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42ème année - n°46

La vie fraternelle chez les Goums : combler nos espaces de solitudes

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Avril 2012 SOMMAIRE

Revue semestrielle – Dépôt légal en cours. Supplément gratuit à A La Belle Etoile Edité par Groupes de plein air, association agréée. Président : Didier Rochard. Directeur de la publication : Christophe Robin. Rédacteur en chef : Michel David. Ont collaboré à ce numéro : François Anteblian, François Antoine, Dominique-Jean Chatelet, Roberto Cociancich, Michel David, Christine de Gouvion, Xavier Hermesse, Michel Menu, Philippe Pinson, Didier Rochard, Stéphane de Saint Albin, Isabelle Talvande, Yann Wanson Abonnements à A La Belle Etoile : Christophe Robin, 17 Lotissement Saint-Pierre - 82200 Moissac. 2 ans - 8 numéros - 20 euros (par chèque à l’ordre de GPA)

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Editorial - Madeleine, par Michel David Relations humaines authentiques, par Michel Menu Une pédagogie patiente, témoignage de Murielle et Guillaume Ouvrir les yeux, par Isabelle Talvande Lanceur, mon frère, par Michel David Lettre à un jeune Lanceur, par François Anteblian Un résumé de la proposition Goum, par Didier Rochard Fraternité vécue, par Michel Menu Restaurer nos relations fraternelles, par Dominique-Jean Chatelet Témoignage, par François Antoine La loi d’amour, par Yann Wanson Un jour, dans un Goum... Témoignage, par Christine de Gouvion Une expérience fondamentale, par Philippe Pinson Moineaux et Hirondelles, par Michel David Solitude ou fraternité, par Michel Menu Jambville, une rencontre pour l’avenir, par Stéphane de Saint Albin C’est l’histoire de deux amis..., parabole

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Parabole

C’est l’histoire de deux amis qui marchaient dans le désert... A un moment, ils se disputèrent et l’un des deux donna une gifle à l’autre. Ce dernier, endolori mais sans rien dire, écrivit dans le sable : « Aujourd’hui, mon meilleur ami m’a donné une gifle. » Ils continuèrent à marcher puis trouvèrent une oasis dans lequel ils décidèrent de se baigner. Mais celui qui avait été giflé manqua de se noyer et son ami le sauva. Quand il se fut repris, il écrivit sur une pierre : « Aujourd’hui, mon meilleur ami m’a sauvé la vie. » Celui qui avait donné la gifle et avait sauvé son ami lui demanda : - Quand je t’ai blessé, tu as écrit sur le sable et maintenant tu as écrit sur la pierre. Pourquoi ? L’autre ami répondit : - Quand quelqu’un nous blesse, nous devons l’écrire dans le sable où les vents du pardon peuvent l’effacer. Mais quand quelqu’un fait quelque chose de bien pour nous, nous devons le graver dans la pierre où aucun vent ne peut l’effacer. Apprends à écrire tes blessures dans le sable et à graver tes joies dans la pierre. Ainsi la Paix viendra s’installer.

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et le chèque qui va bien !

6. Compte tenu de la diminution drastique du nombre de prêtres, ne pas hésiter à proposer de célébrer la messe dominicale dans l’église du village et à inviter les gens qui nous accueillent.

3. Les relations avec les habitants des territoires que nous traversons sont de la responsabilité de tous. Rien ne remplace le repérage in situ… avant le raid, et il est vivement conseillé de laisser sa carte de visite.

Madeleine Menu a rejoint la maison du Père, au matin de l’Annonciation

7. Que ceux qui se sentent appelés à lancer le prochain raid en Terre Sainte – dès Avril 2013 pour la communauté des lanceurs et co-lanceurs si possible – s’inscrivent illico presto au raid organisé par Christophe Robin et Alain-Paul Richard.

4. L’équipe de tête prendra une décision dans le courant de l’année sur la baisse éventuelle du montant de la « cotisation » qui finance l’association GPA. 5. Location de djellabas : pour éviter les écarts de prix qui peuvent semer le trouble dans les esprits, nous avons convenu de fixer à 25€ le prix de la location de la djellaba, pour ceux qui offre cette possibilité.

8. Le Vieux Goumier a une idée un peu folle pour le lieu de notre prochaine rencontre annuelle, fin 2012, mais vous n’en saurez pas plus pour l’instant…

Chère Madeleine,

Ils étaient présents : les pères Benoit Lemoine, Michel Besse, Olivier Mabille et Jacques Gagey ; Agnès Mazodier, Alain-Paul Richard, Alain Priour, Antoine de Ravel, Anne-Marie Michel, Betty et Roberto Cociancich, Camille Ruinat, Christophe Courage, Didier Rochard, François-Xavier Portais, Gilles Richard, Gwénola Le Nenaon, Isabelle Talvande, Jean Cauvin, Jean-Michel Sicard-Cazeneuve, Jérôme Orjubin, Julien Gacon, Laure Landelle, Laurence et Stéphane de Saint Albin, Laurence Vanneste, Laurent de Loitière, Michel David, Michel-Thierry Dupont, Nicolas Fedry, Pauline Noel, Sophie et Vincent Guibert, Stéphane Aubujeault, Stéphanie et Rémi Libessart, Véronique Barthélémy. Sans oublier tous ceux, tels Christophe Robin et Xavier Hermesse, qui étaient présents par la pensée et la prière. Bivouacs n°45

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cohorte des amis des Goums qui ont revêtu leur djellaba intérieure pour mettre leurs pas dans ceux du Christ. Désormais, vous voici entrée dans la Vie et, comme le dit si bien le chant des Goums, à la veillée : « Quand un jour notre tâche sera finie / L’appel Goum viendra clore notre vie. Au ciel où Dieu nous attend / Nous irons tout en chantant ». Oui, un jour, nous vous rejoindrons là-haut avec bonheur. Tous les Goums de Pâques et de l’été à venir seront en communion avec vous, tout particulièrement quand nous prierons nos saints patrons à la fin de la veillée, sous les étoiles. Votre simplicité et votre discrétion nous ont introduits à la vie fraternelle vécue chez les Goums comme en témoignent les pages de ce numéro de Bivouacs. Merci, si chère Madeleine Menu.

Vous allez nous manquer. Nous ne pourrons oublier votre accueil et votre bon sourire à chaque fois que nous avons franchi le seuil de votre demeure à Saint Cloud ou à Notre Dame de Monts. Nous savions, certaines fois que Michel partait en Goum, que vous alliez faire une retraite au foyer de charité de La Flatière. Ainsi vous pouviez être en communion avec tous les Goumiers. Une fois cependant et les plus anciens parmi nous s’en souviennent, vous nous avez accompagnés en Goum. Il s’agissait du Goum de Terre Sainte de 1983. Ce fut un merveilleux pèlerinage. Vous teniez, au moins une fois, à être des nôtres physiquement. Des nôtres, vous l’étiez toujours et vous le serez toujours. Vous faîtes partie de l’immense Avril 2012

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Relations humaines Authentiques par Michel Menu L’épanouissement des relations interpersonnelles se réalise dans le raid, tout à la fois, par la montée en sensibilité de nos récepteurs sensoriels, par le branchement plus direct de notre esprit sur les messages évangéliques et par le naturel de nos vies quotidiennes.

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lors même que, pour la première fois dans son histoire, l’homme est appelé, comme dans un suprême défi, à se découvrir et à construire des liens universels, nos conditions de vie immédiates et quotidiennes ne cessent, paradoxalement, de nous renforcer dans des égoïsmes étriqués. Le philosophe Jacques Ellul qualifiait, jadis, ces enfermements de chacun dans sa tour d’ivoire de suicidaires. Il se demandait si d’innombrables petites guerres civiles n’allaient pas, bientôt, prendre le relai de nos abominables massacres d’antan ? En tout cas, avec les divertissements dont nous disposons, nous ne manquons ni d’occasions ni de moyens pour cultiver le « chacun-pour-soi-quoi-qu’il-advienne ». Les gens vivent en parallèle. Les feux de détresse qui s’allument au front de nos peuples ne nous émeuvent guère. Mais, cela s’explique aisément. L’égoïste devient, peu à peu, sourd et aveugle aux autres. Les autistes… qui s’ignorent pullulent. Ils n’en souffrent pas moins de leur solitude. Pour les libérer, il faut commencer par leur apprendre à ouvrir les yeux et les oreilles sur le monde qui les entoure. Le mieux, pour y réussir, est encore le bain dans… la nature. Bivouacs n°45

Si la découverte de l’Autre proche, autrement dit… du prochain, est l’un des fruits les meilleurs de nos raids, ce n’est pas en vertu d’une psycho dynamique de groupe plus ou moins alambiquée ou sous l’effet d’une excitation plus ou moins… humanitaire ou morale, mais bien, par une conséquence naturelle des activités que nous avons choisi de vivre ensemble et qui sont des activités de base où l’on joue sans masque ni convention plus ou moins artificielle. La marche, la cuisine, les feux, le bivouac à 1000 mètres d’altitude, l’Eucharistie, n’ont pas besoin d’idéologie pour se réaliser en bonheur. Ces actes marchent… à la vérité. Si le bois est mouillé, le feu renâcle. Si personne n’amène du bois sec, le feu ne marche pas. Et si le feu ne marche pas, on ne mange pas ! Rien de tel que ces activités qui ont en elles-mêmes leurs critères d’efficacité pour que l’intérêt du faire ensemble les uns pour les autres manifeste son intelligence et son sens créatif, sans qu’on ait besoin d’en parler. Certes, dans le cadre de nos méditations, nous retrouvons bien le réel de cet appel divin qui nous dit qu’aimer le Seigneur est le premier comman4

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Je réalise bien que ma tentative de synthèse ne rend pas compte de la profondeur et de la créativité de la pensée du Père Gagey, ni du caractère un tantinet provocateur de son propos, le 12 novembre dernier. J’ai trouvé du grain à moudre dans son intervention. Comme Lanceurs, nous nous devons de comprendre le monde dans lequel nous évoluons et les jeunes que nous emmenons au désert. Je trouve que son allocution a éclairé d’un regard nouveau ce que nous essayons de vivre dans nos raids, et mis en exergue notamment l’importance du silence, de l’exemple et de la charité incarnée.

l’étrier des Lanceurs de demain, est probante et va être poursuivie. Contactez l’équipe de tête si vous n’avez pas parmi vos Goumiers quelques jeunes de qualité prêts à se préparer pour l’aventure.

