Mémoire Roman JOLIY

Page 1

Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier Domaine d’étude et approfondissement « Métropoles du Sud »

La représentation de la ville dans la bande dessinée Mythe et réalité du potentiel prospectif des Cités Obscures de B. Peeters et F. Schuiten

Mémoire – Master 2 Présenté par Roman JOLIY 19 Janvier 2016

M. Philippe CAPELIER, Architecte, enseignant, ENSAM M. Pascal CHEVALIER, Professeur des Universités, géographe, Université Montpellier III M. Guillaume GIROD, Architecte, enseignant, ENSAM M. Laurent VIALA, Maître assistant, géographe, ENSAM

Sous la direction de Laurent VIALA, Maître assistant, ENSAM



La représentation de la ville dans la bande dessinée Mythe et réalité du potentiel prospectif des Cités Obscures de B. Peeters et F. Schuiten



Sommaire Introduction ................................................................................................................................. 07 Chapitre 1 : Les représentations de la ville dans la bande dessinée ................................... 11 1.1 Entre réel et fiction ............................................................................................... 13 1.2 Les représentations de la ville .............................................................................. 19 1.3 Villes fictives : potentiel critique de la bande dessinée ....................................... 23 1.4 Décrypter l’œuvre : présentation de la méthodologie ........................................ 39

Chapitre 2 : Figurations de l’ordre spatiotemporel .............................................................. 43 2.1 Un reflet déformé ................................................................................................. 45 2.2 Disproportions ...................................................................................................... 51 2.3 Mobilités : transports variés ................................................................................. 59

Chapitre 3 : Objet « nature » : entre absence factuelle et évocation pressante ................ 67 3.1 Un contraste entre urbain et périurbain .............................................................. 69 3.2 Architecture et nature : évocation et culte .......................................................... 75

Chapitre 4 : Géographie urbaine, sociale, politique ............................................................. 83 4.1 Limites et planifications horizontales ................................................................... 85 4.2 Villes verticales ..................................................................................................... 91

Chapitre 5 : L’obscurantisme de la fabrication urbaine ........................................................ 99 5.1 Les acteurs de la fabrication urbaine : entre politiques et architectes............... 101 5.2 L’obscurantisme à son paroxysme ..................................................................... 107

Conclusion ............................................................................................................................ 115 Annexes ................................................................................................................................ 121 Bibliographie ......................................................................................................................... 133 Table de matières ................................................................................................................. 137

5



Introduction

« Il n’y a aucune raison de ne pas laisser parler l’imagination. […] la grandeur de l’Homme n’est-elle pas d’imaginer le futur et de faire que son imaginaire devienne une réalité ?»1. Cette courte citation de Thierry Godin introduit à la notion d’imagination qui est une qualité nécessaire aux métiers de la création et particulièrement à la pensée et à la pratique de l’architecture. Elle renvoie aux images, aux représentations qui, par association, façonnent l’imaginaire. En tant qu’architecte, l’imaginaire entretient une relation avec la création mais aussi la capacité de se projeter vers le futur, d’avoir un regard visionnaire. Penser à l’avenir est primordial car nos sociétés sont en constante évolution. Pour mieux comprendre la ville d’aujourd’hui et de demain, il faut certes étudier son passé mais également son futur. Différents médias le permettent mais notre attention se focalisera ici sur les œuvres de fiction. Source conséquente de réflexion, elles s’appuient sur une dimension imaginaire qui interpelle la réalité : « Poser la question de l’imaginaire, c’est nécessairement introduire une réflexion autour du réel. »2. Il s’est donc agi ici d’aborder la ville par la fiction au travers de la bande dessinée. Media populaire et critique des sociétés, la bande dessinée utilise des représentations proches du travail de l’architecte comme le montre Bjarke Ingels Group avec son livre Yes is more 3. De plus, depuis toujours elle met en scène la ville, l’intégrant comme support de ces histoires. Par cette approche, la recherche engagée, consignée dans ce mémoire, traite donc des représentations de la ville dans la bande dessinée.

1

Thierry Gaudin - 2100, Récit du prochain siècle (1990). Dominique Crozat, Thirdspace, espaces potentiels et hyper réel : nouvelles modalités de la fuite dans l’imaginaire (2007). Publications de l’Université Montpellier. p.97. 3 BIG, Yes is more, (2010). 2

7


La série des Cités Obscures de Benoît Peeters et François Schuiten, qui joue sur les liens entre réalité et fiction, a constitué le support d’analyse. Le monde imaginaire que ces auteurs convoquent est proche de notre monde, bien réel : « Schuiten et Peeters sont passés maîtres dans l'art symétrique, celui d'introduire des éléments du monde réel dans leur univers imaginaire. »4. Cet univers est aussi métafictionnel, mélangeant plusieurs histoires de fiction destinées à inciter à la réflexion et déclinant la ville comme thématique principale. Ces caractéristiques placent donc la série des Cités Obscures en adéquation avec le domaine de recherche défini précédemment, justifiant son choix. L’étude des différents volumes de la série permet de comprendre le fonctionnement des villes imaginées par les auteurs. Ceux-ci vont d’ailleurs s’affirmer en tant qu’architectes et urbanistes en dessinant leurs bandes dessinées, proposant des mondes urbains selon leur vision de la société depuis laquelle ils créent. Les représentations qu’ils génèrent interrogent sur le fonctionnement des cités illustrées tant par leurs approches formelles que conceptuelles. Les auteurs donnent accès à un imaginaire de la ville qu’il a fallu interroger. Tant dans le dessin que dans le propos, ces représentations sont en lien étroit avec notre réalité. Elles prennent différents aspects connotés qui forment la dimension critique des œuvres. L’œuvre questionne les relations qui existent entre ce monde et le nôtre, leurs ressemblances et leurs différences. Elle critique aussi de nombreux domaines mais l’intérêt est porté sur ceux abordant la ville et particulièrement du futur de celle-ci. L’hypothèse émise est donc que la série des Cités Obscures possède un potentiel prospectif pour la ville de demain qui se décline en trois catégories. La première est de l’ordre du fantasme, trop ancré dans la fiction pour pouvoir devenir une réalité future, la deuxième met en avant une vision déjà intégrée dans nos sociétés dépassées par nos technologies ou nos modes de fonctionnement. Enfin, la dernière aborde des possibilités compatibles avec les réalités de la ville future. Le potentiel prospectif se situe donc lui aussi entre réel et fiction dans les Cités Obscures nourrissant une vision de la ville future. L’analyse des œuvres a ensuite permis d’extraire quatre points d’appui majeurs qui alimentent les réponses aux questions posées. Quel imaginaire de la ville développe F.Schuiten et B.Peeters dans la série des Cités Obscures ? La dimension critique de l’œuvre a-t-elle un potentiel prospectif ?

4

Frederic Kaplan, La quête du sens dans les Cités Obscures, Altaplana (1995).

8


Ces quatre points d’appuis valorisent le fruit de la recherche. Ils se développent selon des échelles variées qui permettent la compréhension du monde imaginaire exposé. Tout d’abord, la figuration du spatio-temporel permet une approche territoriale et un point de vue global sur les rapports disproportionnés et les transports présents dans les Cités Obscures. Ensuite, l’analyse de l’objet nature donne lieu à un approfondissement de la question relative à la place dédiée à la nature dans l’urbain. Puis, est abordée la géographie urbaine, sociale et politique des cités en détaillant leurs morphologies et leurs conséquences. Enfin, l’obscurantisme de la fabrication urbaine discute les idéaux et la genèse des urbanités observées. Ces chapitres agencent le fruit de l’analyse menée sur les œuvres et prennent place à la suite d’une première partie qui prend le temps d’exposer le champ de recherche et de préciser le recours à la bande dessinée dans son rapport à la ville.

9



Chapitre 1

Les représentations de la ville dans la bande dessinée

Depuis leur genèse, les bandes dessinées sont étroitement liées à l’architecture, l’urbanisme et la ville moderne. Par l’élaboration d’univers imaginaires, elles traitent du rapport entre réalité et fiction caractéristique de nos mondes urbains contemporains5. Elles émettent des représentations de la ville dans leurs différents aspects : l’histoire, les dessins et la critique sous-jacente jouent ce rôle représentatif. Ces univers proposent une vision de ce que pourrait être notre réalité. Il convient donc tout d’abord de définir et tisser les liens entre architecture, réalité et fiction, puis de s’orienter vers une définition des représentations de la ville en référence à Kevin Lynch. Ensuite intervient l’implication du media bande dessinée et son potentiel critique qui permet d’introduire le monde imaginaire des Cités Obscures sur lequel porte cette recherche. Enfin seront résumées les idées principales menant à comprendre le domaine de recherche engagé et la problématique émise tout en présentant l’analyse des œuvres étudiées.

5

Images et imaginaire habitant, Henry Torgue, DEA : “ Ambiances Architecturales et urbaines ” (2005-2006).

11



1.1

Entre réel et fiction

Architecture et fiction : quelle histoire ? L’architecture dans sa pratique conceptuelle et créative établit des connexions et des échanges forts avec la notion de fiction. Par définition la fiction est une « Création, construction de l’imagination […] œuvre littéraire ou artistique née de l’imagination de l’auteur »6. Le terme « littéraire » utilisé ici renvoie au récit, à la « narrativité » qu’il semble intéressante de questionner. La narrativité a une grande importance dans la pratique architecturale et participe pleinement à la problématique de cette recherche. C’est pourquoi il est nécessaire de comprendre la mise en relation entre architecture et narrativité en se basant sur le travail de Paul Ricoeur. Ce dernier énonce que l’architecture a une approche parallèle au récit par leurs relations respectives à l’espace et au temps : « […] un parallélisme entre d'une part construire, donc édifier dans l'espace, et d'autre part raconter, mettre en intrigue dans le temps. »7. Le temps et l’espace se croisent donc dans le construire et le raconter selon Ricoeur. Un échange d’espace-temps existe entre les deux domaines. Cependant dans la pratique du projet d’architecture, il y a une temporalité et une mémoire caractéristiques d’un récit alors que pour celui-ci l’approche spatiale renvoie à une ambiance, une « imagibilité »8. Cette relation établie, l’architecture intègre donc la notion de narrativité : elle raconte une histoire renvoyant à la définition de « fiction » établie précédemment.

6

La-definition. Paul Ricoeur, Architecture et narrativité, Revues Urbanisme 303, (1998), p.45. 8 Terme définit par Kevin Lynch comme « la perception que peuvent avoir les habitants d'une cité sur le lieu où ils habitent, sur eux-mêmes et sur les autres », Image of the city, (1960), p.11. 7

13


Fiction et architecture possèdent depuis toujours des liens forts. Elles évoluent en parallèle s’inspirant l’une de l’autre pour s’améliorer et se diversifier. D’un côté la fiction va insuffler, par sa dimension littéraire ou artistique, un imaginaire propre à son époque et un contexte social à la pensée architecturale. D’un autre coté a contrario, de nombreux auteurs, artistes ou penseurs sont influencés par les productions des architectes. Reprenons à notre compte quelques éléments de l’introduction de Pierre Hyppolite de l’ouvrage Architecture et littérature contemporaines : « Les œuvres de Marcel Proust, James Joyce […] analysées dans ce volume, en témoignent. La littérature contemporaine permet d’appréhender les liens entre le sujet et l’espace qu’il habite. Elle met en évidence les rapports étroits entre topologie, topographie, anthropologie et fiction. »9. Depuis leurs origines, fiction et architecture sont liées. On le remarque dès les premières utopies antiques où l’urbanisme apparait dans sa dimension sociale et politique, plutôt que planificatrice. Dans Le Timée de Platon, par exemple, où il recrée l'âge d'or hésiodique avec les Atlantes et leur cité mythique de l'Atlantide ou celui d’Homère (Odyssée, chapitre VII) qui introduit Ulysse dans les jardins d'Alkninoos. Plus les siècles passent, plus ce rapport se renforce. Thomas More définit en 1516 le terme d’« utopie » par l’œuvre d’Utopia basée sur une société idéale mais incohérente. Le mythe de la tour de Babel (XXᵉav. JC) apporte une dimension architecturale plus précise par le biais de représentation graphique au XVIᵉ siècle. L’art a aussi une influence conséquente sur la démarche architecturale. Plus récemment, l’art abstrait et le travail de Kandinsky inspire la maison Schroder de Rietveld. Ce dernier y puise ses formes, ses lignes et ses couleurs créant un espace en lien étroit avec la dimension artistique et fictionnelle du peintre. À l’inverse, l’architecture inspire la fiction : « Les objets architecturaux (cathédrales, labyrinthes...), les lieux (seuils, chambres privées, chambres d’hôtel...), les non-lieux de l’architecture contemporaine (tours, ponts, rocades, aires d’autoroute...) ont favorisé le renouvellement des dispositifs de la narrativité romanesque depuis le début du XXᵉ siècle.»10. Pierre Hyppolite affirme ainsi l’influence architecturale présente dans la littérature contemporaine. Pourtant, celle-ci ne se limite pas à ce medium, on la retrouve aussi dans le

9

Pierre Hyppolite Limoges, Architecture et littérature contemporaines, Presses universitaires de Limoges, coll. "Espaces Humains", (2012), p. 417. 10 Id., p.417.

14


cinéma, dans la bande dessinée et depuis peu dans le jeu vidéo. Le film Jupiter Ascending 11, sorti en 2015, place Bilbao comme capitale d’une autre planète en intégrant l’architecture de F. Gehry et de S. Calatrava. Leurs formes futuristes apportent une plus-value conséquente à la vision que l’on se fait de cette ville imaginaire. À l’inverse l’architecture choisie peut desservir une idée futuriste. Dans, le film Elysium 12, le choix architectural du réalisateur a été largement critiqué car inadéquat à l’expression d’une ville dans l’espace : « […] Cette proposition de ville orbitale n’apporte non seulement rien de nouveau, mais reste terriblement traditionnelle. Avec son atmosphère qui frôle le mauvais goût, la première impression qu’on nous offre d’Elysium tient davantage d’une modélisation de villa en bord de mer que d’une bonne bobine de science-fiction. »13.

Figure 1: Andy Wachowsky, Lana Wachowsky, Jupiter Ascending, (2015). Le Guggenheim de Bilbao donne un caractère futuriste à ce monde imaginaire.

11

Andy Wachowsky, Lana Wachowsky, Jupiter Ascending, (2015). Neill Blomkamp. Elysium. (2013). 13 Architecture & Science-Fiction Histoire de deux villes satellites par Mariasun Salgado, Docteur en Architecture 2014. 12

15


La ville entre réel et fiction L’histoire commune et l’influence réciproque de la fiction et de l’architecture caractérise aussi d’autres domaines de nos sociétés. On remarque un rapprochement voire un dépassement dans certains cas, des œuvres de fiction par la réalité. La limite entre réel et fiction est donc très mince, la ville en est une démonstration, se balançant entre un imaginaire collectif et une réalité spatiale. « Mère des mythes et de la bienfaisante utopie, source de l'invention technique et de la création scientifique, elle anticipe le réel à venir et donne sens à la réalité déjà constituée.»14. Les œuvres fictionnelles sont vues, lues et interprétées, elles donnent une image, une certaine vision du monde. La fiction se base sur le passé et le présent qu’elle extrapole pour apporter une anticipation de ce que « peut » être le futur. On s’inspire d’elle dans tous les champs, plus particulièrement à notre époque dans le domaine de l’innovation. Certains écrivains, artistes ou penseurs ont vu d’ailleurs leurs projections futures devenir réalités comme par exemple Jules Vernes : « Je faisais simplement de la fiction à partir de ce qui est devenu faits ultérieurement, et mon objet n’était pas de prophétiser, mais d’apporter aux jeunes des connaissances géographiques en les enrobant d’une manière aussi intéressante que possible ».15. De nos jours, dans notre quotidien l’innovation s’est basée sur des œuvres de fiction pour élaborer de nouveaux modes de fonctionnement, matériaux ou matériels. Dans la série Star Trek crée dans les années 60 apparaissent les premières tablettes tactiles de commandes desquelles Apple s’est inspiré pour l’Ipad (figure 2 et 3).

Figure 2 et 3 : A gauche un PADDs (Personal Access Data Devices) de Star Trek 16, à droite un IPad.

14

« Jules Verne et la Géographie », 1995, Géographie et Cultures, n° 15, p.143. Id., p.143. 16 Gene Roddenberry, Star Trek, (1966-2005). 15

16


D’après Benoît Peeters, qui parle ici de bande dessinée, ces imaginaires retransmis par des médias différents ( littérature, bande dessinée, film etc.) nous permettent aussi d’appréhender et d’assimiler l’utilisation de ces futurs objets ou mode de fonctionnement : « C’est une intégration de la modernité, du rêve de modernité, non seulement par l’architecture pure mais par les objets, ça peut être les voitures, ça peut-être les lampes, le mobilier et tout ça entre en contre bande, en arrière-plan […] c’est une façon d’acclimater la modernité dans la vie quotidienne, de faire comprendre que ces objets, ces machines et ces lieux qui n’existent pas encore dans le quotidien, on peut vivre avec ! […] Il a une façon de s’approprier l’espace de la modernité par un concret qui est celui des personnages. »17 Par cette présentation qui intègre notre quotidien entre réel et fiction, il convient de comprendre en quoi la ville elle-même et l’espace urbain d’aujourd’hui se situe aussi à cette intersection. Les villes se basent sur un imaginaire urbain qui depuis longtemps se retrouve dans des visions idéalisées. Les rumeurs et les légendes urbaines en sont des manifestations symboliques. Ces récits ne se contentent pas de prendre la ville pour cadre mais l’intègre au cœur de l’histoire : « Ces récits fournissent ainsi de bon matériaux pour l’élaboration de courts métrages, d’adaptations en bande dessinée, de fictions littéraires, etc. L’imaginaire est bien présent dans notre quotidien et constitue […] un espace de projection structurant ».

18.

Les

medias apportent donc un caractère fictionnel à la ville, ils produisent des images et des discours caractéristiques d’un imaginaire urbain. Ceci est d’autant plus vrai aujourd’hui où la médiatisation devient présente dans nos quotidiens par le biais des nouveaux modes de communications virtuelles mais aussi par les politiques publiques qui basent la majeure partie de leurs stratégies urbaines sur le marketing. Les espaces « hyper réels » définis par Dominique Crozat en sont une représentation flagrante : « processus de simplification de l’expérience naturelle directe, remplacée par une expérience simulée: basculement de la symbolisation et l’abstraction vers des icônes dont le sens est reconstruit et des situations simulées. »19.

17

Interview de Benoît Peeters "Archi & BD, la ville dessinée" à la Cité de l'architecture et du patrimoine, (2010). Philippe Chaudoir, La rue : une fabrique contemporaine de l’imaginaire urbain, (2008) p.52. 19 Dominique Crozat, La ville hyper réelle et les dimensions utopiques du projet urbain contemporain, Congrès ISA/ASLF, Barcelone, (2008). 18

17


Dans ces images (figure 4,5) du centre commercial Santa Catarina à Porto, on peut voir des copies de maisons vernaculaires des campagnes du Portugual. Cette « hyper réalité » reconstituée est plus attirante pour le client car elle a été mise en place pour être médiatisée et permet un confort de proximité diffusant une image rassurante car faisant partie du patrimoine.

Figure 4 et 5 : Dominique Crozat, La ville hyper réelle et les dimensions utopiques du projet urbain contemporain, Congrès ISA/ASLF, Barcelone, (2008). Centre commercial Santa Catarina à Porto.

« Pour notre société, il semble que la ville puisse être considérée comme l'une des plus pertinentes modalités imaginaires, au niveau de la traduction matérielle des rapports sociaux comme au niveau de la prégnance quotidienne du construit sur l'usager. L'imaginaire fait être la ville au même titre que la trame concrète de son espace. »20. L’architecture, notre vie quotidienne et la ville sont en connexions permanentes avec la fiction, elles s’en inspirent, lui répondent et la développent. Cette relation nous démontre l’intérêt de l’œuvre fictionnelle comme support d’une recherche en l’architecture : « Plus largement, l’imaginaire […] permet de révéler également des facettes inattendues de notre rapport à l’espace, et plus particulièrement à la ville. »21. Ce rapport nous permet aussi d’émettre l’idée que l’imaginaire et l’irréel ont une possible vision prospective.

20 21

Images et imaginaire habitant, Henry Torgue, DEA : “ Ambiances Architecturales et urbaines ” (2005-2006). « Jules Verne et la Géographie », 1995, Géographie et Cultures, n° 15, 143 p.

18


Le vocabulaire utilisé dans la partie précédente traitant de la fiction (imaginaire, image etc…) renvoie par définition aux modes de représentations. Cette relation amorce l’intérêt du travail sur les représentations de la ville d’aujourd’hui et de demain, réelle ou fictive.

1.2

Les représentations de la ville

« Aujourd'hui plus de la moitié de la population mondiale vit dans des villes, et en 2050 ce sera plus des 2/3. […] en France, selon l'INSEE, 95 % de la population vit aujourd'hui sous influence des villes. Ces dernières sont devenues au fil des avancées techniques et technologiques des zones géographiques incontournables dont le développement soutenable et durable est un enjeu majeur. »22. En ce moment, par la multiplication des mégapoles aux quatre coins du monde, il semble évident que la question de la ville est omniprésente. Il est intéressant d'aborder cette entité en essayant de comprendre son identité, tout d’abord en lui apportant une définition puis en interrogeant les manières dont elle est représentée.

