Spitzle Magazine #2

Page 1

Spotzle. Magazine

2 #0


05

25 SARAH COOPER TALIAH LEMPERT

BIKINGMAN CORSICA #2

14 JAPANESE ODYSSEY

28

ITALY DIVIDE

41 57 INCA DIVIDE


Ce numéro 2 aurait dû sortir en juillet. Fort heureusement, les choses ne se déroulent pas toujours comme prévu. Cela ne change rien au contenu, aux valeurs de témoignage et de partages auxquelles nous sommes si attachés. Cela ne change rien à la qualité des expériences relatées. A l’heure où l’automne pointe son nez, nous sommes nombreux à réfléchir où aller se faire mal en 2020. Je suis très fier de vous présenter Taliah Lempert (page 26), artiste basée à Brooklyn, rencontrée en 2007. En 2016, de passage à Amsterdam, j’ai été ravi de voir son calendrier disponible à la boutique du musée Van Gogh. Alors quand j’ai commencé à gamberger sur le contenu, cela m’a semblé être évident. S’engouffrer dans une brêche, construire petit à petit une identité unique et poursuivre son chemin, c’est exactement ce qu’a fait Taliah et ce que nous essayons de faire avec Spotzle. Ce numéro 2, c’est tout cela, sortir des sentiers battus, aller contre le sens commun et la médiocrité, créer ce que d’autres n’ont pas oser créer. Un numéro 2, ce n’est pas simple. Il faut continuer à donner un ton, enraciner une vision mais également déjà se projeter dans l’avenir. Se projeter pour éviter la répétition, pour tenter d’innover, pour continuer à explorer, pour continuer à partager. C’est pour ces raisons que le numéro 3 sera déjà radicalement différent. Bonne lecture.

Richard Delaume



LA REVANCHE DE SARAH COOPER PROPOS RECUEILLIS PAR RICHARD DELAUME

5


La discussion avec Sarah débute avec les politesses d’usage et invariablement, la météo. Ce jour-là, du côté de la ville Des Moines (Iowa), c’est encore un de ces « gloomy morning », un matin pluvieux typique de la région. Le terrain, quant à lui, est « mushy » (détrempé). Voilà qui annonce de bonnes sorties gravel. Raison de plus pour s’aventurer sur les chemins. Car pendant que Fiona Kolbinger caracole en tête de la Trans Continentale Race, un ami de Sarah est renversé par une voiture. Quelques heures seront nécessaires pour recueillir ses impressions sur la jeune allemande. Car gagner devant les hommes, Sarah Cooper sait le faire, et ce depuis quelques années déjà.

6


SARAH COOPER : Je ne suis pas totalement sûre de pouvoir expliquer pourquoi je ne suis pas surprise par la performance de Fiona. Toute ma vie, en tout cas les premières années, j’ai entendu des personnes dire que je ne valais rien comme athlète. À l’école, lorsque j’ai postulé dans l’équipe d’athlétisme, le coach m’a ri au nez et conseillé de rentrer chez moi. Et finalement, avec un peu d’entrainement à vélo, je me suis retrouvée à gagner des épreuves cyclistes de longues distances. Alors je suppose que si j’y suis arrivée, d’autres femmes en sont capables. Gagner en ultra ne demande pas seulement de la force ou de la résistance. Cela demande aussi de l’intelligence de course, de la patience et la capacité à faire les bons choix malgré la pression. Les athlètes doivent sans cesse prendre des décisions sur la navigation, l’alimentation, la météo et le rythme à adopter. Et sans l’ombre d’un doute, ces qualités ne sont pas exclusives à un genre particulier. Ce n’est pas une surprise pour moi si les femmes réussissent aussi bien en ultra distance. Au début, mon entourage était surpris lorsque j’ai commencé à gagner devant les hommes, mais plus maintenant. Parfois, j’espérais gagner, parfois il fallait lutter juste pour terminer. Mais au final, j’adore la compétition. J’adore donner le meilleur de moi-même dans le sport que j’aime. Tout cela n’est pas une histoire de genre. Un dernier point mérite d’être souligné. En ultra, il n’y pas besoin d’équipe ou de sponsors, ce qui est toujours plus difficile à avoir pour les femmes. Il faut juste s’inscrire à une épreuve, rassembler ses affaires, prendre le départ et pédaler.

7


Maman à plein temps (4 enfants), amoureuse des animaux (3 chiens, 1 chat et 3 chevaux), organisatrice de 3 épreuves gravel dans l’Iowa, sans oublier une tendance à l’insomnie; une qualité essentielle pour briller en ultra. D’autant que Sarah n’a jamais vraiment brillé pour ses qualités athlétiques. SARAH COOPER : À l’école, j’ai tenté l’athlétisme mais le coach m’a conseillé de rentrer à la maison. Donc je n’ai pas de talent particulier pour le sport. Puis dans la vingtaine, je courais un peu. J’ai participé à quelques évènements mais je n’étais pas particulièrement douée. Le triathlon de Des Moines m’a fait découvrir cette discipline. J’y ai rapidement augmenté les distances : Half Ironman puis Ironman. Une blessure au genou m’a contrainte à me tourner vers le vélo puis vers l’ultra, avec et sans assistance. Cela dit, en triathlon, j’étais plus à l’aise dans la partie vélo. Je réalisais toujours le meilleur temps dans mon groupe d’âge. C’est étrange car avant cela, je ne voyais pas le vélo comme un sport. Il n’y avait pas de cyclistes dans mon entourage. C’est seulement le jour où j’ai tapé « courses cyclistes » sur Google que j’ai découvert qu’il s’agissait d’un vrai sport et qu’au passage, j’étais plutôt douée.

8


Je me suis alors révélée à moi-même. De nature plutôt introvertie, j’ai immédiatement ressenti un énorme bénéfice. Après quelques heures à vélo, j’étais davantage centrée, pleine d’énergie, prête à partager et interagir. Physiquement, je ne suis pas très talentueuse et je ne suis pas capable de développer beaucoup de watts. Mais s’il s’agit de maintenir un effort sur une longue période, je sais le faire et je me débrouille plutôt bien. Ensuite, les distances ont naturellement augmenté, jusqu’à ce que je remporte quelques épreuves tout sexe confondu, notamment Race Accros The West 2016*.

*1 493 km, 2 jours 11h et 59 min 9


J’ai couru intensément pendant quatre ans et j’ai eu la chance de réaliser quelques belles performances comme au 24h de Seibring (course avec support logistique, 796 km) ou Race Accros America 2017 : 9e au classement général et 1ère femme solo (11 jours, 18 h 56 m pour parcourir 3 082,32 km). Ce n’est pas ma meilleure performance. À cause de la chaleur, je suis allée plus lentement que prévu. Mais cela reste un immense souvenir. L’exercice mental demandé, la force à puiser pour arriver au bout, partager cela avec mes amis. Les mots me manquent pour exprimer le plaisir que j’ai pris durant cette épreuve. Néanmoins, je ne pense pas la refaire un jour.

Et puis finalement, après ces belles courses sur les routes, je me suis posée la question de savoir ce que j’allais faire. Et j’ai découvert la Trans-Iowa, maintenant disparue. Ce fut ma première épreuve gravel. J’ai acheté un vélo plus adapté, quelques sacoches, et hop. Dans le processus de préparation, le gravel s’est avéré être une solution pour rendre l’entraînement à la fois moins ennuyeux et moins risqué. En plus, rouler dans les chemins de terre de l’Iowa le rend particulièrement efficace

10


Le gravel, c’est avant tout du plaisir. Ce n’est pas de la discipline ou des données de puissance. Sur les longues distances, il faut être futé et prendre les bonnes décisions. Il faut aussi être costaud. Ce qui rend le gravel aussi intéressant, c’est son côté imprévisible. Sur les courses type 24h, je pouvais prédire le kilométrage que j’allais effectuer, avec une marge d’erreur assez faible. Quand je suis arrivée au gravel, tous mes repères ont volé en éclat.

Ma deuxième course gravel était « Nebraska Odin’s Revenge ». C’est vraiment cette épreuve qui a contribué au germe de Spotted Horse gravel (des collines à perte de vue, 401 km, 6 100m D+, de multiples côtes entre 8 et 10%). C’est comme rouler sur une lame de scie. Il y a bien un peu de plat, qui ne s’avère pas si plat que cela. Cette course n’existe plus car l’organisateur est parti à la retraite. Mais j’ai adoré : les chemins de terre, les conditions climatiques parfois apocalyptiques, etc. C’était ma deuxième course en gravel et venant du triathlon, j’avais énormément de choses à apprendre, notamment en pilotage où je suis plutôt mauvaise. Cette expérience m’a complètement ouvert les yeux sur ce qu’il me restait à maîtriser, sur le plaisir que j’éprouvais à me faire maltraiter par la météo. De plus, il y a beaucoup de chemins ici et s’entraîner sur la route est assez ennuyeux donc pourquoi ne pas se mettre au gravel et s’amuser à vélo ? Ce fut une révélation: explorer ces chemins de terre, de graviers ou les fameuses « B roads » de l’Iowa (chemins non entretenus et souvent en mauvais état, aggravés par les tracteurs). Le gravier est devenu ma surface de prédilection. Et finalement, à force de rouler sur ces chemins, je me suis dit qu’il serait cool d’organiser des courses ici. C’est ainsi qu’est née « Spotted Horse Ultra » en 2016 (241 km et 321 km).

11


La préparation de Ride Accros The West m’a amenée à découvrir des routes et paysages fantastiques. Je me suis dit que ce serait certainement un bon lieu pour organiser des courses. C’était une chose supplémentaire à faire mais je suis plutôt organisée, avec une bonne gestion du temps, donc ça s’est bien passé. Devenir « race director » est une superbe expérience. On apprend à mieux connaître les cyclistes, on s’attache, on tisse des liens. C’est aussi un moyen de donner à mon tour. Comme athlète, j’ai reçu beaucoup d’aide, et maintenant je prends beaucoup de plaisir à rendre et voir les participants atteindre leur objectif. C’est extrêmement gratifiant. De plus, je ne me fixe pas un nombre élevé de participants. Je suis plutôt introvertie et trouve mon compte dans des petits événements, en soutenant la communauté gravel à l’échelon local et en offrant l’opportunité de découvrir les paysages uniques que nous avons en Iowa ».

12


La conversation s’achève doucement. Sarah doit filer préparer ses affaires avant de partir prendre le départ de l’Alpina Alta 8 (une balade bucolique de 312KM, 6 187m D+ dont l’essentiel se passe au-dessus de 1800m). Et comme le répète Sarah : « Je viens d’une région plate. C’est un vrai challenge pour moi. J’y vais sans objectif particulier. Juste pour le plaisir ».

LES ÉPREUVES ORGANISÉES PAR SARAH : Spotted horse ultra : spottedhorsecycling.com Iowa Wind and Rock : iowawindandrock.com iowa Gravel Classic : iowagravelclassic.com

13


Japanese odyssey PROPOS DE GUILLAUME SCHAEFFER RECUEILLI PAR RICHARD DELAUME

LE POUVOIR DE LA

FRUSTATION 14


Strasbourg, 2015. Emmanuel Bastien s’ennuie ferme à sillonner la ville comme coursier à vélo et rêve d’aventures lointaines. L’un des coursiers de la société Tomahawk (qu’il a créée), adepte des longues distances et participant de la 1ère French Divide, n’a que la Transcontinentale Race sur les lèvres. Bientôt, la fièvre s’empare de l’équipe. C’est décidé, Guillaume sera au départ. Mais à y regarder de plus près, le parcours de la TCR traversera la France sur une longue portion, cette année-là. Le petit surplus d’aventure recherché est absent. Il faudra donc le trouver ailleurs. Et plutôt que de trouver une épreuve, pourquoi ne pas la créer ? La Nouvelle-Zélande ou le Japon ? Difficile de choisir entre le Hobbit et Akira. Finalement, l’aura de mystère et de spiritualité du Japon l’emportera. Peut-être que l’absence d’épreuves de type bikepacking sur l’île y est pour quelque chose. Guillaume Schaeffer rejoint l’aventure pour apporter son expertise graphique et web. Même s’il ne parle pas un mot de japonais, la création d’un site web, d’un joli logo et d’une communication sur les réseaux sociaux offriront une visibilité et un engouement qui surprendront les deux compères. La proposition est minimale: un parcours libre, un départ et une arrivée pour une traversée du Japon du Nord au Sud, soit environ 2.000 km et quelques checkpoints.

15

La genèse

La frustration amène souvent les plus belles créations. Sinon, comment expliquer que Emmanuel Bastien et Guillaume Schaeffer se soient embarqués à créer une épreuve de bikepacking à travers le Japon ? Bien entendu, sans rien connaître du pays, sans avoir fait de reconnaissances au préalable et sans connaître la dure vie d’organisateur.


16


Le baptême du feu

Il y a aura quatre inscrits (2 Australiens, 1 Anglais et 1 résident de Singapour) pour cette 1ère édition en 2015. Même si cela semble modeste, c’est une immense réussite pour Emmanuel et Guillaume. Sauter dans l’inconnu, oser réaliser ce que personne n’avait fait auparavant, demande un courage inouï. Ensemble, ils ont ouvert une brèche bikepacking dans la culture cycliste japonaise. Peu d’inscrits, pas de sponsors, pas de soutien financier. Que faire ? La partie s’annonce serrée mais il faut se lancer. Et ce malgré l’absence de budget pour louer une voiture suiveuse. Emmanuel et Guillaume feront donc le parcours intégral à vélo. L’apprentissage de la vie d’organisateur s’est faite en fanfare, d’autant que Guillaume trimbalait 8kg de matériel photo dans ses sacoches. C’est le prix à payer pour connaître son épreuve sur le bout des doigts et apporter les modifications nécessaires lors des éditions suivantes. Au final, Emmanuel et Guillaume auront eu bien raison de se lancer dans l’inconnu. Les quatre participants ont terminé l’épreuve ravis, et ont relayé la bonne parole. La moisson d’images aura également porté ses fruits. Et voilà l’édition 2016 qui pointe le bout de son nez avec de vrais partenaires, et 20 participants au départ. Comme dit Guillaume: « ça ressemblait enfin à quelque chose ».

17


Télétravail et espionnage

Connaissez-vous le télétravail ? (en anglais, on appelle ça “remote work”). Le principe est simple et alléchant. On effectue son travail tout en restant chez soi. Pas de déplacement, pas de stress. Le hic, c’est que parfois cela peut-être source de quiproquos, d’erreurs ou d’approximations. Ce concept de télétravail, Emmanuel et Guillaume l’ont parfaitement mis en application. Depuis la 1ère édition, les parcours proposés sont réalisés à Strasbourg. Beaucoup de recherches, de documentation, et surtout une plongée vertigineuse dans le livre Nihon Hyaku-meizan (Les 100 montagnes célèbres du Japon), écrit en 1964 par Kyūya Fukada ; qui dressait la liste des montagnes remarquables de son pays en se basant sur les critères de beauté de la montagne et des paysages mais également de l’altitude. Évidemment, il y a un petit côté délicieusement amateur dans cette démarche itérative, faite d’inconnue et d’événements incontrôlables. Chaque édition réserve son lot de surprises et d’apprentissages. C’est ainsi que les participants de 2016 ont eu droit à de longues traversées forestières dont le Japon regorge ; ainsi que 13 checkpoints, des cols en altitude, et notamment une météo apocalyptique.

L’édition 2016 fut marquée par le passage de deux typhons, provoquant de fortes pluies, des coulées de boue, et un éboulement de cailloux. Sur 14 jours de courses, 10 auront été parcourus sous des pluies diluviennes. Certes, cela fait des souvenirs mémorables et des photos spectaculaires mais sur le moment, personne ne riait. Afin d’améliorer le parcours, Guillaume et Emmanuel tissent sur place un réseau d’espions pour vérifier les routes selon les saisons. Ils scrutent Strava et la fonction Heatmap pour voir les routes populaires. Le Japon est ainsi disséqué sous les yeux des organisateurs. Ce col est-il franchissable à cette époque ? Ferait-il un bon checkpoint ? Ce parc naturel est-il suffisamment spectaculaire ? Cela suppose également de vérifier les évènements VTT et ceux sur la route, de suivre de nombreux athlètes japonais sur Strava et Facebook. En 2017, la formule traditionnelle des checkpoints sera également revue avec des expérimentations et l’apparition des segments obligatoires. L’idée étant de proposer une immersion dans la culture japonaise sans idée de compétition (hormis le délai à respecter) et d’éviter que certains participants ne soient tentés de faire des choix de route destinés à aller le plus vite possible. Car Guillaume insiste :

18

« ce n’est pas une course ». On connaît le refrain… Sauf que la météo et ses conséquences sont une variable à prendre en compte. De fortes pluies, encore elles, se sont abattues plus tôt dans l’année, provoquant de graves dégâts sur la chaussée. Et les travaux de rénovation n’arrangeront rien. La route paisible se transforme alors en un long chemin de cailloux. Guillaume s’en souvient encore: « Dans les descentes, je m’asseyais sur le tube horizontal pour abaisser le centre de gravité. On descendait à la même vitesse qu’en montée. Et à la fin, on découvre que l’on a mis 5h pour parcourir 12 km ». Après cette déconvenue, l’édition 2019 sera un mélange de checkpoints et de segments. Bien entendu, l’idéal serait d’organiser au minimum un déplacement dans l’année afin de s’assurer de fructueuses reconnaissances. Mais cela reste pour le moment impossible à envisager. Cet événement est créé par passion, pour la beauté du geste, et certainement pas pour gagner de l’argent.


