Le projet transitoire comme une pensée expérimentale du projet urbain

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le projet transitoire comme une pensée expérimentale du projet urbain l’exemple de saint-étienne

Romane DOMAS

ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE CLERMONT-FERRAND DOMAINE D’ÉTUDES ECO CONCEPTION DES TERRITOIRES ET ESPACES HABITÉS 2017-2018



REMERCIEMENTS

Je souhaite adresser mes remerciements aux enseignants qui nous ont accompagné au cours de l’exercice de mémoire, Amélie Flamand, Rémi Laporte et Shahram Abadie. Je tiens à remercier tout d’abord les professionnels qui m’ont accordé de leur temps pour échanger sur leurs pratiques et les passionnés qui ont pu témoigner lors des entretiens. Plus particulièrement, je remercie Bertrand Rétif pour l’accompagnement et le soutien apportés. Je remercie chaleureusement Bruno Silva pour avoir accompagné mes réflexions, pour son regard critique et ses conseils transdisciplinaires sur mon travail. Je souhaiterais également remercier Victoria Mure-Ravaud et Dorota Rychlik pour leurs conseils et lectures itératives, et pour leur soutien jovial tout au long de cette année de mémoire et celles à venir.

Je remercie les collaborateurs du quotidien, les camarades de classe et amis de route, Yasmine Chamand, Pierre Otal, Baptiste Gobillard, Maïa Bodineau, Mathieu Marché-Zerna et Antoine Roux, pour les réjouissances intellectuelles de tous les jours et le soutien mutuel. Je tiens à remercier enfin, Alexandre Cubizolles et Sabine Thuilier, pour l’accueil à Pixel 13 et pour m’avoir accompagné dans mon entrée dans les pratiques temporaires et pluridisciplinaires. Pour finir, je remercie tout particulièrement mes parents, Sylvie et Philippe Domas, ainsi que mon frère, Brice, pour les débats d’idées quotidiens, leur compréhension et leur soutien indéfectibles.



AVANT-PROPOS


Avant de rentrer à l’école d’architecture de Clermont-Ferrand, j’ai suivi une formation dans les arts dramatiques qui m’a permis de toucher du doigt le domaine de la scénographie. Je suis entrée à l’école en considérant l’architecture comme une discipline créatrice de sensation, d’imaginaire, un lieu de la projection de l’esprit qui resterait perceptible mais toujours invisible au spectateur. Il y avait surtout, dans la scénographie, un savoir constructif qui créait la structure évocatrice du décor et qui ne fonctionnait que le temps où le spectacle était joué, où se déroulait la performance. Je projetais alors l’architecture dans cette mouvance. Au cours des études, nous avons suivi, entre autres, un apprentissage de certains champs de l’urbanisme qui m’ont particulièrement interrogée. J’ai toujours trouvé le milieu urbain hostile et contraignant pour l’imaginaire social des hommes ; il m’apparaissait que l’action éphémère et l’urbanisme semblaient incompatibles du point de vue de l’architecte. Tout au long du cursus j’ai tenté de comprendre et mettre en perspective les disciplines de l’urbanisme et de l’architecture sous l’angle de l’évolutivité, de la mutabilité ou de la réversibilité des projets que je pouvais proposer. Je ne voyais pas en l’architecture une œuvre glorificatrice ou glorieuse, mais un ouvrage nécessaire devant répondre à l’évolution des hommes et de leurs milieux de vie. Parmi les interrogations que j’ai pu nourrir, nous pourrions faire expression de celle qui suit comme représentant, pour moi, le plus grand antagonisme et à laquelle je ne saurais répondre. A priori, un projet urbain se déroule selon une frise chronologique qui a un début et une fin, distants de plusieurs années. Entre les deux, des temps forts d’étude, d’analyse, de concours, de conception, d’écriture de dossier, de chantier, etc. Des temps plus lents, bien identifiés sont répartis en fonction des divers intervenants. Une succession linéaire et sans interruption de tâches obligatoires et préventives permettent de mener à bien l’exécution d’un projet urbain. Ce constat m’amène à penser que rien ne laisse place à la vacance, à la latence, dans la façon dont nous édifions nos villes et nos architectures. Finalement il n’y a pas de place pour le temps de l’oubli, pour le non-fini. Au contraire, ceci semblerait être ce dont on a le plus peur, ce que l’on exècre. Dans une société contemporaine où tout va vite, nous mettons en tension toute décision-réflexion-production sur des échelles de temps restreintes. Il me semble que nous n’entretenons plus de lien avec nos lieux de vie les plus proches. Cela ne laisse plus d’espace au doute, à l’expérience, à la curiosité ou à l’expérimentation. Le rapport temps-espace s’écrase, et il faudrait que tout se finisse dans le temps où il a commencé. Cette idée


m’amène à penser que les hommes ne font que longer des moments de la ville en fabrication, sans comprendre, sans pouvoir même percevoir ce qui se déroule sur leur chemin. En fait, accepter la latence, c’est accepter le fait de ne pas savoir, de laisser les possibles ouverts mais aussi les risques, les accidents, les doutes qui pèsent sur ces morceaux de ville que l’on souhaiterait « planifier ». Au gré de lectures et de recherches, tentant de remettre en question mon point de vue a priori instinctif et lié à ma formation préalable, j’ai découvert les travaux d’architectes utopistes ou collectifs qui soutenaient que les interventions temporaires permettaient un débat et une résilience des disciplines architecturales. Les installations temporaires permettaient d’explorer le chemin des possibles. Il n’est pas neutre d’avoir choisi ce sujet, car il me semble qu’il permet d’être abordé sous plusieurs angles, dont certains me sont très personnels. C’est dans le croisement d’une perception sensible et d’un questionnement critique sur l’architecture et l’urbanisme, que je propose, dans cette recherche, de déceler les points d’imbrication et de distanciation qu’il existe entre les architectures temporaires et le milieu urbain.



SOMMAIRE



Remerciements Avant-propos Sommaire

3 5 9

Introduction

12

PARTIE 1 Une perspective démocratique pour l’évolution de la fabrication urbaine : enjeux et méthodes

28

. Revendiquer une « ville laboratoire » . Le projet n’est pas une fin en soi

30 44

PARTIE 2 Un intrant dans les institutions : application et limites

62

. Un manquement entre les autorités et le terrain . Le processus en héritage : quelles formes possibles ?

64 74

Conclusion

84

Bibliographie Iconographie

90 96

Annexes

98

11



INTRODUCTION


1. cf. EVETTE (Thérèse), «L’interprofessionnalité ? Un point de vue» dans Interprofessionnalité et action collective dans les métiers de la conception, Actes des rencontres du Réseau activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme, Cahiers Ramau 2, PUCA, édition Thérèse Evette et Estelle Thibault, 2000 2. Dans les années 90, on assiste au développement des premières évaluations des politiques publiques (cf. Décret Rocard n° 9082 du 22 janvier 1990 relatif à l’évaluation des politiques publiques). La première évaluation jugée la plus importante est portée en France sur le Revenu Minimum d’Insertion. 3. « au même titre que l’architecture non bâtie, l’architecture éphémère nous paraît former un genre distinct de la création architecturale » LECOQ (Anne-Marie), Éphémère architecture, diffusé sur le site de l’Encyclopédie Universalis, consulté le 23 avril 2017, URL : http:// w w w. u n i v e r s a l i s . f r / encyclopedie/architectureephemere/ 4. cf. DEGAINE (André), Histoire du théâtre dessinée, Centre National des Lettres, 1992 et CHIAPPERO (Florent), Du Collectif Etc aux « collectifs d’architectes » : une pratique matricielle du projet pour une implication citoyenne, thèse de doctorat en architecture, AixMarseille université, soutenue le 27 novembre 2017 5. cf. FEZER (Jesko) à propos de la doctrine de Léon Batista Alberti : «l’harmonie et l’accord de l’ensemble architectural sont atteints lorsque plus rien ne peut être ni ajouté ni retiré sans que ce ne soit pour le pire», ibid. 6. cf. KRACAUER (Siegfried), Rues de Berlin et d’ailleurs, 1995

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Dans son évolution, la ville semble concentrer en son sein les maux de nos sociétés. Suite à plusieurs siècles d’affinement de cadres de conception et d’exécution et la mise en place de protocoles hiérarchisés1, nous disposons aujourd’hui d’outils réglementaires destinés à évaluer2 la fabrication urbaine pour en garantir le bien-fondé, la viabilité et le maintien des égalités dans nos villes. Le milieu urbain vit et évolue en permanence et l’on pourrait penser que les réponses aux problématiques urbaines contemporaines devraient être en capacité d’évoluer pour s’adapter à la transformation progressive de nos modes de vie. Il est proposé de s’interroger sur la pertinence d’un urbanisme qui applique une méthodologie prédéfinie lorsqu’il s’agit de planification à long terme de nos territoires. La façon de procéder devrait-elle être constamment remise en question pour s’adapter de façon satisfaisante à l’évolution des modes de vie de tous ? Nous nous demandons si les outils dont nous disposons dans les champs de l’urbanisme restent adaptés à nos modes de vie actuels. L’architecture éphémère, considérée aujourd’hui comme une discipline à part entière de l’architecture3, trouve ses origines dans la religion et le théâtre. Depuis toujours, les hommes érigeaient des structures temporaires pour abriter des événements, faire l’office de cultes ou encore mettre en scène les hommes et la vie de la cité. Ces temps forts célébraient la communion des hommes et étaient l’occasion de susciter le débat public4. Les formes d’architecture temporaire incarnaient une vision évolutive et démocratique de la vie en société. Elles se structuraient autour de temps d’échanges et de confrontations. Mais ce type d’architecture ne fût plus considéré en tant que tel à partir du Quattrocento et l’application de la doctrine d’Alberti5. Pourtant, en 1995, le sociologue Siegfried Kracauer avançait, dans « Rues de Berlin et d’ailleurs », que « la valeur d’une ville se mesure au nombre de lieux qu’elle réserve à l’improvisation »6. Plusieurs siècles après les premiers traités d’architecture, notre rapport à la ville et la façon dont nous fabriquons nos lieux de vie évoluent toujours. Parmi les transformations majeures, nombre de praticiens s’interrogent sur les politiques passées de la table rase, de grande restructuration et s’intéressent particulièrement au “déjà là“. Ils considèrent la ville comme lieu de vie déjà constitué et sédimenté, et revendique aujourd’hui certains espaces délaissés, abandonnés de la ville, pour s’approprier des espaces urbains et en faire les lieux d’échanges et d’événements. Tels sont les enjeux défendus par des collectifs d’architectes, des équipes de maîtrise d’œuvre


transdisciplinaires. C’est en ce sens que cette citation remet en question les fondements de la fabrication urbaine et son lien avec les formes d’occupations et de constructions temporaires. La ville de Saint-Étienne est composée d’une sédimentation de temps forts historiques. Elle s’est fabriquée en elle-même et sur elle-même en fonction des avancées et besoins progressifs de son évolution. Les industriels et entrepreneurs du XIXe et XXe siècles ont donné une identité forte à la ville en s’y installant, appliquant un urbanisme qui répondait à leurs besoins. C’est pourquoi, à l’avènement des années 2000, la ville disposait d’un tissu urbain dense et finement maillé hérité directement des constructions successives des industriels et de leurs besoins humains et urbains. Ayant subi une crise à la fois industrielle, démographique et urbaine depuis les années 1980, Saint-Étienne peut-être qualifiée, au même titre que Lille, de shrinking city7. Ce processus de décroissance ralentit les possibilités d’actions et d’intervention dans ce type de villes pour lesquelles la reconversion économique et urbaine devient de plus en plus difficile au fur et à mesure des années viciées qui s’enchaînent. A l’orée des années 2000, le bassin stéphanois est toujours dans sa courbe décroissante8, mais de nombreuses petites initiatives permettent de fédérer les habitants qui reprennent petit à petit la main sur leur milieu de vie. Le projet temporaire est une pratique sociale répandue qui illustre l’attachement des habitants à leur ville et à son devenir. Cet attachement et cet engagement s’illustre dans un premier temps par l’Atelier Espace Public, qui vit le jour en 1998 par l’association de Michel Thiollière (maire de SaintÉtienne), Claude Marder (adjoint à l’urbanisme) et Jean-Pierre Charbonneau (consultant en politiques urbaines). Il avait pour objectif de faire rencontrer des professionnels, des experts de l’aménagement urbain avec de jeunes diplômés des écoles d’architecture et des Beaux-Arts de Saint-Étienne autour d’un espace public. Cet atelier permettait de restructurer en profondeur des espaces majeurs de la ville (telle que la place Jean Jaurès) mais également d’intervenir sur les petits espaces, coins, squares, placettes de la ville qui portaient une valeur sociale ancrée. La méthode était de mettre en valeur rapidement et à moindre coût, dans une logique d’écoute des usages et de qualité de conception.9

7. Littéralement ville décroissante ou ville en déclin, le terme de shrinking city « désigne les conséquences d’un phénomène de rétrécissement urbain [...] qui touche les villes sur trois plans : démographique, par la perte de population ; économique, par la perte d’activités, de fonctions, de revenus et d’emplois ; et social, par le développement de la pauvreté urbaine, du chômage et de l’insécurité. » Ce terme permet de souligner une situation de «spirale du déclin» qui qualifie la dynamique de ces villes qui se trouvent en situation d’enfermement. D’une part, par le déclin démographique et l’arrêt ou le fort ralentissement des activités économiques, qui amènent à une crise socio-économique. D’autre part, cette même crise se répercute sur l’image de la ville qui souffre de vacance et de dégradation de son patrimoine immobilier, pour aboutir à une réduction des finances publiques liée au dépérissement de l’image de la ville et de son attraction résidentielle. (Cf. Site Internet Géo Confluence, consulté le 5 juin 2017, URL : http:// geoconfluences.ens-lyon.fr/ glossaire/shrinking-city) 8. Toutefois, la population tend à croître depuis 2014, selon l’INSEE 9. « Chaque ville demande à ce que des réponses appropriées soient trouvées pour participer à sa transformation. L’objectif […] était de rendre à l’usage de petits sites à forte valeur sociale […], de les mettre en valeur grâce à des projets réalisés rapidement et à un coût acceptable » Sous la direction de CHARBONNEAU (JeanPierre), Saint-Étienne, l’Atelier Espace Public, éd. Jean-Michel Place, 2004, p. 35

Bien que les pouvoirs publics aient des difficultés à mener tous les combats de front, c’est en 2005 qu’un workshop se tient dans la ville de SaintÉtienne afin de croiser les regards des experts locaux et de praticiens divers

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10. cf. Sous la direction de MASBOUNGI (Ariella), et GRAVELAINE (Frédérique), Construire un projet de ville, Saint-Étienne « in progress », éd. Le Moniteur, 2006, p. 15 11. cf. Site de Jean-Pierre Charbonneau, consulté le 20 mai 2017, URL : http:// www.jpcharbonneau-urbaniste.com/index.php/feconder/villes/saint-etienne/ 12. Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine 13. cf. LECOQ (AnneMarie), Éphémère architecture, op. cit. 14. Ibid.

reconnus à l’échelle nationale ou internationale. Ces rencontres permettent à la ville de Saint-Étienne de mettre en place, pour la première fois dans son histoire, un projet de planification urbaine et d’établir, à plusieurs voix, internes et externes au territoire, une stratégie d’élaboration des projets à mener associés à des acteurs clés. Ce projet est nommé Grand projet de ville et voit officiellement le jour en 2007. Il prend appuie, entre autres, sur le design comme vecteur de renforcement de dynamiques locales déjà amorcée (établissements supérieurs d’enseignement, professionnels nombreux, recherches dans le domaine déjà amorcées), comme une façon de voir la ville (pensée pour l’homme et à son échelle) et pour donner une nouvelle image du bassin stéphanois. Le projet urbain de Saint-Étienne s’appuie sur des exemples qui lui ressemblent : l’IBA Emscher Park rendit au bassin industriel en déclin de la Ruhr un nouvel essor territorial en passant par l’art et la “festivalisation“ pour renforcer l’identité des lieux et la mémoire collective des habitants.10 Jean-Pierre Charbonneau avait appuyé, au début de années 2000, la nécessité de renforcer le lien entre la politique urbaine et la politique culturelle de la ville en proposant la mise en place de la première Biennale de la Ville en juin 2005, qui donna lieu, en 2008, à la Biennale Internationale du Design que l’on reconnaît aujourd’hui. 11 Pour garantir le bon déroulement du projet urbain à long terme, la municipalité de Saint-Étienne et la métropole sont accompagnées par l’Établissement Public d’Aménagement de Saint-Étienne, répondant à une autorité ministérielle et complétant les interventions de l’ANRU12 sur place. Dans sa réalisation, l’architecture éphémère ou temporaire se différencie de l’architecture conventionnelle puisqu’elle s’émancipe de certaines contraintes structurelles et de durabilité13. Alors même qu’au siècle des Lumières l’Architecture devait représenter la gloire et la force des mécènes qui passaient des commandes aux architectes14. Cet engagement est aujourd’hui dépassé pour revenir à une architecture de l’essentiel, qui devrait avant tout s’orienter sur la protection des hommes et de leurs interactions. Dans les années 1960, certains groupements d’architectes, tel que le Groupe d’Étude d’Architecture Mobile (GEAM), imaginent une architecture déterritorialisée, où les formes et les édifices ne répondraient plus à un terrain spécifique, un contexte déjà largement présent et figé, mais aux nouveaux modes de vie de l’après-guerre. Les modes de vie s’accéléraient, la mobilité des individus croissait et certains de ces architectes envisagent alors l’architecture statique comme obsolète. Ainsi le GEAM, fondé en partie par Yona Friedman, commençait « à saisir le potentiel durable de ces constructions temporaires pour

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SORBIERS L’ÉTRAT

LA TOUR-EN-JAREZ

SAINT-PRIEST-EN-JAREZ

LA TALAUDIÈRE

La Chèvre VILLARS

Le Soleil

SAINT-JEAN -BONNEFONDS

ENEST-LERPT Le Grand Charlieu

Montaud

Crêt de Roc

Michon

Gagnère

SAINT-ÉTIENNE La Perrotière

La Vivaraize Le Devey

Les Adrets La Métare LA RICAMARIE

La Rivière VSE + EPASE VSE EPASE ANRU

1000 m

FIGURE 1 Répartition du territoire stéphanois entre les acteurs Production personnelle à partir d’un fond parcellaire récupéré sur le site Géoportail https://www.geoportail.gouv.fr/

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15. ROY (Eve), «Architecture mobile» sur le site du Laboratoire Urbanisme Insurrectionnel, consulté le 12 octobre 2017, URL : http:// laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot. fr/2012/10/architecturemobile.html 16. cf. LEFEBVRE (Henri), Le droit à la ville, 1968 17. Site de l’Atelier d’Architecture autogérée, consulté le 5 avril 2017, URL : http:// w w w. u r b a n t a c t i c s . o r g / about/

mettre à mal la légitimité de la ville solide »15. Leur plus grande critique revient à

cibler un milieu de vie urbain ne correspondant plus aux modes de vies actuels ou aux formes d’habiter. En héritage de ces modes de pensée, nous voyons aujourd’hui rejaillir des groupements d’architectes, souvent transdisciplinaires, qui revendiquent le droit à un milieu de vie urbain plus décent, un « droit à la ville »16 et une possibilité redonnée aux habitants d’investir et d’agir sur leur milieu quotidien. L’atelier Balto, avec des démarches comme celle des Temporar Garten à Berlin puis au Havre, est un exemple représentatif de ces nouveaux groupements d’architectes : il s’agissait d’investir, dans un quartier en difficulté, des espaces publics délaissés pour en révéler les potentiels d’action et d’amélioration et attirer l’attention sur ces fragments de ville oubliés. Des appels d’offre de toute nature ont été ouverts à toute discipline : Architecture, Paysage, Musique, Art, Performance, Théâtre,... pour venir redonner vie à ces espaces publics. Les habitants, tout comme les concepteurs, pouvaient être amenés à réfléchir et à donner conscience de la plus-value d’un espace, tout comme les services publics qui pouvaient prendre en charge des démarches de requalification urbaine. Aujourd’hui, il existe de nombreux collectifs ayant suivi ce type de démarche. Par exemple, l’Atelier d’Architecture Autogérée (aaa), Exyzt, le Collectif ETC ou Bruit du frigo qui ont en commun de vouloir reprendre en main la ville avec ses habitants pour intervenir de façon réversible et contournable et pour, in fine, retrouver des espaces urbains plus démocratiques. Nous pouvons alors croiser ce paysage contemporain avec ces mots de l’Atelier d’Architecture Autogérée : « aaa agit par des ‘tactiques urbaines’, en favorisant la participation des habitants à l’autogestion des espaces urbains délaissés, en relativisant les contradictions et contournant les stéréotypes par des projets nomades et réversibles, en initiant des pratiques interstitielles qui explorent les potentialités des villes contemporaines […] C’est par un agir micropolitique que nous voulons participer à rendre la ville plus écologique et plus démocratique, à rendre les espaces de proximité moins dépendants des processus par le haut et plus accessibles à leurs usagers. »17 Au sein de la problématique même des architectures temporaires,

des collectifs de concepteurs l’utilisent comme un outil en corrélation avec des valeurs égalitaires et démocratiques de l’aménagement urbain. Globalement, nous pouvons nous accorder sur les transformations rapides et multiples de nos vies, de nos rythmes quotidiens, du rapport aux autres et de nos milieux de vie qui s’accélèrent. L’homme tend à se détacher et se déposséder de ses territoires tant il traverse ces lieux sans jamais être en capacité réelle d’apprécier et d’y exercer son vécu propre. En se rapprochant

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particulièrement des villes et métropoles contemporaines, nous pouvons constater un abandon des espaces publics (qui incarnent et représentent la vie d’une société). La stérilité de ces espaces, la mauvaise compréhension des usages ou la limitation de ces derniers semblent être des constantes qui lissent la nature des rapports humains. Dans ce sens, le milieu urbain ne semble plus approprié et devrait se réinterroger. Bien que nous soyons conscients que ce constat n’est pas nouveau, nous pouvons ainsi reprendre les mots de Kenneth Frampton : « La prise de conscience croissante, au début des années 1960, de l’absence totale de correspondance, dans la pratique, entre les valeurs des architectes et les besoins et habitudes des usagers conduisit à une série de propositions qui cherchaient, par diverses contre-utopies, à surmonter le fossé entre les créateurs et l’homme de la rue »18. Ceci met en lumière les utopies et contre-utopies créées

dans les années 1960 et 1970 pour tenter de trouver une réversibilité aux aménagements passés. C’est dans ce sens que nous proposons d’aborder les processus de projets transitoires d’installations temporaires comme des outils matériels contemporains destinés à s’approprier, voire se réapproprier l’urbain ; trouver dans les formes de villes sédimentées des brèches temporelles et scalaires qui permettraient de reprendre en main nos milieux de vie. Les installations temporaires constitueraient des outils de pensée active sur nos formes urbaines.

18. FRAMPTON (Kenneth), L’Architecture moderne – Une histoire critique, 2006, p.301 cité dans CHIAPPERO (Florent), op. cit., p.18 19. cf. CHIAPPERO (Florent), op. cit., p.78 et p.88-89 20. Définition de transitoire, Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consulté le 13 avril 2017, URL : http://www. cnrtl.fr/definition/transitoire 21. Définition de provisoire, ibid.

Pour appréhender le sujet des projets temporaires et leurs composantes, il est proposé d’orienter la réflexion sur les dispositifs mis en œuvre par les collectifs d’architectes. Dans ce sens, il est suggéré que ces collectifs constituent un groupement de pensée, qui fait usage de l’installation temporaire ou architecture éphémère comme outil.19 Nous proposons ici d’en observer les formes et les enjeux par le biais de l’appellation de projets transitoires. Ce terme permet de mettre en situation les conditions de pratiques des collectifs dans le cadre de projets urbains, mais aussi de tenter d’englober sous ce terme les approches et objectifs variables des concepteurs. Nous nous appuierons sur les termes de provisoire et de transitoire pour inclure le sujet des temporalités en usage. Dans ce sens, le transitoire « constitue le passage d’un état à un autre, d’un régime permanent à un autre régime permanent »20, tandis que le provisoire nous souligne une notion de qualité dans le passage proposé, où ce « qui a

lieu, se fait pour un temps relativement court, qui est censé ne pas durer, ce qui a été établi en attendant mieux »21. Ceci permet de souligner que la pratique

d’installations temporaires, au sein d’un fonctionnement de grande échelle, s’installe bien souvent dans des espaces interstitiels, non traités, ou en attente de qualification ou de valorisation. Le projet transitoire permet d’apprécier la notion de passage d’un acte stimulateur qui permet de sortir d’un état latent à

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Carton Plein

JACQUARD

SAINT-ROCH Coop’Roch

500 m

FIGURE 2 Secteur d’implantation des équipes de maîtrise d’oeuvre pluridisciplinaires dans la ville Production personnelle à partir d’un fond parcellaire récupéré sur le site Géoportail https://www.geoportail.gouv.fr/

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un état autre, supposé tendre vers le meilleur possible.