L’essence de la ville « Comme un morceau d’architecture la ville est une construction dans l’espace, mais sur une vaste échelle et il faut de longues périodes de temps pour la percevoir. La composition urbaine est donc un art utilisant le temps, mais il est rare qu’on puisse y employer les séquences contrôlées et limitées des autres arts basés sur le temps, telle la musique »23

Le rapport au temps de la ville dont parle Lynch est indéniable, c'est une entité qui progresse, évolue, se transforme sur de longues durées. Pourtant elle est aussi identifiée par un temps beaucoup plus court qui caractérise la population qui y vit. Car la ville est avant tout

22

Florian Bercault, Leonard Chauvet, Benoît Coppens, Mathias Cordonnier et Axel Dieuzaide. Les villes de demain – Mardis de l'avenir. (2015). 23 Kevin Lynch, image of the city. (1960).

19


un lieu de vie où se concentrent les Hommes. Les villes sont des objets complexes, difficiles à comprendre par leurs multiples facettes. Elles sont en même temps espaces géographiques, entités consommatrices de ressources et lieux de vie. Pour répondre aux enjeux compliqués les concernant, les villes doivent être repensées en continuité : « derrière le substantif ville ne se cache aucune substance, aucune réalité universelle : aucune ville n'est parfaitement identique d'un bout à l'autre de la planète. Il faut bien comprendre que la ville est fondamentalement une invention de l'homme, un construit humain, un produit culturel, un artefact, comme diraient les philosophes »24. La ville n'est pas uniquement de la densité, des bâtiments rangés le long des rues, autour de places, ou même les activités que l'on y trouvent. C'est un lieu d'échange, de relations et de confrontations. Son pouvoir réside dans sa capacité à rassembler des populations hétérogènes. Elle se compose de ceux qui l'habitent et la vivent : « Dans une ville les éléments qui bougent, en particulier les habitants et leurs activités, ont autant d’importance que les éléments matériels statiques. Nous ne faisons pas qu’observer ce spectacle, mais nous y participons, nous sommes sur la scène avec les autres acteurs. Le plus souvent notre perception de la ville n’est pas soutenue, mais plutôt partielle, fragmentaire, mêlée d’autres préoccupations »25 La ville est donc mouvement, par son agrandissement, ses flux, ses activités humaines et ses mœurs. Cette vitalité perpétuelle la rend décousue, volatile ou concrète par la perception que l'on en a. Chacun va avoir sa propre représentation de ce qu'est telle ou telle cité. Ces façons de concevoir la ville peuvent se décomposer en 3 perceptions différentes : la ville vue par ceux qui construisent la ville, par ceux qui la pratiquent et par ceux qui la racontent. Certains vont "l'arpenter"26 et en avoir une représentation sensible tandis que d'autre la dessinent d'un point de vue professionnel. Pour mieux comprendre ces différents points de vue, il faut s’intéresser aux représentations de la ville, comprendre leurs différences et leurs échangent.

24 25

Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé, Les grandes questions sur la ville et sur l'urbain, (2014). Kevin Lynch, image of the city, (1960), p.11.

20


Formalisation technique, représentation mentale et récit A travers l'Histoire, de l'antiquité à aujourd'hui, de nombreuses personnes ont représenté la ville. Ces représentations offrent des caractéristiques différentes selon leurs objectifs. Elles se divisent en 3 parties distinctes basées sur les trois perceptions énoncées précédemment : la représentation technique, la représentation mentale et la représentation par le récit. La représentation technique est utile à la localisation, à la planification, à la construction et à la mise en place de projet. Elle va être principalement traitée par une activité professionnelle en rapport avec la ville comme le travail des géographes, urbanistes et architectes. Elle prend la forme de documents en majeure partie dessinés et dédiés à l'indication ou à la compréhension, à l'analyse et à l'élaboration d'un projet. Elle peut aussi faire l’objet d’œuvres artistiques, comme des dessins, des maquettes etc. La représentation mentale correspond à ce que Kevin Lynch appelle l'imagibilité de la ville (visibilité ou lisibilité) : "C'est la qualité d'un objet qui provoque de fortes images, grâce à la continuité de sa structure et à la clarté de ses éléments, plus nécessaires que d'autres propriétés comme l'agrément des sens. Pour renforcer l'image, on peut utiliser des moyens symboliques, comme les cartes, mais ces moyens sont précaires. On peut aussi exercer l'observateur à mieux percevoir la réalité, notamment à l'échelle nouvelle de la région urbaine. Enfin, on peut agir sur la forme de l'environnement."27 Pour mieux comprendre l'image mentale, on peut considérer 5 types d'images : les deux premières, globales, en rapport à une grande échelle : l'image urbaine et l'image géographique. Viennent ensuite deux images plus particulières, à dimension plus perceptible, les images tridimensionnelles et les images bidimensionnelles. L'ensemble de ces 4 représentations participe à l'élaboration de la dernière image : l'image mentale qui se résume en « la perception que peuvent avoir les habitants d'une cité sur le lieu où ils habitent, sur eux-mêmes et sur les autres ».282 Cette approche va être intéressante pour apporter une identité concrète à la ville par le biais de la représentation personnelle que s'en font ses habitants.

27 28

Kevin Lynch, image of the city, (1960), p.11. Carlos Recio Davila, Les images de la ville, Une approche à la sémiotique urbaine, (2009).

21


Enfin, la représentation par le récit a pour but de raconter, de faire comprendre une histoire relatant une ambiance urbaine. Ici, la notion d'imaginaire entre en jeux bien que chaque œuvre puise ses sources dans l'expérience réelle. La représentation mentale définie ci-dessus fait donc office de base au récit. "Chaque artiste croit développer un univers qui lui est propre mais – qu'il en ait ou non conscience – il est en prise directe sur un ensemble de signes qui le dépassent. Même si il croit travailler dans l'imaginaire pur, il est profondément marqué par la réalité qui l'entoure et par l'esprit du temps."29. Un récit dit réaliste, relatant des faits et des lieux existants, se base sur des souvenirs d'expériences qui sont malaxés, transformés, retranscrits selon les ressentis de leur auteur. A côté de cela, dans le récit fictif, l'auteur va tout autant se baser sur ses expériences mais en y insérant une impossibilité ou un élément irrationnel. Plus loin encore dans la science-fiction, la base réelle n'apparaît presque plus, elle est diffuse, en retrait. L'irrationnel et l'impossible sont partout, c'est le fondement ou la morale du récit qui va atteindre une certaine réalité et poser des questions actuelles. Ces trois types de représentations permettent de créer un lien avec la bande dessinée. Celle-ci est à la connexion exacte entre ces différentes représentations de la ville. D'une part parce que c'est un récit, une histoire racontée au lecteur correspondant au troisième mode de représentation. D'autre part les protagonistes vont avoir une approche différente selon leurs attributs, leurs métiers, leurs classes sociales et concevoir la ville différemment. Ils vont posséder une représentation mentale de cette ville qui devra transparaître dans le récit pour les faire évoluer au quotidien avec l’urbain. De plus, la bande dessinée passe par la représentation technique, elle met en œuvre des dessins qui ont un rôle majeur dans la narration. Ils servent de support pour la localisation, la situation et l'ambiance mise en place dans l'histoire. L’image devient donc le référentiel, elle impulse l’histoire et donne beaucoup moins d’importance au texte.

29

Jean-Marc Thévenet, Francis Rambert. Archi et BD : La ville dessinée. Entretiens avec Benoît Peeters, (2010), p.96.

22


1.3

Villes fictives : potentiel critique de la bande dessinée

A la réunion de ces trois modes de représentations, la bande dessinée est intéressante pour une analyse des modes de représentations de la ville. Elle possède des liens fort avec l’architecture et la ville tant dans la construction de l’histoire que dans la formalisation des planches. De plus, elle représente une époque et une pensée populaire car elle est un media à succès tout en étant basée sur une critique de notre monde. Notre monde est critiqué dans son caractère social tant dans les mangas que dans les comics mais c’est dans la bande dessinée franco- belge que l’on retrouve la plus marquante des séries traitant de la ville comme sujet principal : les Cités Obscures.

Architecture et ville dans la bande dessinée. Les débuts du neuvième art puisent leurs fondations dans la modernité, une modernité représentée par la ville et l’architecture. Cette complémentarité se retrouve aussi dans la formalisation des planches qui se rapporte à une composition proche du travail d’architecte. De plus la géographie, l’urbanisme et l’architecture sont un socle aux dessins et récits des ouvrages. Certains cas présentent parfois un passage de la bande dessinée vers l’architecture par des auteurs qui sont allés plus loin que la représentation, passant de la planche à la construction. Dans la seconde moitié du XVIIIᵉ siècle apparaît en Angleterre un processus d’industrialisation nouveau qui engendre des changements technologiques, sociaux et urbains : la révolution industrielle. La ville à cette époque se développe, s’agrandit et attire les populations. De plus en plus de personnes veulent habiter en ville. Ils quittent la campagne en 23


quête d’une vie meilleure. La ville apparaît alors dans l’imaginaire collectif comme un objet de fascination : une ville cosmopolite, développée, innovante où il y a du travail. Elle est à cette époque une expression de la modernité qui se poursuit et perdure jusqu’à maintenant. De cette représentation de la ville moderne naît la bande dessinée. Au début du XXᵉ, elle apparaît comme un éloge à la modernité dans Little nemo in Slumberland de Winsor McCay30. « Pour des lecteurs urbains ou ruraux, la ville va être un élément de fascination et Winsor McCay est un de ceux qui va populariser l’extraordinaire de la ville américaine qui au fond née à peu près au même moment que la bande dessinée américaine, c’est à dire dans la toute fin du XIXᵉ et le début du XXᵉ siècle. Verticalisation de l’architecture nouvelle structure urbaine totalement différente de la structure européenne. […] »31 La modernité, par le biais du domaine de l’architecture, a donc joué un rôle important sur l’avènement de la bande dessinée. Les pratiques en lien avec le territoire, l’aménagement et la construction servent aussi de support à l’élaboration du récit et des images. L’œuvre de bande dessinée est donc un monde complet. Elle s’intègre dans un territoire, un espace, une culture. Tout découle en premier lieu de la géographie : « Quand tu crées un univers fictif dans la bande dessinée par la géographie, tu te dis : tel fleuve passe par là donc tel peuple a des raisons d’y vivre et d’entrer en conflit avec tel autre »32. L’histoire se révèle par la mise en espace. Elle se base sur une carte commune, sur une pièce relevant de la géographie mise en place : « C’est ainsi qu’à partir du second volume des Aventures d’Astérix le Gaulois apparaît une carte liminaire célèbre, qui « plante » le décor et en décrit l’argument »33. L’auteur en amont de l’écriture et du dessin se fait donc géographe, urbaniste et architecte. Ces domaines seront la substance de toute l’aventure. Les caractéristiques personnelles des héros seront ancrées dans des régions, des villes, des bâtiments, des lieux qu’ils habitent et fréquentent : « Plus qu’un simple décor, les espaces, les lieux, les paysages constituent souvent la matière même du récit »34.

30

Winsor McCay, Little Nemo in Slumberland, (1905-1914). Interview de Benoît Peeters. 32 Veschambre Vincent. 2015. Quand la bande dessinée parle de paysage et de géopolitique locale. HAL. Chapitre XV. Citation d’Arleston, dessinateur de la série « Lanfeust » 33 Id. 34 Id. 31

24


Figure 6 : Carte d’introduction d’ « Astérix le Gaulois ».

25


On le retrouve d’ailleurs dans toutes les variantes mondiales de la bande dessinée. La bande dessinée est directement liée à une architecture représentative de la culture locale contemporaine. Par exemple dans les années 60, les mangas se tournent vers les adolescents ; les écoles publiques, les collèges et lycées deviennent la scène de toutes les aventures possibles : « Le fameux bâtiment scolaire préfabriqué devient un archétype que l’on retrouve alors dans tous les mangas, et que le monde entier découvre ensuite dans leurs différentes adaptations en dessins animés. »35 A la même époque, Stan Lee et Jack Kirby donnent vie à l’univers Marvel où des super héros évoluent à New-York. Devenu « la ville du futur » elle est idéale pour ces protagonistes qui investissent différentes ambiances selon leurs histoires : Daredevil l’arpentant plus intimement, défendant son territoire contre la mafia (figure 9) ; les 4 fantastiques défendant le monde entier de l’anéantissement, donnant à New-York le statut de capitale du monde (figure 8) ; sans oublier Spider man dont les façades verticales et la skyline endémique font partie intégrante de son personnage (figure 7).

Figure 7,8 et 9 : De gauche à droite : Spider man, Les 4 fantastiques et Daredevil tous à New-York. Google images.

35

Jessie Bi, Architecture et bande dessinée, magazine DU9, (2007).

26


Comme le montre Spider man, les villes prennent part à l’entité qui fait le personnage, les comics américain en étant la version la plus flagrante. La ville est un personnage à part entière. Elles ont leurs caractères, leurs ressemblances, leurs façons de fonctionner, mais elles sont surtout unique. Comme dans Batman ou Superman qui ne seraient pas devenus de telles icones sans Gotham city ou Metropolis à protéger. D’ailleurs dans les années 80 apparaissent de nouvelles séries qui portent des noms de villes : Métropol de Ted McKeever, Astro City de Kurt Busiek et la particulièrement connue Sin City de Frank Miller (figure 10) : « […] non-lieu absolu, nulle part et n’importe où aux Etats-Unis, […] où toute l’Amérique sombre se condense pour y chercher une rédemption. »36. La seule démarche comparable : « En France et en Belgique, […] serait la série des Cités Obscures. »37 de F.Schuiten et B.Peeters. Là où les autres traitent d’une seule ville, celle-ci met en scène plusieurs villes.

Figure 10 : Sin city de Frank Miller. Google image

36 37

Jessie Bi, Architecture et bande dessinée, magazine DU9, (2007). Id.

27


Un lien formel s’établit aussi entre le domaine de l’architecture et le neuvième art : la planche de la bande dessinée est une architecture. L’agencement des cases les unes à la suite des autres créent un quadrillage qui se compare aisément au travail de vide et de plein de l’architecte : « Une des approches les plus fécondes a été d’imaginer cette surface comme un immeuble en coupe où chaque case est une pièce […] ».38 On dit d’ailleurs en architecture que l’on travaille « le vide », le vide qui représente l’essentiel de la bande dessinée. Les images donc « pleines » sont là pour donner un caractère à la scène, mais le mouvement, l’action réelle, se passe entre les cases, dans les blancs, les vides : « […] cette particularité propre à la bande dessinée d’être aussi un véritable espace-temps. Les pièces de ces architectures sont en équilibre entre un avant et un après que seul le regard du lecteur ancre (le temps de sa lecture) dans le présent. »39.

Le lien entre architecture et bande dessinée peut aussi s’exercer dans le sens inverse. De nombreux volumes ont été transfigurés de leurs versions en deux dimensions vers de véritables objets 3D. Certaines œuvres vont être des outils pour les auteurs s’intégrant dans le processus de création : « Cette nécessité de l’objet construit lui donne le statut de maquette, il n’est pas une fin en soi, il s’intègre dans le processus élaborant la bande dessinée. ».40 D’autre avec une démarche différente créent des « reproductions » à l’échelle humaine du territoire de la bande dessinée. Les parcs d’attractions en sont les principaux exemples tel le Parc Astérix construit dans les années 80. Cette démarche a été bien sûr mise en place depuis longtemps par Disney aux Etats Unis. Ces travaux permettent à la bande dessinée de s’inscrire dans la réalité, de montrer l’influence qu’elle peut avoir sur la construction et permet ainsi de valoriser le travail des dessinateurs et scénaristes sur un plan plus ancré dans le réel. Ils s’éloignent du fictif et créent de potentielles œuvres d’architecture, comme la station de métro « Arts et Métiers » à Paris, dessinée par F.Schuiten (figure 11).

38

Jessie Bi, Architecture et bande dessinée. (2007), magazine DU9. Id. 40 Id. 39

28


Figure 11 : Station de métro Arts et Métiers de Paris dessinée par F.Schuiten. Figure du passage vers le monde des cités obscures. Google image

La bande dessinée un media critique

La bande dessinée établit des liens avec nos sociétés, l’architecture et la ville comme vu précédemment ; ces liens sont renforcés par l’impact qu’elle possède d’un point de vue social. Art connu de tous, media de masse : « qui rencontre un large succès populaire »41, la bande dessinée possède une dimension critique subjective de nos sociétés. Elle exploite une histoire pour passer un message traitant de faits sociétaux pouvant s’inscrire dans différents domaines, comme ceux de l’architecture et de la ville qui sont ici les principaux sujets.

41

Eric Dacheux, BD reflet ou critique du social ? La BD miroir du lien social, L’harmattan, (2011), p.240.

29


La bande dessinée est un art reconnu de tous. Tout d’abord culturellement : des magazines consacrent des numéros à la bande dessinée, les planches de certains auteurs à succès (Hergé, Bilal) se vendent dans des galeries d’art et elle possède aussi sont festival en France. Puis politiquement, puisque la bande dessinée francophone est promue par le ministère des affaires étrangères comme produit culturel. Reconnu, enfin, par les autres medias car le prix Pulitzer de 1992 a été attribué à une bande dessinée (Mauss de Art Spiegelman) et que les 50 ans de Superman ou d’Astérix en 2013 font la une de nombreux journaux. Elle possède donc une qualité d’œuvre d’art qui au fil des années a évolué pour devenir un véritable media populaire et reconnu. Benoit Mouchard dit en parlant de la bande dessinée : « Dans la civilisation de l’image qui est la nôtre, c’est l’un des moyens les plus sûrs de déchiffrer le monde »42, car la bande dessinée implique personnellement le lecteur et le fait devenir acteur d’une vision critique : « La BD est un média qui révèle à chacun son pouvoir d’agir »43. A notre époque, la connexion et l’interaction entre les individus se développent très rapidement par le biais du média internet. Pourtant on remarque que nos structures sociales se développent vers des « sociétés individualistes de masse »44, ou la recherche du bonheur personnel est la valeur première. La bande dessinée « […] dans sa structure médiatique, reflète parfaitement cette dynamique sociale propre à nos civilisations. ».45 Elle permet une lecture individuelle et enrichissante par le biais du rapport entre le lecteur et l’auteur dans une « coconstruction de sens »46. Un plaisir personnel né aussi entre l’imagination du lecteur et le monde créé car ce dernier s’associe à toute une communauté, aux autres lecteurs qui ont partagé ces aventures. Cet attachement à la bande dessinée vient aussi de son caractère à afficher pleinement sa subjectivité, touchant l’intérêt du lecteur. A l’inverse d’autres medias comme la télévision qui visent une objectivité quasi-totale et aucune prise de position. De plus ces médias proposent une cadence soutenue d’images et de trop nombreuses informations qui

42

Benoît Mouchard, directeur artistique du Festival d’Angoulême, Extrait de l’éditorial présentant le festival 2009. 43 Eric Dacheux. La BD : une représentation critique de notre monde de représentation, CNRS éditions, (2014). 44 Id. 45 Eric Dacheux, BD reflet ou critique du social ? La BD miroir du lien social, L’harmattan, (2011), p.240. 46 Id., p.240.

30


empêchent l’avis personnel. Démarche à laquelle s’oppose de nouveau la bande dessinée qui laisse : « un espace à construire entre chaque dessin, permet au lecteur de co-construire le sens, tout en lui donnant le temps de réfléchir à ce qu’il lit. »47 La bande dessinée est un outil pour représenter la société d’aujourd’hui. Pourtant ce caractère représentatif de la société n’apparaît pas obligatoirement dans la lecture d’une œuvre. La lecture peut, par moment, se référer uniquement au domaine du récit ou le lecteur se laisse porter par son imaginaire. Dans un autre cas, de la lecture va transparaître le rapport au réel, et mettre en valeur une critique positive ou négative.