Enfonce-toi dans l’inconnue Emprunte les routes oubliées Prépare-toi La Japanese Odyssey n’est pas une course. C’est une épreuve cycliste d’endurance que tu n’oublieras jamais.

19


•••• Voyager est toujours une chose étrange. On se déplace dans un espace, on observe les gens vivre et on se surprend à vouloir vivre à cet endroit. Puis ce moment ce moment pénible où l’on se souvient que l’herbe est toujours plus verte ailleurs. Les Japonais en milieu rural sont incrédules à l’idée de voir des Français ou étrangers visiter ces coins reculés du Japon. Ils sont flattés par cette visite, tout comme l’idée des Strasbourgeois d’organiser une course dans leur pays, car les touristes vont plutôt à Tokyo ou Kyoto. Paradoxalement, il y aura peu de contacts avec les Japonais durant les 1ères éditions. Ces derniers se trouvent majoritairement sur leur lieu de travail ce moment-là conformément à la culture locale qui privilégie le présentéisme à outrance. La productivité des employés Japonais est très mauvaise mais il faut être là. C’est pour cette raison que les rencontres amoureuses se font essentiellement sur le lieu de travail. C’est aussi pour cela que le métro de Tokyo est plein de zombies endormis, costume et bouche grande ouverte. Et pour cette raison que les semaines de travail se terminent dans un déferlement d’alcool et il n’est ni rare ni étonnant de voir un homme dormir sur le trottoir tôt le samedi matin, chaussures et portefeuille proprement rangés à côté de lui. Nous pourrions également nous interroger sur l’absence d’épreuve de bikepacking au Japon à cette époque. Pour trouver un début d’explication, il faut fouiller du côté des lenteurs et lourdeurs administratives et la tendance très japonaise à respecter les règles et à faire les choses dûment.

Mode de vie 20


Reconnaissance et perspectives L’édition 2019 démarrera le 12 octobre au départ de la ville de Kagoshima. La date n’a pas été choisie au hasard, puisqu’ils espèrent avoir une météo plus conciliante à cette époque de l’année. Le choix de la ville ne s’est pas fait sans réflexion non plus. Strasbourg projette de faire un jumelage avec la ville japonaise, afin de valoriser les échanges franco-japonais. Ce partenariat consiste surtout en une aide logistique, qui sera tout de même précieuse. C’est Emmanuel qui y est allé au culot en arguant: « Nous sommes deux Strasbourgeois qui organisons ça depuis 5 ans, est-il possible d’imaginer quelque chose ensemble ? » Les organisateurs l’ont dit: ils souhaitent rester sur une seule épreuve afin de conserver cette démarche décontractée, sans aucune volonté à la transformer en entreprise. Pour eux, l’organisation de cette course, qui ne coûte rien, reste une partie de plaisir, un projet réalisé avec passion.

21

En 2016 pourtant, ils avaient eu l’ambition de faire quelque chose de plus gros, mais sans retour du terrain, il était difficile d’anticiper les difficultés qui les attendaient. Finalement, les espérances ont été revues, temporairement peut-être à la baisse. Même les démarches de communications ont subis ce couperet. Des publications sur les réseaux sociaux, des communiqués de presse ont générés un certain engouement pour l’épreuve mais l’étape de la conversion, transformer des prospects en clients, fût vraiment trop faible. Enfin, il semblerait que les 2 compères s’épanouissent pleinement dans cette démarche volontairement amateur, qui consiste à faire grossir l’événement petit à petit. Cette année, ils seront environ 50 sur la ligne de départ à Kagoshima, prêt à parcourir 2200 km vers Tokyo après avoir passé 14 points de passage obligatoires.


www.japanese-odyssey.com japaneseodyssey japanese_odyssey

22


Braquet, dynamo, fringale, casse-pattes, caillasse, rigolade, sacoche, plus de jus, mal au cul, mal aux pattes, mal partout, paysage, aventure, dossart, trace, friterie, tubeless, socquettes, divide, gravier, cale-pieds, musette. Dédié à l’amour du vélo, de nos familles, de nos enfants et du death-metal.

/spotzlecycling

@spotzle

PODCAST Spotzle

PODCAST Spotzle

PODCAST Spotzle



Taliah Lempert TEXTE PAR RICHARD DELAUME

25


Septembre 2007, Brooklyn, New-York. J’ai rendez-vous avec Taliah Lempert. Mais avant cela, je prends quand même le temps d’aller déjeuner et chose incroyable, je me régale d’une salade si délicieusement assaisonnée, si subtile que je m’en souviens encore 12 ans après. Peu après,

me voilà devant le loft de Taliah. Vaste,

bordélique mais plein de charme et surtout débordant de vélos et de tableaux. Car Taliah Lempert est une artiste peintre qui, depuis 1996, ne peint que des vélos et ne se déplace qu’à vélo. Tout a débuté simplement. Au détour d’un magasin, Taliah repère un vieux vélo, sublime à ses yeux. Cette dépense de 80 dollars, c’est un souffle de liberté et un symbole d’indépendance. S’affranchir du métro et découvrir la ville au-delà de celuici, sentir le vent dans ses cheveux. De fil en aiguille, elle sera happée par le vélo et consacrera 7 années à courir sur piste et un peu sur route. Et enfin à réaliser des croquis de son vélo, puis le coucher sur toile, emprunter les vélos d’amis, faire poser les amis à côté.

26


Aujourd’hui, le travail de Taliah est largement diffusé sous différentes formes. Son calendrier est en vente dans les boutiques cadeau des plus beaux musées du monde, ses tableaux sont déclinés en tasse à café, en puzzles. Elle est également l’auteur de « The Classic coloring bicycling book », un livre à colorier.

Et si vous passez à

New-York, vous pouvez aller saluer Taliah sur les marchés aux puces de Washington Square.

VIDEO www.bicyclepaintings.com @bicyclepaintings 27


Italy

Divide UN RÉCIT DE SCOTT CORNISH

28


NNous nous imposons trop souvent des limites à ce que nous pensons pouvoir réaliser. La peur de nous engager dans quelque chose va bien audelà de notre capacité physique et psychologique à mener à terme un projet, cédant à cette peur et à cette anxiété de l'inconnu. L'Italy Divide était ma première « course » de vélo, une aventure de 1 230 km allant de Naples au lac de Garde, et englobant de nombreuses attractions italiennes : Rome, Florence, Sienne, les routes blanches de la Toscane, Bologne, Montova, Vérone et enfin Torbole sur les rives du lac de Garde. Le « romantisme » de traverser l’Italie m’a attiré, partageant la route et cet état d’esprit avec 200 autres coureurs, certains ici pour la performance, d’autres pour le paysage et la nourriture. Avec un minimum de kilomètres dans les jambes grâce au fatbike et du ski de randonnée, la condition physique générale était au moins maintenue sous contrôle. A ce moment-là déjà, le mental émettait des doutes quand à la probabilité de s'asseoir sur le fauteuil du vainqueur. Il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir.

Depuis les côtes de la mer Tyrrhénienne aux montagnes surplombant le lac de Garde, à 1 500 m au-dessous de la ville lacustre de Torbole ; l’Italy Divide est une aventure bikepacking intense et variée. Le parcours suit des routes secondaires, des pistes de gravier allant de lisses à accidentées, ainsi que des pistes techniques à tendance VTT ; faisant du choix des braquets, un dilemme presque aussi tortueux que certains passages du parcours. Le terrain est principalement vallonné et particulièrement raide par endroits, réservant les deux grosses difficultés en montagne pour les 100 derniers kilomètres.

Prévoir et anticiper les aléas du terrain est une chose mais vivre ce terrain sous une météo capricieuse en est une autre et le mélange des deux n’allait pas être agréable.

29


Le meilleur vélo pour une telle ballade est celui que vous avez. La plupart des concurrents ont opté pour une version « Drop Bar » (guidon plutôt typé route) avec des pneus variant de 40 mm à 29 x 2,3, de nombreux VTT et même un fatbike. La question du confort est capitale et même si nous pouvions observer une majorité de fourches rigides, certains avaient pris le parti de doubler la couche de guidoline afin de s’assurer une prise en main vraiment très confortable. Pour ma part, mon choix s’est porté sur une fourche Lauf Grit, simple et efficace. Pour plus de contrôle et de confort, j’ai utilisé le guidon Ritchey Venturemax et une tige de selle Ergon, à feuilles croisées CF3, créant une suspension selon les mêmes principes que la fourche Lauf.

Le choix de l'équipement était l'un des aspects que j'avais longuement étudié. Si vous voulez profiter de la ballade, allez doucement. Certaines de ces ascensions toscanes peuvent être courtes, mais leur dénivelé est une torture pour les jambes. J'ai fini par utiliser un plateau de 38 Rotor Q avec une cassette Sunrace 1146. En raison de la variété du terrain, un double plateau convenait parfaitement à ce parcours. Jay Petervary, par exemple, a utilisé un 46/30 avec un 11-34.

30

Le meilleur vélo pour une telle épreuve est celui que vous avez.


En ce qui concerne le vélo, mon choix s’est porté sur le Pinnacle Arkose. Une géométrie qui permet des descentes en toute confiance sur tous les terrains mais également procurant un bon rendement sur les sections roulantes. Avec de multiples possibilités pour ajouter sacoches et bidons d’eau ; l'Arkose est conçu pour les longues aventures à vélo. Avec son départ à 14h et sa soirée pizza dans un restaurant de bord de mer local, le programme invite à une atmosphère détendue. Une manière idéale de commencer l'événement, de rencontrer d'autres coureurs autour de nourritures délicieuses et de bières, de discuter de vélos, braquets et stratégie. Mon coéquipier, Simon Bundle, avait judicieusement réservé un AirBnB, à 5 minutes du départ. Comme souvent pour ces évènements, il est conseillé de réserver un hébergement aussi près que possible du départ, car affronter le trafic napolitain à vélo est une expérience intense. Les conducteurs semblent avoir une interprétation très vague du code de la route, tout le monde essayant de progresser sur la route simultanément.

31


Jour 1

Réunis le long de la côte sous un soleil brûlant, les coureurs étaient impatients de démarrer. Chacun disposait d'une configuration unique, allant de l’approche la plus minimaliste à la plus confortable. Le départ neutre qui parcourait les routes de la ville n’a probablement pas arrangé la patience des conducteurs, mais c’était quand même un spectacle grandiose ! Une fois lâchés pour parcourir les 1 225 km du parcours, des groupes se sont rapidement formés et les coureurs de tête ont pris rapidement un avantage décisif.

Leur course était lancée. Pour le reste d’entre nous, il s'agissait de la terminer. Prochain arrêt majeur, Rome. Une fois hors de la ville, le terrain bascule entre routes, pistes de terre et chemins de gravier, le kilométrage défilant à toute allure. Certains coureurs trop enthousiastes ont été victimes de chutes. J’ai notamment aperçu un coureur britannique, allant à toute allure à chaque montée, qui semblait maintenant avoir un souci de dérailleur électrique, ce dernier s’étant coincé. J'ai essayé de l'aider en effectuant une réinitialisation, mais rien n’y fit.

Jay Petervary nous a rattrapés après l’avoir entrevu au bord de la route en train de réparer quelque chose. Je roulerai avec lui pendant au moins 10 minutes ! Il est trop facile d’oublier la durée de cet événement, en poussant les jambes au-dessus de votre seuil prédéfini. Jay est très fort et je devais me contrôler. Les aero bar ornaient de nombreux vélos et je comprenais maintenant pourquoi : c’est idéal pour les longs tronçons de route. Les jambes finissent par trouver leur propre rythme, pas forcément super rapide mais indifférentes au rythme des autres athlètes. Les sentiers empruntés constitueront une collection éclectique permettant de continuer à avancer dans la direction souhaitée, ce qui signifie quelques portages (les fameux « hike a bike » tant redoutés) et incluant tout ce que la région compte de chemins pittoresques et de villages typiques. Les premiers 250 km sont un peu flous, le corps et l’esprit étant entrainés dans une sorte de transe hypnotique du pédalage à allure modérée et constante. Passer cette première journée fut psychologiquement le plus difficile, mettant de côté toutes nos références jalonnant une journée « normale » en particulier à la tombée de la nuit. Le dîner était un fast-food, ce que j’évitais normalement et je n’en mangeais que 32

la moitié, ne voulant pas m'arrêter trop longtemps, conservant le reste pour un bref arrêt plus tard dans la nuit. Peu après minuit, je fus rejoint par un autre coureur, Mitch, un gallois vivant dans le Yorkshire et à l’accent redoutable. Je ne comprenais pas un mot de ce qu’il disait, mais nous avons tout de même réussi à communiquer. Nos rythmes de progression semblaient s’accorder ainsi que notre approche de l’évènement, que l’on pourrait qualifier de « esprit de compétition décontracté ». Nous aurions probablement pu continuer toute la nuit, tant rouler en binôme est agréable. Mais encore lucides sur notre état de novices sur une aventure de 1 200 km, nous avons décidé de nous arrêter aux alentours de 3h30 pour un repos. En grimpant dans les rues étroites d’une ville, nous trouvons un endroit relativement calme : une cour face à l’église, dos à la colline.

Les cloches de la tour de l’église ont été l’alarme parfaite à 6 heures du matin, offrant une vue imprenable sur les collines. Rome n’était plus très loin.


Jour 2 Personnellement, je mange toujours quand je m’arrête, surtout avant de dormir, car je me sens mieux ainsi et je n’ai jamais faim au réveil. Je suis ainsi prêt à pédaler jusqu’au petit déjeuner sans être en déficit énergétique. Chacun possède sa propre stratégie alimentaire, il faut juste un peu de temps pour comprendre ce qui fonctionne. Des sentiers forestiers amusants et vallonnés nous ont rapprochés de Rome. À exactement 300 km, une route pavée romaine conduit à la périphérie de la ville. Je resté émerveillé par les grandes structures du Colisée et de la Cité du Vatican. En y passant de jour, nous avons eu une idée de leur grandeur, et de la foule de touristes présents ! Loin d’eux, nous avons fait le plein de ce qui allait devenir notre aliment de base, la pizza, comblant un appétit qui allait croissant. Puis nous sommes retournés dans les collines. Une pause café parfaitement choisie nous a abrités d’une courte tempête de pluie, faisant chuter la température à un chiffre indécent pour la saison. Sachant que je me refroidis rapidement une fois mouillé (et deviens grincheux), je me suis rapidement emballé dans un pantalons Gore C5 gore-tex. Très léger, dans un sac de petite taille, j'ai fini par l’utiliser plus que prévu. La seconde nuit était un peu moins glamour que la première. S’arrêtant vers 23h30, nous nous sommes installés dans la cour d’une maison, derrière la haie de la route. Au moins, c'était sec et plat. 3 heures plus tard, nous étions repartis.

33


Jour 3 Les routes blanches de la Toscane, les fameuses Strade Bianche, figurent souvent parmi les lieux mythiques, en tout cas pour les cyclistes et j’y étais enfin. Les heures précédant l’aube étaient froides, l’éclairage de mon vélo tranchait le noir alors que les pneus ronronnaient sur des pistes de gravier. Ces heures sont consacrées à accumuler les kilomètres, à avancer, à l’attendre des signes de l’aube, synonyme de réchauffement. Nous nous sommes régalés ce matin-là. À quelques centaines de mètres d'altitude, la lumière a révélée des couches de nuages en dessous de nous, couvrant les vallées, et sous un ciel dégagé. Comme une sensation de liberté absolue et de flotter sur les nuages. Toutefois, les pensées se sont toutefois rapidement tournées vers la nourriture et le café, en espérant dégoter un boui-boui ouvert. Et nous avons eu de la chance. Un propriétaire de café au bord de la route était un observateur passionné et attendait dehors pour nous accueillir. La chaleur et la sieste avant la longue montée qui nous attendait, nous porteraient sur ces fameuses Strade Bianche. Giacomo, l'organisateur, s'est joint à nous pour quelques kilomètres, avec une belle mine reposée, comparé à nos apparences fatiguées. Ils nous avaient parlé des collines toscanes en omettant de dire qu’elles étaient raides ! Nous avons laissé la compétition quelques minutes, achetant des fraises dans un magasin situé dans le village perché de Radicofani, nous nous sommes attardés pendant un moment devant un café en admirant la vue et en savourant ces fruits.

