Conférence du philosophe et consultant David Weinberger, 22 juin 2007

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La plus grande valeur du crowdsourcing semble bien être qu’en élargissant la participation, l’externalisation permet de puiser dans la longue traîne des talents. C’est d’autant plus important, explique Karim Lakhani, que « l’expertise se trouve à la périphérie60 ». Pas de foule donc, mais un mécanisme de « transfert de connaissances », souligne -t-il, et de compétences, puisqu’il s’agit de productions concrètes. Il s’agit bien d’un « système distribué (ou disséminé) d’innovation » au potentiel considérable. De savoir à comprendre Conférence du philosophe et consultant David Weinberger, 22 juin 2007 La création de valeur par les webacteurs bouleverse jusqu’à notre conception du savoir. C’est ce dont est convaincu David Weinberger, qui en a donné une vision particulièrement brillante lors d’une intervention faite à la conférence Supernova organisée par Kevin Werbach à San Francisco le 22 juin 2007, et dont nous traduisons ici les meilleurs passages61. « On ne cesse de nous dire depuis les années 1990 qu’il y a trop d’informations, que nous sommes menacés par une avalanche, un tsunami, que nous allons nous y noyer. Ça n’est pas vrai et il convient de se demander pourquoi puisqu’il y en a encore plus que ce que tout le monde prévoyait. C’est parce qu’il y a de plus en plus d’informations que nous ne nous y noyons pas. La solution au problème de l’excès d’information, c’est d’en générer encore plus, une activité à laquelle nous excellons. Le problème n’est pas la quantité, mais la fragmentation. Depuis le premier jour, le défi principal du web consiste à trouver ce qui compte pour nous, ce qui est vrai, ce qui nous apporte du plaisir. La solution a toujours été, et sera sans doute toujours, de se référer aux métadonnées [données servant à définir ou décrire d’autres données62]. Traditionnellement, nous avons eu affaire à deux ordres d’ordre. Le premier concerne les choses elles-mêmes, les photos, par exemple, qu’on classe en archives, dans des classeurs. Elles ne peuvent aller que dans un seul endroit. On est obligé de choisir, car on ne peut pas mettre un objet physique dans deux endroits en même temps. Dans le deuxième ordre, on sépare physiquement les métadonnées, ce qui permet d’avoir plusieurs façons d’organiser. Mais, dans le monde physique c’est toujours limité par la taille de la carte sur laquelle on met le titre et l’auteur par exemple. Il faut donc prendre une décision.

Par Francis Pisani et Dominique Piotet


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Cette hiérarchisation des métadonnées pour classer les données doit être faite par quelqu’un. Il y a des experts pour cela, des comités, des scientifiques. Leur choix est généralement bon, mais n’est qu’une manière d’organiser le monde et leurs décisions ne sont pas toujours excellentes. Cela fait immédiatement surgir des questions de pouvoir. Être la personne qui fait de tels choix dans l’organisation du savoir équivaut à détenir de l’autorité. Ce choix a toujours été nécessaire, parce que les moyens d’organiser le savoir ont toujours été des moyens physiques comme les livres. Tout le monde aime les livres, mais ils sont difficiles a utiliser et requièrent une série de décisions qui incluent le sujet dont ils traitent, les informations qu’ils contiennent et, enfin, l’étagère sur laquelle ils sont rangés. Le fait que la connaissance est stockée sur des supports physique est terriblement restrictif. Laissez-moi vous donner un exemple similaire, celui de l’arbre. Nous adorons les arbres taxonomiques et nous nous en servons beaucoup pour organiser les choses pour montrer la façon dont le monde est organisé. Regardez comment les scientifiques organisent les espèces vivantes. Cela sous-entend que nous pensons que l’ordre parfait est de donner à chaque chose une place et une seule. Et parce que nous considérons qu’un tel ordre parfait existe, nous dépendons totalement de l’avis des penseurs qui prennent les décisions correspondantes. Ils sont ceux qui savent. Ils sont l’autorité. [...] La notion selon laquelle c’est de cette façon qu’il faut organiser les choses provient uniquement du fait que nous avons intégré les limitations du monde physique. Nous l’appliquons au monde des idées et c’est terrible. Heureusement, nous entrons maintenant dans le troisième ordre d’ordre. Nous sommes parvenus à une phase de digitalisation de toutes les données – contenu et métadonnées. [...] Ça n’est pas seulement une pile. Il y a un potentiel d’ordre là-dedans. La règle devient qu’il faut tout inclure au lieu de filtrer. Et plutôt que de demander à des experts de décider quelle est la position qui convient, on peut permettre aux utilisateurs d’organiser et de trier en fonction de leurs intérêts et de leurs besoins. Cela change quatre principes de base : • dans le monde physique, une chose ne peut occuper qu’une seule place et sur l’arbre taxonomique, elle ne peut être que sur une seule branche. En ligne, une chose peut se trouver dans autant de catégories qu’on veut, y compris celles qui sont créées par des tags. Le désordre devient donc une bonne chose car chaque utilisateur peut arranger les données comme il le souhaite ; • dans le premier et le deuxième ordre, le fouillis est un désastre. En ligne, c’est exactement ce qu’on cherche parce qu’il permet la multiplicité et la richesse des relations. On règle les problèmes au niveau des métadonnées ;