Il y a donc dans toute œuvre de bande dessinée deux dimension distinctes : la première est la dimension de la narration avec une intrigue, une histoire, un récit ; l’autre est la dimension critique : « Source d’uchronies et d’utopies, la BD est un art qui, comme tous les arts, invite à la distance critique avec le monde tel qu’il est. ».48 Par définition, critique est : « Qui donne un jugement, une appréciation. ». De ce constat, la bande dessinée par sa représentation possède une approche qui émet une opinion sur un sujet social, politique etc. Elle a donc une connexion avec la réalité : « toute représentation artistique présente l’intérêt d’être constituée, produite et reçue dans un contexte et une société particulière »49; une réalité propre à l’auteur qui va trouver écho ou non avec le lecteur : « Elle laisse l’individu libre d’exploiter ou non les potentialités Libératoires du média, de succomber ou non à l’idéologie de certaines séries mythifiantes. »50. La dimension critique se fonde alors sur un message sousjacent à l’histoire qui livre une vision subjective de notre monde, mais cette subjectivité ne s’impose pas au lecteur car elle est ancrée dans la fiction : « ce qui offre au lecteur le plaisir de l’identification et de la projection »51. Le neuvième art montre donc le monde tel qu’il est (bande dessinée de reportages) ou tel qu’il fut (Les Justes)52. Mais il le montre aussi tel qu’il

47

Eric Dacheux, BD reflet ou critique du social ? La BD miroir du lien social, L’harmattan, (2011), p.240. Id., p.240. 49 Géraldine Molina, Le Paris des Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-sec de Jacques Tardi : une ville « noire » ? (2007), Géographie et Cultures, N°61 : « Le roman policier. Lieux et itinéraires », p.61. 50 Eric Dacheux, BD reflet ou critique du social ? La BD miroir du lien social, L’harmattan. (2011), p.240. 51 Id., p.240. 52 L’Île des Justes Corse, été 42, Stéphane Piatzszek, (2015). 48

31


aurait pu être, comme dans Gaston Lagaffe où un « gaffeur » garde son emploi, et même tel qu’il pourrait le devenir (Science-fiction). Le neuvième art est donc un media à succès qui possède une dimension critique importante par sa subjectivité, la bande dessinée émet une certaine représentation du monde tel qu’il est (la bande dessinée de reportage), tel qu’il peut l’être (monde meilleur) ou tel qui pourrait être ( bande dessinée de science-fiction). Cette représentation se divise en deux termes définis par Géraldine Molina : « l’urbaphobie » et « l’urbaphilie ». Ceux-ci désignent séparément deux conceptions de la ville qui remontent bien au-delà de la bande dessinée dans les textes sacrés (la Babylone urbaphobe et l’urbaphile Jerusalem céleste). L’une va mettre en lumière la ville « bien aimée » et l’autre, la « mal aimée », la dimension critique pouvant être ainsi positive ou négative. La bande dessinée est un ensemble de représentations « sociales qui en font un objet d’étude pertinent pour éclairer la question des images négatives et positives de la grande ville »53. Elle est donc un outil intéressant pour comprendre les représentations du monde, et de la ville. D’ailleurs comme expliqué précédemment par le rapport entre ville et bande dessinée, de nombreuses œuvres du neuvième art traitent de la ville. Des comics de super héros avec Superman et Metropolis qui représentent une vision urbaphile de New-york, au manga d’Akira qui, à l’inverse, décrit un univers urbain sombre et dangereux ou comme une La Foire aux Immortels54 dont l’auteur Enki Billal représente par son trait noir et ses couleurs très ternes, une ville urbaphobe (Figure 12). La ville, dans ces œuvres, revêt donc dans sa globalité, soit un caractère mal aimé ou valorisé, soit comme dans les Cités Obscures les deux mélangés en raison de la multiplicité des villes et des histoires permettant d’établir et de quantifier les images urbaphile ou urbaphobe et créant ainsi de véritables indicateurs sur les représentations des villes modernes et futures.

53

Géraldine Molina, Le Paris des Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-sec de Jacques Tardi : une ville « noire » ? (2007), Géographie et Cultures, N°61 : « Le roman policier. Lieux et itinéraires », p.61. 54 Enki Bilal, La Foire aux Immortels, (1980).

32


Figure 12 : Enki Bilal : « 32 Décembre »

Les Cités Obscures : monde métafictionnel

Pour s’intéresser au monde des Cités Obscures, il convient tout d’abord de s’imprégner rapidement de la vie de ces auteurs, de leurs recherches, de leur carrière, afin de comprendre tout l’intérêt que porte cette œuvre dans le domaine de bande dessinée puis conclure sur l’aspect métafictionnel de la série qui donne toute sa pertinence à cette recherche. François Schuiten et Benoit Peeters dessinent et écrivent depuis près de trente ans permettant à leur œuvre de devenir un des classiques incontournables de la bande dessinée, avec un style de dessins que l’on qualifie d’iconique. Leurs compétences s’étendent d’ailleurs 33


à d’autres domaines artistiques tels que la scénographie : décor de pièce de théâtre, pavillons d’exposition et les amènent à toucher un plus large public et de diffuser leurs idées. C’est aussi une manière de concrétiser leurs imaginaires dessinés dans la vie réelle. Chacun des auteurs a un parcours aux caractéristiques différentes ; il convient donc d’en présenter les grandes lignes pour mieux comprendre les fondements de leurs idées. Tout d’abord F. Schuiten est belge, né à Bruxelles en 1956. L’architecture tient dans sa famille une place très importante, son frère et son père étant de la profession : « J'étais immergé dans les propos liés à l'architecture, mon futur beau-frère était ingénieur architecte, les amis de mon frère étaient architectes, et du petit déjeuner au dîner les conversations tournaient autour de ce sujet. »55. L’éducation de son père a été très portée sur la pratique et la connaissance artistique : « Surtout, il a su m'inculquer un code de compréhension de la grande architecture, de la grande peinture, comme une grille de réflexion et d'appréciation sur les proportions […] »56. Sa première publication à l’âge de seize ans s’appelle Mutations, puis il suit des cours à l’institut Saint Luc, école spécialisée dans la bande dessinée, le dessin et la gravure. Dans les années 80, démarre la série des Cités Obscures qui est la plus importante de sa carrière en collaboration avec Benoit Peeters. Quand ils ne sont pas ensemble François se démarque par un grand prix en 2002 à Angoulême, il multiplie alors ses champs d’action : expositions, de la scénographie et dans la réalisation architecturale : la station « art et métier » de paris ou « Porte de Hal » à Bruxelles par exemple. Il va aussi réaliser quelques pavillons pour la Belgique, comme à l’exposition mondiale d’Aichi au Japon en 2005. Ensuite vient Benoit Peeters, né à Paris en 1956. Il fait des études littéraires en khâgne et hypokhâgne, puis obtient une licence en philosophie à la Sorbonne ainsi qu’une préparation au diplôme de l’école Pratique des Hautes Etudes. Ses premières publications dans les années quatre-vingt s’intitulent Omnibus (1976) et La Bibliothèque de Villers (1980). Il s’intéresse ensuite à de nombreux style : biographie, nouvelles, essais, cinéma etc. Connu pour être un spécialiste de l’univers de Tintin il y consacre 3 parutions. Puis il touche à de nombreux domaines, tant dans le cinéma avec Raoul Luiz pour le film La Chouette Aveugle, que dans le

55

Alta Plana, The impossible and infinite encyclopedia of the world created by Schuiten & Peeters. Questionréponse avec F.Schuiten. 56 Id. Question- réponse avec F.Schuiten.

34


documentaire (série comix diffusé sur arte), ou dans le moyen métrage avec L’affaire Desombres qui a pour thème le monde des Cités Obscures. Ces deux profils non exhaustifs nous dévoilent l’étendues des contributions des deux auteurs qui d’un côté ou de l’autre se lient à des domaines artistiques pluriels, l’un vers l’architecture et l’autre vers le cinéma. Nés aux mêmes moments, ils caractérisent la pensée d’une époque donnée, d’une jeunesse qui s’émancipe de certaines règles sans pour autant oublier les réalisations du passé en particulier celle du siècle précédent.

La série de bandes dessinées fantastiques des Cités Obscures est l’œuvre dominante de François Schuiten (dessinateur) et Benoit Peeters (Scénariste). Elle a commencé à voir le jour il y a trente ans, exactement en 1983 avec la parution de Les Murailles de Samaris. La série compte aujourd’hui 12 albums tous parus aux éditions Casterman dont le dernier est paru en 2009. Pourtant, après la parution du premier et même du deuxième volume, rien ne laisser présumer que d’autres histoires prendraient vie dans ce monde. Les auteurs expliquent que c’est en pensant à la géographie de Les Murailles de Samaris qu’ils eurent envie d’étoffer l’univers imaginaire qu’ils avaient créé : « C'est alors que nous nous sommes posé pour la première fois la question de l'emplacement de ces cités. Qu'y a-t-il autour de Samaris et de Xhystos ? Comment ce monde fonctionne-t-il ? […] »57. A l’inverse des longues séries de bande-dessinée, dans les Cités Obscures la cohésion ne se base pas autour d’un personnage, d’un groupe ou d’un lieu distinct. Chaque œuvre traite un scénario différent où l’on retrouve pourtant des allusions aux précédents : réapparition de protagonistes, de lieux, de noms : « Ainsi dans la préface à La Fièvre d'Urbicande, Eugen Robick critique “les fallacieuses théories des architectes de Xhystos”. »58. Xhystos venant d’un autre volume parut précédemment. Des villes justes citées dans un album sont au cœur de l’intrigue des suivants : « des pierres en attente pour de futurs albums »59 comme le dit Benoit Peeters. Chaque nouvelle bande dessinée vient agrandir et agrémenter de nouvelles connexions et relations au monde déjà existant.

57

Michel Jans (Auteur), Jean-Francois Douvry (Auteur), Claude Francoise Brunon (Auteur), François Schuiten (Illustrations), Benoît Peeters (Scenario), Autour des Cités Obscures, (2000), p.37. 58 Altaplana, La Quête du sens dans Les Cités Obscures, Frédéric Kaplan. 59

Altaplana, La Quête du sens dans Les Cités Obscures, Frédéric Kaplan.

35


Les auteurs sont souvent sortis du cadre de la bande dessinée pour venir enrichir la dimension imaginaire des Cités Obscures par des conférences, des expositions etc. Ces changements de forme donnent de nouveaux points de vue aux lecteurs, permettant de rendre crédible leurs univers de fiction : « Ce sont ces changements de forme qui semblent avoir imposé l'idée de la série dans l'esprit du public […] En passant d'un média à un autre, “Les Cités Obscures” sous-entendaient peut-être qu'il existait un univers de référence, indépendant de ces diverses traductions. »60. Ce changement médiatique atteint même un autre niveau : dans de nouvelles réalisations, les auteurs commentent leurs travaux. Ils mettent en place le discours d’un protagoniste vivant dans le monde des Cités Obscures qui donne un point de vue sur les sociétés, les villes et les pratiques présentes chez lui. On retrouve ces commentaires dans des annexes aux œuvres ou dans de nouveaux volumes comme L’Archiviste, et également dans des textes ajoutés, par exemple dans La Fièvre d’Urbicande où les auteurs y ajoutent « la légende du réseaux » écrites par un protagoniste des cités.

Grâce à cette pluralité d’histoires et de résonnances entre les ouvrages, la série des Cités Obscures met en avant un monde imaginaire métafictionnel : « Qui mélange plusieurs univers de fiction […] destinée à inciter à la réflexion ». Ces « univers » se différencient par la multiplicité des lieux, des histoires car il n’y a aucune thématique transversale à tous les volumes. Dans Brüsel et La fièvre d’Urbicande c’est l’urbanisme et la politique qui est abordé alors que dans Les Murailles de Samaris c’est plutôt l’aspect fantastique et incohérent qui est mis en avant. L’approche de l’ensemble du monde des cités est aussi difficile à appréhender dans son rapport au temps : rien n’est fixe et même si une frise chronologique a été mise en place dans Le Guide des Cités, celle-ci n’apporte pas un éclairage sur les événements ni sur leurs relations. Les Cités Obscures traitent principalement de la ville, la pluralité des lieux produits renforce l’aspect métafictionnel car chaque entité apparaît différente, en correspondance

60

Altaplana, B.Peeters, Une exploration transmédiatique: Les Cités Obscures.

36


avec une ambiance et une société unique. Elles offrent un panel très large d’univers urbain aux questionnements multiples et aux systèmes constructifs et sociaux hétérogènes. Dans la définition de métafictionnel, la notion de réflexion est présente : une réflexion sur le fond, sur la dimension critique de l’œuvre, vus dans les paragraphes précédents. Dans les Cités Obscures, l’ambiguïté réside dans le jeu entre réel et imaginaire : « Avec le cycle des Cités Obscures, Schuiten et Peeters sont passés maîtres dans l'art symétrique, celui d'introduire des éléments du monde réel dans leur univers imaginaire »61. Cette relation est uniforme à toute l’œuvre, d’ailleurs les auteurs eux-mêmes définissent comme cela leurs œuvres dans L’Archiviste : “Pas de merveilleux ici, pas de délire. Ni tigres transparents, ni roses ensanglantées, aucun de ces grotesques vaisseaux qui volettent d'une étoile à l'autre, mais un monde complet avec ses architectes et ses lois, ses techniques et ses scandales, ses religions et ses folies. Un monde qui, s'il a plus d'un point commun avec le nôtre semble s'être développé de façon plus systématique…”62. Leur univers va nous permettre d’établir certains rapprochements avec nos réalités urbaines, de comprendre quelles critiques sont émises par le biais des représentations de la ville : « […] la bande dessinée semble donc constituer un indicateur privilégié des images de la ville. Elle renseigne alors le géographe sur le sens, ou plutôt sur la pluralité des sens, que les hommes confèrent à la ville »63.

61

Frédéric Kaplan, Altaplana, La Quête du sens dans Les Cités Obscures. L'Archiviste, pièce 15 “Mylos les dépotoirs de Lizbar” 63 Géraldine Molina, Le Paris des Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-sec de Jacques Tardi : une ville « noire » ? (2007), Géographie et Cultures, N°61 : « Le roman policier. Lieux et itinéraires », p.61. 62

37



1.4

Décrypter l’œuvre : présentation de la méthodologie

La série des Cités Obscures possède 12 volumes dont 14 hors-séries. Le premier volume Les Muraille de Samaris est paru en 1983, il y a trente ans et le derniers Souvenirs de l’Eternel Présent en 2009. Dans le cas de cette étude, seuls 9 volumes et 4 hors-série participent à l’analyse effectuée. Les volumes 3 et 12 retirés sont dus à un choix personnel, elles ne possédaient, selon mon point de vue, pas assez de données répondant à la problématique posée. Pour ce qui est du volume 11 et d’un hors-série potentiellement intéressant : L’étrange cas du docteur Abraham, ils n’ont pas pu être trouvés en libre accès. Volume 1 : Les murailles de Samaris. (septembre 1983). Volume 2 : La Fièvre d'Urbicande. (Janvier 1985). Volume 3 : La tour. (Avril 1987). Volume 4 : La route d'Armillia. (Avril 1988). Volume 5 : Brüsel (Août 1992) Volume 6 : L'Enfant penchée. (Janvier 1996). Volume 7 : L'ombre d'un homme. (Mars 1999). Volume 8 : La frontière invisible. (Avril 2002). Volume 9 : La frontiére invisible tome 2. (Avril 2004). Volume 10 : La théorie du grain de sable. (Aout 2007). Volume 11 : La théorie du grain de sable tome 2. (Septembre 2008). Volume 12 : Souvenirs de l'éternel présent. (Octobre 2009).0

39


Hors-série 1 : L'archiviste. (Janvier 1987). Hors-série 2 : L'Encyclopédie des transports présents et à venir. (1988). Hors-série 3 : L'écho des cités. (Octobre 1993). Hors-série 4 : Le guide des cités. (Octobre 1996). La méthodologie d’analyse se base sur une grille où les œuvres sont vues, lues et interprétées unes par unes selon des critères spécifiques à l’architecture et l’urbanisme (figure 13). Ces tableaux permettent d’extraire les thématiques qui répondent à la problématique posée. En les assemblant par liens et domaines, elles forment donc 4 points d’appuis majeurs qui organisent la suite de l’étude : Chapitre 2 : Figuration de l’ordre spatiotemporel. Chapitre 3 : L’objet nature : entre absence factuelle et évocation pressante. Chapitre 4 : Géographie urbaine, sociale et politique. Chapitre 5 : L’obscurantisme de la fabrication urbaine. Ensuite, pour convertir ces grilles en un exposé littéraire, une seconde interprétation a été réalisée. Elle organise la masse d’information selon 4 regards différents créant une suite logique et méthodique d’écriture pour chaque sous partie : Regard descriptif : ce que je vois. Regard Sensible : ce que je ressens. Regard Interprétatif : ce que je pense. Regard Informatif : ce que j’apprends.

40


Les murailles de Samaris (1983) Architecture Le style

Xhystos : Art nouveau, industrialisation, vis apparentes, structures métalliques, constructions tramées. Samaris : Différentes architectures, style baroque, classique, européen, occidental, couleurs, fioritures. Aucune fenêtre. Ambiance superflue. Bâtiment du gouverneur, style religieux, ressemble à une église. Samaris révélée : Architecture leurre, façades décors, chambre factice, décor de cinéma, structure métallique.

La forme

Xhystos : Formes art nouveau, nature, courbe, entrelacs. Ligne droite, industriel, liaisons avec courbes. Toitures, courbes, unités. Volume, grand, pas à taille humaine, complexes, lisibilité mauvaise, beaucoup de détails, inutiles. Samaris : Formes, longues, rectilignes, quelques courbes, dôme, voûte et porche. Bâtiments, grands, hauts, quelques tours. Proportions, architecture antique, grecque, égyptienne. Xhystos : Environnement urbain. Même style sur toute la ville. Cas du central N : Eloigné de la ville, aucune accroche, pas de liens, monolithe, au milieu du désert. Samaris : Pas de liens réel. Collés les uns aux autres, aléatoire, mêmes teintes. Architecture leurre, joue avec l'usager, coté pervers, répétitions, amalgame, styles différents. Xhystos : Bâtiment emblématique, fonction annoncée par la devanture, "Registres et inscriptions". Central N : engins de transports, trains, altiplans. Samaris : Hôtel, affichés par un écriteau," Lerie". Samaris révélée : Fonction : perdre les voyageurs, façades qui tournent, créations de fausses rues, jamais deux fois la même. Xhystos : Art nouveau, courbes, sol, murs, plafond, mobilier, rappel de bateau, jules vernes. "Registres et inscriptions", employés hauts placés, une mise en avant de l'administratif, exagération. Sork club, éléments non constructifs, aspect de machine. Samaris : Hôtel, intérieur du hall classique, les couloirs, chambres rappel l'art nouveaux de Xhystos mais en plus sobre. Palais du gouverneur, colonnade le long des murs, beaucoup de fioriture.

L'environnement, relations Programme, organisation

Scénographie

Urbanisme Types d'organisations urbanistiques

Xhystos : Ilots, séparation par l’espace public large. Unités des toitures. Ilots, un bâtiment, imposant. Espace public, surélevé, 2 niveaux, sol et espace public en hauteur. (rappel des passerelles de Hong Kong dans les socles des tours). Trames différentes, éléments accordés, unités de paysage. Ville encerclée, grande muraille, ouvertures par des grandes portes, plus hautes, marqueurs. Extérieur, zone détruite, abandonnée, les « faubourgs ». Le central N, plus loin que les « faubourg ». Ville sur plusieurs niveaux, escaliers, passerelles, passages. Samaris : Bordée de murailles, immenses. Un creux marque l’entrée, canal, puis vrai entrée de la ville. Rues étroites, architecture variées, sobre, décoré, en hauteur surtout, aspect religieux. Espaces intérieurs et extérieurs se confondent. Samaris révélée : Ville leurre, labyrinthe mouvant, aucun parcour précédent ne se répète. Immense machine qui fait bouger les décors.

Xhystos : espace public surélevé, proche du haut des bâtiments. Entre les îlots, accroche aux bâtis pour se soutenir. Très large, accueil des transports en communs, peu d’arbres. Mobilier, arrêts de tram/bus. Lignes, art nouveau, sol. Beaucoup de passerelles, piétons, transports en communs. Décorations nombreuses. Samaris : Espace public, mince, rue étroite. Décorations, statues, fontaines. Apparaît petit à petit, joue avec l’usager. Statues, façades sur rues. Chemins dictés par le mouvement des façades. Xhystos : Circulations communes, piétons, transports. Tram petit, art nouveau, pas de limites entre Les circulations piétons et voies. Le central, gare des trams. Extérieur, trains à vapeur, allure début du siècle. Ligne droite, au milieu des faubourgs. Central N, lien avec transport aériens. Samaris : Circulation canal, bacs mécaniques. Xhystos : Limite entre bâtis et espace public très marqué, vide. Espace public construit après le bâti ? Les limites Ville fermée, muraille. Sortie, porte, frontière entre ville et faubourg, passage à pied, contrôle, long couloir étriqué, grille métalliques, ambiance glauque. Samaris : Grosses murailles. Xhystos : 2 niveaux, relation dessus dessous. Ségrégation verticale. 5eme élément. 2 modes de vie ? Social Quartier non distincts. Faubourg, version délabré. Personnes vivantes, image de zombies, « pillards ». Figure 13 : Grille d’analyse de Les Murailles de Samaris. L'espace public

41



Chapitre 2

Figurations de l’ordre spatiotemporel

Pour débuter l’étude de la série des Cités Obscures, il convient de s’intéresser tout d’abord aux relations d’espace et de temps qui s’exercent dans ce monde imaginaire. Cela permettra d’obtenir un point de vue d’ensemble et de rapidement entrer dans des réflexions sur les villes, leurs déplacements ainsi que sur leurs relations géographiques. Cette première partie commencera donc par une vision très large du monde proposé par le biais du rapport qu’il entretient avec le monde réel. L’échelle se réduira ensuite vers un aspect territorial pour continuer vers une approche plus urbaine. Seront abordées la perte de l’échelle humaine et l’abondance des répétitions qui reflètent une disproportion spatiale. Pour finir l’analyse des mobilités servira à interpréter la figuration de l’ordre spatio-temporel par le biais des transports.