34


•••• Arriver dans la ville de Sienne a été un choc. Après les collines paisibles, nous retrouvions la foule, en parcourant les rues anciennes de la ville et sa magnifique place centrale. Vous ne pourrez que vous attarder pour admirer la grande architecture du passé et vous interroger sur le savoir-faire nécessaire pour construire des bâtiments aussi vastes et créatifs. Le reste de la journée a été rempli d'iconiques routes blanches sous un soleil radieux, ravi de mon choix de braquet avec une alternance de montées et de descentes. De nombreux villages situés au sommet d'une colline offraient de nombreuses possibilités de nourriture, d'eau et de photos, tout en essayant de réduire au minimum les temps d’arrêts au fur et à mesure de la journée. L’après-midi, nous nous sommes arrêtés pour une sieste sous le soleil radieux, juste après la ville de Raddi in Chianti, avant de repartir sur un de ces chemins bordés d’emblématiques cyprès jetant leur ombre infâme sur la piste blanche. Malgré la température chaude de la journée, la température chutait drastiquement. Nous avons pris des mesures par rapport à la nuit précédente, grâce à une brèche dans une haie, et nous nous sommes installés dans le patio, à l’arrière d’un petit immeuble.

La route était tracée pour nous permettre d’arriver avec une vue grandiose sur Florence, via une zone d’observation populaire au-dessus de la ville.

Ses rues regorgeaient de touristes alors que nous traversions le Ponte Vecchio et les rues anciennes de la ville, avant que des sentiers de campagne paisible ne redeviennent nos compagnons. Quelques heures plus tard, nous sommes arrivés au sommet d’une montée raide au moment où le ciel s'est couvert. La pluie froide a martelé le sol, se transformant momentanément en neige fondue. Se mettre à l'abri pendant un moment en attendant que le pire soit passé. Suivre le sentier aurait été un défi amusant sur le sec, mais maintenant c'était de la boue profonde, ce qui obligeait à faire un poussage en direction de la ville de San Piero. Sur les bords de la rivière, l’air froid emprisonné dans ce sentier étroit de la vallée attendait que le soleil se lève pour se réchauffer, même si nous n’avions pas encore eu un ciel dégagé. Nous nous sommes retrouvés à plusieurs coureurs pour une pause café à la périphérie de la ville. Des coureurs

35

endormis et gelés allaient et venaient. Nous nous sommes présentés boueux et humides au gérant du seul et unique gîte des alentours, pas très engageant…. Avant de s’installer pour quelques heures de sommeil à l'entrée d'une petite chapelle du village, au pied d’une longue montée. Des informations commençaient à arriver, présentant celle-ci comme impossible à rouler à cause de la boue, sous peine d’y laisser au minimum un dérailleur. En parcourant les premiers kilomètres, nous pensions que tout allait bien. Hélas, les informations étaient vraies, les roues s'arrêtent de tourner avec l’accumulation de boue. Le seul moyen de traverser était de porter le vélo. Pour une fois, l’éclairage avait du mal à percer la brume matinale et froide des premières heures.

Atteindre le col à la pointe du jour aurait dû révéler une vue sur les collines environnantes, mais la pluie froide persistante, empêchait de lever la tête, seulement pour chercher un café.


•••• Nous avons tous une faiblesse, qui doit être gérée dans de tels événements. La mienne est la circulation sanguine dans les pieds et les mains dans des conditions froides et humides, et après avoir perdu une surchaussure, les orteils gauches ont maintenant beaucoup souffert. J'ai dû m'arrêter au restaurant tout en haut du col pour me réchauffer les pieds, bien qu’il n’ouvre pas avant une heure. Le thé chaud et le petit déjeuner ont ramené quelques sensations aux extrémités. Depuis notre point culminant à plus de 1 000 m, les routes de montagne de l'arrière-pays nous ont fait traverser la campagne, la pluie relâchant progressivement son emprise. C’était un tour de montagnes russes le long de routes secondaires tranquilles au-dessus de Bologne, avant de redescendre par la vieille ville depuis le col de la Guardia, à 300 m audessus de la ville. Avec ses 38 km, le portique entourant le centre ville de Bologne et menant au sanctuaire de San Luca est le plus long au monde et constitue un autre exemple des structures impressionnantes que nous aurons l’occasion de découvrir. Il était temps de se restaurer.

Avec nos allures débraillées, nous passâmes près des restaurants les plus raffinés du quartier central de la ville, persuadés que notre odeur immonde n’aurait pas été la bienvenue.

Après la sortie de la ville, nous avons élaboré un plan, trouver une laverie pour s’occuper de nos vêtements. En route, nous sommes tombés sur un autre coureur, Stuart. Conformément à notre plan, nous avons fait le plein de nourriture dans un grand magasin Bio avant de nous rendre à la laverie. Avec des vêtements secs, et bien nourris ; cette étape suivante consistait en 150 km de terrain entièrement plat menant à Vérone, en suivant des routes secondaires et des pistes de gravier au-dessus des berges de protection contre les inondations. Maintenant nous étions trois et le soleil était radieux. À la tombée de la nuit, nous nous sommes arrêtés pour un chocolat chaud comme je n’en avais jamais goûté auparavant (épais et très chocolaté) ! Puis un ravitaillement en carburant, habillé pour des températures de plus en plus froides. J'ai trouvé des sacs en plastique assortis à porter par-dessus mes chaussures. Chic. Dans l’obscurité, la compagnie était la bienvenue, mais elle ajoutait un élément d’indécision, chacun voulant se reposer à des moments différents. Convenir d’un plan commun pour s’arrêter un peu avant de reprendre la course nous a pris du temps ! Le plan était Vérone, mais la fatigue s’est installée et nous nous sommes arrêtés à Monova, à 75 km de l’objectif. Nous avons fait dans le logement de luxe ce soir-là, un lave-auto 24h / 24, allongé dans la petite salle d’attente chaleureuse. Cette alarme de 3h30 (Mitch !) n’était donc pas la bienvenue. J'ai peut-être été un peu grincheux. 36


•••• Vérone était le point de départ de la dernière étape comprenant les deux principales ascensions du parcours, entraînant les coureurs dans les montagnes à plus de 2 000 m d’altitude où il avait neigé 24 heures plus tôt ! À Vérone, avec des températures atteignant les 20°C, le passage dans la neige semblait légèrement surréaliste. Faire le plein de victuailles ici était un bon plan car la montée était longue, environ 40 kilomètres. A mesure que nous sentions la fin approcher, l’allure augmentait à travers des vignobles. Puis, les sentiers plats ont cédé leur place à une longue et impitoyable montée. Fidèles à notre rythme de progression, Mitch et moimême avons été séparés de Stuart et de Philippa, gravissant maintenant les collines que nous avions vues de loin plus tôt dans la journée. Ce n’était pas une montée raide, se faufilant à travers de vieux villages et le long de sentiers forestiers, des sections raides et rocheuses forçant les jambes fatiguées à quelques poussages. Tard dans la soirée, nous avons atteint le dernier groupe de bâtiments (un excellent restaurant venait tout juste d’y ouvrir ses portes !). Un endroit idéal et protégé avec vue, rendait la promenade plus plaisante. Le coucher de soleil était fascinant, mais la température avait chuté de façon drastique. L’ajout de couches maintenant était indispensable, les kilomètres suivants nous exposant à un vent froid qui perdurerait. Idéalement, il aurait été préférable de traverser cette section durant la journée, afin d’apprécier pleinement ce coin reculé.

37


Mais à mesure que l’obscurité nous enveloppait, nos repères se sont peu à peu envolés, nous laissant juste légèrement perdus dans la neige et le vent glacial.

38


•••• Le coureur allemand Mark Lauzon avait prévu un arrêt au restaurant et un retour au bivouac. Mais comme cela se produit souvent les choses ne se passent pas comme prévu ! Le restaurant était fermé et le prochain ravitaillement se trouvait à Sabbionara, de l'autre côté de la montagne. La progression était lente. Une combinaison de fatigue, de froid et de neige mouillée. Le silence de la petite station de ski isolée était étrange, me rappelant le film « The Shining ». De vastes immeubles vides pour un dernier bivouac… rien de bien aguichant mais nous souhaitions stopper là pour quelques heures. Cela nous mènerait bien au-delà de notre temps d’arrivée prévu. La station étant bien en dessous de nous. J’étais sûr d’avoir entendu un cri, mais nous ne pouvions rien voir. Puis

leurs lumières se sont allumées, Stu et Philippa était proches de nous. Le temps final n’a jamais été un facteur important, nous nous sommes concentrés sur le simple fait d’avancer pour sortir du flanc exposé de la montagne. À maintes reprises, la piste a semblé nous inciter à redescendre, mais bientôt il faudra remonter. En l'absence de perspective sur les montagnes environnantes en raison de l’obscurité, cette piste semblait interminable, mais finalement, la descente est devenue plus longue. Fatigués et gelés, nous avons adopté une vitesse modérée dans la descente. Il serait tellement stupide d’avoir un accident maintenant. A ce moment-là, les pieds blessés par le froid, la chaleur d'un bar ou d'un restaurant faisait défaut.

pour les pieds ! Nous avons cherché un endroit pour manger, mais la pizzeria avait cessé de servir. Pas de surprise, même si nous ne savions pas qu’il était 23h passées ! Faire le plein de thé chaud sucré, de pain et dévorer tous les restes : la fin était en vue. Le dernier obstacle, une montée de 20 km, était la seule fois où j’avais hâte de faire une simple montée sur route ! La descente était plus facile cette fois-ci, via une piste de montagne désignée par un grand panneau indiquant qu’il fallait faire attention car il s’agissait d’une « route » de montagne non sécurisée et sans obstacle. Il doit y avoir une vue grandiose, à condition de passer durant la journée ! En nous concentrant uniquement sur la piste éclairée devant nous, nous n'avions aucune perception du danger à notre droite, nous roulions à flanc de montagne. Quelle descente cependant.

De retour sur la route, après une longue agonie dans le froid de la descente, le froid glacial a laissé place à une poche d’air chaud, un répit fort appréciable

39

La perspective de la ligne d’arrivée commençait à submerger le corps et l’esprit. Je voulais pédaler plus vite, mais je n’avais plus de vitesse dans les jambes. Un panneau indique 6 km de Torbole. Mon GPS a perdu le signal alors qu’il me restait 1,5 km à faire, j’ai tourné en rond, perdu Mitch, fini par rallier enfin l’arrivée. Simon Hindle, avec qui j'avais partagé un logement au tout début, s’était arrangé pour que je le rejoigne ici, à Torbole. Son aventure avait malheureusement pris fin 2 jours plus tôt. Il était donc déjà en ville. Une douche de bienvenue, de la nourriture et j'ai presque perdu connaissance dès que ma tête a touché l'oreiller. Merci Simon.


Le debrief

L’Italy Divide est présentée comme une épreuve en autonomie, mais c’est une aventure qui rassemble les athlètes, en particulier lorsque la météo devient menaçante. Les deux coureurs de tête, James Hayden et Sofiane Sehili, ont décidé de terminer ensemble après 1 100 km de confrontation. Les conditions de neige ayant rendu la descente finale trop dangereuse pour la course, le respect l’a emporté sur l’adversité. Je n’aurais pas pu surmonter cette épreuve sans la ténacité de Mitch : porter un vélo chargé de sacoche dans une boue glacée à 3 heures du matin a fait des ravages sur le mental, mais Mitch m’a poussé et m’a félicité. Merci également à Simon qui est venu me chercher à 5h du matin à l’arrivée. Rouler avec Stu et Philippa a également rendu les derniers 100 km plus agréables, ainsi que tous les autres participants que j'ai eu plaisir de rencontrer en cours de route. Après quelques heures de sommeil, il était temps de savourer une glace au bord du lac et de discuter avec les coureurs qui ont eux aussi terminé leur périple. L'aventure se termine au moment même où commence le festival de vélo du lac de Garde.

Il n’y a rien de civilisé dans ce type d’épreuve : dormir quand cela devient nécessaire, trouver le meilleur endroit à ce moment-là sans perdre de temps à trouver quelque chose d’idéal. Le moment de la journée devient sans importance, les seuls indices étant la nourriture, l'eau et le repos en cas de besoin absolu. C’était une sensation étrange de continuer à rouler au fond de la nuit ou de se lever à 3 heures du matin après seulement 3 heures de sommeil. Cela nous oblige à bousculer nos habitudes, nos croyances et convoquer ainsi une force mentale insoupçonnée pour ne s’arrêter qu’en cas de nécessité absolue. Quelque chose que je n'aurais jamais pensé être capable de faire. Néanmoins, notre course était plutôt décontractée, s'arrêtant pour admirer l'abondance de points de vue et de lieux pour prendre un café ou deux et j'ai perdu le compte du nombre de pizzas consommées. L'Italy Divide est une aventure captivante et une introduction idéale au bikepacking sur un format supérieur à 1 000km. Il faut juste venir préparé pour les conditions météorologiques changeantes et un terrain exigeant.

@Scott Cornish

40


BikingMan Corsica #2

UN RÉCIT DE XAVIER MASSART

41


Revenir sur une course d'ultra n'est sûrement pas un événement des plus communs, y revenir exactement un an après ma toute première participation à une épreuve de ce type est encore plus anecdotique ! Les épreuves d'ultracyclisme sont longues par définition et demandent ainsi beaucoup d'investissement. Compléter la Trans America Bike Race a représenté pour moi près d'un an de préparation et en tout, j'aurai passé près d'un mois aux États-Unis. Alors que cela soit à travers l'Europe, l'Australie, ou un autre continent; ces épreuves sont rarement répétées par la majorité des ultracyclistes. Ce que l'on cherche dans ces courses, ce que je recherche en tout cas, c'est avant tout leur caractère exploratoire; la découverte d'autres pays, d'autres routes, d'autres cyclistes; le tout dans un contexte de compétition et de dépassement de soi. Lorsque l'on revient sur une épreuve de ce type, on enlève déjà un peu de magie qui nous attirait la première fois. Mais si je ne referais sûrement pas la Trans America Bike Race, mon approche des épreuves du circuit BikingMan est tout autre. Ces courses plus courtes, plus intenses, sont pour moi un moyen idéal de me tester, pendant un, deux, voire trois jours; dans les conditions idéales et d'apprendre et répéter encore et encore certains gestes, techniques, et rythmes avant de les reproduire sur de plus longues distances. Dans cette optique, j'étais donc ravi de poser à nouveau le pied sur l'Île de Beauté pour reprendre la route de ce parcours sélectif de 700 km, avec près de 13 000 m de dénivelé.

Comme je le disais, 2018 et BikingMan Corsica #1 était la toute première course à laquelle je prenais part, sans savoir où j'allais, sans avoir la moindre idée de la difficulté qui m'attendait, sans même avoir jamais roulé de nuit ou même plus de 12h d'affilée... Un total débutant ! Cela ne m'a pas empêché de franchir la ligne d'arrivée à la 10e position en 38h05 (classement définitif et réévalué à la 6e place en 36h05). Cette année je partais donc avec un temps de référence se transformant en objectif : finir en 36h et améliorer mon chrono de l'an passé. À cela se rajoutait un élément de taille : la présence d'une équipe de télévision qui allait me suivre afin de réaliser un portrait de ma participation à la course. Est-ce que tout cela change vraiment l'approche de la course et le sentiment à la veille de la course ? Pas vraiment car on s'aligne toujours avec une légère boule à l'estomac sur la ligne de départ et l'esprit encombré par plein de pensées. L'an dernier je ne pouvais m'empêcher de relister mentalement tout mon matériel encore et encore de peur d'avoir oublié quelque chose de crucial qui m'empêcherait de terminer la course. Cette année avec plusieurs courses de ce type à mon actif, l'aspect matériel est bien rodé, et c'est alors le déroulé mental de la course qui s'invite aux pensées de dernière minute "manger mes 4 barres, 4 gels, boire 4 bidons jusqu'au premier checkpoint, y être pour 13h, ça fait 8h, et alors tu es dans les temps, etc..." J'imagine que même avec plus d'expériences, ces courses étant tellement longues, il y a toujours des pensées parasites qui s'invitent aux derniers préparatifs... Le jeu est de les transposer en force et ne pas laisser cela trop nous embrumer le cerveau... 42


Le réveil a sonné à 3h30, et après un rapide petit déjeuner, il est déjà temps de se diriger vers la ligne de départ. L'ambiance est comme toujours assez particulière : on peut ressentir ce mélange particulier d'excitation et de stress que partagent tous les participants, du "professionnel" venu pour gagner, à monsieur Tout-le-monde venu relever le défi d'une vie. Mais cette tension du départ n'empêche pas une ambiance bon enfant, on se parle et nous nous souhaitons bonne course : "Amuse toi mec", "Profite !", "On se voit sur la ligne d'arrivée, le premier offre la bière au suivant (tradition assez courante dans l'ultracyclisme).” Malgré la frénésie et la course au chrono qui va se lancer dans quelques minutes; ces compétitions restent des défis en soi, et du premier au dernier, nous passerons tous par les mêmes états de difficultés pour rallier l'arrivée. On le sait tous et c'est sans aucun doute ce qui rapproche les concurrents.