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• dans le monde physique, on peut facilement faire la différence entre le livre et la carte du catalogue qui en parle. En ligne, il n’y a plus de distinction entre données et métadonnées. Elles sont accessibles de la même façon. Se rappeler la première ligne d’un livre peut permettre de trouver les informations sur l’auteur et le reste du contenu. Dans le troisième ordre, tout est métadonnées. La seule différence est que les données sont ce que vous cherchez et les métadonnées ce que vous savez. Et puisque nous organisons la connaissance en nous appuyant sur ces dernières, si tout est métadonnées, nous nous retrouvons bien plus intelligents que nous ne l’étions il y a dix ans ; • le quatrième principe et que dans le monde réel, il est rare qu’on puisse changer le classement établi. Par exemple, si vous vous rendez dans un magasin de vêtements et que vous vous mettez à faire une grande pile de tous les vêtements qui vous vont, parce que, bien sûr, le reste ne vous intéresse pas, vous serez mis à la porte au bout de trente secondes. Sur l’internet, si on vous oblige à voir tout ce qui ne vous va pas vous partirez en trente secondes. Ceux qui possèdent le stock n’en possèdent plus l’organisation. C’est nous qui la possédons. Les techniques nous permettant de trouver ce que nous voulons, de comprendre et de contextualiser ce que nous voulons, comptent parmi les plus excitantes que nous ayons inventées pour le web. Cela comprend le tagging, les sites de critiques et les recommandations personnelles créés pour vous aider à faire le tri de toutes ces informations. Ainsi, le web n’est pas une masse plate d’informations : il est bosselé. Cela entraîne trois conséquences : • dans le régime de la diffusion des informations de masse (broadcast), nous avons pris l’habitude de simplifier parce que c’est comme cela qu’on fait passer le message. On simplifie, simplifie, simplifie. On rend les choses stupides et cela donne la télévision. On retrouve cela dans les discours des hommes politiques qui doivent simplifier des situations complexes. Il y a un an, par exemple, Bush a dû simplifier sa politique en matière d’immigration pour qu’elle tienne dans un discours de 2 500 mots. Une heure après 2 500 billets de blogs en parlaient. Chacun le rendait plus complexe. C’est ce qu’on fait sur les blogs et dans les conversations. Ainsi, voyons-nous apparaître une véritable joie de la complexité qui fait voler en éclats la simplicité imposée par les médias de masse ; • deuxième conséquence, les experts ne sont plus les mêmes qu’avant. Maintenant, l’expert c’est tout le monde, comme le montre Wikipedia. Le savoir qui s’en dégage est souvent meilleur que celui que l’on aurait pu attendre d’un seul individu. L’expert ne disparaît pas, mais on assiste à une sorte de négociation sociale du savoir. C’est aussi le cas sur les mailing lists. Un expert y donne son

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avis, auquel s’ajoutent les commentaires des autres participants. Outre l’avis de l’expert, le lecteur bénéficiera aussi des opinions contraires et des remarques. Les mailing lists sont plus intelligentes que chaque expert qui y participe. Le lecteur aura donc une information plus complète. Le savoir est donc devenu un savoir social et ceci vrai de notre système d’éducation, car les enfants sont en ligne quand ils font leurs devoirs et ils utilisent tous les outils sociaux dont nous parlons ici. Ils font leurs devoirs socialement, mais sont jugés individuellement. Le vieux système est cassé ; • le troisième point est que l’idée selon laquelle l’internet est de la mauvaise information est source de beaucoup trop d’angoisses. Nous sommes en train d’assister à un changement cataclysmique dans lequel la connaissance est progressivement absorbée par la compréhension (the circling of knowledge by understanding). Il est vrai que de fausses informations circulent sur l’internet, et qu’elles peuvent entraîner une distorsion du savoir. On n’est jamais sûr que c’est un expert qui aura écrit ce qu’on va lire. L’accès au savoir est donc plus difficile avec l’internet et l’utilisateur va devoir s’impliquer davantage, trouver la page de discussions sur le sujet pour savoir si oui ou non, ce qu’il a lu est vrai. L’information peut ne pas être exacte. Cependant, sur l’internet, on ne se borne pas à chercher de l’information, on essaie de mieux comprendre les choses que l’on sait déjà. Cette énorme pile de « choses », nous l’enrichissons avec autant de métadonnées que possible. De multiples façons (qu’il s’agisse de tags, des taxonomies d’hier, du web sémantique, de liens, de playlists ou de Digg), nous établissons des relations entre les choses, du sens. Nous ajoutons de la valeur. C’est le vrai web sémantique que nous créons, pas seulement pour savoir, mais pour comprendre. Je vois cela comme une infrastructure du sens (an infrastructure for meaning). C’est cela la vraie avancée que nous verrons se développer pendant des générations. En tout cas, cet outil n’appartient pas à un panel d’experts. Il est à nous63. » « À nous » dit Weinberger, c’est-à-dire aux multitudes de webacteurs et à l’alchimie qu’elles produisent…

Par Francis Pisani et Dominique Piotet


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