Décisions prises et points à retenir par tous :

o liste détaillée des participants, avec âges et nombre de raids, et commentaires adéquats sur les futurs piliers de raids et/ou Lanceurs,

2. Les Lanceurs sont invités à faire un effort pour envoyer à Christophe Robin, dès leur retour de raid, les éléments qui permettent à l’équipe de tête de faire profiter à tous de l’expérience de chacun, à savoir : o itinéraire prévu/suivi, avec commentaires sur les relations avec les habitants,

o un petit bilan plus personnel du raid, dans lequel on pourra évoquer notamment d’éventuels problèmes pédagogiques,

1. L’expérience de systématiser les duos entre Lanceurs et colanceurs, pour mettre le pied à Avril 2012

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dépassée – les discours exprimant ou décrivant la Foi n’accrochent plus.

- Les messes concélébrées par nos padres, et aussi la litanie du père Brezinski, proposées par le padre Michel Besse :

- Les jeunes du 21ème siècle ont du mal à mettre des mots sur leur propre Foi. « Les gens ont une expérience de Dieu mais si on commence à leur parler de Dieu, ils paniquent car notre langage n’est pas apte à le traduire. » Les jeunes parlent peu de leur Foi. Leur vie spirituelle est un domaine très réservé, comme un trésor intime, un jardin très secret.

Notre Dame de ceux qui n’ont rien, priez pour nous. ND de ceux qui ne peuvent rien, priez pour nous. ND de ceux qui ne sont rien, priez pour nous. ND de nous tous, priez pour nous.

- Le silence est probablement ce qui correspond le mieux à ce que les jeunes recherchent aujourd’hui, pour expérimenter et faire grandir la petite flamme de leur vie spirituelle. « Ce qui compte, c’est la rencontre. »

- Les flambées gigantesques de nos veillées, dans le pavillon Froissart, l’exhortation à l’exemplarité du padre Olivier Mabille, le premier soir, puis le témoignage édifiant, le lendemain, d’Anne-Marie Michel nous racontant son périple à pied de Québec à Mexico.

- Le Christ ressuscité ayant sauvé l’humanité depuis déjà 2000 ans, il ne reste aux hommes qu’à se conformer à la réalité de ce salut. L’annonce cependant doit se faire par des actes, plus que par des paroles. « Les jeunes sont touchés par l’incarnation de la Parole. »

- L’allocution enfin du père Jacques Gagey, qui nous a un peu « bousculés », comme le disait FX, et que j’ai essayé de synthétiser ci-dessous.

malgré sa fatigue, il reste debout pour les servir. Il ne reste pas debout, le Lanceur, pour se cultiver un auto-portrait héroïque, mais parce que l’Autre, pour lui, n’est pas un autre quelconque, mais bien, Jacques en personne, Viviane ou Alain. Il n’allume pas des feux pour « faire… des feux » mais pour Viviane, Alain ou Jacques, qui vont y trouver chaleur et joie.

C’est alors qu’on s’ouvre à la présence de l’autre. Une fois de plus on vérifie qu’il n’y a nulle opposition, mais stimulation réciproque et féconde entre naturel et surnaturel. C’est surtout au bivouac que s’affirme cette marche intérieure du Goumier vers ses frères et sœurs lorsque,

Comme le faisait remarquer Michel David quelques jours plus tard, le Père Gagey dit à sa manière ce que le Père Marie-Dominique Philippe écrivait dans son livre intitulé « Les 3 sagesses » : « L’âge apologétique qui a caractérisé le début du XXème siècle est aujourd’hui complètement dépassé… Les jeunes n’aiment pas du tout l’apologétique et ils la flairent très vite. Ils sentent tout de suite si on a un langage direct avec eux, si on parle à leur cœur, à leur intelligence, sans rien cacher… Avec eux, j’essaie de réfléchir aux problèmes humains. ». Oui, les jeunes sont très sensibles à la valeur du témoignage.

Allocution du Père Gagey Roberto avait demandé au Père Jacques Gagey, qu’il côtoie dans le cadre du scoutisme, de nous parler de « l’annonce de la Foi dans le monde d’aujourd’hui ». Voici ce que j’ai retenu de son intervention : - Influencés par le pluralisme ambiant, fruit de la globalisation et du mélange des cultures et des civilisations, les jeunes portent moins oreille aux « discours » officiels sur la Foi. Qu’ils soient traditionnels ou progressistes – laquelle dichotomie est désormais Bivouacs n°45

dement mais que second lui est semblable, qui nous invite à aimer notre prochain comme nous-mêmes. Mais l’accès à cette vérité nous apparaîtra d’autant plus désirable qu’on aura pris le temps de redevenir soi-même entier, avec des yeux qui voient, des oreilles qui entendent, des mains qui sachent … donner.

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Une pédagogie patiente au service d’un esprit fraternel Le témoignage de Guillaume et Murielle Notre Goum date de 10 ans; ce fut notre premier et, pour l’instant, unique Goum. Nous avons tenté cette expérience après 10 ans de mariage. Nous ne connaissions pas le couple marié qui a lancé ce Goum, ni aucun de nos compagnons de route. Pourquoi avons-nous été tant marqués? Pourquoi sommesnous toujours en contact si proche avec nos Lanceurs, sans nous être pourtant jamais recroisés?

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otre groupe était d’une grande variété : célibataires, fiancés, jeunes mariés, “vieux” mariés, camelot, conseiller politique, en passant par le soldat et l’homme d’affaire habitué aux hôtels 5 étoiles. Il y avait des très costauds, des très fragiles,…

Par cette pédagogie patiente, nos Lanceurs ont constitué un véritable couple, qui aura enfanté une petite famille. Leur fécondité a su faire de nous en deux jours de marche des frères et sœurs. Comment cela a-t-il pu être possible?

Le défi posé par cette mosaïque initiale reposait avant tout sur les épaules des Lanceurs. A la réflexion, leur grand art aura été d’éviter toute pesanteur dans la direction de notre groupe ; un style tout en finesse, marqué par l’expérience de la pâte humaine et de la pédagogie Goum, pour laisser se développer naturellement le sens du service et du bien commun, dans un esprit fraternel. Malgré les dérives initiales liées à la fatigue et aux personnalités, ils auront su susciter ainsi les talents de chacun, au sein d’un cadre pourtant très précis, mais très discret. Des dons jusqu’alors cachés ont ainsi pu se révéler, venant offrir à la communauté des temps et des souvenir forts, en cueillant les occasions au fil d’une route apparemment pauvre, mais riche d’opportunités simples. Bivouacs n°45

En veillant à de menus détails dès les tout premiers jours du Goum, ils nous ont transmis ce souci de l’autre, qui a fini par s’imposer naturellement, dès le troisième jour. Ainsi, nous avons été rapidement armés pour affronter ensemble les plus grosses épreuves de l’aventure: Comment oublier cette tension, alors que le soir tombait, et que nous attendions une paire de Goumiers égarés. L’un d’entre nous, arrivé comme d’habitude dans les premiers, était reparti les chercher en courant quelques heures plus tôt. Debout, figés, silencieux, nous avons tout d’à coup discerné au loin, entre les derniers rayons crépusculaires, le trio épuisé, et nous sommes 6

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- Un point détaillé sur nos territoires préférés (Causses, Aubrac, Quercy, Corbières, Navarre, Aragon, Maroc et Italie), et sur quelques itinéraires nouveaux, une séquence menée par François-Xavier Portais, Stéphane Aubujeault et Jean Cauvin, qui ont rappelé la nécessité pour tous les Lanceurs de s’investir personnellement dans la relation avec la nouvelle génération des habitants et exploitants de nos territoires ;

quelques secondes, ne sous-estimons pas l’impact de notre investissement sur l’homme « à l’unité ». Dixit notre Vieux Goumier : « En Goum, on fait des gestes qui engagent et qui marquent les autres. On peut toujours changer les choses. On est ici pour devenir des hommes et des femmes capables de faire évoluer le monde. » Nous avons enchainé ensuite sur les sujets suivants : - Un bilan rapide de la campagne de raids 2011, par Laurence Vanneste, qui faisait chaud au cœur : 23 raids et 375 Goumiers, dont 30% de nouveaux. L’aventure Goum attire encore pas mal de monde ! Les jeunes de 2012 ont besoin du désert, à nous de le leur faire découvrir.

- Un aperçu rapide par Didier Rochard de l’état des finances de l’association « Groupe de Plein Air » : elles se portent aussi bien que le Président de GPA. - Un appel de Michel David aux contributions des uns et des autres à la revue désormais internationale qu’est devenue Bivouacs.

