de cette pratique de gestion, car il a imposé aux collectivités de limiter le recours à l’utilisation des machines pour l’entretien des espaces verts des villes. L’animal est alors vu comme un animal tondeur (Frileux, 2018), et les institutions lui accordent le rôle d’un substitut à la machine. De plus, cette pratique serait largement considérée comme une solution « suffisamment adaptable » pour gérer les espaces ouverts car il serait sousentendu que l’animal possède des capacités d’adaptation suffisante pour avoir des interactions acceptables avec le contexte urbain. Si cette approche littérale et spécialiste de la pratique nous permet d’en dessiner les contours, il n’en est pas moins que « le débat n’est pas uniquement sémantique, il renvoie à des compétences, des pratiques, des techniques, des ressources, un ra p p o r t a u f o n c i e r, vo i r e à l ’ a n i m a l , ra d i c a l e m e n t différents.» (Bories O. et al., 2016). Cette remarque nous montre en quoi faire le choix de cette pratique, demande d’ouvrir des réflexions qui dépassent le simple champ technique, car il est question d’intégration du vivant (Frileux, 2018) dans un contexte urbain qui n’a pas systématiquement été pensé pour.

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2.2.

Etude des expériences d’éco-pâturage bordelaises 2.2.1. Recueillir et analyser le discours des acteurs de l’écopâturage

Comme énoncé en introduction générale, nous nous sommes attachés à observer la manière dont sont appréhendés les espaces ouverts à l’échelle du territoire et au travers de la mise en place d’une pratique d’éco-pâturage. Nous l’avons fait directement auprès de projets de gestion locaux, et plus particulièrement au sein du territoire de Bordeaux métropole, en Gironde. C’est au travers d’une expérience personnelle que nous avons connu le premier cas d’éco-pâturage, sur la commune de Villenave d’Ornon, il y a quelques années. Le second a été quant à lui porté à notre connaissance plus tard, durant notre cursus universitaire. En effet, nous avions assisté à une conférence pour la présentation de la thèse de Benjamin Chambelland, nous détaillant l’intention de mettre en place de l’éco-pâturage dans le plan de gestion du Parc de Coteaux, qui s’étend sur les communes de Bassens, Cenon, Lormont et Floirac. Si nous avons choisi ces expériences d’éco-pâturage, c’est parce qu’elles répondaient à un certain nombre de critères issus de la problématisation de notre sujet. En effet, le premier critère concernait l’espace. Nous souhaitions qu’il soit « ouvert » et faisant pleinement parti d’un contexte urbain dynamique. Le second critère était quant à lui orienté vers la recherche d’expériences qui soient à l’initiative ou en rapport direct avec une collectivité. Pour mener à bien cette analyse, il nous est apparu utile de mener des enquêtes comme point de départ, pour compulser de la donnée et constituer un corpus de matériaux d’étude. Pour cela, nous nous sommes attachés à créer les conditions de différentes rencontres, avec les acteurs des différents projets de gestion. Ces entrevues avaient pour objet de recueillir leurs témoignages, lors d’entretien semi-directifs. Aussi, elles nous permettent d’apprécier le rapport qu’entretiennent les institutions avec les espaces ouverts en projet, et le processus auquel elles ont recours pour mettre en place cette pratique de gestion. Un questionnaire, présenté en annexe, a donc fait office de guide lors de ces entrevues. Il est volontairement développé, dans le sens où il traite de nombreux sujets, car nous souhaitions relever un maximum d’éléments dans le discours des interviewés. Aussi, il permet d’appréhender l’entretien en 5 temps, fonction des 5 catégories de questions : - Les éléments de base du projet, relatifs au contexte dans lequel est né les réflexions sur la gestion des espaces,

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- La démarche et posture choisie, relatives aux choix qui ont impulsé la mise en place de l’éco-pâturage, - Les contraintes, relatives aux obstacles et paramètres qui ont été pris en compte dans le processus de projet, - Les finalités, relatives aux objectifs fixés, - Les retours d’expériences. Une fois compilées, nous avons étudié les données récoltées, à travers une grille d’analyse. Elle nous permet de classer les discours dans ce que nous appelons des « noeuds », qui sont des catégories thématiques. On y retrouve notamment : - Le rapport aux espaces ouverts en projet, - Le processus de projet choisi, - Le rapport au contexte urbain. Nous avons mis en place cette méthodologie dans le but de faire ressortir, soit des tendances ou des propos communs, soit des divergences et des spécificités pour les deux cas étudiés. Enfin, il est utile de préciser que nous avons accordé une importance particulière au statut et à la place des interviewés dans les projets, car d’une part, il diffère d’une expérience à l’autre, et d’autre part, nous pensons qu’il peut avoir une incidence sur les discours tenus. 2.2.2. Le recueil des expériences d’éco-pâturage bordelaises : tour d’horizon des différents projets Le territoire bordelais est composé de nombreux espaces ouverts. Il est de surcroit composé d’un fort complexe urbain/rural, notamment du fait d’une urbanisation relativement diffuse et de la présence d’espaces agricoles et forestiers. De plus ce territoire est composé de plusieurs communes qui partagent, entre autre, un système d’échange et de transport et des politiques d’urbanisme intercommunales depuis la fin des années 1960. La gouvernance de ce grand territoire est désormais aux mains de Bordeaux Métropole. Cet acteur majeur du territoire - pour ne pas dire le plus important déploie de nombreuses politiques en faveur du logement et donc de l’urbanisation, mais oeuvre en parallèle à prendre en compte « la nature ». En témoigne le grand projet « 55000 ha pour la nature » qui vise entre autre, à « gérer le temps de la nature sur les friches et les espaces en mutations ». En effet, la métropole travaille de concert avec un cortège pluridisciplinaire pour requalifier les espaces ouverts, qui composent la métropole, dans le but d’envisager leur usage dans le fonctionnement du territoire, et plus particulièrement dans l’intention d’en rendre un certain nombre accessible au 29


