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Partout, de tout temps

L’art de la peinture murale est pratiqué dans les Pays de la Loire dès la Préhistoire, puisque des hommes et des femmes ont débuté la longue histoire picturale de la région au Paléolithique supérieur. Leurs œuvres sont conservées depuis 25 000 ans BP (before present) dans des cavités situées dans un canyon creusé par la rivière Erve, appelé le site des Grottes de Saulges, dans la Mayenne. L’archéologie – avec des fouilles menées dans toute la région : de Guérande en Loire-Atlantique à Aubigné-Racan dans la Sarthe et de Lassay-les-Châteaux en Mayenne au Langon en Vendée – et l’histoire de l’art permettent d’affirmer que la peinture pariétale, murale ou monumentale, n’a jamais cessé de faire partie de la culture et de la pratique artistique des Ligériens et de leurs ancêtres.

Les conditions de conservation font que les périodes les plus reculées paraissent moins riches que les plus proches d’aujourd’hui ou la période actuelle. En effet, l’humidité du climat océanique est l’une des causes de la mauvaise conservation des peintures murales. Cependant les quelques vestiges observés ici et là témoignent que les parements extérieurs de monuments millénaires avaient parfois reçu des enduits ou des badigeons colorés organisés en motifs ornementaux ou figurés. Ainsi, deux ou trois chapiteaux de l’époque romane, installés à l’extrémité supérieure du chevet de Notre-Dame de Fontevraud, dans le Maine-et-Loire, conservent quelques fragments des badigeons jaune ou rouge qui les recouvraient il y a bientôt dix siècles. Ce phénomène de disparition n’empêche pas de comprendre que nos ancêtres, les plus lointains comme les plus proches, avaient potentiellement peint toutes les surfaces qui s’offraient à eux, tant en intérieur qu’à l’extérieur. Leurs gestes en tant que peintres, artistes ou artisans, créateurs ou imitateurs, ont constitué malgré d’innombrables pertes un patrimoine d’une abondance incroyable dont les spécialistes ne mesurent pas encore toute la richesse historique, iconographique, technique ou sociologique. En effet, la peinture murale, parfois œuvre sublime, parfois simple dessin coloré, reflète non seulement les évolutions du goût, des idées, du cadre de vie des sociétés qui ont précédé la nôtre, mais parle également de celle dans laquelle nous vivons.

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La peinture murale est omniprésente dans les Pays de la Loire. La prospection menée en 2010-2011 par le service régional du patrimoine dans les édifices ouverts au public, ainsi que dans les sites privés déjà répertoriés pour leurs décorations peintes par les professionnels du patrimoine, a permis de le constater. Il est ainsi démontré que quatre

Page précédente gauche — Colonne à chapiteau et départs de doubleau, d’ogives et de formerets séparant les troisième et quatrième travées, 3e quart du xiiie siècle. Avrillé (Maine-et-Loire), la Haye-aux-Bonshommes, prieurale Notre-Dame.

Page précédente droite — Le chanoine Muset, commanditaire de la restauration de l’église, représenté en donateur par Louis Renouard, 1871-1883. La Flèche (Sarthe), église Sainte-Colombe.

Les Élus au paradis, détail, fin du xiiie siècle. Ruillésur-Loir (Sarthe), église Saint-Pierre.

La restauration constitue une phase importante dans la vie de l’objet qu’est une peinture murale. Ainsi, les décors peints des siècles passés parviennent souvent jusqu’à nous dans un état très dégradé. Les altérations de leur aspect originel sont notamment dues aux salissures organiques, provenant de conditions climatologiques défavorables, ou minérales, à cause de recouvrements de chaux, plâtre, ciment, terre ou peinture. Elles peuvent aussi être dues aux dégradations causées par l’homme volontairement, tels les grattages de visages, ou involontairement, comme le piquetage de la peinture pour mieux faire tenir les couches servant de support à un nouveau décor. Les peintures murales sont alors retrouvées usées, décolorées et le plus souvent très lacunaires tant au niveau de l’enduit que de la couche picturale. Les conservateurs-restaurateurs sont des professionnels diplômés rompus à la chimie et à la physique des matériaux, mais aussi à la pratique artistique. Leur mission est de conserver l’objet peinture murale avant de le présenter au mieux à l’admiration du public. Au cours d’un chantier de restauration, ces spécialistes manient plus souvent la truelle et la seringue d’injection que le pinceau. Ce dernier outil doit être utilisé avec beaucoup de délicatesse sous peine de dénaturer l’œuvre originelle. Ils jouent aussi parfois de la scie en cas de dépose, nécessitée par la destruction du support ou de l’édifice. Les beautés de cet art de la couleur qu’est la peinture murale seraient moins évidentes sans leur intervention.

Unravel, peinte par Matt Adnate, artiste originaire du Cap, 2018. Commande du festival Les Escales. Saint-Nazaire (LoireAtlantique), immeuble rue Henri-Gautier.

La peinture murale porte en elle la capacité de toucher l’être humain à plusieurs niveaux de manière simultanée. Elle expose à la fois des images qui racontent des histoires et un programme iconographique qui énonce des idées. Dans le même temps, cet art place le visiteur dans le registre de l’émotion et dans celui de l’intelligence.

Dépose

La peinture murale fait par définition partie intégrante du mur, mais elle peut en devenir indépendante grâce à une opération appelée dépose. Deux techniques sont utilisées pour réaliser cette dernière. Le strappo, d’un mot italien signifiant « arracher », permet de détacher la couche picturale seule de l’enduit grâce à son collage sur un tissu, alors que le stacco enlève aussi une partie du support. L’une et l’autre méthodes fragilisent l’œuvre et ne sont exécutées qu’en dernier recours. Ainsi, le musée national d’Art catalan de Barcelone conserve depuis le début du xxe siècle de nombreuses peintures murales originales qui ont été déposées pour éviter leur vente à des musées ou des collectionneurs étrangers. En France, on n’a plus recours à cette pratique que dans les cas de destruction du support. La dernière en date dans les Pays de la Loire a sauvé la fresque de Pierre Bouchaud peinte dans la maison d’arrêt de Nantes, démolie en 2018. Il est prévu qu’elle soit présentée dans l’ensemble immobilier construit au même emplacement.

La Chasse de saint Gilles peinte vers 1170 a été déposée lors de la destruction du prieuré Saint-Laurent, puis reposée dans l’église paroissiale du xixe siècle. Le Loroux-Bottereau (Loire-Atlantique), église Saint-Jean-Baptiste.

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