22. Définition de temporaire, ibid.

Il est nécessaire de compléter ces propos par le vocabulaire habituellement utilisé : éphémère ou temporaire. Tous deux qualifient une action « qui ne dure qu’un temps limité »22 ou « qui dure un jour ou deux »23. Dans le processus de fabrication urbaine, la notion de temps court est difficilement évaluable car toujours associée à une temporalité de référence longue de plusieurs années. C’est de cette nuance que naît la réflexion proposée dans ce mémoire, pour tenter d’évaluer et comprendre la qualité de la temporalité réduite dans la fabrication d’un projet architectural et urbain. Dans ce sens, nous privilégions la qualification des démarches observées et des projets institués par les termes de transitoire ou provisoire pour en signifier les notions de passage, de transition et d’amélioration d’une perception et d’une fabrication de la ville par l’action menée.

23. Définition d’éphémère, ibid. 25. Établissement Public d’Aménagement de SaintÉtienne 26. Sous la direction de MASBOUNGI (Ariella), et GRAVELAINE (Frédérique), Construire un projet de ville, Saint-Étienne « in progress », éd. Le Moniteur, 2006, p. 7

Ce postulat nous amène donc à étudier les méthodes de fabrication urbaine, et particulièrement celle de Saint-Étienne, terrain d’étude de ce mémoire. Dans le cadre spécifique de cette ville en déclin post industriel, le choix de la projection de l’aménagement urbain de la métropole de SaintÉtienne s’est fait dans un contexte économique peu favorable. De plus, le tissu urbain étant bien constitué et sédimenté autour des usages et pratiques habitantes, l’équipe de maîtrise d’ouvrage urbaine, constituée par la mairie dans un premier temps, a nécessité la création de structures appropriées et le soutien de structures étatiques d’envergure. Ce faisant, ce projet s’est organisé autour d’une équipe représentative composée de la mairie, des membres de la métropole, ainsi que de l’EPASE25 et l’ANRU, toutes deux issues de programmes nationaux. L’organe institutionnel sur lequel nous nous attarderons sera davantage celui de l’Établissement Public d’Aménagement qui, dès son installation, a proposé aux collectivités de “fonctionner différemment“ en raison du contexte particulier de la ville. C’est dans ce sens que l’EPASE proposait, dès 2005, de fonctionner par “l’expérience“, soulignant que le projet urbain ne pouvait se faire de façon classique et linéaire tant l’ampleur et la complexité des projets à mettre en place étaient colossaux : « La démarche stéphanoise s’articule autour de deux grands principes : la fondation d’un projet fort ayant choisi de jouer la transformation urbaine comme levier de la reconquête économique et la souplesse des processus, idée d’un projet qui se pense en avançant et dont les réflexions alimentent à leur tour l’action, au fur et à mesure des dialogues et des opérations. »26 C’est ainsi que l’EPASE a établi des protocoles plus flexibles

dans son système réglementaire pour permettre l’intervention des équipes de

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27. Parmi les membres de Carton Plein, Corentine Baudrand, gestion des projets et administration, et Laurie Guyot, architecte, ont été interrogées 28. Parmi les membres de Coop’Roch, Catherine Gauthier, socio-anthropologue a été interrogée 29. Guillaume Pérache urbaniste référent à la Ville sur la zone Sud-Est de SaintÉtienne. Il travaillait avant sur le secteur Sud-Ouest, pour assurer une certaine continuité, il est responsable technique de l’opération Saint-Roch. Il est également en charge du plan lumière, ce qui lui a permis d’intervenir sur le viaduc de Jacquard. Anne Valtat est urbaniste référente à la Ville sur le secteur Nord-Est. Elle est chef de projet du Crêt-de-Roc, et Desjoyaux-le Soleil. Elle est spécialiste des quartiers anciens.

22 - INTRODUCTION

maîtrise d’œuvre multidisciplinaires. La volonté première était de donner une visibilité du projet aux habitants, tout en occupant et rentabilisant les temps de latence de quartiers projetés sur le plus long terme. Nous constatons que le sujet de l’installation temporaire revêt des dimensions larges et encore assez peu identifiées. Dans son expression la plus connue, celle prônée par des collectifs souvent auto-initiés, il est proposé de resserrer le sujet sur l’exercice même de cette pratique, son fonctionnement, le processus adopté et sa possible insertion dans un système de planification urbaine plus vaste. Dans le cadre de ce mémoire, j’ai donc privilégié la ville Saint-Étienne comme terrain d’étude. Pour tenter de resituer la situation exceptionnelle d’institutionnalisation des formes d’interventions provisoires dans la fabrication métropolitaine d’un projet urbain de plusieurs années, je propose de faire intervenir la parole d’autres collectifs sur leur propre pratique. Cependant ces apports, souvent littéraires, ne peuvent être comparés que sur la pensée de la pratique, puisque le contexte d’exercice dépend et détermine chaque type d’action. L’observation de projets transitoires amène systématiquement aux praticiens contemporains. Ces derniers sont, bien souvent, des équipes de maîtrise d’œuvre pluridisciplinaires. Cette situation particulière et complexe m’a amené à interroger plusieurs personnes, pour tenter d’embrasser le sujet largement, de comprendre sa complexité et les perceptions diverses à laquelle pouvait être sujette cette pratique. C’est ainsi que deux collectifs ont été approchés : Carton Plein, association pluridisciplinaire mandatée par l’EPASE, qui s’est installée à la Cartonnerie, ancien site des Cartonnages de Saint-Étienne, dans le quartier Jacquard, de 2010 à 201627 ; Coop Roch, équipe de maîtrise d’œuvre pluridisciplinaire, sélectionnée suite à un appel d’offre par l’EPASE en 2016, située dans le quartier Saint-Roch28. Observer deux collectifs distincts permet de rendre compte de l’évolution des pratiques, de son évolution dans le processus de fabrication urbain, et de comparer les temporalités et les relations entre les acteurs pendant et après leurs actions. Interroger les concepteurs permet de comprendre leur mode de fonctionnement, les convictions qui portent leur pratique, ainsi que leurs modes d’action. Dans un souci d’objectivité, la chef de projet des quartiers Jacquard et Saint-Roch, Louise Neyret, a permis d’aborder le sujet par une perspective orientée sur la faisabilité urbaine. Enfin, de façon plus large, Guillaume Pérache et Anne Valtat, respectivement responsables de l’urbanisme des zones Sud-Est et Nord-Est de Saint-Étienne29, ont permis de percevoir les enjeux de la ville face à l’action de l’EPASE, sa construction propre du projet urbain et la nature des relations qu’ils entretiennent avec les


équipes de maîtrise d’œuvre. Pour finir, Hervé Agnoux, artiste en résidence à Carton Plein pendant quatre ans, a été le relais des expériences quotidiennes et de l’avis des habitants sur les démarches d’exercice provisoire du collectif. Les deux équipes pratiquent un urbanisme collectif. Dans son ouvrage sur leur intervention stéphanoise, Carton Plein voit « l’action collective comme manière d’être au monde et de faire le monde »30 dans le sens où cette démarche incarne et défend un droit à l’action dans le milieu urbain. Ils appliquent cette logique à l’urbanisme qui constitue un territoire de débat et, dans une perspective salvatrice, « pour éviter les logiques de zonages et de sectorisation qui concentrent l’attention sur un projet unique dans un lieu ciblé, Carton Plein travaille le lien et la porosité entre les espaces de la ville en activant simultanément des microslieux multiples et diffus. […] Les expérimentations et les transformations qu’elles engendrent, deviennent des analyseurs du territoire, lui-même étant en perpétuel mouvement. Les perturbations qu’elles introduisent dans le quotidien permettent d’accélérer la connaissance de l’espace urbain et d’amorcer des échanges vers de nouvelles projections collectives. »31 Cette certaine image de l’urbanisme

30. CARTON PLEIN, La Cartonnerie, expérimenter l’espace public, SaintÉtienne 2010>2016, coll. Recherche du PUCA n°229, 2016, p. 115 31. Ibid., p. 83 32. Sous la direction de EVETTE (Thérèse), «L’interprofessionnalité ? Un point de vue» dans Interprofessionnalité et action collective dans les métiers de la conception, Actes des rencontres du Réseau activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme, p. 9

et de ce que devrait être la fabrication de la ville peut se partager entre les équipes pluridisciplinaires de maîtrise d’œuvre et les collectifs d’architectes. L’urbanisme collectif est une condition, un état et une construction de la pensée qui existe dans l’action ; il s’agit donc d’un terme fragmenté qui unie idéologie et mise en pratique. Cependant nous ne pouvons définir irrévocablement une façon unique de l’appliquer. De façon générale nous constatons, depuis quelques décennies, une certaine « crise de l’urbanisme » qui fait l’objet de nombreuses recherches et réflexions. En conséquence, dans l’ouvrage « Interprofessionnalité et action collective dans les métiers de la conception » de Thérèse Evette, la linéarité et la dysjonction des étapes de fabrication urbaine sont mises en cause de sorte que « la vision linéaire et hiérarchique des processus d’aménagement et des relations

entre les acteurs concernés par les projets est obsolète, même si elle inspire encore nombre de procédures d’intervention. Les frontières entre les domaines et les échelles de l’aménagement sont reconsidérées. Ainsi, la complexité est appréhendée non plus seulement comme un principe majeur d’analyse de la ville, mais comme une donnée de l’action. »32. Dans le but de comprendre et d’être en mesure d’appréhender

les subtilités et les complexités des projets transitoires, nous orienterons notre recherche par le biais des relations temporelles qui jalonnent un aménagement urbain. La ville est regardée sous le prisme du temps comme une composante réglementaire et une ouverture pour la composition du projet. Comment la temporalité des projets peut induire un système de fonctionnement ? Ou, à

INTRODUCTION - 23


33. Sous la direction de MASBOUNGI (Ariella), et de GRAVELAINE (Frédérique), op.cit., p. 12

l’inverse, structurer une organisation autre ? La temporalité peut-elle être une dimension recomposable du projet urbain ?

34. MASBOUNGI Ariella, de GRAVELAINE (Frédérique), loc. cit.

Depuis la proposition faite par les collectifs d’architectes multidisciplinaires d’une approche de l’urbanisme plus démocratique, l’installation temporaire et le projet provisoire sont considérés comme des outils, comme des éléments de la démarche. C’est par l’angle de l’idéologie soutenue que nous tenterons de comprendre son application architecturale. Cependant, nous pouvons noter que les démarches collectives ont, historiquement, toujours existé en marge des autorités publiques pour en souligner les faiblesses ou en solliciter l’action. Dans ce sens, l’institutionnalisation proposée par l’EPASE et la ville de Saint-Etienne interroge. Faut-il institutionnaliser ces pratiques ? Quelles en sont les conséquences ? Comment cela peut-il prendre forme ? De plus, nous pouvons souligner l’insistance de l’EPASE dans son discours explicitant sa démarche expérimentale. Il s’appuie notamment sur l’exemple d’Hambourg en 1995 où la ville était stimulée par des workshops « pour enrichir son imaginaire »33 urbain. Dans l’ouvrage « Construire un projet de ville, Saint-Étienne in progress », il est proposé de réinterpréter ce modèle pour l’appliquer au bassin stéphanois de sorte que « les projets n’avaient pas pour but d’être réalisés mais de nourrir un débat, d’ouvrir le champ des possibles, de prendre des tangentes par rapport aux idées en vogue»34. Ce procédé incarne-t-il

une volonté de créer une nouvelle méthode de fabrication urbaine à SaintÉtienne ? Sous quelles formes ? Dans quel but ? Pour réunir et croiser ces interrogations, nous pouvons finalement nous demander : en quoi les pratiques de projets urbains provisoires peuvent-elles constituer une méthode pour fabriquer une ville pérenne ? A cette problématique nous répondrons en deux parties. La première abordera l’idéologie des équipes pluridisciplinaires et son application concrète par le biais de projets transitoires. Nous interrogerons la perspective démocratique proposée pour la fabrication de la ville, ses enjeux et ses méthodes. Dans la seconde partie nous tenterons de signifier les obstacles, les limites et les transformations nécessaires pour institutionnaliser de telles démarches collectives. Nous considérerons la méthode d’expérimentation temporaire comme un intrant dans les systèmes de fabrication de la ville, nous focalisant sur son application et ses limites opératoires.

24 - INTRODUCTION


INTRODUCTION - 25


1997

2004

1994 -2008 : Michel Thiollière est maire de Saint-Étienne

2005

2006

2007

20

200 Pre

2001 : création de la Communauté urbaine de Saint-Étienne Métropole

1998-2002 : l’Atelier espace public régénère les espaces publics de la ville début des transformations urbaines

création de l’Etablissement Public d’Aménagement de Saint-Etienne suite à une décision interministérielle

Juin : workshop organisé par la Ville et le futur aménageur (EPASE), invitation d’experts nationaux et internationaux pour envisager les axes du futur projet urbain de Saint-Étienne

mission de préfiguration de l’EPASE par François Wellhoff

création de la ZAC de Châteaucreux

Plan Local d’Urbanisme en débat

2013

2014

création de l’Opération d’Intérêt National déterminant les limites des interventions de l’EPASE début des opérations de l’EPASE

2015

2

2014 : Gaël Perdriau est élu maire de Saint-Étienne, il devient président de Saint-Étienne Métrop

place du Géant OPUS 2 Octobre : convention d’occupation précaire sur le site de la Cartonnerie pour 23 mois Mars : inauguration du workshop Viaduc fertile avec des constructions éphémères et mise en jeu collective via de grands jeux projetés à la Cartonnerie Inauguration de Parcours de jeu Juillet : Tous dehors ! à la médiathèque Carnot

26 - INTRODUCTION

livraison de l’Amicale laïque Chapelon sur la place Jacquard Avril : nouvelles constructions à la Cartonnerie avec le collectif ETC Chantier créatif, les Nouveaux Jardins Urbains : fabrication de mobiliers, création de jeux Mai : première marche de Sainté itinéraires croisés Juin : présentation de Terrain de jeu import/export (retour d’expérience de Colombie) Juillet ; soutien du PUCA pour réaliser le récit d’expérience de La Cartonnerie Chantier créatif, le droit à la paresse sur les murs de la Cartonnerie

Janvier : réunion avec les habitants sur l’avenir de la Cartonnerie Mars : nettoyage du site et ajout de stabilisé sur la Cartonnerie par l’EPASE Avril : déploiement du Bureau Éphémère d’Activation Urbaine dans le quartier Jacquard pour la Biennale Les commerçants et artisans envoient un courrier au maire et élus de la Ville pour soutenir Carton Plein dans le quartier Juin-Juillet : réalisation de graff signalétique sur les murs de la Cartonnerie, semaine d’écriture collective avec le PUCA


008

2010

2011

2012

08-2014 : Maurice Vincent est maire de Saint-Étienne emière Biennale Internationale du Design de Saint-Étienne

création de la ZAC Jacquard

L’usine des Cartonnages Stéphanois est démolie

Livraison de la place Jacquard réaménagée

30 avril 2010 : validation d’une mission exploratoire per l’EPASE pour la transformation du site de la Cartonnerie 28 août : transmission à l’EPASE d’une proposition d’intervention sur le site de la Cartonnerie pour la Biennale Internationale du Design

Juillet : création d’un espace public temporaire par le collectif ETC, place du Géant à Châteaucreux

Carton Plein est composé de Fanny Herbert (sociologue), Laurie Guyot (architecte), Alissone Perdrix et Gaëlle Vicherd (artistes cinéastes)

2016

Avril : Chantier créatif #1 sur le jeu à la Cartonnerie Mai : Chantier créatif #2 création du Jardin expérimental Arrivée de Corentine Baudrand dans l’équipe de Carton Plein Juin : Chantier créatif #3 jardinage, rencontres et fêtes Construction de la Scène-sol

2017

pole et du Conseil d’administration de l’EPASE

Octobre : sélection de l’équipe de Coop’Roch pour la maîtrise d’oeuvre du projet de renouvellement urbain du quartier Saint-Roch par l’EPASE pour une durée de 6 années

Janvier : restitution du Laboratoire Hors les murs sur les thématiques du jeu avec l’EPASE et la Ville Juin : Chantier créatif, construction de jeux à échelle 1 et peinture des murs de la Cartonnerie Juillet : Prairie suspendue du Laboratoire Hors les murs, chantier collectif Novembre : signature d’une convention d’objectifs pour le projet Parcours de jeu avec l’EPASE, la Ville et la Cité du Design

2018 septembre : création de la métropole de Saint-Étienne

octobre : colloque du PUCA «Hors champ de la production urbaine» se tient à Saint-Étienne

Juillet : fin des actions de Carton Plein à la Cartonnerie

Aménagement du quartier Jacquard Livraison des Salons de la place Jacquard Lancement du chantier de l’Amicale laïque Chapelon Réaménagement de la rue Prairie, reliant la place Jacquard au centre ville Travaux préparatoires à la restructuration de l’îlot Gachet

5 Mai : lancement du projet de renouvellement urbain de Saint-Roch, phase diagnostic avec les ateliers Aparthé de Coop’Roch Mai : #1 Espaces publics de proximité Juin : #2 Mémoires et ambiances Juillet : #3 La rue partagée Septembre : #4 Les locaux vides en rez-de-chaussée : que faire ? qu’en faire ? Octobre : #5 Pied d’immeuble et arrière cour

février : publication de l’étude "Urbanisme temporaire : Définitions, acteurs, outils et enjeux" par la Sorbonne Paris 1, master Aménagment et Urbanisme pour le compte de Plateau Urbain

...

1er mars : première diffusion publique «Le Réveil du viaduc», retour d’expérience réalisé par Vincent Rubin et Carton Plein 7 mars : restitution des réflexions de Coop’Roch et annonce des expérimentations à venir

FIGURE 3 Frise chronologique du déroulement du projet urbain et des actions de Carton Plein (orange) et de Coop’Roch (en jaune) Production personnelle

INTRODUCTION - 27



I

Une perspective démocratique pour la fabrication de la ville : enjeux et méthodes FIGURE 4 CARTON PLEIN (2016) écosystème - épisode 2


. REVENDIQUER UNE « VILLE LABORATOIRE » 35. Nous pouvons, entre autres, prendre l’exemple d’Alexandre Chemetoff, qui proposait, dans le cadre du projet de l’Île de Nantes, des outils de conception évolutifs, faisant un état des lieux et une composition projetée de l’aménagement avec le Plan Guide. 36. Manifeste du Collectif Etc, consulté le 05 décembre 2017, URL : http://www.collectifetc.com 37. cf. Sous la direction de MASBOUNGI (Ariella) et de GRAVELAINE (Frédérique), Construire un projet de ville, Saint-Étienne « in progress », éd. Le Moniteur, 2006 38. Les collectifs d’architectes sont identifiés et qualifiés ainsi depuis le début des années 2000, date à laquelle on constate une émergence croissante de pratiques multidisciplinaires sortant du cadre réglementaire et constructif classiques de l’architecture et de l’urbanisme, voir les travaux Florent Chiappero ou Anne Demerlé-Got. 39. Définition de l’urbanisme, Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consulté le 02 septembre 2017, URL : http:// www.cnr tl.fr/definition/ urbanisme 40. op. cit. 41. EVETTE (Thérèse), «L’interprofessionnalité ? Un point de vue» dans Interprofessionnalité et action collective dans les métiers de la conception, Actes des rencontres du Réseau activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme, Cahiers Ramau 2, PUCA, édition Thérèse Evette et Estelle Thibault, 2000, p. 10-11

Depuis plusieurs années nous constatons certains dysfonctionnements dans les processus de fabrication urbain. De nombreux écrits et positionnements d’architectes semblent partager ce constat et tentent de trouver des solutions, proposer des alternatives pour amorcer une transformation positive35. Pour comprendre ce point de vue, nous choisissons de nous intéresser particulièrement aux temporalités qui composent la fabrication urbaine. Ainsi nous abordons cette problématique par le biais des formes d’architectures temporaires et ceux qui les mettent en place. Notre propos s’intéressera aux collectifs de maîtrise d’œuvre multidisciplinaires qui, par le biais d’installations temporaires, soutiennent une approche plus démocratique de faire la ville. Nous pouvons citer en exemple les propos fondateurs du Collectif ETC dans son Manifeste « La manière de faire la ville aujourd’hui en France suit

essentiellement une logique verticale et hiérarchique faisant intervenir les différents acteurs de l’aménagement urbain dans des temps et des espaces déterminés et figés. Nous pensons que les différents usagers de la ville peuvent tous être acteurs de leur aménagement à des échelles très variées »36 Saint-Étienne inclut ces

formes de projets transitoires au sein de sa démarche de Grand projet de ville. Elle met en forme ce propos en qualifiant la grande échelle du projet urbain comme un exercice de “ville laboratoire“37. Ce terme découle directement du vocabulaire employé par plusieurs collectifs d’architectes38 depuis quelques années.

Le terme d’urbanisme définit l’« Ensemble des sciences, des techniques et des arts relatifs à l’organisation et à l’aménagement des espaces urbains, en vue d’assurer le bien-être de l’homme et d’améliorer les rapports sociaux en préservant l’environnement. »39 Mais aussi comme l’« Ensemble des règlements permettant aux pouvoirs publics de contrôler l’utilisation du sol en milieu urbain. »40 Bien qu’il s’agisse d’améliorer les qualités de vie et d’usage dans nos villes, la démarche adoptée est celle de mettre en place des dispositifs réglementaires restrictifs destinés à maîtriser le foncier pour garantir la bonne évolution de la ville et de ses projets futurs. Parmi les difficultés identifiées et les vecteurs de dysfonctionnement, la rencontre 2 du réseau RAMAU menée par le PUCA cible le problème comme suit

« La complexité des processus de production de la ville est appréhendé par plusieurs auteurs à travers la notion d’hétérogénéité. Ils soulignent la coexistence de mondes hétérogènes du point de vue des finalités, des logiques d’action, des langages et des temporalités. La formation des villes serait marquée par une incohérence ontologique »41

Par manque de dialogue, incompatibilité des échelles et des temporalités d’intervention, la planification urbaine donne aux différents usagers une

30 - UNE PERSPECTIVE DÉMOCRATIQUE POUR LA FABRICATION DE LA VILLE


sensation de déprise sur leur ville et leurs lieux de vie. Ils se sentent distants (ou mis à distance) de “ceux qui fabriquent les villes“. Nous postulons que l’« incohérence ontologique » dont parle Thérèse Evette peut-être due à la distinction des échelles et des temporalités utilisées entre les concepteurs, les décisionnaires et les usagers. Depuis le début des années 2000, nous constatons une émergence croissante des collectifs d’architectes ou équipes de maîtrise d’œuvre pluridisciplinaires. Ils font parti d’un mouvement global de remise en question des systèmes réglementaires, dont nous faisons usage depuis plusieurs années, pour en révéler les lacunes et proposer d’autres perspectives d’approche. Olivier Chadouin42 explique cette transformation comme

42. Architecte, enseignantchercheur à l’école d’Architecture et de Paysage de Bordeaux 43. CHADOUIN (Olivier), «La confiance comme conséquence. Les conditions de la coordination architecturale et urbaine» dans Interprofessionnalité et action collective dans les métiers de la conception, p. 120 44. QUERRIEN (Anne), Compositions urbaines, Les annales de la recherche urbaine, n°32, 1986

« l’esprit d’un renouveau de la pensée urbaine qui vise […] à tisser et à organiser à partir de l’existant pour concilier respect du centre historique et développement de la ville contemporaine »43 Il poursuit en reprenant les mots d’Anne Querrien « L’objet n’est plus de « composer la ville » mais de « composer avec la ville »44 .

