Pourquoi la France doit avoir honte de ses prisons
Qu’il soit escroc, criminel ou terroriste, le détenu a des droits. Pourtant, en France, ses conditions de vie sont déplorables : cellules sales, mal isolées, trop petites et, surtout, surpeuplées. Un climat de violence y règne et la prison ne peut plus assurer son rôle : aider à la réinsertion et protéger la société. En 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour traitements inhumains et dégradants de détenus. Mais, depuis, rien n’a changé.
Par Isabelle Dautresme et Clara Hervé
Dans une prison, quelque part en France...
Les conditions de détention en France sont une honte ! On ne peut pas laisser les gens vivre comme ça.
Les détenus sont des êtres humains comme les autres. Ils ont droit au respect.
Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL). Sa misson consiste à s’assurer du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.
Dominique est en colère. Et elle n’est pas la seule.
La question du moment
En 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a exigé que la France prenne...
... des mesures pour mettre un terme à l’indignité des conditions de détention dans ses prisons surpeuplées.
Avec plus de 72 000 détenus pour environ 60 000 places, les prisons françaises débordent toujours autant, voire un peu plus chaque année.
Mais deux ans après, la situation n’a toujours pas évolué*.
Particulièrement les maisons d’arrêt.
Maisons où sont incarcérées les personnes en attente de jugement, donc présumées innocentes, et celles condamnées à de courtes peines.
Il y a en moyenne 140 détenus pour 100 places.
* Selon un rapport d’Amnesty International et de l’Observatoire international des prisons (OIP).
À certains endroits, comme à Draguignan, dans le Var, la situation est encore pire.
Conséquence, les détenus se retrouvent à trois, voire parfois quatre dans une cellule de 9 m2
Il y a deux fois plus de prisonniers que de places.
À Toulouse, une fois que l’on a retiré la place des meubles : un matelas au sol, deux lits superposés, une petite table, deux chaises et le coin toilettes...
Il ne reste plus que 4,30 m2.
Certains détenus vont jusqu’à ne pas manger pour ne pas aller aux toilettes trop souvent...
Alors que la loi prévoit qu’ils soient seuls.
Dans lesquels vivent trois hommes 22 heures sur 24.
Impossible dans ces conditions d’échapper au regard des autres.
ou profitent du départ en promenade de leurs codétenus pour se soulager, quitte à se priver d’une rare occasion de sortie.
Dominique Simonnot
La question du moment
Parfois, les cellules sont tellement chargées que les détenus n’ont pas d’autre choix que de rester allongés toute la journée parce qu’ils ne tiennent pas debout tous en même temps.
Non seulement les prisons sont surpeuplées, mais en plus beaucoup sont insalubres.
Il y fait très chaud en été... et très froid en hiver.
Les cellules sont sales et mal isolées.
Les murs sont décrépis et fissurés. Il n’y a pas toujours de douche, mais des rats et des punaises de lit.
D’après la commission des lois du Sénat, en 2017, plus d’un tiers des cellules étaient considérées comme vétustes.
Les détenus n’ont pas d’autre solution que de s’adapter.
Certains s’enroulent dans un drap très serré pour éviter que les cafards ne se baladent sur eux.
Ils se bouchent les narines et les oreilles avec du papier toilette pour empêcher les vermines d’y entrer.
Récemment, un détenu a eu le conduit auditif infecté à cause d’une bestiole qui s’était coincée au fond.
Un autre a attrapé la leptospirose, une maladie causée par l’urine des rats, avec un mégot ramassé dans la cour de promenade.
Quand ils sont malades, les prisonniers ont beaucoup de mal à se faire soigner parce qu’il n’y a pas assez de médecins, d’infirmiers ou encore de psychologues...
C’est encore pire pour les personnes atteintes de maladies mentales.
J’ai connu des détenus qui perçaient leur abcès dentaire eux-mêmes, n’en pouvant plus d’attendre de voir un dentiste.
Soit 1 détenu sur 4.
Dominique Simonnot
La question du moment
Il ne manque pas seulement de personnels soignants, mais aussi de surveillants et d’animateurs pour encadrer les activités.