- Quelques pistes de réflexion sur la pédagogie chez les Goums, proposées par Christophe Courage et votre serviteur, que je n’ai pas la place de développer ici mais qui feront l’objet d’un article en bonne et due forme dans le prochain numéro de Bivouacs, si le rédacteur en chef donne son accord. En bref : entre exemple et abandon, mener une équipe de raid est un exercice… tout en finesse.

- Isabelle Talvande nous a parlé des projets de l’équipe de la Belle Etoile, dont le dynamisme créatif et le talent a été salué par tous. - Antoine de Ravel nous a proposé quelques idées simples pour réaliser des carnets de raids complets et pratiques, et propose de rassembler les éléments qui pourraient être mis à la disposition de tous pour nous faire gagner du temps.

- La description par Alain-Paul Richard du projet de raid-pèlerinage en Terre Sainte qu’il organise avec Christophe Robin en septembre prochain, donnait envie de s’inscrire tout de suite ! Il serait bon d’ailleurs que quelques Lanceurs y participent dans la perspective de lancer un raid en Terre Sainte pour la communauté des Lanceurs et co-lanceurs, dès Avril 2013 si possible. Avril 2012

Au-delà de ces sujets, tous importants, je garde en mémoire et au cœur, comme la plupart de ceux qui étaient présents, j’en suis sûr, un souvenir fort des moments suivants, vécus ensemble : - Les méditations, dans la brume matinale du parc, proposées par Michel David (Zachée) et Laurence Vanneste (les noces de Cana). 35

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Jambville, novembre 2011 : une rencontre pour préparer l’avenir, ensemble Par Stéphane de Saint Albin

précipités vers eux, comme s’il s’était agi des membres les plus proches de notre famille. C’était le quatrième jour…

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ous étions 39 à Jambville, du 11 au 13 novembre 2011, pour la rencontre annuelle des Lanceurs, Co-lanceurs et Padres Goums. Jambville, c’est le Centre National des Scouts de France, un lieu chargé de souvenirs pour ceux qui y ont campé dans leur jeune temps. Dans ce cadre magnifique, accueillis par une équipe de bénévoles sympathiques, nous avons vécu une belle rencontre. En 48 heures, nous avons pris le temps de vivre la fraternité Goum, de marcher, méditer, chanter, partager et réfléchir ensemble aux défis de l’époque mais aussi aux aspects les plus concrets de notre aventure. Bivouacs n°45

Les padres Benoit Lemoine, Michel Besse et Olivier Mabille ont inauguré le week-end par un déjeuner entre padre, avec le Père Jacques Gagey, Aumônier Générale des Scouts et Guides de France, notre hôte. La rencontre a débuté, comme il se doit, par une bonne marche dans la forêt (et réserve de chasse…) avoisinante. Dans son mot d’accueil, Roberto, nous a rappelé l’importance du geste exemplaire d’un seul homme, hier comme aujourd’hui. Dans un monde qui change très rapidement et où l’information fait le tour de la planète en

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en Christ; c’était le septième jour… Dans le cadre de mon métier, j’ai récemment tenu une fonction de responsabilité, à la tête d’une communauté humaine, à laquelle mon épouse était associée étroitement.

Comment oublier la décision la plus dure de notre périple : notre benjamine avait besoin de refaire ses forces, alors que nous étions quasiment au pied du mythique Causse Méjean, dont chacun rêvait. Allions-nous scinder le groupe? Allions-nous abandonner notre “mascotte” ? La réponse au dilemme s’est imposée d’elle-même. C’était le cinquième jour... Le bonheur du sacrifice consenti librement, pour nous retrouver et finir cette marche tous ensemble, grâce à une bonne nuit de repos, n’avait sans doute rien à envier à la joie du panorama offert au sommet du Causse. C’était le sixième jour…

Pendant deux ans, nous avons gardé profondément ancré en nous cet exemple de pédagogie patiente, douce et ferme, qui suscite plus qu’elle n’impose, et qui veille à tirer chacun vers le haut. Le même esprit fraternel a pu ainsi se développer, au sein de cette communauté humaine marquée auparavant par de profondes divisions… Fécondité des Goums… N’est-ce pas tout l’art du Père, immensément respectueux de notre liberté : créer un appel d’air pour susciter et laisser exprimer en nous ce qu’il y a de meilleur, pour que nous le mettions au service de la communauté, faisant ainsi de nous des frères?

Comment oublier cette ultime Eucharistie au soleil Levant, le Christ dans l’axe du soleil, et notre cher padre, nous envoyant en mission en redescendant sur cette terre, où le projet de Dieu n’est souvent plus le bienvenu. Frères Avril 2012

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Ouvrir les yeux sur les merveilles que sont nos frères

Rester dans sa solitude ou… vivre de la fraternité Par Michel Menu

Par Isabelle Talvande La charité fraternelle… Aimer les autres comme nos frères… De grands et beaux mots qui ne doivent pas rester seulement de belles paroles. Les vieux Goumiers ont assurément un rôle à jouer pour créer un cadre chaleureux et convivial.

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a charité fraternelle passe par l’humilité : ne pas accomplir quelque chose à la place de l’autre mais susciter en lui le désir de servir ses frères et s’effacer pour œuvrer ailleurs.

spontanéité et il faut parfois accepter que l’émulation ne se fasse pas tout de suite. Il vous est peut-être arrivé de grommeler intérieurement en voyant les Goumiers farfouiller dans leur sac alors que c’est la énième énorme pierre que vous posez pour former le cercle du repas ?

Les vieux Goumiers donnent l’impulsion au Goum : les premiers jours, ce sont eux qui se lèvent pour cuire le riz puis le servir ; ce sont aussi eux qui pensent à remplir la gamelle pour la soupe alors qu’elle trône au centre du cercle après avoir été vidée par des marcheurs affamés.

Rien de plus désobligeant que d’entendre : « Pufff… ça ne sert à rien de mettre des pierres ! » Oui, ce geste est inutile quand on déplace des cailloux minuscules. Cependant quand vous transportez une pierre en pensant à un Goumier du groupe et en offrant, pour son salut, les tiraillements que vous ressentez dans les bras, ce geste a un sens : celui de l’amour gratuit pour vos frères.

Ainsi le jeune Goumier peut avoir l’impression que le Goum fonctionne tout seul, ou du moins que tout se déroule sans qu’il ait besoin d’intervenir. Il me semble tout à fait primordial qu’il prenne conscience que lui aussi a un rôle à jouer et qu’il a quelque chose à donner.

Au bout de deux ou trois jours, les jeunes Goumiers adoptent davantage une position d’observateurs et comprennent peu à peu que si le Goum semble si bien tourner, c’est qu’un petit groupe, sans rien dire, agit par amour pour leurs frères. C’est le début de l’émulation pour rivaliser en charité fraternelle. Le Goum est l’occasion d’apprendre à ouvrir les yeux pour anticiper sur les besoins de celui qui est à côté de moi, le moment d’apprendre à voir dans mon voisin le visage du Christ.

C’est pourquoi les vieux Goumiers doivent être particulièrement attentifs aux néophytes pour que ceux-ci se sentent à leur place. Ils doivent créer des occasions pour que l’autre se sente utile au groupe : « Et si on servait la soupe ensemble ? », peut-on lancer, l’air dégagé, à son voisin « de table ». Mais la charité fraternelle relève de la Bivouacs n°45

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Un certain 29 juillet 1977, sur le Causse… Au bivouac, juste avant la veillée, je suis par• ramasser du bois. La nuit tombait sur la Nojarède. On sentait qu’il allait faire froid. Elle m’a rejoint, discrètement, et s’est mise, elle aussi, à faire un fagot. Son frère m’avait confié qu’elle avait eu, en cours d’année, une terrible décep•on. Elle me dit, comme si nous avions des heures devant nous : « Je suis un peu paumée, savez-vous. J’espère que le raid Goum va m’éclairer. Mais qu’est-ce qu’on peut faire… quand on est toute seule ? » Je me suis relevé sans hâte. Mais non sans peine. Avec tout son mal dans ma peau. J’étais bien sûr qu’elle le sentait. Mais que répondre ? J’ai a•endu 5 ou 6 secondes. Peut-être plus. En essayant de regarder très loin. Je ne lui ai même pas mis la main sur l’épaule. Je me suis entendu dire : « Nous n’aurons pas chaud ce•e nuit. Viens ! On va leur faire un feu du tonnerre. »

Tiré de Dans le désert au pas des Goums, Michel Menu, Ed Le Sarment Fayard p.168

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Moineaux et hirondelles : de l’épreuve à l’Espérance Par Michel David

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i un jour vous venez nous rendre visite dans notre maison aux volets bleus, vous remarquerez une vingtaine de nids d’hirondelles sous notre toit. Pour peu que ces nids aient été détruits au cours de l’hiver (cruelle épreuve) et que vous veniez en avril ou mai, vous assisterez au plus surprenant des ballets aériens.

le nombre des assaillants, celles-ci finiront par partir (seconde cruelle épreuve). Alors, les moineaux occuperont la place, en garnissant grossièrement de paille glanée ici ou là le nid d’argile. Mais si vous revenez trois semaines plus tard, les nids désertés par les moineaux vont, comble de la vertu éprouvée, être réoccupés par nos hirondelles. Elles retireront soigneusement la paille grossière de nos pirates et referont le joli nid d’espérance pour leurs petits hirondeaux.