C’est la façon de concevoir l’urbanisme qui change. Nous identifions une césure entre une vision héritée du XXè siècle et celle à venir. Les fondements idéologiques de la fabrication urbaine se transforment pour une démarche de transformation “vers“ une nouvelle ville à “sur“ la ville même. Sans empêcher le renouvellement urbain, les concepteurs s’appuient sur le contexte social et architectural qu’ils explorent et investissent. Ils témoignent d’un certains bon sens et d’un souhait formulé pour une égalité urbaine. Ils soutiennent leurs démarches par la nécessité de retrouver des lieux réels d’exercice de la démocratie. C’est par ce prisme que nous proposons d’explorer dans un premier temps les valeurs démocratiques soutenues par les processus de projets provisoires et leur application.

Revendiquer une « ville laboratoire » - 31


45. cf. les travaux de Pierre Bourdieu 46. CARTON PLEIN, La Cartonnerie, expérimenter l’espace public, SaintÉtienne 2010>2016, coll. Recherche du PUCA n°229, éd. Carton Plein, 2016, p. 84 47. cf. définition de collaboration, Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consulté le 31 décembre 2017, URL : http:// www.cnrtl.fr/definition/collaboration

LES VALEURS DÉMOCRATIQUES L’histoire de Saint-Étienne est composée de multiples crises économiques mais aussi de périodes fructueuses. Construite par des industriels pour leurs besoins, la ville s’est fabriquée sur elle-même sans jamais connaître de plan d’urbanisme global. Dans son héritage social, les habitants ont toujours aménagé eux-mêmes leur ville, décelant et s’appropriant les espaces délaissés dans les temps de plus grande crise. Cet “habitus“45 de l’appropriation habitante vient nourrir et renforcer les pratiques des concepteurs stéphanois. Leurs démarches viennent en continuité de l’histoire et considèrent la ville comme un laboratoire qui devrait être praticable par tous. Soit dans une communication du grand projet, soit dans la mise à disposition d’outils d’action, les collectifs transdisciplinaires revendiquent l’espace urbain, et particulièrement l’espace public comme un espace de droit commun. Afin d’aborder correctement la notion de démocratie appliquée à l’urbanisme nous pouvons en préciser les nuances. Nous proposons ainsi de distinguer le projet participatif et le projet collaboratif. La notion de participation est aujourd’hui largement reprise dans plusieurs domaines. Ce terme devient flou et est employé démesurément. L’aspect participatif des projets d’urbanisme prend forme dans des textes de loi qui mettent les concepteurs dans l’obligation de faire participer les habitants à l’occasion de réunions ouvertes. Par ces mots, Carton Plein dessine les limites de ce type de réglementations (en décrivant leur propre démarche) « Cette approche entend dépasser le cadre de “la participation des habitants au projet urbain“ qui se résume la plupart du temps à confronter de manière déconnectée les habitants à des choix d’aménagement figés voire déjà réalisés. »46 C’est dans cette interprétation de la

réglementation que les concepteurs préfèrent employer la notion de collaboratif à celle de participatif. En effet la collaboration définit un acte de construction à plusieurs mains47. Dans l’échange et le croisement des pratiques, le projet prendrait davantage de valeur. La “démocratie collaborative“ ramène au cœur des décisions les avis et capacités de chacun des usagers pour tenter de tirer des règles justement adaptées au contexte. Pour cette recherche, nous enrichissons ces notions en qualifiant la démarche de Carton Plein ou de Coop Roch de “démocratie active“ car elle met en place une dynamique égalitaire et partagée par le biais des projets provisoires qui sont construits. La démocratie trouve sa place dans le faire.

32 - UNE PERSPECTIVE DÉMOCRATIQUE POUR LA FABRICATION DE LA VILLE


FIGURE 5 Maquette collaborative mise en place pour l’atelier Aparthé #3 La rue partagée Pris sur la page Facebook de Coop’Roch, Saint-Roch s’éveille FIGURE 6 Atelier mobile de cartographie et de dessin pour documenter l’arpentage pour l’Aparthé #1 Espaces publics de proximité ibid.

Revendiquer une « ville laboratoire » - 33


47 bis. EVETTE (Thérèse), «L’interprofessionnalité ? Un point de vue» dans Interprofessionnalité et action collective dans les métiers de la conception, Actes des rencontres du Réseau activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme, p. 12 48. CARTON PLEIN, op. cit., p. 86 49. D’après les notes recueillies au cours d’un entretien avec Catherine Gauthier, sociologue, membre de Coop Roch

Les valeurs démocratiques portées par ces équipes sont mises en application selon cette idée, en empruntant les mots de Thérèse Évette

« L’existence de valeurs communes soutient l’action (Macary). Pour les susciter, ou en tenir lieu, les parties prenantes du projet s’efforcent de construire un récit commun qui donne une cohérence aux finalités multiples d’un grand projet urbain (Godier) »47

Pour s’inscrire dans le Grand projet de ville, les concepteurs organisent des ateliers où sont abordés les premières intentions urbaines sur le quartier, les projets à venir, les programmes envisagés. Pour l’équipe de Coop Roch, ces ateliers prennent la forme de tables rondes ou de présentations publiques. Ils engagent une conversation à partir de supports visuels et textuels mis en place par l’EPASE et la mairie pour solliciter les avis des habitants et des acteurs. Dans ce cas particulier, les concepteurs font usage d’outils de médiations pour entrer dans la fabrication du projet. bis

Selon plusieurs collectifs, dont Carton Plein, l’installation temporaire permet d’ouvrir le champ des possibles et les faire évoluer au gré des opinions défendues. « L’éphémère et l’imaginaire deviennent alors de possibles moteurs de transformations pour tenter d’ouvrir des espaces de discussions et de projections. »48

Nous pouvons supposer que c’est la temporalité des projets provisoires qui les dote de leur caractère réversible. Comparé au temps long de la fabrication urbaine et de la ville, l’éphémère permet de créer des brèches ponctuelles qui viennent alimenter le projet global et le stimuler sans en perturber fondamentalement le déroulement. L’approche provisoire permet de ne rien figer et constamment remettre en question l’action qui se déroule. Chaque temps devient à la fois un temps d’observation, d’apprentissage et de recherche. L’action temporaire construit une logique idéologique commune pour le long terme et s’inscrit dans un objectif partagé pérenne. Ce processus de découpage temporel permet, d’après Catherine Gauthier, de faire croiser les visions, les valeurs collectives et individuelles dans le souci de rétablir un point de vue démocratique sur le milieu de vie49.

34 - UNE PERSPECTIVE DÉMOCRATIQUE POUR LA FABRICATION DE LA VILLE


DÉMULTIPLIER LES ACTEURS ET LEURS RESPONSABILITÉS

50. NICOLAS-LE STRAT (Pascal), Agir en commun / agir le commun cité dans CARTON PLEIN, La Cartonnerie, expérimenter l’espace public, Saint-Étienne 2010>2016, p. 114

D’après Pascal Nicolas-Le Strat « Un même questionnement émerge aujourd’hui, avec une forte acuité politique, dans les champs du social de l’art, de la recherche en sciences sociales, du soin ou encore de l’urbain, et il concerne de nombreux collectifs militants et/ou professionnels engagés dans une critique des formes dominantes de vie et d’activité. Cette question est celle d’un travail du commun, à savoir la capacité d’un collectif [...] à agir sur le commun, sur la vie en commun, sur les ressources dont nous disposons en commun. […] Cette notion renvoie à un agir égalitaire et démocratique sur nos affaires communes. »50 Dans notre cas

51. Définition d’acteur, Site du Dictionnaire Littré, consulté le 3 novembre 2017, URL : https://www. littre.org/definition/acteur

d’étude, la transversalité des regards incarne une approche égalitaire qui prend effet à une échelle microscopique pour nourrir une perspective idéologique plus grande. Les différents regards proposés sont d’abord compris au sein des équipes de maîtrise d’œuvre pluridisciplinaires. Pour exemple Coop Roch est constitué de deux architectes et urbanistes, d’une architecte de l’habitat et économiste de la construction, d’une socio-anthropologue et spécialiste de la mémoire du quartier, de deux paysagistes et concepteurs d’espaces publics, d’un activateur de rez-de-chaussée, de trois graphistes et intervenants pour la communication et de deux représentantes de l’Établissement Public d’Aménagement de Saint-Étienne. À ces compétences contenues et partagées au sein de l’équipe, d’autres acteurs sont appelés ou sollicités en fonction des projets. La démultiplication des acteurs est une constante des pratiques de projets transitoires. Il est donc à définir précisément le terme d’acteur, tel qu’employé ici. Il qualifie « Celui qui joue un rôle, prend une part dans une affaire, dans un événement. »51. Cette définition large nous permet de compter ici toute personne prenant part au projet urbain par son action ou son regard. Nous distinguons de ce fait quatre type d’acteurs : les acteurs institutionnels, qui composent les équipes d’expertise urbaine et les agences en charge de la planification urbaine (dont l’Établissement Public d’Aménagement) ; les acteurs politiques, qui sont les élus et leurs conseillers ; les acteurs concepteurs, qui définissent les praticiens, les professionnels de l’architecture et de l’urbain, les équipes de maîtrise d’œuvre ; et les acteurs usagers, qui sont les habitants, les professionnels et commerçants investis dans le quartier ou les usagers ponctuels. Chacun d’entre eux joue un rôle qui lui est propre et est porteur de connaissances.

Revendiquer une « ville laboratoire » - 35


52. PICHON (Pascale), La prise en compte des compétences des habitants et des usagers dans les projets urbains, les intermittences de la démocratie. Formes d’actions et visibilités citoyennes dans la ville, l’Harmattan, coll. Logiques Politiques, 2009 cité dans CARTON PLEIN, op. cit., p.48 53. Cf. NEZ (Héloïse), Urbanisme : la parole citoyenne, collection Clair & Net, éd. Le bord de l’eau, 2015

Le mode opératoire proposé par les équipes de maîtrise d’œuvre privilégie les échanges entre ces acteurs à l’occasion de projets particuliers. Pour la construction d’une structure dans l’espace public, le montage d’un événement festif, l’intervention d’artistes sur l’espace public ou l’occupation de locaux vacants, des acteurs divers sont mis en relation par l’équipe de concepteurs. En prenant pour objet un projet de petite échelle qui se déroule sur un temps court, une certaine notion d’efficacité nécessite des échanges et des prises de décisions rapides. Les acteurs convoqués font usage de leurs connaissances, qu’ils partagent, et prennent des décisions communes. Ces interventions permettent de rétablir un rapport d’échelle humaine en s’appuyant sur des acteurs “locaux“ en fonction de leurs expériences quotidiennes ou ponctuelles. « La constitution d’un public autour d’un aménagement urbain revient, […] non pas à impliquer les riverains pour qu’ils fassent “vivre leur quartier“, mais bien à intégrer les compétences des habitantsusagers dans le projet urbain, en considérant que “les connaissances utiles au projet urbain, ne relèvent pas exclusivement de l’expertise savante ou technique mais aussi de l’expérience ordinaire de tout un chacun.“ »52

Ce faisant les projets provisoires permettent de donner une meilleure connaissance du terrain au collectif, de solliciter des envies et des perspectives de projet pour l’espace public, mais aussi de soulever de nouvelles problématiques issues du “savoir habitant“53 qui deviennent nourricières pour le projet urbain à plus grande échelle. La multiplicité et la transversalité des

FIGURE 7 Répartition des membres de l’équipe de Coop’Roch et leurs compétences Pris sur la page Facebook de Coop’Roch, Saint-Roch s’éveille

36 - UNE PERSPECTIVE DÉMOCRATIQUE POUR LA FABRICATION DE LA VILLE


FIGURE 8 Schéma de stratégie de contribution de Coop’Roch ibid.

Revendiquer une « ville laboratoire » - 37


54. CARTON PLEIN, op. cit., p.85

regards interrogent ainsi la structure fonctionnelle de la fabrication urbaine. Les praticiens deviennent des interrogateurs et des passeurs. Les propositions faites sont débattues en amont avec l’EPASE pour chaque situation. Cependant, « Il ne s’agit pas de faire un arrêt sur image mais d’être en

capacité de voir les mouvements continus de cette ville en mutation. La ville évolue en fonction des politiques publiques mais avant tout en fonction des usages et des “arts de faire“ de ses habitants. Carton Plein cherche alors à développer un processus inclusif qui impulse, catalyse et fédère. »54 Cette géométrie variable donne une

responsabilité à chacun des acteurs. Elle sollicite des connaissances diverses qui autorisent des allers-retours constants dans la fabrication du projet. Le choix des possibles devient l’affaire de tous. Le pouvoir décisionnel reste tout de même entre les mains des équipes de maîtrise d’œuvre et d’ouvrage. Cette approche est basée sur une idéologie démocratique qui sous-tend la totalité de la démarche. Elle rétablit, par l’action collective, une égalité des regards et des savoirs sur le territoire urbain. Elle fabrique de nouveaux cadres d’exercices adaptés afin d’encourager la transversalité des compétences.

38 - UNE PERSPECTIVE DÉMOCRATIQUE POUR LA FABRICATION DE LA VILLE


LES LIMITES DE L’INSTALLATION TEMPORAIRE

« On peut aussi parler des choses qui n’ont pas fonctionné. On doit en parler justement pour faire évoluer les pratiques, les manières de faire […] Admettre la difficulté c’est transformer son positionnement, c’est se remettre en question... C’est toute la question de la résistance au changement. »55

Dans ce chapitre nous proposons de cibler certaines des limites des pratiques d’installation temporaire. Ce type de démarches souffre d’une mauvaise image à cause, entre autres, des outils utilisés ou de la mauvaise interprétation des valeurs portées. Les équipes pluridisciplinaires multiplient les actions ponctuelles qui perdurent rarement dans le temps. D’après Hervé Agnoux, artiste en résidence durant trois ans aux côtés de Carton Plein, il revient sur l’expérience comme suit. « Les gens étaient très souvent interpellés par

55. Entretien avec Dominique Altschuch, psychologue du travail dans CARTON PLEIN, La Cartonnerie, expérimenter l’espace public, Saint-Étienne 2010>2016, p. 84-85 56. D’après les notes recueillies au cours d’un entretien avec Hervé Agnoux, artiste en résidence durant trois ans aux côtés de Carton Plein 57. AGNOUX (Hervé), ibid. 58. AGNOUX (Hervé), op. cit., dans cet extrait il désigne un habitant du quartier qui s’était investi dans Carton Plein

la capacité d’animation, d’interpellation des gens du quartier que le groupe avait. »56 Les événements sont en effet centraux dans la mise en place d’installations

temporaires puisqu’elles permettent de susciter et marquer l’avènement d’une nouvelle architecture. Cependant cette “mise en scène“ des ouvrages ponctuels créés amènent à certaines confusions pour les habitants.

Toujours selon l’artiste « D’abord c’était pas très facile, même pour les connaisseurs, d’identifier qui étaient les membres de Carton Plein. […] Les gens, à mon avis, n’ont jamais très bien identifiés ce que c’était. »57 En effet, les membres fondateurs de Carton Plein sont une professeure de dessin, une sociologue, une architecte et une animatrice-administratrice. L’association, au gré des années, se composait, se recomposait avec des membres complémentaires en fonction des projets. C’est ainsi qu’un psychologue, des habitants, des élèves de différentes formations, des artistes ou des designers ont momentanément fait partie de l’équipe. Mais en somme, aucun des membres ne fût jamais urbaniste. Et c’est en ce sens qu’un flou, un amalgame a persisté pour les habitants. « Il était là pour essayer de faire quelque chose dans le quartier. Et il considérait que Carton Plein était là pour ça. Il avait l’impression que c’était une délégation de la mairie : elles étaient sensées être là, à la disposition des habitants, pour satisfaire leurs demandes. »58 Finalement, le statut des membres

de l’association était relativement trouble pour les résidents du quartier, mais il permettait cependant de croiser ces perceptions avec celles d’un public averti de leur démarche, qu’il s’agisse de la ville, de l’EPASE ou de “connaisseurs“.

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FIGURE 9 En 2010, le collectif Exyzt intervient sur la friche de l’ancien complexe sportif de Cebada pour “la Noche En Blanco“ marquant la réouverture du site Prise sur le site du collectif Exyzt, http://www.exyzt.org/city-island/ FIGURE 10 Le site est investi depuis 2011 par un groupement d’habitants du quartier nommée “Campo de Cebada“ Prise sur le site Public Space, annuaire d’espaces publics alternatifs http://www.publicspace.org/en/works/g362-el-campo-de-cebada

40 - UNE PERSPECTIVE DÉMOCRATIQUE POUR LA FABRICATION DE LA VILLE


En substance, si les riverains ne sont pas avertis de la valeur démonstrative d’une installation, de son inclusion dans une réflexion urbaine, elle peut passer tout à fait inaperçue et prise pour une appropriation de l’espace public par un tiers. Les pratiques du projet provisoire prennent différentes formes, en fonction des praticiens et de leurs objectifs. Les formes d’exercice des équipes pluridisciplinaires de Saint-Étienne se ressemblent mais ne sont néanmoins pas identiques. Alors que pour Carton Plein et Coop Roch, le projet provisoire est un outil d’analyse, de connaissance, de débat ou d’aide à la décision, pour d’autres collectifs français, il n’a pas le même but. Pour exemple, le collectif Exyzt propose des installations temporaires dans des délaissés pour lesquels la partie événementielle, festive est très importante. C’est le temps de l’événement qui est sensé générer des échanges et montrer de possibles espaces de convivialité et d’appropriation dans le tissu urbain. Les perspectives de résultats ne sont pas les mêmes, puisque d’un côté, à Saint-Étienne, la démarche temporaire permet de diagnostiquer un tissu urbain afin d’aboutir à un outils réglementaire d’urbanisme tel que le plan guide, et de l’autre, le moment architecturé ouvre des possibilités mais il n’est pas prolongé ou entretenu pour amener à un dispositif pérenne. En ce sens l’on peut comprendre la distinction nécessaire faite par Guillaume Pérache, chef de projet de la zone Sud-Est de Saint-Étienne59, qu’il existe une différence marquante entre le type d’interventions que propose le collectif ETC sur la place du Géant (Châteaucreux) et la Cartonnerie. La première n’a jamais été un espace public et n’a pas vocation à le devenir. Il s’agit d’un non lieu où il n’y a pas d’usage, ni d’habitant. La place du Géant a fonctionnée le temps de l’intervention du collectif, autour d’ateliers de construction de mobiliers et d’événements, mais après leur départ, puisque cet espace ne résultait pas d’une demande ou d’une pratique d’usages particuliers, il est devenu un espace d’agrément. Tandis que l’approche de Carton Plein à la Cartonnerie a consisté à créer un espace appropriable, à construire des usages avec les habitants et à s’ancrer, vivre dans un territoire qui leur était proche. La Cartonnerie continue d’exister car elle a mis au jour des besoins et des pratiques réelles, et les habitants se portent aujourd’hui garants de la continuité de la démarche d’intervention de Carton Plein en se l’appropriant avec leurs moyens. Les projets provisoires qui sont accompagnés par leurs concepteurs ont vocation à s’ancrer dans leur site (contexte bâti et social) et perdurer, tandis que ceux qui s’érigent en association principale à des célébrations ont vocation à se dégrader ou à exister sans usage.

59. Guillaume Pérache urbaniste référent à la Ville sur la zone Sud-Est de SaintÉtienne et responsable technique de l’opération SaintRoch. Les propos qui suivent sont issus de notes recueillies au cours d’un entretien.

Revendiquer une « ville laboratoire » - 41


60. cf. Sous la direction de MEADOWS (Fiona), Habiter le campement, Nomades, voyageurs, contestataires, conquérants, infortunés, exilés, éd. Actes Sud et Cité de l’architecture et du patrimoine, 2016

L’architecture éphémère fait l’objet de démarches différentes comme nous avons pu le noter précédemment. Il est à distinguer deux types principaux d’installations temporaires : - l’architecture test, destinée à révéler des besoins, à proposer de nouvelles structures d’appropriation ou d’espaces vécus - l’architecture qui ne dure qu’un jour qui trouve son sens et son existence dans l’association à un événement marquant ou marqueur. L’architecture test ou prototype permet de confirmer ou d’infirmer un postulat d’usage ou de pratique dans le milieu dans lequel il s’inscrit. Elle met au centre l’usager et est sensée se pérenniser si elle correspond aux besoins réels. Le prototype est construit selon une forme précise et un travail architectural du détail et de l’insertion dans son site. Elle reste tant qu’elle est utilisée, vécue par les usagers qui l’entretiennent. Elle se dégrade naturellement lorsqu’elle ne correspond plus aux besoins. L’architecture événementielle, quant à elle, est destinée à remplir des fonctions en lien direct avec un moment prévu, planifié. Elle peut être de l’ordre du mobilier ou du totem, pour marquer un temps fort. Elle est édifiée pour des célébrations communes ou culturelles. L’on pourrait prendre pour exemple, les pavillons issus des expositions universelles ou les aménagements exécutés pour des festivals60. L’architecture éphémère est principalement démontée ou détruite après l’événement passé. Elle peut rester occasionnellement, mais ne fait l’objet d’aucun entretien de la part des habitants des lieux, s’il y en a, puisqu’elle n’est pas ancrée dans le lieu pour ses usages ou ses pratiques sociales qu’elle investit temporairement. Les valeurs démocratiques d’échanges, de partage, de prise en compte de chacun des avis et de prise de décisions communes doivent être expliquées et font l’objet d’ateliers de présentation ou de sensibilisation. L’une des limites de ce genre de processus est que les valeurs idéologiques soutenues par une démarche itérative ne sont que peu perceptibles aux utilisateurs extérieurs. L’installation temporaire ne peut constituer une fin en soi et ces démarches se doivent d’entretenir une communication constante et ciblée sur les enjeux et valeurs pérennes de leurs pratiques.

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FIGURE 11 Manifestations culturelles, sociales et politiques se déroulent aujourd’hui sur le site Prise sur le siet Yelp, https://www.yelp.fr/biz_photos/el-campo-de-cebadamadrid?select=lkUmegBj-C_BnBb1CzM6_g FIGURE 12 L’installation répond à un besoin événementielle et performatif Prise sur le site du collectif Exyzt, http://www.exyzt.org/city-island/

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. LE PROJET N’EST PAS UNE FIN EN SOI

61. Les démarches qui favorisent l’action comme moyen de réflexion et de connaissance sont qualifiées de démarche de recherche-action 62. BONNEMAISON (Sarah) et MACY (Christine), «Pérennité, événement et temporalité», dans L’Architecture et l’Événement, Cahiers thématiques, École Nationale Supérieure d’Architecture et du Paysage de Lille, n°8, éd. Maison des sciences de l’homme, 2009 63. La pratique du parklet consiste à occuper une place de parking par du prototypage de mobilier ou d’une petite construction pour y accueillir de nouveaux usages (ex : des jardinières en limite de place pour créer des terrasses, ou dans le cas de Coop Roch une structure en bois composée d’assises, d’une table, d’une toiture légère et de jardinières).

Les démarches observées considèrent l’installation temporaire, la forme du projet provisoire comme un outil sensé nourrir la réflexion et un savoir sur le territoire. L’action génère de la connaissance61. Cette approche soutient que les connaissances et savoirs acquis au cours de l’expérience permettent d’adopter un regard plus fin sur le territoire d’étude. Ainsi Sarah Bonnemaison et Christine Macy nous en parle avec ces mots « Concevoir

l’architecture comme événement, c’est donner une prééminence à la notion de temps par rapport à celle d’espace. [...] Cet ancrage temporel permet d’insister sur les qualités sensibles d’une architecture perçue et vécue par l’usager [...] Le contraste issu de la rencontre de la masse de l’architecture avec l’éphémère suscite et augmente l’événement, en le rendant signifiant, en le figeant dans notre mémoire. »62 La construction éphémère favorise la multiplication d’événements

architecturés pour les ancrer dans les usagers et les acteurs. Cette approche construit un cheminement actif et réflexif autour d’œuvres communes pour renforcer et encourager la prise en main du projet urbain à venir. Les projets menés s’adaptent à une échelle spatiale et temporelle en lien directe avec celle des usagers. La réduction de cet espace-temps permet une reprise en main collective des lieux de vie. L’installation temporaire est une étape dans la fabrication du projet urbain, il n’a de valeurs qu’en vue de son appropriation future. Elle peut servir à démontrer par l’expérience la viabilité d’une idée. À Saint-Étienne, dans le cadre de la production d’un diagnostic du quartier Saint-Roch, l’équipe de Coop Roch a proposé de tester des usages sur l’une des rues d’entrée et de connexion du quartier à l’échelle de la ville. Il était proposé, dans un premier temps, dans l’étude de reconsidérer la place de la voiture sur la rue Antoine Durafour pour tenter d’y proposer une cohabitation plus égalitaire des espaces sur la voie, entre usages automobiles et habitants, commerces, piétons. Pour appuyer et vérifier le besoin d’intervenir et les formes possibles de cette intervention, l’équipe a mené un projet de parklet63. Pour ce faire, une estimation puis un montage financier ont été nécessaires pour que l’EPASE valide le prototypage. Par la suite, des dessins techniques, d’assemblage, des essais de construction et de matériaux ont permis de définir un prototype à l’échelle du quartier et de la rue, qui puisse se déplacer, se démonter ou se répéter. L’objectif de cet ouvrage de parklet était donc d’explorer les usages directement possibles sur les dimensions au sol d’une place de parking. Il s’agissait alors de proposer une installation a priori temporaire qui aurait vocation à se pérenniser si les usages étaient réels et en correspondance avec les besoins des habitants.