43



2.1

Un reflet déformé

En premier lieu, il faut préciser que l’existence du monde des Cités Obscures est d’après les auteurs bien antérieure à leurs travaux : « Les liens entre cet univers et le nôtre paraissent anciens et réguliers »64. D’ailleurs de nombreuses personnes éminentes et de professions diverses ont, semble-t-il, senti l’existence du « Continent obscur »65 : Novalis dans Heinrich von Ofterdingen ou René Daumal ont fait plusieurs fois allusion dans le Mont Analogue. De plus, Franz Kafka et Walter Benjamin entre autre connaissaient son existence66, « […] Quant à Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy Casarès, ils se sont évertués, toute leurs vie durant, à travestir la très précise connaissance qu’ils en avaient ». 67

Deux mondes qui se reflètent Les Cités Obscures développent un « effet de réel »68 comme l’évoque les auteurs, par exemple dans leurs « voyages »69 vers cet autre monde. Il existe d’après eux un rapport constant entre nos deux univers, des échanges, des connaissances qui agrémentent notre quotidien et celui des habitants du Continent Obscur. L’imaginaire déployé est donc imbriqué

64

Le guide des cités, Benoît Peeters et François Schuiten (Octobre 1996).p.3. Terme utilisé par les auteurs pour caractériser le territoire des Cités Obscures. Id. p.3. 66 Les auteurs écrivent cela en tant que vérité mais ce ne sont que des extrapolations pour donner une dimension symbolique à leur monde imaginaire. 67 Id. p.4. 68 C'est là ce que l'on pourrait appeler l'illusion référentielle. La vérité de cette illusion est celle-ci : supprimé de l'énonciation réaliste à titre de signifié de dénotation, le « réel » y revient à titre de signifié de connotation; car dans le moment même où ces détails sont réputés dénoter directement le réel, ils ne font rien d'autre, sans Je dire, que le signifier [...] (Barthes, 1968, p. 88). 69 Les auteurs expliquent dans des écrits ou des interviews qu’ils ont réellement pus voyager jusqu’aux monde des Cités Obscures et que c’est comme cela qu’ils ont pu en conter les histoires. Cela créer donc un jeu, même une confusion entre réel et fiction. 65

45


et lié au réel, certains éléments vont être d’ailleurs presque identiques comme « les Passages »70 et le nom de certaines cités. De plus, les dessins sont très réalistes, particulièrement dans le domaine de l’architecture, ce qui vient renforcer cette relation. D’un point de vue spatial, le monde des Cités Obscures est un reflet décalé de la Terre. Positionné à l’opposé par rapport au soleil, tournant à la même vitesse selon le même axe et d’une dimension plus petite que le nôtre, ce monde nous est invisible. A l’inverse, ses habitants connaissent notre existence, c’est d’ailleurs pourquoi tant de références connues interviennent dans leur univers. D’un point de vue temporel, les Cités Obscures sont sensiblement dans une ère proche de la nôtre mais elles ont eu une évolution plus « systématique »71. Leur calendrier est différent et leur rapport au temps, décalé.

Figure 14. p.6. Le guide des cités. Les habitants du Continent Obscur nous observent et nous écoutent.

70

Définit dans le paragraphe suivant. « Qui pense et agit selon un système, d'une manière absolue, sans jamais se démentir » Dictionnaire Larousse. 71

46


Les passages formes et sens : du réel à l’imaginaire Les connexions entre le Continent Obscur et notre monde se font par des références cachées, des critiques sous-jacentes mais aussi par des lieux, des personnes et des livres. Cela vient du principe de Passages. Ils représentent les moyens d’accès au monde des cités : « Le problème de Passage se pose en effet d’une manière préoccupante, puisque seuls quelques point de contact sont attestés et qu’ils semblent pour la plupart bien difficiles à utiliser »72. Ces passages sont nombreux et peuvent s’utiliser dans les deux sens. Ils se retrouvent dans des villes qui se ressemblent d’un monde à l’autre. Par exemple le palais des trois pouvoirs de Brüsel est le reflet du palais de justice de l’actuelle Bruxelles, de même pour la station de métro « Art et Métier » de Paris et sa jumelle Pâhry, une des plus éminentes villes des Cités Obscures. Il existe aussi d’après des témoignages d’autre passages avérés ou non : « Il existerait bien d’autre Passages, recherchés inlassablement dans les deux univers. […] L’écrivain Pierre Lidiaux était persuadé que le Musée Wiertz, à Bruxelles, communiquait avec Brüssel […] »73. Il y a eu aussi des échanges de connaissances écrites comme le démontre l’engouement pour l’art nouveau de la ville de Xhystos inspirée des « lambeaux d’un livre consacré à Victor Horta […] ayant suscité l’enthousiasme […] »74. Certaines personnalités connues ont aussi emprunté ces Passages, explorant les Cités Obscures. Le plus connu d’entre eux est Jules Vernes qui possède une approche différente du Passage : « C’est « par la seule force de l’imagination, en certains moments privilégiés » qu’il serait parvenu à quitter son univers habituel… »75. Ces figures du Passage sont donc la connexion physique qui lie notre territoire à celui des Cités Obscures. Celle-ci connecte nos deux mondes qui possèdent de nombreuses corrélations. D’un point de vue géographique, ces rapprochements apparaissent mais sur un territoire bien différent. Une présentation de cette échelle semble inévitable pour la compréhension du fonctionnement de cet univers.

72

Le guide des cités, Benoît Peeters et François Schuiten (Octobre 1996).p.56. Id. p.65 74 Id. p.145 75 Id. p.66 73

47


Une géographie scindée : entre ville et territoire Pour aborder le territoire, il est nécessaire d’approcher la cartographie qui, de plus, est un domaine prédominant dans les Cités Obscures. Elle représente : « une branche majeure de la philosophie »76 et fait l’objet de grandes discussions. D’ailleurs, chacune des villes possède sa propre représentation cartographique du continent où elle apparaît centrale : « des représentations ou l’ensemble du Continent obscur semble s’organiser autour d’elle »77. La dimension de la cartographie se place à cheval entre science et art. La séparation entre ces deux domaines, très présente dans notre monde, est inexistante dans celui des Cités. Une relation différente avec la culture est établie, elle est plus présente dans les mœurs. Il y a sur le Continent Obscur une conscience et une connaissance culturelle forte : « la culture n’est pas réservée à une population spécialisée très formée, pratiquement tout le monde va pouvoir vous parler de sculpture, de musique de photographie, c’est vraiment une culture très partagée. »78. Ce rapport à la culture crée une identité urbaine propre à chaque ville, une « fierté urbaine »79 même, à un tel point que les cités sont complétement coupées les unes des autres : « Les rapports entre les cités sont des rapports de méfiances réciproques ».80 Leurs relations sont quasi inexistantes, il n’y a pas de liens commerciaux, ni de discussions ; les seuls échanges qu’elles ont sont purement touristiques. Ce sont des entités séparées qui veulent se surpasser les unes les autres, particulièrement dans les domaines culturels et technologiques. Ce conflit transparaît par une sorte de « situation d’exposition universelle »81 constante où chaque ville veut rayonner un maximum, en rebâtissant parfois la cité entière. Ajouté à cela, la campagne est un lieu qui n’existe pas sur le Continent Obscur : « […] la ville est le lieu de la vie humaine. »82. Les cultures agricoles sont confinées à des zones spécifiques (de grandes serres très productives alimentent les villes en vivres). Le reste est une nature intacte, où les forêts sont primaires et où l’homme n’a pas eu d’impact conséquent. Les seules traces humaines que l’on peut y apercevoir sont dues aux transports, très rares, entre les différentes villes. D’après ces constats, la notion de « pays » n’existe pas : « […] il n’y a pas de

76

Le guide des cités, Benoît Peeters et François Schuiten (Octobre 1996).p.9. Id. p.9. 78 Ville-mondes imaginaires « Cités Obscures » - Escale 1. Interview de Benoit Peeters. 79 Id. 80 Id. 81 Id. 82 Id. 77

48


nationalisme, le pays, la nation en tant que tel, ce sont des notions inconnues »83, le pays est converti en une entité urbaine et culturelle unique, autosuffisante et presque totalement isolée.

Cette définition des villes du Continent Obscures invite à mieux percevoir l’ambiance globale et la géographie du monde déployé. Elle permet aussi d’apporter une dimension critique générale en référence à des faits actuels sur la ville. Tout d’abord les Cités offrent un point de vue urbaphile d’une possible évolution de la ville. La question de la nature est mise en avant, entre un respect des zones naturelles génériques et une auto gestion urbaine en matière agricole qui renvoie au principe « d’agriculture urbaine »84. L’hyper centre et la surdensité sont aussi des sujets présents représentés par la concentration unique des habitants dans les villes et leur émancipation par rapport au territoire. Pourtant, à l’inverse, ces mêmes principes invitent à l’urbaphobie. Les relations inexistantes entre les entités urbaines apportent une vision d’un monde froid et austère où le surplus de culture ancrée et localisée forme une discrimination à l’échelle géographique. Elles mettent aussi en place le phénomène d’exposition universelle constante qui rappelle les compétitions politiques en utilisant de l’architecture. Pourtant cette séparation n’est à l’évidence pas une possibilité réelle d’évolution. Nos villes se développent à l’inverse vers l’ultra connexion par le biais des réseaux. Cette première partie a abordé l’aspect géographique des Cités Obscures, elle a mis en place une base territoriale comme dans toute création de bande dessinée85. Cette dimension permet donc d’approcher désormais des échelles plus petites où il sera question d’urbanisme et d’architecture.

83

Ville-mondes imaginaires « Cités Obscures » - Escale 1. Interview de Benoit Peeters. « L’agriculture urbaine est une activité de production végétale et/ou animale qui est localisée dans les régions urbaines, dans ou autour des agglomérations, petites ou vastes » Agriculture urbaine, définition - entretien avec Pierre Donadieu. http://www.tourisme93.com/agriculture-urbaine-definition.html. 85 Chapitre 1, partie 1.3 : Villes fictives : potentiel critique de la bande dessinée, Architecture et ville dans la bande dessinée, p.23. 84

49



2.2

Disproportions

A une échelle plus petite, celle de la ville ou même d’un bâtiment, on remarque des disproportions. L’espace et le temps sont ainsi augmentés, déformés ou étirés. Cette disproportion se caractérise par une perte de l’échelle humaine ainsi que de nombreuses répétitions et similarités. Le temps est aussi déséquilibré, entre une vitesse exagérée et une lenteur abominable.

Perte de l’échelle humaine L’échelle humaine est sans cesse contrariée dans les Cités Obscures. Tout d’abord, les bâtiments possèdent des proportions gigantesques où la sensation de verticalité prend des dimensions pharaoniques. Ensuite, une opposition se réalise, des visions de maquettes font des protagonistes de véritables géants. Par exemple dans le cas du centre de cartographie86 (Figure 15), le dôme possède des proportions qui, par rapport à la taille du protagoniste au premier plan, lui donne un caractère infini. La perception de ce volume nous renvoie une image lourde et omniprésente de la construction. A l’inverse, l’intérieur du bâtiment transmet une sensation plus légère. En effet,

86

La frontière invisible, Benoît Peeters et François Schuiten (Avril 2002).

51


au sein de ce dôme se trouve une maquette géante du monde que construisent les cartographes ; ce sont donc les personnages qui deviennent hors échelle donnant un caractère plaisant aux images (Figure 16). On retrouve aussi cette opposition dans Brussel, où les protagonistes déambulent dans une maquette de la future ville. (Figure 17). Bien que l’échelle soit énorme, la ville n’est pas écrasante et revêt plutôt un caractère grandiose et utopique. Puis d’autres représentations interviennent, la verticalité s’impose apportant un caractère vertigineux aux illustrations. Cette dimension se retrouve autant dans les volumes de draps (figure 18) que dans l’ancienne petite maison perdue dans l’immensité des nouvelles constructions alentours (Figure 19). Un dernier exemple permet aussi d’appréhender la perte de l’échelle humaine (Figure 20). Dans cette image intervient « l’urbatecte Eugène Robick » et sa maison. La relation est frappante, l’échelle de l’habitation ne permet pas de la percevoir comme un lieu de vie agréable. Pour conclure sur la perte de l’échelle humaine, elle se caractérise par une opposition entre une représentation urbaphobe de la ville construite (figure 15, 19 et 20) et une perception urbaphile d’une reconstitution ou d’une maquette. L’une met en scène des protagonistes diminués par la dimension des constructions. Cette approche renvoi à un potentiel prospectif déjà intégré à certaines villes contemporaines comme New-York ou HongKong qui donnent une sensation d’écrasement par leurs verticalités. La deuxième, se rapproche elle d’une possible pratique du projet où la création en amont ne correspond pas forcément au ressenti du réel construit

Surabondance : répétitions et similarités La disproportion est aussi présente sur le Continent Obscur par la surabondance. Elle se caractérise par un trop plein, une multitude de constructions, de décorations similaires et répétées. On le remarque à plusieurs niveaux. En premier lieu, certains bâtiments ou système constructifs sont répétés et présents dans toute la ville. Ils apparaissent systématiquement comme emblèmes de ces cités. Mylos (figure 21 et 22) est une ville industrielle. La multitude des fumées et des cheminées qui s’étendent vers le lointain sont le symbole représentatif de cette ville.

52


53


L’aspect industriel est donc omniprésent. Il en va de même pour la « cité coupole »87 de Galatograd (Figure 25). Les dômes sont le mode de construction de la ville. Ici l’effet de répétition du principe constructif offre un caractère unique à cette cité. Pourtant la signification propre des bâtiments ne transparaît pas, tous sont plus somptueux les uns que les autres sans avoir de démarcation particulière excepté leurs tailles. Dans un deuxième temps, à une échelle plus réduite, la surabondance est visible dans le style architectural unique et des décorations propres à celui-ci. Xhystos en est l’exemple parfait dans son style art nouveau (Figure 23 et 24). La pluralité des formes courbes et leurs répétitions donnent une mauvaise lecture de l’organisation de la ville. Le surplus de détails et de fioritures masque aussi les fonctions et rend confus les habitants : « le mal de Xhystos88 ». A l’inverse, Brussel ne possède pas de surplus décoratifs mais une abondance de répétitions (Figure 26). Le style art déco du bâtis, avec des fenêtres similaires et quadrillées donnent une sensation de vertige. Ici l’enchainement de ces ouvertures répétées renforce la verticalité de la ville. L’utilisation systématique d’un style et l’abondance des ressemblances créent une de perte de repères. La ville peut être vue dans tous les sens, elle offrira la même image à l’usager comme au lecteur. Pour finir, la surabondance montre que chaque cité est représentée par un symbole. Un système de constructions ou de style. D’un côté urbaphile, les villes possèdent un certain cachet et une unicité. Leurs cultures et leurs esthétismes remarquables leurs permettent de se différencier facilement. De l’autre côté, ces répétitions apportent une perte de repère qui rend la ville rigide et froide. Elle perd une partie de son identité, car tout se ressemble au point de se confondre. Dans la réalité, l’identité des villes à notre époque est matière à réflexion pour l’avenir. Le caractère original de celles-ci était plus présent il y a des décennies. L’architecture d’aujourd’hui tend plutôt à reproduire, à suivre une mode : « Admettons que l'identité dérive de l'aspect matériel, de l'histoire, du contexte, du réel. Nous avons du mal à imaginer que ce qui est contemporain _ et que nous produisons - contribue à une identité. »89. Dans les Cités Obscures comme chez nous, le problème de l’identité urbaine se pose pour la ville de demain.

87

Le guide des cités, Benoît Peeters et François Schuiten (Octobre 1996). p.131. Le mal de Xhystos : « C’est sans doute ce qui conduit régulièrement des habitants à ne plus pouvoir retrouver le chemin de leur propre habitation et à errer sans fin à travers les rues. ». Id. p.146. 89 Rem Koolhaas, Junkspace, (2011). 88

54


55


Temporalités contrariées : compression, extension, accélération Après avoir abordé la disproportion à un niveau spatial par la perte de l’échelle humaine et la surabondance, il convient de s’intéresser à la dimension temporelle qu’elle peut prendre. En effet les temps sont contrariés sur le Continent Obscur. Ils sont soit ralentis, soit accélérés et marchent à des rythmes différents des nôtres. Tout d’abord le temps est accéléré dans le domaine de la construction. Dans Brussel le protagoniste a pu juste entrevoir les maquettes préalables de la nouvelle ville (figure 17)90 qu’elle est déjà érigée (figure 31) à la place de l’ancienne (figure 30). La même rapidité d’exécution se voit au centre de cartographie. Les cartographes créent la maquette d’une nouvelle muraille dans leur monde miniature (figure 27) et très peu de temps après celle-ci apparaît construite lors d’un voyage entrepris par les personnages (figure 28). Cette rapidité de construction improbable s’oppose à la lenteur excessive des institutions. Dans Brüsel, quel que soit le lieu, à l’hôpital, à la mairie (figure 29) ou dans les bureaux de postes, tout va très lentement avec des temps d’attentes inimaginables. A contrario, la nature possède elle aussi une rapidité excessive d’évolution. Après la reconstruction phénoménale de Brüsel, l’eau détournée de la Senne déborde à cause de pluies et engloutit complétement la ville en un temps très court (figure 32). Dans la route d’Armilia c’est encore Brüsel qui est victime de la nature. Les plantes apparaissent là où elles n’existaient pas et envahissent les buildings en quelques minutes (figure 33). Pour conclure, des contradictions temporelles s’exercent sur le Continent Obscur de manière disproportionnée, le temps est compressé et accéléré. Il représente une vision urbaphobe de la ville qui est incohérente et incompréhensible avec de telles temporalités. Sont mis ainsi en lumière des dysfonctionnements administratifs et constructifs que l’on retrouve vraisemblablement dans la réalité. Ceux-ci entrainent une prise de conscience souvent limitée de l’impact des planifications urbaines. L’aspect social en est fortement bouleversé, d’ailleurs dans les Cités Obscures, les habitants ne reconnaissent plus leurs villes (figure 40). La traduction naturelle de cette temporalité critique notre monde actuel de façon extrapolée, elle met en avant des prises de décision trop rapides et une mauvaise gestion des risques concernant les catastrophes naturelles (inondations, tremblement de terre).

90

Chapitre 2, partie 1.2 : Disproportions, Surabondance : répétitions et similarités, p.52.

56


57



2.3 Mobilités : Transports variés

Quand on traite de l’espace et du temps, la question des mobilités est évidente. Cette partie traitera alors des moyens de transport présents dans les Cités Obscures. Ceux-ci sont complexes, il faut emprunter de multiples réseaux pour arriver à destination : « Toujours très compliqué de se déplacer dans les Cités Obscures.»91. Ils se basent sur des modèles théoriques du siècle dernier bien qu’ils développent un rapport futuriste avec leurs environnements. Deux modèles s’opposent dans ces transports : l’urbain et le « non-urbain »92, ils correspondent à des pratiques très différentes du déplacement.

Un futur antérieur Sur le Continent Obscur, Axel Wappendorf a théorisé les transports dans l’Encyclopédie des transports présents et à venir93. Ce livre résume un par un les différents véhicules utilisés au sein des cités, du tripode aquatique au vélocipède Alaxien. Le meilleur moyen d’aborder ces moyens de locomotions est de les inscrire dans un « futur antérieur ». Le terme futur désigne le rapport qu’ont les véhicules avec une démarche innovante : « Anticipation : plus encore que les nécessités du présent, ce sont les besoins de l’avenir qu’il nous faut imaginer »94. L’aspect antérieur des transports se caractérise par leurs ressemblances avec les utopies de la

91

Ville-mondes imaginaires « Cités Obscures » - Escale 1. Interview de Benoit Peeters. « Non-urbain » remplace ici le mot « rural » car il n’y a aucune ruralité présente dans les Cités Obscures. 93 Benoît Peeters et François Schuiten, Encyclopédie des transports présents et à venir, (Mars 1988). 94 Id., p.5. 92

59


fin du XIXᵉ et début XXᵉ siècle. Par exemple, les travaux de Jules Vernes ont été une inspiration pour leur élaboration. L’anticipation décrite précédemment est l’une des caractéristiques importantes de ces véhicules à laquelle se rajoute la capacité à pouvoir utiliser deux éléments à la fois : «Amphiduction : chaque fois qu’il a été possible, les véhicules ont été conçus pour se mouvoir dans deux éléments, la terre et l’eau ou l’air et la terre »95. (Figure 35,37 et 39). Ils permettent donc une adaptabilité à des circulations dans différents milieux. Ensuite, comme le montre les images, la plupart des véhicules ne fonctionnent qu’avec très peu d’énergies fossiles. Ils utilisent l’énergie de l’homme (Figure 34, 36 et 39), de l’air (Figure 37 et 38), de l’eau et des marées (Figure 35). Il n’y a pas de trace de pollution due aux transports, ce qui les inscrit dans une démarche durable. Les transports dans les Cités Obscures décrivent un retour vers un système plus en relation avec les éléments naturels, les capacités de l’homme et une économie d’énergie. Le fait que les véhicules n’utilisent pas d’énergies fossiles renvoie aux problèmes actuels sur la diminution des réserves de pétrole et sur l’avenir des circulations sans cette matière première. Les transports devront alors se doter de nouveaux mécanismes ou bien, à l’image des Cités Obscures revenir à des moyens de locomotions plus anciens. C’est là que prend tout son sens le terme « futur antérieur ».

Deux modèles qui s’opposent Le système de transport des Cités Obscures peut se définir en deux catégories marquant des temps de voyage différents : le modèle urbain basé sur des temps courts et le modèle non urbain caractérisé par des temps longs et des destinations lointaines. Le premier modèle est intérieur aux villes, il est représenté principalement par deux catégories : les transports en communs et les transports aériens.

