management
L’absentéisme du personnel dentaire n’est pas plus important que dans d’autres secteurs d’activité professionnelle. Il est cependant démesurément élevé et récurrent dans certains cabinets dentaires qui ne se préoccupent pas suffisamment de ce que l’on appelle en Management, le MCE, le « modèle des caractéristiques de l’emploi » 1.
L’absentéisme des assistantes dentaires Rodolphe Cochet
C Hackman, J.R. et Oldham, G.R. Motivation through the design of work : test of a theory, Organizational Behavior and Human Performance (1976), vol.16, p. 250-279. 1
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omment les caractéristiques d’un emploi peuvent-elles directement influer sur le développement personnel et la motivation des acteurs d’un cabinet dentaire ? On sait qu’un travail d’assistante dentaire est bien différent de celui d’une assistante de direction, d’une aide dentaire, d’une hygiéniste ou d’un prothésiste. Mais ce n’est pas uniquement la nature du poste qui fait la différence d’un emploi à l’autre. Selon J. R. Hackman et G. R. Oldham, un emploi est structuré selon cinq dimensions ou caractéristiques : la variété des tâches, l’identité de la tâche, son importance et son sens, l’auto-
nomie ainsi que le feed-back (ou rétroaction en bon français !). En somme, la question fondamentale que chaque chirurgiendentiste manager devrait se poser en amont lorsqu’il ne sait pas vraiment comment dynamiser et remotiver son assistante dentaire qui stagne est : comment re-
donner du sens à son travail ?
Plutôt que de se laisser prendre au jeu bien commode d’une prime exceptionnelle, ou chercher ce qui ne va pas comme s’il fallait absolument devoir identifier un problème concret et palpable qu’il suffirait d’éradiquer… !
La variété des 33
CONTEXTE
absentéisme
CONTEXTE
management Tâches
La question de la variété des tâches est capitale mais ne doit pas porter à confusion : il ne s’agit en aucun cas de développer la polyvalence des assistantes dentaires déjà mise à mal depuis nombre d’années par des fonctions qui ne relèvent en aucune manière de l’identité de leur métier. Une assistante dentaire qualifiée et expérimentée doit pouvoir se recentrer sur trois activités ou tâches principales par ordre de priorité : 1. La gestion de l’hygiène et de l’asepsie 2. L’aide opératoire et instrumentiste 3. La logistique (gestion des stocks et fournitures médicales)
Si trop de tâches accessoires (accueil téléphonique, secrétariat, précomptabilité…) sont confiées à l’assistante dentaire et l’empêchent de prendre tout le soin nécessaire à leur réalisation, alors la satisfaction liée au travail diminuera graduellement. À l’inverse, si l’une des tâches principales l’empêche de réaliser tout ou partie des deux autres précitées, soit par manque de temps, soit par manque d’organisation, ces insuffisances conduiront l’assistante dentaire à ne plus pouvoir répondre aux attentes du praticien. Dès lors, c’est le niveau de satisfaction du manager qui sera « en berne ». La variété des tâches mais aussi l’évaluation de la charge de travail afférente guideront la qualité des réalisations de l’assistante dentaire. Pour un praticien travaillant en exercice individuel avec une assistante dentaire polyvalente, le risque d’absentéisme et de rotation augmente au fur et à mesure que les fonctions d’aide instrumentiste ou opératoire diminuent : le seuil critique est de 40 % en moyenne. Une assistante dentaire ayant une charge de travail au fauteuil égale ou inférieure à 40 % de son temps de travail commence à rêver à de nouveaux horizons professionnels…
L’identité de la tâche
La notion d’identité est relative aux moyens qui sont fournis au personnel afin de pouvoir réaliser la tâche jusqu’au bout. Si l’assistante dentaire passe la majeure partie de sa journée à la réception physique et téléphonique des patients, à la gestion des rendez-vous et des encaissements, se rendant incessamment de la salle de soins à la stérilisation en « coup de vent », c’est certain, l’identité même du métier d’assistante dentaire est altérée et la bonne organisation du cabinet est compromise. En somme, pour que chacune des tâches définitoires 34
du poste d’assistante dentaire ait une véritable spécificité, il est indispensable que tous les moyens nécessaires à sa réalisation aient été évalués et mis à disposition. Aussi, un praticien qui demande à son assistante de bien vouloir jouer son rôle d’aide opératoire, n’ayant l’un et l’autre aucune notion d’ergonomie en travail à quatre mains, contribuera à dénaturer la tâche de travail au fauteuil plutôt qu’à lui donner tout son sens.