public. Cette étendue du domaine public a suscité des réflexions sur une gestion adaptée aux différentes formes et caractéristiques d’espaces ouverts en présence. Ce territoire a hébergé durant de nombreuses années des pratiques de gestion de l’espace ouverts innovantes et alternatives, notamment depuis l’intégration des Agendas 21 dans les années 1990. Moins connues, car développées à petite échelle, ces mêmes pratiques entrent aujourd’hui dans les débats publics de gestion du territoire métropolitain et sont valorisées par des subventions. Cette incitation financière a pour objectif de multiplier les expérimentations et de les développer à plus grandes échelles. C’est dans ce contexte que se placent les expériences d’éco-pâturage que nous observons. 2.2.2.1.Le cas du Parc des Coteaux Le porteur de projet est Benjamin Chambelland, Paysagiste DLPG, mais l’initiative provient quant à elle de la métropole bordelaise et plus particulièrement des villes qui se trouvent sur la rive droite de la Garonne et sur lesquelles se trouve le parc, savoir, Bassens, Cenon, Floirac et Lormont. Ce projet est le résultat d’un vaste projet de revalorisation et de redynamisation de la rive droite lancé en 2001. Un processus d’études, d’expérimentation et de sensibilisation avait été lancé à cette occasion pour construire un partenariat entre les différentes villes dans le but de réaliser « une mise en parc » de plusieurs espaces s’étalant sur les coteaux qui surplombent la Garonne. Le projet de gestion des prairies fait partie des nombreux programmes d’expérimentation, parmi lesquels notamment, celui du Parc Lab’ et l’étude « La Sagesse des jardiniers », qui tentent de développer une stratégie commune et un plan de gestion de ce parc. Des prairies ont été identifiées au moyen d’une entrée naturaliste. Elles s’étendent sur environ 60ha pour une surface totale de parc d’environ 240ha. Ces prairies étaient toutes tondues régulièrement par les services techniques des communes avant le démarrage du projet. De plus, elles ne sont pas d’un seul tenant et sont soumises à la maîtrise publique car elles appartiennent au domaine public. Cette identification est entrée dans le cadre de la requalification des espaces ouverts du parc et a permis au programme d’élaboration du plan de gestion du Parc des Coteaux, d’échanger entre communes sur le devenir de ces espaces « mis en commun ». Depuis notre enquête, les prairies ont été classées au titre d’Espaces Naturels Sensibles (ENS) comme 60 autres hectares d’espaces boisées. Dans ce cas, la volonté est de préserver au maximum le cycle végétal de la flore spécifique en présence, à savoir jusqu’au mois de Juillet voire Août/Septembre. L’éco-pâturage est dans cette situation, un outils d’entretien considéré comme cohérent et adapté d’autant que des subventions allouées à la gestion des ENS sont intéressantes.

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Au Parc des Coteaux, le projet n’a pas été encore réalisé. Au moment de l’enquête, le paysagiste en charge ce projet était en train de définir les modalités et le cadre que la pratique interroge sur le site. Le souhait principal étant que le projet de pâturage prenne place de façon pérenne, mais non permanente. En effet, nous avons vu que pour des questions écologiques, la pratique ne peut intervenir qu’à une certaine période de l’année pour préserver la flore. Néanmoins, la création d’une structure qui serait autonome économiquement était envisagée, ce qui impliquerait d’inclure dans le projet des espaces hors du parc, et sur lesquels mettre les moutons le reste de l’année. Cette possibilité serait l’occasion de créer des partenariats avec des structures privées, favorisant le lien entre public et privé. Pour réfléchir à ce modèle économique, un comité de réflexion a fait intervenir la Chambre d’Agriculture en tant que conseil et soutien technique, sur la création d’une structure agricole dans le parc. Après études et concertations, il s’avère que cette institution a émis un avis négatif sur la viabilité du projet. Pour rechercher d’autres modèles et poursuivre sur ce point, un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) a été élaboré. Il a pour objectif de donner à un porteur de projet, la possibilité de proposer un modèle d’activité correspondant aux objectifs de gestion des prairies du parc. L’AMI donne le loyer, le cadre juridique, qualifie les surfaces à gérer par leur nature et définit les contours de ce qui est à disposition sur place comme l’eau et l’électricité. Depuis l’entretien, un partenariat avec le Conservatoire de Races d’Aquitaine a été mis en place. Un troupeau sera alors prêté par l’un des éleveurs adhérents dans un premier temps. Pour l’heure toutefois, les porteurs du projet d’écopâturage recherchent un berger capable de gérer en autonomie le troupeau. Par ailleurs, la morphologie et les usages des différents sites imposent le déploiement de la pratique selon des procédés bien précis, comme une surveillance permanente du troupeau par le berger recherché, ou bien des dispositifs de clôtures semi-permanentes, pour ne pas cloisonner le site et lui faire perdre son caractère ouvert, ce qui est considéré comme une grande qualité dans le contexte urbain. Aussi, les parcelles de prairies à pâturer sont distantes les unes des autres. Cette contrainte géographique impose à son tour une réflexion sur les moyens à déployer pour la mobilité, qui devra nécessairement emprunter ou couper des axes routiers lors des déplacements. Une transhumance de parc en parc est envisagée pour la période d'Avril à Octobre. Pour les six mois restant, le troupeau sera parqué dans deux/trois parcs clos avec une rotation entre eux. L'intention est d'utiliser le moins possible de bétaillère. Devenu espace public par le processus de « mise en parc » et de requalification des espaces ouverts en présence, le parc connaît un développement important de pratiques de loisirs et de promenades. Ces espaces sont entièrement ouverts au sens littéral du terme, et les usagers y circulent librement. Le paysagiste précise sur ce point, que c’est même un site dans lequel les chiens sont « 31