Selon les recommandations du Conseil de l’Europe, les détenus devraient pouvoir passer huit heures par jour hors de leur cellule.
Ce sont les personnes en attente de jugement qui connaissent les conditions les plus critiques.
Thibaut Gosset, juge d’instruction au tribunal de Créteil (région Îlede-France)
Or, ils n’en sortent que 3 heures 40 par jour en semaine... et moins d’une demi-heure le week-end.
On ne sait pas combien de temps elles vont rester là, donc rien n’est vraiment mis en place les concernant.
Elles ne sont pas prioritaires pour l’école, le suivi médical, les activités...
Or, quand on reste 22 heures sur 24 entassés dans une cellule avec deux autres codétenus qu’on n’a pas choisis, et qu’on n’a rien à faire, le moindre incident peut tout faire exploser.
Karim Mokhtari, ancien détenu et directeur de l’association 100 murs, une association qui intervient en prison
Un parloir qui ne peut pas se tenir faute de créneau libre et un détenu qui était plutôt calme... peut basculer dans la violence.
Les prisonniers vivent dans un climat de tension permanente.
La cour de promenade aussi peut être dangereuse : racket, menaces, trafics, bagarres.
Certains endroits sont particulièrement risqués, par exemple les douches, surtout quand elles sont collectives.
Parmi les victimes de ces violences, on retrouve beaucoup d’auteurs d’agressions sexuelles, des personnes atteintes de troubles psychiatriques ou encore des étrangers ne parlant pas français.
Certains détenus préfèrent ne pas sortir de leur cellule plutôt que de prendre le risque de se faire tabasser.
En prison, on ne s’attaque pas aux caïds. Il ne faut surtout pas montrer ses faiblesses.
C’est la loi du plus fort qui l’emporte.
Karim Mokhtari
La question du moment
Pour limiter les phénomènes de domination et d’emprise, la loi stipule que les individus doivent être séparés selon un certain nombre de critères.
Comme leur âge ou leurs antécédents.
Un détenu dont c’est la première peine d’emprisonnement ne doit pas se retrouver dans la même cellule qu’un multirécidiviste.
Par exemple, une personne qui n’a pas encore été jugée n’est pas censée côtoyer des condamnés.
En réalité, du fait du manque de places, on mélange des personnes aux profils très différents.
Ou encore un jeune de 19 ans avec un criminel de 30 ans.
Un apprenti dealer va côtoyer un grand criminel en attente de jugement.
Au risque de faire de la prison une véritable école du crime.
Thibaut Gosset
Les surveillants sont, eux aussi, victimes de la surpopulation carcérale et du climat de violence qui y règne.
Ils travaillent dans des conditions très difficiles. Ils sont surchargés. Ils courent partout.
Pour faire face au problème des prisons qui débordent, le gouvernement s’est engagé à construire
C’est surtout ce qu’il ne faut pas faire.
Plus il y a de places, plus on incarcère.
Quel que soit le nombre de prisons, il manque toujours 10 000 places, depuis des années.
nouvelles places d’ici à 2027.
Une des solutions à cette surpopulation serait de mettre en place un système de régulation carcérale : à chaque fois qu’une personne est incarcérée, une autre est libérée.
On pourrait aussi imaginer des prisons de tailles différentes, plus petites, implantées en ville... ... avec des murs ne dépassant pas 5 mètres de haut et réservées aux personnes condamnées pour des délits moins lourds, par exemple.
* Avocats pour la défense des droits des détenus.
Dominique Simonnot
Amélie Morineau, avocate à la cour et membre de l’association A3D*
Thibaut Gosset
La question du moment
Trois ans après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour l’indignité de ses prisons...
le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, qui s’est réuni en décembre 2022, a une nouvelle fois constaté l’insuffisance des mesures prises par les autorités françaises. Il demande l’adoption rapide d’une « stratégie globale et cohérente » pour réduire la surpopulation carcérale.
“Les
prisons,
une honte française”
Chronique “La question du moment” de TOPO #41 en mai 2023, par Isabelle Dautresme et Clara Hervé.
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