Avec une constance et une fidélité qui forcent l’admiration, notre couple d’hirondelles reviendra au même endroit. Fidélité car un couple d’hirondelles sauf incident majeur (mort de l’un des deux pendant la migration au long cours), reste uni jusqu’au bout. Constance car ces oiseaux vont entreprendre la reconstruction de ce qui fut détruit. Elles iront rechercher l’argile et se « bécoteront » pour humidifier la terre en la faisant passer de bec à bec, comme pour mieux saliver et la transformer en petite boule suffisamment humide pour tenir mais pas trop cependant afin qu’elle ne tombe pas. Patiemment et sûrement, elles façonneront ainsi un nid bien douillet en l’espace d’une dizaine de jours par des va-etvient incessants.

La morale de cette histoire c’est que « l’on apprend plus de choses dans les bois que dans les livres ; les arbres et les rochers vous enseigneront des choses que vous ne sauriez entendre ailleurs. » St Bernard de Clairvaux ; que l’épreuve douloureuse est là pour fortifier et que la constance est toujours récompensée. Romains 5,3-4 : « Nous nous glorifions encore des tribulations, sachant bien que la tribulation produit la constance, la constance une vertu éprouvée, la vertu éprouvée l’Espérance. »

Pendant ce temps, les moineaux se tiennent en embuscade. Ils attendent leur heure puis ils vont passer à l’offensive, comme une bande d’affreux pillards. Ils vont harceler les hirondelles jusqu’à ce qu’elles partent. De guerre lasse, après avoir résisté un peu, devant Bivouacs n°45

L’essentiel est que chacun trouve sa place dans le raid, ce qui n’est sans doute pas évident pour ceux qui découvrent les Goums. En effet, le mode de vie des raids est parfois très différent de ce qu’ils connaissent. Faut-il rappeler que certains n’ont jamais campé, n’ont jamais marché plusieurs jours avec un sac à dos ou encore ne se sont jamais orientés avec une carte ? Ils doivent donc faire face à l’inconnu, dont ils se protègent bien souvent en se repliant sur eux-mêmes.

mesure leur aptitude à affronter cet espace si hostile qu’est le désert. Le rôle du Lanceur ne consiste-t-il pas à veiller à ce que chacun puisse vivre pleinement son raid, sans que l’orientation et la condition physique prennent le pas sur le spirituel ? Cet été, les « petits nouveaux » se sont un peu démobilisés le premier soir, se plaignant plus ou moins d’être obligés d’avoir le nez sur la carte de peur de se perdre. Pour assurer la cohésion du groupe et pour que tous puissent entrer dans toutes les dimensions du Goum (physique, spirituelle et relationnelle), les vieux Goumiers se sont discrètement répartis parmi ceux qui n’avaient pas l’habitude d’utiliser la carte, afin de leur apprendre à s’orienter.

Par ailleurs, le Lanceur doit aussi s’oublier d’une certaine manière. Quoi de plus décourageant qu’un Lanceur qui, une fois le bivouac du soir précisé, endosse son sac et disparaît à l’horizon en faisant de grandes enjambées ? Pourquoi ne pas donner rendez-vous, le premier jour, à mi-parcours pour rassurer les nouveaux venus ?

Chacun a ainsi pu profiter du paysage dans la paix. Par charité fraternelle, ce jour-là, les vieux Goumiers ont ralenti leur marche, ils se sont ouverts à ceux avec lesquels ils n’avaient pas marché la veille, ils se sont, pourrait-on dire, oubliés. Le soir, les visages radieux et apaisés de tous nous ont confortés dans notre choix du matin.

Cet été, une novice m’a confié que le fait de se retrouver seule sans savoir vraiment bien utiliser sa carte était très déconcertant voire paniquant, surtout pour les longues étapes. Au fil des Goums, après avoir arpenté de long en large les Grands Causses, on peut oublier ces sensations de vertige éprouvées dans l’immensité désertique. En avril dernier, j’ai découvert le Haut Atlas marocain et j’ai ressenti aussi ce sentiment de solitude et de petitesse où nous conduit le désert. J’ai alors apprécié que les Lanceurs nous proposent de nous retrouver en un lieu intermédiaire, tout en nous laissant marcher à notre rythme.

Le Goum n’est pas un exploit sportif, on ne saurait trop le rappeler. L’essentiel est bien dans l’esprit fraternel qui doit régner entre nous, à l’image de l’Amour du Christ. Vieux Goumiers, ouvrons les yeux pour permettre à tous de vivre à fond l’aventure Goum et permettre ainsi la rencontre avec l’Autre, à travers le visage des autres. Merci Seigneur pour le frère que tu mets sur ma route et donne-moi la grâce de l’aimer comme Toi Tu m’aimes.

Ainsi, s’il est normal que le Lanceur, bon marcheur et maîtrisant le terrain, ait tendance à partir devant pour installer le bivouac, il est souhaitable aussi qu’il regarde ses frères goumiers et qu’il

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Lanceur, mon frère ! Par Michel David Ce jour-là, en longeant les gorges du Tarn entre Castelbouc et Ste Enimie avec Marie-Odile, j’avais un souci en tête : arriver à la gravière de Ste Enimie pour pouvoir s’y baigner et faire une course car il nous manquait du café...

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e jour-là, en longeant les gorges du Tarn entre Castelbouc et Ste Enimie avec Marie-Odile, j’avais un souci en tête : arriver à la gravière de Ste Enimie pour pouvoir s’y baigner et faire une course car il nous manquait du café ! A cause de cela, j’ai dédaigné un lieu propice pour la baignade, deux kilomètres avant le village, pour découvrir une gravière beaucoup moins agréable que celle de mon souvenir. Désappointé par ce coup du sort, j’avais déposé mon sac à dos et enlevé ma djellaba en prévision de la baignade. Mais, décidément, le lieu ne me plaisait pas. Je regrettais le havre de baignade entraperçu quelques instants auparavant et j’appréhendais pour ma femme la remontée vers le causse Méjean et ses 800 mètres de dénivelé. Au lieu de savourer l’instant présent. Et j’ai fait alors quelque chose que je ne fais jamais : je n’ai pas remis ma djellaba et je me suis rendu vers le village… Mais le Seigneur veillait.

puis de retourner vers la magnifique église romane de Ste Enimie pour me recueillir. Cette fois-ci, revêtu de la djellaba, je recroise François et Amaury. Je me suis senti beaucoup mieux, dans la vérité. Je suis rentré dans l’église. Il y avait un fond musical en boucle. A ce moment, un chant à l’Esprit Saint débute. Je me confie au Seigneur en lui demandant pardon pour mon manque de Foi et en demandant à l’Esprit Saint d’agir pour que ma femme ne souffre pas trop de la remontée vers Puech Alluech. Je songe même à lui proposer de faire du stop. Je m’abandonne vraiment à la volonté de Dieu. Et, là, j’ai vu l’Esprit Saint à l’œuvre. Il est toujours à l’œuvre d’ailleurs mais nous le voyons pas. Là, c’était clair, limpide, pour qui sait voir. En effet, en sortant de l’église, je me suis dirigé vers le point d’eau pour remplir ma gourde. J’entends alors la voix d’un autre Lanceur (Nicolas Fedry) qui me salue. Il redescend tout juste du Sauveterre dans sa voiture et vient de m’apercevoir. En quelques secondes, je saisis tout l’intérêt de cette rencontre. Sans ma djellaba, sans doute ne m’aurait-il pas vu ! Remonte-t-il sur le Causse Méjean ? Oui. Accepterait-il de conduire Marie-Odile jusqu’à notre Bivouac ? Oui. Ma femme refusera mais acceptera que son sac soit monté.

A la traversée du pont, je croise deux jeunes Goumiers (François et Amaury) qui étaient revêtus de leur djellaba. En quelques secondes, je saisi que je ne suis plus dans la vérité. Je suis terriblement gêné en échangeant quelques paroles avec eux. Pourtant, je poursuis ma route mais, au fur et à mesure que j’avance, mon cœur n’est plus dans la joie. Aussi je prends la résolution de revenir vers le bord du Tarn, de remettre ma djellaba Bivouacs n°45

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mier: Dieu est père, il chérit ses enfants ; et moi, considérant mon prochain comme enfant du même Père commun, je dois le chérir comme mon frère. Cet amour de prédilection porté à chacun, dont je fais l’expérience, c’est l’amour même de Dieu, l’amour porté par Dieu lui-même à tous ses « engendrés ».

Au bout de la course, me voici tout étonné de vivre avec eux une proximité de dilection, une amitié de dilection, comme si nous nous étions choisis, comme si nous nous connaissions depuis toujours. Me voici aussi étonné de la densité des échanges, des gestes, des silences, des rires et des chants ; me voici, étonné de la souplesse avec laquelle je m’ajuste, je réagis, je me laisse modeler par les frottements des personnalités, des instants, des opportunités, des moments vécus, comme si ces frottements m’obligeaient à m’assouplir encore davantage, à chaque pas, à chaque moment.

Et je découvre, émerveillé, cette efficience de la charité divine qui fait de moi un vivant, possédant la vie même de Dieu en lui, et qui marche dans la Lumière. Puisque « en ceci consiste l’amour de charité, que Dieu donne son Fils et que le Fils donne sa vie », la charité fraternelle aura pour marque essentielle de ne point aimer de parole ni de langue, mais en acte et en vérité. Et, réveillé, je me laisse conduire par le service humble et fervent dont le Seigneur a donné l’exemple dans le lavement de pieds. Mes frères sont là pour m’y inviter, à certains moments comme bénéficiaire, à d’autres comme prestataire !