43


5h, le départ est donné... Si nous roulons ensemble durant les premiers kilomètres, en continuant à échanger avec les autres concurrents, la première difficulté arrive très vite et les 3 km à 10% du col de Teghime départagent tout de suite les troupes... La course est lancée dans la nuit noire et j'arrive déjà en haut du deuxième col de la journée lorsque le jour se lève vers 6h30. Les niveaux et rythmes se sont vite équilibrés et chacun est déjà dans son rythme, je suis dans le top 15 après quelques heures et je me sens bien. La météo est clémente avec un ciel couvert et une température de 15°, idéal pour moi qui suis clairement plus habitué à ce type de climat. Après environ 120 km où les cols et descentes s'enchaînent sans encombre, je retrouve l'équipe de télévision (restée complètement au deuxième plan jusque-là) qui prévoit de me suivre et prendre des images jusqu'au premier checkpoint, 60 km plus loin... C'est évidemment à ce moment-là que les choses se gâtent pour moi puisque 20 km plus loin je sens que mon pneu arrière se dégonfle gentiment... Assez gentiment pour me dire naïvement que ça tiendra peut-être les 40 km qui me séparent du CP1.

Malheureusement kilomètre après kilomètre je sens que je perds de la pression... Je continue à repousser le moment où je devrai m'arrêter, jusqu'au moment où c'est mon pneu avant qui subit le même sort, de manière beaucoup moins discrète puisqu’en 500 m à peine je suis sur la jante, cette fois-ci pas le choix, il faut prendre le temps de réparer. Je suis évidemment à peine arrêté que la télévision s'invite à la partie, et même si j'en rigole avec eux alors qu'il s'en donne à cœur joie sur les gros plans de moi les mains dans la graisse en train de réparer, j'ai bien du mal à être efficace pour réparer ma double crevaison. Car oui, deux crevaisons, une seule chambre à air, un trou à reboucher que je ne trouve pas, du soleil, des caméras, des concurrents qui me dépassent minute après minute; ça fait subitement beaucoup de choses à gérer ! Il faut que je redouble de concentration lorsque je réalise que ma chambre à air de réserve a une valve 44

capricieuse que je n'arrive pas à regonfler... Après 45 min, je finis par reprendre la route avec un pneu dont la chambre à air a été remplacée mais gonflée au minimum (entre 1 et 2 bar). J'ai finalement utilisé la chambre à air de la crevaison lente dont je n'ai pas trouvé la fuite à l'avant, en croisant les doigts pour au pire arriver jusqu'au CP1 en devant regonfler une fois de temps en temps... Je fais un col comme ça en jugeant constamment l'état des pneus : "Ça tient...", "Ouais c'est quand même un peu moins gonflé devant non ?!? Non ça va tenir..."; et j'ai à peine commencé la descente vers le checkpoint qu'il faut me rendre à l'évidence : ça ne tient pas et je viens de frôler la catastrophe dans un virage. Dans mes mésaventures, j'ai de la chance puisque cela arrive juste au moment où je traverse le village de Viviano, et que deux ouvriers me prêtent une pince, ce qui me permet de réparer la valve récalcitrante, et de regonfler mon pneu.


Arrière à bloc, j'opte aussi pour le seau d'eau, je trouve finalement la fuite et je peux ainsi mettre une rustine et regonfler le pneu avant... Lorsque que je me remets en route, j'estime que j'ai perdu environ 1h/1h30 à réparer... Il faudra être efficace pour la suite ! S'en vient alors l'interminable phase de calcul : si je repars à 14h, j'aurais mis 9h pour les premiers 180 km, donc 9 x 4 = 36h... Il ne faut donc pas perdre une minute à ce checkpoint ! Déjà assez de temps perdu... Mentalement je visualise aussi tous les gestes que j'aurai à effectuer lors de cet arrêt pour être le plus efficace possible… "D'abord la priorité est de réparer ma deuxième chambre à air percée, au cas où j'ai une nouvelle crevaison. Ensuite, pendant que la colle sèche, je branche le GPS qui doit charger... Ou alors je branche d'abord le GPS ?! Oui je fais ça en premier, puis la chambre à air, puis poinçonner la carte et prendre les temps, remplir les gourdes, mettre de la crème solaire, remplir à nouveau ma pochette de nutrition et me remettre en route…" D'ailleurs en parlant de nourriture, sur cette première partie j'ai mangé : mes 6 barres, 2 sandwichs et 2 gels en 9h ... Je suis presque à jour sur ma nutrition ! C'était un des aspects que je voulais vraiment tester et contrôler durant cette course. Je reste donc positif, malgré mes déboires, je suis content de boucler ce premier 1/4 dans mes temps et en forme... Dommage ces crevaisons m'auront fait perdre de précieuses minutes d'avance... Et des places puisque je signe la feuille en 35e position !

45


46


47


48


49


Qu'à cela ne tienne, je sais bien que ce n'est que le début de la course, et que c'est surtout le soir et la nuit que les choses vont se jouer. C'est là où l'on verra la différence entre les ultracyclistes et les bons cyclistes du dimanche... Je repars donc confiant et reboosté... En plus les routes s'enchaînent et à chaque début de col, je me souviens vraisemblablement de la difficulté qui m'attend et arrive à la visualiser ... Ce qui me permet à chaque fois de l'aborder le plus efficacement possible. Avoir fait la course une première fois est donc sans aucun doute d'une aide précieuse ! Les kilomètres s'enchaînent et je me rends compte que je suis vraiment en avance sur mon temps de l'an passé puisque je roule de jour à des endroits où il faisait nuit l'année dernière. Il est donc environ 22h lorsque j'arrive à Ajaccio, laissant derrière moi une grande partie du dénivelé et environ la moitié des kilomètres. L'an passé il devait être 2h du matin quand je suis arrivé dans cette zone... J'hésite à m'arrêter à l'un des nombreux restaurants et fast-food que la ville offre pour mon premier repas conséquent de la journée, mais à seulement 1 km de ce deuxième checkpoint, l'envie d'en finir est trop grande et je me dis qu'il devrait y avoir un vrai repas à ce CP2 : ma deuxième erreur du jour. Les bénévoles y servent un plat de poisson qui me donne des haut-

le-cœur rien qu'à l'évocation du mot morue, ou un hachis parmentier de canard. J'opte pour ce dernier que j'engloutis assez vite, sans savoir alors que je vais vite le regretter.... En 20min j'ai mangé et je suis changé pour affronter la nuit, le ventre rempli, et je me remets en route en même temps que deux autres athlètes : Français et Russe... La TV est de la partie à nouveau, mais je fais déjà complètement abstraction de leur présence, ils sont là durant quelques kilomètres pour prendre des images de nuit, puis disparaissent dans la nuit et me retrouveront le lendemain. Nous garderons cette dynamique jusqu'à la fin de la course, sans qu'ils n'interfèrent jamais sur ma course... Je ne pouvais rêver meilleure équipe et approche pour ce genre de couverture ! L'élément dont je ne peux par contre plus faire abstraction, c'est mon estomac qui a bien du mal à digérer ce hachis de canard... Lourdeur d'estomac, rot au canard et autre haut-le-cœur commencent sérieusement à me préoccuper mais aussi me ralentir... J'ai beau essayer de boire beaucoup d'eau pour faire passer le tout, rien n'y fait impossible de digérer ce canard... Mais impossible de m'en débarrasser aussi puisque je n'arrive pas à le vomir.. Après presque 4h je décide de prendre un motilium et de serrer les dents...

50


Il est alors 2h du matin, et la température chute brutalement, mon GPS affiche jusqu'à 0°c... J'ai beau enfiler absolument toutes mes couches, la fatigue et les problèmes d'estomac combinés, j'ai froid ! Je n'ai rien réussi à avaler depuis ce CP2 et je sens clairement que je manque de force pour lutter contre le froid et avancer à un bon rythme... Cette deuxième partie de nuit devient donc une longue, très longue lutte mentale pour continuer péniblement à avancer ... Je grelotte constamment et je suis heureux dès que la route s'élève et je me dis qu'au moins la montée me tiendra chaud... C'est aussi le moment où je traverse les villes touristique de Cargèse, truffée d'hôtels qui sont autant de tentations de juste m'arrêter, me blottir sous une couette quelques heures le temps que ça se réchauffe et finir demain, mais m'arrêter ce soir voudrait dire postposer mon arrivée finale et sûrement m'infliger une deuxième nuit dans le froid. Hors de question ! Pédale plus fort, ça te réchauffera ! Voilà ce que je me dis minute après minute... Finalement le soleil se lève et je sais parfaitement que dans 10/20 km il y a le

petit village de Manzana où je pourrai prendre mon petit déjeuner, du moins essayer d'avaler quelque chose puisque j'ai pédalé toute la nuit et à part un gel, je n'ai toujours rien avalé... Ce village était l'an dernier aussi synonyme de délivrance et de petit déjeuner. Je suis donc plus ou moins toujours dans les temps, même si je l'avoue, complètement focalisé sur mes problèmes d'estomac. J'ai arrêté de compter les heures et d’essayer de prévoir la suite de la course... Je suis même content de retrouver Niel, un autre concurrent fidèle aux autres éditions de la série et donc finalement un membre de la grande famille BikingMan. On partage donc un agréable petit déjeuner au soleil en racontant notre calvaire de la nuit frigorifique. On constate ensemble que plusieurs autres concurrents ont jeté l'éponge à cause du froid, ou se sont arrêtés dans un hôtel comme j'ai failli le faire. 12h après l'ingestion du canard, mon estomac se remet doucement en route et j'avale timidement un café et un croissant. Cela devrait me permettre de tenir les 35 km restant jusqu'au CP3, ensuite c'est déjà la dernière ligne 51

droite! Niel repart avant moi et je le croise alors qu'il quitte déjà le nouveau checkpoint, j'ai clairement ralenti la cadence ! J'entame alors cette dernière partie de 120 km qui m'avait semblé interminable l'an dernier. Le cap corse est une route sinueuse qui enchaîne les Baies le long de la mer et les caps en hauteur, des centaines de fois ! En plus de cela c'est une route touristique, et l'an passé le trafic m'avait clairement oppressé et terni l'expérience... Mais ici, après quelques kilomètres, je réalise que nous sommes en semaine, et que le premier mai ne tombe que le lendemain ! Il n'y a donc pas grand monde sur la route, et je profite d'autant plus de ce paysage magnifique en bord de mer ! Les kilomètres s'enchaînent, et doucement s'installe ce sentiment d'euphorie. Ça y est, je vais la finir cette course, une nouvelle fois ! Côté timing, les 36h ne sont clairement plus au programme, mais je n'en suis pas très loin non plus ! À 70 km de l'arrivée, au pied de l'avant dernière difficulté je réalise même que je suis en train de revenir sur Niel, peut-être qu'en poussant un peu c'est moi qui devrais lui offrir cette bière.


Je fais toute cette montée en force, et arrivé en haut, j'ai clairement repris du terrain ! Il reste la boucle bonus, puis c'est 40 km de plat/descente jusqu'à Bastia ! Ça se tente non ?!? Là j'ai clairement un énorme boost d'adrénaline à l'idée de finir "fort" et je remets une dent en plus au début de la dernière côte... À peine 2 minutes plus tard je vois Niel au bout d'une ligne droite et je fonce sur lui... On en rigole, je lui demande ce qu'il voudra comme bière, il est clairement cuit et me laisse partir... Plus que 40 km ! Et là de l'autre côté de la vallée, c'est Denis, le Russe que j'aperçois... Ni une ni deux, c'est une belle descente, ça se laisse tenter ! Lorsque l'on redescend au niveau de la mer avant d'entamer le sprint final, Denis n’est qu'à une centaine de mètres devant moi... Je temporise et me dis que ça ira... Je le dépasse, lui dis bonjour, et réalise qu'il est lui aussi dans le dur et en mode survie et complètement surpris de me voir... On échange brièvement et je reprends ma course. Décidément, est-ce que je peux continuer et finir à fond maintenant ? 30 km légèrement vallonné... 1h et j'y suis ?!? Ok va essayer... Coup de pédale après coup de pédale je me sens de mieux en mieux, bien décidé à en finir le plus vite possible... Quelques minutes plus tard c'est Stéphane, l'Allemand, que j'ai en ligne de mire ! Wow encore?!? Il est sûrement dans le même état que Denis... Je temporise un peu en le gardant en vue... Puis même stratégie, je mets une dent de plus, je remonte à ses côtés, on échange brièvement... Je remets une dent, je me remets en mode contre la montre et je pousse... 40 km/h... 45 km/h... "Mes jambes hurlent mais je me convaincs que dans 30min j'y serai et ça sera la fin... En plus je viens de dépasser un troisième gars... Haha tellement absurde sur les 50 derniers kilomètres ... Enfin je pense bien l'avoir dépassé... Ne pas se retourner, c'est sûr il est loin derrière... Continue de pousser encore un peu sur ces pédales... Après de nombreuses minutes d'auto conviction, je décale furtivement la tête, et voilà que Stéphane n'est en fait qu'à une dizaine de mètres dans mon sillage... Damned raté... Je lève le pied, il me rejoint" 52


- Tu pousses comme ça depuis combien de temps ? - Haha pas si longtemps, je voulais juste essayer de finir fort... (D'ailleurs je le taquine un peu...) - Tu veux faire la course ?!?" - Haha ! à 20km de l'arrivée tu veux faire la course ?! T'es fou !

53


On continue à papoter, puis je lui dis que je vais quand même essayer de finir plus fort... Que le meilleur gagne... Je remets une dent et me remets à pousser... À peine 3 minutes plus tard, il me double comme une fusée et là mentalement et physiquement, impossible de l'accrocher... Je n'ai même pas essayé... 2 minutes plus tard je l’aperçois presque 1 km devant moi. J'ai bien fait de ne pas essayer car jamais je ne l'aurai eu ! Mais du coup à 20 km de l'arrivée, mon boost d'adrénaline retombe doucement et ma forme aussi. Et je dois à nouveau puiser loin dans les réserves mentales pour ces derniers kilomètres... Arrivée à Bastia dans le trafic, on n'essaye même plus de pousser fort. Juste de terminer ces 7 derniers kilomètres et en finir !

54


38h41 minutes, 13e place et surtout, une course de plus bouclée et de l'expérience en plus, c'est surtout ça qui me revient à l'esprit en repensant à la course ! De nouvelles conditions de courses que j'ai pu tester et le matériel qui va avec... C'est aussi comprendre encore un peu plus comment mon corps fonctionne et réagit ! Je sais maintenant qu'un repas lourd juste avant une nuit de froid, n'est pas spécialement un combo gagnant ! Que nouveaux pneus ou non, une seule chambre à air de secours n'est pas optimal... Surtout si c'est un modèle dont la valve se dévisse complètement et peut poser problème... Je sais aussi que quoiqu'il advienne, je n'enlèverai plus non plus mes prolongateurs qui, parcours montagneux ou non, permettent un avantage considérable en termes de confort sur le guidon (qui m'a cruellement manqué dans la dernière partie de la course lorsque les mains ne peuvent plus se poser sur le guidon sans envoyer des décharges électriques dans les doigts..). J'ai à nouveau eu la confirmation que je peux rouler 36h sans dormir et sans trop de problèmes si je surveille bien mes somnolences... Autant d'apprentissages qui me permettent à chaque fois de terminer sur un bilan positif ! Des apprentissages que j'ai hâte de remettre en application sur du long format. Cette année le long projet qui me tient vraiment à cœur est sans aucun doute la Transcontinentale qui débutera le 27 juillet 2019. Ces 4 000 km à travers l'Europe me permettront de renouer avec la très longue distance et ce rythme de course si particulier que j'avais découvert lors de la Trans Am. Affaire à suivre donc !

@xaviermmassart

bikingman.com/fr/

Clique sur l'icône pour écouter l’épisode du podcast avec Xavier Massart, 3 jours avant le départ de la Transcontinentale Race 55


Abonne-toi Ă notre newsletter et retrouve le meilleur de notre page Facebook ! INSCRIS-TOI


Inca Divide 2019

PAR GUILLAUME CHAUMONT

57


Ca démarre fort !

