Renaissance D’U ne M ais O n TR a D i T i O nne LL e À BORJ e RR ass , M a HD ia
Etude et réalisation : 2020 - 2022
Architecte : Studiolo Rim Rachdi
Après avoir achevé son périple en Italie et obtenu son diplôme de spécialisation en restauration du patrimoine à l'université La Sapienza de Rome, l'architecte Rim Rachdi se voit confier un projet passionnant la rénovation d'une maison traditionnelle au cœur de la médina de Mahdia. Son amour pour le patrimoine, né parmi les ruelles des médinas tunisiennes et les anciennes cités européennes, trouve ainsi un écho parfait dans cette première mission professionnelle.
La maison « Chouk », du nom de ses anciens occupants, inhabitée depuis des années, se trouvait dans un état d’abandon qui en a presque fait une ruine. Se situant en bord de mer et occupant 120 m² au sol, cette maison avait un grand potentiel qui a su charmer ses nouveaux acquéreurs, un jeune couple amoureux de Mahdia et passionné par le patrimoine.
LE RELEVé, UNE éTAPE CRUCIALE POUR UNE RESTAURATION
RéUSSIE : LA PHOTOGRAMMéTRIE, AU SERVICE DU PATRIMOINE
Une restauration de qualité débute invariablement par un relevé précis. D'abord, il a fallu réaliser un relevé classique en mesurant les hauteurs, les longueurs, les largeurs et les diagonales. Ensuite, il a été décidé d'intégrer les nouvelles technologies pour obtenir un relevé encore plus détaillé. Pour ce faire, un appareil photo a été utilisé pour capturer des images de la maison sous différents angles, lesquelles ont ensuite servi à générer un modèle 3D grâce à la photogrammétrie.
La photogrammétrie est une méthode de relevé architectural qui utilise des photographies pour créer des modèles tridimensionnels précis de bâtiments et de structures. En capturant des images sous différents angles, elle permet de calculer la position exacte de chaque point de l'objet photographié dans l'espace tridimensionnel. Dans notre cas, le modèle 3D généré s'est avéré extrêmement pratique lors de l'étude et de l'établissement des dossiers d'exécution. Il nous a permis d'obtenir des mesures très précises, y compris les plus petits détails.
LA TRIADE SACRéE DE LA RESTAURATION : ANALYSE, DIAGNOSTIC ET CONSOLIDATION
Lors d’une rénovation, l’architecte se positionne comme un observateur, un investigateur dont le don est celui de synthétiser une série d’éléments : architecturaux, structurels, esthétiques, sitologiques et d’harmoniser le tout avec les besoins des nouveaux occupants. Il s’agit d’un jeu délicat d’équilibriste où le défi majeur est de conserver non seulement un maximum d’éléments existants mais aussi et surtout de préserver l’âme du bâtiment et de lui assurer une transition temporelle, respectueuse et digne de son histoire et du vécu de ses anciens occupants. Il ne suffit pas de réparer les fissures et de repeindre les murs ; il faut insuffler à nouveau la vie dans ces espaces autrefois habités, tout en respectant leur intégrité structurelle et esthétique.
Une analyse minutieuse et un diagnostic rigoureux sont donc essentiels à une bonne restauration.
La maison étant en ruine, il a été décidé de décaper tous les murs pour révéler la pierre et en observer l'état de près. Ce que nous avons découvert, c'est que la majorité des pierres étaient en bon état, mais les joints entre elles étaient délabrés. Nous avons également constaté un mauvais appareillage des pierres aux coins de la maison, ce qui constitue une grande menace structurelle et peut expliquer certaines fissures observées.
Le décapage des murs nous a également révélé de belles surprises. Par exemple, nous avons pu observer des fossiles de coquillages dans certaines pierres, un élément qui prouve probablement que les pierres utilisées pour construire la maison proviennent des carrières environnantes de Mahdia.
L’IMPORTANCE DE LA CARTE DE DéGRADATION (DECAY MAP)
En restauration du patrimoine, une "decay map" (ou carte de dégradation) est un outil utilisé pour documenter et analyser les diverses formes de détérioration présentes sur une structure ou un objet patrimonial. La carte permet d'identifier les zones les plus affectées, de comprendre les causes sous-jacentes de la dégradation, et de prioriser les interventions nécessaires.
L'établissement de cette carte en début de phase de diagnostic est essentiel.
La petite échelle du projet ne justifie pas de négliger ce type d'analyse ; au contraire, cela permet de structurer et d'organiser toutes les étapes ultérieures du chantier et de définir les stratégies de restauration appropriées.
L’ICOMOS (Conseil international des monuments et des sites) met d’ailleurs à disposition un glossaire illustré sur les formes d’altération de la pierre. Ce glossaire sert de référence pour identifier correctement les différents types de dégradations et aide à déterminer la meilleure approche pour la réparation de chacune d'elles. Il fournit des descriptions détaillées et des illustrations des différentes formes de dégradation que la pierre peut subir, telles que les fissures, les érosions, les efflorescences salines, les détachements de surface, et bien d'autres.
ARCHITECTURE ANCIENNE, BESOINS NOUVEAUX
Le défi majeur de cette rénovation a été de répondre aux besoins fonctionnels des nouveaux occupants des lieux tout en respectant l’écrin original dans sa typologie traditionnelle.
Les demandes étaient les suivantes : intégrer des salles de bain dans les chambres, concevoir un accès à la terrasse et aménager celle-ci. Idéalement, il fallait aussi prévoir une salle de bain pour les invités. Afin de répondre à ces besoins, il a fallu jouer avec les volumes, l’astuce était de profiter des hauteurs importantes de chaque pièce pour y intégrer les nouvelles fonctions.