Et, alors que la nuit arrive et que l’étape prend fin, fourbu, je suis accueilli, tel que je suis, et reconnu dans la pénombre, sans qu’aucune question ne fuse, qui viendrait me déranger ou m’obliger à me justifier. Il ne me reste plus alors qu’à accepter pleinement les bénédictions qui descendent sur le bivouac : l’eau fumante de la soupe, la platée de riz, le pansement bienvenu, la parole réconfortante, le silence respectueux !…

Il ne me reste plus qu’à descendre de la montagne, pas trop vite, pour ménager la transition. Nous allons nous quitter mais ce que nous avons vécu ne s’arrête pas au dernier tournant de la route ou au petit-déjeuner du départ. Oui, il s’agit bien d’un départ. J’ai « plongé » et me voilà sur un promontoire, un tremplin. Aucune nostalgie n’habite mon cœur, puisque tout commence et que « partout ou deux ou trois sont réunis en mon Nom, je suis avec eux », jusqu’à la fin du monde. L’Eglise est la famille de Dieu dans le monde…

La charité comme lieu de rencontre : « Comme il est bon, comme il est doux pour des frères d’être ensemble. » Et pour autant, tout n’est pas idyllique ! Chaque rencontre m’oblige à me sortir de moi-même, à pardonner, à m’adapter, à me convertir ! Il me faut prendre l’initiative et chercher en moi les forces d’ouverture et d’entrain.

Mon bon Seigneur, pour ta charité inépuisable, merci ! Les Goumiers, merci !

Depuis le matin de la messe jusqu’au soir des complies, je suis en famille, je vis en familiarité avec mon frère GouAvril 2012

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La charité fraternelle : une expérience fondamentale du raid Goum Par Philippe Pinson

« Comme je vous ai aimés, que vous aussi vous vous aimiez les uns les autres. »

«

tout au long de ma marche, une double expérience de découverte de la charité fraternelle comme lien entre moi et les autres, mes frères, et de la charité fraternelle comme lieu de rencontre entre mon Père céleste et moi.

La charité, mon bon seigneur ! », cette apostrophe du bossu correspond bien à ce que le sens commun entend souvent par « charité », un mot longtemps galvaudé. Tombé quelque peu en désuétude, il peut retrouver toute sa force. La 1ère encyclique de Benoît XVI nous le confirme magnifiquement : « La charité n’est pas pour l’Eglise une sorte d’activité d’assistance sociale, mais elle appartient à sa nature » et juste après le pape ajoute : « L’Eglise est la famille de Dieu dans le monde ». Aussi est-ce de nouveau possible d’user de ce mot sans en abuser !

La charité comme lien : Chrétien parmi mes compagnons de marche, je fais partie d’un petit « corps de baptisés » et, accompagné d’un prêtre, je suis membre d’une cohorte qui va bénéficier chaque jour de l’eucharistie. Puisant à la source de l’Amour, je pars, nourri du «pain des forts », à la manière du sarment qui reçoit sa sève du cep.

Je me propose ici de plonger dans notre expérience de Goumier pour montrer comment cette vertu théologale peut se déployer dans la petite « famille » provisoire que nous formons huit jours durant et comment cette expérience peut se répandre en nous et se communiquer aux autres bien au delà de ces huit jours.

Je ne connais pas mes compagnons de route : ils me font un peu peur, humainement ! Je ne les ai pas choisis, mais ils sont mes frères de route, pèlerins comme moi, fatigables et proches de moi. Mystérieusement, il m’est donné de découvrir en eux le visage de ce Jésus que je cherche et dont je vis. Et je me laisse guider, à mon rythme et avec mes limites et mes reprises, mes doutes et mes questions, par leur présence.

Si je suis attentif à ce que représente ce « plongeon » de mon « entrée » en Goum, je fais, dès les premiers pas et Bivouacs n°45

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Ainsi, le Seigneur agit même à travers nos faiblesses, pour peu que nous reconnaissions celles-ci. En effet, certains pourraient dire que si je n’avais pas enlevé ma djellaba, je n’aurais pas été exactement au bon moment à la sortie de l’église pour être vu par Nicolas. Je crois pour ma part, que l’Esprit Saint aurait trouvé le moyen qu’il fallait pour que mon épouse arrive en haut.

Ainsi, après avoir proposé la méditation du matin reposant sur la rencontre de Jésus avec Zachée, je me suis retrouvé dans une situation aussi déstabilisante que ce dernier sur son sycomore. Alors, merci, Lanceur mon frère, pour t’être rendu disponible. Merci aussi à vous, nos deux fidèles lanciers, sur un pont, entre deux rives, pour m’avoir fait comprendre comme il est important de porter toujours sa djellaba. C’est volontairement que j’appelle lanciers les jeunes Goumiers qui en sont à leur premier ou à leur deuxième Goum, et qui ont déjà compris l’essence même du Goum. Après tout, entre lancier et Lanceur, il n’y a qu’une seule lettre de différence.

Le plus beau de cette histoire est dans sa conclusion. Le soir, juste avant la veillée, je raconte toute cette mésaventure à l’ensemble des Goumiers pour rester avec eux dans la Vérité. François raconte alors leur point de vue quand ils m’ont croisé sur le pont. Alors qu’ils s’étaient baignés, ils se posaient la question de remettre la djellaba pour aller dans le village. Amaury qui faisait son 1er Goum ne voyait pas l’utilité. François lui dit : on n’enlève jamais sa djellaba dans la journée sauf pour une baignade. Tu te rends compte, ajoute-t-il : si jamais on croisait Michel… Nous avons ri aux éclats. Avril 2012

Deo Gratias surtout. (cf, 2 Corinthiens, 12,10) Et j’ai repensé à ce très beau texte de Michel Menu où il est écrit : « Si tu t’assois, ils se couchent. »

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Lettre à un jeune Lanceur Par François Antéblian

Luc, tu vas donc entreprendre ton premier Goum comme Lanceur et tu me demandes si tu n’as pas été trop audacieux.

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Après 4 ou 5 raids, le regard interrogateur des vieux Goumiers commençait à se tourner vers moi : « Tu devrais peut-être penser à lancer ». Ce fut après le 6ème raid et le grand rassemblement au Puy de la Toussaint 95 que je me suis senti appelé à répondre. Juste avant le départ, je me rappelle que nous avions tous défilés, les uns derrière les autres, dans le cœur de la chapelle. L’Evêque nous fixait d’un regard intense en nous présentant une image pieuse et en disant à chacun de nous : « Je vous envoie en mission ». J’ai perçu ce message comme un appel du Christ et j’ai décidé de lancer un Goum au cours de l’année suivante. Me ressouvenant de mon projet, je décidais de le concrétiser et de partir dans le Haut-Atlas au Maroc.

uc, tu vas donc entreprendre ton premier Goum comme Lanceur et tu me demandes si tu n’as pas été trop audacieux. Je me souviens la fin de nuit d’un bivouac de mon second raid. C’était en avril, juste avant l’aube. J’étais bien au chaud et au sec dans mon sac de couchage. A l’extérieur il faisant encore froid et humide. L’esprit en demi-sommeil, je percevais les bruits coutumiers du matin : tintements de gamelle, bruit des branches cassées pour allumer le feu et l’eau versée dans les bonames. Alors je me suis dit, il faut être un peu fou pour devenir Lanceur de raid. En tout cas, ce n’est pas une chose que j’arriverais à faire un jour. Pourtant, j’étais revenu pour la seconde fois chez les Goums. Lors de la fin de mon premier raid, j’étais tellement enthousiaste qu’un projet était né : faire un jour un raid plus loin, sur une grande terre d’aventure, pourquoi pas en Afrique. Bivouacs n°45

Devenir Lanceur, c’est d’abord redonner ce que l’on a reçu. Non pas seulement comme une dette à régler, mais en devenant le maillon actif d’une grande chaîne qui ne doit pas se rompre. 12

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les préjugés si dévastateurs parfois. La solidarité soude le groupe qui vit pendant une semaine l’amour du prochain.

vivre pendant un Goum m’a permis de redynamiser ma vie de foi, de sortir de la tiédeur qui parfois engourdit l’être pour entamer un nouveau chemin de conversion, dans la joie et la vérité. Elle m’a rendue plus disponible aux autres parce qu’elle m’a fait mieux prendre conscience du plan de Dieu sur moi.

C’est une occasion de louer Dieu à toute heure pour la beauté de Sa Création, qu’il s’agisse des paysages

Le Goum est sans conteste une étape décisive dans ma vie d’enfant de Dieu. Je ne peux qu’inciter tout jeune catholique dynamique à répondre à cette invitation d’une rencontre inoubliable de Dieu et d’une découverte de soi-même.

ou des visages lumineux de nos compagnons de route. C’est aussi la possibilité de Le servir par la solidarité et l’attention que l’on se porte les uns aux autres. L’expérience que j’ai eue la grâce de

tangible ne me permettait cependant de remettre en cause mon choix.

Monter un raid c’est accepter l’incertitude de la réussite et de l’échec ; c’est expérimenter la liberté de monter son entreprise en choisissant ses itinéraires et ses lieux de bivouac ; c’est une totale autonomie de décision et de moyens. Enfin, c’est accepter la responsabilité de faire prendre des risques aux autres : froid, humidité, pluie, chaleur, faim, petits et grands maux, inconforts … Ils ne surmonteront les épreuves dans la joie qui si le Lanceur leur montre le sens et l’essentiel du raid Goum. Pour cela il faut les aimer dès le premier contact du départ. Leur donner confiance pour qu’ils puissent surmonter l’épreuve du doute qui vient souvent après un jour ou deux : « Qu’est-ce que je suis venu faire ici ? ». Alors ils devront se dire « Le Lanceur doit bien connaître son affaire, je lui fais confiance »

Il faudra attendre la joie des Goumiers au retour et les témoignages des fins de raid pour être convaincu du bien fondé du projet et me sentir prêt à repartir l’année suivante. C’est à ce moment que la récompense tombe. Chez les Goums, on répète inlassablement que le Lanceur doit toujours marcher en tête. Comme Alexandre franchissant l’Hyphase, le Lanceur a un grand projet : il est entièrement tendu vers la route qui l’attend, vers cette extrémité du monde que personne n’a jamais encore atteint et qui semble à portée de main. Et puis s’il se trouve seul sur l’autre rive, se retournant et voyant ses compagnons de route hésiter et regarder en arrière, il sait que même s’il ne peut continuer tout de suite avec eux, il reviendra un jour parce qu’une grande et unique aventure est là et qu’elle vaut bien quelques épreuves.