promenés » en liberté. Il ajoute aussi que c’est d’ailleurs ici que les difficultés peuvent se cristalliser, car si l’interaction avec les habitants ne semble pas véritablement être problématique, celle avec les animaux de compagnie peut en revanche l’être davantage. Cette cohabitation fera peut-être l’objet d’une réglementation, pour éviter les confrontations entre usages et usagers. 2.2.2.2.Le cas de Villenave d’Ornon A Villenave d’Ornon, le projet est porté par les services de la mairie et découle d’objectifs fixés dans le cadre du développement durable et plus particulièrement de l’Agenda 21. A partir de 2006, la mairie a fait l’acquisition de terrains classés au titre des Espaces Naturels Sensibles, volontairement classés comme tels lors de l’élaboration du Plan Local d’Urbanisme. La commune possède en effet de nombreux espaces de ce type sur son territoire. Son souhait ici, était de protéger ces terres anciennement agricoles, après la cessation d’activité de l’exploitant en place. En effet, la déprise agricole aux portes de la ville avait déjà, elle aussi, suscité une indignation des locaux, les agriculteurs ayant toujours été des acteurs fondamentaux dans la vie du territoire. Par la reprise de ces terrains classés, la commune souhaitait conserver et valoriser des milieux humides, riches en biodiversité. Cette richesse n’est pas seulement écologique car elle relève aussi du domaine du paysage. Elle était, dès le début du projet, considérée comme participant à l’amélioration du cadre de vie des habitants. Le Maire et les services de la mairie, très sensibles aux questions écologiques et agricoles, ont alors développé ensemble un plan de gestion et de conservation de ces espaces. Plus tard en 2009, la création du premier Agenda 21 (2009-2015) a poussé les réflexions sur le rapport en espaces naturels, agriculture et ville. Parmi les divers axes qui répondent à une seule et même stratégie de développement durable, on retrouve celui qui visait à créer une ferme d’élevage pour la promotion des produits locaux mais également pour la gestion des espaces naturels que possède la commune. Les parcelles mise en projet, étaient autrefois des parcelles agricoles appartenant à des agriculteurs de la commune. Quelques temps après l’arrêt des activités, notamment d’élevage, des parcelles ont été mises en vente. La commune s’est saisie de l’occasion pour préempter ces terres, dans l’objectif de préserver ces paysages agricoles singuliers aux portes de la ville. Ces parcelles ne sont pas toutes situées sur un même site. Le site de la ferme de Baugé, correspond à une surface de 24ha, l’ancien domaine du château de Baugé. Il est cloisonné par des infrastructures routières et des quartiers d’habitations. Sur le site de la vallée de l’Eau Blanche, la surface représente au total 32ha, dont 22% de prairies. L’identification de celles-ci a été faite au travers un zonage 32


correspondant à une hybridation entre le parcellaire, les Espaces Naturels Sensibles et le périmètre du site Natura 2000. Ces différents espaces de projet sont alors identifiés dès le départ comme des réservoirs de biodiversité, des milieux humides fragiles et des surfaces participant à l’amélioration du cadre de vie des habitants. Les espaces naturels de Villenave d’Ornon étaient, comme nous l’avons vu précédemment, des parcelles utilisées autrefois pour l’élevage. Les contraintes imposées par le milieu - zone humide, et la réglementation relative à Natura 2000 - ont nécessité de réfléchir à un entretien de l’espace relativement doux et correspondant à un cahier des charges très précis. La fauche mécanique a été une des options choisies, mais elle ne pouvait pas correspondre à l’ensemble du site. Le pâturage est alors apparu comme un outil d’entretien relativement adapté au milieu, car extensif, sans toutefois être permanent, puisque la réglementation impose une mise en pâture tardive (comme pour la fauche mécanique). Cela correspond en effet à une intention de préserver au maximum les cycles de croissance et de floraison des plantes typiques de ces milieux. Par ailleurs, l’éco-pâturage était un moyen pour la commune de promouvoir l’agriculture, sur un territoire qui compte environ 11,22% de surface agricole mais en grande partie consacrée à la viticulture. Après avoir identifié les parcelles et le modèle de gestion adapté, la commune s’est attachée à trouver un moyen pour la réalisation du projet. Pour les parcelles de la vallée de l’Eau Blanche, la ville s’est tournée vers le Conservatoire des Races d’Aquitaine pour développer un partenariat. Ce dernier avait non seulement pour objectif de mettre à disposition les terrains à un éleveur, mais aussi que les animaux soient mis à disposition de la commune. C’est ici un échange, un partage à la fois de pâtures et du cheptel. Par ailleurs, dans un même temps, ce partenariat a permis à la commune d’entrer en relation avec des agriculteurs et donc de poursuivre une politique de valorisation de l’agriculture pour la gestion du territoire. A la ferme de Baugé, c’est un peu différent. Arrivé plus tard, ce projet n’avait pas seulement pour objectif l’entretien d’espaces naturels mais bien de créer une activité agricole au moyen d’une exploitation urbaine à but productif. Pour cela, la commune a créé cette structure et l’a mise à disposition d’un agriculteur grâce à une convention et un contrat moral pour la tenue de cette activité. Ces deux projets recherchent aussi à sensibiliser le public aux pratiques de gestion et d’élevage misent en avant par la commune. Divers évènements et une communication empreinte de pédagogie ont été développés autour cette intention. D’une part, chaque année, une transhumance urbaine est effectuée sur neuf kilomètres à travers la ville. Elle se présente comme une vitrine sur les actions que mène la ville dans ce domaine. Elle a d’ailleurs beaucoup de succès, comme en témoignent l’implication et la présence croissante des habitants. 33


D’autre part, la ferme de Baugé sensibilise le public, mais sur des sujets cette fois-ci plus orientés vers l’agriculture et les circuits courts. A Villenave d’Ornon, et plus particulièrement dans la vallée de l’Eau Blanche, les parcelles pâturées sont encadrées et cloisonnées par un système bocagers issu des pratiques anciennes du site et par un système de clôtures, type grillage à moutons, mises en place par la commune. Le troupeau est alors mis en pâture dans les parcelles, sans qu’un berger ait la nécessité de rester sur le site en permanence. Si l’éleveur propriétaire du troupeau vient réaliser des contrôles régulièrement, la permanence est assurée par un agent de la ville, qui contrôle et qui vérifie qu’il n’y ait pas de manque d’eau ou encore des problèmes sanitaire sur le troupeau. En revanche, à la ferme de Baugé située au cœur d’un quartier d’habitation, la présence des éleveurs doit être permanente sur le site, qui reste ouvert au public. La grande fréquentation de la ferme, notamment pour la vente directe de fromage, a impliqué la mise en place de dispositifs de sécurisation du site mais également des animaux. 2.2.3. L’analyse des expériences d’éco-pâturage bordelaises, entre émergence de tendances et de divergences Les différents cas étudiés font l’objet de similarités tout comme de disparités. La grille d’analyses des discours nous permet d’en faire état. 2.2.3.1.Le rapport à l’espace ouvert Dans les différents cas étudiés, c’est l’entrée naturaliste - par laquelle les espaces concernés ont été observés - qui a donné le ton et les orientations de gestion à engager. En effet, le classement des parcelles au titre d’ENS, semble avoir une influence particulière, notamment par la présence de certaines espèces végétales protégées. Leur pérennité et leur préservation impliquent en particulier de préférer un mode de gestion extensif et « doux ». Par ailleurs, si les différentes parcelles mises en projet dans les deux cas sont définies comme des prairies, elles ne font toutefois pas partie des mêmes catégories d’espace ouvert. D’une part, les prairies du Parc des Coteaux font partie - pour un grand nombre de parcs et jardins et sont à ce titre fréquentés par les habitants des communes. D’autre part, du côté de Villenave d’Ornon, les parcelles sont bien propriété de la ville, mais - au moment de l’enquête - elles ne font pas partie des espaces ouverts au public. Nous relevons que la commune - qui a fortement été affectée par la déprise agricole - considère ces prairies comme des espaces agricoles. Car, les bocages qu’elles constituent, sont reconnus comme associés à une activité d’élevage, qui a notamment constitué les milieux - désormais protégés de boisements humides, de prairies et de marais. Aussi, ces parcelles sont