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0,30m 1,07m

0,30m 1,13m

JEU DE TROC Afin de valoriser le statut de ce coin de rue et d’exploiter son potentiel de lieu de rencontre de proximité, nous pensons installer une bibliothèque de troc qui permette aux habitants de se rencontrer par le biais des objets. Chacun est invité à échanger un objet dont il ne se sert plus, mais également à faire la médiation de ce dispositif plus éfficace lorsqu’il est animé. L’expérience ayant déjà été menée en âmont à titre expérimental, certains habitants ont manifesté leur envie de s’impliquer dans ce dispositif ludique et vivant.

biliothéque de troc

La structure étant montable et transportable elle s’adapte à l’espace public et peut éventuellement être rangée puis ré-installée de manière évenementielle ou transportée à d’autres coins de rue après le temps de la biennale. INSTALLATION ÉPHÉMÈRE TECHNIQUE : > echafaudage 30 cm de large sur le trottoir, entre les 2 panneaux 2m de hauteur, 4,5 m de long pas de scellements au sol PLANNING D’INSTALLATION: une semaine - Février 2013

FIGURE 13 Dessins et texte d’étude et d’intention pour une installation dans le cadre de Parcours de jeu Donné par Laurie Guyot, membre de Carton Plein FIGURE 14 Mise en scène théâtralisée des installations faites pour Parcours de jeu Prise sur le site/journal de la Cartonnerie, tenu par Carton Plein, http://lacartonnerie.blogspot.fr/2013/03/

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64. CARTON PLEIN, La Cartonnerie, expérimenter l’espace public, Saint-Étienne 2010>2016, p. 265

Cette structure bois est restée sur la place Saint-Roch. Le prototypage d’un aménagement architecturé, dessiné pour être réversible, devenait un outil d’étude et de mesure des besoins, des enjeux et des capacités d’appropriation liés à l’espace de la rue et de la place. Si l’ouvrage était utilisé, il perdurerait ; s’il ne l’était pas, il se dégraderait et serait donc démonté. Le projet de parklet a permis in fine de fournir un diagnostic d’usages de la rue, la simulation d’une forme architecturée et son appropriation réelle, tout en constituant un outils d’aide à la décision pour les autorités publiques et l’EPASE. Ce projet d’aménagement modulaire de l’espace public et de ses transformations a permis de solliciter les habitants indirectement, et d’envisager des outils de transformation immédiate. Cette combinaison dans l’ouvrage a permis, dans ce cas, de valider une partie du diagnostic et une forme d’action possible pour les projets futurs de l’équipe. Aujourd’hui en fin de phase diagnostic, l’équipe de Coop Roch débute la phase de fabrication d’un plan guide qui prendra forme selon un programme d’expérimentations. Alissone Perdrix témoigne de la fin de l’intervention de Carton Plein à la Cartonnerie : « En écrivant et en regardant tout ce que nous avons produit,

sur la Cartonnerie, dans la ville de Saint-Étienne ou ailleurs, ce qui me frappe c’est l’aspect non mesurable de nos réalisations. Nous n’avons rien laissé de pérenne, de palpable, de visible à long terme. […] Nos interventions modifient l’espace public, interfèrent avec la mémoire des lieux et, au mieux, réussissent à créer de nouveaux repères qui seront parties prenantes de la construction de l’identité de la ville. »64

Cet imperceptible que laisse la pratique de l’éphémère n’est pas physique mais mentale. La matérialisation construite des diagnostics et stratégies adoptées n’est plus une fin en soi mais une étape pour construire une conscience et un moyen d’agir collectif. Cette posture s’éloigne d’une conception classique de la discipline architecturale qui donnait, dans l’acte d’édifier, vocation à l’éternité, à la postérité aux gloires d’une société et de ses représentants. Cette idée rappelle le statut que nous donnons aux constructions qui devraient résoudre tous les maux et problèmes des lieux de vie dès leur édification. Anne Valtat, urbaniste référente de la zone Nord-Est de Saint-Étienne aux services de la ville, chef de projet du Crêt-de-Roc depuis les années 2000, spécialisée dans la reconversion des quartiers anciens, considère que son travail d’urbaniste réside avant tout dans la valorisation de cadre de vie décents et appréciables au quotidien. Afin d’atteindre les ”populations silencieuses”, qui n’apparaissent pas aux réunions publiques mises en place par la ville, qui ne se sentent pas concernées par les aménagements urbains, elle pense que l’espace du chantier est propice à éveiller la curiosité et à solliciter

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les avis des habitants65. Saint-Étienne rencontre dans son centre ancien un problème de gestion d’un parc de logement vieillissant et de nombreuses dents creuses. Bien qu’Anne Valtat travaille à une planification et une gestion foncière sur le très long terme, elle pense que l’aménagement temporaire des délaissés permet de capter les regards des habitants et de solliciter des actions communes. Il permet de fédérer, faire parler, relier et rencontrer66. Dans son travail d’urbaniste, l’aménagement temporaire devient donc une façon de passer, faire passer auprès de plusieurs publics et acteurs des intentions de transformations, des améliorations progressives du cadre de vie. Elles nourrissent une image meilleure du quotidien urbain et permettent de fonder, d’enrichir des bases de fabrication pour des projets futurs.

65. Les propos qui suivent sont issus de notes recueillies au cours d’un entretien avec Anne Valtat 66. ibid.

Le projet transitoire accepte de ne pas trouver formellement de solution immédiate, puisque l’enjeu principal n’est pas placé uniquement dans la forme architecturée mais dans la possession et l’appropriation des usagers, la création de lieux de vie propices aux échanges humains qui participent de la fondation stable du projet pérenne.

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67. JOUINI (Sihem), «Conception et interprofessionnalité dans et hors du projet» dans Interprofessionnalité et action collective dans les métiers de la conception, Actes des rencontres du Réseau activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme, op. cit., p. 61 68. Définition issue du dictionnaire Larousse, consulté le 3 novembre 2017, URL : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/expérimental_expérimentale_expérimentaux/32239 69. CHIAPPERO (Florent), Du Collectif Etc aux « collectifs d’architectes » : une pratique matricielle du projet pour une implication citoyenne, thèse de doctorat en architecture, Aix-Marseille université, soutenue le 27 novembre 2017, p. 86 70. CHIAPPERO (Florent), ibid., p. 87 71. On parle ici des praticiens tels que Corentine Baudrand, membre de Carton Plein, architecte, Catherine Gauthier, sociologue, Nils Svahnström, architecte-urbaniste, et Bertrand Rétif, urbaniste-paysagiste, membres tous trois de Coop Roch, équipe pluridisciplinaire sélectionnée par l’EPASE pour établir un plan guide et livrer un espace public au sein du quartier Saint-Roch

L’EXPÉRIENCE : UN OUTILS DE CONNAISSANCE VECTEUR DE TRANSPARENCE ET DE LÉGITIMITÉ L’expérience est un outils privilégié des praticiens, support à l’échange des connaissances entre ces derniers et les usagers. Ce procédé permet également pour les acteurs publics, telles que les collectivités, de confirmer ou d’infirmer des choix. L’expérience suscite par anticipation les complications futures ou les acquis. En reprenant les mots de Sihem Jouini « Chaque projet est singulier et permet de développer de nouvelles questions et de nouvelles explorations. Des connaissances nouvelles sont donc ainsi souvent produites à l’occasion d’un projet. Bien plus, le projet va générer souvent plus de connaissances qu’il n’en faut. »67 Le projet est valorisé dans ce sens comme un producteur et

un catalyseur de connaissances. Il devient un outils de diagnostic et d’étude. La méthodologie adoptée par Saint-Étienne prône l’expérience comme un outils de pratique, d’analyse et de connaissance. Souvent qualifiées de démarches “expérimentales“, nous nous attardons sur le terme pour en souligner le sens premier : « qui est fait, produit, fabriqué à titre d’expérience, pour en prouver les qualités »68 . L’expérience est un moyen empirique pour appliquer l’idéologie démocratique des projets transitoires. Cette fondation propose une alternative à une situation courante de la pratique urbaine détachée ou distanciée de l’objet d’étude. Dans sa thèse sur les collectifs d’architectes, Florent Chiappero apporte des compléments à la définition « les méthodes expérimentales scientifiques consistent à tester par des répétitions la validité d’une hypothèse. »69 ou « philosophiquement, l’expérience se réfère d’abord à tout ce qui relève de l’empirisme, c’est-à-dire de la connaissance acquise à travers l’expérience sensible, par opposition à ce qui relève d’une connaissance

La répétition des projets éphémères est une méthode qui prouve par l’expérience et stimule les acteurs et les usagers. Le processus fait ses preuves dans l’accumulation, ce qui permet de tirer des règles d’exercice et des analyses du terrain par l’itération dans le projet. pure et a priori »70

Selon les acteurs interrogés71, la présence continue des équipes transdisciplinaires et la mise en place répétée de projets temporaires permettent de donner un droit de regard à tous les acteurs. Il s’agit de faire croiser les regards et avis de chacun, de sorte que l’habitant comme l’EPASE puisse être

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à portée de la fabrication urbaine72. Cela permet de le soumettre aux critiques, de le mettre à l’épreuve. Les concepteurs deviennent le relais d’un projet plus grand, établissant un dialogue entre les échelles et les temps de fabrication. Ils redonnent une certaine transparence à la planification urbaine qui se déroule à Saint-Étienne. « L’hypothèse de Carton plein est de mettre en visibilité et en

partage le processus d’aménagement en misant sur une démarche indéterminée [...] Le choix d’ouvrir en amont du projet permet de rendre lisible la globalité du processus pour que le public en comprenne et en perçoive la logique et les enjeux et ainsi créer les conditions favorables au changement »73

Montrer et faire des projets à plusieurs voix n’est plus uniquement l’affaire d’une autorité éloignée puisque les concepteurs se font passeurs d’un “récit commun“. Au-delà d’un simple échange de pratiques et de connaissances, ce procédé est un moyen de faire accepter plus facilement les projets proposés, à courte ou longue échéance. Pour certains praticiens, comme Louise Neyret, chef de projet des quartiers Saint-Roch et Jacquard à l’EPASE, « C’est une légitimité aussi en tant qu’aménageur à faire sa place. »Par la suite elle précise « une légitimité à engager tout un quartier dans une démarche de mutation et d’évolution, et puis des actions beaucoup plus multiples. On n’est pas juste là pour faire des travaux d’espace public ou de démolition, reconstitution de logements. »74 Du point de vue

72. D’après les notes recueillies au cours de l’entretien avec Catherine Gauthier, sociologue, membre de Coop Roch 33. CARTON PLEIN, La Cartonnerie, expérimenter l’espace public, SaintÉtienne 2010>2016, p. 47 73. DEMERLÉ-GOT (Anne), « Interstices urbains temporaires », Archiscopie, n°78, éd. Cité de l’architecture et du patrimoine, 2008 74. D’après les propos recueillis au cours de l’entretien avec Louise Neyret, chef de projet à l’EPASE 75. DEMERLÉ-GOT (Anne), op.cit., 2008 76. Anne Valtat est urbaniste référente à la Ville sur le secteur Nord-Est. Elle est chef de projet du Crêt-de-Roc, et Desjoyaux-le Soleil. Elle est spécialiste des quartiers anciens. Les propos sont issus de notes recueillies au cours d’un entretien.

de l’aménageur, les projets temporaires permettent de donner une visibilité constructive de son travail et d’en favoriser la réception. Pour les concepteurs l’enjeu est assez proche également, car un projet co-construit en amont a plus de chance d’être mieux reçu, approprié et entretenu par les usagers. Le projet provisoire reste un outils, un élément de méthode destiné à construire un projet plus grand, plus long et mieux apprécié. Selon Anne Demerlé-Got « l’objectif visé réside ailleurs que dans la réalisation. Il niche dans les débats suscités sur place, dans la réflexion nourrie d’expériences accumulées et dans le renouvellement chaque fois unique de propositions. »75L’installation

temporaire suscite une appropriation rapide et provoque des réactions face à cette dernière. Ces modes d’expérimentation sont destinés à aborder un sujet ou une problématique précise. Le projet choisi dépend des enjeux décelés sur lesquels les concepteurs souhaiteraient avoir un avis critique de la part des usagers. Dans ce sens Anne Valtat76 a instauré l’installation de jardins potagers partagés en lien avec la future création d’un éco-quartier sur le versant Nord de Saint-Étienne, au sein du quartier Desjoyaux. La restructuration du

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77. CHIAPPERO (Florent), Du Collectif Etc aux « collectifs d’architectes » : une pratique matricielle du projet pour une implication citoyenne, p. 68

quartier et la construction future de l’éco-quartier ont donné lieu à plusieurs destructions laissant de nombreuses parcelles vacantes et inappropriables par les habitants. Pour faire la transition auprès des habitants, l’installation de jardins partagés les sollicite et les sensibilise à d’autres pratiques de leur quartier. Il s’agit de porter la vie du lieu sous de nouvelles formes et de créer des espaces de débat et d’échanges pour générer une dynamique de co-construction entre la ville et les habitants. Le projet provisoire accompagne ainsi le déroulement d’une autre structure urbaine qui s’ancre, par anticipation, dans les usages des habitants. Certains d’entre eux se sont par la suite investis dans les décisions de quartier et dans des commissions de décisions partagées. Nous pouvons souligner que le rôle classique d’un établissement public d’aménagement ou d’un aménageur ne requiert pas expressément une présence hebdomadaire sur les lieux. Le projet provisoire sollicite plusieurs intervenants sur des rencontres très fréquentes. Les dispositifs pluridisciplinaires ouvrent le champ des actions menées puisqu’elles sont basées sur une adaptation, un modelage du modèle d’intervention classique. La légitimité accordée se situe à la fois entre les acteurs institutionnels et les concepteurs du projet urbain, et aussi auprès des acteurs usagers qui sont convoqués à l’échelle plus locale. Florent Chappiero, par exemple, définit la pratique des collectifs en ces termes : « En détournant le concept de résidences artistiques et en l’adaptant à leurs propositions d’actions sous la forme d’une permanence architecturale, ces groupes vont et habitent, pour des durées plus ou moins longues, leurs territoires de projet. Ils y construisent alors des architecture en tant qu’habitant, même si les durées peuvent être parfois très courtes, laissant prédominer l’idée d’usage sur celle de la forme. »77 L’action même de l’aménageur et des concepteurs reprend du

sens face aux usagers de la ville grâce à leur mise en lien et les dynamiques que cela engendre. Leurs rôles s’adaptent au contexte dans lequel ils interviennent et non plus l’inverse.

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FIGURE 15 Plan du quartier Saint-Roch, des éléments structurants et de la zone d’intervention de Coop’Roch Pris sur la page Facebook de Coop’Roch, Saint-Roch s’éveille

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79. D’après un entretien avec Louise Neyret, chef de projet des quartiers Jacquard et Saint-Roch à l’EPASE

UNE PRATIQUE APPLIQUÉE À CERTAINS TERRAINS Nous avons observé comment l’expérience permet d’inclure des regards et des connaissances multiples au sein de l’analyse et du diagnostic du terrain, tout en asseyant la légitimité des projets auprès des acteurs et usagers de la ville de Saint-Étienne. Ce type d’expériences permet de s’immiscer dans un territoire afin de mieux le connaître. Mais il semble que le provisoire soit appliqué à un certains type de quartiers seulement. A Saint-Étienne les démarches observées n’ont été favorisées que pour des quartiers de centre ancien, majoritairement résidentiels, avec un tissu commercial de petite échelle, où une vie sociale était bien ancrée. La fabrication urbaine dans un contexte de centre ancien est caractérisée par une complexité de l’intervention. Elle est liée à un tissu constitué et très sédimenté qui est caractérisée par une approche individuelle et privée. C’est en ce sens qu’Anne Valtat parle d’une gestion urbaine “en dentelle“. Dans le cadre d’un entretien avec Louise Neyret, elle décrit ses sites d’intervention (Jacquard et Saint-Roch) ainsi : « Je ne suis pas sur des quartiers enjeux numéro 1 de la ville. J’ai un peu de liberté. Déjà je n’ai pas beaucoup d’argent sur les projets, et ce n’est pas la vitrine de SaintÉtienne. Ça l’est parce que le maire est convaincu que c’est important de ne pas laisser ces quartiers dépérir et péricliter. Mais clairement, ce n’est pas ce qu’on voit dans les livres d’archi. »79

La liberté de procéder sur le diagnostic de Jacquard et de Saint-Roch est liée au fait que ces projets ne sont pas des projets phares, destinés à porter ou illustrer la grande restructuration urbaine de Saint-Étienne. Guillaume Pérache insiste notamment sur le fait que l’attention politique ne se porte pas sur les collectifs. Leur échelle de rayonnement étant très réduite, les quartiers ciblés n’apportent pas de reconnaissance à l’échelle régionale ou nationale, contrairement à une entrée de ville, où les enjeux et les marges de manœuvres sont différents. Nous constatons un certain automatisme d’application des méthodes d’intervention transitoires dans un certain tissu urbain. Par exemple, le quartier de Châteaucreux, qui constitue une entrée de ville, ou des quartiers dits d’affaire, tel que Manufacture-Plaine Achille, n’ont pas fait l’objet de telles démarches. Et pour cause, les résultats attendus sont plus importants et sont perçus à grande échelle. Ces quartiers “stratégiques“ ont un tissu moins complexe car plus divers et où la maîtrise foncière est à la fois privée

52 - UNE PERSPECTIVE DÉMOCRATIQUE POUR LA FABRICATION DE LA VILLE


et publique, sur des emprises au sol beaucoup plus importantes que dans le centre ancien. La négociation est donc plus ouverte. Mais précédemment, des formes d’interventions éphémères ont existé brièvement pour d’autres projets du bassin stéphanois sous des formes plus courtes et “spontanées“. L’EPASE a tenté d’adapter les systèmes de fabrication urbaine pour chaque mission. Ainsi, bien que le processus de permanence n’ait pas été instauré à Châteaucreux, une première intervention temporaire du collectif ETC a permis d’inaugurer les opérations au niveau national. Mais Guillaume Pérache nuance le propos en appuyant qu’au delà de l’événement généré autour de l’édification temporaire, il est nécessaire de prévoir les structures administratives et les cadres qui vont déterminer les objectifs futurs de ces applications. En effet, en cas de mauvaise gestion ou de déprise des concepteurs, comme ce fut le cas avec l’intervention d’ETC sur la place du Géant après leur passage, la dégradation du lieu véhicule de mauvaises perceptions auprès des habitants et des utilisateurs potentiels. Si la gestion de l’espace d’intervention n’est pas anticipée, l’espace est laissé pour compte et devient stérile. Par la suite, l’EPASE a mis en place des contrats-cadres avec la maîtrise d’œuvre sur des temporalités anormalement longues, comparées au contexte national. Dans ce cas précis, le but est de garantir une certaine connaissance du terrain et un véritable ancrage des futurs projets. Nous pouvons donc souligner que l’EPASE tente de conserver les valeurs démocratiques portées par les équipes de maîtrise d’œuvre transdisciplinaires à plusieurs échelles, mais sans employer systématiquement les mêmes formes. Ainsi ce choix et la répartition des démarches choisies fait sens dans un souci d’efficacité opérationnelle et financière. De son côté, la ville met en application certains des concepts de l’installation temporaire pour la gestion des espaces publics. Par exemple, dans le cadre de la Biennale du Design de Saint-Étienne, l’agence municipale d’urbanisme s’est liée à Nathalie Arnoux, design manager de la ville, pour créer le programme Banc d’essai. Ce dernier installe du mobilier conçu par des designers pour des éditions antérieures ou dessiné pour l’occasion sur des espaces publics au cours de la Biennale. Cette période permet de tester si des usages s’y déroulent ou si l’ouvrage n’est pas approprié. En cas de réussite le mobilier est conservé et installé de façon pérenne sur place. En cas d’échec, il est simplement retiré. Pour Guillaume Pérache, il s’agit d’une façon de revaloriser des usages sans

Le projet n’est pas une fin en soi - 53


54 - UNE PERSPECTIVE DÉMOCRATIQUE POUR LA FABRICATION DE LA VILLE


FIGURE 16 Schéma directeur des projets urbains de l’EPASE pour 2025 Pris sur le site de l’EPASE, http://www.epase.fr

Le projet n’est pas une fin en soi - 55


80. D’après les notes recueillies au cours d’un entretien avec Guillaume Pérache 81. ibid.

refaire de grosses opérations clinquantes80. L’intervention ponctuelle permet de transformer sans être contraint d’investir de gros financements. Bien que la maîtrise du projet provisoire par les équipes de maîtrise d’œuvre pluridisciplinaires à Saint-Étienne se concentrent dans le tissu du centre ancien, des éléments de méthodes sont repris à d’autres échelles et pour d’autres terrains. Le processus est fragmenté pour être adapté à des enjeux financiers et politiques. En somme, nous pouvons constater que c’est la forme temporaire de la démarche qui prévaut dans les réinterprétations faites pour les interventions de l’EPASE en entrée de ville, ou pour la réfection d’espaces publics pour la ville. L’objectif est davantage immédiat et permet de dresser un portrait rapide et attirant pour de futures transformations. Enfin la mise en application d’une forme d’architecture éphémère permet de relier l’action opératoire à des usages identifiés ou soulignés. Elle est sensée atténuer la distance entre la planification pensée pour des habitants que l’on imagine, et ceux que l’on a, ceux qui existent. L’intérêt réside alors dans « le fait de pouvoir recaler, modifier et être au plus proche de ce qui est nécessaire »81.

56 - UNE PERSPECTIVE DÉMOCRATIQUE POUR LA FABRICATION DE LA VILLE


VALEUR EFFECTIVE DÉMARCHE

ET

SYMBOLIQUE

DE

LA

Les collectifs pluridisciplinaires revendiquent dans leur démarche une égalité d’action et un droit de regard de la part de tous les usagers du milieu urbain pour mettre à mal un système de planification qui semble encore très hiérarchisé et linéaire. En reprenant les termes d’Henri Lefebvre, nous pourrions expliquer ces valeurs ainsi « le droit à la ville se manifeste

82. LEFEBVRE (Henri), Le droit à la ville, 1968 cité dans CHIAPPERO (Florent), Du Collectif Etc aux « collectifs d’architectes » : une pratique matricielle du projet pour une implication citoyenne, p. 55 83. CHIAPPERO (Florent), op.cit., p. 89

comme forme supérieure de droits : droit à la liberté, à l’individualisation dans la socialisation, à l’habitat et à l’habiter. Le droit à l’œuvre (à l’activité participante) et le droit à l’appropriation (bien distinct du droit à la propriété) s’implique dans le droit à la ville »82 Ce postulat soutient une attitude démocratique dans la

fabrication urbaine qui devrait laisser ouvert les champs des possibles pour autoriser des modes d’appropriation plus larges et plus adaptés au contexte. Dans ce sens nous avons qualifié l’application de ces valeurs par le terme de démocratie active puisqu’elles prennent forme dans la mise en débat du milieu urbain, dans l’ouverture d’espaces de discussion, de projection. La perspective démocratique existe dans une mise en forme physique, construite par le biais d’installations temporaires. Le projet n’est pas une fin en soi pour les équipes pluridisciplinaires. Il est un outils, une méthode qui permet d’analyser, de diagnostiquer et d’intervenir sur un terrain d’étude. Il permet de créer et d’échanger des connaissances par le biais de micro projets pensés par plusieurs acteurs. Leurs collaborations répétées et diversifiées permet de mettre en lien, d’échanger et de donner une connaissance à tous des projets à venir. Le résultat de ces démarches est souvent imperceptible car il repose dans les acteurs usagers qui l’ont pratiqué. C’est dans ce sens que « Cette pratique […] s’inscrit dans une logique réflexive de la ville. »83 Il permet de rendre visible la planification urbaine et de la mettre en débat. Les valeurs portées par ces collectifs trouvent dans le projet transitoire une forme de connaissance et de passation. Cette pratique soulève donc des questions d’héritage des processus mis en place. Comme nous avons pu le mentionner, l’intervention de Carton Plein sur la Cartonnerie s’est faite en corrélation avec les habitants et les usagers pour créer et ancrer des usages divers dans un espace public en devenir. Cependant aujourd’hui, avec le départ de l’association, l’espace persiste et met en question le rôle supposé des plusieurs acteurs qui ont été impliqués.