Jour 1

Il est 3h45 du matin et lé réveil sonne. Le départ est à 5h, mais avec les touts derniers préparatifs, la mise en marche du tracker, la vérification du transpondeur, etc., je préfère prendre mon temps. Surtout qu’il faut encore déjeuner, et quand on sait ce qui nous attend, mieux vaut faire des provisions. Alors que je m’habille, je vérifie par acquis de conscience mes chaussures et m’aperçois qu’il manque une vis sur la cale de ma chaussure droite… Ca commence bien ! Je cours donc dans tous les sens afin d’en trouver une, demande à l’un et à l’autre, mais personne ne peut m’aider. Pas même le responsable de Gato Bikes, magasin partenaire de l’événement et dont l’atelier se trouve trop loin du départ que pour pouvoir m’aider. Mais, quelques minutes avant le départ, la roue tourne et je croise Hervé, l’un des concurrents français, qui a une seconde paire de cales de réserve. Ouf, juste le temps de mettre la vis manquante et resserrer les autres et je me place sur la ligne de départ. Plus que dix minutes avant le coup d’envoi de cette troisième édition de l’une des courses d’ultracyclisme les plus difficiles au monde. En effet, le parcours consiste une boucle de 1 700 km sur parcours aussi varié que cassant à travers la cordillère des Andes, alternant entre route en plus ou moins bon état et pistes de terre, le tout frôlant à plusieurs reprises les 5 000 m d’altitude. Juste le temps d’échanger quelques mots avec Stuart,

le concurrent sud-africain à ma gauche et rookie comme moi, et Marcus, un Anglais habitué de ce genre d’épreuves, et la cours est lancée depuis notre hôtel situé dans la ville de Trujillo. La première heure de course est neutralisée et nous quittons lentement Trujillo jusqu’à la petite ville de Huanchaco où le départ réel est donné. L’ambiance est décontractée et le peloton progresse tranquillement dans la nuit sur une route panaméricaine encore assez calme. Le peu d’automobilistes que nous croisons klaxonne et nous acclame, ce qui ajoute une touche sonore à l’ambiance lumineuse créée par nos lampes et feux arrières rouges clignotants. Après quelques kilomètres, nous croisons un premier casse vitesse et, déjà, je perds les deux bidons de ma sacoche avant. Pas de soucis, je les ramasse et je reprends ma route en prenant soin de ne pas me faire distancer par le groupe. Après tout, j’ai acheté cette sacoche spécialement pour y loger deux gourdes supplémentaires. Le problème est que ceci va se répéter trois fois et qu’à chaque fois je dois effectuer un effort plus intense pour rattraper le peloton. Pas très intéressant sur une course aussi longue et sachant que la journée va être longue. Alors, à la troisième chute de mes deux bidons, je décide de ne pas les ramasser, je trouverai bien une autre utilisation à ces poches et un autre moyen de stocker un supplément d’eau pendant la course. 58


Jour 1 Après 25 km, le départ réel est donné et l’allure augmente. Et comme nous avons le vent dans le dos, cela ne demande pas beaucoup d’effort pour rouler à plus de 30 km/h de moyenne. Par contre, ça demande beaucoup d’efforts aux quelques coureurs qui souhaitent déjà fausser compagnie au groupe. C’est pourtant ce que feront Rodney et Giona assez rapidement. De mon côté, je reste dans un groupe d’une dizaine de coureurs, ça roule bien et me permet d’économiser pas mal d’énergie. Le drafrting est interdit durant la course, mais il est toléré lors des premiers kilomètres, le temps que cela se décante dans le peloton. Sauf que ces quelques kilomètres vont finalement durer jusqu’au pied de l’ascension du jour, soit près de 150 km que nous avons effectués en groupe à plus de 33 km/h de moyenne. Au moins, nous avons fait la moitié de la distance sans trop nous fatiguer et nous devrions atteindre le CP1 (premier checkpoint de la course), situé à Cajamarca, le soir-même. L’ascension commence avec une pente très douce et nous avons encore le vent dans le dos en entamant celle-ci. Le groupe s’est finalement dissous et nous nous suivons maintenant chacun à quelques dizaines voire centaines de mètres l’un de l’autre. Après avoir longé le Reservorio de Tinajones, je suis rejoint par Fabian, un concurrent suisse, habitué de ce genre d’épreuves, avec qui j’avais échangé la veille de la course. Nous effectuons quelques kilomètres ensemble et je finis par prendre un peu d’avance sur lui. Peu après, j’effectue mon premier arrêt dans une petite tienda, petite épicerie classique, pour me ravitailler et Fabian me rejoint. Mais déjà, nous sommes sur deux stratégies différentes puisqu’il cherche à s’arrêter pour manger dans un petit restaurant alors que mon objectif est de m’approvisionner uniquement en eau et en cocacola puisque je m’étais préparé des sandwichs la veille. 59


Jour 1

Je reprends la route et la pente, très faible en début d’ascension, s’intensifie peu à peu, mais rien de bien compliqué. Je n’ai jamais été un très bon grimpeur mais les longues ascensions ne me font pas peur, elles nécessitent généralement beaucoup de patience et l’important est d’y aller à son rythme pour ne pas se cramer. Je continue donc tranquillement mon ascension mais cela fait maintenant dix heures que nous roulons et je me rends compte que mes jambes ne répondent plus. Je suis « tout à gauche », c’est-à-dire en 34-34 sur une pente qui n’excède pas les 5% et je suis pourtant vraiment à la peine, n’atteignant même plus les 10 km/h. Je suis rattrapé par Sofiane, futur vainqueur de l’épreuve, et avec qui j’étais allé déjeuner deux jours auparavant, sans savoir qui il était à ce moment-là. Sofiane m’explique qu’il s’est fait mordre par un chien et qu’il va déjà devoir se faire injecter une dose de vaccin contre la rage à Cajamarca. C’est vrai qu’on nous avait prévenus de nous méfier des chiens, mais de là à se faire mordre le premier jour, ça m’a clairement fait peur. Mais puisque Sofiane ne veut pas traîner, il se détache rapidement de moi et continue sa route vers le CP1 à son allure. Quant à moi, je commence vraiment à coincer ! « Comment vaisje faire dans les Andes après plusieurs jours de course si je coince déjà sur la route vers Cajamarca à seulement 2 000 m d’altitude ? Sans oublier

que, lors de ma période d’acclimatation que j’ai effectuée à Huaraz (3 000m d’altitude), j’ai été pris d’un violent mal d’altitude et ai été contraint de redescendre rapidement à Trujillo, situé au niveau de la mer ! ». Bref, déjà pas mal de doutes après seulement quelques heures d’une course qui pourrait durer une dizaine de jours. Arrivé à San Juan et ses 2 300 m d’altitude, je fais un nouvel arrêt ravitaillement. J’en profite pour manger un sandwich que j’avais préparé la veille et me poser sur un banc quelques minutes. Mais, je ne sais pas qui m’arrive, j’ai l’impression d’être pris d’un bad trip et je ne sais absolument pas quoi faire. Je vérifie mes messages et je vois qu’Elo me dit que je suis 5e actuellement, je n’y crois pas. Pourtant, je ne parviens pas à me calmer. Assis, debout, je tourne en rond, je suis très nerveux, non pas à cause de cette 5e place, mais peut-être plutôt à cause de l’altitude. Toujours est-il que j’ai l’impression de délirer. Je reprends finalement la route et là, j’ai l’impression d’avoir des jambes nouvelles. Ma vitesse a littéralement doublé par rapport à ce que j’étais capable de faire juste avant mon arrêt. Je me dis que c’est parce que je viens de m’arrêter et que ça ne va certainement pas durer, mais en réalité je tiens à près de 14-15 km/h dans une pente relativement douce mais qui n’en finit pas. La nuit commence alors à tomber, il est 18h30 et je suis bientôt rejoint par la seconde voiture 60



Jour 1

médias de l’organisation, celle de David et Didier. Ils se portent à ma hauteur et prennent de mes nouvelles, me confirmant que je suis bien placé, aux alentours de la 6e ou 7e place. Toujours dans cette euphorie, que j’attribuerai plus tard à l’altitude, je leur sors pas mal de conneries, je ne peux m’empêcher de parler et j’ai l’impression de ne pas tenir en place. Ils prennent alors congé de moi pour retrouver les coureurs qui me précèdent, le sommet n’étant plus très loin. C’est peu après 19h que je passe le sommet après une ascension qui aura commencé plus de 150 km et près de 10h plus tôt. Afin de ne prendre aucun risque, je m’arrête au col, j’enfile les jambières, le maillot à manches longues ainsi que la ceinture réfléchissante et je me lance dans une descente à un rythme soutenu, comme j’aime le faire. Slalomant entre les voitures et les moto-taxi, j’arrive finalement à Cajamarca et me dirige vers le lieu du CP1, situé sur la Plaza de Armas. Lorsque je passe le portail de l’hôtel accueillant le checkpoint, il est 20h02 et je pointe en 7e position, à seulement deux heures des leaders Rodney et Giona. Je n’en revenais pas ! Puisque c’est ma première course, je ne sais évidemment pas quel est mon niveau par rapport aux autres, du moins jusqu’à maintenant. Car passé le premier point de contrôle, une première hiérarchie est établie 62

et je sais maintenant que je peux jouer un rôle d’outsider. Il est encore tôt et deux options s’offrent maintenant à moi : continuer ma route et suivre les leaders qui s’enfoncent dans la nuit ou loger à Cajamarca après 320 km et près de 4 000m de dénivelé positif. Sans oublier qu’après ce départ ultra rapide, cette journée aura été avalée à une vitesse moyenne de plus de 23 km/h. N’ayant pas encore l’expérience de ce type de course, c’est sagement que je choisis la deuxième option afin de bien me reposer et attaquer la journée du lendemain en forme. Et puis, la course promet d’être longue et très difficile, rien ne sert de se presser, je ne joue de toute façon pas pour le podium. Après un bon spaghetti carbonara, je file au lit pour une bonne nuit de sommeil et d’acclimatation à l’altitude en douceur. Une dernière question me taraude avant d’aller dormir : et si j’étais allé trop vite aujourd’hui ? Et si je m’étais cramé ? Je n’en ai pas l’impression, mais tout ce que je sais, c’est que je suis finalement monté assez vite pour quelqu’un qui n’est pas un grimpeur ! On verra cela dans les prochains jours, pour l’instant, il faut penser à se reposer.


Première rencontre avec le gravel péruvien

Jour 2

La journée commence tranquillement. Après quelques soucis de carte de crédit à Trujillo, je ne prends aucun risque et décide de reprendre un peu d’espèces dans la banque située juste à côté de mon hôtel de Cajamrca afin d’effectuer la traversée de la Cordillera Negra en toute sérénité avec suffisamment d’argent. En effet, il n’y aura plus forcément de distributeurs avant un petit moment et mieux vaut prendre ses précautions. Je prends donc la route sur les coups de 5h du matin, il fait encore nuit et la ville est très calme par rapport au capharnaüm que j’avais constaté la veille lors de mon arrivée. Ce n’est pas déplaisant de voir une telle ville aussi calme, et ça permet une traversée bien plus aisée. J’avance tranquillement mais sûrement vers les premières petites ascensions de la journée et je rattrape Felipe, un concurrent équatorien avec qui j’échange quelques mots. Comme 63

depuis Trujillo, on est toujours sur de l’asphalte de bonne qualité et après cinq minutes à papoter, je sens que je pourrais aller un peu plus vite. Je décide donc de reprendre ma vitesse de croisière, mais je sens que Felipe reste collé derrière moi. Une petite entorse au règlement qui n’est pas très grave (le drafting étant interdit sur les courses d’ultra distance), mais je n’ai tout de même pas envie de « travailler » pour lui. Je ralentis donc l’allure et nous échangeons quelques mots supplémentaires avant d’attaquer une descente. C’est le moment idéal pour fausser compagnie à Felipe et je profite de mes qualités de descendeur pour creuser un écart suffisant pour ne plus le revoir. Nous n’en sommes qu’au début de l’épreuve, et bien qu’il s’agisse avant tout d’aventure et de dépassement de soi, je ne peux m’empêcher de voir l’aspect compétition, surtout après mon passé à haut niveau en karting.


Jour 2

Les kilomètres défilent sans problèmes, j’ai de bonnes sensations et je vois apparaître, au loin, la roue arrière de Marcus, l’anglais habitué des courses d’ultradistance avec qui j’avais discuté sur la ligne de départ. Je le vois au loin, mais à aucun moment je ne reviens sur lui, que du contraire même. Nous effectuons quelques lacets, à une centaine de mètre l’un de l’autre. Je le vois apparaître puis disparaître au fil des méandres de la route. Et puis d’un coup, j’entends des aboiements et cri assez violent ! La première pensée qui me vient à l’esprit est que Marcus s’est fait mordre. Cela ne me rassure pas, d’autant plus que ce serait la seconde morsure dont je suis au courant en moins de deux jours. J’appréhende donc énormément la suite de la course à ce niveau-là, mais je suis loin de me douter que les chiens seront en réalité le cadet de mes soucis. Je continue néanmoins sur le rythme qui était le mien. L’une des clés de ce genre d’épreuves, et je le sais déjà, est d’avancer à son propre rythme et non de vouloir lâcher ou chasser à tout prix un concurrent. La course est longue et tout peut arriver, alors se fatiguer après moins de deux jours serait la plus grosse erreur à faire. En fin de matinée, j’arrive dans la ville de Cajabamba qui est en pleines festivités et je rejoins Frederico, un brésilien pour qui l’Inca Divide fait également office de baptême. Je ne le sais pas encore à ce moment-là, mais Frederico

et moi n’allions plus vraiment nous lâcher d’ici la fin de l’épreuve. Tant bien que mal, nous traversons Cajabamba et nous perdons de vue sur les kilomètres qui suivent la sortie de la ville. C’est finalement à trois que nous nous retrouvons à l’entrée de Huamachuco, puisque j’y retrouve Frederico et que nous sommes ensuite rejoint par Marcus. Le temps de demander rapidement des nouvelles à Marcus après le cri que j’ai entendu le matin-même, il me rassure en me disant qu’il a simplement voulu repousser les chiens mais qu’à aucun moment il ne s’est fait mordre. Bonne nouvelle ! Nous traversons la ville ensemble et dans une ambiance très conviviale avant que Marcus et moi nous arrêtions pour prendre de l’eau. Nous allons entamer d’ici peu le premier segment gravel et mieux vaut faire des réserves car les ravitaillements vont se faire de plus en plus rares. Et c’est là que je vois que Marcus a beaucoup d’expérience sur ce type d’épreuves. Là où j’ai tendance à prendre mon temps, discuter rapidement avec les gens en expliquant ce que je fais dans la région, Marcus, lui, paie ses bouteilles d’eau avant même de les recevoir et, en un rien de temps, a déjà repris la route. Mince alors, je n’ai même pas encore bu une goutte d’eau qu’il s’est déjà remis à pédaler ! Ni une ni deux, je remplis mes bidons et prends la route vers le sud de la ville. 64


Jour 2

Huit kilomètres après Huamachuco apparaît un petit chemin de terre que mon GPS m’indique de prendre. Je n’aurais jamais pensé prendre à gauche ici, mais puisque c’est ce qu’Axel (l’organisateur de la course et de l’ensemble de la série BikingMan) nous a réservé, allons-y. La vitesse chute alors drastiquement, ce à quoi je m’attendais, donc pas de raison de s’affoler. J’en profite pour m’arrêter et diminuer la pression de mes pneus, sans crainte, puisque je suis en tubeless. Cette technique de montage des pneus permet de se passer de chambres à air, avec comme principal avantage que l’on peut diminuer fortement les pressions sans risquer la crevaison par pincette. Le choix du tubeless paraît probablement évident à la majorité des pratiquants de cette discipline ainsi qu’aux VVTistes, mais pour moi ce ne le fut pas tant que ça. N’ayant aucune expérience avec le tubeless, j’avais peur de le tester en course mais j’ai finalement décidé d’y passer la veille du départ, sous les bons conseils de plusieurs autres participants, choix que je ne regretterai pas. Cette partie gravel ne monte pas très fort, puisqu’on est sur une pente moyenne de 2-3% avec des passages à 5-6%, mais je commence assez rapidement à peiner. En effet, autre choix technique que j’ai fait, monter une cassette de 11-34 à l’arrière et garder mon plateau compact 50-

34 à l’avant, m’offrant ainsi un rapport de 1:1 sur le plus petit rapport. Ceci devait me permettre mouliner dans les parties les plus pentues tout en assurant un confort dans le choix de mes vitesse sur un asphalte de bonne qualité. Mais assez rapidement, je me rends compte que je coince alors que je suis « tout à gauche » en 34-34 et que la pente n’est même pas encore très forte. Je descends une première fois de mon vélo pour le pousser, puis une seconde, et ainsi de suite. Cette ascension de 20 km pour seulement 400 m de dénivelé positif m’aura finalement pris 2h30, m’assénant un premier coup au moral. La descente se passe ensuite sans encombres et j’arrive au village de Cachicadan sur les coups de 18h45, la nuit venant à peine de tomber. Que faire ? Il me reste 20 km pour atteindre le village suivant, ce qui me prendrait environ deux heures, mais je suis déjà très entamé physiquement et cela me ferait courir des risque inutiles car la descente suivante est très cassante paraît-il. Je décide donc de m’arrêter là, laissant filer Marcus et Frederico qui dorment au village suivant. A ce moment de la course, j’ai l’impression d’avoir quitté le top 10 tant j’ai été lent dans la dernière ascension du jour, ce qui me plombe totalement le moral. Tant pis, après tout, l’objectif est de terminer la course et de prendre du plaisir dans une telle aventure. Ce n’est

65

que lors de mon repas, lorsque je consulte la carte du tracker, que je me rends compte que je pointe en sixième position. Non seulement je ne suis pas sorti du top 10, mais en plus j’ai gagné une place lors de cette seconde journée qui m’avait semblé très éreintante. Il n’en fallait pas moins pour me remonter le moral. En plus de ça, les gens de mon entourage commencent à se prendre au jeu du dotwatching (suivre l’avancée des concurrents sur la carte grâce aux trackers GPS que nous embarquons sur nos vélos) et m’envoient des messages d’encouragements. Malheureusement, je n’ai pas le temps de répondre à tout le monde et c’est principalement avec Elo que j’échange et la charge ensuite de donner de mes nouvelles à tout le monde. Elo va d’ailleurs jouer un rôle de soutien très important durant la course, me remontant le moral lors des moments de doutes et tempérant mes ardeurs lorsqu’il le faudra. Quelques mots échangés par message avec Elo (il est 3h du matin en Belgique à ce moment-là), un riz-poulet-frites avalé et une douche rapidement prise et je suis prêt à filer au lit pour reprendre de plus belle le lendemain. Il me reste juste à préparer la journée du lendemain et je peux enfin espérer un sommeil réparateur.