95

. Id. p.5.

60


61


La première englobe des moyens de locomotions lents, ils sont en général ressemblants aux tramways (figure 43). Basés sur des trajets courts, ils sont efficaces mais des problèmes d’attentes ou d’horaire sont présents rappelant la mauvaise gestion citée dans la partie 2.2.3 : temporalités contrariées. D’autres transports plus privés caractérisent certaines cités, comme la nouvelle Brüsel dotée de «pneu rail » (figure 41 et 42). Les transports de la seconde catégorie, aériens, sont très présents. La taille vertigineuse des constructions, l’abondance des tours nécessite ce type de déplacements, façon la plus simple et rapide de se mouvoir (figure 40). Le deuxième modèle traite des mobilités extérieures aux villes. Elles sont beaucoup plus complexes car il n’y a pas de liens entre les cités. Il n’y a ni routes ni trains qui les relient, elles sont complétements indépendantes. Les transports sur ces longues distances sont donc très rares et font l’objet d’expéditions ou de voyages massifs. Les départs se font à l’extérieur des villes. A Xhystos, les voyageurs accèdent à des aérodromes extérieurs (figure 44) par de petits trains rapides qui partent des gares situées en bordure de villes. De façon similaire aux transports à l’intérieur des villes, les transports aériens sont les plus performants pour voyager entre les cités (Altiplan (figure 45), ballons dirigeables ou aéronefs), mais les temps de transports restent considérablement longs. L’utilisation du sol est très désavantageuse due à la nature sauvage et l’absence de voies de circulations. Pour conclure, les mobilités du Continent Obscures sont divisées en deux temps de transports différents : l’un rapide, urbain qui présente une vision urbaphile de la ville tandis que l’autre ex urba est lent et complexe pour le voyage. De ce fait, ce dernier est quasiment inexistant. Cette opposition trouve écho dans le problème émis dans la partie précédente 2.3.1 : un futur antérieur avec le manque d’énergies fossiles. Dans l’optique d’un changement radical de ce type rendu nécessaire dans nos sociétés actuelles, les transports urbains en communs (tramway, bus) seront probablement valorisés en raison de leurs trajets courts et peu couteux en énergies. A l’inverse les transports de longues distances comme les avions consommant beaucoup de carburant généreront des coûts tellement élevés qu’il faudra les transformer. Les voyages seront différents, probablement plus longs à moins que des solutions nouvelles voient le jour.

62


63


L’approche spatio-temporelle des Cités Obscures a permis de mettre en lumière des conclusions sur les représentations de la ville en rapport avec le territoire, la disproportion ainsi que les mobilités. Ces approches divisées entre des représentations urbaphiles et urbaphobes se connectent à la réalité que nous vivons au travers de la dimension critique de l’œuvre. Elles émettent aussi une potentielle prospective de la ville future. Tout d’abord, les principes abordés traitent de l’autonomie, de l’isolement des villes en relation avec des moyens de transports caractéristiques de cette séparation. Ils abordent aussi l’impact d’une identité culturelle forte qui, ajoutée à des politiques de démonstration dérivent vers des dysfonctionnements constructifs à grande échelle. L’aspect systématique des planifications urbaines met également en relief une de perte de repères. Enfin la ville est définie comme un hyper centre, le support de toute l’activité humaine. Cette concentration met en avant le terme de ville verticale et la lie à des nouveaux moyens de transports. Le potentiel prospectif qui émane de cette première analyse propose une vision possible du futur. Il aborde l’identité des grandes villes qui tendent toute à se ressembler puis leurs densités, dans une évolution vers plus de verticalité. Ensuite vient la question des transports face à une disparition des énergies fossiles et des changements que cela génère sur les modalités de déplacement.

64




Chapitre 3

L’objet « nature » : entre absence factuelle et évocation pressante

La relation de la nature avec l’urbanisme et l’architecture des villes du Continent Obscur est particulière. Elle se situe entre une absence factuelle et une évocation pressante. Dans les villes elle est donc quasiment absente excepté dans des aménagements périurbains très peu bâtis. A contrario, le naturel est constamment rappelé dans l’architecture. De l’art nouveau de Xhystos, au biomimétisme de Blossfeldtstad l’aspect végétal est omniprésent dans les constructions. Une seule ville déroge à cette règle, Calvani, qui, à l’inverse des autres est pensée uniquement pour la mise en valeur de la nature.

67



3.1 Un contraste entre urbain et périurbain

La place de la nature est contrasté entre l’urbain et le périurbain. Dans le premier cas, un lien se crée avec la nature environnante par des aménagements dans des forêts aux abords des villes. En outre certaines planifications abandonnées en périphérie sont envahies par une végétation non contrôlée. Au contraire, au sein des villes, les espaces dédiés aux végétaux sont absents. Les rues ne sont pas arborées, les parcs sont quasi inexistants. Le rapport entre la ville et la nature factuelle n’existe pas.

Des périphéries naturelles : entre promenade et forêt Le territoire extérieur aux Cités Obscures est naturel ; aucune construction n’est présente dans ces espaces. A l’inverse, la végétation est absente des villes. Pourtant en périphérie, des constructions légères ou des zones de villes à l’abandon établissent une relation avec la nature environnante.

69


Tout d’abord, les aménagements périphériques intégrés à la nature environnante sont construits en accord avec elle. Ce sont des lieux de promenades, de détente ou même de restauration dans le cas de Blossfeldtstad (figure 48). Les circulations se font sur des passerelles surélevées qui permettent un cheminement au sein des arbres et des plantes tout en respectant l’impact sur le sol (figure 46 et 47). De plus, ces lieux sont fréquentés et dégagent un certain dynamisme. Ils produisent une ambiance sereine qui imprègne les lieux de légèreté. Des usagers y font du footing à Brüsel par exemple, comme ils le feraient dans un parc, utile pour des moments sportifs ou des promenades (figure 47). A Blossfeldtstad, l’harmonie entre architecture et nature est impressionnante car les deux éléments se confondent. En effet, l’architecture basée sur le bio mimétisme s’approprie les formes naturelles alentours (figure 46 et 48). Certains quartiers abandonnés, comme un morceau de l’ancienne Blossfeldtstad, sont aussi en contact étroit avec la nature qui se réapproprie ces lieux moins fréquentés (figure 49). A l’inverse des promenades, l’ambiance est un peu lugubre due au délaissement des constructions à proximité. La végétation est donc présente dans les périphéries et l’urbanisation de certaines cités et prend en compte la nature environnante. De plus, ces lieux attirent la population qui interagit avec la nature. En parallèle, dans la réalité, la démarche du moment consiste à développer ces espaces de périphérie et les étendre aux centres à plus forte densité.

Une nature factuelle absente des villes Le paysage urbain des Cités obscures est dénué de toute forme de nature. Les villes sont représentées avec peu de végétation, quelques parcs sont représentés mais ne suffisent pas à combler le manque flagrant de flore. Des espaces publics, aux terrasses en passant par les intérieurs privés, la nature est factice, ou totalement manquante dégageant une ambiance figée et dure. Pour commencer, la nature est inexistante à Xhystos. Pourtant elle serait bénéfique car la ville est implantée en plein désert des Somonites96 où la chaleur est accablante.

96

Grand désert au centre du territoire des Cités Obscures.

70


71


La sensation doit être étouffante sans une seule plantation d’arbres dans les rues pour couvrir les passants de l’ombre de leur feuillage. Les espaces verts sont jugés inintéressants dans les planifications urbaines des centres villes. Les centres sont alors très bruts et minéraux donnant une sensation froide et sans vie notamment à Urbicande (figure 50). Les villes dégagent une impression d’étouffement sans le bénéfice de la végétation sur ses représentations. Mylos en est l’exemple le plus frappant. Ville industrielle, sans aucun espace vert et aucune végétation pour purifier l’air saturé de fumée, la vie doit relever du cauchemar pour l’habitant (figure 52,54). La nature est donc dans les Cités Obscures un élément dépassé. Elle est mise de côté par la technologie et plus personne ne croit aux bienfaits des plantes. Par exemple, les médicaments chimiques sont jugés meilleurs : « un médicament révolutionnaire […]. Il est garanti sans plantes, purement chimiques […] ». De plus, le plastique est supérieur à la végétation dans tous les esprits. Le personnage Abeel Constant, fleuriste, à changé complétement sa gamme de produit pour ne vendre que des plantes en plastiques (figure 51 et 53) qui n’ont besoin d’aucun entretien : « […] nos campagnes seront vertes douze mois sur douze […] ». On peut, au travers de ces exemples, voir des relations avec le réel, comme la mise en place de gazons synthétiques sur les pelouses des banlieues américaines. Cette vision de la ville sans plantations naturelles choque et contribue à un jugement péjoratif de l’urbanité des Cités Obscures. Pourtant on remarque une évolution des représentations en rapport avec l’époque de parution des volumes. Dans les premiers ouvrages, parus dans les années quatre-vingt, la végétation est inexistante. Dans les suivants, édités dans les années deux mille, elle possède une place plus conséquente (figure 55). Cette évolution démontre un changement des visions que les auteurs se font de la ville et hypothétiquement un changement réel de l’urbanisme des villes. Pour conclure, cette partie expose un naturel disparu des espaces urbains. Dans les Cités Obscures, l’objet nature est même dénigré dans en général. Ces représentations urbaphobes de la ville renvoient à des questionnements réels. Le manque d’espaces verts, la densité et la pollution caractérisent les villes à notre époque ; ils annoncent un futur dénaturé qui aura des conséquences sur la pérennité de la vie urbaine. Heureusement, c’est une prospective déjà intégrée par nos sociétés. Comme le montre le dernier exemple, les mentalités peuvent évoluer. En ce moment d’ailleurs, la mise en fonction de systèmes écologiques et durables va dans le sens d’une réappropriation naturelle des villes. 72


73



3.2 Architecture et nature : évocation et culte

La partie précédente a permis d’avancer que la nature factuelle est absente des villes des Cités Obscures. Pourtant, elle est omniprésente dans plusieurs cités car elle est évoquée constamment et de manière même abusive dans leur style architectural. Les plantes sont donc utilisées comme modèle esthétique créant un faux semblant sur l’ensemble d’une ville. Seule une autre urbanisation fait l’exception. A l’inverse, son modèle est basé sur le développement des végétaux où les constructions sont bâties uniquement pour les plantes.

Evocation végétale : art nouveau et bio mimétisme

Le style architectural importe beaucoup dans des Cités Obscures. De grands questionnements y ont d’ailleurs lieu autour de l’objet nature et de son impact sur l’esthétisme du bâti. C’est ainsi que les villes de Xhystos et Blossfeldtstad ont été entièrement reconstruites en magnifiant l’apparence végétale. Tout d’abord, Xhystos a été remodelée entièrement dans un style art nouveau. Un livre de Victor Horta ayant atterri sur le Continent Obscur à stimulé l’engouement pour cette architecture. L’œuvre rassemblait tous ses projets et idées permettant ainsi à l’édification de commencer rapidement sans avoir recours à un architecte : « […] puisque, disait-on, tout se trouvait dans le livre »97. Des principes structurels aux moindres détails, les bâtiments de la ville représentent l’art nouveau reprenant des formes naturelles végétales (figure 58). Les édifices sont couverts d’arabesques et de fioritures florales, des gardes corps aux toitures en passant par le mobilier intérieur, tout est réalisé selon les quelques images de Victor Horta 97

Benoît Peeters et François Schuiten, Le guide des cités, (Octobre 1996), p.145.

75


(figure 56,57 et 58). Pourtant, l’illusion ne dure pas. Toute la ville est construite de métal qui par son caractère préfabriqué, ses répétitions abondantes ajouté à sa vétusté dessert l’esthétique naturelle prévue : « […]Xhystos, sa splendeur n’était déjà plus qu’un souvenir. L’usure, la rouille et l’indifférence avaient fait leur œuvre […] »98. En outre, la lecture de la ville est difficile, les ressemblances entre les quartiers sont tels que certains habitants développent le « mal de Xhystos »99, défini comme l’incapacité à retrouver le chemin de chez eux. Dans un style différent, Blossfeldtstad évoque aussi la nature avec encore plus de d’imitation de celle-ci. La ville nommée d’abord Brentano changea de nom après son entière reconstruction dans un style bio-mimétique (figure 62). Ce changement apparut en réponse à l’embellissement majeur de l’architecture de Pârhy et Xhystos. Pour devancer ces dernières, Blossfeldtstad s’inspire non d’un style mais de photographies végétales de l’album Urformen der Kunst100 d’un certain Karl Blossfeldt101 qui travaille les plantes et leurs formes dans ses photos. Toute l’architecture de la ville est alors une simple copie de son œuvre (figure 59, 60, 61 et 62). Les bâtiments reprennent les lignes des tiges et des fleurs pour former des constructions organiques. Chaque bâti se lie aux autres par son style commun et l’aspect entier dévoile une ville semblant réellement avoir poussé. L’évocation naturelle et la supercherie est bien plus forte qu’a Xhystos. Une harmonie et un dynamisme ressort de ces représentations bien que le surplus de détails floraux et les répétitions laisse encore douter du bien être dans une telle cité. Il y a donc deux évocations différentes de l’objet nature dans les Cités Obscures. L’une par l’art nouveau et l’autre par le bio-mimétisme. Des corrélations se retrouvent entre ces styles comme la surabondance des répétitions et des similarités qui entrainent une perte de repères. La fonction du bâtiment ne transparaît plus car il est trop formel et identique à ses voisins. Dans le réel, on observe aussi ce type de constructions, copiant la nature et arborant des formes complexes sans pour autant avoir de justification à celles-ci. Elles questionnent sur l’éthique de l’architecture objet qui fait débat aujourd’hui.

98

Benoît Peeters et François Schuiten, Le guide des cités (Octobre 1996), p.145. Id., p.146. 100 Urformen der Kunst (Les formes originelles de l'art), Verlag Ernst Wasmuth,, 1928, comportant 120 planches. 101 Karl Blossfeldt (né le 13 juin 1865 à Schielo/Harz et mort le 9 décembre 1932 à Berlin) est un photographe allemand. Représentant de la Nouvelle Objectivité (Neuen Sachlichkeit), il est connu pour son inventaire des formes et des structures végétales fondamentales. 99

76


77


La « nature ville » : construire pour les végétaux Dans tout monde, il y a des exceptions, celui des Cités Obscures ne déroge pas à la règle. Après avoir vu des entités urbaines dénuées de toute présence naturelle ou qui n’apparaît qu’évoquée dans l’esthétique du bâtis une autre ville traite aussi de l’objet nature mais de manière différente. Le concept de Calvani est, à l’opposée, de construire pour la nature et de vivre dans la nature à proprement parler. Dans cette cité, c’est une nouvelle fois la concurrence qui a provoqué la reconstruction de la ville. Suite au changement opéré par Brentano devenant Blossfeldtstad, les autorités de Calvani décident de répondre au contre sens de l’évocation végétale : « […] si on aimait les plantes, il ne fallait pas les figer dans la pierre, mais bien leur donner les moyens de s’épanouir. »102. Tout l’urbanisme a donc été pensé en relation avec le bien être des plantes. Composée de gigantesques serres encastrées les unes aux autres, Calvani possède une beauté hors du commun (figure 63). La relation entre les reflets des vitrages, la structure métallique et les couleurs végétales magnifient les façades suscitant dans le Continent Obscur un enthousiasme unanime. L’attrait pour les plantes ne s’arrêta pourtant pas là. L’économie fut repensée et tournée vers la viticulture et le maraîchage, les billets de banques furent aussi remplacés par des essences de bois rares. Devenant une réelle attraction, les politiques de la ville se sont tournées vers le tourisme créant des longues zones de promenades aux seins des immenses serres. Les scientifiques s’intéressent aussi beaucoup à cette cité car l’enchevêtrement des serres créé des microclimats adjacents qui ne se retrouvent nulle part ailleurs. Malheureusement, dans la pratique quotidienne de la ville, ces changements incessants de climat d’une serre à l’autre provoquent des maladies chez certains habitants. En outre la lecture des programmes et l’organisation de la ville ne transparaissent pas, même au travers de tout ce verre. Les bâtiments n’ont pas de hiérarchie et sont tous similaires une nouvelle fois, renvoyant aux thématiques de perte de repère citées précédemment. Cette cité interroge sur la place que prend la nature dans l’urbain. Bâtir une ville uniquement pour les plantes apporte de l’esthétique et un attrait touristique.

102

Benoît Peeters et François Schuiten, Le guide des cités (Octobre 1996), p.111.

78


79


Malheureusement, poussé à son extrême la nature prend la place de l’homme au cœur du principe de fabrication de la ville. Ce choix unique et systématique de construire ne règle pas les autres problèmes auxquels sont confrontées les planifications urbaines et en fait surgir de nouveaux. Malgré cela, Calvani apporte un potentiel prospectif complétement fantasmé et une représentation urbaphile de la ville future, en harmonie avec la biosphère qui l’entoure, qui l’intègre et la fait vivre.

En conclusion, l’analyse de la nature dans les Cités Obscures apporte des réponses sur les représentations de la ville en rapport avec sa place dans l’urbain. Tout d’abord, la nature se retrouve dans certaines périphéries s’intégrant à la nature sauvage du territoire. Elle est cependant absente de la ville dans son aspect factuel à tel point qu’elle est aussi dénigrée sous toutes ses déclinaisons par la société. La nature est donc un élément dépassé dans les Cités Obscures. Paradoxalement, c’est aussi un symbole très présent qui est constamment évoqué par le style architectural de certaines cités. De l’art nouveau de Xhystos au bio mimétisme de Blossfeldtstad l’esthétique végétale dans la construction est surabondante et répétitive, renvoyant à une perte de perte de repère développée dans le chapitre deux. Globalement, l’absence de nature produit une ambiance urbaine dure et minérale sauf à Calvani qui fait exception, produisant une ambiance plus charmante. Le potentiel prospectif de cette partie fait réflexion sur l’avenir de la nature dans nos modes de conception urbains. Ces représentations nous donnent une vision urbaphile de la cité esthétiquement fantasmée mais qui cache une vérité urbaphobe ou la nature n’a plus sa place dans la ville. Cette vision future qui pouvait avoir une portée prospective réelle il y trente ans, date de sortie des premiers volumes, ne rend aujourd’hui pas bien compte de l’avenir possible de nos villes. Les volontés de changement dans une direction contraire se développent. Des systèmes sont mis en place pour réintégrer la nature en ville comme les toitures végétales ou des projets de grands parcs dans les centres.

80




Chapitre 4

Géographie urbaine, sociale et politique

L’urbanisme interroge de nombreux champs dont la géographie, la politique et la sociologie. D’après l’analyse réalisée, ces domaines présentent deux approches spatiales de la ville : la planification horizontale et la verticalité. La première approche traite de la relation entre les différentes zones de la ville : elle aborde la dimension sociale des villes divisées et la gestion des limites. La seconde traite de la surdensité qui entraîne une adaptation des systèmes de transport et de l’espace public.

83



4.1

Limites et planifications horizontales

Les Cités Obscures sont marquées par de nombreuses limites. Certaines découlent de l’aspect géographique du milieu, d’autre par des politiques urbaines. Elles divisent les villes en zones et quartiers. Ces découpages de l’espace sont très présents, ils mettent en avant l’empreinte sociale du Continent Obscur. Tout d’abord les villes sont repliées sur elles-mêmes, elles marquent donc fortement leurs frontières avec le territoire extérieur. Dans certains cas, le périmètre établi ne s’arrête pas aux dernières constructions créant des zones en complète exclusion. Apparaissent alors des inégalités dues à cette mise à l’écart qui génèrent un contrôle sécuritaire des flux. Pourtant, malgré ces forts déséquilibres, certains principes architecturaux permettent une évolution apportant connexion et cohésion dans les villes.

Ville divisée : inégalités et contrôle des flux Les villes du Continent Obscur sont divisées. Ce clivage est marqué par des limites physiques qui peuvent prendre différentes formes (fleuve, barrières, murailles). Elles correspondent aux endroits de contacts entre les différentes zones et sont donc les lieux où s’exerce le contrôle des flux. Ces séparations produisent des inégalités et même des ségrégations. Premièrement, Xhystos est refermée sur elle-même. Un mur percé par différentes portes l’encercle entièrement (figure 64 et 65). Il marque la limite avec les « faubourgs »103 qui sont des espaces en déperdition situés à l’extérieur de l’enceinte sécurisée (figure 66). Cependant, l’architecture des faubourgs s’inscrit dans le style de la ville. Ils sont alors soit des extensions abandonnées avec le temps ou des chantiers interrompus. L’opposition entre l’intérieur et l’extérieur est très fort. L’aspect délabré des constructions distille une ambiance 103

Le terme « faubourg » est donné dans La Muraille de Samaris.

