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La france de La désobéissance

Elles m’ont répondu “oui”. Sans hésiter », se souvient Jean-Baptiste Libouban, sosie de l’abbé Pierre ! Quand on le croise pour la première fois, c’est ce qui saute aux yeux : même barbe blanche, même regard pétillant et un grand pull campagnard à la place de la soutane.

Inconnu du grand public, cet octogénaire énergique est le vrai inspirateur du plus médiatisé des mouvements de désobéissance civile : les Faucheurs volontaires. Souvent associés à José Bové, ces destructeurs de champs de maïs OGM ont, en réalité, trouvé leur inspiration dans la tête d’un vieil homme qui vivait depuis longtemps retiré dans une communauté du Larzac.

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Confronté à un « monde qui joue à l’apprenti sorcier » et à un irrépressible sentiment d’impuissance, Jean-Baptiste Libouban s’est dit, un beau matin, qu’il n’y avait plus de choix : il fallait maintenant détruire en groupe et ouvertement ces cultures jugées nocives, il fallait prendre le risque d’arracher les plants de maïs OGM pour empêcher à tout prix la contamination. Et donc, désobéir à la loi.

Il en a, bien sûr, parlé à son « ami José ». Avec quelques proches, tous deux ont profité d’un grand rassemblement en 2003 dans le Larzac pour « ouvrir le bureau d’embauche ». Grosse déception : « On pensait susciter l’enthousiasme, sauf qu’au départ, on n’était pas si nombreux. » Les deux compères ont persévéré : « Dès l’année suivante, nous étions plus de 1 000 ! Aujourd’hui, nous sommes 6 700 Faucheurs volontaires en France. »

Une élégante jeune retraitée

Tous comme les autres Désobéissants, JeanBaptiste Libouban n’a jamais oublié sa « première fois » : « C’était comme une grande messe ! Nous avancions sans hésiter, arrachant de nos mains les plants de maïs. A chacun sa rangée. Et à la fin, au milieu des tournesols, sous un ciel bleu intense, on les a vus apparaître, les képis ! On a continué avec encore plus de détermination. On avançait vers eux, résolument, dans un silence solennel. Un grand moment », soufflet-il, les yeux plissés.

Quelques secondes durant, Jean-Baptiste semble s’être abstrait du monde réel. Disparue cette salle des fêtes de Mainvilliers dans la périphérie de Chartres où il se trouve. Oublié ce décor rose saumon aux lumières trop fortes… Une centaine de Faucheurs venus des quatre coins de France sont là, réunis autour de quelques quiches maison accompagnées de gobelets de cidre. Assis à l’entrée, sous le poster du prochain « dîner dansant de Jacques Besset, accordéoniste », Dominique s’arrache les cheveux : il est chargé de loger tout le monde. Les Faucheurs ne vont jamais à l’hôtel mais sont accueillis chez des sympathisants unis par la solidarité invisible du « réseau ».

« Très impliquée auprès des sans-papiers », Jacqueline en est. Cette élégante jeune retraitée se propose d’accueillir ce soir sept Faucheurs dans sa grande maison du centre de Chartres. « Si tu ne ronfles pas trop, tu peux dormir avec moi dans le bureau, il y a encore un matelas disponible. Mais tu es bien sûr que tu ne ronfles pas ? » demande une grande tige en jogging à un quinquagénaire débonnaire en panne de lit.

Comme tous les adeptes de la désobéissance civile, les Faucheurs disposent de soutiens partout. Reliés entre eux par le « réseau », ces complices anonymes et discrets dessinent le visage d’une France étonnante et invisible entrée en dissidence au risque de se placer hors-la-loi. Dans ce pays-là, les combats des uns sont le combat de tous. Comme ici à Chartres : si les Faucheurs y sont réunis, c’est d’abord en raison du procès fixé au lendemain.

Les confrontations avec la justice jalonnent l’histoire du mouvement. Il y eut « les trois de Saint-Georges », les « neuf de Guyancourt »… Il y a maintenant les « cinquante-huit de Poinville ». Tous Faucheurs, ils ont été arrêtés en août dernier lors de la destruction sauvage d’un champ d’essai OGM à Poinville (Eure-et-Loir). Ils comparaissent au tribunal de grande instance de Chartres. Leur avocat ? Un certain Maître Roux, bien sûr.

Arrivé en ville il y a peu, il sirote une tasse de thé au Grand-Monarque, un hôtel tout en dorures planté sur la place des Epars à Chartres. L’homme aime les défis. Il a assuré la défense de Zacarias Moussaoui, ce Français inculpé dans les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, celle de Rwandais accusés de génocide. La veille de son arrivée, il était encore au Cambodge, préparant la défense de « Douch », de son vrai nom Kang Kek Ieu, qui dirigea pour les Khmers rouges le centre de détention S-21.

Patchwork « made in France »

Pour Maître François Roux, les choses sont claires : « Face à une loi injuste, il existe des révoltes légitimes et les tribunaux doivent les reconnaître comme telles. » Un « état de nécessité » auquel il a consacré un livre et de nombreux articles. « Les intermittents font de la désobéissance civile sans le savoir, sans la conceptualiser. Les Faucheurs volontaires, c’est différent. Ils sont très engagés et défient la loi en connaissance de cause », explique-t-il. Et les militants anti-avortement qui s’enchaînent aux grilles des cliniques ? Les sympathisants de la cause animale qui « libèrent » les lapins enfermés dans les

Dominique s’arrache

labos ? Sont-ils, eux aussi, en « état de nécessité » ? L’avocat hésite : « Ces mouvements-là s’en prennent à l’intégrité physique ou utilisent la violence, c’est différent ». Concède : « Je sais bien, c’est une réponse partielle ». Conclut : « En réalité, désobéir n’est pas tellement dans la culture française. Mais certaines époques suscitent plus de révoltes. »

Apparemment, nous y serions. Cinquante-huit prévenus ! Soit quatre pleines rangées dans la grande salle du tribunal. Pas vraiment impressionnés, les voici qui pouffent, se poussent des coudes, gesticulent sans cesse à la manière d’une classe indisciplinée. Le président du tribunal joue à l’instituteur, réclame le silence, fait l’appel. L’un après l’autre, les prévenus se lèvent. Ils viennent des quatre coins du pays. Sont kinésithérapeutes, artisans, instituteurs, infirmières, paysans, chômeurs, retraités… Des jeunes comme des vieux, autant d’hommes que de femmes : un vrai patchwork « made in France ».

L’avocat entame sa plaidoirie : « Voici cinquante-huit personnes qui viennent devant vous et vous disent : “Nous voulons assumer ce que nous avons fait. Nous sommes prêts à nous expliquer.” Ce sont des citoyens engagés dans des actions, pour faire bouger les choses. Parlerait-on autant des OGM aujourd’hui, s’ils ne s’étaient pas mis en marche ? »

Le procès sera ajourné, renvoyé à une date ultérieure. Devant le tribunal, les Faucheurs feront la fête. Sous le regard impassible des policiers alignés devant les grilles du tribunal, ils chantent et dansent. « J’ai toujours aimé ce côté festif. Au début, les Faucheurs venaient même en famille sur les champs », glisse François Roux.

Depuis, les Désobéissants ont appris à se méfier. Tosca en avait fait mention un soir pendant le stage. Devenue adepte du fauchage, la jeune fille blonde de vingt-sept ans avait évoqué sa découverte de la face secrète,

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