Gros doutes quant à ma capacité à terminer cette épreuve

Jour 3

Malgré un arrêt de 11h au total (ce qui est beaucoup trop long lors de ce genre d’épreuve), je n’ai dormi que deux ou trois heures, peinant à m’endormir à cause d’un rythme cardiaque élevé et un pouls très fort. J’avais pris soin, avant la course, d’acheter toutes les barres d’énergie et gels dont j’aurais besoin pendant la grosse semaine de course qui m’attendait. C’était un choix que j’avais fait

de partir très chargé mais de ne pas avoir à chercher de friandises sur la route et uniquement me concentrer sur l’eau et les vrais repas. Aussi, j’avais embarqué avec moi des shots de caféine car je savais que plusieurs athlètes en prenaient et que cela donnait un coup de boost en cas de fatigue. Mais je n’ai jamais eu l’occasion de les tester avant la course et je découvre donc leur 66

effet lors de cette épreuve. Et j’ai l’impression que les deux premiers shots que j’ai pris jusqu’à présent m’ont totalement empêché de m’endormir. Je ne suis pas sûr que ce soit lié à ces produits caféinés, mais je décide de ne prendre aucun risque et de me débarrasser de ceux-ci afin que le problème ne persiste pas et également gagner un peu de poids dans ma sacoche avant.


Jour 3

C’est donc très peu reposé que je prends la route pour ce troisième jour avec, en guise de petit déjeuner, une ascension sur une piste tantôt sèche, tantôt imbibée d’eau. Si celle-ci ne représente en théorie pas une réelle difficulté, les problèmes commencent néanmoins dans les parties mouillées puisque la boue s’accumule sur les pneus, est raclée par le cadre au niveau des haubans et tombe finalement sur la transmission qui ne tourne plus du tout. Il me faut donc pousser le vélo sur plusieurs kilomètres jusqu’à ce que la boue fasse à nouveau place à de la terre sèche. Je secoue le vélo, le décrotte un peu et, comme par miracle, la transmission fonctionne comme si elle était neuve. J’attaque donc sereinement la descente vers Angasmarca, bien que le leader, Sofiane, nous avait prévenu qu’il ne fallait pas s’attendre à prendre un quelconque plaisir lors de ce segment. Et effectivement, le sol est très caillouteux et la descente extrêmement cassante et pénible. S’en suivent deux ascensions et descentes très difficiles et peu roulantes qui prennent énormément de temps. De temps à autre, je dois traverser des zones de travaux, suivre des tracteurs qui refont la piste, dépasser l’un ou l’autre camion, le tout en évoluant constamment dans la poussière. En fin de

matinée, je commence à chercher un lieu pour manger dans les alentours de Santa Clara de Tulpo, mais il est encore trop tôt et rien n’est ouvert. On m’indique que je devrais trouver de quoi me ravitailler à Mollebamba. Je continue donc ma route et arrive dans ce village, mais à nouveau, aucun lieu n’est ouvert. C’est finalement à Mollepata, peu avant midi, que je trouverai le déjeuner tant espéré. Il avait été en fait commandé par Marcus deux heures plus tôt, mais celui-ci n’est jamais venu le chercher. Peu importe, je m’installe et, en trente minutes, j’avais mangé et embarqué de l’eau et deux sandwich pour la route. Et si j’avais tant cherché à manger copieusement, c’est que la difficulté qui nous attendait était de taille : une ascension de plus de 2h30 jusque Pallasca. Avant d’atteindre Pallasca, il faut continuer cette descente en gravel, certes pas trop cassante, mais la prudence reste de mise. Au cours de celle-ci, je peux déjà apercevoir ce qui m’attend : un mur composé de plus de soixante lacets en guise de première partie d’ascension, ça promet ! Ces lacets sont majoritairement asphaltés, avec ci et là du sable ou des graviers, mais ceux-ci défilent assez vite. C’est finalement la seconde partie de l’ascension vers Pallasca qui devient plus 67



Jour 3

compliquée puisqu’elle consiste en de longues lignes droites sur graviers et peu roulantes. A nouveau, je traverse des zones de travaux qui soulèvent énormément de poussière, ce qui n’aide pas non plus à la progression vers le village. Et c’est sur les coups de 15h que j’arrive finalement sur la place principale de Pallasca, avec comme objectif premier de trouver de l’eau. Nous sommes vendredi après-midi et il semblerait que les gens fêtent la fin de semaine comme il se doit, tout le monde ayant l’air bien éméché dans ce village ! J’ai peu de réseau mais je reçois plusieurs messages m’informant que Marcus est arrêté à Pallasca depuis plus de deux heures ? J’apprendrai plus tard qu’il a été victime d’une intoxication alimentaire et qu’il ne pourra pas repartir. On m’annonce également que Frederico est 20 km devant moi, ce qui équivaut environ à deux heures d’avance. Ceci devrait lui permettre d’atteindre le village de Tauca, situé à 60 km de Pallasca, alors que je ne devrais pouvoir me rendre qu’à Cabana, situé à 40 km. Je suis actuellement en cinquième position. Je continue donc ma lente progression vers l’un des points les plus hauts du jour à près de 3500m avant de redescendre vers le village de Huandoval où mon passage intrigue plusieurs personnes. Je prends rapidement le temps d’expliquer la raison 69

de mon passage, achète deux bouteilles d’eau et je suis déjà reparti. Arrivé au sommet de la dernière difficulté du jour, c’est dans un début de pénombre que j’entame la descente vers Cabana. Une descente qui n’est pas très technique mais qui demande beaucoup de patience et qui est rendue nettement plus compliquée une fois la nuit tombée. Arrivé à Cabana, la première chose à faire est, comme tous les jours, de trouver le plus rapidement un logement. Après quelques minutes, c’est chose faite, même si je dois revoir mes critères de confort légèrement à la baisse. Il faut ensuite trouver un repas suffisamment consistant pour reprendre des forces avant d’attaquer un sommeil réparateur. Une dernière vérification sur le livetracker de la course pour constater que Frederico et moi dormons dans le même village. Drôle de choix de sa part alors qu’il avait largement le temps de se rendre à Tauca et conserver une légère avance. Peut-être ai-je trop la tête dans la course car il s’agit, avant tout, d’une aventure et que l’objectif premier est d’être finisher ! Ce n’est pas forcément évident à ce stade de la course car je n’ai parcouru que 130 km aujourd’hui et je commence à avoir de sérieux doutes sur ma capacité à terminer cette épreuve dans les délais si la route ne redevient pas un peu plus roulante.


Entre anxiétés et espoir

Jour 4

Comme tous les jours, j’entame ma journée avant le lever du soleil, vers 5h du matin. C’est une très bonne heure pour attaquer une ascension car cela permet au corps de rester chaud malgré les températures proches de zéro. Sauf qu’aujourd’hui, c’est une descente qui m’attend immédiatement après mon départ et c’est nettement plus rafraîchissant ! Environ 25 minutes plus tard, je peux enfin souffler, j’attaque une nouvelle montée, celle qui me mène à Tauca. Une fois arrivé aux abords de cette ville, je cherche un endroit où je pourrais prendre un petit déjeuner, mais il est très tôt et rien n’est encore ouvert. Tant pis, je mangerai plus tard ! Après tout, j’ai énormément de barres énergétiques, gels et biscuits en tous genres. Ce n’est vraiment pas ce dont j’ai envie à ce momentlà, mais ça a le mérite de me procurer l’énergie dont j’ai besoin. Maintenant que j’ai du réseau, j’en profite également pour vérifier mon téléphone. Quelques messages d’encouragements toujours les bienvenus, et surtout un livetracker qui m’annonce que Frederico a pris son temps ce matin et qu’il est derrière moi. Pour la première fois de la course, je pointe en quatrième position. Et je commence à réaliser pourquoi je reçois de plus en plus de messages de félicitations et d’encouragements. Pas le temps de traîner néanmoins, je reprends la route au plus vite.

Une quinzaine de kilomètres plus loin, après une descente et alors que je suis en pleine montée en direction de Llapo, je suis rejoint par Frederico, qui a clairement mieux récupéré et dont le coup de pédale est plus fluide que le mien. Mais il n’y a pas que la récupération qui joue. En effet, Frederico est très affuté ! Il m’expliquera plus tard qu’il s’entraîne énormément depuis environ cinq ans et que ses entraînements n’ont rien d’une partie de plaisir, Frederico s’y appliquant avec une rigueur quasi militaire. Et cela se ressent sur le vélo puisque je ne peux strictement rien faire si ce n’est le voir partir petit à petit pour ne finir que par apercevoir les traces de ses pneus sur la piste que nous empruntons. Mais je le sais, je dois simplement continuer à mon rythme et ne surtout pas essayer de le chasser. Après tout, si nous sommes au même endroit après trois jours et demi de course alors qu’il semble plus fort, c’est qu’il y a bien une raison. Vient ensuite une descente de près de 20 km sur une piste de relativement bonne qualité, procurant une incroyable sensation de vitesse. Nous venons de basculer dans une nouvelle vallée et le paysage est tout simplement somptueux. A cet instant, je me sens privilégié de pouvoir évoluer, sur un vélo, dans un tel décor. Alors j’en profite un maximum, je retarde les freinages, je tends les lignes, je relance dans les sorties. Oui, je me fatigue un peu, mais 70


Jour 4

que c’est bon ! Et j’en profite pendant une bonne heure avant d’arriver à Conamires, village au pied de l’ascension vers Bambas et le col qui me mènera dans la vallée suivante. C’est la dernière difficulté de la journée et je dois me ravitailler au plus vite. Le problème est que les péruviens et moi n’avons pas la même notion de vitesse lors des ravitaillements et je dois prendre mon mal en patience malgré que celle-ci ne soit pas ma qualité première. Je me remets en route après quelques minutes et en profite pour brancher mon GPS à ma batterie externe puisque celui-ci ne tient jamais une journée entière. A priori cela ne pose aucun problème, sauf qu’à cet instant, le GPS ne charge pas. Comment vais-je faire sans GPS si celui-ci ne charge plus ? J’avais eu la mauvaise surprise ce matin de constater que ma lampe avant n’avait pas chargé non plus cette nuit. Il semblerait que la charge de mes différents appareils électroniques lors des sections gravel ait endommagé les câbles et les ports USB de ma batterie externe. Cela peut paraître anodin, mais à ce moment de la course, je suis déjà très entamé physiquement et cela devient difficile moralement. J’ai des doutes quant à ma capacité à terminer la course dans les délais, je me mets une certaine pression pour faire un bon résultat lors de ma première épreuve dans cette discipline et je suis pris d’anxiétés tant je me sens petit dans l’immensité de ces montagnes quasi désertes de vie humaine. Le moindre petit pépin me tracasse donc 71

énormément et ce problème de GPS ne fait pas exception, mais je continue néanmoins ma route en direction de Bambas. La montée est longue, se fait en plein soleil et toujours pas d’asphalte en vue, ce qui continue de jouer avec mon moral car la carte fournie par l’organisation ne mentionne, à aucun moment, autant de kilomètres sur piste non asphaltée. Lorsque j’arrive à Bambas, je suis accueilli par une dizaine d’ouvriers qui travaillent à l’entretien des routes. Il n’est que 13h, mais ils ont l’air de fêter quelque chose. Après quelques minutes, on me tend une assiette de poulet avec du riz et des patates. Il se tient une petite fête juste à côté et les gens insistent pour que je me ravitaille. J’accepte donc puisque j’ai faim et qu’un repas complet ne se refuse absolument pas lors d’une telle course. Ils me disent qu’un autre coureur vient également de manger son plat et qu’il est déjà reparti. Frederico ! J’essaye donc de manger au plus vite, tout en réglant mes problèmes électroniques. Je chipote un peu au câble avec mon couteau suisse, je resserre la fiche en espérant que celle-ci tienne dans le GPS et, après quelques tentatives, celui-ci est à nouveau sous tension. Me voilà soulagé ! Un peu de poulet et de riz englouti et je suis reparti. Les ouvriers m’ont indiqué que la route était asphaltée à la sortie de Bambas et que cela durerait jusque Carhuaz, lieu du second checkpoint. Voilà qui me remonte un peu le moral, je commençais à avoir beaucoup de mal


sur la route. Là aussi, j’en profite pour me lâcher et tendre les lignes au maximum, me disant que je reviendrai peut-être sur Frederico. Je le cherche dans les lacets en contrebas, mais je ne le trouve pas. Peu importe, je continue ma route en donnant le maximum. Sofiane nous avait prévenu par message qu’un morceau de la route s’était effondré et que deux options s’offrent à nous : prendre une route en gravel légèrement en amont de la fin de la route détruite et qui rejoindrait la route plus tard, ou longer la route théorique sur un petit sentier durant une dizaine de minutes. Lorsque j’arrive à ce point précis, la question ne me traverse même pas l’esprit et je m’enfonce dans le sentier à flanc de falaise. Cela me semble si naturel, surtout après ma traversée des Alpes, réalisée le mois précédent, lors de laquelle le portage était monnaie courante. Alors après une dizaine de minutes à marcher avec le vélo à côté de moi, je rejoins la route asphaltée et la descente reprend de plus belle. Les lacets ici n’ont rien à voir avec ce que l’on peut trouver en Europe, ils ne font pas de simples épingles les unes après les autres. Ici, on croirait que la route a été dessinée dans l’unique but de procurer des sensations à celui qui l’emprunte. Des angles droits, des enfilades, des épingles tantôt larges, tantôt serrées, suivis par des lignes droites permettant d’atteindre des vitesse très élevées. J’ai l’impression de me revoir sur les circuits et je nage en plein bonheur ! J’avais prévu de m’arrêter à La Pampa, à la moitié 72

Jour 4

avec le gravel, tant mentalement que physiquement puisque des cloches apparaissaient sur mes mains. En plus d’une route de meilleure qualité, je savais qu’il ne me restait que 400 m de dénivelé positif à parcourir et que cela me prendrait moins d’une heure pour atteindre le dernier sommet de la journée, culminant à nouveau à près de 3500 m avant de plonger dans une descente qui promet d’être assez longue. Une minute après être reparti, je croise Frederico, adossé à l’église du village, s’accordant un répit supplémentaire. Si je suis plus lent que lui lorsque la route s’élève, lui s’arrête beaucoup plus souvent et longtemps que moi. Nous avons chacun nos points forts et nos faiblesses et nous allons devoir composer avec pour aller au bout de l’épreuve. Car il se dégage une claire tendance à partir du quatrième jour, c’est que les trois premiers ne semblent plus à notre portée, et que, derrière nous, ça ne suit pas non plus. Evidemment, rien n’est dit après seulement quatre jours, mais si nous continuons comme ça, nous devrions nous battre pour la quatrième place. Je pédale donc vers le dernier col et, à nouveau, je suis dépassé par un Frederico bien plus puissant. Et c’est à peu près une heure après Bambas que j’atteins le col. Pas vraiment le temps de profiter de la vue puisqu’un fort vent froid me balaye et m’oblige à me couvrir avant de redescendre sur Yupan et sa vallée. Et quel bonheur de descendre