Le projet n’est pas une fin en soi - 57


FIGURE 17 Évolution du site de la Cartonnerie avec l’aménagement de la Scène-sol entre 2010 et 2017 Capture d’écran à partir de Google maps avec l’outils “remonter le temps“

58 - UNE PERSPECTIVE DÉMOCRATIQUE POUR LA FABRICATION DE LA VILLE


C’est ainsi que Guillaume Pérache souligne la complexité que représente une action quelconque sur ce site désormais. Pour lui le point faible de ce projet reste sa passation puisqu’à l’heure actuelle l’immeuble qu’occupait Carton Plein a été repris par une association d’artistes contemporains, les habitants se sont appropriés les usages qui étaient stimulés sur la Cartonnerie, plusieurs personnes et acteurs sont prêts à intervenir, mais personne n’a été clairement identifié pour se charger de la mise en travaux de cet espace. Pourtant, le responsable lumière et éclairage de l’urbanisme du centre ville s’interroge sur leur action. Comment « refaire » cet espace ? A-t-il besoin d’être « refait propre » ? Intervenir de façon intégrale, radicale pour réellement transformer visuellement et spatialement le site de la Cartonnerie pourrait conduire à une perte des usages qui perdurent encore. Parmi le mobilier qui avait été mis en place, des installations tels que les bancs ne sont plus utilisés, mais les habitants continuent pourtant d’utiliser l’espace autrement. Bien que le projet ait laissé en héritage une façon de faire la ville et de l’habiter, d’un point de vue opératoire et architecturale, la répartition des charges et des missions est cependant moins claire et rend la transformation de l’espace public délicate.

84. CHIAPPERO (Florent), op. cit., p. 89

L’expérience mise en place comme une méthode est une façon d’« Identifier des espaces, y proposer des aménagements éphémères sur des

moments allant de quelques heures à quelques années, et accentuer ou susciter de nouvelles pratiques ou perceptions [...] Cela implique une pensée de la ville en mouvement »84 Elle s’adapte et transforme un milieu vivant. Elle permet

d’engager une transformation de façon visible et appropriable par les “oubliés“ de la planification urbaine. La fabrication collective a pour but de rendre le projet urbain plus transparent à plusieurs échelles et de donner les outils de compréhension et d’intervention à chacun des acteurs. Passer par le partage de l’expérience est également un moyen de redonner une légitimité aux acteurs institutionnels et concepteurs dans leurs actions. Leur pratique d’intérêt commun revient sur l’espace public et constitue un élément de partage et de débat ouvert. En somme, les projets transitoires et les démarches transdisciplinaires soutiennent une conception basée sur l’expérience, porteuse d’échanges et de connaissances partagées. Pour ce faire, différents outils sont déployés : la multiplication de temps courts d’ateliers, de présentations, d’installations destinées à accueillir des événements, ou à mettre en débat des propositions pour le futur. Ils sont des moyens d’établir un lien entre les acteurs opérationnels et les acteurs usagers. Le projet provisoire conçu comme une méthode permet

Le projet n’est pas une fin en soi - 59


de réduire les échelles d’intervention et de connaissance de chacun pour les mettre en relation efficacement. Pourtant, nous pouvons distinguer que ce type de projets, bien qu’inclus dans un pouvoir institutionnel à Saint-Étienne, restent tout de même appliqués à un certains type de terrain opérationnel qui ne semblent pas porteurs d’enjeux majeurs pour les collectivités. De plus, une fois les équipes de maîtrise d’œuvre pluridisciplinaires parties, le statut de ces espaces, leur histoire partagée et leur esthétique sédimentée autour de temps d’actions, deviennent des lieux appropriés mais où il est difficile d’identifier les prochains protagonistes. Cette démarche génère des interrogations jusqu’à la passation et la prise de décision du futur du site, puisqu’il devient l’affaire de tous et ne peut être dissocié des différents acteurs qui l’ont habité, transformé, bâti. C’est dans le croisement d’outils multiples et de temporalités adaptées que les collectifs d’architectes mettent en application les valeurs symboliques d’un milieu urbain démocratique.

60 - UNE PERSPECTIVE DÉMOCRATIQUE POUR LA FABRICATION DE LA VILLE


FIGURE 18 Évolution du site de la Cartonnerie avec l’aménagement de la Scène-sol entre 2010 et 2017 Capture d’écran à partir de Google maps avec l’outils “remonter le temps“

Le projet n’est pas une fin en soi - 61



II

Un intrant dans les systèmes de fabrication de la ville : application et limites opératoires FIGURE 19 CARTON PLEIN (2016) écosystème - épisode 6


. UN MANQUEMENT ENTRE LES AUTORITÉS ET LE TERRAIN 85. CARTON PLEIN, La Cartonnerie, expérimenter l’espace public, SaintÉtienne 2010>2016, coll. Recherche du PUCA n°229, éd. Carton Plein, 2016, p. 89 86. cf. LECOQ (Anne-Marie), Éphémère architecture, diffusé sur le site de l’Encyclopédie Universalis, consulté le 23 avril 2017, URL : http://www.universalis.fr/ encyclopedie/architectureephemere/ 87. cf. FEZER (Jesko) à propos de la doctrine de Léon Batista Alberti « l’harmonie et l’accord de l’ensemble architectural sont atteints lorsque plus rien ne peut être ni ajouté ni retiré sans que ce ne soit pour le pire » in CHIAPPERO (Florent), Du Collectif Etc aux « collectifs d’architectes » : une pratique matricielle du projet pour une implication citoyenne, thèse de doctorat en architecture, Aix-Marseille université, soutenue le 27 novembre 2017 88. Pour exemple, les expositions universelles appuyaient l’idée d’expériences architecturales temporaires qui constituaient des exemples reproductibles par la suite. Les ouvrages faisaient office de preuves du bon fonctionnement de l’architecture proposée.

Les propositions des équipes de maîtrise d’œuvre pluridisciplinaires qui font usage d’architectures éphémères sont encore très peu institutionnalisées. Ils font souvent l’objet d’appels ponctuels et très brefs de la part de certaines collectivités, mais ils ne sont inclus dans le processus général d’aménagement urbain qu’à Saint-Étienne (en ce qui concerne la France). L’utilisation d’installations temporaires est principalement liée à des démarches qui sont auto-initiées, indépendantes et revendicatrices en France aujourd’hui. C’est pourquoi, entre autres, elles font l’objet de certaines craintes d’un point de vue politique large. Cette frilosité est également liée à un aboutissement qui ne semble pas garanti. L’architecture n’étant pas considérée comme l’unique fin en soi, la forme du projet met en équilibre des cadres d’exercice courant pour les adapter, les transformer ou se les approprier. Comme nous avons pu expliquer précédemment, ce type de démarche nécessite un accompagnement sur le long terme pour prendre racine dans un tissu urbain et social constitué. Ces démarches itératives interrogent des aspects de la vie publique et les processus de fabrication urbaine pour les soumettre à l’avis critique de tous. « Ces expériences alimentent le questionnement sur la place donnée au débat public dans les choix d’aménagement et sur la capacité des sphères de pouvoir à laisser entrer ces démarches dans les processus décisionnels. […] Intégrer ce genre démarche aux grands projets urbains c’est prendre le risque d’ouvrir le débat

Le risque que mentionne Carton Plein demande une certaine ouverture et une confiance de la part des acteurs institutionnels qui pourraient considérer dans ce droit de regard une violation à leur liberté d’action. citoyen. »85

Nous constatons également une certaine fragilité dans la connaissance et la compréhension de ces démarches. En effet, la pratique de l’architecture éphémère reste une notion encore peu explorée et connue. Dans le cadre de la recherche et de la pratique architecturale, l’architecture éphémère n’est pas considérée comme une forme de l’architecture mais bien une discipline à part entière86, tant l’architecture dans sa définition devrait répondre à des impératifs de solidité et de pérennité87. Cette discipline refait surface grâce aux collectifs d’architectes qui communiquent de plus en plus sur leurs pratiques et leurs outils. Jusqu’à présent les architectures temporaires avaient vocation à servir de test, d’expérience pour confirmer la validité d’un projet, mais elles ne représentaient pas une fin en soi88. Selon Anne-Marie Lecoq « si l’étude des structures éphémères s’impose depuis quelque temps à l’historien de

64 - UN INTRANT DANS LES SYSTÈMES DE FABRICATION DE LA VILLE


l’architecture, c’est en raison de leur fréquente qualité d’invention et de leur valeur expérimentale : cette pratique permettait, en effet, aux architectes de faire des essais

89. LECOQ (Anne-Marie) op. cit. et CHIAPPERO (Florent), op. cit., p. 55

et des propositions grandeur nature et in situ »89 C’est donc les valeurs d’invention

et d’expérience que soutiennent aujourd’hui les équipes de maîtrise d’œuvre pluridisciplinaires à Saint-Étienne et ailleurs. Le projet provisoire est un moyen de confirmer ou d’infirmer des choix pour le grand projet urbain au cours de sa construction. L’éphémère permet toujours une réversibilité et une évolutivité de la proposition pour permettre d’aider à prendre des décisions. Ici nous devinons comment la notion d’expérience peut-être un atout et une incertitude lorsque l’on touche à la phase opérationnelle d’un projet.

Un manquement entre les autorités et le terrain - 65


90. Définition d’itération, Centre National de Recherche Textuelle et Lexicales, consulté le 26 décembre 2017, URL : http://www. cnrtl.fr/definition/itération 91. CARTON PLEIN, La Cartonnerie, expérimenter l’espace public, Saint-Étienne 2010>2016, p. 50 92. «Les Saprophytes» dans CHIAPPERO (Florent), Du Collectif Etc aux « collectifs d’architectes » : une pratique matricielle du projet pour une implication citoyenne, p. 55

UN SOUTIEN POLITIQUE NÉCESSAIRE Les équipes de maîtrise d’œuvre pluridisciplinaires soutiennent une méthode itérative (« une itération désigne l’action de répéter un processus »90). Liées à l’expérience in situ, elles affinent un processus de fabrication semblable à celui de la conception d’un projet construit en le répétant. La répétition de formes de projets temporaires variés permet de déduire les actions porteuses et les enjeux fondamentaux du site d’étude. Carton Plein en parle ainsi « La démarche expérimentale, itérative (avancer par essai-erreur) laisse le temps au dialogue, à la rencontre entre les mondes : voisins, artistes, ouvriers, aménageurs... tout en évitant les instances dédiées à la participation dont on connaît la stérilité »91 Ce processus, qui engendre des qualités que nous avons

pu évoquer précédemment, sort volontairement d’un cadre administratif et normatif standard. Ce faisant, la démarche itérative voit l’avancement dans un aller-retour constant. Les collectifs le revendiquent comme une méthode et un droit dans la pratique « les volontés exprimées par ces groupes

qui “défendent un droit à l’erreur, à la recherche perpétuelle, au questionnement, au tâtonnement“, objectif que l’éphémère permet grâce à la réversibilité que sa définition suppose. »92 Cette approche peut faire l’objet de craintes dans les

collectivités puisque qu’elle déstructure les cadres en place et soutient des actions dont le résultat n’est jamais prévisible ou garantit. La déstructuration des cadres se fait par l’altération des temporalités, l’application d’une méthode évolutive et la sollicitation d’acteurs extérieurs. Dans le cas de Saint-Étienne, l’EPASE permet de structurer les différents acteurs sous une même autorité. L’EPA dépend de l’État et vient compléter l’intervention de l’ANRU et des services de la ville sur la métropole sur des périmètres identifiés tels que Saint-Roch et Jacquard. Pourtant l’objectif d’un EPA reste d’aider une ville dans son développement urbain, en lui fournissant des moyens humains et financiers supplémentaires, à mettre en place les projets souhaités. Dans un souci de cohérence globale, l’EPA est placé sous la direction du maire de Saint-Étienne, qui est également à la tête de la nouvelle métropole. Tous les projets menés convergent vers le même projet de ville. Cependant chaque structure met à profit sa propre méthode avec les moyens dont elle dispose. L’EPA représente aujourd’hui un outils majeur d’action, grâce aux moyens humains et financiers dont il dispose. Au sein de ce système, les projets transitoires deviennent une méthode d’acupuncture, qui ne fait partie que de certains volets du projet

66 - UN INTRANT DANS LES SYSTÈMES DE FABRICATION DE LA VILLE


urbain. Guillaume Pérache souligne la nécessité de cette approche car elle permet un travail plus approfondi car plus proche des habitants et à l’écoute de leur diversité grâce aux différents formats d’intervention mis en place par les équipes pluridisciplinaires. En effet la ville, de ce point de vue, met en place des réunions publiques de concertation citoyenne, mais Anne Valtat souligne que ce format n’atteint pas toute la population habitante.

93. D’après les notes recueillies au cours de l’entretien avec Catherine Gauthier, sociologue, membre de Coop Roch

La mise en place de ces projets devient un engagement politique fort. Bien que l’EPASE ait formulé, dès sa création, la volonté de procéder par l’expérimentation, la réalité quotidienne des équipes de maîtrise d’œuvre est toute autre. Aujourd’hui sous contrat pour neuf années, le collectif de Coop’Roch se situe en porte-à-faux entre l’actuelle mairie et celles à venir. Pour palier à cette instabilité éventuelle, l’EPASE garantit leur bon exercice par le biais d’un contrat-cadre mis en place dès leur arrivée. Il est à noter que les équipes pluridisciplinaires ne sont pas dans l’obligation de demander une autorisation à la mairie pour chaque intervention. Il n’existe pas de permis d’occupation temporaire en ce qui les concerne, car ils restent prioritairement sous l’autorité de l’EPASE. Cependant cette situation peut amener à créer certaines tensions entre la ville et l’EPASE. Ainsi si une intervention est menée par Coop’Roch et qu’elle se déroule mal, qu’elle n’est pas bien reçue par les habitants, c’est la ville qui reçoit bien souvent les plaintes des riverains. On constate donc une certaine confusion aussi bien du côté des habitants que des autorités publiques qui rencontrent encore certaines difficultés dans la gestion des occupations temporaires et de leur héritage. Dans ce sens, Catherine Gauthier appuie le besoin d’un certains “courage“ politique93. Nous distinguons donc les difficultés de l’institutionnalisation de projets provisoires qui, par la volonté portée par les concepteurs de réorganiser des systèmes hiérarchiques, administratifs et juridiques en place, deviennent les seuls garants du déroulement des projets. Ce faisant les concepteurs doivent alors pouvoir manier les outils juridiques, les vocabulaires institutionnels et experts, pour garantir en eux la passation d’une réflexion de grande échelle. Ce processus est rendu possible et existe dans l’équilibre entre l’investissement et le soutien fourni par les acteurs institutionnels et la cohérence générale de tous les acteurs vers une perspective commune qu’est le projet urbain. C’est ainsi qu’Anne Valtat insiste sur la cohérence des différents cadres qui existent, il est nécessaire de construire une structure et un cadrage commun aux différents acteurs du projet urbain et de son application temporaire.

Un manquement entre les autorités et le terrain - 67


AVRIL

TEMPS

MAI

S OU EZ-V REND DU MOIS

EVENEMENTS

S OU EZ-V REND DU MOIS

4 AVRIL

Mercredi 18 AVRIL CITY YOUTH'S

LA CARTONNERIE TERRAIN DE JEU 2012-2013

JUILLET

JUIN S OU EZ-V REND DU MOIS

Vendredi 20 AVRIL CITY YOUTH'S

vendredi 1° JUIN FÊTE DES VOISINS

Du 11 au 20 AVRIL RESIDENCE WILLI DORNER - CHOREGRAPHE CARTON

S OU EZ-V REND DU MOIS

samedi 9 JUIN FÊTE DU JEU

PLEIN

ATELIERS JARDIN

EXPERIMENTATIONS JEUX

Ecole d'arts et design

ECOLES

LABORATOIRE/ RECHERCHE

CARTON PLEIN

ETUDE SUR LE JEU DANS LE QUARTIER

CHANTIERS CONTINUS

Atelier HORS LES MURS

APPEL A IDEES

BTS DESIGN

"TERRAIN DE JEUX - ETE 2012"

CHANTIERS WORKSHOPS

"REVEIL DE LA CARTONNERIE"

"NOUVEAU COSTUME" BTS DESIGN

1

3

2

assise collective Ateliers jardins Ateliers jardins protoypage mobilier modules de jeux

Ecole d'arts et design

modules de jeux

Atelier HORS LES MURS

TEMPS FORTS

QUI

ATELIERS JARDINS

1

AMENAGEMENTS DANS LE JARDIN

+ Matthieu Benoit Gonin (jardinier) et Julien De sousa (designer ) de Carton plein

+ Ecole d'arts et design + Collectif Open Sources + Matthieu Benoit Gonin

+ Habitants + Ecoles primaires

+ Carton Plein + habitants?

COMMENT

Fabrication d'un éventuel abris, d'un bac à compost et fabrication de nouvelles jardinières

+ plantations et matériel de jardinage

2100 € 1000 €

Conseil de quartier

2000 €

3

1/ JEUDI : Première couche de peinture par ISS.

5000 €

Atelier HORS LES MURS

FABRICATION DE MODULES DE JEUX

Ecole d'arts et design

+ 2 stagiaires de carton plein: Juliana Gotilla Lola Diard + CARTON PLEIN + Habitants

+ expérimentations éphémères sur site pendant 3 mois de stages.

2/ Vendredi et Samedi : Workshop peinture - invasion des usages sur le mur

EPASE

EXPERIMENTER DES MODULES DE JEUX

REMISE AUX NORMES DE LA CANISETTE

+ Services techniques VSE

Conseil de quartier + Intervenants : 7 interventions x 300€

94. CHIAPPERO (Florent), Du Collectif Etc aux « collectifs d’architectes » : une pratique matricielle du projet pour une implication citoyenne, p. 89

INTERVENTIONS SUR LE MUR

+ Entreprise ISS + CARTON PLEIN + Habitants

A base de Récupération de matériaux

PARTENAIRES

2

+matériaux de récupération et fabrication à l'atelier de la cartonnerie

EPASE

?

VSE

?

Conseil de quartier

Cité du design

7000 €

ENSASE

RENVERSER LA FRISE CHRONOLOGIQUE Contrairement aux processus classiques de planification urbaine, le jeux des acteurs est revu, il adopte une autre géométrie dans les projets provisoires. La pratique privilégie une mise en dialogue différentes des acteurs. Cette volonté se traduit par un renversement de la frise chronologique d’interaction des acteurs traditionnels. Le renversement de cette chronologie inclut également l’intervention d’autres acteurs, dont on peut compter les usagers. Chaque projet provisoire convoque de façon particulière des acteurs multiples sur des temps donnés. D’après l’étude de Florent Chiappero « Les situations générées provoquent alors des assemblages humains qui n’ont pas forcement cours dans des espaces plus conventionnels, et notamment sur le rapport particulier que ces groupent entretiennent avec l’usager. En abordant la question de la participation dans son sens large, nous verrons qu’une pensée des dynamiques politiques peut être formulée et abordée par le biais de nouvelles situations éphémères. »94 La multiplication des projets amène à créer un réseau large

d’acteurs initialement étrangers. Il s’agit de provoquer par la rencontre un contexte et des objectifs différents de l’exercice classique. D’un point de vue opératoire, les équipes de maîtrise d’œuvre pluridisciplinaires sont appelées pour répondre à la phase programmatique du projet urbain. Leur cahier des charges stipule le rendu d’un plan guide doté de pistes programmatiques et des

68 - UN INTRANT DANS LES SYSTÈMES DE FABRICATION DE LA VILLE

Cité du design

FABRICATION MODULES DE J


AOUT

DE JEUX

SEPTEMBRE

OCTOBRE

HIVER 2012

MARS

???

"PLANTATION D'ARBRES"

BIENNALE 2013 "HABITER LE VIADUC"

"TERRAIN DE JEUX - AUTOMNE 2012"

BTS DESIGN

4

QUEL AVENIR POUR LA PETITE MAISON DU COIN?

5 le la vil te à nnec se co erie rtonn La Ca Collectif OPEN SOURCES

assise collective

"allier design et jardin" : petits espaces de jeux

CARTON

PLEIN

Atelier HORS LES MURS CARTON

BTS DESIGN

FABRICATION D'UNE ASSISE COLLECTIVE

4

RE-IMPLANTATION DES ARBRES EXISTANTS

5

FONTAINE PUBLIQUE

CARTON

PLEIN

WORKSHOP CREATIF INTERNATIONAL?

Atelier HORS LES MURS

ATELIER DE CREATION

Collectif OPEN SOURCES

RECUPERATION + ARCHES = HABITER LE VIADUC

CARTON

PLEIN

PLEIN

PROGRAMMATION POUR LA MAISON DU COIN + Une maison de quartier en devenir? + Carton Plein réfléchie a une réactivation progressive:

Exemple :

1/ Revalorisation et intégration au site (peinture, etc)

2/ Ouvrir la maison et l'orienter sur le site Projet multi-partenarial:

Conseil de quartier

EPASE Cité du design Tôlerie Forezienne

2000 € 3/

Donner une vraie fonction de proximité, d'accueil à ce lieu ???

2000 €

Cité du design

VSE

?

VSE

?

VSE

EPASE

EPASE

formes d’intervention privilégiées (construction, destruction, restructuration, densification, etc.). Le renversement chronologique consiste, au sein de cette phase de programmation, à solliciter des experts usuellement dédiés à d’autres phases du projet urbain. En utilisant le projet comme moyen de conception, une étude du terrain comme un montage financier peuvent être nécessaires pour élaborer un projet transitoire.

95. CARTON PLEIN, La Cartonnerie, expérimenter l’espace public, Saint-Étienne 2010>2016, p. 47

Les allers-retours sont constants entre toutes les étapes de sorte qu’il ne s’agit plus d’un déroulé linéaire d’actions mais bien d’un maillage évolutif en fonction des projets proposés par les concepteurs. D’après Carton Plein « Mettre en commun l’enquête, diffuser les données (observations, connaissances d’un espace) et intégrer les dimensions sensibles et artistiques à l’aménagement d’un espace public, permettraient de mieux en partager les enjeux et in fine de mieux partager l’espace. »95 L’altération de la chronologie des échanges entre

les acteurs et leurs missions fédère tout à chacun autour du projet urbain. La temporalité brève de l’installation temporaire stimule l’action et ses participants en encourageant une communication et un échange réflexif sur la démarche globale au-delà de l’unique résultat architectural.