On a donc divisé en hauteur le volume qui servait de dépôt créant ainsi une salle de bain en contrebas accessible à partir de la chambre 01 et une mezzanine en hauteur, accessible à partir de la nouvelle cuisine. La mezzanine sert d’espace séjour/salle à manger, un espace voûté et ouvert sur la mer grâce à une grande fenêtre arquée. Le même principe a été appliqué de l’autre côté de la maison permettant la création d’une salle de bain intégrée à la chambre 02 et une salle de bain pour les invités à mi niveau entre la terrasse et la chambre, accessible par le palier des escaliers. Quant à l'escalier menant à la terrasse, il occupe désormais l’encombrement de l'ancienne chambre 03 (voir plan initial). Cette chambre, située à l'arrière de la maison par rapport à la mer, avait la toiture la plus endommagée et n'était pas voûtée. Il semblait donc logique d'y placer les escaliers, libérant ainsi les trois autres côtés de la terrasse, qui forment un U autour du patio et offrent une vue dégagée vers la mer.
Afin de respecter la typologie traditionnelle et l’intégrité du patio, la quatrième façade, derrière laquelle se cache désormais l’escalier menant à la terrasse, a été redessinée de manière à intégrer harmonieusement les éléments nouveaux et anciens. Cette façade agit comme une toile blanche vierge, où les arcs dessinent des fenêtres en créant un jeu subtil de plein et de vide. Pendant la journée, depuis le patio, on ne distingue pas clairement ce qui se trouve derrière les arcs, le mur blanc dominant la vue et offrant une surface épurée et continue. Cependant, la nuit, lorsque les lumières des escaliers sont allumées, l’arrière-plan devient plus visible, révélant les silhouettes montant et descendant les escaliers, tandis que le mur blanc s’efface au profit de cette nouvelle perspective. Ce contraste entre le jour et la nuit enrichit l’expérience visuelle et souligne la fusion entre la tradition et la modernité dans la conception de l’espace.
LA LUMIèRE UNE COMPOSANTE IMPORTANTE DU PROjET
La lumière joue un rôle essentiel dans ce projet, apportant à la fois fonctionnalité et esthétique à l'espace restauré. Elle se manifeste de multiples façons : directe, inondant les pièces de clarté naturelle ; indirecte, créant une ambiance douce et apaisante ; filtrée, projetant des motifs délicats à travers les grilles en fer forgé ou les fenêtres colorées. Dans le patio, les jeux d'ombres et de lumières se transforment tout au long de la journée, animant les murs de nuances changeantes et ajoutant une dimension vivante à l'architecture. Ces variations lumineuses ne se contentent pas d'éclairer, elles sculptent l'espace, mettent en valeur les détails architecturaux et soulignent la richesse du bâtiment. La conception de l'éclairage, qu'il soit naturel ou artificiel, est ainsi devenue une composante centrale du projet, renforçant son caractère unique.
Fenêtre de la mezzanine donnant sur la mer
VALORISATION DES ARTISANS ET DE LEUR TRAVAIL
La porte d’entrée ainsi que les deux portes des chambres à coucher sont ornées de magnifiques encadrements en pierre. Avant la restauration, ces encadrements étaient recouverts d’une peinture blanche. Ils ont été restaurés par le dernier tailleur de pierre de Mahdia, “Si Salem”. Lors d'une précédente tentative de restauration, les trous dans la pierre avaient été bouchés avec du ciment. « Si Salem » a méticuleusement retiré tous ces morceaux de ciment. Nous avons décidé de laisser l’aspect brut de la pierre apparent. Une restauration, c’est aussi un témoignage de la vie du bâtiment ; montrer les plaies du passé, c’est rendre hommage à son histoire et à son authenticité. Les chambres quant à elles, abritent des joyaux de l’ornementation traditionnelles, des « bit hajjem » et des «marfaa » dont il a fallu reprendre la peinture et réparer le bois.
Les carreaux de ciment qui recouvraient les sols des chambres n'ont malheureusement pas pu être sauvés lors du chantier. Nous avons donc dû en recommander de nouveaux. Il était crucial de les obtenir auprès d'un artisan local de la région, spécialisé dans la fabrication de carreaux de ciment. Cet artisan crée ses propres moules et mélange ses propres pigments, garantissant ainsi une qualité et une authenticité en accord avec le style et l'histoire de la maison. Collaborer avec un artisan local non seulement soutient l'économie locale, mais assure également que les nouveaux carreaux respectent les techniques traditionnelles et s'intègrent harmonieusement dans le projet de restauration.
GENIUS LOCI OU ESPRIT DU LIEU
La restauration de cette maison a été un processus minutieux, où chaque détail a été soigneusement considéré pour préserver son héritage tout en répondant aux besoins modernes. Des carreaux de ciment artisanaux aux fenêtres ornées de fer forgé, chaque élément a été choisi avec attention pour refléter l'authenticité de l'architecture locale. C'est le Genius Loci, l'esprit du lieu, son caractère originel, qui dicte la rénovation. Chaque décision prise, chaque élément restauré ou redessiné, a été guidé par le respect de cette essence unique. En honorant l'histoire et l'âme de la maison, nous avons cherché à préserver et à révéler son authenticité, créant ainsi un espace où passé et présent cohabitent harmonieusement.
Cette restauration n'a cependant pas été sans difficultés, surtout dans le contexte du Covid-19 et des pénuries de matériaux qui ont perturbé les délais et le choix de certains matériaux pour la restauration. Par exemple, nous avons dû substituer la chaux par de la tuf dans le mélange d'enduit appliqué, adaptant ainsi nos méthodes pour respecter les contraintes du moment tout en préservant l'intégrité de la maison. ■
Texte et photos : Rim Rachdi