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observées sous une approche agronomique. En d’autres termes, dans la mesure où elles sont pâturées par un troupeau - venant d’un élevage extérieur et dans lequel les rations sont associées à des périodes de gestation - les parcelles doivent être en capacité de proposer, une qualité et une quantité de fourrage adaptées. Enfin, les parcelles en projet ne sont pas toutes attenantes dans les deux cas d'étude. Si certaines se juxtaposent, d’autres sont relativement éloignées, distantes de quelques mètres à plusieurs kilomètres. Par contre, il est avéré que ces particularités génèrent des divergences sur l’organisation de la gestion. D’un côté, au Parc des Coteaux, les parcelles intègrent un seul et même projet de gestion, tandis qu’une subtilité apparaît dans le projet de Villenave d’Ornon. Les parcelles de la ferme de Baugé sont pâturées par le troupeau en place sur le site, alors que dans la Vallée de l’Eau Blanche, les parcelles sont pâturées par un troupeau issu d’un partenariat passé avec un éleveur extérieur. 2.2.3.2.Le processus de projet choisi La mise en place de la pratique questionne en premier lieu les politiques publiques, qui apparaissent comme étant au coeur des processus de projet. Tout d’abord, les deux projets d’éco-pâturage visent avant tout, à gérer des espaces naturels classés, malgré le fait qu’ils n’aient pas été initiés à la même période. Ce classement apparait comme étant une étape nécessaire à la préservation de ces milieux, dans la mesure où il participe à l’évolution de leur statut sur les documents d’urbanisme. De plus, ce classement permet aux collectivités de faire des demandes de subventions qui contribuent à la mise en place de la gestion de ces espaces. Cette aide financière est en particulier débloquée si les collectivités respectent les règles - imposées par la règlementation associée au classement - et tiennent les objectifs de conservation fixés. Par ailleurs, l’éco-pâturage apparaît sur le Parc des Coteaux dans le cadre de l’élaboration d’un cahier des charges intercommunal qui vise à définir des politiques de gestion communes à l’ensemble des collectivités faisant partie de l’enceinte du parc. A Villenave d’Ornon, le projet de gestion est quant à lui issu de l’élaboration d’un Agenda 21. Aussi, le processus de projet questionne les éléments touchant au modèle qui structure la pratique. En effet, bien qu’il y ait eu des volontés initiales de créer un système d’élevage autonome dans les deux cas d’étude, on constate que les efforts se sont rapidement redirigées vers un système de partenariat. Ce dernier semble être choisi principalement en ce qu’il est plus rapide à mettre en place. Cette forme de collaboration entre les collectivités et les éleveurs se matérialise par des conventions qui visent à mettre à disposition de l’éleveur, les parcelles à gérer, et à disposition de la collectivité, le troupeau. Cependant, une fois le modèle choisi, le suivi du troupeau s’impose comme une autre sujétion. Il n’est pas envisagé de la même façon d’un cas à l’autre. 35


Sur le site de Villenave d’Ornon, les parcelles ont été clôturées de façon permanente, lorsqu’elles ne l’étaient pas au moment de l’achat des terres. Ainsi, le troupeau peut pâturer en autonomie quelques jours. Néanmoins, l’éleveur se rend chaque semaine sur le site pour effectuer un contrôle à la fois sanitaire du troupeau et agronomique afin d’évaluer l’état de la prairie. Ainsi, lorsque cela est nécessaire, il peut soigner les animaux et conduire les troupeaux vers de nouvelles prairies. Mais, ces opérations sont souvent épaulées par un agent de la mairie dédié au suivi du pâturage. La situation est en revanche différente sur le Parc des Coteaux. Un berger doit être employé par la collectivité afin de mener et de garder le troupeau sur toutes les parcelles à gérer. Car n’étant pas clôturées, ces parcelles ne permettent pas d’envisager une pâture autonome. 2.2.3.1.Le rapport au contexte urbain La mise en place d’une telle pratique dans un contexte urbain nécessite donc dans chaque projet, une certaine adaptation au contexte urbain. En effet, cette question a également été soulevée car il s’agit d’anticiper les interactions que peuvent avoir la pratique, et plus précisément, les animaux avec les différents usagers des espaces. Alors que le projet de pâturage de Villenave d’Ornon ne fait pas l’objet d’une forte exposition au contexte urbain, le projet de gestion du Parc des Coteaux lui, l’est d’avantage. En effet, comme nous le précisions précédemment, les parcelles à pâturer sont relativement éloignées les unes des autres et forment une sorte de discontinuité, générée par les réseaux de voiries et les quartiers d’habitations. Le berger aura donc à charge de réaliser un plan de pâture. Il a pour but de répartir les temps de pâture mais aussi de « connecter » les prairies entres elles, au moyen de transhumances ou d’un déplacement des animaux grâce à une bétaillère lorsque cela sera nécessaire. Aussi, d’une manière générale et dans les deux cas, la présence de l’animal dans le contexte urbain n’est pas envisagée comme un problème. Bien au contraire, les porteurs de projets considèrent que l’animal a des capacités d’adaptation et qu’il sera facilement accepté par les autres usagers des espaces pâturés. Cependant, des dispositifs de sensibilisation et de communication sont mis en place à différentes échelles afin de faire comprendre aux habitants le choix de cette pratique de gestion. A Villenave d’Ornon, la transhumance annuelle est organisée par la ville et reliant les deux sites éco-pâturés et propose aux habitants de participer et de prendre part à cet événement. Aussi et depuis notre enquête, la commune a organisé - en partenariat avec plusieurs communes et la métropole de Bordeaux - une grande « transhumance urbaine » sur plusieurs jour, afin de communiquer et faire connaître au public, les actions de gestion mise en place qui sont mises en place sur le territoire.