85


malsaine. D’ailleurs, telle une forteresse, le mur érigé autour de la ville sert à la protéger de ces lieux mal famés. De plus, les franchissements subissent des contrôles sévères. La traversée se fait uniquement à pied avec un passage par une douane. Les portes mènent alors à des lignes de trains, unique moyen pour traverser les faubourgs (figure 64 et 66). De même, Urbicande est une ville divisée. Un fleuve sépare la cité en deux rives (figure 68). La rive Sud, riche et prospère possède une architecture simple et brute aux proportions immenses. L’ambiance retranscrite évoque les œuvres comme 1984104 ou Hunger games105 possédant des systèmes totalitaires. A l’inverse, la rive Nord dispose d’une architecture authentique faites de pierre et de ruelles sinueuses. Elle est plus pauvre et dénigrée : « La rive Nord est aujourd’hui le chancre qui ronge notre Cité. Le désordre de ces bâtiments d’un autre âge […] font plus que jamais, le déshonneur de notre ville. »106. Ces deux zones connaissent de fortes inégalités qui agissent sur l’aspect social et politique de la ville. Deux ponts relient les bords mais la traversée est contrôlée par les autorités de la rive sud pour éviter les débordements. De plus, les bâtiments rive sud sont parés d’armes défensives (figure 67). Ces éléments créent un climat de tension qui met à l’écart la population nord. En plus des différences architecturales, l’écart entre les rives est accentué par une organisation sociale ségrégative. Dans les deux cas présentés, une partie de la ville est mise à l’écart. Cette ghettoïsation entraine des conflits régulés par une sécurité renforcée aux limites. La division présente transmet donc des représentations urbaphobes renvoyant à des situations extrêmes. La muraille de Xhystos et les constructions d’Urbicande évoquent des situations de guerre (Mur de Berlin, bunkers). La gestion des limites au cœur des villes et le renforcement de la ségrégation sont évoqués par ces représentations. Les faubourgs font évidemment résonnances avec l’exemple actuel des banlieues mises à l’écart en périphérie et séparées du reste de la ville. Un autre conflit est abordé dans la ville d’Urbicande, celui de l’authentique contre le moderne. Cette confrontation interroge la réalité de l’architecte par la conservation du patrimoine et l’impact du moderne sur l’ancien.

104

George Orwell, 1984, (1949). Gary Ross, Hunger games, (2012). 106 Benoît Peeters et François Schuiten, La fièvre d’Urbicande, (Janvier 1985), Annexes, Lettre de Eugène Robick a la commission des hautes instances. 105

86


87


Connexion et cohésion : une architecture qui rassemble Malgré les divisions des villes sur le Continent Obscur, certains principes architecturaux apportent des solutions. Ils créent des connexions et des cohésions dans ce clivage austère. « Le Réseau » est une entité unique, une agglomération de cubes vides, fait de simples arrêtes (figure 69). Ce volume apparaît et se développe à Urbicande alors totalement divisée. Tout au long de l’intrigue le Réseau grandit jusqu’à joindre les deux rives par de nombreuses branches. Le contrôle des circulations devenant impossible à gérer (Figure 70) des passages s’établissent (figure 72). Les habitants nouent alors des liens développant un nouvel aspect de la ville, plus social et communicatif. La rive Nord renaît donc et dévoile son aspect authentique et chaleureux (figure 71). Avec le temps, la ségrégation disparaît complètement et les autorités décident même que le Réseau est bénéfique à la ville. A partir de ce moment, l’utilisation de cette structure explose. Elle permet la création d’espaces publics et de circulations piétonnes (figure 73 et 74), des moyens de transports s’adaptent à cette configuration (figure 76) et même au niveau agricole des solutions novatrices sont apportées (figure 75). L’urbanisme de la ville entière change en fonction de cette entité constructive apportant une véritable cohésion urbaine. La représentation de l’évolution d’Urbicande avec le Réseau est urbaphile. Elle montre qu’une planification architecturale réinterrogeant la frontière peut résoudre des problèmes de ségrégation et de clivages. Au-delà, elle devient génératrice de cohésion sociale dépassant ainsi les limites physiques de la construction.

Pour conclure, l’analyse de la planification horizontale des Cités Obscures dévoile des villes divisées aux inégalités fortes. Pourtant certaines formes d’architectures poussent des valeurs sociales à apparaître prenant la forme d’un nouvel urbanisme, plus connecté, plus dense, plus haut (figure 74 et 76).

88


89



4.2

Villes verticales

Les villes concentrent toute la vie humaine sur le Continent Obscur et elles s’étendent peu. Elles sont donc très denses et génèrent un urbanisme vertical. Des systèmes de circulations correspondent à cette dimension et adaptent l’usage à cette verticalité. Ils sont au cœur de la stratification de l’espace public déployant la ville sur plusieurs niveaux.

91


Ville connectée : les flux au cœur du processus

Les villes verticales proposent des constructions de plus en plus hautes (figure 77 à 81). La taille démesurée de ces bâtiments conduit à un changement des déplacements pour investir au mieux cette dimension. Les flux sont donc au cœur du fonctionnement des villes verticales. Ils mettent en place des relations multiples dans les trois dimensions engendrant une ville ultra connectée. Tout d’abord, le déplacement aérien convient le mieux au Continent Obscur comme vu dans le chapitre 2107. Dans un contexte de villes verticales, il en est encore plus attrayant. Ces aéronefs de grandes ou petites tailles (figure 77 à 80) apportent une liaison directe par la voie des airs. Ensuite les systèmes routiers sont détachés du sol. Ils traversent les bâtiments à des hauteurs variées connectant une série de constructions (figure 79). Les flux piétons aussi évoluent verticalement. Ils se développent en réseaux de passerelles sur les toits, particulièrement sur les toits anciens comme à Brüsel (figure 81). L’ensemble des flux circulatoires établissent donc des relations à des niveaux multiples. Ils créent plusieurs couches horizontales qui connectent les bâtiments de la ville entre eux. Dans les Cités Obscures, la dimension verticale est omniprésente. Elle est dirigée par des déplacements aériens qui connectent la ville sur l’ensemble de ces niveaux. Cette ultra connexion associée aux dimensions majestueuses offre une représentation urbaphile de la ville. A l’inverse, comme évoqué dans le chapitre 2, la perte d’échelle humaine est un danger de la verticalité. L’analyse effectuée dans cette partie questionne notre réel où les bâtiments sont construits de plus en plus hauts. Un potentiel prospectif possible pose la question de la ville verticale par ces nouvelles constructions immenses et des changements qui devront s’opérer pour être capable d’y vivre, notamment sur la gestion de l’espace public.

107

Chapitre 2 : Figurations de l’ordre spatiotemporel, 2.3 : Mobilité variés, p.59.

92


93


L’espace public : vers une stratification

Les villes du Continent Obscur sont donc connectées par leurs systèmes de circulation correspondant à la pratique de la ville verticale. Des liaisons s’exercent à des hauteurs variées par des transports divers. Leurs points de rencontres avec les bâtiments deviennent des espaces publics qui sont dispersés sur plusieurs niveaux. L’espace public est donc stratifié. Premièrement, cette stratification se distingue par de petites zones utiles aux transports aériens. Des plateformes mi publics mi privées greffées à la façade des bâtiments permettent l’atterrissage et le décollage des modèles urbains de tailles modestes (figure 84). Deuxièmement, les circulations routières se répartissent en plusieurs couches. Certaines sont au sol en lien avec le rez-de-chaussée tandis de d’autres desservent les hauteurs. Elles produisent des espaces publics à l’intérieur des bâtiments qu’elles traversent (figure 79). De plus, une strate piétonne relie les toitures par des passerelles proposant des promenades surélevées dans la ville (figure 82). La stratification atteint son paroxysme à Xhystos où un « nouveau sol » est construit (figure 83 et 85). A une certaine hauteur, l’espace entier entre les bâtiments est dédié à un espace public où circulent des passants et des transports en commun. Cela créer un changement du rapport au sol qui manque de lumière car tout l’espace libre a été réinvesti par-dessus. Une différence de confort s’opère alors entre les deux niveaux d’espace public. La stratification de l’espace public renvoie à des questionnements réels, similaires à ceux de la partie précédente. Les villes se verticalisent et se concentrent pour limiter l’étalement urbain. Les constructions de plus en plus hautes et la concentration conduisent à des réalisations d’espaces publics stratifiés, comme à Hong Kong par exemple, qui risquent de s’intensifier dans le futur. Des questions se poseront alors en rapport aux ségrégations verticales potentiellement produites, comme le montre les représentations de Xhystos qui rappellent des films traitant de villes dystopiques, comme « Le cinquième élément »108.

108

Luc Besson, Le cinquième élément, (1997).

94


95


En conclusion, l’approche urbaine, sociale et politique des Cités Obscures permet d’avancer des conclusions sur les représentations de la ville en rapport avec les limites, la planification horizontale et la verticalité, jouant de nouveau sur des représentations urbaphobe et urbaphile de la ville. Tout d’abord, les principes abordés traitent des frontières, de leurs aspects sécuritaires et de la ségrégation qui en découle. Pourtant une nouvelle forme de construction la fait disparaître laissant place à une véritable cohésion et des liaisons nouvelles à l’échelle de la ville. L’urbanisme vertical suit cette dynamique de connexion par des circulations adaptées et une stratification de l’espace public. Pourtant, malgré cette dynamique une nouvelle ségrégation prend forme, la ségrégation verticale. Cette partie émet aussi un potentiel prospectif de la ville future. Premièrement, la ségrégation va être renforcée. En effet, elle augmente dans les villes du monde, comme en France : « l’accentuation de la ségrégation, aussi bien sociale qu’ethno-raciale, semble une évidence partagée en France »109. On peut atteindre un niveau territorial car l’isolement est aussi à une échelle géographique une des caractéristiques principales du Continent Obscur. Ce repli avance une émancipation possible des villes du futur par rapport à leurs territoires. Deuxièmement, la surdensité et l’étalement urbain produiront dans l’avenir des villes verticales. Cette vision demandera un travail conceptuel sur les moyens de déplacements en relation avec de nouveaux espaces publics.

109

Edmond Préteceille, La ségrégation sociale a-t-elle augmenté ? La métropole parisienne entre polarisation et mixité. Presses de Sciences Po, sociétés contemporaines, (2006).

96




Chapitre 5 :

L’obscurantisme de la fabrication urbaine

En amont de la construction d’un bâtiment public, d’un quartier ou d’une ville entière, des acteurs de domaines hétérogènes échangent. Ils sont architectes, politiques ou entrepreneurs et discutent, prévoient, chiffrent la réalisation future. Ce sont les acteurs de la fabrication de la ville. Sur le Continent Obscur, l’obscurantisme règne : les prises de décisions sont absurdes et sans accords communs conduisant à des corruptions. En examinant les principes même des villes des Cités Obscures et leurs idéologies, on s’aperçoit que l’obscurantisme est omniprésent. Il atteint d’ailleurs son paroxysme à Samaris.

99



5.1 Les acteurs de la fabrication urbaine : entre politiques et architectes

Dans le chapitre 2, la ville des Cités Obscures est définie comme une « fierté urbaine » synonyme d’une culture identitaire forte la conduisant à n’avoir aucune relation avec les autres cités et le territoire extérieur. Elle est donc repliée sur elle-même conduisant les acteurs de la réalisation de la ville à mettre en place des idéaux extrêmes. Souvent, le travail de l’architecte/urbaniste est mis de côté, entravé ou même nié alors qu’il a « normalement » la charge de la création et participe aux réflexions sur l’aménagement urbain. Les seules situations où le métier d’architecte est mis en avant dans les Cités Obscures sont celles où lui incombent des responsabilités contraignantes.

Idéaux extrêmes : politiques et promoteurs. Chaque ville est représentée par un symbole, un idéal esthétique qui doit rayonner sur l’ensemble du Continent Obscur. Ces idéaux absolus débouchent sur un obscurantisme qui sera mis en avant par l’analyse des différentes visions urbaines et par la dégradation du lien avec les habitants. Pour commencer, la plupart des cités ont été entièrement reconstruites par souci du paraître. Elles affichent toutes un idéal profond qui les définit. Trois exemples l’illustrent au mieux : Calvani, Mylos et Brusel. Tout d’abord, la « nature ville » s’inscrit dans une dynamique absurde. Elle est pensée et réalisée pour les plantes et tout son urbanisme en découle. La serre est l’unique type de construction, mettant en avant l’aveuglement et l’incohérence du système (figure 86). Poussée à l’excès dans le culte de l’esthétisme végétal, la vie humaine n’est pas au cœur des planifications. La ville industrielle de Mylos, quant à elle, suit une politique communiste dirigée par « Le Consortium Industriel Unique ». Le système est basé sur le culte du travail. Sa place est tellement grande que la ville se développe comme une immense machine où les conditions de vie sont extrêmement difficiles (figure 87): « L’acrété des fumées, le niveau sonore des machines, l’intensité des cadences, le travail des enfants et 101


la séparation rigoureuse des sexes en font une ville cauchemardesque […] »110. L’idéal politique est encore poussé à l’extrême et crée une ville faite de pollution et d’usines qui se confondent avec les bâtiments d’habitation. L’industrie est manifestement plus importante que le bien être des habitants. Enfin, Brüsel possède une approche différente mais qui mène aux mêmes conclusions que les deux précédentes. Les dirigeants des villes, aveuglés par leur volonté de devenir : « […] une capitale digne de ce nom […] »111 sont éblouis par le projet pharaonique de Freddy De Vrouw, promoteur fortuné (figure 90). Il vend donc une nouvelle ville, immense (figure 88), construite sur l’ancienne, rasant ce qu’il qualifie de : « […] masures sordides, malsaines, infectées qui compromettent la santé […]»112. La reconstruction entière de Brüsel subit de vives critiques de la part de la population qui est dans l’obligation de quitter ses logements sans même avoir été prévenus : « Démoli ? Il n’est pas question que je quitte cette maison »113. La mise à l’écart des populations provoque alors des contestations, vandalisant la nuit les travaux avec des messages comme : « Brüsel s’est prostituée, de Vrouw maquereau » (figure 89). Les travaux avancent à une vitesse fulgurante mais rapidement des failles apparaissent. Le détournement de la Senne provoque une montée des eaux qui fait rapidement sombrer la ville dans un désarroi total (figure 91). De plus, la corruption de Freddy de Vrouw est dévoilée, il a acheté : « une série de terrains […] sous une identité d’emprunt, puis revendus à la ville avec une plus-value énorme »114. Brüsel met donc en avant la vision d’une ville mégalomaniaque surpassant en taille et en technologie toutes les autres. Ce fantasme aveugle les politiques qui prennent alors des décisions rapides, provoquant des effets néfastes sur les personnes et les biens dans un climat de corruption manifeste. Ces trois exemples évoquent une représentation urbaphobe de la ville des Cités Obscures. Les acteurs de la fabrication urbaine sont exclusivement guidés par le culte de l’image et du pouvoir. Leur seule projection est de briller aux yeux du Continent Obscur ; peu importe les sacrifices. En résulte un obscurantisme qui se traduit par des incohérences urbaines, comme une corruption permanente et une absence de prise en compte de la dimension humaine.

110

Benoît Peeters et François Schuiten, Le guide des Cités, (octobre 1996), p.115. Id. p.29. 112 Benoît Peeters et François Schuiten, Brusel, (Aout 1992), p.29. 113 Id. p.37. 114 Id.p.64. 111

102


103


Comment ne pas faire un rapprochement avec la réalité ! La volonté politique d’impressionner, de posséder une architecture plus grandiose que les autres se retrouve dans les villes d’aujourd’hui par la possession, par exemple de la plus haute tour ou du bâtiment de tel architecte star. Cette volonté de montrer le pouvoir par l’image se retrouve depuis toujours dans les sociétés comme les incroyables monuments religieux en attestent. Architectes : Entre mise à l’écart politique et responsabilités sociales. Très peu d’architectes prennent part aux récits dans les Cités Obscures. Le principal personnage incarnant cette fonction est « l’urbatecte »115 d’Urbicande, Eugène Robick. Les rapports qu’entretient cet homme avec la population et les pouvoirs politiques sont contrastés. D’un côté, il est mis à l’écart des prises de décisions et d’un autre il lui incombe de lourdes responsabilités. Tout d’abord, Eugène Robick en charge de l’ensemble des rénovations d’Urbicande demande la reprise de travaux mis en suspens après la construction du deuxième pont reliant les rives. En réponse, les dirigeants le mettent alors à l’écart des nouvelles décisions, lui confessent leur souci d’un lien trop fort entre urbatecte et politique qui mettent à mal leurs volontés (figure 93) : « […] nous savons que les deux domaines sont proches mais justement nous craignons qu’ils ne le soient parfois trop et que vous ne mesuriez pas toujours les enjeux secrets de vos plans.»116. Un autre fait met en scène le promoteur Freddy de Vrouw mettant à l’ écart un architecte car son travail est trop petit pour la grandeur de la futur Brüsel (figure 92). C’est un contresens, car l’architecte est justement celui qui dans une planification, élabore le projet et juge de la taille de la construction. L’absurdité est encore plus flagrante quand les problèmes de surplus de constructions et de mauvais dimensionnement sont mis en avant. L’architecte est donc bien mis à l’ écart dans les Cités Obscures. A l’inverse, quand un événement n’est plus contrôlé par les politiciens, alors la responsabilité en incombe à l’architecte, accusé de défaillance.

115

Urbatecte désigne dans les cités obscures, un architecte en chef, urbaniste et créateur de presque toute la ville d’Urbicande. 116 Benoît Peeters et François Schuiten, La fièvre d’Urbicande, (Janvier 1985), p.24.

104


105


Prenons l’exemple du Réseau d’Urbicande, qui, à ses débuts, apparaît et grandit considérablement, suscitant la peur chez les habitants et les dirigeants qui redoutent ses conséquences (figure 194). Jugé comme étant le plus à même de comprendre son fonctionnement, Eugène Robick prend l’imputation de tous les problèmes produits par l’arrivée de la structure. Il est alors enfermé, jugé coupable des méfaits de cette entité incontrôlable (figure 96). Pourtant, le Réseau entre rapidement dans les mœurs des habitants qui commencent à prendre gout à son utilisation (figure 95). La population se révolte alors, amenant les politiques à libérer l’urbatecte (figure 97). Cette action montre une connexion entre l’architecte et la population mettant en lumière son rôle social démontrant que le métier d’architecte est au cœur du tissu social. Le métier d’architecte dans le réel est également à l’intersection des enjeux politiques et des enjeux sociaux engendrant parfois des points de vue différents et des incompréhensions.

106


5.2 L’obscurantisme à son paroxysme

L’obscurantisme des Cités Obscures se retrouve dans le rapport aux dimensions, notamment par la disproportion, ainsi que dans la relation que les villes exercent avec l’objet nature. Il se remarque aussi dans la planification de la ville et les divisions qui en découlent, puis, comme l’expose la partie précédente, par les acteurs de la fabrication de la ville. Deux thèmes majeurs revenus plusieurs fois transversalement caractérisent cet obscurantisme : la perte de repère et la crise d’identité. Ils sont omniprésents sur le Continent Obscur touchant toute les villes analysées. Ils atteignent leur paroxysme dans la ville factice de Samaris, élément principal de la première œuvre des Cités Obscures.

La ville des Cités Obscures : crise d’identité Les villes illustrées dans les Cités Obscures possèdent une présence et une identité urbaine forte à l’échelle du territoire. A l’inverse, elles sont en constant décalage avec le vécu des habitants. Ces derniers subissent une véritable perte de repère conduisant à une crise identitaire de la ville elle-même. Chaque ville possède une identité qui tend à être la meilleure et la plus idéalisée. Une distinction se fait voir dans la forme, dans le style et l’esthétisme en général. Un symbole 107


unique les différencie d’ailleurs les unes des autres. Xhystos possède l’art nouveau, Alaxis, les manèges (figure 100)117, Calvani, les serres (figure 99), Genova, les statues (figure 98)118, Cernovada, ses lumières (figure 101)119 etc. Ces styles symboliques leurs permettent de vanter leurs différences mais les conduisent à construire une image tellement importante qu’elle supplante le caractère humain. La surabondance, les disproportions, les décisions politiques absurdes, les temporalités décalées et le rapport à la nature incohérent sont des conséquences de ces idéaux poussés à l’extrême. L’habitant ne possède plus de repère dans ces villes car l’homme n’as pas sa place dans les idéologies urbaines des Citès Obscures. La ville est en pleine crise d’identité car elle ne répond plus à sa définition principale : être le lieu de concentration et de relations de la vie humaine. Elles sont donc des entités architecturales accueillant des populations sans pour autant avoir été pensé pour ces dernières. Cette réflexion sur le rapport à l’homme dévoile le non-sens des villes des Cités Obcures. Elles perdent leur caractère véritable pour tendre vers une idéologie absolue. Elles en deviennent des tests, des villes simulées. Pour appuyer ce propos, il faut se tourner vers le premier volume, Les murailles de Samaris, qui sera analysé dans la partie suivante.

Ville machine et simulacre : Samaris Samaris est un mythe du Continent Obscur : une cité cachée dont les voyageurs ne reviennent jamais. Son système confronte la réalité et la fiction de ses visiteurs qui perdent leurs repères. Comme premier thème traité par les auteurs dans les Cités Obscures, elle offre un regard fantasmé sur l’ensemble du monde imaginaire, en particulier sur le lien qui s’exerce entre ville et image.