L’importance de la tâche
L’importance de la tâche se définit par l’impact qu’elle aura sur l’organisation générale du cabinet ou sur l’exercice du praticien. Cet impact peut être lié au management du cabinet ou bien à sa productivité. Lorsqu’on parle de productivité, il n’est bien entendu pas question de chiffres ni même de rentabilité… il est seulement question de pouvoir visualiser le fruit de son travail et de répondre à la sempiternelle interrogation existentielle : « à quoi je sers ? ». À quoi je sers lorsque je tiens la canule d’aspiration à longueur de journée ? à quoi je sers lorsque je passe mon temps à répondre au téléphone au lieu d’être au fauteuil ? à quoi je sers finalement si je reste plantée là à attendre qu’on me réclame d’un hochement de tête, en me sonnant ou en me bipant, un instrument ?… L’importance de la tâche ne doit pas être noyée dans des généralités insignifiantes et évidentes : « que ferais-je sans mon assistante ? ». Elle doit être clairement identifiée : « grâce à mon assistante dentaire, je gagne 40 à 50 % de temps au fauteuil avec chaque patient ; je termine toujours à l’heure ; je réalise bien plus aisément mes soins et surtout de manière plus sécurisante pour le patient… ». Chaque praticien peut avoir son propre niveau d’appréciation de l’importance des tâches confiées à son assistante dentaire, mais il doit toujours prendre soin de donner du sens à chacune d’elles en lui expliquant clairement et concrètement la portée de chaque réalisation. Par exemple, certaines assistantes, pourtant expérimentées, ont parfois du mal à comprendre le souci d’exigence de certains praticiens lors d’une chirurgie, ne serait-ce que dans la gestuelle et la préhension de certains instruments, qu’elles assimilent à une simple manie ou hérésie au regard de leur formation initiale ou de leur expérience. Continuant de reproduire encore et toujours les mêmes erreurs (certes sanctionnées, mais jamais réellement comprises), avec le même agacement des deux parties, le patient n’est parfois pas loin de voir L’INFORMATION DENTAIRE n° 6 - 10 février 2010
absentéisme l’instrument virevolter ! L’importance de la tâche est une question de management qui est du ressort des compétences pédagogiques et tutorielles du praticien à l’égard de son assistante, qu’elle soit en cours de formation, qualifiée ou expérimentée.
L’autonomie
L’autonomie et la responsabilisation de l’assistante dentaire sont essentielles à la qualité du travail réalisé. L’autonomie d’une assistante dentaire est dépendante non seulement du niveau de délégation attribué mais aussi du leadership du praticien-gérant. Un praticien n’ayant pas un sens aigu de la communication et n’ayant pas appris à fédérer ses subordonnés autour de ses objectifs de réalisation ou de développement aura des difficultés certaines à motiver le sens de l’initiative et la capacité d’autonomie de son personnel. Même si le praticien-manager demande à son personnel d’être apte à réaliser une tâche sans nécessairement avoir besoin de demander son aval à la hiérarchie, mais qu’il adopte a contrario un comportement de sursollicitation ou de surcontrôle2, jamais aucun des employés ne prendra le risque d’assumer la moindre autonomie dans la réalisation d’une tâche.
La notion d’autonomie est également directement associée dans l’esprit de l’employé à la confiance que le praticien témoigne à ses subordonnés ; si celui-ci vient régulièrement
solliciter son assistante dentaire pour savoir si elle a bien pensé à contacter le prothésiste, le fournisseur, si elle a bien pensé à décaler tel rendez-vous… alors même que ces tâches lui ont déjà été dictées soit la veille, soit dans le cadre du « briefing » du matin, comment voulez-vous que l’employé devienne ou souhaite devenir plus autonome, puisqu’on ne lui en donne dès lors pas les moyens intellectuels, puisqu’on ne lui fait finalement pas confiance ? Si l’on ne permet pas à l’assistante dentaire d’acquérir un minimum de liberté ou d’indépendance quant à son emploi du temps (aménagement des horaires) ou au choix de ses méthodes de travail (organisation), non seulement le risque de démotivation augmente, mais encore, de manière proportionnelle, le risque d’erreurs.
La rétroaction
J. R. Hackman et G. R. Oldham insistent sur les effets très profitables de la rétroaction (feed-back) sur l’absentéisme et sur les motifs qui peuvent conduire le personnel à la démission. Au sein d’un cabinet dentaire, l’un des principes fondamentaux de communication interne consiste à donner à son personnel clinique des informations claires, régulières, directes (sans intermédiaire) et immédiates (sans attendre l’entretien annuel d’évaluation ni la réunion mensuelle de développement) sur l’efficacité du travail effectué. Le processus de rétroaction concerne plus spécifiquement l’assistante au fauteuil (la secrétaire de direction peut attendre la réunion mensuelle de développement afin que le bilan de son travail de gestion administrative soit effectué, sauf erreur directement préjudiciable à la qualité des services du cabinet) dont la complexité de la tâche
relative à une séance délicate et oppressante de chirurgie implantaire (par exemple) doit conduire le praticien à sanctionner (sanction positive ou négative) le travail effectué en binôme, à la fin même du soin. Cette mesure de sanction corrective ou gratifiante doit effectivement être assurée en temps réel, quitte à retarder d’une minute le rendez-vous du prochain patient. Rectifier un geste, modifier une position, revoir l’organisation de la séance de soins doivent absolument être opérés à chaud et à vif, faute de quoi, la démarche qualité du cabinet dentaire peut être compromise. Les mesures correctives doivent impérativement faire l’objet d’une note de service reportée par la secrétaire de direction dans la fiche de préparation de la réunion mensuelle de développement.
Aucun praticien, aussi bien en exercice individuel qu’au sein d’un cabinet de groupe, ne peut prétendre assurer le développement régulier et progressif des compétences techniques de son assistante dentaire s’il n’a pas édicté en amont une politique de management odontologique adaptée à ses propres conditions d’exercice, ainsi qu’à ses objectifs de développement.
La sursollicitation et le surcontrôle font partie des dérives et des insuffisances managériales récurrentes de nombre de chirurgiens-dentistes. Elles consistent à mobiliser inutilement, de manière systématique et inopportune, l’attention du personnel pour savoir si un employé concerné a bien effectué telle ou telle tâche dont la réalisation a pourtant déjà été dictée et sans même attendre qu’elle ait été menée à bien. Ces situations inutiles de stress contribuent à générer une très mauvaise ambiance dans les cabinets dentaires. 2
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