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Ces évènements suscitent une organisation importante en ce qu’ils se veulent être suffisamment singuliers pour être reconnus. De nombreux dispositifs ont donc dû être mis en place pour encadrer ces journées de transhumance et assurer une sécurité adaptée à une telle pratique car les interactions avec le contexte urbain sont importantes.

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3.

Discussions

Au regard des différents éléments que nous tirons de notre analyse d’entretien, nous remarquons que la mise en place d’un projet d’éco-pâturage nécessite le recours à différents processus, participant d’une vision singulière du territoire et plus particulièrement des espaces ouverts. 3.1.

vers un processus de requalification de l’espace ouvert?

Avant les différents projet d’éco-pâturage des espaces ouverts des communes observées, nous remarquons que les espaces ne faisaient pas l’objet d’une désignation facilitante, pour envisager leur préservation. En effet, à l’échelle du territoire communal, voire intercommunal, ces espaces étaient bien ouverts mais avant tout considérés comme des espaces résiduels et difficilement appréhendables. Leur caractère inconstructible, voire inondable en faisait néanmoins de potentiels espaces de « nature » qui pouvaient être valorisés dans un projet politique de ville durable. En effet, l’exemple du parc des Coteaux montre qu’un processus de territorialisation de l’espace ouvert (Banzo, 2009) à été mis en place, au moyen d’une « mise en parc » afin de participer à la requalification d’un vaste espace intra-urbain indéterminé. Si ce processus n’a pas été relevé dans le cas de Villenave d’Ornon, il n’en est pas moins que dans les deux cas d’étude, les espaces ouverts ont été mis à l’épreuve d’un regard naturaliste, pour de désigner des prairies. En effet, la valorisation de ces espaces est passée par une approche spécifique, permettant de faire exister des prairies au sein de différents contextes. Cette désignation des espaces s’est accompagnée d’une reconnaissance plus tardive, au titre des Espaces Naturels Sensibles, qui a des objectifs de préservation spécifique. Enfin, dans le cas de Villenave d’Ornon, les prairies on été reconnues au niveau européen, au titre des sites naturels ou semi-naturels Natura 2000. Par ailleurs, nous remarquons que si cette requalification a été nécessaire pour faire exister ces prairies dans les politiques de gestion territoriale, elle semble en revanche ne pas avoir été utile dans la perception que les porteurs de projet pouvaient avoir de ces espaces au départ. En effet, d’un côté, le projet d’éco-pâturage était porté par un paysagiste, et de l’autre, par une une employée des services municipaux impliquée dans les l’écopâturage au niveau régional, pour qui le regard était déjà orienté vers la lecture des spécificités intrinsèques des espaces en projet. Aussi, si cette requalification des espaces ouverts fait exister des valeurs écologiques, il semblerait qu’elle leur apporte également une valeur paysagère qui est largement valorisante et valorisable dans le projet de gestion territoriale. Enfin, au regard de ces observations, nous pourrions dire qu’il existerait une forme de processus de requalification des espaces ouverts qui peut conduire à privilégier le choix de l’éco-pâturage comme outil de gestion.

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3.2.

vers un processus de mise en réseau d’espaces ouverts intra-urbains pâturés?

Au regard de nos cas d’étude, nous remarquons que les projets de gestion d’espace ouvert s’étendent sur de nombreuses parcelles de taille et de forme différentes. Dans la mesure où l’éco-pâturage est envisagé, ces parcelles semblent passer d’un statut de prairie à celui de pâture, lorsqu’il s’agit d’envisager le plan de gestion. Nous pourrions dire de cette manière que les parcelles sont reliées par un plan de gestion et qui les connecte de façon immatérielle. De plus, géographiquement éloignées, ce plan de gestion impose d’avoir une vision générale et d’ensemble - à l’échelle du territoire - pour que l’éco-pâturage puisse se dérouler dans de bonnes conditions ; en particulier pour des raisons de mobilité du troupeau dans un contexte urbain. En effet, nous avons vu que pour des raisons écologiques, chaque cas d’étude prend en considération le respect des cycles végétatifs de chacune des prairies à gérer. Cela nécessite d’affiner le plan de gestion et d’envisager un plan de pâture ou un parcours, qui sont des formes de structuration de la pratique dans l’espace et dans le temps. En effet, le fonctionnement de l’éco-pâturage dans le temps et dans l’espace nécessite de reprendre des principes issus « […] des stratégies d’exploitation d’une ressource localisée en plusieurs endroits distants et/ou de façon diffuse » (Darly, 2014). Cette conception territoriale de l’ensemble des pâtures fait donc émerger des « entres » au sein desquels les troupeaux seront conduits au moyen d’une transhumance. Nous pourrions dire que ce déplacement génère une forme de connexion matérielle par les animaux eux-même. Dans ces deux observations, nous pourrions dire qu’un processus de mise en réseau des espaces ouverts apparaît au travers d’une connexion immatérielle et matérielle des différentes pâtures. Ainsi, cette mise en réseau par la gestion participerait à la construction d’une de perception territorialisée des espaces ouverts.