117

Alaxis : ville destinée à la fête, tout son urbanisme est fait autour de parcs d’attractions et de casino. Genova : ville ou les bâtiments se fondent en des statues immenses à forme humaines. 119 Cernovada : ville qui met en place la fête des lumières, toutes son architecture tourne autour de la lumière. 118

108


109


Samaris est une ville machine qui se met en marche à l’arrivée d’un nouveau visiteur. Elle ne possède aucun bâtiment réel, uniquement des façades, comme en scénographie (figure 102 et 106). Dans un style architectural baroque et d’une très grande hauteur, les façades sont en constant mouvement, s’alignant pour former de fausses rues qui donnent la direction à suivre aux visiteurs (figure 103). Complétement hétéroclites, elles permettent de créer une fausse ambiance où leur mobilité et la redondance de certaines devantures n’interpelle pas l’usager. Tout n’est que trompe l’œil. Un instant, il y a une porte fermée, l’instant d’après, un escalier (figure 104). De plus, même les habitants de Samaris sont des simulacres de personnes réels. Ils sont faits de simples faces et de haut-parleurs (figure 105). La perte de repère est alors totale pour l’étranger. La ville est faite pour attirer les visiteurs par son caractère caché pour ensuite les enfermer entre ces murs et les conduire jusqu’à la folie. Une inscription en son cœur énonce : « Elle se saisira des images de ceux qu’elle aura capturés et elle en fera ses images »120. Cette citation montre que Samaris en plus d’être le simulacre d’une véritable ville transforme les visiteurs piégés, les amenant à douter de leur réalité, elle les transforme peu à peu en image, en personnes simulées qui ne peuvent plus réfléchir. Ces effets manipulateurs prennent une dimension plus généralisée dans la fin du premier ouvrage. Le protagoniste, ayant réussi à s’enfuir, rentre à Xhystos. Il découvre alors que les dirigeants l’ayant mandaté sont des trompes l’œil et que toute la ville est elle aussi un simulacre, une fiction. Une relation s’établit alors entre le réel et l’imaginaire au sein même des Cités Obscures posant la question de l’existence d’une fiction, d’un fantasme qui donne vie à une réalité de la ville perçue. Elle appuie le propos de la partie précédente discutant de la crise d’identité des villes devenant des espaces simulés soumis à leurs seules images. Tout l’univers des Cités Obscures s’est édifié autour du premier ouvrage : « […] c'est en préparant la sortie des Murailles de Samaris qu'ils eurent l'envie d'approfondir la contrée imaginaire […] »121. Par la relation entre réel et fiction, les auteurs énoncent dans ce premier volume que l’image à elle seule peut constituer une réalité. Il convient donc que l’ensemble de la série et particulièrement les villes qui sont représentées suivent cette idée. D’ailleurs, celle-ci trouve

120 121

Benoît Peeters et François Schuiten, Les murailles de Samaris (Septembre 1983), p.40. Frederic Kaplan, La quête du sens dans les Cités Obscures, Altaplana, (1995).

110


111


un rapport avec le monde d’aujourd’hui par des corrélations avec le travail de Dominique Crozat sur « l’hyper réalité »122. Il énonce que : « la transformation des processus de symbolisation, d’association, d’abstraction et de réattribution sont évidentes dans l’émergence de ces géographies contemporaines visuellement dominées […] ces figures récurrentes semblent caractériser un monde hyper-visible. Son paradoxe, c’est qu’il est de plus en plus apparent, tout est visible et cependant étrangement caché à la vue, ce qui revient à dire que l’hyper réel aliène l’individu […]»123. Dans cette citation, les figures renvoient aux idéologies urbaines des Cités Obscures créant une urbanité simulée qui s’impose à la vue des habitants et les aliènent. Le potentiel prospectif présent dans cette partie met en avant une place prépondérante des images, des stimulations sensorielles qui créent une « hyper réalité » sans lien nécessaire avec le réel : « Ces images [sont] intermédiaires entre l’acte (exhibition) et nos imaginaires, sont les enjeux du travail de déconstruction qui commence »124.

Pour conclure, l’analyse de la fabrication urbaine permet de donner une dimension globale à l’obscurantisme qui règne dans la série des Cités Obscures. Cette partie permet d’avancer des conclusions sur les représentations en fonction des dimensions politiques, du rôle de l’architecte ainsi que de la crise d’identité des villes. Les idéaux absolus des politiques urbaines montrent une volonté d’asseoir le pouvoir par l’image, un détachement vis à vis des conditions des habitants et en conséquence la mise à l’écart de l’architecte qui justement effectue la jonction entre le politique et le social. Ces incohérences produisent une crise d’identité des villes qui apparaissent alors comme des simulations, des espaces soumis à leurs seules images. Le possible potentiel prospectif émis par cette analyse conduit vers des espaces futurs basés sur la fiction, sur des produits simulant la réalité, comme dans le concept d’hyper réalité de la ville qui définit : « Un monde où l’imaginaire cesse d’être une catégorie secondaire de la production des espaces, un sous-produit, mais en devient le moteur »125, le réel n’étant plus qu’un « produit de la mise en œuvre d’un imaginaire ».126 122

« […] processus de simplification de l’expérience naturelle directe, remplacée par une expérience simulée: basculement de la symbolisation et l’abstraction vers des icônes dont le sens est reconstruit et des situations simulées. » Dominique Crozat, Thirdspace, espaces potentiels et hyper réel : nouvelles modalités de la fuite dans l’imaginaire (2007). Publications de l’Université Montpellier. 123 Id., p.108. Rodaway, 1994, p.162. 124 Id., p.109. Bancel et Blanchard, 2002, p.425. 125 Dominique Crozat, Thirdspace, espaces potentiels et hyper réel : nouvelles modalités de la fuite dans l’imaginaire (2007). Publications de l’Université Montpellier. p.97. 126 Id., p.98.

112




Conclusion

« La beauté des Cités Obscures parle à l'esprit plus qu'elle parle aux sensations. Même si les dessins de François Schuiten sont magnifiques ils invitent plus à la réflexion qu'à la contemplation. »127 L’analyse des représentations des Cités Obscures a donné matière à réflexion sur l’urbain par le biais de la fiction. Les villes multiples de ce monde imaginaire apportent des indications sur notre monde réel avec laquelle elles tissent des liens étroits. Rassemblées sous un même regard, toutes ces villes mettent en avant une vision des auteurs sur l’architecture et l’urbanisme de la ville d’aujourd’hui. Par ailleurs, elles proposent une critique prononcée de la société actuelle et des nouvelles façons de la penser.

La recherche réalisée a permis de révéler le potentiel prospectif des Cités Obscures, un potentiel proche de notre époque, qui ne se perd pas dans un futur lointain. En effet, il n’y a aucune nouvelle technologie dans la série, ni de changements complets d’organisation sociétale. C’est pourquoi, elle apporte des réponses pertinentes facilement transposables aux réalités actuelles. La majeure partie de la dimension critique de l’œuvre parle de notre présent, dans une version fictive, extrapolée et fantasmée. Les caractéristiques communes à chaque ville illustrée dans la série et leurs choix d’organisation dessinent donc un futur proche. Tout d’abord, les villes présentées possèdent un caractère autosuffisant, vivant en autarcie, elles sont en complète émancipation par rapport à leurs territoires. Elles produisent donc un impact modéré sur l’environnement et sur la biosphère qui est une des

127

Frederic Kaplan, La quête du sens dans les Cités Obscures, Altaplana (1995).

115


préoccupations actuelles de l’évolution vers un monde durable. D’un point de vue écologique, les modes de déplacements des Cités Obscures sont basés sur des technologies plus anciennes que les nôtres. Elles ne permettent que très peu de voyages sur de longues distances car les moyens de transports n’utilisent pas les énergies fossiles. Ce qui renvoie automatiquement à la raréfaction à venir des matières premières. Les longs voyages difficiles et l’émancipation territoriale amènent les cités à toujours plus de concentration devenant de véritables villes verticales. Cette nouvelle urbanité se développera encore plus dans un futur proche car l’étalement urbain doit être maîtrisé entraînant une sur-densification qui a déjà débuté. Les trois premières visions de la ville dans l’œuvre sont urbaphiles et annoncent un monde futur duquel émergeront certaines qualités. A l’inverse, les suivantes mettent en avant des visions urbaphobes avec des villes ségrégatives tant au niveau urbain que géographique. D’ailleurs, on peut penser que des événements et des politiques récentes vont vers un renforcement ségrégationniste validant cette hypothèse. Ensuite, les villes tendent aussi à perdre leurs identités respectives tant dans les Cités Obscures, par trop de systématisme, que dans la réalité où Rem Koolhaas définit l’urbanité contemporaine par la ville générique : «La Ville générique est la ville débarrassée […] de l'identité. […] C'est la ville sans histoire. »128. Ajoutée aux idéologies uniques, promues par les politiques urbaines qui régissent le Continent Obscur, la perte d’identité génère des villes simulant une réalité. Des pratiques proches régissent notre quotidien : la standardisation par l’image et l’hyper réalité : « Nos sens sont manipulés pour générer des expériences géographiques réalistes »129.

Ces différents points sont donc des futurs possibles pour la ville car ils mettent en avant une évolution en relation avec des sujets et des problématiques de notre époque. En plus de ces prévisions d’avenir, les Cités Obscures proposent une définition de la ville imaginaire. Chaque cité aborde un concept, une idée mise en avant par le récit. L’histoire met en avant des moments de vie de personnages et des thèmes de réflexions. Certains se recoupent selon les récits mais l’intérêt ici est de tout relier pour former une vue d’ensemble qui définit la ville imaginaire développée par Peeters et Schuiten. La ville des Cités Obscures est unique, 128

Rem Koolhaas, La ville générique, (1994), traduction par Catherine Collet. p.3. Dominique Crozat, Thirdspace, espaces potentiels et hyper réel : nouvelles modalités de la fuite dans l’imaginaire (2007). Publications de l’Université Montpellier. p.108. 129

116


développée selon une idéologie qui la caractérise elle seule. Elle est constamment en compétition, ses systèmes constructifs et son style architectural sont mis en place uniquement pour l’image qu’elle cherche à faire valoir par rapport aux autres, l’obligeant à se fermer complétement aux échanges et aux différences. La ville est donc intemporelle et ne possède pas d’histoire car son image est trop déshumanisée rejetant une possible identité culturelle. Les espaces générés se placent entre un réel simulé, le bâti et l’architecture, et une fiction créatrice, l’idéologie. Par cette approche, la ville des Cités Obscures est définie entre réalité et fiction au sein même de son monde, créant une mise en abîme par rapport à la thématique principale de cette recherche qui est d’interpréter l’œuvre de fiction et d’en faire émerger des réalités.

Avec le recul, les conclusions de cette recherche sont conditionnées par une interprétation qui correspond au regard d’un étudiant en architecture. Chaque regard est unique et la série des Cités Obscures invite à une multitude d’autres interprétations. Ce qui est d’autant plus intéressant car : « […] si l'on en croit les auteurs, la démarche créative qui est à la base de l'univers est principalement intuitive et ne suit aucun schéma pré-décidé ».130 Cette investigation a donc permis de mobiliser un regard critique sur la société d’aujourd’hui en passant par le media de la bande dessinée, un regard qui alimente autant la réflexion et la pensée architecturale que le domaine de la conception. En premier lieu, la recherche du sens apparaît d’une importance cruciale dans la mission de l’architecte. Le terme « sens » s’entend ici comme une réflexion sur le lien entre un avant (l’histoire, la situation) et un après (l’impact, l’usage). S’en éloigner devient synonyme d’imposer une volonté qui ne prend pas en compte et ne représente pas la réalité : « La Fièvre d'Urbicande et Brüsel montrent les destins tragiques de ceux qui se soustraient à la recherche du sens et essaient d'en imposer un qui ne correspond pas avec la réalité. »131. De plus, la simulation des espaces, présentée en amont, pose des questions sur le rapport à l’image. L’important ne se trouve pas dans ce que l’on perçoit du bâtiment mais dans la réalité objective qu’il y a au-delà. Pour finir, un retour sur la motivation de cette recherche s’impose. Il était énoncé que l’architecture est

130 131

Frederic Kaplan, La quête du sens dans les Cités Obscures, Altaplana (1995). Id.

117


un métier de l’imagination qui donne à l’architecte la possibilité d’avoir un regard visionnaire et l’autorise à penser à l’évolution des modes de vie et des sociétés. « C'est en décrivant que l'on donne un sens aux choses, sans cela elles en sont dépourvues. »132. Comme l’a fait Isidore Louis, l’archiviste133 des Cités Obscures : « Au mépris de toute vraisemblance, on déclare que le phénomène ne s'est développé qu'après que j'ai commencé mon travail, que ce sont mes recherches mêmes qui semblent lui avoir donné consistance. »134. On pourrait donc conclure qu’en tant que concepteur de l’urbain c’est en pensant et en dessinant le futur qu’on lui donne un sens.

132

Id. C’est ici un clin d’œil à l’univers créé par Peeters et Schuiten : Isodore Louis, l’archiviste est un personnage des Cités obscures qui a écrit une description de ce monde. Il apparaît dans L’Archiviste. Peeters et Schuiten, l’Archiviste Janvier 1987). 134 Id. (pièce 18), page 39. 133

118




Annexes Analyses

121


Les murailles de Samaris (1983) Architecture Le style

Xhystos : Art nouveau, industrialisation, vis apparentes, structures métalliques, constructions tramées. Samaris : Différentes architectures, style baroque, classique, européen, occidentale, couleurs, fioritures. Aucunes fenêtres. Ambiance superflue. Bâtiment du gouverneur, style religieux, ressemble à une église. Samaris révélée : Architecture en leurre, façades décors, chambre factice, décor de cinéma, structure métallique.

La forme

Xhystos : Formes art nouveau, nature, courbe, entrelacs. Lignes droites, industriel, liaisons avec courbes. Toitures, courbes, unités. Volume, grand, taille inhumaine, complexes, mauvaise lisibilité, beaucoup de détails inutiles. Samaris : Formes, longues, rectilignes, quelques courbes, dôme, voûte et porche. Bâtiments, grands, hauts, quelques tours. Proportions, architecture antique, grecque, égyptienne.

L'environnement,

Xhystos : Environnement urbain. Même style sur toute la ville. Cas du central N : Eloigné de la ville, aucune accroche, pas de liens, monolithe, au milieu du désert. Samaris : Pas de liens réel. Collés les uns aux autres, aléatoire, mêmes teintes. Architecture leurre, joue avec l'usager, coté pervers, répétitions, amalgame, style différents. Xhystos : Bâtiment emblématique, fonction annoncée par la devanture, "Registres et inscriptions". Central N : engins de transports, trains, altiplans. Samaris : Hôtel, afficher par un écriteau," Lerie". Samaris révélée : Fonction, perdre les voyageurs, façades qui tournent, créations de fausses rues, jamais deux fois la même. Xhystos : Art nouveau, courbes, sol, murs, plafond, mobilier, rappel de bateau, jules vernes. "Registres et inscriptions", employés hauts placés, une mise en avant de l'administratif, exagération. Sork club, éléments non constructif, aspect de machine. Samaris : Hôtel, intérieur du hall classique, les couloirs, chambres, rappelle l'art nouveaux de Xhystos mais en plus sobre. Palais du gouverneur, colonnade le long des murs, beaucoup de fioritures.

relations Programme, organisation

Scénographie

Urbanisme Types d'organisations urbanistiques

L'espace public

Les circulations

Les limites

Social

Xhystos : Ilots, séparation par l’espace public large. Unités des toitures. Ilots, un bâtiment, imposant. Espace public, surélevé, 2 niveaux, sol et espace public en hauteur. (rappel des passerelles de Hong Kong dans les socles des tours). Trames différentes, éléments accordés, unités de paysage. Ville encerclée, grande muraille, ouvertures par des grandes portes, plus hautes, marqueurs. Extérieur, zone détruite, abandonnée, les « faubourgs ». Le central N, plus loin que les « faubourg ». Ville sur plusieurs niveaux, escaliers, passerelles, passages. Samaris : Bordé de murailles, immenses. Un creux marque l’entrée, canal, puis vraie entrée de la ville. Rues étroites, plein d’architecture variée, sobre, décorée, en hauteur surtout, aspect religieux. Espaces intérieurs et extérieusr se confondent. Samaris révélée : Ville leurre, labyrinthe mouvant, aucuns parcours précédent ne se répète. Immense machine qui fait bouger les décors. Xhystos : espace public surélevé, proche du haut des bâtiments. Entre les îlots, accroche aux bâtis pour se soutenir. Très large, accueil des transports en communs, peu d’arbres. Mobilier, arrêts de tram/bus. Lignes, art nouveau, sol. Beaucoup de passerelles, piétons, transports en communs. Décorations nombreuses. Samaris : Espace public, mince, rue étroite. Décorations, statues, fontaines. Apparaît petit à petit, joue avec l’usager. Statues, façades sur rues. Chemins dictés par le mouvement des façades. Xhystos : Circulations communes, piétons, transports. Tram petit, art nouveau, pas de limites entre piétons et voies. Le central, gare des trams. Extérieure, trains à vapeur, allure début du siècle. Ligne droite, au milieu des faubourgs. Central N, lien avec transport aériens. Samaris : Circulation canal, bacs mécaniques. Xhystos : Limite entre bâtis et espace public très marqué, vide. Espace public construit après le bâti ? Ville fermée, muraille. Sortie, porte, frontière entre ville et faubourg, passage à pied, contrôle, long couloir étriqué, grille métalliques, ambiance glauque. Samaris : Grosses murailles. Xhystos : 2 niveaux, relation dessus dessous. Ségrégation verticale. 5eme élément. 2 modes de vie ? Quartiers non distincts. Faubourg, version délabré. Personnes vivantes, image de zombies, « pillards ».

122


La fièvre d’Urbicande (1985) Architecture Le style

Urbicande rive Sud : Style brut, béton, grand mur, fortifications, des défenses. Maison urbatecte, différente, courbes, formes géométriques simples. Le biais du réseau casse l’harmonie. Urbicande rive Nord : Sobre, quelques décorations, (rappel : ville chaude, Afrique par exemple). Authentique, pierre.

La forme

Urbicande rive Sud : Simples, rectilignes. Peu de courbes. Haut, proportions démesurées (architecture communiste). Bastions de guerres. Apparition du réseau cubes au arrêtes vides, proportions, ordre, simplicité, ses bouts poussent, plantes. Rompt avec les volumes des bâtiments. Pyramide au-dessus de la ville à la fin. Urbicande rive Nord : Simples, rectilignes, ensemble penché, pas d’harmonie de hauteur, plus d’échelle humaine.

L'environnement,

Urbicande rive Sud : Le bâtiment de revues instances, emblématique, grands escaliers, central.

relations Programme,

Urbicande rive Sud : "Urbicande Revues instances", fonction annoncée, « le plus prestigieux ».

organisation Scénographie

Urbicande rive Sud : style similairs, moins brut, plus d’ornements. Volumes grands, architecture fonctionnelle, espace d’attente minuscule, hall immense. Porte démesurée. Académie, vaste amphithéâtre, sièges énormes. Chez Sophie, papier peint, formes simples. Le réseau crée des aménagements intérieurs, rapport à l’espace changé, peinture du réseau.

Urbanisme Types d'organisations urbanistiques

L'espace public

Les circulations

Les limites Social

Urbicande rive Sud : Moderne, peu d’ouvertures. Grandes avenues, tours immenses. Proportions énormes, connexions au-dessus du sol, passerelles. Autour des rives, grandes circulations, espace public immense. Nouvel urbanisme, réseau, liaisons, bâtiments, rives, passages. Pas de trames, réponse par le même style. Urbicande rive Nord : Rues étroites, bâtiments moins hauts, ancienne ville. Construite sur une butte, marcher sur les toits. Urbicande du réseau : Nouveaux quartier, cœur de la ville. Espace public sur le réseau. Destruction, réseau s’agrandit encore. Urbicande rive Sud : Espace public piétons, immenses. Urbicande rive Nord : Espace public étroit, sur les toits. Urbicance du réseau : Le réseau, nouvel espace public, passerelles, les arrêtes, connexions, point clés, promenades sur les hauteurs. Urbicande rive Sud : Echelle pas humaine, circulation énorme. Transport public, trains/tram. Sorte de gros char, allure militaire, transport des autorités, propagande. Transport individuel absent. Urbicande du réseau : Les circulations piétonnes se font sur les arrêtes du réseau. On construit sur les noeuds de celui-ci créant des carrefours. Les constructions sont faites pour faciliter les voies aux ascenseurs sont ajoutés des tramways en hauteur. Urbicande rive sud : Limites marquées, deux rives, réseau lie les deux, connexions. Limite disparue par le nouveau quartier sur le réseau. Urbicande rive Nord : Ville dévaloriseé, contrairement à rive Sud. Ségrégation. Urbicande du réseau : Réseau relie les deux rives, plus de ségrégation. Connexions entre les gens.

123


La route d’Armilia (1988) Architecture Le style

Mylos : Industrie, paroxysme, cheminées, fumée, abondance. Style, fin 19eme début 20eme, usines, briques, tuyaux. Porrentruy : Style classique, pierre, tuile. Ancien, château. Brüsel : Architecture moderne, art déco. Beaucoup de fenêtres, similaires, rectangulaires. Peu de déco. Kobenhavn : Tours, pas de style singulier, aveugles. Bâtiment au sol, (Kremlin).

La forme

Mylos : Rectilignes, courbes des cheminées. Bâtiment haut, pas tours, typologie usines. Brüsel : Rectiligne, imposant, immense, tours faramineuses. Volumes simples. Kobenhavn : Tours, attique courbe. Bâtiment au sol, trame, arc, dôme.