Une rapide décision sur les dates. Deux voyages de reconnaissance sur place, qui furent aussi déjà deux belles aventures : un premier voyage pour trouver un itinéraire, puis un second pour reconnaître l’itinéraire. A trois jours du départ, j’avais 23 inscrits et … un niveau de stress rarement connu : n’étais-je pas un peu fou pour vouloir entraîner un groupe sur une route pour laquelle je n’avais que très peu d’expérience ? Aucun élément Bivouacs n°45

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Charité fraternelle : un résumé de la proposition Goum

Le Goum : chemin de ressourcement spirituel Par Christine de Gouvion

Par Didier Rochard Ces deux termes révèlent et résument la totalité (moyens et buts) de la proposition GOUM…et de la vie chrétienne : le commandement nouveau, la plénitude de la Loi, la voie du Salut. Les anciens, qui avaient le sens de la théologie et de la formule, ont d’ailleurs qualifié cette vertu de «règle d’or»: « Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux, vous aussi» (Mt. 7,12).

L

Geste si simple qu’il peut paraître dérisoire, pourtant il change tout, tout dans notre attitude, tout dans notre regard, tout dans notre cœur et le soin que l’on prend aux personnes.

a charité passe toujours par le respect du prochain et de sa conscience, même si cela ne signifie pas accepter comme un bien ce qui est objectivement un mal. Elle est «le lien de la perfection». (Col 3, 14), le fondement des autres vertus, qu’elle anime, inspire et ordonne.

L’amour du prochain consiste bien dans la réalisation d’une relation vraie qui comble les deux sujets. Elle va très au-delà du simple «vivre ensemble» qui sent la vie à la colle ou la cohabitation forcée que notre société semble vouloir imposer comme une panacée à l’individualisme et à sa violence. L’homme est d’une autre dimension. La cité repose sur d’autres fondements.

Sans elle, «je ne suis rien et… rien ne me sert» (1 Co 13,1-3) (Catéchisme de l’Eglise Abrégé N°375). Notre aventure au désert nous donne de vivre en actes l’accueil et l’Amour de l’autre parce qu’il est temple du Saint-Esprit. La charité vécue dans nos raids est donc (humblement) la réalisation d’une proximité ontologique. Aujourd’hui, à cet instant, je suis au service de mon frère, passage de la puissance de l’Amour en acte. Premier geste simple d’accueil et de partage, au bivouac, avant de m’occuper de mes petites affaires (les exemples abondent dans notre journée de raid). Bivouacs n°45

Mgr Centène, évêque de Vannes remarque: « une conception erronée du dialogue et de la tolérance ne nous a-telle pas fait adhérer à un faux irénisme ?... La Vérité sans la charité est un fruit amer. La charité sans la vérité est un fruit pourri «. Bernanos – déjà – disait: « La plupart d’entre nous n’engagent dans la vie qu’une faible part, une part ridiculement petite de leur être, comme 14

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L’aventure Goum m’a saisie à l’improviste, sans que personne ne m’ait entraînée dans cette démarche qui m’apparaît désormais comme une invitation de la Providence. Je l’ai découverte sous la forme d’une petite annonce dans un journal catholique, qui proposait à des jeunes de 20 à 35 ans de se ressourcer pendant une semaine au contact de la nature. Entre deux années pleines de stress et de tensions, l’appel des grands espaces et d’une vie rythmée par le soleil, allié au mystère de l’inconnu, m’a fait franchir le pas. En acceptant de faire confiance, j’entamais sans le savoir un ressourcement et un renouvellement spirituel très forts.

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es Goums, ce sont des marches au long cours que l’on peut effectuer seul ou en groupe, des célébrations eucharistiques en plein air, des nuits à la belle étoile, des repas frugaux, des efforts parfois éprouvants et des joies profondes. C’est surtout un décapage intérieur afin de permettre à chacun de découvrir et d’accepter sa vérité. Ce retour à notre nature profonde est favorisé par une ascèse invitant à se détacher de toutes les préoccupations futiles qui encombrent bien souvent nos existences au quotidien. Les multiples dépendances, les idoles parfois bien insidieuses sont abandonnées au profit de paysages désertiques et d’une vie de pauvreté.

qu’elle a de plus pauvre, de plus fragile mais aussi de plus vrai et de plus grand. Au fil des jours et des efforts physiques a lieu la redécouverte des ressources les plus profondes de l’homme, de la merveille que Dieu a réalisée dans chacun quel qu’il soit. Alors nous devenons disponibles pour rencontrer Dieu sans masque ni faux-semblants, pour écouter ce qu’Il a à nous dire, pour raviver la flamme de notre foi. Alors disparaissent les doutes et les luttes au profit d’un abandon à Dieu et d’une joie intérieure débordante et surabondante. Le raid Goum n’est surtout pas une invitation à se replier sur soi. Les Goumiers sont une quinzaine, toujours accompagnés par un prêtre. Ils partent ensemble pour se ressourcer aussi dans l’aventure liée à la découverte de l’autre. Le port d’une même djellaba rappelle notre fraternité et empêche

En effet, les Goums se déroulent dans des déserts, en référence à l’importance toute particulière que revêt dans la Bible ce lieu de dénuement. Il se fait l’écho de notre identité dans ce Avril 2012

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Un jour, dans un Goum… j’ai vu... Combien de jeunes Goumiers exemplaires ais-je vu dont n’importe quel vieux Goumier pourrait s’inspirer ? J’ai vu des initiatives individuelles formidables… j’ai vu, face à des difficultés, des initiatives de partages aussi insensées que spontanées. J’ai vu et entendu mille initiatives qui, grâce à Dieu, viennent nourrir notre aventure. Celle que je retiens ici est celle de Bruno, jeune Goumier de 20ans. Le troisième matin nous descendions vers la Malène par le chemin des mules. Pour ceux qui ne connaissent pas, il fait partie de ces raidillons qui, à la descente, vous rappellent rapidement l’existence de vos ongles de doigts de pied, bien tassés au fond de la chaussure, pendant de longues minutes. Une jeune Goumière mal équipée s’assoit sur un rocher. Ses chaussures ne feront pas un mètre de plus malgré les straps et les bouts de ficelles apposés en pure perte. De quoi donner des arguments à n’importe quel Goumier pragmatique s’étant difficilement séparé de sa carte bleue trois jours avant. Ses compagnons ont dû chercher une solution, mais en vain. Bruno lui fait essayer ses chaussures qui semblent fort bien aller ainsi, et… « ça tombe bien - dit Bruno – j’ai toujours rêvé de pèleriner en sandale ». Il ne lui restait donc que cinq jours et demi de marche pour jouir de ce privilège.

ces avares opulents qui passaient jadis pour ne dépenser que le revenu de leurs revenus… Un Saint ne vit pas de ses revenus. Il vit sur son capital. Il engage totalement son âme.» Le raid, vous le savez, est sur cette ligne… de crêtes. Nous y vivons pleinement une charité ordonnée à sa finalité théologale par des actes précis qui produisent des fruits authentiques. C’est de cette unique façon que les Goumiers portent autour d’eux la bonne nouvelle du bonheur de servir. A la source de la communion des Saints, il y a la charité qui ne cherche pas son intérêt (1Co 13,5) (Ac. 4,32) C’est notre foi en action qui se manifeste. Comme le soulignait Jean Gillard: « Agir ? Mais il n’est d’action qui ne coûte. Agir, c’est donner…non pas un petit coup de main par-ci, parlà. Mais se donner soi. Tout entier… Quoiqu’il en coûte.» C’est, bien sûr, totalement inacceptable pour les adeptes de la sagesse mondaine ou la raison à court terme. Seuls, risquent de l’intégrer ceux qui, en ayant humblement demandé la grâce, ont senti leur cœur s’embraser d’assez… de folie d’amour pour croire que «Quand on n’a pas tout donné…»

Pour celui qui aurait pu regretter l’efficacité d’une bonne vielle carte bleue, ce genre d’exemple, qui n’est pas unique chez nous, donne à méditer sur la justesse de cette méthode Goum. Sur ce qu’elle nous dit de notre modèle de société, et sur la proximité de notre « prochain » (Luc X,25). Bivouacs n°45

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Fraternité vécue Par Michel Menu

Au début des années 80, Michel Menu nous rappelait déjà en quoi la marche en tribus fraternelles était un moyen efficace pour donner du sens à nos vies et aboutir au don de soi créatif. Ce qu’il dit touche aux universaux et n’a donc pas vieilli d’une ride. Dans la société actuelle, qui crève davantage de la solitude, ces propos prennent encore plus de reliefs et d’acuité pour qui sait regarder.

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’il est vrai que la Culture actuelle nous expose à l’éclatement concret des solidarités de base, dans la perspective plus ou moins vague, de solidarités plus universelles, il nous faut, là aussi sortir du piège et nous désintoxiquer de l’abstraction. Il n’existe, chez les Goums, par système, aucune « machine » automatique ou structure collective… pondeuse de solidarité… en série. Aucune organisation hiérarchique qui pourrait laisser supposer que les uns sont plus conscients ou plus responsables que les autres. On se fabrique sa solidarité sur place, soi-même.