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Conclusion Les espaces ouverts intra-urbains semblent être au coeur des enjeux métropolitains car ils forment le support et la matière, essentiels à la construction d’une politique de gestion territoriale. Toutefois, la diversité des situations qu’ils génèrent, impose aux gouvernances territoriales d’inventer et d’expérimenter de nouvelles formes de gestion pour atteindre des objectifs écologiques et paysagers. Au regard des observations que nous pouvons tirer de notre étude de cas, nous pouvons dire que l’éco-pâturage est considéré comme un moyen d’action et comme un outil servant la mise en oeuvre de politiques publiques communales ou intercommunales. Il devient de cette façon, une forme de réponse concrète à la gestion et à la valorisation des espaces ouverts intra-urbains dans le projet territorial. Dans un premier temps, nous observons que si l’éco-pâturage répond aux objectifs d’une politique métropolitaine de gestion du territoire, ce sont les communes, à l’échelon inférieur, qui prennent à leur charge sa mise en place. Il n’existe cependant pas de méthodologie spécifique pour sa mise en oeuvre, mais il semblerait que le recours à un processus de requalification de l’espace ouvert soit préalablement nécessaire. Aussi, cette pratique nécessite d’adopter un langage qui lui est propre et d’envisager un certain nombre de modalités pour l’adapter et la faire évoluer dans un contexte urbain. Dans un deuxième temps, l’éco-pâturage crée volontairement ou non, de nouvelles formes d’espaces ouverts qui deviennent des pâtures, et qui associeraient la présence de l’animal à une forme d’attribut paysager. Par ailleurs, si ces différents espaces ouverts sont connectés de façon immatérielle au travers d’une gestion commune, ils le sont également, de façon plus matérielle, par le troupeau lui-même. En effet, un processus de mise en réseau des espaces ouverts pâturés intra-urbains semble être imposé par le respect de cycles végétatifs, et implique d’envisager le territoire des espaces pâturés comme un parcours. Toutefois, à la vue des expériences étudiées et des surfaces qu’elles couvrent sur le territoire métropolitain, nous ne pouvons pas dire qu’elles soient représentatives de la catégorie de gestion qu’elles représentent. En effet, l’aspect localisé et expérimental qui domine, rend ces pratiques anecdotiques à l’échelle d’un territoire métropolitain. Aussi, nous remarquons que les difficultés de mise en oeuvre de cette pratique dans un contexte urbain, enferme les actions menées dans une certaine forme de folklore et de précarité. On pense ici par exemple à la transhumance. Pour autant, nous ne pouvons pas déconstruire ces initiatives, car elles restent des formes de réponses, des pistes de réflexion, à développer, mais surtout à construire…

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Ces éléments nous permettent de dire que l’éco-pâturage des espaces ouverts intra-urbain participerait à la construction d’un paysage métropolitain pâturé. Toutefois pour aller plus loin, et afin d’évaluer les rapports qu’entretient l’écopâturage avec le territoire métropolitain, il serait intéressant d’envisager une poursuite des investigations entamées dans ce travail, en les étendant à l’ensemble du territoire métropolitain et en intégrant les espaces ouverts relevant du domaine privé. Egalement, un relevé des spécificités des lieux pâturés permettrait de faire émerger des catégories d’éléments qui ont une influence matérielle ou encore immatérielle sur le paysage, et de valider de manière totale, l’hypothèse d’un paysage métropolitain pâturé, construit avec l’éco-pâturage des espaces ouverts intra-urbains.

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Annexes



ANNEXE 1 : GUIDE D’ENTRETIEN Présentation du sujet de recherche et de la problématique. ELEMENTS DE BASE DU PROJET Pourriez vous nous faire un bref historique de ce projet ?
 Dans quel contexte ce projet est-il né ? Quelle est l’initiative qui a déclenchée l’intention de faire projet ? DEMARCHE ET POSTURE CHOISIE Quelle démarche avez-vous suivie pour sa réalisation ? Quels sont ses objectifs ? Pourquoi choisir le pâturage urbain ? Qu’en pensez vous ? Qu’apporte-t-il de plus? Comment identifie-t-on les espaces sur lesquels nous pouvons déployer cette pratique ? CONTRAINTES Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées pour la réalisation du projet? Avez vous fait face à des contraintes particulières ?
 Si les espaces mis en pâture ne sont géographiquement pas à proximité, comment pensez vous les mettre en relation ? FINALITES Ce projet a t il été mis en place ? A t il vu le jour ? Si oui, quels sont les impacts observés ? Sur les habitants ? Dans la dynamique de la ville ? Autre ?
 L’animal apporte t il quelque chose de supplémentaire ? Quel rapport avec les habitants ? Avec le contexte ? RETOURS D’EXPERIENCE En tant que représentant direct ou indirect d’une collectivité, que pensez vous apporter au travers d’une telle démarche ?
 Plus largement de quelle manière pensez vous que cette démarche s’intègre au projet urbain ?


ANNEXE 2 : Retranscription entretien 1, Gestion d’espaces naturels à Villenave d’Ornon (33).
 Entretien avec : Ville de Villenave d’Ornon (33), service développement durable. Matthias Morel, Responsable pôle développement durable, Isabelle Maillé, Responsable Zones Humides. Date : 27/11/2017
 Cadre entretien : entretien semi-directif, mairie de Villenave d’Ornon ELEMENTS DE BASE DU PROJET Le projet est né en 2007. Il a été impulsé par la Mairie de Villenave d’Ornon à l’occasion d’engagements en faveur du développement durable.
 La ville a fait jouer un droit de préemption qui lui a été cédé par le département, pour acquérir les parcelles classées au titre d’Espaces Naturels Sensibles (ENS) situé dans la vallée de l’Eau Blanche. Les parcelles acquises représentent 32ha soit environ 41% du site classé.
 L’intention initiale était de prendre en charge la gestion de ses espaces par les services techniques de la ville pour les préserver, et les faire devenir à terme, des espaces de promenades ouverts au public.
 Il s’agit d’espaces anciennement agricole situés au cœur de la ville et en périphérie.
 Le constat était alors que ces prairies faisaient face à une déprise agricole importante puisque l’exploitant qui était en place autrefois avait cessé son activité. Aussi, ces parcelles étaient au départ en cours de fermeture et d’embroussaillement. De plus, les terrains ne sont pas constructibles car soumis aux risques de crues. DEMARCHE ET POSTURE CHOISIE, CONTRAINTES Pour mener à bien cette gestion, la mairie à choisie de passer des contrats précaires avec des agriculteurs pour réaliser la fauche. Celle ci se faisait tardivement dans l’année car les contraintes du classement en ENS imposent une gestion particulière, fonction des floraisons des plantes. De plus elle a mis en place une gestion pastorale. Elle a mis en place un partenariat avec le Conservatoire des Races d’Aquitaine pour le prêt de moutons. Au départ le troupeau était constitué d’environ 500 moutons et 70 chèvres afin de nettoyer les parcelles.
 Les services de la mairie ont alors développé un plan de gestion extensif, adapté aux contraintes du milieu et aux exigences règlementaires. Ce plan de gestion défini un zonage de plusieurs parcelles et un système de rotation des pratiques d’entretien. L’éleveur qui prête ses bêtes, n’a pas de contrainte de surveillance car les prairies ont été clôturées par la commune quand elles ne l’étaient pas. Son intervention se limite donc à un passage de temps en temps pour contrôler le