FIGURE 20 Frise chronologique des interventions de Carton Plein, nature, dessin et acteurs Donné par Laurie Guyot, membre de Carton Plein

Un manquement entre les autorités et le terrain - 69


96. Soit une période de six années. 97. CARTON PLEIN, La Cartonnerie, expérimenter l’espace public, Saint-Étienne 2010>2016, dans le Glossaire, p.18

LES CONCEPTEURS SONT DES PASSEURS Le rôle du concepteur dans une démarche itérative de projet, donne un sens plus large à la pratique d’architecte. Dans le cadre de l’institutionnalisation des démarches pluridisciplinaires, le projet transitoire nécessite un remembrement des interactions classiques entre les acteurs. Elles favorisent l’implication dans le projet urbain de représentants de l’échelle des usagers. Les concepteurs doivent avoir plusieurs compétences pour mettre en place les installations temporaires, être en mesure d’expliquer et communiquer leur démarche, et maîtriser les composantes réglementaires et administratives de la planification urbaine pour pouvoir appuyer sur plusieurs leviers en même temps. Cette situation s’illustre dans la fabrication d’une Scène-sol sur l’espace de la Cartonnerie par l’association Carton Plein. Suite à la construction de l’ouvrage en bois, le collectif se portait garant de son entretien et de sa mise à disposition aux porteurs de projet. Garantir l’évolution de cette ouvrage nécessitait un accompagnement et une offre de services assurés par le collectif tout au long de leur temps d’installation sur le site96. Ils présentent, dans leur Glossaire, la Scène-sol tel que suit : « 1 – Construction en bois pensée comme un espace réversible, pour le quotidien et les événements. […] 2 – La Scène-sol est un équipement propice à la diffusion culturelle et aux regroupements : elle fonctionne en articulation avec les ateliers Carton Plein […] Carton Plein propose un kit d’accompagnement pour faciliter la mise en œuvre : affichettes-type pour prévenir le voisinage de l’événement à venir, lien aux services de la Ville pour les différentes demandes d’autorisation, contact de producteurs locaux pour les boissons et nourritures, communication, carnet d’adresses, conseils logistiques divers... »97 L’équipe pluridisciplinaire fait usage

de toutes ses compétences pour assurer le fonctionnement de l’ouvrage. De plus elle met en lien des acteurs locaux et se positionne comme intermédiaire entre le terrain et les autorités publiques pour accompagner la faisabilité de projets extérieurs. Le travail du concepteur ne se limite plus au dessin, c’est la pluralité des disciplines contenues au sein de l’équipe qui permet de soutenir de façon cohérente l’aboutissement de chaque démarche entreprise. Pour définir davantage ce propos, Laurie Guyot, architecte de Carton Plein précise « Nous sommes une équipe pluridisciplinaire d’ailleurs (je suis la seule

architecte) et nous nous situons plutôt dans une posture de médiateurs en amont de la maitrise d’œuvre pour créer des cadres de projets collaboratifs qui favorisent justement l’émergence de projets de maitrise d’œuvre, peut être plus en lien avec le territoire et ses ressources (c’est notre ambition). […] Ce qui nous intéresse c’est

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faire «AVEC»; construire des processus ou cadres collaboratifs, des écosystèmes vivants pour penser les transformations à venir. Pour parvenir à cela nous travaillons sans cesse à créer des espaces de dialogues là où il n’y en a pas ou peu, à tisser des liens, pour sortir des dualités ambiantes qui colorent notre société et tenter de fabriquer du commun. C’est cette approche particulière qui nous positionne souvent dans une posture de médiation entre société civile et décideurs, ou entre mondes différents…Nous jouons un rôle de pont ou de passeurs en somme ! »98

Finalement dans le cas précis de l’exercice de l’installation temporaire, l’espace démocratique qui est proposé est porté par les concepteurs qui utilisent leurs savoirs et connaissances pour esquisser, fabriquer, concevoir mais toujours dans une perspective d’échange et de dialogue constructif. C’est en ce sens que les concepteurs endossent un rôle particulier qui s’appuie sur une base de savoirs experts comme un outil qui permet de partager et faire dialoguer des espaces, des idées à des échelles et vers des acteurs différents.

98. D’après les propos recueillis au cours d’un échange par e-mail avec Laurie Guyot 99. D’après les notes recueillies au cours d’un entretien avec Catherine Gauthier, sociologue, membre de Coop Roch

Les équipes de maîtrise d’œuvre sont porteuses d’une démarche contributive entre décideurs et usagers. Cet engagement démocratique nécessite une transmission et une sensibilisation à ces valeurs au sein des pouvoirs publics. D’après Catherine Gauthier, socio-anthropologue à Coop Roch « Le rôle des concepteurs dans le quartier est un rôle de médiateur qui

intervient pour tester des projets, impulser des idées mais qui ne se considère pas comme le décisionnaire final. »99 En stimulant le lieu sur lequel il pratique, le

concepteur sensibilise par les actions qu’il entreprend et qu’il co-construit. Dans un souci d’égalité, il est porteur de paroles et d’enjeux qui proviennent des usagers et qu’il met en forme pour orienter les décisions. Il remet au centre les usagers des futurs espaces comme premiers experts des lieux. Pourtant à Saint-Étienne ce propos doit être nuancé en fonction des deux cas de figures dont nous disposons. Carton Plein est une association qui est entrée en contact avec l’EPASE pour proposer ses services et ses savoirs dans le cadre de la définition du futur projet urbain. L’équipe pluridisciplinaire était composée de plusieurs profils professionnels dont seulement une d’entre elles était architecte. L’équipe se constituait principalement de jeunes diplômés. Coop’Roch en revanche est une équipe de praticiens stéphanois qui exercent depuis plusieurs années. Ils ont, avant cette expérience, développé un exercice professionnel principalement de maîtrise d’œuvre classique. Davantage, cette équipe a été sélectionnée suite à un appel d’offre. C’est en ce sens que la capacité de médiation devient l’un des éléments importants dans ce type d’exercice, cependant il reste avant tout un point de vue, une posture de la part des concepteurs, et non un métier en soi.

Un manquement entre les autorités et le terrain - 71


100. Entretien avec Stéphane Quadrio, directeur de l’Aménagement à l’EPASE dans CARTON PLEIN, La Cartonnerie, expérimenter l’espace public, SaintÉtienne 2010>2016, p. 88

Stéphane Quadrio revenait sur l’occupation de Carton Plein en ces termes « Je trouve que l’expérience ensuite d’immersion en continu que Carton Plein

a pu défendre en étant sur place a démultiplié les effets, parce que non seulement il y avait un espace public qui était supposé montrer ce qui était en train de se passer dans le quartier, mais il y avait aussi un acteur nouveau dans le paysage qui justement pouvait se positionner comme médiateur ou intermédiaire entre l’aménageur et ses gros sabots, la ville et ses nombreuses contraintes de gestion, et l’habitant et ses petits problèmes de quotidien »100

L’équipe pluridisciplinaire s’adapte à plusieurs échelles d’intervention et maintient un dialogue entre les acteurs institutionnels et les acteurs usagers. Par l’expérience, elle sollicite et met en lien les avis divergents pour les structurer autour d’une action commune. Incarnant une force de proposition, les concepteurs se positionnent entre des échelles et des temporalités divergentes pour que les objectifs et moyens de chacun puissent contribuer à une œuvre commune. Ils mènent à la fois un diagnostic collaboratif sur le terrain, ils nourrissent une réflexion constante sur les processus de fabrication urbaine, la profession d’architectes et les outils dont ils disposent, et, à la fois, ils servent d’aide à la décision par les actions test proposées.

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Un manquement entre les autoritĂŠs et le terrain - 73


. LE PROCESSUS EN HÉRITAGE : QUELLES FORMES POSSIBLES ? 101. CARTON PLEIN, La Cartonnerie, expérimenter l’espace public, SaintÉtienne 2010>2016, p. 265 102. Ibid., p. 86

Le projet transitoire accepte de ne pas formellement trouver de solution immédiate, puisque l’enjeux principal n’est pas placé dans la forme architecturée mais dans la possession et l’appropriation des usagers, la création de lieux de vie propices aux échanges humains. Alissone Perdrix qualifie l’approche de Carton Plein : « En marge des propositions classiques, déconstruisant en permanence le cadre de la commande, nous revendiquons haut et fort la notion de processus comme méthodologie. »101Le processus tel que définit par Alissone

Perdrix est l’aboutissement de la démarche. Cet aboutissement reste flou dans un cadre réglementaire restreint car, puisque la majorité des interventions proposées sont amenées à disparaître ou à se transformer sur elles-mêmes, il ne reste comme héritage de l’action menée presque aucune trace physique, palpable. Cet héritage est porté par les concepteurs et les acteurs éphémères investis dans les projets collectifs. « Ces méthodes d’activation et d’implication des habitants, que certains nomment donc “acupuncture urbaine“ fertilisent l’espace public. […] cela implique un travail de synergie entre acteurs des politiques publiques, aménageurs, société civile, habitants et dynamiques collectives... L’éphémère et l’imaginaire deviennent alors de possibles moteurs de transformations pour tenter d’ouvrir des espaces de discussions et de projections. »102La valeur accordée à ce

type de démarche est bien celle de l’apprentissage mutuel de l’action urbaine qui est rendu possible ou accessible par différents leviers. L’apport qui souhaite être pérennisé est celui du processus. Il devient l’héritage du projet mis en place et qui a disparu. Dans ce sens Carton Plein avait imaginé, au cours de la Biennale du Design, un parcours urbain structuré par des interventions architecturées commandées à des designers. Parmi les installations il y avait : un rocher récupéré dans la nature environnante de Saint-Étienne et disposé sur une place, la création d’une signalétique qui venait souligner et rendre appropriable le parking de la médiathèque, la mise en place d’un mur de petites annonces volontaires destinées à être utilisées par les habitants pour les mettre en réseau à l’échelle du quartier, puis un collage de citations d’habitants sur leur vie quotidienne mis en exposition sur près d’un kilomètre le long du périphérique. Ce parcours a fait l’objet d’une inauguration déambulatoire qui était présentée par Hervé Agnoux, artiste comédien, qui prêtait sa voix au collectif et aux designers pour amener avec lui le public et solliciter son regard critique en mettant en scène les installations. Parmi ces dispositifs, l’un d’entre eux, les citations sur le mur de la rocade, a été retiré par les services de la mairie au cours de la semaine de la Biennale. La seule forme architecturée qui ait persistée est celle du mur de petites annonces qui a été utilisée pendant quelques temps suite à son installation. Cependant il n’a jamais rencontré un grand engouement et s’est progressivement retrouvé délesté de ses usages.

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Cité du design 1 Cité du design

2 École publique Montaud

3 Bibliothèque Carnot La Cartonnerie 4 Square Vittone 5 Rue Jules Ledin 6 Boulevard Alfred Musset

7 Rue Etienne Dolet

ANCRAGES À SAINT-ETIENNE + MURS EN JEU

8 Rue du Coin

MURS EN JEU

9 Parc Couriot Le Clapier

ANCRAGES À SAINT-ETIENNE

FIGURE 21 Carte d’implantation des interventions menées par Carton Plein dans le cadre de Parcours de Jeu Donné par Laurie Guyot, membre de Carton Plein

Le processus en héritage :quelles formes possibles ? - 75


103. CHIAPPERO (Florent), Du Collectif Etc aux « collectifs d’architectes » : une pratique matricielle du projet pour une implication citoyenne, p. 52 104. cf. Entretien avec Catherine Gauthier, préconiser ne veut pas forcément dire que l’équipe sera sélectionnée pour la construction du projet

Aujourd’hui il existe toujours mais n’est plus entretenu. C’est ainsi que l’on perçoit la notion d’un héritage d’usage qui s’efface progressivement. L’héritage est intellectuel et pratique car il ouvre des possibles pour lesquels les acteurs institutionnels et les acteurs usagers possèdent désormais les outils. Pour mettre en exergue ces pratiques il est nécessaire de percevoir la distance qu’il existe entre l’approche théorique et militante de telles démarches. Il est indispensable de décortiquer chacune des approches possibles tant la mise en pratique et en expérience de telles pratiques induises des systèmes de fonctionnement loin du protocole et donc difficilement qualifiables. Florent Chiappero insiste sur les formes propres à chaque collectif « Apparemment, toute forme d’organisation collective est unique. Chaque groupe semble avoir sa propre forme d’organisation quotidienne, de gestion des relations humaines, de gestion comptable, de gestion de suivi de projets, etc. »103 . Il est cependant intéressant de

comprendre comment l’exemple de Saint-Étienne constitue un engagement politique et social majeur dans le contexte actuel français de la fabrication urbaine par sa tentative d’institutionnalisation de telles démarches. Ce faisant les démarches transitoires, autrefois qualifiées d’alternatives, tendent à être légitimées et normalisées dans un paysage politique commun. D’un point de vue réglementaire, ces démarches sont encadrées dès le départ par la rédaction d’un cahier des charges, de la part de l’EPASE et de l’équipe de maîtrise d’œuvre répondant à l’appel d’offre, qui explicite, d’une part, les attendus réglementaires et de résultat, d’autre part, les stratégies d’approches et les dispositifs mis en place pour aboutir à la demande institutionnelle. Nous pouvons nous interroger sur l’effet de l’institutionnalisation sur les démarches des collectifs. Les équipes de maîtrise d’œuvre telles que Carton Plein ou Coop Roch sont mandatées par le biais de contrats-cadres de plusieurs années dont l’objectif final est d’aboutir à un plan guide. Ces démarches s’associent donc au temps de programmation dans un projet urbain. Leur rôle n’est pas in fine de proposer un projet construit sous la forme de l’esquisse mais bien d’anticiper et de préconiser des mesures d’application104. Par la suite ce cahier des charges évolue constamment, il est le support des échanges au cours des commissions techniques avec les divers acteurs du projet. Ce cadre est donc revu en permanence pour s’adapter à l’évolution de la démarche. Bien que chaque praticien formule, à sa façon, les enjeux de ce qu’il reste après leur disparition, bien souvent il s’agit de revendiquer un droit

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d’action et de laisser en héritage une recherche expérimentale qui permet à d’autres de toucher de plus près les méthodes à mettre en place pour mener à bien des transformations des lieux de vie dans une approche démocratique. À ce sujet, Guillaume Pérache insiste sur la nécessité d’une cohérence et d’une concertation entre les services de la ville, l’EPASE et les équipes de maîtrise d’œuvre. En effet, l’héritage du processus appliqué est souvent avorté suite à un abandon des structures édifiées et pour lesquels les services techniques de la mairie se retrouvent à charge de les entretenir105. Il s’agit de lier une pratique à une recherche plus large de l’exercice urbain pour tenter d’en définir de nouveaux cadres possibles destinés à revaloriser des champs mis de côté ou des méthodes qui ne sont plus systématiquement adaptées au contexte dans lequel elles interviennent. Nous pouvons ainsi nous référer aux champs de recherche du PUCA et aux différents ouvrages publiés par les concepteurs eux-mêmes pour diffuser leurs méthodes et leurs expériences106. La multiplication des témoignages permet de saisir la complexité de mise en place des projets provisoires dans le milieu urbain. L’expérimentation institutionnelle à Saint-Étienne est unique et constituera une nouvelle piste d’exploration de la faisabilité urbaine à l’échelle nationale.

105. D’après les notes recueillies au cours d’un entretien avec Guillaume Pérache 106. Nous parlons ici particulièrement des démarches de rechercheaction, se référer au Détour de France, du Collectif ETC, aux retours d’expérience concrets d’autres collectifs (film documentaire De grands travaux nous attendent de Hadrien Basch, Karolina Błaszyk et Jean Boiron Lajous sur le projet du village de Lanas en Ardèche, film prévu et cycles de conférences de Carton Plein, écriture collective de Pixel 13, etc.)

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107. CHADOUIN (Olivier), «La confiance comme conséquence. Les conditions de la coordination architecturale et urbaine» dans Interprofessionnalité et action collective dans les métiers de la conception, Actes des rencontres du Réseau activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme, Cahiers Ramau 2, PUCA, édition Thérèse Evette et Estelle Thibault, 2000, p. 125

DES CADRES À ADAPTER L’intervention classique correspond à une succession de temporalités identifiées qui peuvent être requestionnées par d’autres acteurs plus tard, mais jamais dans le temps même de son élaboration. Les cadres administratifs et juridiques qui encadrent les démarches transitoires n’existent pas encore. Chacune des expériences faites constitue un témoignage, une méthode propre d’intervention. Un exemple est donc constamment relatif à la situation et la temporalité du projet mis en place. Pourtant le processus de fabrication urbaine classique a fait ses preuves et reste effectif dans sa globalité. L’interrogation porte sur son altération et son adaptation possible à des terrains d’étude plus spécifiques. Le protocole standardisé de planification urbaine met en place une distanciation certaine avec le terrain. De ce fait, l’opération par le projet transitoire propose d’ouvrir des brèches dans la chronologie des étapes de fabrication urbaine. Dans la redistribution de cette chronologie, les experts de différents temps d’études sont convoqués simultanément de façon récurrente. Leur mise en dialogue est à géométrie variable. Le déroulé n’est plus linéaire ce qui évite des omissions ou mauvaises interprétations du travail des uns ou des autres. Cette géométrie complexifiée est rendue possible par la mise en place de chartes communes ou de contrats-cadres sensés évoluer en permanence. Le cadre administratif et juridique à appliquer est fluctuant mais tente de s’approprier les protocoles existants dans un souci d’héritage et de continuité d’évolution du milieu urbain. Ce cadre, alors même qu’il est fixé dès l’appel d’offre de l’équipe de maîtrise d’œuvre, fait l’objet d’ajustements chaque mois, tant sur les objectifs, que le contenu des étapes et leur mise en forme. « En outre, comme l’indique le terme “charte“ lui-même, on a affaire

à un document “souple et organisateur“ qui ne fonctionne plus sur le registre du réglementaire mais sur celui de la règle du jeu. En faisant tenir ensemble dans le même document architecture et urbanisme, la coordination fonde donc une base de compromis entre ces deux lectures de la ville. »107 Le cadre est polymorphe

pour s’adapter au fur et à mesure de l’avancement du projet. Il permet de faciliter l’action, de la remettre en question, tout en garantissant une forme opérationnelle. Le contrat-cadre ou la charte est donc un outils d’accompagnement qui permet à la fois d’agir sur l’action menée et d’en faire un objet de recherche constante. En conséquence, Anne Valtat et Guillaume Pérache insistent sur la nécessité de construire des cadres communs entre les services de la ville et ceux de l’EPASE. Si ces cadres n’existent pas, des

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espaces de frictions sur des questions de gestion, d’entretien ou de démolition des installations proposées par l’équipe de maîtrise d’œuvre. L’un des enjeux qui persiste à Saint-Étienne reste donc le dialogue entre les structures et les systèmes d’autorité qui encadrent les démarches de projets transitoires. Aujourd’hui cette relation est basée, uniquement à titre consultatif, sur le choix d’un responsable technique, qui est Guillaume Pérache, détaché par les services gestionnaires de l’urbanisme de la ville pour suivre ou accompagner les actions des équipes de maîtrise d’œuvre pluridisciplinaires. Il s’agit donc de s’adapter aux capacités des services gestionnaires, à la création d’un cadre d’exercice et de décision partagé puis aux moyens des services techniques de la ville pour garantir un dialogue pérenne et des échanges fructueux.

Le processus en héritage :quelles formes possibles ? - 79


108. JOUINI (Sihem), «Conception et interprofessionnalité dans et hors du projet» dans Interprofessionnalité et action collective dans les métiers de la conception, Actes des rencontres du Réseau activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme, p. 62 109. «Collectif ETC» dans Villes inventives, Palmarès des jeunes urbanistes, éd. Parenthèses, 2012

UN ORGANE RÉFLEXIF Les projets provisoires sont utilisés comme des outils permettant d’appliquer l’idéologie d’un milieu urbain plus démocratique. Davantage pratiquées et plus facilement mis en place à l’échelle architecturale, au sein d’un projet urbain ces formes d’exercice rencontrent de plus amples difficultés liées aux échelles et aux temporalités d’intervention. Provenant de démarches engagées politiquement et socialement, l’intervention provisoire est un moyen de résoudre des problèmes rapidement sans empêcher l’évolution et la transformation future des espaces. Ces pratiques se fédèrent autour de l’itération qui veut que l’aller-retour, l’avancement par l’erreur soit un moyen résilient de répondre aux enjeux relevés. Dans les structures des collectifs pluridisciplinaires elles soutiennent une souplesse des cadres juridiques et administratifs, l’une des principales difficultés rencontrées à Saint-Étienne. Selon Sihem Jouini, parmi les manquements constatés dans le processus de planification urbaine, les objets de transformation prioritaires sont les suivants : « Une première voie pourrait être celle de l’étude des dispositifs

organisationnels de préparation en amont et de la capitalisation en aval des projets, en tenant compte des caractéristiques organisationnelles des structures de maîtrise d’œuvre (la fragmentation, la taille, etc.). »108 Les travaux menés par chaque

collectif intervenant deviennent, dans ce sens, une ressource pour les autres praticiens et les générations futures. Là où l’expérience est une revendication démocratique active de la fabrication urbaine, elle prend la forme d’un outils de transmission. Les projets temporaires sont une ressource pratique et théorique. Ils défendent une vision du milieu urbain qui est et se doit d’être en constante évolution. Ils tentent de répondre à plusieurs questions et problématiques soulevées par l’aménagement urbain constitué encore comme une démarche linéaire et hiérarchisée. À l’opposé d’un projet figé qui contiendrait des éléments de transformation en son sein, les collectifs préfèrent une multitude de réponses évolutives qui incarnent des échelles, des sujets et des solutions différentes. Ainsi le collectif ETC avance « Une ville est

prête à payer 500 000 euros pour refaire une place qui au bout de 20-30 ans sera à refaire. Si on met 50 000 euros pour une réalisation dont l’usage est estimé à trois ans, avec la même somme, nous pouvons construire dix projets » 109. Elles-mêmes

sollicitent alors la prise en main active des usagers et acteurs du territoire comme des passeurs et plus uniquement comme des constructeurs.

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Ces projets tentent de mettre en exergue une richesse d’intervention et de réponses dans la pluridisciplinarité qui les compose. Convoquant des pratiques diverses tels que le design, l’animation, l’architecture, le paysage, l’urbanisme, la médiation, l’art, les services paysagers, les entreprises, les habitants, les écoles et les parents, elles mobilisent de nouveaux champs pratiques qui prennent place dans le fondement d’un projet urbain. À l’origine de la recherche, nous postulions que la ville incarne et représente tous les maux et vertus d’une société. La ville est perçue comme une cristallisation d’écosystèmes composés des habitants, des activités et des politiques mises à l’œuvre. Les collectifs transdisciplinaires proposent de mettre cette théorie en application par le prisme des “acteurs multiples“ qui sont convoqués physiquement et plus uniquement théoriquement sur le projet urbain.

110. Site du Collectif Etc, URL : http://www.collectifetc.com dans CHIAPPERO (Florent), Du Collectif Etc aux « collectifs d’architectes » : une pratique matricielle du projet pour une implication citoyenne, p. 52

Les démarches transitoires, autrefois qualifiées d’alternatives, tendent à être légitimées et normalisées dans un paysage politique commun par l’exemple de Saint-Étienne. Faisant parti d’un tout institutionnel, les équipes de maîtrise d’œuvre ne représentent pas, bien sûr, la majorité des projets mis en place par la métropole. Mais elles constituent, de fait, une inspiration pour d’autres projets à d’autres échelles. « “L’objet et l’intérêt de

ces expérimentations urbaines n’est pas seulement dans le résultat, mais surtout dans le processus qui le génère et dans le nouvel environnement et les nouveaux comportements qu’il engendre“. Ainsi, nous comprenons qu’il existe chez eux (les collectifs d’architectes) une volonté de sortir des cadres réglementaires, mais aussi de poser de nouveaux cadres de l’imaginaire. »110 Alors que nous pouvions cibler

précisément que ces démarches étaient encore aujourd’hui cantonnées à des secteurs de la ville supposés « secondaires », il est intéressant de spécifier qu’une certaine forme de méthode est reprise pour des secteurs de « premier ordre ». Le projet transitoire n’est pas exercé dans sa forme spontanée, mais l’on en extrait les fondements pratiques et théoriques pour entretenir des liens de compréhension et d’héritage entre l’aménagement urbain et son territoire. En sont retirés les partenariats entre maîtrise d’ouvrage, d’œuvre et d’usages multiples sur une temporalité longue et itérative. Les projets d’entrée de ville de Saint-Étienne endossent ainsi des géométries particulières pour leur exécution, dépassant les cadres juridiques d’actions participatives, études préliminaires et plan d’esquisse cantonnés à des temps usuellement calibrés. Ici la maîtrise d’œuvre s’engage dans une temporalité longue et fluctuante entre les acteurs pour aboutir à un projet spécifique.