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Et ceux qui viennent marcher avec nous dans les Causses savent parfaitement qu’il leur faudra tout aussi bien servir les autres que porter eux-mêmes leurs sacs. C’est un parti pris. [Et si, justement, la charité fraternelle impliquait la réciprocité qui fait grandir l’homme au lieu de l’assister perpétuellement.] « Ceux qui n’ont pas d’argent, ceux qui n’ont pas de connaissance et pas d’esprit, Comme ils se passent de tout, se passent également d’amis. Les pauvres s’ouvrent peu, mais 16

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Pistes de réflexion: • Comment faire de ma vie un don pour mes frères? Ai-je réussi à découvrir le don que représente chacun de mes frères en Goum, dans ma famille, au travail, dans la paroisse, ...?

Suis-je gratuit dans mes relations fraternelles ?

il n’est pas impossible de gagner leur cœur.

Fais-je don de ma vie de façon désintéressée ?

Il suffit de faire attention à eux et de les traiter avec un peu d’honneur.

Révision de vie

– Ai-je pris comme idéal de ma charité fraternelle la mesure indiquée par le Seigneur à savoir le modèle divin de l’amour: « donner sa vie pour son frère »?

Il n’est en effet personne qui n’ait ni qualités ni vertus. Merci Seigneur pour le don que tu nous fais à travers chaque frère. De ce qu’il nous aime et nous rende heureux, de l’aide qu’il nous apporte, ou de la collaboration qu’il nous demande, de ses conseils, de l’attention qu’il éveille sur nos défauts, de l’édification qu’il me donne par ses vertus... D’autre part, en m’appelant, Dieu a voulu faire de moi aussi un don pour mes frères.

– Est ce que j’accueille chacun des frères de mes communautés de vie comme un don offert par le seigneur? Est ce que j’exerce la charité surtout pour les frères infirmes, blessés, anxieux, coléreux ? – Suis je sur mes gardes pour éliminer en moi tout ce qui s’oppose à la convivialité fraternelle, et pour développer, la compréhension, l’affabilité, la cordialité, la délicatesse, la patience dans mes relations? S’il est souhaitable d’utiliser la correction fraternelle, est ce que je le fais avec humilité et charité? Suis-je reconnaissant au frère qui la pratique à mon endroit?

Est ce que je fais effort pour que le don que je suis, soit accepté par eux, ou du moins soit supportable? Fais-je effort pour libérer mon coeur par une désappropriation intérieure et extérieure ? Renonçant à mes « appropriations affectives », suis je en mesure de mettre en commun ma capacité d’aimer, ma cordialité, ma sympathie, ma volonté de service, afin de créer dans la fraternité un climat d’amitié et de joyeuse convivialité ?

– Est ce que je m’efforce de créer dans mes communautés de vie un climat d’amitié sereine, de dialogue confiant et constructif, de respect réciproque, qui évite de donner lieu à des murmures, à la défiance, aux ressentiments ?

Est ce que je sens la nécessité d’être avec mes frères ? Quand je ne participe pas à tel ou tel acte de mes différentes communautés de vie, est ce que je me sens comme membre détaché du corps?

Prends donc ce regard, ô pauvre, prends ma main, mais ne t’y fie pas.

Un geste suffit parfois, n’est-il pas vrai, pour manifester à l’Autre, un immense amour. Un mot. Un signe à peine ébauché. Un silence même. Une gourde pleine posée, discrètement, à portée de sa main… Un fagot de bois sec, bien cassé, auprès de son feu. Les pierres enlevées sous son sac de couchage… Et c’est précisément, dans ces infimes de tous les instants, qu’au cours de leurs raids, les Goums construisent leur fraternité.

Bientôt je serai avec ceux de mon espèce et ne penserai guère à toi. Il n’y a pas d’ami sûr pour un pauvre, s’il ne trouve un plus pauvre que lui. C’est pourquoi viens, ma sœur accablée, et regarde Marie. » Paul Claudel La solidarité humaine qui se veut réelle, passe, inévitablement, à nos yeux, par la fraternité vécue avec le proche, le prochain immédiat. C’est un phénomène qui se répand en tache d’huile. Pas autrement. Par capillarité, par rayonnement. Les excitants idéologiques n’ont jamais, en quoi que ce soit, contribué à son épanouissement. Les solidarités de base se tissent nœud par nœud, au fil vivant de la fraternité. Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho…

Chacun bientôt, comprend qu’il est venu là, personnellement, pour les Autres. Ce n’est pas pour … l’Humanité qu’on prépare le cadre de vie du bivouac, mais bien pour Jacques, Patrick, MariePierre, ici présents en chair et en os. C’est pour Anne-Marie qu’on pose un signe de repérage à un carrefour un peu ambigu. Et c’est pour Alain, André, Christine, qu’on se lève avant l’aube pour allumer les feux. Les fraternités sont d’autant plus serrées chez nous, évidemment, que nous nous sentons fils et filles d’un même Père…

C’est pourquoi, d’ailleurs, les raids Goums se font rarement à plus de 15 ou 18. Il ne faut pas être trop nombreux pour avoir le temps et les moyens de se reconnaître, de se connaître. La solidarité commence chez nous, par une attention de tous les instants à la réalité d’autrui. Elle entre dans nos comportements concrets, sans artifice, ni théorie, par la pratique.

Ainsi les Goums sont des tribus où chaque personne humaine se sent solidaire et responsable des personnes humaines qui cheminent avec elle dans … le désert. Il est rare que ça s’arrête là.

C’est la vie, en fait, qui en constitue le métier de tissage. Les solidarités se créent d’elles-mêmes dans le risque couru ensemble, dans le danger, dans le combat, dans les actions désespérées

Quelle est mon attitude avec mes frères infirmes, blessés, pauvres ? Bivouacs n°45

parfois. Mais aussi, on l’oublie trop, dans … l’Espérance. Et dans ces petits riens de nos vies quotidiennes… qui font tout. C’est avec de la vie qu’on fait de la vie. Il n’existe pas de produit de remplacement.

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Restaurer nos relations fraternelles Par Dominique-Jean Chatelet

Parmi les 5 piliers des Goums il y a la restauration des relations fraternelles. Pas toujours facile d’accueillir l’autre différent de moi selon son mode de vie, sa culture, sa situation professionnelle. L’attention aux autres c’est partager les petites choses quotidiennes, et cela devient vite concret sur 7 jours.

D

ans ce propos j’aborderai le respect, l’absence volontaire de référent professionnel, le regard que je porte sur l’autre et mon rôle pour favoriser la vie fraternelle dans un Goum.

de diplôme et d’emploi…Même si cela déstabilise certaines personnes qui passent leur Goum à essayer de deviner les fonctions des participants, cela contribue avec la djellaba à une unité de vie durant la semaine. Rassurez-vous, le dernier soir les métiers sont révélés avec bien des surprises, car Dieu s’adresse vraiment à toutes les professions.

Cela commence déjà par le respect de l’autre comme il est, avec le désir de se comporter comme on souhaiterait qu’il se comporte avec moi. C’est porter le souci des sentiments de cet étranger qui s’est inscrit au Goum, qui vient avec son histoire et qu’il ne faut pas que je blesse. Normalement cela devrait être une habitude chez chaque Lanceur. Alors pour faciliter cette relation vraie, dans le courrier préparant le Goum, je demande à chaque participant de ne pas parler de son métier. Dans un premier temps cela implique de couper complètement du monde, de son job et de ses soucis. Cela a le mérite de faire disparaitre momentanément les référents professionnels, les préjugés et les rapprochements corporatifs. Cela met à l’aise nos étudiants, nos chercheurs Bivouacs n°45

La vie fraternelle peut ainsi s’instaurer en commençant par le regard que, moi, je porte sur l’autre. Regard souvent tronqué par la position et le niveau social de celui qui se présente à moi. Avec une djellaba, sans bijou ni chevalière nous sommes obligés de tenter la découverte de l’humain, et la bonté peut nous gagner sans faire de bruit. Accepter de partager son petit coin tranquille le soir avec un ours grincheux ou une visiteuse nocturne de feuillées, ce n’est pas toujours aisé. D’autant plus difficile qu’on n’a pas choisi les participants et que le Lanceur ne fait rien pour que le groupe soit dispersé au bivouac. Au contraire, 18

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ici l’exemple: quand il menait joyeuse vie, il ne voyait dans les autres que de simples camarades mais quand, dominant son extrême répugnance, il s’approcha du lépreux pour l’embrasser, il commença à voir en chaque homme un frère et commença alors à aimer.

Tel fut le chemin de la conversion de saint François d’Assise avec la compassion miséricordieuse pour les lépreux et celui de Claire. [Tel est le chemin du Goumier qui partage tout avec ses compagnons de route : le soleil et la pluie, le froid et la chaleur d’un feu, la faim et le riz, la soif et l’eau, l’attente et la joie, l’Eucharistie].