troupeau, les prairies ou bien pour transféré les animaux d’une parcelle à une autre.
 En parallèle, elle a développé une petite ferme urbaine, la ferme de Baugé, situé à proximité de prairies pour favoriser d’une part leur entretien et d’autre part, les circuits courts avec un objectif de production de viandes et de fromages. Elle a mis en place un bail rural environnemental de neuf ans, avec deux éleveurs pour développer l’activité d’élevage et une pédagogie autour de l’agriculture urbaine. Cette ferme a un fonctionnement autonome, la mairie ne s’en charge pas. FINALITES Ces deux projets de gestion d’espaces et d’agriculture urbaine ont été mis en place en plusieurs temps.
 L’impact sur les habitants est ressenti comme positif, car ces derniers participent largement aux transhumances urbaines qui sont effectuées chaque année. Les transhumances urbaines parcourent la ville entre le site de la ferme urbaine et les prairies de la zone classée. Cet évènement est folklorique et symbolique, mais le nombre de participants est croissant chaque année ce qui a encouragé la ville à développer cette promotion, au travers d’une transhumance qui a relié Blanquefort à Villenave d’Ornon en passant par le coeur de la métropole Bordeaux.
 En revanche, le bilan de la ferme urbaine est plus mitigé. Bien que la production issue de l’élevage fonctionne, les engagements quand à la sensibilisation et à la gestion complémentaire des espaces naturels ne sont pas respectés, chose qui détache la ferme urbaine du projet de la ville. RETOURS D’EXPERIENCE Le bilan qui peut être effectué est que l’animal interpelle non seulement par lui même mais aussi par ce qu’il apporte dans la ville. Il y a beaucoup de respect de la part des habitants envers eux, et les messages pédagogiques qua la mairie souhaite transmettre sont bien accueillis.
 La mairie fait aujourd’hui figure de modèle dans la métropole bordelaise car elle est la première des communes à avoir mis ce type de gestion en place. Les sollicitations viennent également d’entreprises privées intéressées par la démarche et des autres communes qui souhaitent mettre en place une gestion d’espace au moyen de l’éco-pâturage.


ANNEXE 3 : Retranscription entretien 2, Essais d’éco-pâturage pour une gestion pour le parc des Coteaux (33).
 Entretien avec : Benjamin Chambelland, Paysagiste DPLG, chargé de mission parc des Coteaux, Grand Projet des Villes Rive Droite Date : 20/12/2017
 Cadre entretien : entretien semi-directif, Bastide, Bordeaux (33). ELEMENTS DE BASE DU PROJET Parc des Coteaux représente actuellement 240ha maîtrisé par le projet car en domaine public. Il possède une surface potentielle de 400ha.
 Une étude a été lancée : « la sagesse des jardinier ». Elle a pour objectif d’aboutir à un plan de gestion intercommunal sur le parc de Coteaux. Il est apparu au travers d’une entrée naturaliste, que différents milieux étaient présents, notamment les surfaces en prairies (environ 60ha) Le souhait initial pour ces espaces naturels extensifs était de préserver ces prairies jusqu’au mois de Juillet voire Septembre au travers d’une démarche de gestion extensive, mais les services techniques des mairies n’étaient alors pas équipés pour cela.
 L’éco-pâturage est alors apparu comme un outil de gestion pour ces espaces intéressant. Cependant cette pratique soulève beaucoup de question notamment dans le modèle économique de la pratique et dans la maîtrise du foncier. Quelle nature des espaces sur les documents d’urbanisme, le PLU ? Le statut du parc des Coteaux sur le PLU, n’est pas constructible, espaces publics, mais les espaces de composant sont qualifiés d’espaces naturels. DEMARCHE ET POSTURE CHOISIE, CONTRAINTES Les premières questions qui sont apparues au sein du groupe de travail était le devenir de ces espaces. « doit-on les laisser en espaces naturels ou doit-on les faire évoluer vers des espaces agricoles ? ». Cela interroge les politiques publiques.
 Cependant la décision a été de ne pas changer ce statut car ce dernier suffit à mettre en place de l’éco-pâturage. La volonté est tout de même de faire évoluer ces espaces en Espaces Naturels Sensibles, reconnu par les départements. L’intérêt de cette démarche est d’élargir les financements potentiels pour la mise en place de la pratique d’entretien.
 Mr Chambelland soulève le fait qu’il n’existe aujourd’hui que très peu de financement alloués au projet d’agriculture urbaine. Bien que l’éco-pâturage soit considérée comme une pratique agricole et un projet d’agriculture urbaine, elle n’envisage pas ici d’en prendre la forme. Elle restera bien un outil pour la gestion des espaces naturels.
 Un comité de réflexion a été monté avec la Chambre d’agriculture de la Gironde, pour bénéficier d’un soutien technique car l’idée est de mettre en


place un projet qui soit économiquement viable. En effet, le constat qui est mené auprès des sociétés qui proposent de l’éco-pâturage, nécessite une rémunération et qui transposé dans le domaine public, signifie que la pratique est dépendante des finances publiques. Le principe est que le projet soit « autonomisé ». « Comment pourrait on avoir une personne et de surcroît un éleveur qui vive de cette pratique ? »
 Les propos de la Chambre d’Agriculture se sont vus très normés par des modèles ruraux, mais de nouvelle questions sont apparues comme le gardiennage du troupeau « où peut on construire un abri ? » En effet, le parc ne possède aucunes clôtures, il est accessible au public, donc il y a aussi les problèmes des chiens qui ne sont pas toujours tenus en laisse, « comment règlementer cela ou comment arriver à les faire cohabiter ? ». Pour la Chambre d’agriculture, les difficultés remarquées au lancement du projet, compromettent la mise en place de pratique. Par ailleurs la volonté de ne mettre en pâture les animaux qu’à la fin de l’été, diminue considérablement la qualité du fourrage est par conséquent la qualité de la viande.
 De fait, ils ont envisagé des solutions alternatives notamment de créer des partenariats, notamment avec des maisons de retraite pour faire du pâturage permanent le reste de l’année. L’éco-pâturage se verrait donc à la fois comme un outil de gestion des espaces naturels mais également d’espaces complémentaires. Ces derniers sont en train d’être identifiés et répertoriés. Cette démarche permettrait de créer un lien entre public et privé. En revanche, le risque que les espaces privés intéressent plus l’éleveur, car moins de contraintes que dans l’espace public, est réel. Il faudra que les objectifs soient très clairs dès le début pour que les conventions signées au lancement du projet ne soient pas abandonnées au bout de quelques temps. Sur un point de vue administratif,
 L’hypothèse est de mettre en place un Appel à Manifestation d’Intérêts
 Pour cela il faut : Etre en mesure de qualifier les surfaces, leur nature et la gestion que l’on veut y appliquer, Qualifier si c’est une mise à disposition ou une prestation puis lancement de l’AMI. Cet AMI défini les contours de ce qui est à disposition, eau, électricité, loyer, le cadre juridique. Ensuite des porteurs de projet se manifestent, pendant 4 à 6 mois ces porteurs de projet échange avec le groupe de travail qui joue non seulement le rôle médiateur mais aussi d’accompagnateur. Le groupe de travail de la gestion du parc des coteaux, envisage tout à fait l’hypothèse que les 60ha de prairie puissent être géré par plusieurs projets d’éco-pâturage qui seraient ainsi complémentaires.
 Ce procédé permet de laisser une marge de manœuvre dans le projet, notamment grâce aux diverses propositions qui peuvent apparaître. La question qui se pose est de quelle manière trouver une personne ou des personnes susceptibles d’être intéressé par ce type de projet qui relève de l’ordre de l’expérimentation et de l’engagement de faire de l’agriculture en ville. Aux vues de ce qui peut s’observer dans d’autres villes, les profils de personnes qui