Le processus en héritage :quelles formes possibles ? - 81


Finalement il n’est pas convenu que les projets transitoires soient une méthodologie pratique à appliquer en toutes circonstances mais leur valeur théorique commence à s’affirmer. Il s’agit de penser un projet urbain à l’image de son milieu qui se voudrait en constante évolution. Le projet, employé comme un outils, devient une valeur intellectuelle, une structure réflexive au sein d’un tissu d’acteurs opératoires. Le collectif de maîtrise d’œuvre propose, au-delà de la conception et la livraison d’un projet, d’interroger la fabrication urbaine et ses composantes. Changeant de géométrie et d’angle d’attaque en permanence, elle devient un outil réflexif qui accompagne le travail opérationnel des institutions actuelles. Dans ce temps de précipitation opératoire, les démarches transitoires permettent de faire un point, se focaliser sur des enjeux très ciblés et majeurs, tout en prenant du recul, pour encourager une pratique de la conception plus large et plus lente afin de garantir un avancement démocratique de nos modes de planification urbaine.

82 - UN INTRANT DANS LES SYSTÈMES DE FABRICATION DE LA VILLE


Le processus en hĂŠritage :quelles formes possibles ? - 83



CONCLUSION


Dans le cadre de l’exercice du mémoire de fin d’étude, ce travail a choisi de s’intéresser aux installations temporaires et aux phénomènes de projets transitoires appliqués à l’échelle urbaine. Nous proposions d’orienter la réflexion sur l’intégration idéologique, juridique et factuelle de tels projets dans les systèmes de fabrication des villes. Pour cela nous avons choisi SaintÉtienne comme terrain d’étude puisque cette métropole met en application son Grand projet de ville depuis dix années. Pour ce faire, les collectivités et les structures étatiques avaient proposé en 2007 de fabriquer l’urbain “autrement“ en privilégiant l’expérience progressive et l’apprentissage de la faisabilité par l’action. Ce mémoire s’est appuyé sur une phrase de Siegfried Kracauer, qui suggérait en 1995 que « La valeur d’une ville se mesure au nombre de lieux qu’elle réserve à l’improvisation. » Cette citation a permis de mettre en perspective la liberté d’action dont disposent les citoyens et acteurs au sein de nos milieux de vie. Il était donc proposé de réfléchir aux modes de fabrication urbains et la façon dont ils pouvaient devenir plus démocratiques dans leur faisabilité. C’est ainsi que les projets d’architectures provisoires ou les permanences de maîtrise d’œuvre sont apparues comme des brèches propices à ce questionnement. En quoi les pratiques de projets urbains provisoires peuvent-elles constituer une méthode à suivre pour fabriquer une ville pérenne ? Les équipes de maîtrise d’œuvre pluridisciplinaires proposent, depuis leurs origines, de favoriser et installer le débat citoyen dans et sur l’espace urbain. Ce faisant, elles utilisent des outils tels que des ateliers, des chantiers, des installations ou architectures éphémères afin de solliciter paroles et actions. Ce type de démarches permet de redonner à chacun une expérience et des outils afin d’agir sur la ville à sa propre échelle. Toujours auto-initiées, à Saint-Étienne, l’un des enjeux était d’institutionnaliser ces pratiques pour les amener à nourrir le projet urbain de grande échelle. Ce type de dispositif a été appliqué ponctuellement sur des terrains spécifiques : des quartiers de centre anciens qui font l’objet de “reconversion“, “réhabilitation“ urbaine. Les principaux enjeux de ces quartiers sont de conserver le tissu social mis en place par les habitants, d’améliorer les conditions de logements et de vie dans l’espace public. Ces sites d’intervention ont une échelle réduite mais sont composés d’un tissu social et urbain complexe. Il ne s’agit pas d’y implanter des équipements ou édifices de grande échelle, puisqu’ils ne constituent pas la “vitrine“ du projet urbain stéphanois. C’est dans le cadre d’appels d’offre que les équipes de Carton Plein et de Coop Roch ont été amenées à intervenir.

86 - Conclusion


Leurs formes d’action diversifiées et complexes ont donné lieu à des contratscadres de plusieurs années qui évoluent en fonction des besoins et de la priorité des interventions à mener. Puisque le processus proposé est itératif, la connaissance et les préconisations d’intervention sur le terrain se font au fur et à mesure des expérimentations menées. Le cadre juridique et administratif se doit donc d’être flexible. Ce n’est pas sans créer une certaine peur de la part des élus car cette démarche de recherche-action permet de donner et convoquer des outils divers et complexes qui nécessitent un certain lâcherprise de la part des autorités publiques. C’est en ce sens que les concepteurs sont amenés à prendre en main la passation entre les habitants, leurs besoins réels, et les élus et les protocoles réglementaires du projet urbain. Les propositions d’intervention par l’installation temporaire sollicitent de multiples acteurs. C’est grâce à la multiplication et la diversification des projets et de leurs enjeux que les acteurs se rencontrent, se côtoient et échangent afin de tenter de trouver, ensemble, des solutions immédiates. Finalement ce n’est pas le projet qui est le plus important, mais le processus et la méthode adoptés qui le deviennent. L’intervention de ces équipes de maîtrise d’œuvre urbaine pluridisciplinaires permet l’émergence d’une perspective démocratique active qui devient un outil d’action et de réflexion au sein des dynamiques opératoires. La fabrication de la ville devient plus transparente et légitime aux yeux des usagers. Néanmoins, la difficulté rencontrée à Saint-Étienne reste la dimension institutionnelle. En effet, celle-ci requiert une planification des actions menées, de leur imbrication dans l’espace-temps consacré au Grand projet de ville, sur le très long terme. C’est dans la définition des cadres administratifs que la démarche reste fragile. Les contrats, signés dès la sélection des collectifs de maîtrise d’œuvre, sont similaires à ceux d’actions plus classiques. Cependant, ces contrats évoluent constamment et constituent donc un outil de dialogue, de définition d’objectifs communs mais aussi d’ouverture des démarches d’intervention. C’est grâce à l’évolution perpétuelle des contrats-cadres que les installations temporaires peuvent avoir lieu, adaptées aux besoins réels et non plus théoriques du terrain de projet. Les projets transitoires subissent encore largement des avis “négatifs“ de la part des autorités ou des chercheurs. Bien que le sujet tende à se démocratiser dans la recherche, ces actions sont encore perçues comme expérimentales, alternatives. Expérimentales elles le sont, mais par l’angle de

Conclusion - 87


sa définition première, qui passe par l’expérience pour construire et élaborer. Du point de vue des élus ou collectivités, les démarches pluridisciplinaires temporaires sont encore souvent assimilées à de l’événementiel ou de l’action socio-culturelle. C’est par cette divergence des points de vue que nous pouvons saisir l’enjeu du rôle des praticiens dans ces interventions : ils ne sont plus uniquement concepteurs et chefs de chantier, ils sont, avant tout, transmetteurs de connaissances. Ils constituent un lien réflexif et une aide à la décision entre les institutions et les usagers. Nous pouvons conclure cette recherche sur la particularité de chaque démarche d’installation temporaire tant elles dépendent du contexte et des moyens humains, politiques et économiques. Pourtant des outils sont mis en place par les collectifs eux-mêmes afin de transmettre leurs expériences, leurs savoirs et leurs limites. C’est en ce sens que le projet provisoire constitue une expérience démocratique qui englobe la fabrication urbaine mais aussi nourrit le développement de la pratique des architectes-urbanistes. Par l’expérimentation, ces démarches revêtent une valeur effective et réflexive dans le projet urbain contemporain. L’un des avantages de l’institutionnalisation de ce type de démarches est de garantir une certaine stabilité financière aux concepteurs, ce qui est rarement la situation des autres collectifs en “pratique indépendante“. Le danger reste celui d’un engagement ou d’une frilosité politique, qui peut soit constituer une ouverture soit une restriction des possibilités. Pour conclure, soulignons l’intérêt croissant porté aux collectifs d’architectes qui font usage d’installations éphémères. Ils révèlent les potentiels inexploités et distanciés des usagers de la ville, ils permettent de s’approprier les espaces oubliés, de faire naître un débat, une démarche collective. Même si le travail à faire pour institutionnaliser ces démarches reste long, il commence à trouver son sens et sa légitimité dans des dynamiques opératoires de projets urbains, comme l’exemple de Saint-Étienne le démontre.

88 - Conclusion


Pour mener à bien cet exercice de recherche je m’étais attardée sur le sujet des architectures éphémères. Suite à de multiples recherches, je me suis aperçue que ce sujet n’était que très peu traité. Nous ne connaissons aujourd’hui que peu de chercheurs sur le sujet (Anne-Marie Lecoq, FrançoiseHélène Jourda, Marina Trayser entre autres). Et pour cause, ces formes d’architecture n’ont pas été reconnues comme faisant partie de la discipline architecturale depuis l’expression de la doctrine d’Alberti, il y a six siècles. J’ai pris conscience que ce travail devait être fait, car de nombreuses inconnues persistent dans ce champ de la recherche. Face à ce constat, j’ai choisi de m’appuyer sur un phénomène récent de l’emploi de l’architecture temporaire pour en observer les valeurs et leurs mises en application et pour tenter d’en déceler des enjeux. En adoptant cette démarche, j’ai dû alimenter mes recherches dans le champ de l’urbanisme, de la réglementation urbaine, de la pratique collective et pluridisciplinaire, entre autres. C’est pour cela que l’avancement au cours de l’année a été plutôt itératif puisque j’ai convoqué de nombreuses disciplines, relativement éloignées a priori de mon sujet, afin de pouvoir en catalyser les enjeux et pistes de recherche appropriées. Bien que nombre de recherches entreprises n’apparaissent pas textuellement dans le corps du mémoire, cette démarche a enrichi mes connaissances sur de nombreux thèmes (l’urbanisme, les formes contemporaines de la pratique, les cadres politiques et réglementaires plus particulièrement). Les recherches menées en parallèle apparaîtront plus largement dans la bibliographie pour avoir nourri mon esprit critique et permis de construire un avis sur le sujet des projets provisoires. Cette construction personnelle m’oriente de façon plus fine vers des pratiques que je souhaiterais expérimenter dans le cadre professionnel. La rédaction de ce mémoire m’a permis d’en connaître davantage et de continuer à m’interroger. Je dispose de nouveaux outils pour comprendre certaines logiques de fabrication de l’urbain qui peuvent et sont déjà réintégrées dans le projet de master. Je crois que, ce qui a sollicité, chez moi, le plus de questionnement, reste l’enjeu de l’appropriation du milieu urbain, qui me semblait être un droit que l’on aurait altéré au fil des siècles. Les démarches itératives observées dans cette recherche en sont une piste de réponse. Mais comment pourrait-on structurer un processus itératif dans une organisation urbaine et architecturale à grande échelle ?

Conclusion - 89



BIBLIOGRAPHIE


Bibliographie

OUVRAGES NEZ (Héloïse), Urbanisme : la parole citoyenne, collection « Clair & Net », éd. Le bord de l’eau, 2015, 284 pages TSIOMIS (Yannis), Échelles et temporalités des projets urbains, éd. PUCA et Jean-Michel Place, 2007, 179 pages

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92 - Bibliographie


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Bibliographie - 93


ARTICLE SCIENTIFIQUE SEGAPELI (Silvana), « Towards a theory of impermanence », GERPHAU Laboratoire Philosophie Architecture Urbain, École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris La Villette, 2013

THÈSE CHIAPPERO (Florent), Du Collectif Etc aux « collectifs d’architectes » : une pratique matricielle du projet pour une implication citoyenne, thèse de doctorat en architecture, Aix-Marseille université, soutenue le 27 novembre 2017

94 - Bibliographie


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Bibliographie - 95


ICONOGRAPHIE

FIGURE 1. Répartition du territoire stéphanois entre les acteurs Production personnelle à partir d’un fond parcellaire récupéré sur le site Géoportail https://www.geoportail.gouv.fr/ FIGURE 2. Secteur d’implantation des équipes de maîtrise d’oeuvre pluridisciplinaires dans la ville Production personnelle à partir d’un fond parcellaire récupéré sur le site Géoportail https://www.geoportail.gouv.fr/ FIGURE 3. Frise chronologique du déroulement du projet urbain et des actions de Carton Plein (orange) et de Coop’Roch (en jaune) Production personnelle FIGURE 4. écosystème - épisode 2 tiré de l’ouvrage La Cartonnerie, expérimenter l’espace public, Saint-Étienne 2010>2016, coll. Recherche du PUCA n°229, éd. Carton Plein, p.54-55 FIGURE 5. Maquette collaborative mise en place pour l’atelier Aparthé #3 La rue partagée Pris sur la page Facebook de Coop’Roch, Saint-Roch s’éveille FIGURE 6. Atelier mobile de cartographie et de dessin pour documenter l’arpentage pour l’Aparthé #1 Espaces publics de proximité ibid. FIGURE 7. Répartition des membres de l’équipe de Coop’Roch et leurs compétences Pris sur la page Facebook de Coop’Roch, Saint-Roch s’éveille

96 - Iconographie

FIGURE 8. Schéma de stratégie de contribution de Coop’Roch ibid. FIGURE 9. En 2010, le collectif Exyzt intervient sur la friche de l’ancien complexe sportif de Cebada pour “la Noche En Blanco“ marquant la réouverture du site Prise sur le site du collectif Exyzt, http://www.exyzt.org/city-island/ FIGURE 10. Le site est investi depuis 2011 par un groupement d’habitants du quartier nommée “Campo de Cebada“ Prise sur le site Public Space, annuaire d’espaces publics alternatifs http://www.publicspace.org/en/works/ g362-el-campo-de-cebada FIGURE 11. Manifestations culturelles, sociales et politiques se déroulent aujourd’hui sur le site Prise sur le siet Yelp, https://www.yelp.fr/biz_photos/el-campo-de-cebada-madrid?select=lkUmegBj-C_ BnBb1CzM6_g FIGURE 12. L’installation répond à un besoin événementielle et performatif Prise sur le site du collectif Exyzt, http://www.exyzt.org/city-island/ FIGURE 13. Dessins et texte d’étude et d’intention pour une installation dans le cadre de Parcours de jeu Donné par Laurie Guyot, membre de Carton Plein FIGURE 14. Mise en scène théâtralisée des installations faites pour Parcours de jeu Prise sur le site/journal de la Cartonnerie, tenu par Carton Plein,


http://lacartonnerie.blogspot.fr/2013/03/ FIGURE 15. Plan du quartier Saint-Roch, des éléments structurants et de la zone d’intervention de Coop’Roch Pris sur la page Facebook de Coop’Roch, Saint-Roch s’éveille FIGURE 16. Schéma directeur des projets urbains de l’EPASE pour 2025 Pris sur le site de l’EPASE, http://www.epase.fr FIGURE 17. Évolution du site de la Cartonnerie avec l’aménagement de la Scène-sol entre 2010 et 2017 Capture d’écran à partir de Google maps avec l’outils “remonter le temps“ FIGURE 18. Évolution du site de la Cartonnerie avec l’aménagement de la Scène-sol entre 2010 et 2017 Capture d’écran à partir de Google maps avec l’outils “remonter le temps“ FIGURE 19. écosystème - épisode 6 tiré de l’ouvrage La Cartonnerie, expérimenter l’espace public, Saint-Étienne 2010>2016, coll. Recherche du PUCA n°229, éd. Carton Plein, p. 110-111 FIGURE 20. Frise chronologique des interventions de Carton Plein, nature, dessin et acteurs Donné par Laurie Guyot, membre de Carton Plein FIGURE 21. Carte d’implantation des interventions menées par Carton Plein dans le cadre de Parcours de Jeu Donné par Laurie Guyot, membre de Carton Plein

Iconographie - 97



ANNEXES


100 - Annexes


ANNEXES

GRILLE D’ENTRETIEN / Corentine Baudrand, CARTON PLEIN

102

GRILLE D’ENTRETIEN / Catherine Gauthier, COOP ROCH

110

GRILLE D’ENTRETIEN / Louise Neyret, EPASE

112

SCHÉMA DE TRAVAIL / Relations entre acteurs et politiques nationales

114

SCHÉMA DE TRAVAIL / Relations entre les acteurs de l’agglomération stéphanoise

116

SCHÉMA DE TRAVAIL / Acteurs intervenant à Saint-Étienne

118

SCHÉMA DE TRAVAIL / Relations de Carton Plein avec les autres acteurs

120

SCHÉMA DE TRAVAIL / Frise du déroulement des étapes d’un projet urbain

122

DOCUMENTATIONS DIVERSES / Plan guide du quartier Jacquard

124

DOCUMENTATIONS DIVERSES / Dessins de détails de la Scène-sol

126

Annexes - 101


GRILLE D’ENTRETIEN /

Corentine Baudrand, CARTON PLEIN Entrée en matière - Pouvez-vous me raconter dans quel contexte (associatif et politique) vous êtes arrivés au site des Cartonnages de Saint-Etienne ? (PUCA, EPASE, association, collectif, appel d’offre, initiative personnelle)

Structure et cadre de l’investissement du site - Quel cadre juridique : avant d’être mandaté par l’EPASE, quel statut ? (initiative propre) - Quelle forme prend la tutelle de l’EPASE ? - Quelles ont été vos références dans votre approche? - Comment imaginez-vous le futur du site de la Cartonnerie suite à votre intervention ? - Quels sont les restes de vos actions sur place ? (à l’échelle du site, du quartier, de la ville) - Pensez-vous que la formule que vous mettez en place peut-être une formule à reconduire Si oui, pourquoi/comment ?

Composition de l’association et objectifs - Quel est votre parcours avant Carton Plein ? Comment y êtes-vous arrivée ? - Quelles disciplines composent l’association ? - Fonctionnez-vous en réseau avec d’autres structures (associations, architectes, chercheurs, commerces, etc) ? - Comment se poursuivent les activités de l’association depuis le départ de la Cartonnerie ? - Quel futur, quel serait l’aboutissement idéal de votre démarche à Jacquard, pour le collectif, pour vous-même ? - Quelle était votre démarche avec les habitants ? (sensibiliser, intégrer, participer, construire, interroger) - Comment les stéphanois ont accueilli votre démarche ?

102 - Annexes


RETRANSCRIPTION DE L’ENTRETIEN /

Corentine Baudrand, CARTON PLEIN

Corentine Baudrand : L’action, parce qu’on travaille vraiment en recherche-action. Est-ce que t’as lu notre bouquin ou pas ? Romane Domas : Oui, oui, oui. Du coup là je l’ai, j’ai réussi à l’avoir (rires) C : Bon c’est un peu... Ca peut se lire en plusieurs volets, etc, mais j’entends (?) que c’est un peu lourd. Mais nous on a vraiment travaillé sur des processus bah de recherche-action. Donc à chaque fois, si tu veux, c’est au démarrage de la Cartonnerie, comme tu as pu le lire, et ensuite, petit à petit on s’est décollé(?) autour d’axes de recherches qui nous intéressaient. R : Ok C : Donc c’est de là que sont nés des projets, qui ont donné lieu à des formes, qui sont à chaque fois inventées enfoncions du projet. R : D’accord. C : Donc si tu veux, contrairement à d’autres... On va dire d’autres artistes, ou d’autres collectifs qui ont leur format un peu clés en main R : Humhum C : ... qui sont (coupure de 6 secondes). On les connaît bien, tu vois on a beaucoup, on a pas mal, on a accueilli dans notre lieu de résidence le collectif ETC donc voilà, c’est aussi des copains. D’autres sont plus dans des formats qui sont liés à leur pratique, leurs compétences de métiers... Bah nous on a à chaque fois inventé des dispositifs en allant associer des compétences en fonction des projets quoi. R : D’accord. C : Donc c’est, le dernier qui est né c’est quand même «Saint-E, itinéraires croisés» autour de la ville... (coupure de 6 secondes) ... des rez-de-chaussées vacants R : Ah oui ! C : Que tu pourras voir après en 2013, sur le premier travail sur le bureau éphémère d’activation urbaine, qui ont été mis en œuvre dans le cadre de la Biennale. Donc on se sert un peu des leviers Biennale pour, soit trouver des moyens R : Oui C : des moyens où ça devient, pour les aménageurs, potentiellement un espace où ils peuvent être en civilité et nous accompagner, nous aider aussi R : Ok C : Ca devient un temps fort. Parce que sinon ils sont pas, ils peuvent pas nous accompagner, ni forcément financièrement parce que c’est pas, ils financent pas d’animations, pas du tout. R : Ouais. C : Donc à chaque fois c’est vraiment inventer, trouver des bons espaces de création et de création de synergies aussi entre acteurs quoi. Donc on va, à un moment on va vraiment à la fois se questionner dire «Ben, qu’est-ce qui nous intéresse» et en même temps, ensuite, aller chercher des... (ça coupe) potentielles aides financières (??). R : Ok C : Donc c’est intéressé (?) sur notre action quoi. Donc dans l’équipe on a, on a un peu une, on a vraiment diverses compétences quoi, à la fois de l’ingénierie culturelle, à la fois de l’archi, de l’urbanisme, voilà. Donc la recherche on va aller chercher vraiment les moyens en fonction du projet quoi. R : Ok. Et, du coup à ce titre là, avant de commencer l’intervention sur le site des Cartonnages, est-ce que vous existiez déjà en tant qu’association, que collectif ? Ou ça s’est vraiment mis en place à l’occasion de ce projet ? C : Non. C’est né, l’association elle est né de... Alors tu verras dans le bouquin, on voit vraiment dans, année après année, tu verras comment graphiquement on a fait tout un schéma, comment le collectif s’est... Donc au démarrage on est vraiment lié à une commande d’immersion proposée à l’EPASE sur ce site, pour des expérimentations et essayer de rassembler des gens. Puisque ce site est un (hésitations) espace public, qui est toujours temporaire et expérimental, sur dix ans. Donc on a proposé une première phase d’immersion sur l’espace et, euh, de propositions d’interventions. Et c’est de là que l’association est née en fait. R : Ok, d’accord.