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[Dans un Goum, nous ne nous sommes pas choisis pour marcher ensemble, c’est Dieu qui nous a choisis. Sachons Lui rendre grâce]

. Aimer à l’image de Jésus: « aimez vous comme je vous ai aimé » (Jn 13, 34)

• Expérimenter ce nouveau commandement en Eglise avec l’Eucharistie:

La nouvelle mesure de l’amour nous est ici donnée. Aimer comme Jésus, jusqu’à donner sa vie pour son frère. Avec ce nouvel objectif il s’agit de vivre et de pratiquer ce qu’à vécu notre rédempteur, jusqu’au bout (Jn 13, 1). Il s’agit ni plus ni moins d’être ou de ne pas être disciple du Christ. Le bien de mon frère a alors priorité sur mon propre bien, son succès, son bonheur, sa santé, sa vie, ce qui revient à dire que c’est dans le bonheur de mon frère que je trouve mon propre bonheur. [Il a froid, son sac de couchage est trempé. Je lui file le mien, discrètement]. Rechercher d’abord le bonheur et la satisfaction d’autrui avant les siens propres. Tout un programme...

Saint Paul a élaboré toute une doctrine théologique et ascétique de l’amour fraternel, élément constitutif fondamental de la dynamique des groupes chrétiens, comme les Goums notamment, réunis au nom de Jésus, avec pour centre et signe de communion la participation à un unique pain et unique calice (1 Co 10, 16 s) et comme force de cohésion vitale l’Esprit Saint dont il distribua diversement ses dons. C’est l’Eucharistie qui réalise l’unité de l’Eglise et la rend parfaite, en s’alimentant au plus profond de la charité. C’est en effet l’amour de Dieu qui l’a poussé à livrer son Fils en rançon pour les pêcheurs, c’est l’amour de JésusChrist sur la croix, consommé jusqu’à l’extrême limite, en donnant sa vie pour ceux qui l’aiment qui donne sens à ce don mystérieux, mais non moins réel et effectif, du pain de vie eucharistique. [En nous mettant à genoux, chaque matin du Goum, devant Lui, au moment de la consécration, nous reconnaissons humblement qu’il a fait tout cela … pour nous élever, pour nous remettre debout].

Cette charité est la première des caractéristiques des disciples du Christ. Qui est notre prochain ? La réponse est celle de Jésus au docteur de la loi avec la parabole du bon Samaritain qui a secouru le voyageur maltraité par des brigands: « c’est celui qui a fait preuve de bonté envers lui ». La véritable charité chrétienne ne fait aucune discrimination... Saint François nous donne encore Avril 2012

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Réviser sa vie en méditant sur la charité fraternelle, la loi d’amour Notes et synthèse d’une retraite franciscaine du père Lazare IRIARTE 0fm, Par Yann Wanson les autres ». « Oui, comme je vous ai aimé, vous aussi, aimez vous les uns les autres. A ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples: à cet amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn. 13, 34-35).

Lecture biblique: 1 Jean 4,7-12

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omment faire de nos Goums des lieux d’union fraternelle vécue et savourée ? Comment, après y avoir goûté, retrouver cela dans le quotidien de nos vies ?

Trois pistes de conversion sont à suivre:

En premier lieu, s’arrêter – que ce soit au cours du Goum ou après – et écouter. Ecouter Dieu nous parler dans la prière qui est d’abord accueil de sa parole, accueil de l’Esprit Saint. En ce sens, la méditation des textes de Saint Jean sera plus qu’opportune.

• Se convertir en profondeur en témoignant en actes et en vérité de son amour de Dieu: « Qui n’aime pas son frère n’aime pas Dieu. » L’amour de Dieu est inséparable de l’amour du prochain. Cet amour du prochain témoigne de l’authenticité de notre amour pour Dieu. Et Jean d’écrire « Si quelqu’un dit qu’il aime Dieu, mais s’il n’aime pas son frère, il est un menteur. » (1 Jn 4, 20). Isaïe déjà s’inscrit dans cette démarche lorsqu’il avait déclaré au nom de Dieu « Ne savez vous pas le jeûne qui lui plaît : rompre les chaînes injustes, délier les liens du joug, renvoyer libres les opprimés, briser tous les jougs, partager ton pain avec l’affamé, héberger les pauvres sans abri, vêtir celui que tu vois nu et ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair » (Is 58, 6s).

En effet, l’amour fraternel a constitué le thème continuel des exhortations de Saint Jean l’Evangéliste. Sa première lettre est un véritable traité mystique sur le commandement nouveau de Jésus. Nous devons nous aimer les uns les autres comme Jésus nous a aimés. [N’en faisons nous pas l’expérience au désert ?]. L’amour de Dieu est le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable, dit Jésus: « Tu aimeras ton prochain comme toimême » (Mt. 22, 34-40). Le soir du jeudi saint, Jésus déclara ainsi à ses apôtres: « Je vous donne un commandement nouveau: aimez vous les uns Bivouacs n°45

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Car il s’agit bien de construction sociale dans un monde éclaté, de « sociabilité » et savoir vivre dans un monde anonyme, égoïste et informatisé. Le Goum, c’est la redécouverte de la collectivité au sens noble du terme, qui permettra l’initiation à la communauté fraternelle. C’est la vraie vie, celle que l’on perçoit le troisième jour quand les masques tombent et que les angles saillants des caractères émergent au milieu du groupe fatigué par la pluie, le froid et le sommeil.

il invite tout le monde à se rassembler pour dormir vers le feu, à la portée des regards, là où on entendra les ronflements du soir et les crépitements du feu matinal qui arrivent toujours trop tôt. La vie fraternelle c’est accepter de montrer une autre image que celle policée de notre quotidien, sans fard ni maquillage, à l’eau du jerrican et à l’odeur du feu de bois pour tous. Curieusement, en acceptant ces désagréments et les difficultés des autres on s’aperçoit que les nôtres sont souvent dérisoires et futiles.

Enfin, vous l’aurez compris, la vie fraternelle ne se construit pas avec des discours, elle se vit dans le temps, dans les joies et les larmes, dans les chants et le silence…Bien sûr c’est plus facile avec une belle jeune fille, BCBG, obéissante et volontaire qu’avec un rétif barbon blasé et blessé par les affres de la vie moderne. C’est facile d’être ami avec tout le monde quand tout va bien, c’est plaisant d’être gentil avec ceux qui me font plaisir et qui me ressemblent, qui m’attendent, qui discutent.

Le Goum est un exercice de 7 jours pour passer d’un « sur-centrage » de soi à un recentrage sur Dieu et les autres. Donner du temps pour une communauté que l’on n’a pas choisie, pour des gens que l’on ne connait pas, sans avoir les objectifs ni les projets concrets dans notre monde, c’est du jamais vu. Nous ne sommes plus habitués à donner gratuitement, qu’estce que cela cache, est-ce un nouveau jeu à la mode télévisuelle ? Et puis, à quoi bon quand on est fatigué, aller chercher trois brindilles quand le vieux Goumier de service va nous ramener un arbre à découper ? A quoi bon s’occuper de la vaisselle des grosses gamelles, quand demain il faudra les relaver à l’eau froide qu’il faudra retourner chercher…Sauf qu’en cherchant on trouve ce qu’on ne cherchait plus, le courant passe avec l’autre sans que j’ai besoin de parler.

La vie fraternelle c’est essayer d’être gentil avec tout le monde tout le temps et par tous les temps, montrer qu’on a le cœur à l’ouvrage et le courage d’avoir une parole haute et juste dès le départ (l’Esprit Saint nous aide). Qui mieux que le Seigneur peut nous aider à communiquer de la même manière, efficace, efficiente et équitable avec ces personnes que le Christ a mis sur ma route, dans mon Goum, et dont je me sens responsable peu à peu. Seul Notre Père peut nous aider à les aimer de la même manière et à les servir dans la joie.

L’échange des regards entre deux Goumiers fatigués, au service de la communauté, transforme leur visage en bâtisseur de cathédrale… Avril 2012

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Dans un Goum comme dans une communauté fraternelle, on ne se choisit pas. Tous tournés vers une seule direction, le Seigneur, mais chacun fait la route à sa mesure, à son rythme, à sa façon…dans la vie matérielle, dans les temps spirituels, dans le « riz quotidien »…Nos Goums sont bien une école de la vie fraternelle, à

la recherche de Dieu et des autres, de Dieu à travers les autres, des autres à travers Dieu…Le Goum c’est le temps d’une découverte, d’une redécouverte, d’une expérience, d’une réconciliation, d’une rencontre, d’une réponse… Oui Dieu était là dans l’autre : l’aije reconnu ?

U

n jour, dans un Goum, lancé par Isabelle et Vincent Finet, avec le Padre Jean, une Goumière pleurait.

Nous organisions du Mont Doumergue.

le

bivouac

au

sommet

Ce n’est pas l’arrivée imminente de l’orage qui nous a inquiétés. Ce n’est pas non plus la préparation du dîner qui nous a mobilisés. Non : c’était des larmes. Les larmes de Basilisse. Elle savait que la rotule de son genou pouvait lui faire défaut. Et cinq jours durant, du départ de Saint Guilhem-le-Désert, en traversant le Larzac, en supportant l’ascension des gorges de la Dourbie pour monter vers le Causse Noir, elle avait résisté… avant de défaillir. Sa rotule s’était déboîtée le matin du 6ème jour. Il avait fallu que Basilisse force davantage que d’habitude pour la remettre en place, puis terminer l’étape. L’ensemble des Goumiers s’est naturellement organisé autour d’elle, comme un seul corps ménageant son membre affaibli par cinq jours de marches sous la canicule et sous les orages. Nous avons tous observé des Goumiers soignant les ampoules aux pieds et les épaules endolories de leurs compagnons de route. Mais c’est la seule fois en raid où j’ai vu la communauté Goum s’organiser pour sécher les larmes de l’un des siens. Au matin le tonnerre s’était éloigné. Laissant le Doumergue isolé au milieu d’une mer de nuages : l’orage avait emporté avec lui la douleur et les larmes. François Antoine

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