proposent des projets comme ici dans le cadre de l’AMI, sont tout aussi bien des étudiants récemment diplômés en paysage que des anciens cadres qui souhaitent se reconvertir. Ce ne sont pas forcément des bergers ou des agriculteurs. Le cadre et le contexte nécessite une surveillance permanente, ce qui implique que l’éleveur soit sur place car la clôture du parc de façon permanente n’est pas envisageable dans l’esprit du de ce parc. Les dispositifs de contentions devront se limiter à des clôtures mobiles. Se pose à présent la question des débouchés, en effet, l’élevage pourrait éventuellement produire de la viande, notamment des agneaux. Cette denrée pourrait intégrer une filière de restauration collective. Comment valoriser l’écopâturage dans ces filières.
 La pollution de la ville sur les fourrages pâturés reste cependant une problématique dont les conséquences ne sont pas encore connues ni même les seuils d’acceptabilité. Mais des études de sols sont envisagées sur toutes les parcelles de prairies. Par exemple, les surfaces qui sont potentiellement pâturables comme les bords de rocade sont en exposition permanente à la pollution. Il est sur ces espaces plus difficile de dépolluer les sols que sur des espaces naturels. FINALITES, COMMUNICATION Ce projet n’a pas encore vu le jour car il est encore au stade du montage de dossier AMI. L’éco-pâturage est un projet de paysage car au départ c’est un outil de gestion des espaces naturels, un projet économique et un projet social et culturel.
 « C’est un outil formidable » L’objectif du groupe de projet est de répondre à un objectif fort, celui de l’amélioration de la cohésion sociale et de la communauté de gestion. Chaque action en découle.
 La communication autour de l’éco-pâturage est assez facile car elle est positive, tandis que l’arrêt de l’utilisation de glyphosate sur les trottoirs, renvoie à des images de délaissés, de saleté et suscitent une incompréhension auprès des riverains. Les changements de pratiques sont difficiles à faire accepter. RETOURS D’EXPERIENCE
 Auparavant, le paysagiste avait testé la mise en pâture de quelques moutons dans un parc sur des pelouses qui avaient pour habitude d’être tondue régulièrement. Il en était ressorti que la qualité fourragère n’était pas très bonne. Ainsi, le passage immédiat à de l’éco-pâturage n’est pas évident. Il faut laisser un temps. De plus, la fréquentation du parc s’était vue décuplée grâce à la présence des animaux.
 « L’animal est un vecteur social incroyable ! » Il suscite la curiosité.
 A partir d’un outil de gestion on peut déployer une multitude de choses qui associées, font projet de paysage. Ce n’est pas qu’une intervention sur la


spatialité. C’est bien plus ! Au contraire des sociétés qui proposent de l’écopâturage qui interviennent uniquement sur la spatialité.


Rédaction: Rémi Arcoutel Relecture: Léa Schembri, Thomas Mesa-Sparbe, Guillaume Bernard, Odile Arcoutel Typographie: Optima Normal, Italique, Gras, Gras Italique Imprimé en deux exemplaires dans le cadre duTravail Personnel d’Étude et de Recherche (TPER) de la formation Paysagiste DEP à l’Ecole Nationale Supérieur d’Architecture et de Paysage de Bordeaux Edité en Décembre 2018


LES ESPACES OUVERTS INTRA-URBAINS SOUS LE PRISME DE L’ÉCO-PÂTURAGE Rémi Arcoutel

Résumé Les villes contemporaines sont désormais diffuses, poreuses et forment de vastes territoires. Elles font face à de nouvelles réalités sociétales et environnementales qui imposent à une gouvernance, devenue intercommunale, de placer les espaces ouverts intra-urbains au coeur des nouveaux enjeux territoriaux. Ainsi, une volonté d’étendre le domaine public émerge. Mais la diversité des espaces accessibles, nécessite la mise en place de nouvelles formes de gestion. C’est dans ce contexte qu’intervient l’éco-pâturage, et qu’il rejoint les politiques publiques. En effet, cette pratique apparaît comme une solution d’entretient alternative, et adaptée à des objectifs tant écologiques que paysagers. Cependant, l’engouement assez récent des institutions pour cette pratique, mobilise de nouveaux champs de réflexions sur les réponses qu’elle leur apporte et interroge sur son rapport aux paysages métropolitains. Mots clés : espace ouvert, intra-urbain, gestion, éco-pâturage, gouvernance, territoire.

Abstract Contemporary cities are now diffuse, porous and are spacious territories. They face new societal and environmental realities that require governance, that has become inter-municipal, to place intra-urban open spaces in the middle of new territorial issues. However this is why the desire to expand public domain emerges. The diversity of accessible spaces requires the implementation of new forms of management. It is under these circumstances that eco-pasture intervenes and therefor joins public policies. Indeed, this practice appears to be an alternative way for the maintenance of these open-spaces which appears to be adapted to both ecological and landscape objectives. On one hand the recent popularity for this practice by the different institutions for this practice, mobilizes new fields of reflection on the answers they bring and on the other hand they raise questions about the relation to metropolitan landscapes. Mots clés : open space, intra-urban, management, eco-pasture, governance, territory.


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