Annexes - 103


C : Et si tu veux, elle était déjà sous-jacente, quand on lit les entretiens de Sabinya (?), je crois qu’il y a des extraits de Sabinya Amboublablabla (?), qui sont la maîtrise d’œuvre de la ZAC du quartier Jacquard, dont on fait partie. Eux, ils avaient une idée dans l’absolu que pour cet espace là il faudrait une association qui se constitue. R : D’accord ! C : Et je veux dire entre se dire que tu vas entendre concevoir ça sans être... Ca s’est passé parce qu’il y a eu une opportunité d’une rencontre avec une personne qui a souhaité générer ça, mais sinon c’est hyper fragile... R : Bah oui. C : Voire un peu utopique selon les terrains quoi. R : Oui. Et du coup c’est un peu ce qu’ils... (C commence à dire quelque chose derrière difficilement audible) Pardon. C : Non, non. Vas-y. Après du coup l’association Carton Plein elle est née vraiment de la Cartonnerie en 2000, 2000... 2011, non, oui, 2011. R : Ok. Et du coup finalement c’est peut-être, enfin c’est assez similaire à ce qu’ils sont en train de faire également sur le quartier Saint-Roch, non ? C : (rires) Bah, le quartier Saint-Roch on les a accompagnés à écrire ce truc. (rires) R : D’accord, ok. (rires) C : Le quartier Saint-Roch ouais... T’as Bertrand Rétif comme intervenant, en prof, non ? R : Oui. Bah c’est lui qui co-encadre mon mémoire (rires), entre autres. C : Aaaah ! C’est ça ! Je l’ai vu la semaine dernière Bertrand. R : Ok (rires partagés) C : Et bah, ouais, écoute sur S-R en fait ce qui s’est passé, c’est qu’avec la confiance aussi qu’on a pu avoir avec l’EPASE, au fur et à mesure du temps on les a accompagnés si tu veux dans, euh... Ils nous ont sollicité pour qu’on les accompagne sur la réflexion autour de ce projet, voir l’écriture du cahier des charges... R : Ok C : Donc, en fait, eux ils ont vraiment avancé (?) et nous on a été vraiment conseil. R : D’accord. C : Après on a pas fait partie du jury, on a pas souhaité en faire partie puisque justement... R : Hum C : On était plus en accompagnement. Mais voilà, en gros. Et c’est intéressant justement, et c’est toute la question c’est la création de cadres qui restent assez ouverts pour accueillir du mouvement et opportunités de la ville quelqu’il soit. C’est ça un peu ce qu’il y a... R : Ouais. C : Ce qu’on essaie, en tout cas, de dire aux... (hésitations) Aux maîtrises d’ouvrage, aux élus, etc, aux techniciens, c’est comment créer des dispositifs qui soient, qui permettent cette souplesse là, et qui permettent de se connecter, de créer des synergies avec d’autres opportunités. R : Hum C : Parce que la ville, si tu veux, elle pourrait se créer avec beaucoup de déjà là... R : Oui C : avec les opportunités de ce qui est, bah ouais, avec ce qui a déjà là quoi. Et si on arrivait plus à connecter tous les réseaux entre eux, et bah finalement, euh bah, il y aurait peut-être, peut-être que les actions elles seraient plus limitées, on pourrait faire vraiment des économies quoi. R : Hum. Et d’ailleurs, à ce propos quand on, enfin, quand vous avez été appelés par l’EPASE est-ce qu’on... Est-ce qu’ils avaient défini entre guillemets un cahier des charges, une espèce de tutelle où il fallait que vous rendiez des comptes ? Ou est-ce que vraiment ils vous ont appelé avec une carte blanche ? C : Quand ? Quand on est né ? R : Oui, quand l’EPASE vous a appelé au tout début. C : Bah je pense que c’est vraiment une relation de... (hésitations) Comment dire ? Au démarrage il y avait quand même, oui, un cadre, puis des postures aussi différentes, avec des points de... (hésitations) Je me souviens plus trop mais. Je crois qu’à des endroits, bon bah il y a plein

104 - Annexes


d’endroits où on est toujours pas d’accord, mais on se le dit. R : Hum C : Après ça reste de la discussion et justement, après sur certains points on essaie de les négocier, de... Mais, euh, au démarrage il y avait quand même un cadre d’une mission précise. Et à chaque fois il y a une mission hein ! Donc comment, après, avec le format que nous on décide de... On transmet comme il nous semble bon pour faire bouger le terrain des aménageurs tout en... Euh, nous on a l’opportunité aussi de tester les choses comme bon nous semble aussi quoi. R : Hum C : Donc c’est nos méthodologies en fait. Nous, nos méthodologies elles sont quand même à chaque fois... Différentes. Ou comment les valoriser pour que ça fasse vraiment matière à projet, etc, c’est... c’est ça qui est important quoi. R : Humhum. (08:47) 19h40 Et du coup après ça, enfin après votre, avec le recul, qu’est-ce qui reste en fait, finalement, sur place ? Est-ce que selon vous c’est plus une prise en compte de la démarche de ce que vous avez fait, du résultat que ça amène ? Est-ce que vous pensez que ça a influé uniquement cet espace public, le quartier ou la ville en soi dans la façon dont on va fabriquer, peut-être, des futurs projets de quartiers ? C : Et bien, ça on est en train de faire un film figurez-vous. R : Ah ! (rires) C : Le dernier projet qu’on a fait pour l’EPASE, qui est un processus. En fait, après le bouquin, l’EPASE nous ont dit de remettre un peu à jour leur plan guide autour du viaduc. Parce qu’en fait nous on s’inscrit dans un projet plus large qui est le viaduc. Et donc ils nous ont sollicité pour qu’on fasse une étude, donc on a dû passer par la maîtrise d’œuvre justement du quartier pour pouvoir la faire, parce qu’ils ne pouvaient pas nous embaucher, nous... (ça coupe longtemps 50 secondes) Donc on a collaboré avec la maîtrise d’œuvre du quartier ce qui... (ça recoupe 5 secondes) un réseau de connexions sur le secteur. Ce qui est plutôt bien. Allô. R : Oui, allô. Je vous entendais pas du tout. C : Je vais couper la vidéo. Vous m’entendez là ou pas ? R : Oui, là c’est bon. Parfait. C : Donc voilà, c’est ça un peu le principe. C’est qu’on a capitalisé l’étude on allant voir chacun des acteurs du terrain. C’est-à-dire en partant (?) de l’école du quartier avec qui on a déjà fait des ateliers en 2000... euh, on a fait plein d’ateliers sur design et jardin, sur le site de la Cartonnerie, etc, en 2000... 11/12. Ca il y a, après, il y a la médiathèque de quartier avec qui on a fait un gros boulot. Ca s’appelait «Tout le monde dehors», «Tous dehors» à la médiathèque. Vous pouvez le voir sur notre site internet. Donc on a monté un dispositif d’activation en fait de l’espace autour de la médiathèque. R : Hum C : Et de la médiathèque, puisque le directeur avait très envie de réfléchir. Il est venu nous voir en nous disant «bah écoutez, voilà, moi j’aimerais bien penser euh... C’est quoi note médiathèque, comment elle s’inscrit dans le quartier ?» Donc on lui a proposé de créer un dispositif d’activation autour d’espaces publics et sa médiathèque aussi, en elle-même, avec les usagers, tout ça. R : D’accord C : Donc voilà pendant une semaine on a fait des micro dispositifs d’installation dans l’espace public. Et puis, euh, et puis quoi d’autre ? Et puis il y a aussi la gare Carnot, voilà il y a beaucoup d’autres... d’autres acteurs en fait. Voilà, on peut dire que le viaduc, l’idée c’était de raconter que c’est un monument qui est habité par différents acteurs et que ces acteurs peuvent être, peuvent, via leurs propres leviers, leurs propres, euh, actions aussi s’inscrire dans la transformation des aménagements, etc. Si on pense les choses en étant inclusif et qu’on crée/fait (?) nous. R : D’accord. C : Voilà. Donc ça ça a été, on est en train du coup de faire un film là dessus qui raconte ce processus là, qui soulève des questions, qui permet aussi de, voilà, de mettre, de faire un état un peu des lieux de tout ça. R : D’accord. Et donc à ce sujet-là, en fait, quand vous êtes arrivés, enfin, votre rapport justement

Entretien avec Corentine Baudrand, Carton Plein - 105


aux habitants, aux différents acteurs, est-ce que c’est vous qui avez vraiment énoncé l’idée de collaborer, voilà, sur la question des dispositifs partagés entre les acteurs ou est-ce que c’était finalement une demande de l’EPASE de faire collaborer, de faire participer les acteurs in situ ? C : Par rapport à quoi ? R : Par rapport aux habitants, aux structures déjà existantes. (C semble parler en fond mais ça coupe beaucoup) C : Par rapport au démarrage ? R : Au démarrage et au projet en général. C : Ouais, bah je pense qu’il y a eu, qu’il y avait une envie de l’EPASE. Quand on a été sollicité ils avaient envie que ça crée, que ça soit un lieu de bouillonnement qui puisse réunir aussi l’école d’art. Ils avaient cette envie là aussi. Mais après nous, peut-être que à travers ça on est allé un peu, on a déployé un peu à notre manière en se connectant aussi aux écoles du quartier, en, voilà. Quelque chose qui était pas forcément vu comme ça. R : D’accord. C : C’est-à-dire autant impliquer les acteurs, l’école d’archi... Il y a eu un laboratoire hors les murs de l’école d’architecture de Saint-Etienne R : Oui C : ... dans la Cartonnerie ses deux premières années. Et ça c’était en partenariat avec l’EPASE, ils avaient une convention d’occupation/de récupération (?) des lieux en lien avec l’EPASE, etc. Comme nous on en avait une. Donc si vous voulez, il y a certains acteurs... Après nous, ce qu’on a fait c’est qu’on a créé un autre maillage, on va dire. R : Hum C : Et ces acteurs, de toutes façons, vu que c’est des gens avec qui on était en lien, parce que la majorité des personnes qui font partie de l’équipe ont fait le master Espaces publics à SaintEtienne. R : Oui, ok. C : Et donc c’est vraiment... De la conception pluridisciplinaire. Qui relie aussi l’école d’archi, l’école d’art et l’université de socio. Donc c’est, et donc il y a plein de profils un peu différents qui font cette formation, ce master 2 sur un an quoi. R : Ok d’accord. R : Ok, mais alors, dans ce cas là est-ce que, est-ce qu’on peut dire finalement cette formule de partenariats entre des grandes structures de la ville ça peut être quelque chose qui est reconduit sur d’autres projets ? Enfin, sur d’autres projets urbains notamment ? Je pense à l’EPASE qui est sur la requalification des quartiers hors ANRU, est-ce que c’est une formule qu’ils peuvent, qu’ils souhaitent réappliquer, ou est-ce que c’était vraiment juste pour les Cartonnages, la Cartonnerie ? C : Ah bah nous... Vous avez leur contact un peu ou pas ? Ca vous intéresserait de les solliciter ou pas ? R : Ah bah oui. Mais j’arrive pas à rentrer en contact avec eux justement. C : Vous avez sollicité qui ? R : Je suis passée par le site directement de l’EPASE et, envoyé des mails, j’ai essayé d’appeler et ça n’a rien donné. Donc j’ai pas de contact direct en fait au sein de l’EPASE. C : D’accord. Bah je... Je vous donnerai, je vous enverrai les contacts. Il faudra solliciter soit Stéphane Cadrillaud (?), directeur, quoi qu’il aura peut-être pas forcément le temps je crois, mais il peut prendre le temps si vous lui proposez une demi heure d’entretien un peu clair et précis, comme vous le faites là. R : D’accord. C : Euh, ou Louise Neyret (?) qui vient d’arriver sur le secteur, mais elle vient d’arriver sur le secteur, donc c’est un peu complexe. Ou sinon c’est, ah ! Mais si, Céline Recknagel (?) ! C’est celle qui suivait le projet, qui fait l’appel d’offre euh, euh... Saint-Roch. R : Ah d’accord ! C : Je vais vous envoyer le, je vais demander à Céline, et je vous transfèrerais son mail ensuite. Je pense que c’est la personne à solliciter en fait. J’y ai pas pensé. R : Ok

106 - Annexes


C : Dire un peu que votre prof c’est, vous la contactez de ma part, mais il se trouve que votre prof aussi c’est... Je pense que c’est intéressant parce que, elle en fait, c’est une des personnes un peu dynamiques et qui est dans cette génération de personnes en fait qui, aussi, se donnent du mal pour tenter d’écrire ces cadres en fait. R : Ouais. D’accord. Oui parce que, justement, en fait là j’avais commencé par observer ce qui se passait à CDR avec RDD, donc ensuite vous, plus sur Jacquard, et là justement cet après-midi je vais rencontrer Catherine Gauthier pour, enfin dans le cadre du projet Saint-Roch justement. C : Ah bah très bien ! R : Et voilà j’essaie d’avoir des, ente-guillemets, des points de vue de différentes structures avec différentes postures pour essayer de voir comment ça prend forme justement dans Saint-Etienne. Si on peut parler d’une formule à appliquer ou pas justement. Si à chaque fois c’est des projets nouveaux ou... D’accord, ok. C : Mais je pense, en fait, qu’il faut se méfier des formules R : Oui, oui. C : Par contre je pense que c’est la question, plus, de valeurs... R : Oui C : ... de valeurs à appliquer et de, de modalités qui permettent l’enrichissement collectif. Ca c’est un peu la clé du, des process (?) qu’on essaye de mettre en œuvre. C’est comment chacun à son niveau peut contribuer à du collectif ? Et du coup par cela, ça génère du, des choses plutôt pertinentes, intéressantes, chacun se sent impliquer, tout en restant à sa place, tout en pouvant aussi affirmer ses postures, etc. Et ses enjeux aussi ! Parce que je veux dire il y aussi toute la question de langage, qui est aussi importante, elle est au coeur... C’est-à-dire chaque structure, quand on voit l’EPASE, il a un positionnement et des choses à rendre, il y a des contraintes, ils ont un cadre contraignant aussi avec des formes de rendement aussi à avoir (???). Tout ça, tant qu’on le connaît pas, même en tant que maîtrise d’œuvre qui travaille avec cette maîtrise d’ouvrage, si on comprend pas, si on ne sait pas les points de tension de son collaborateur, de la personne avec qui on travaille, euh, ça génère, c’est compliqué. A parti du moment où on les connaît, et bah comment on essaye de les faire évoluer, rentrer dans les contraintes collectives. Voilà. R : Hum C : C’est hyper important. Parce que c’est ça aussi qui permet aussi de voir qu’on peut trouver d’autres solutions, peut-être se poser, enfin si on se pose la question collectivement. R : Ouais. Oui et du coup ça amène chacun aussi à revoir, à revoir entre guillemets sa place, sa posture et ça fait construire un projet commun qui est constamment fluctuant quoi, mais qui amène sûrement à un aboutissement qui aura plus de sens à plus long terme j’imagine. C : Ouais. C’est proposer du type (?), du différent, du... Voilà, ouais. Donc voilà moi ce que je peux vous dire par rapport à ça. Mais on va quand même faire une soirée de projection en février normalement. R : Ah d’accord ! C : Février avec diffusion de trois films un peu différents. Il y aura, il y aurait le film sur Masagrand, l’expérience Masagrand à Lyon. Je sais pas si vous voyez la place Masagrand. R : Euh, non. C : Euh, qui a eu un appel d’offres, un cahier des charges d’appel d’offre en co-construction, qui était très expérimental et ouvert, et qui en fait, ça a été quand même pas forcément si évident que ça sur le terrain. R : D’accord. C : Parce que tout le monde n’est pas forcément... Tout le monde a sa définition de la coconstruction, de l’implication, etc. R : Oui, oui, oui. C : Donc a un moment donné, comment on le définit chacun déjà ce truc là. Faut pas se mettre dans des murs quoi, parce qu’actuellement là il y avait une incompréhension. Et euh, ça a généré enter les acteurs et la maîtrise d’œuvre pas mal de tensions. La maîtrise , les acteurs voulant vraiment participer à la co-construction et finalement la maîtrise d’œuvre ayant sa vision de là où elle allait solliciter les habitants et acteurs pour (???).

Entretien avec Corentine Baudrand, Carton Plein - 107


R : Ok C : Voilà, c’était assez intéressant. Donc il y aura ça, avec une vision très acteurs, donc là... Bref, ça permettra en tous cas d’ouvrir des débâts sur qu’est-ce qu’on montre, comment on raconte des processus, etc. Et puis une autre expérience à Lanas (?), en Ardèche, dans un village, où là c’est l’atelier Bivouac, où il y a des paysagistes qui ont vraiment tout un projet de requalification de place avec les habitants. R : Ok. D’accord. Je vais noter. C : Avec tout un, tout un cercle assez vertueux bah de rencontres, de la, justement, de... Après c’est la dimension, c’est l’échelle du projet, c’est dans un petit village peut-être de 5 000 habitants mais qui permet de reprendre le sens en fait de (???). En gros il y aura ces deux projets. R : D’accord. Et votre film... C : Et notre film qui va raconter un peu ce processus d’une étude, c’est une étude donc qui n’a rien à voir sur le terrain quoi. R : Ok C : Donc c’est ça aussi qui nous intéressait. C’est, euh, c’est pas de, voilà. Il y a des choses qui doivent naître, et puis en fait les travaux sont sensés commencer, et puis ils ne commencent toujours pas. Donc c’est ça, montrer des aléas, comment on raconte les aléas aussi de la production urbaine, les arrêts, comment ça il faut que chacun le prenne en compte pour que ça puisse ensuite, faut qu’on puisse ensuite actionner le bon curseur en fait, c’est ça. R : Oui C : C’est des questions de curseur et de ce qu’on aime... Ce qu’on aime bien dire c’est ces formes de partitions collectives quoi. R : Ouais C : C’est des partitions. Il faut arriver à un territoire. C’est pas juste un acteur qui va faire son bout de trottoir. Ce bout de trottoir il a un impact à l’échelle du quartier. Donc voilà, comment cette, comment ça se maille tout ça ? C’est important. R : Oui C : De penser le maillage. Le maillage fin et avec le déjà là. Donc voilà. R : Ok. D’accord. Et justement là depuis que vous avez, entre guillemets, vous avez fini, enfin c’est des gros guillemets, votre action à la Cartonnerie, c’est quoi les projets qui suivent par rapport à l’asso, le collectif ? Est-ce qu’il existe toujours ? Est-ce que vous continuez à avoir des projets ensemble comme le film ? C : Bah ouais, ouais. On continue mais on essaye de... Là on est sur une forme de transformation parce qu’on va quitter le territoire stéphanois. R : D’accord. C : Donc si tu veux c’est un peu ça qui est en jeu, c’est la modification, la transformation de notre, de l’association. Donc c’est pour ça que c’est un peu, là c’est ça qui est en réflexion. On va lâcher la Cartonnerie, enfin la Cartonnerie et Carton Plein, etc. Enfin pas Carton Plein mais la Cartonnerie en tout cas. Donc voilà on laisse... C’est ça qui, du coup, ça transforme aussi. Nous on est une équipe qui est née d’un territoire et d’une, d’un espace public... R : Oui ! C : Là voilà, on est obligés de changer un peu nos... R : D’accord. C : Voilà, voilà. Je vais devoir te laisser Romane. R : Oui. Il n’y a pas de problème.

108 - Annexes


Entretien avec Corentine Baudrand, Carton Plein - 109


GRILLE D’ENTRETIEN /

Catherine Gauthier, COOP ROCH Entrée en matière Pouvez-vous me raconter dans quel contexte (associatif et politique) vous êtes arrivé au quartier Saint-Roch de Saint-Etienne ?

Structure et cadre de l’investissement du site - Quel cadre juridique : avant d’être mandaté par l’EPASE, quel statut ? (initiative propre) - Quelle forme prend la tutelle de l’EPASE ? (recommandations, formules à appliquer) - Quelles ont été vos références dans votre approche ? - Pensez-vous que la métropole de Saint-Etienne/l’EPASE inclut le projet de Coop Roch pour le quartier dans leur plan annoncé de construire un projet de ville “par l’expérimentation“, “le temporaire“ ? - Pensez-vous que la formule que vous mettez en place peut-être une formule à reconduire ? Si oui, pourquoi/comment ?

Composition de l’association et objectifs - Quel est votre parcours avant Coop Roch ? Comment y êtes-vous arrivée ? - Quelles disciplines composent le collectif ? - Fonctionnez-vous en réseau avec d’autres structures (asso, archi, chercheurs, commerces, etc) hors des membres du collectif - Quel futur, quel serait l’aboutissement idéal de votre démarche à Saint-Roch, pour le collectif, pour vous-même ? - Quelle est votre démarche avec les habitants ? (sensibiliser, intégrer, participer, construire, interroger) - Comment les stéphanois accueillent votre démarche ?

110 - Annexes


Entretien avec Catherine Gauthier, Coop Roch - 111


GRILLE D’ENTRETIEN / Louise Neyret, EPASE

Parcours personnel et professionnel - Dans quel contexte êtes-vous arrivée à l’EPASE ?

Démarche - Dans le cadre du colloque du PUCA (en 2016), Hors champ de la production urbaine, et l’ouvrage d’Ariella Masboungi, Construire un projet de ville : Saint-Étienne « in progress », l’EPASE propose de mettre en place un projet de ville basé sur l’expérimentation. Comment cela prend forme concrètement dans le travail de l’EPASE au sens large ? Et dans le vôtre plus particulièrement ? - Quelles ont été vos motivations pour mener une telle démarche ? (références, constat particulier) En quoi ne pouviez-vous pas vous calquer un système opératoire urbain déjà existant ? - Comment mettez-vous en place les équipes d’études urbaines ? Appel d’offre, équipe déjà connue, sollicitée... - Quelle forme prend la tutelle de l’EPASE au cours des projets menés à la Cartonnerie ou à Saint-Roch, par exemple ? - Quel cadre est défini et à quel moment avec les équipes en charge ? Les outils... Ce cadre évolue-t-il ? Que fixe-t-il ?

Liens et impact - Quels liens entretenez-vous avec la mairie, la métropole (passé et actuel) ? Plus largement, quels sont les acteurs fondamentaux pour mener à bien ce projet de ville ? Quelle est leur place dans cette construction ? - Quel est pour vous l’aboutissement des processus d’études mis en place ? Quels enjeux cela soulève ? Quelle est la réception de la part des stéphanois ? - Pensez-vous que la méthode proposée par la Cartonnerie et Coop Roch peut-être reconduite ? Pourquoi ? Quels ont été les résultats probants et les difficultés ?

112 - Annexes


Entretien avec Louise Neyret, EPASE - 113


SCHÉMA DE TRAVAIL /

Relations entre acteurs et politiques nationales (réalisé d’après la lecture de l’ouvrage d’Ariella Masboungi)

114 - Annexes


SchĂŠma de travail - 115


SCHÉMA DE TRAVAIL /

Relations entre les acteurs de l’agglomération stéphanoise (réalisé d’après la lecture de l’ouvrage d’Ariella Masboungi et du PLU)

116 - Annexes


SchĂŠma de travail - 117


SCHÉMA DE TRAVAIL /

Acteurs intervenant à Saint-Étienne

(réalisé d’après la lecture de l’ouvrage d’Ariella Masboungi et du PLU)

118 - Annexes


SchĂŠma de travail - 119


SCHÉMA DE TRAVAIL /

Relations de Carton Plein avec les autres acteurs (réalisé d’après la lecture de l’ouvrage de Carton Plein et l’entretien avec Corentine Baudrand)

120 - Annexes


SchĂŠma de travail - 121


SCHÉMA DE TRAVAIL /

Frise du déroulement des étapes d’un projet urbain (réalisé d’après les cours “Étude de la faisabilité du projet urbain“ dispensés par Jean-Baptiste Marie)

122 - Annexes


SchĂŠma de travail - 123


DOCUMENTATIONS DIVERSES / Plan guide du quartier Jacquard (EPASE)

construction à l’étude

espace vert en phase d’étude

construction livrée

espace vert livré

propriétés d’EPORA

immeuble ou partie d’immeuble en cours de réhabilitation

espace public en phase d’étude

propriétés de l’EPASE et d’EPORA

O.R.I.

espace public livré

secteur à l’étude

124 - Annexes

propriétés de l’EPASE

QUARTIER JACQUARD GACHET - PLAN GUIDE Mise à jour de juin 2014 TERRITOIRES URBAINS ARCHITECTES URBANISTES . ATELIER DE VILLE EN VILLE . TRIBU . ARCADIS


DOCUMENTATIONS DIVERSES /

Décret du Conseil d’Administration

(renouvellement du partenariat entre l’EPORA et l’EPASE)

Documentations diverses - 125


DOCUMENTATIONS DIVERSES / Dessins de détails de la Scène-sol

(Donné par Laurie Guyot, membre de Carton Plein)

126 - Annexes


Documentations diverses - 127



Les équipes de maîtrise d’oeuvre plurisdisciplinaires et les collectifs soutiennent des valeurs démocratiques pour la fabrication urbaine et l’appliquent par l’utilisation de l’installation temporaire comme un outils. A Saint-Étienne, dans le cadre de la création de son Grand projet de ville, en 2007, l’EPASE, qui accompagne la métropole dans son développement urbain, favorise ces démarches “expérimentales“. Nous aborderons ce sujet par l’observation de l’idéologie démocratique soutenue par ces groupements de concepteurs et leur méthode pratique, puis nous nous intéresserons à l’institutionnalisation de ces démarches, leur application et leurs limites opératoire. MOTS CLÉS : ARCHITECTURES TEMPORAIRES - PROCESSUS - URBANISME - COLLECTIFS PLURIDISCIPLINAIRES - DÉMOCRATIE URBAINE - PROJETS TRANSITOIRES

Mémoire encadré par Amélie FLAMAND, Rémi LAPORTE et Shahram ABADIE dans le cadre du séminaire du domaine d’études Eco-conception des territoires et espaces habités. ANNÉE UNIVERSITAIRE 2017-2018 École Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Fd 85 Rue du Docteur Bousquet 63000 CLERMONT-FERRAND

LE PROJET TRANSITOIRE COMME UNE PENSÉE EXPÉRIMENTALE DU PROJET URBAIN - L’exemple de Saint-Étienne - Romane DOMAS

Le domaine de l’architecture éphémère est un sujet sur lequel nous n’avons que peu de connaissances. Il commence à faire l’objet de quelques recherches sur son histoire et ses valeurs. Héritiés de traditions millénaires, certains praticiens contemporains appliquent des projets transitoires au sein des processus de fabrication urbaine. Ces concepteurs s’unissent en équipes pluridisciplinaires afin de revendiquer un “droit à la ville“ pour tous. Nous interrogeons donc en quoi les pratiques de projets urbains provisoires peuvent-elles constituer une méthode à suivre pour fabriquer une ville pérenne ?

le projet transitoire comme une pensée expérimentale du projet urbain l’exemple de saint-étienne

Romane DOMAS

ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE CLERMONT-FERRAND DOMAINE D’ÉTUDES ECO CONCEPTION DES TERRITOIRES ET ESPACES HABITÉS 2017-2018


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