Jour 4

de la descente, car le village suivant est situé 50 km plus loin. Certes c’est de nouveau sur route asphaltée, mais je dois encore avoir mes réflexes de calculer la vitesse sur les pistes gravel. Après un rapide calcul tenant compte du dénivelé à venir, cela devrait me prendre environ trois heures. Mais il est déjà 17h30 quand je suis à La Pampa. C’est trop tôt pour s’arrêter, mais je ne sais pas si j’ai encore la force et e courage de continuer jusque Huallanca et de faire ces 50 km supplémentaires. Je me renseigne donc et il n’y a qu’un seul hôtel dans le village, ce qui me simplifie grandement la tâche. J’entre donc dans l’établissement mais il n’y a personne. Je frappe aux portes, je sonne, mais personne ne vient. J’en profite pour voir où en est mon plus proche concurrent et m’aperçois qu’il est derrière moi et qu’il ne devrait pas tarder avant d’arriver dans le village. Je continue donc de me renseigner pour l’hôtel, je demande à plusieurs personnes qui me suggèrent d’insister, mais personne ne se présente à moi. Et lorsque je vérifie une seconde fois où en est Frederico, je m’aperçois qu’il vient de traverser le village et qu’il continue son chemin. Je ne peux donc pas en rester là et décide de remonter sur mon vélo. Je n’avais plus envie de rouler, je suis un peu à bout, mais je ne vais tout de même pas le laisser filer. Puisque je n’étais pas encore arrivé dans le bas de la vallée, il me reste un bon bout de descente avant de remonter vers Huallanca. Il y a énormément de vent sur le début de cette 73

section et je dois, à plusieurs reprises, me battre avec mon guidon pour garder mon vélo sur la bonne ligne. Et les camions arrivant en sens inverse ne me facilitent pas la tâche. Pour couronner le tout, je commence à être pris d’anxiété face à ces gigantesques montagnes totalement dépourvues de végétation. Je ne sais pas ce qui m’arrive et je ne me sens pas bien, je n’ai plus envie de rouler et la seule chose qui me maintienne encore motivé est l’idée de voir cette quatrième place m’échapper. Ces crises d’anxiété m’ont pris plusieurs fois aujourd’hui et l’idée d’abandonner m’a traversé l’esprit à plusieurs reprises. La moindre occasion aurait été un bon prétexte et j’en suis venu à m’imaginer entailler mes pneus à l’aide de mon couteau suisse, j’aurais alors prétexté une crevaison due à une pierre coupante. Mais tout allait bien physiquement et je n’avais en réalité aucune raison d’abandonner. J’aperçois ensuite le fond de la vallée, mais il me faut parcourir une multitude de lacets avant d’y parvenir. Et ceux-ci me font descendre à pic jusqu’au pont traversant le Rio Santa, cours d’eau que je vais longer pendant un bon moment. Et surprise, à la descente du pont, je suis attendu par Frederico qui immortalise l’instant. Nous reprenons notre route et échangeons sur l’idée que nous venons de prendre de continuer notre route au lieu de sagement nous arrêter à La Pampa. Alors que la nuit tombe, nous roulons ainsi à deux jusqu’à Huallanca. Nous ne sommes plus qu’à 1 000 m d’altitude et le climat



Jour 4 est tout autre puisque nous sommes toujours en tenue courte (maillot et cuissard) alors que la nuit est maintenant bien tombée. Que c’est agréable de pouvoir évoluer par une température d’une vingtaine de degrés, et surtout, quel contraste avec les jours précédents. Autre facteur important, la présence d’oxygène dans l’air qui nous permet d’évoluer à des vitesses beaucoup plus rapides que lors des passages à plus de 3 000 m d’altitude. Nous arrivons finalement un peu plus tôt que prévu à Huallanca, gentiment poussés par un petit vent de dos dans la légère montée nous y menant. Les hôtels ne manquent pas et nous trouvons rapidement deux chambres. Nous partageons ensuite le repas, après une longue attente assez inhabituelle pour une petite assiette de poisson frit prise dans la rue. Mais cela nous permet de discuter de tout et de rien, de vélo, de boulot, des raisons qui nous ont poussées à nous inscrire à une telle course alors que nous pourrions être tranquillement chez nous. Et lorsque je lui demande ce qu’il compte faire le

lendemain, il me dit que c’est clair, il va monter jusqu’à Punta Olimpica s’il arrive à Carhuaz avant midi. Cela fait plus de 120 km d’ascension et, personnellement, je me vois mal faire ça alors que j’ai l’impression de déjà avoir atteint mes limites, tant sur plan physique que mental. Je lui confie donc que je pense aller jusque Carhuaz, me reposer là et faire l’ascension le jour d’après. Nous nous quittons après le repas et allons tous les deux nous coucher directement. Ma chambre donne sur la rue, nous sommes samedi soir et le village est en effervescence, j’espère vraiment ne pas avoir trop de mal à m’endormir. Mais après quatre jours de course, je tombe comme une pierre. Après tout, on a fait à nouveau des kilomètres aujourd’hui, près de 180. Cela fait environ 860 km depuis le début départ donné quatre jours plus tôt, nous venons de franchir le cap de la mi-course. Et au vu de mon plan, je décide de ne pas mettre de réveil, je veux me reposer un maximum.

75


Le hasard fait bien les choses

Jour 5

Endormi vers 22h, je pensais me réveiller vers 6h ou 7h et y aller tranquillement. Mais c’était sans compter la fête battant son plein dehors. Il est 3h lorsque je suis réveillé par deux femmes en plein karaoké et dont le chant approximatif n’a laissé aucune chance à mon sommeil. Me voilà bien réveillé et étonnamment bien reposé, probablement grâce à la faible altitude des lieux. J’arrive rapidement à la conclusion que, non seulement je ne me rendormirai pas, mais qu’en plus, si je pars maintenant, je devrais sans problèmes arriver au sommet de Punta Olimpica dans l’après-midi. Je me prépare donc tranquillement et c’est parti pour une très longue ascension. Malheureusement, il est trop tôt et je traverse le Cañon del Pato de nuit, ce qui ne me permet pas de l’admirer. Pas grave, j’aurai une autre occasion de le voir puisqu’on passe à nouveau par là lors du retour vers Trujillo. Je l’ai vu en photo avant la course et le spectacle semble grandiose lorsque l’on traverse les 37 tunnels le parcourant. Parti à nouveau en tenue courte, je dois petit à petit me couvrir car les températures diminuent rapidement avec l’altitude. Si bien que c’est complètement couvert que j’arrive au CP2, en quatrième position. C’est la première fois de la course que je suis officiellement quatrième et

ça fait du bien autant que ça met une pression supplémentaire. Et puisqu’il n’est que 9h du matin, je décide de prendre un rapide petit déjeuner tout près du CP2 afin de reprendre des forces avant d’attaquer le monstre tant redouté par tous les coureurs. Et lorsque j’en ai fini avec mon petit déjeuner, c’est Frederico que je vois débarquer. Nous avons juste le temps d’échanger quelques mots et je me remets assez rapidement en route, je préfère avoir de la marge pour pouvoir prendre mon temps. De toute façon, je sais bien qu’il me rattrapera car il a moins d’une heure de retard sur moi et je prévois au moins six heures d’effort pour atteindre le tunnel de Punta Olimpica. On m’avait averti qu’il pourrait faire très froid là en-haut et je garde donc toutes mes couches. Mais je dois assez rapidement tout enlever tant il fait chaud en quittant Carhuaz, le mercure dépassant rapidement les 30°C au soleil. Je ne sais pas si c’est le petit déjeuner assez copieux ou le retour en altitude, mais aux alentours de 3 600 m d’altitude, je suis pris d’une fatigue assez fulgurante. Je m’endors presque sur le vélo et n’ai absolument plus aucune énergie ! J’applique alors ce que j’ai fait depuis le début de la course lorsque je n’ai plus d’énergie, je pousse mon vélo. Je n’ai pas l’habitude de faire ça, et je serai probablement dénigré par les puristes, mais cela me permet

76


Jour 5

de reprendre des forces, tout en avançant. Et quelques centaines de mètres plus tard, je me remets en selle et suis reparti avec l’impression d’avoir rapidement rechargé les batteries. En arrivant à l’entrée du parc national de Huascaran, je m’acquitte du droit d’entrée et pénètre dans un cadre tout simplement somptueux. Je sais que ça va être très difficile, d’autant plus que je ne suis jamais allé à de telles altitudes à vélo, mais la vue promet d’être sublime, ce qui booste mon moral. J’avance lentement mais sûrement jusqu’au pont traversant la Quebrada Ulta, point de départ de la dernière partie de l’ascension, celle qui est composée d’une multitude de lacets. Et déjà avant ce point, je pense à mes parents et au fait qu’à près de 5 000 m d’altitude, je vais passer tout près d’eux. Je fonds en larmes à plusieurs reprises et ça me donne une force supplémentaire d’avancer. Je sais également que, arrivé en haut, je veux faire une photo afin d’immortaliser l’instant et pour leur écrire un petit message. J’ai perdu mon papa il y a maintenant plus de onze ans et ma maman l’année passée et c’est ce dernier événement qui m’a poussé à faire une pause dans ma carrière professionnelle pour me lancer un tel défi. L’idée d’abandonner m’a traversé l’esprit à plusieurs reprises, tant cette course est difficile, mais le simple fait de penser à eux m’a immédiatement remis sur les rails, comme un enfant se faisant gronder après avoir fait une bêtise ou avoir dit un gros mot. J’entame les premiers lacets et déjà à 4 000m d’altitude, je sens que la puissance que je peux délivrer a considérablement

diminué. Mais ce n’est pas grave, je m’accroche et je n’hésite pas à pousser le vélo de temps à autres. Après tout, c’est une course et le but est d’aller le plus vite sur l’ensemble des 1 700 km, pas uniquement d’aller chercher le KOM dans Punta Olimpica. A seulement 6 km du sommet, je suis rejoint par Frederico qui a également eu beaucoup de mal jusque là. Très entamé mentalement, je lui demande s’il veut bien m’attendre en haut afin de faire des photos dans cet endroit, ce qu’il accepte évidemment puisqu’il veut de toute façon reprendre ses forces en haut. A nouveau, je fonds en larmes à plusieurs reprises tant je suis épuisé physiquement et submergé par les émotions. Je ne contrôle tout simplement plus rien, le manque d’oxygène n’aidant certainement pas, et les larmes me montent une dernière fois aux yeux arrivé au sommet, à l’entrée de ce tunnel mythique, plus haut tunnel carrossable du monde. Ca y est, j’y suis, après dix heures de montée continue, passant de 1 300 m ce matin à 4 73 6m d’altitude. Frederico est assis et prend le soleil. Nous avons juste le temps de profiter de la vue, faire quelques photos et nous couvrir très chaudement qu’il nous faut déjà repartir. Le soleil n’est déjà plus présent dans la vallée dans laquelle nous allons descendre et à cette altitude, les températures peuvent chuter très rapidement. Nous commençons par traverser ce fameux tunnel, long de 1 384 m, dans lequel nous tombent de petits torrents d’eau, le tout dans le noir le plus total. Mais de l’autre côté se dresse une autre vallée tout aussi somptueuse. Je profite alors d’une nouvelle descente que seul le Pérou est capable

77

d’offrir. Et puisque j’adore ça, je n’hésite pas à prendre des risques en retardant au maximum les freinages, étant parfois un peu juste pour prendre la corde. Mais que c’est bon ! Trente kilomètres de pure descente pour perdre plus de 1 300 m d’altitude en arrivant à Chacas. Il n’est que 17h lorsque nous arrivons là, mais deux facteurs nous poussent à nous arrêter là pour la journée. La première est que la journée fut très éprouvante et lui comme moi n’avons plus les jambes pour continuer. La seconde est que nous sommes obligés de dormir à San Marcos avant d’effectuer la boucle sud et que San Marcos n’est qu’à 110 km de Chacas, ce sera donc fait assez rapidement demain, pas besoin de se presser aujourd’hui. Lorsque nous arrivons dans la ville de Chacas, la place principale est bondée de monde car il s’y déroule une feria. L’ambiance est incroyable mais on se demande si on va pouvoir trouver une chambre et aussi si on va pouvoir dormir. Après une petite glace, nous trouvons une chambre et nous retrouvons pour manger à nouveau dans une petite roulotte dans la rue. Rien de bien diététique, mais un bon petit repas qui permet de refaire des réserves pour la journée du lendemain. Je ne sais pas comment le voit Frederico, mais de mon côté je suis très motivé à l’idée d’accrocher une quatrième place lors de ma première course d’ultra endurance. Mais ce soir, c’est un peu la trêve, il n’y a plus de course qui tienne, avant d’entamer la boucle sud qui promet d’être extrêmement difficile.


Repos forcé

Jour 6

Comme tous les jours, j’entame la journée aux alentours de 5h du matin, ce qui me permet de commencer la journée relativement tôt sans que le soleil ne tarde à se montrer après les premier coups de pédale. Et l’étape du jour est assez simple, elle consiste en une longue ascension et une longue descente, le tout en grande majorité sur piste non asphaltée. La principale difficulté de la boucle sud réside dans le fait que nous allons rouler à plus haute altitude que dans la boucle nord. En effet, si la boucle nord ne dépassait jamais les 3 500 m d’altitude, c’est désormais au-dessus de cette altitude que nous allons passer la majorité de notre temps lors de la boucle sud. Une boîte de thon en guise de petit déjeuner dans le village de San Luis, deux heures après mon départ de Chacas, et me voilà parti en direction de la Laguna Huachacocha, point culminant de la journée à près de 4 400m d’altitude. Cela me prend plus de quatre heures pour atteindre ce point depuis San Luis après une montée relativement régulière et pas trop difficile, bien que peu roulante. Une fois arrivé en haut, le spectacle est grandiose puisque l’on surplombe le lac avec une vue sur toute la vallée. C’est ce genre de moments que l’on attend après un tel effort, c’est pour cela que nous sommes venus tant souffrir dans les Andes. A nouveau, je savais que la descente serait très cassante et je ne perds

pas trop de temps au col, juste le temps de faire quelques photos, manger et boire un peu. Et à peine ai-je commencé à descendre que déjà je sens que cela va être long. Mais j’attaque et je ne perds pas de temps malgré les coups que je prends dans les mains et les bras. Et tout d’un coup, c’est une petite catastrophe puisque j’entends une crevaison au niveau de mon pneu avant ! Je suis en tubeless et je ne cesse de me répéter depuis le début de la course que ces pneus sont incroyablement résistants et que j’ai l’impression que rien ne peut m’arriver. Visiblement, ils ne sont pas si magiques que cela. Je m’arrête et constate que le pneu a été légèrement entaillé sur le côté mais que le produit qui sert de sealant à l’intérieur du pneu n’a rien pu faire contre cette crevaison. Je n’a pas de quoi réparer la crevaison elle-même, mais j’ai trois chambres à air et des patch à coller sur le pneu, ça devrait faire l’affaire. Je place donc la chambre à air sans enlever le produit qui, du coup, fuite de partout. Mais ça a l’air de tenir. Maintenant que je ne suis plus en tubeless, je mets de la pression et j’avance doucement dans les descentes, ayant bien trop peur des crevaisons par pincette. Après quelques kilomètres, ça a l’air de tenir et je m’en préoccupe moins. Car j’ai un autre souci actuellement, je vais arriver beaucoup trop tôt à San Marcos. Mais je ne peux pas continuer plus loin car si je continue 78


Jour 6

à avancer, je me retrouverais à plus de 4 000 m et il n’y a pas vraiment de lieu où dormir avant Catac, qui est situé à 150 km après San Marcos. Cela me tracasse pas mal et j’ai beau me renseigner auprès de plusieurs personnes du coin, impossible de dormir au niveau de la mine d’Antamina, ni aux alentours et je me résous à terminer ma journée à San Marcos, après seulement 112 km. Il n’est même pas 16h lorsque j’entre dans la ville et j’ai déjà une idée. Ma priorité, à ce moment-là, est de trouver un câble usb neuf car les deux câbles que j’ai embaqués avec moi sont HS et j’ai de gros soucis pour recharger mes appareils électroniques. Et comme je risque de rouler durant plusieurs heures de nuit demain, il me faut quelque chose qui fonctionne pour alimenter mes lampes et mon GPS. Après trois magasins, je trouve le câble qu’il me faut et décide d’en acheter trois pour ne prendre aucun risque ! Je fais ensuite mes provisions pour le lendemain, car une journée de plus de 15 heures en selle m’attend, et cherche la chambre la plus calme possible. En effet, après un petit repas, mon idée est d’aller dormir immédiatement afin d’attaquer la journée la plus dure de la course bien avant l’aube. Un dernier coup d’œil sur la progression de Frederico qui devrait bientôt arriver dans le village alors qu’un autre concurrent se rapproche également dangereusement. Je suis donc au lit à 18h et j’ai la chance de m’endormir assez rapidement. Tant mieux car j’ai mis mon réveil à 0h30 !

79


Journée folle et point d'orgue de l'épreuve

Jour 7

Le plan est simple, je me suis couché tôt pour partir très tôt, à 1h du matin. C’est la partie que je redoute le plus puisque nous allons passer la majeure partie de la journée à plus de 4 000m. Cette section me fait même peur et je ne veux pas y rester coincé alors que la nuit tombe. Je prends donc mes précautions en partant si tôt. San Marcos est à environ 3 000 m d’altitude et je dois atteindre les 4 500 m pour franchir le sommet de la première difficulté du jour. Après calcul, je devrais donc arriver aux alentours de 6h30, ce qui est parfait puisque je vais effectuer l’ascension de nuit mais qu’il fera clair lors de ma première descente. Et c’est exactement ce qui se passe. A 1h précise, je quitte la ville pour me diriger vers les premiers lacets de cette longue montée vers la mine d’Antamina. A cette heure-là, je croise encore pas mal de gens dans la rue, occupés à faire la fête depuis la veille. Ils doivent me prendre pour un fou à faire du vélo à cette heure-ci, mais peu importe. Je réveille également beaucoup de chiens, ce qui fait pas mal de bruit dans toute la vallée. Et ils ont l’air de se passer le mot puisque je suis à chaque fois accueilli de la même façon lorsque je rencontre un nouveau groupe. Cela ralentit légèrement ma progression déjà très lente, mais je reste néanmoins concentré et sur un bon timing. Je rencontre alors les températures les plus froides depuis le début de la course puisque je passe pour la première fois sous les zéro degrés, à -2°C précisément. C’est difficile, mais après 5h30 d’effort, j’arrive, comme prévu, au début

de la descente me menant à Antamina. Le décor n’est pas spécialement réjouissant puisqu’il s’agit d’une gigantesque mine à ciel ouvert. A ce moment, je me demande même pourquoi on nous fait passer par ici tant le spectacle est désolant. En plus d’une piste en très mauvais état, le balai incessant des camions n’est pas des plus agréables. Mais je continue ma route et un ouvrier m’informe que je vais bientôt arriver sur une partie asphaltée de la route. Et c’est effectivement le cas, j’accueille le retour de l’asphalte avec un grand sourire. Et je quitte les camions avec autant d’engouement. La suite consiste à évoluer entre 4 200 m et 4 600 m d’altitude. Les montées ne sont pas longues ni pentues, mais à cette altitude, tout prend énormément de temps. A nouveau, il me faut descendre de temps à autres du vélo afin de le pousser et de me reposer sans perdre trop de temps. Les descentes, au contraire, vont très vite puisqu’il s’agit souvent de longues lignes droites agrémentées de grands virages dans lesquels il ne faut pas freiner. Et c’est d’ailleurs lors d’une de ces descentes que je suis rejoint par la voiture média de Didier et David. Alors que je peinais énormément dans les montées, leur présence me donner un coup boost au moral et j’ai l’impression de retrouver de nouvelles jambes dans les montées qui suivent. Et puis je suis content de les revoir car cela me fera au moins quelques photos dans cet endroit magnifique. Parce que depuis le passage de la mine, tout a bien changé. Le décor est somptueux et je suis entouré par de hauts sommets

80


Jour 7

enneigés. J’arrive ensuite au pied de la dernière grosse ascension du jour que j’attaque tranquillement. Il me faut presque 1h30 pour parcourir les 15 km et atteindre le col de Yanashalla. Et c’est là que reprend la partie gravel pour une cinquantaine de kilomètres. Je suis maintenant à plus de 4900m d’altitude et je dois évoluer pendant près de 20 km sur une section très peu roulante qui descend légèrement dans un premier temps et qui remonte ensuite. Au point le plus haut, Didier prend ma saturation en oxygène dans le sang à l’aide d’un saturomètre et m’informe que celle-ci est assez faible et que je ferais mieux de redescendre au plus vite. Cela me semble être une bonne idée, sauf qu’à cette altitude, mes freins ne répondent plus correctement, probablement à cause de quelques petites bulles d’air dans le circuit hydraulique, celles-ci se dilatent alors avec le manque de pression atmosphérique. Il suffit de pomper deux ou trois fois et les freins fonctionnent à nouveau. Je prends donc soin de freiner constamment pour ne pas avoir de problèmes. Mais, alors que je suis sur une pente assez légère et que j’ai pris pas mal de vitesse, j’aperçois une crevasse dans la piste. Je veux freiner mais les freins ne répondent pas et je n’ai pas le temps de pomper. Je tente alors de sauter audessus de la crevasse mais la réception est compliquée et je tape assez violemment des deux roues sur le sol, provoquant immédiatement une double crevaison (avant et arrière). Retombant sèchement au sol, le guidon tourne également sur la potence, 81

ce qui me déséquilibre et je tombe violemment sur le côté, heurtant le sol avec ma hanche, mon avant bras et ma tête. Je me relève et imagine alors immédiatement le pire. Autant ce genre d’accident m’aurait probablement poussé à abandonner lors du quatrième jour, autant je n’ai absolument aucune envie de renoncer à cet instant. D’autant plus que Frederico, mon plus proche poursuivant, est à seulement trois heures de moi. Je constate donc rapidement les dégâts, la direction a simplement bougé mais rien ne semble cassé sur le vélo. Si ce n’est que j’ai deux pneus crevés et qu’il me reste juste deux chambres à air. Je change donc la chambre à air à l’avant, gonfle à bloc pour éviter une future pincette qui serait rédhibitoire et installe également une chambre à l’arrière, là où j’étais encore en tubeless et où le sealant n’a également rien pu faire contre la crevaison. Décidément, ce tubeless, que j’encensais tant les premiers jours, n’est finalement pas si extra que cela. Enfin, pas le temps de penser à ce genre de choses puisqu’à l’arrière également je prends soin de gonfler le pneu comme il se doit. Je n’ai désormais plus droit à l’erreur, il me faudra rallier Trujillo sans aucune avarie au niveau des pneus. En tout, j’aurai perdu environ une demie heure, sous les yeux de Didier et David, qui ne peuvent bien évidemment pas m’aider. Un péruvien qui passait par là m’a tout de même donné un petit coup de main en tenant mon vélo pendant que je réinstallais les roues, ce qui est totalement permis par le règlement.


Jour 7

J’atteins finalement le col du Pastorouri peu avant 16h et le paysage est tout simplement époustouflant ! Tous ces efforts pour arriver là en valent mille fois la peine tant le décor est somptueux. J’entame alors une descente de 30 km de gravel, probablement la plus cassante depuis le début de l’aventure. Avec une moyenne très faible et une altitude qui ne diminue que très lentement, je tente de me faufiler comme je peux entre les plus gros cailloux pour ne prendre aucun risque. Cette descente est interminable ! Heureusement que la vue en vaut la peine, mais je n’attends quand même qu’une seule chose, le retour de l’asphalte. Et c’est finalement peu avant la tombée de la nuit, vers 18h que je reviens sur une route de bonne qualité. Pas le temps de faire une pause, je prends directement la direction de Carhuaz et du CP3. Mon idée est alors de m’arrêter là pour dormir mais cela dépend de l’avance que j’ai sur Frederico. Pour l’heure, je n’ai toujours pas de réseau et je n’ai donc pas accès à cette information. Autre petit soucis aujourd’hui mais qui ne m’impacte pas directement, les piles de mon tracker son tombées en panne. Je ne le remarque pas immédiatement, ce qui suscite la panique auprès de mes proches qui ne voient plus mon point bouger depuis 10h du matin. N’ayant pas de réseau, il m’est ensuite impossible de les joindre pour leur indiquer que tout va bien.

Puisque j’arriverai à Carhuaz vers 21h, il me faut trouver à manger car il sera trop tard une fois arrivé là-bas. Je m’arrête donc à Catac dans un petit restaurant et demande le plat qui peut se faire le plus rapidement. A peine l’ai-je commandé que je reçois déjà une soupe suivie d’un plat classique composé de poulet, de riz et de pommes de terre. Ca fera l’affaire, l’objectif est surtout de refaire des réserves pour demain. Je reprends la route vers le CP3 et tout se fait en descente avec, ci et là, quelques petites montées, mais rien de comparable à ce que j’ai fait plus tôt dans la journée. Je descends assez vite, à près de 30 km/h de moyenne, vitesse que je n’avais plus faite depuis un bon moment. Et c’est donc à 21h que j’arrive à Carhuaz, comme je l’avais espéré. Je regarde rapidement le livetracker pour constater que Frederico est dans la descente vers Catac. J’ai donc entre deux et trois heures d’avance sur lui. J’hésite un moment à repartir, mais après plus de 17 heures passées sur le vélo, je me dis qu’un petit repos ne peut pas me faire de mal. J’ai donc trois heures avant de repartir si je ne veux prendre aucun risque et je décide donc de prendre une chambre dans l’hôtel qui accueille le CP3. Après avoir préparé mes affaires, je me couche vers 22h et mets mon réveil à minuit.

82


Derniers kilomètres jusqu'à Trujillo

Jour 7

Lorsque je me réveille, il est minuit et j’entends la roue libre du vélo de Frederico. J’avais appris à connaître ce bruit si particulier au fil des kilomètres que j’avais passé à ses côtés. Je crois l’entendre demander une chambre et ensuite prendre une douche. Toujours dans mon lit, je reçois alors un message d’Elo qui me dit qu’elle a vu sur le livetracker que Frederico venait de quitter le CP3. Je regarde à mon tour le livetracker et le vois au même endroit que moi. Mais elle insiste, il avance en direction de Trujillo. Je saute alors du lit et me prépare au plus vite. S’il est réellement en train de continuer sa route, va-t-il dormir plus loin ? Ou va-t-il tenter de rejoindre Trujillo sans dormir alors qu’il vient de faire plus de 15h sur un parcours extrêmement éprouvant depuis San Marcos ? Toujours est-il que s’il le tente, j’ai un petit avantage sur lui puisque j’ai dormi 1h30. Ce n’est pas grande chose, mais je me dis que ça pourrait bien jouer à un moment. Je me lance alors dans une course poursuite, sans trop savoir quelle est l’avance de Frederico mais je me dis qu’avec mes qualités de descendeur, je pourrais revenir sur lui et nous pourrions peut-être assister à un final très serré entre nous deux. Puisque j’ai choisi cet horaire, je suis à nouveau contraint de traverser le Cañon de Pato de nuit. Moi qui m’étais dit que j’aurais une seconde chance, c’est à nouveau raté. En entrant dans cette section, je me rends bien compte du danger car je pourrais, au moindre coup de vent, louper un virage et tomber en contrebas de la route puisqu’il n’y a pas de muret ou de rambarde.

Je me dis alors qu’il vaut peut-être mieux être prudent et profiter de la descente, il reste tout de même plus de 250 km à parcourir avant Trujillo et tout peut encore arriver. Passé Hallanca, la pente se fait plus douce, le cañon plus dégagé, et un petit vent de face se met à souffler. Et cela va durer pendant près d’une centaine de kilomètres. Arrivant dans un petit village, je vérifie mon téléphone mais je n’ai toujours pas de réseau. Je continue ainsi ma route jusqu’à trouver du réseau et je vérifie alors le livetracker. Je constate que Frederico vient seulement de partir de Carhuaz et j’ai donc près de huit heures d’avance sur lui. Lorsqu’Elo a regardé le livetracker, celui-ci devait avoir un petit bug et Frederico n’avait en réalité jamais quitté le CP3. A moins d’un gros ennui mécanique, cette quatrième place devrait donc me revenir et les 180 kilomètres qu’il me reste à parcourir son comme un tour d’honneur, mais un très très grand tour d’honneur ! Je poursuis ma progression en direction de Chimbote, traversant des villages ne faisant absolument pas rêver. Ils ne sont pas forcément moins beaux que tous ceux que j’ai traversés dans les montagnes, mais le décor qu’ils offrent n’est absolument pas comparable avec les villages de la Sierra. Je traverse plusieurs villages avant d’arriver à proximité de Chimbote, marquant ainsi l’arrivée sur la route panaméricaine. A partir de cet instant, il me reste 120 km à effectuer en ligne droite sur une route fréquentée par une horde de camions. Les premiers kilomètres de la route panaméricaine présentent une bande d’arrêt d’urgence en piteux état et

83

il m’est préférable de rouleur sur la bande de droite de la route, ce qui représente un danger de tous les instants. Constamment en train de guetter ce qui se passe derrière moi, je vérifie que les camions se déportent bien sur la bande de gauche. Si c’est le cas, je les remercie. Sinon, je me déporte sur la bande d’arrêt d’urgence en leur faisant part de mon mécontentement. Mais puisqu’il ne me reste plus de chambres à air, je ne veux pas prendre le risque de rouler sur cette bande qui est jonchée débris de verre et de morceaux métalliques en tous genres. J’y effectue donc quelques escapades lorsque c’est nécessaire et reviens aussitôt sur la bande de droite de la route. Mais je deviens de plus en plus nerveux et, alors que je manifeste mon mécontentement à l’un de ces camionneurs d’un geste assez puéril, je vois que celui-ci n’hésite pas à s’arrêter au beau milieu de la route. Je dois alors effectuer un écart sur la bande de gauche pour l’éviter et cela devient extrêmement dangereux ! Il descend de son camion et devient très menaçant, avant de reprendre la route pour se rabattre sur moi lorsqu’il arrive à ma hauteur. Il me faut m’arrêter et serrer contre la glissière pour éviter de me faire heurter. C’est décidé, j’essaye de me calmer et de prendre un peu sur moi. Je pensais aussi que cette route serait totalement plate jusqu’à l’arrivée, mais ce n’est pas le cas puisque je dois, à plusieurs reprises, monter de 200 à 400m de dénivelé. Si les montées se font avec un léger vent dans le dos, les descentes ainsi que le plat se font systématiquement avec


Jour 8 un fort vent de face. La progression vers Trujillo ne se fait donc pas aussi rapidement que je l’avais espéré puisque ma vitesse moyenne est légèrement inférieure à 25 km/h, bien en deçà de mes prévisions. La bonne nouvelle, à ce moment-là, est que la bande d’arrêt d’urgence est désormais praticable et que je ne dois plus me friter avec les camions. Les 70 derniers kilomètres se font donc lentement mais bien plus en sécurité. Les deux dernières heures me paraissent interminables, mais j’essaye d’en profiter un maximum et je me dis que je dois être attendu sur la ligne d’arrivée. J’ai l’impression de pénétrer dans la ville de Trujillo tel un gladiateur alors que personne ne semble me prêter la moindre attention. Mais peu importe, car j’ai l’impression d’arriver au bout d’un exploit qui me semble unique et que j’avais, à plusieurs reprises durant la course, pensé impossible.

@styvdavid

Lorsque je quitte la route panaméricaine, il me reste un kilomètre et j’ai le cœur qui bat de plus en plus vite. Ca y est, je l’ai fait ! Même si je crève un pneu maintenant, je peux finir en marchant et plus personne ne me privera de cette quatrième place. Je tourne à gauche puis à droit, il me reste une centaine de mètres. Jacques, un concurrent français, est présent dans le dernier virage à droite et me félicite, nous nous serrons la main. J’aperçois enfin l’hôtel et une dizaine de gens m’attendent et commencent à crier. Plus que quelques mètres et je pose enfin le pied à terre. Ca y est, non seulement j’ai terminé cette course de fous qui est probablement l’une des plus difficile au monde, mais en plus je la termine à la quatrième place, derrière des monstres de la discipline comme Sofiane et Rodney, et c’est pour moi comme une victoire !

@bikingman_ultra

bikingman.com/fr/

Clique sur l'icône pour écouter l’épisode du podcast avec Axel Carion, fondateur de la série Bikingman 84


e l z azin

t g a oM

p S

RÉDACTION : Richard Delaume DESIGN : Bérengère Blaize RELECTURE : Camille Sanchez

CONTRIBUTEURS :

Xavier Massart, Scott Cornish, Sarah Cooper, Guillaume Chaumont, Taliah Lempert, Guillaume Schaeffer PHOTOS :

Bikingman, Japanese Odyssey, Taliah Lempert, Scott Cornish, Italy Divide

. e

2 EQUIPAGE

Richard Delaume Fréderic Barrière


/spotzlecycling

@spotzle

PODCAST Spotzle

REJOIGNEZ LA COMMUNAUTÉ DES AVENTURIERS

PODCAST Spotzle

PODCAST Spotzle


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.