L'environnement,

Brüsel : terrasses, hauteurs improbables.

relations Programme,

Mylos : Fonction industrielle omniprésente.

organisation Scénographie

Urbanisme Types d'organisations urbanistiques

Mylos : Chaotique, passerelles, bâtiments les uns sur les autres. Porrentruy : Construite dans les hauteurs, monticules de pierre rectilignes. Château perché, montagnes. Grandes voûtes, structure. Immense. Dirigeable passe sous les voûtes. Brüsel : Comme une grande ville d’aujourd’hui. Buildings immenses (Manhattan, empire state building). Etages sombres en bas. Kobenhavn : Tours, ville dans la ville, Tivoli, parc d’attraction.

L'espace public Les circulations

Les limites

Mylos : Transport ressemblant à la voiture, pollution. Voyage : L’aéronef, dirigeable, décolle d’un hangar, taille gigantesques. Moyens de transport terrestre, gros bateau monté sur des roues. Brüsel : Circulations, dirigeables, cime des constructions. Les circulations se font par dirigeable dans le ciel à la cime des bâtiments. Kobenhavn : Voies très larges, transports comme des voitures. Brüsel : altitude créée des limites de lumière pour les bâtiments plus bas.

Social

124


Brüsel (1992) Architecture Le style

Brüsel ancienne : magasins du fleuriste, façades de magasins, store, similaires à nos villes. Style similaires au début du siècle. Grande fenêtre. Toitures, beaucoup de caractère, chapiteaux sculptés, décorés, caractère presque religieux. Hôpital, style gothique, religieux transformé. Brüsel nouvelle : Art déco, buildings (Mies.v.d.Rohe, Wright, Corbusier) architecture moderne. Sculptures, anges, personnages. Gargouille, monumentale, immensité, mégalomanie. Temple des Augustins, façade sauvegardée.

La forme

Brüsel ancienne : Formes, simples, habitations pas très hautes, R+3/4. Toitures à double pans, tuile. Brüsel nouvelle : Angles droits, rectilignes, haut, plus froid. Structure apparait, plus de pluralité des matériaux, seul le béton apparaît. Toitures terrasses.

L'environnement,

Brüsel ancienne : Façades continues, harmonies, ouvertures, styles, hauteurs différentes. Brüsel nouvelle : Liaisons par le style, proportions similaires, différences individuelles, même allures.

relations Programme, organisation Scénographie

Brüsel ancienne : Intérieur classique, carreaux au sol, décorations mural, encadrement rectangulaires. Parquet au sol, papier peint en fleur. Salle des machines, ancien ordinateur énorme, bureaux anciens, début 20 eme. Ancienne bibliothèque, abandon, passage vers l’intelligence de l’ordinateur. Hopital : Salle d’attente, longue, remplie de monde (parallèle avec les hôpitaux d’aujourd’hui). Salle de repos, lit à baldaquins, trop de monde, partage du lit. Amphithéâtre, reluisant, dôme, fioritures, fresques au plafond. Brüsel nouvelle : Clinique, totalement sobre, vide, (ressemblance avec hôpital d’aujourd’hui). Couleur différentes à chaque étage, meilleur orientation du docteur. Tout le monde se perd au final, bâtiment trop grand, trop de salles. Une salle donne sur une ligne de tram abandonnée dans l’eau, obscurantisme, construction trop rapide. Tram coupé en deux par un mur en béton. Salle des rangements, lingerie, 3 niveaux, piles de rangements immenses.

Urbanisme Types d'organisations urbanistiques

L'espace public

Les circulations

Les limites

Social

Brüsel ancienne : Centre-ville ancien, petites rues piétonnes, grand axes majeurs, transports en commun. Implantée sur une colline. Un bâtiment imposant, le palais, majestueux. Hauteurs minimes, sauf le palais, hors d’échelle. Brüsel nouvelle : Grandes avenues, bâtiment très haut, tours. Boulevard à l’entrée de la ville, bâtiment pas encore gratte-ciel. Typologie de buildings (Manhattan), emprise de la même taille, quadrillage exact. Trame directrice simple. Ponts, passerelles, routes, traversent les bâtiments, circulations dans les airs. Connexion. Division en parcelle. Digue rompues, pas de réflexion, inondations. Urbanisme mal pensé, perte de repère. Brüsel ancienne : Rues pavées, sinueuses. Petites passerelles, rivières. Eclairage similaire au nôtre, lampadaires. Publicité, propagande, panneaux. Peu de végétations. Brüsel nouvelle : Espace public plus étendu. Ombre, grand buildings. Circulations entre les bâtiments, très peu de place pour la végétation, très rare. Brüsel ancienne : Circulations piétonnes, petites rues sans transport. Transport en commun, ligne de tramway électrique, grande rues, Problème de ponctualité du tram (relation à notre monde). Trottoirs très fins, grandes rues, une seule personne. Brüsel nouvelle : Les circulations piétonnes se font au sol entre les batiments et les routes. Les routes au sol sont dédiées aux voitures. Il y a aussi des passerelles rectilignes entres les bâtiments qui sont piétonnes. D'autres passerelles beaucoup plus imposantes et courbes, sillonnent les hauteurs passant entre ou au dessus des bâtiments, ce sont des routes pour les automobiles. Brüsel ancienne : Cour d’eau, rivière, la Senne. Limite physique. Grand axe de circulations. Brüsel nouvelle : transcende les limites de l’anciennes, obsolète, bâtiments plus hauts, plus de surface, moins s’étendre, non-sens. Espace boisé entourant la ville. Brüsel ancienne : Quartiers définis, axes de circulation. Ségrégation, entre quartier, palais. Brüsel nouvelle : Différence, centre et arrivée de la ville, construction gigantesques, autre R+6/7.

125


L’enfant penchée (1996) Architecture Le style

Alaxis : Baroque, rococo, fioritures foisonnantes, colonnades, corinthiennes, vitraux, sculptures, arc en anse de panier, dômes énormes. Aspect religieux, beaucoup d’arche. Cosmopolis : Plus décoratifs, rococo, style cirque. Parc d’attraction, tranche avec le gothique, treillis métalliques, rails, montagnes russes. Mont Michelson : Classique, dôme ouvert, observatoire. Mylos : Maison Von Rathen : grande, château fort, tour, grande fenêtres. Ville, briques, grande cheminée, nuages de fumée. Usines anciennes. Autres bâtiments, briques, acier, verre, très industriel. Sodrovni : grandiose, grandes statues. Ville ancienne, statues (communisme). Bâtiment, allure de palais, grande tours, toitures en forme de bourgeons, impose grandeur et puissance. (Kremlin). Porrentruy : Ville médiévale, architecture normandes, pierres, toit pointus bois.

La forme

Alaxis : Volume grand, forme rectilignes, géométriques, nombreuses courbes, décorations. Cosmopolis : Arabesques, étoiles. Mylos : Formes rectangulaire, contraste, cheminée cylindrique. Sodrovni : Taille correcte, formes simples, arcs, entablements. Porrentruy : Volume imposant, réaliste, formes simples, structure apparente, lignes directrices.

L'environnement,

Mont Michelson : Implantation, plateau terrassé, jardins, lignes droites, quelques arbres. Alentour naturels, sapins. Contraste, construction, nature, architecture ancienne, aspect mystiques, authentique. Mylos : Maison des Von rathen : Grand escalier, accès, importance, entrée en hauteur, deux étages par rapport la rue. Sodrovni : Les rails du tram mènent au palais.

relations

Programme, organisation Scénographie

Mont Michelson : Mobilier intérieur ancien, arabesques florales. Mylos : Maison des Von Rathen : taille correcte, style classique, ancienne grande maison, sculpture, statues, piano, lustre, richesse.

Urbanisme Types d'organisations urbanistiques

L'espace public

Les circulations

Les limites Social

Alaxis : Ville sur l’eau, colonnes plongent dans l’eau. RDC aquatique. Cosmopolis : devanture sur devanture, espace touristique. Plus d’eau. Ville parc d’attraction, les manèges au travers du bâti. Irréalité, les manèges sont partout, autre monde, décroché de la ville. Sodrovni : Calèche et voiture, espace public piéton, entre bâti et rue. Brüsel : transformation de la ville, gros œuvre, tours, dalles, bâtissent délabrés, anciennes. Alaxis : espace publique, sol, eau. Socles autour des colonnes, petit espace public, limité, petite étendue. Cosmopolis : espace public dur. Mylos : Espace public au sol, toitures, cheminées bâtiment à part entière, espace public au-dessus des usines. Sodrovni : Espace public fait de trottoirs. Alaxis : Sol, barques, petits bateaux. Amarages, pilonnes, anneaux métalliques. Circulation sous les bâtiments. Espace de navigation très large. Sodrovni : Circulation en voiture ou calèches, grandes rues. Tramway. Alaxis : Ville diviseé, plusieurs quartiesr, délimités, entrée, grande porte, arche. Alaxis : Cosmopolis : touristiques, ségrégation social, mendiants, demande de monnaie. Sodrovni : Un bâtiment différent, classe, pouvoir supérieur.

126


L’ombre d’un homme (1999) Architecture Le style

Blossfeldtstad : Très décoré, forme d’art nouveau, formes végétales, trames classiques, buildings, ouverture biseautées. Base classique, transformation organique. Logements, terrasses, accès transports aériens. Style de plantes, fleurs. Dôme, bourgeons. Aspect aquatique de type nénuphar. Garde-corps en arabesques. Structure intérieure en métal, treillis, formes organiques. Architecture, rappel de luciole. Verre et structure métal. (entre Calatrava et Gaudi). Grande forme blanche, toits des bâtiments, ailes, carapaces. Armatures, feuilles. Bio mimétisme. Quartier pauvre, ancienne ville : Ancien, brique, pierre, béton, fenêtre rectangulaire usée.

La forme

Blossfeldtstad : Formes rectilignes, base, puis courbe, organique. Représentation de plantes, sillonnent les façades. Dômes bourgeons. Parc : formes très courbes, bulbes. Pas de tours, peu haut. Mimétisme presque animal. Bio mimétisme. Quartier pauvre : forme simples, pas d’organiques.

L'environnement,

Blossfeldtstad : Liaisons par la forme, ville qui pousse, petite plantes. Parc : Harmonie, nature, architecture, confusion entre les deux. Mobilier spéciaux, lampes, organiques.

relations Programme, organisation Scénographie

Blossfeldtstad : Intérieur très coloré, tons chauds. Fermetures de fenêtre mécaniques. Liserai métallique, décorations murales, plafond, coté industriel. Structure métallique apparente, verrière meubles rappelle les plantes, lampes, cage d’ascenseur, le calepinage au sol. Art nouveau.

Urbanisme Types d'organisations urbanistiques

L'espace public

Les circulations

Les limites

Social

Blossfeldtstad : Tours plus ou moins hautes, bâtiment plus bas mais imposant, large espace, liaisons par des passerelles. Plateformes, liaisons, escalier, passerelles. Parc : construction entre les arbres. Bâtiments peu hauts, hauteurs des arbres, au-dessus du sol, pilonnes, passerelles. Quartier pauvre : quartier en déperdition, abandonné, façades sales. Blossfeldtstad : Passerelles, espace public piétons, circulations. Espace public en hauteur, rdc surélevé. Eclairage public, allure de nature. Quartier pauvre : rues pavées. Blossfeldtstad : Circulations par les airs, petits transports aériens personnels, ailes, taxi, arrêt terrasses. Piétons, passerelles, nœuds, intérieur aux bâtis. Espace public à l’intérieur des tours. Parc : Circulations piétonnes, passerelles, au-dessus du sol, entre les arbres. Blossfeldtstad : Limite entre ville dense et parc, beaucoup d’arbre, forêt. Quartier pauvre : Limite entre celui-ci et la ville dense, espace en marge, végétation non contrôlée. Proche du parc ? Blossfeldtstad : entretien du bâti, ségrégation sociael, volume des constructions différentes.

127


La frontière de l’invisible tome 1 (2002) et tome 2 (2004) Architecture Le style

Tome 1 : le centre de cartographie : Dôme, immense, sans limite, fenêtres identiques. Mur en spirale l’entoure, aspect de base militaire (blokaus). Tome 2 : Le centre de cartographie : similaire, ambiance plus industrielle, armée. Nouvelle porte, bunker, allée de poteaux nouvelle, murs spirales disparus. Grand ascenseur extérieur, treillis. La muraille : Marque la frontière, Sodrovnie Voldachie. Immense mur, architecture de guerre, massif. Coupe une ville en deux.

La forme

Le centre de cartographie : illimité, courbe. Répétitions.

L'environnement,

Tome 1 : Le centre de cartographie : Seul, unique. Environnement délabré, déchets, carte, papier. désert des Somonites. Tome 2 : Nettoyé, industriel, armée. Tome 1 : Le centre de cartographie : Dôme, couverture, espace naturel, maquette du monde des Cités Obscures, cartographe, écosystème unique, miniature, arbre, montagne, utopie du dôme de verre.

relations Programme, organisation Scénographie

Tome 1 : Le centre de cartographie : Système de transport mécanisé. Intérieur, grand espace naturel, collines, forêt. Chambres, vue sur cet espace.

Urbanisme Types d'organisations urbanistiques

Tome 1 : Le centre de cartographie : ville dans un bâtiment, abrite une maquette, uniquement cartographe. Les chambres, dans le dôme, vue sur la maquette, comme un extérieur.

L'espace public Les circulations

Tome 1 : Le centre de cartographie : Transport intérieur mécanisé. Tome 2 : Extérieure : Transport extérieur eau et sol, armée.

Les limites Social

128


La théorie du grain de sable (2007) Architecture Le style

Brüsel : Bâtiments changés, tours, architecture contemporaine. Futuriste, élancée, science-fiction. Contraste avec les anciens bâtis, authentique, beaucoup de détail, garde-corps décorés. Inverse des tours, sobres. Construction moderne dans le bâti ancien, rajoutée, angle, matériaux différents, ovni, montre l’évolution. Cathédrale immense, gothique. Architecture ville basse, classique, pierre, deminiveau, escalier. Petit jardins. La gare : Très mécanique, tendeurs, profilé métallique, toits suspendus. Trains futuristes, système similaire.

La forme

Brüsel : Forme courbe, hautes, déstructurées, plus organiques.

L'environnement,

Brüsel : Petits jardins, maisons pavillonnaires.

relations Programme, organisation Scénographie

Brüsel : Hall décoré, classique, baroque. Textures, formes géométriques, tapis au sol, plafond, psychédélique. Galerie des mondes lointains : Bâtiment spécial, démarque, entouré de végétation, accès par passerelles, surplombent un parc.

Urbanisme Types d'organisations urbanistiques

Brüsel : Parc : A côté de la ville, zone de parc. Promenades, sport, entre les arbres, passerelles, au-dessus du sol. Urbanisme changé, évolution. Transports volants, cosmopolites, des passerelles, au-dessus de l’ancienne ville, toit en tuiles, cheminées. Nouvelle tour, centreville, ville contemporaine (quartier des affaires). Passerelles, au niveau des toits, nouvel espace. RDC, rues similaires, véhicules roulants.

L'espace public

Brüsel : Espace public, parc, passerelles, toitures, survolent le sol.

Les circulations

Brüsel : Circulation à pied, vélos, passerelles. Tram, évolué, deux étages, style strict et moderne.

Les limites

Brüsel : Parc, limite de la ville.

Social

129


Hors-série : L’archiviste (1987) et le Guide des Cités (1996) Lieu Chula Vista

L’Archiviste : Disporportion, summum. Classique, grecque, teintes, égyptienne.

Xhystos

L’Archiviste : Grande halle de Zarbec : Vitrée, structure métallique, art nouveau. Relation aux plantes, formes rectilignes, géométriques. Lien avec Blossfeldtstad. La gare extérieure, nouveau locorail : Courbes, volutes. Le locorail sort de la ville, traverse les faubourgs. Guide des Cités : Motifs environnementaux, système archaïque, muraille. Conseil de 21 membres. Livre d’or, Victor Horta, reconstruction de la ville. Même style. Pas d’architecte. Enceinte, peur des faubourgs. Ville rouillée, mélancolique, indifférence des habitants. Monotonie extrême. Tout se ressemble, plus petits détails. Les habitants ne reconnaissent plus leurs maisons, ne savent plus comment rentrer chez eux. Principe unique, préfabriqué, absolue. Perte de repère, crise d’identité. Effet Samaris, formule la plus radicale.

Sodrovnie voldachie

Le Guide des Cités : Coupole, palais arabe, kremlin, taille, exceptionnelle. Climat rigoureux. Union de plusieurs villes, seul pays. Hiver rigoureux, réseau de circulations souterraines. Style entre arabe et russe. L’Archiviste : Citation d’Eugen Robick urbatecte : "Contraste entre le palais des trois pouvoirs, édifice majestueux et le désordre de la ville basse. Constructions anarchiques et insalubres. Il manque dans cette ville un plan régulateur pour l'urbatecte c'est un stimulant". Travaux d’embellissement, assainissement, passage au tram, métro et train aérien. Gratte-ciel, beaucoup, première nécessité. Entrepreneur de Vrouw. Ligne de trains, treillis métalliques, surplombe les rues, au-dessus, immense gratte-ciel. La revanche de l'eau : Idéal, rattrapé par l’incompétence, corruption. Barrage, rivière, catastrophiques. Pluies et crues, faillite. Faillite. Bateaux en ville, réels canaux. Cette nuit ou jamais : Travaux finis, ancien, disparu, nouvelle ville, immeubles immenses, audace, harmonie générale. Très sobres, presque noirs, trop purs, pas d’ouvertures, (Gotham, Sin City). Le Guide des Cités : Double Bruxelles, complexe d’infériorité, rêve de la nouvelle. Plus grand édifice du continent, palais des trois pouvoirs. Ere des grands travaux, élection politique, entrepreneur de Vrouw. Grands buildings, chantier global, grandeur inégalée. Mise en œuvre, trop rapide, problèmes, déchéance, pourriture. « Mal » des travaux, solutions recoller les anciennes façades, affiche. Début de guerre civile, réconciliation, autre catastrophes. Plantes poussent partout et vite, cassent les vitres, avalant les façades, mauvais choix d’engrais, erreur de circulaire. Efficacité de l’administration, mesure unanime ensuite, mise à l’écart des architectes, pas le droit de construire, très mal vu dans la ville. Le Guide des Cités : Expansion très rapide, contrer Pârhy et Brüsel. Séparé par un fleuve, deux rives indépendantes. Rive sud riche et prospère, rive nord sombre et déshéritée. Ponts construits, relier les deux villes. « Urbicande » : la ville des villes. Eugen Robick, urbatecte, dessina tous les plans, vaste perspective, détail d’ameublement. Travaux, contraste entre les deux rives, rives nord de plus en plus malfamées, politique, ferme les frontières, ponts. Le réseau, liaison des rives, nombreux passages incontrôlés. Vie changée. Disparition du réseau, tentative de le reconstruire, structure métallique. Séisme, destruction. Fanatique, reconstruction à côté, selon les plans de l’urbatecte. Architecture la plus impressionnante jamais édifiée sur le Continent.

Brüsel

Urbicande

Calvani

L’Archiviste : Beaucoup d’intérêt, ville sous dôme de verre, serre immense, nombreuses plantes, vraie forêt, contraste, vitre : arbres. Ville jardin. Concours entre les villes, Alaxis vante ses jardins. Dôme, une lampe immense, faux soleil, éclaire les plantes. Exposition, plantes les plus rares. Les habitants ont quitté leurs demeures pour habiter dans des palais de verres. Ferveur partie aussi vite qu’apparue, maladies inconnues, atmosphère spéciale. Nature « ingrate », repris ses droits. Ville pas viable. Le Guide des Cités : Les chercheurs, récréer des espèces représentées dans le livre. A l’inverse de Xhystos et Blossfeldtstad, vrai hommages aux plantes, les faire pousser réellement, moyens de s’épanouir. Serre dans les serres, les unes dans les autres, enthousiasme presque unanime. Alliage, démesure, finesse, audace, tradition. Billet remplacé par des bois rares. Recréer certain plantes du photographe. Jeux de lumière, bluffant, diversité essences, joue sur l’effet général. Climats différents selon les serres. Maladie. 130


Mylos

Alaxis

Genova

L’Archiviste : Grand centre industriel, marché des négociations. Industrie dans l’architecture, fumée envahissante. Inverse des villes qui tendent vers le naturel. Ici industrie, travail, consommation, pollution. Sombre (étendues d’usines en Chine, Shenzhen). Hôtel, église, adoration et force, façade. Bling bling, divin, artiste. Quartier des motrices : Machines sur des machines, perte de vue. Cœur véritable de la ville, personnages connectés par des câbles. Le Guide des Cités : Consortium industriel unique, mise en commun de ressources, indéfectible solidarité patronale. Les autorités n’existent plus, que le consortium. Isolée du reste, culte du travail. Vie dure, beaucoup de fumée, bruit des machines, cadence et rythme, même les enfants, séparation des sexes, vrai cauchemar. Port du chapeau, système communiste, machines, industrie, extrême. L’Archiviste : Style de lieu de culte, verre et métal. Le Guide des Cités : Cité légère, trois carnavals, popularité. Plaisir et volupté. Prédilection des aventuriers, amants, artistes, joueurs. Régime politique : commerçants, marchands, système basé sur le commerce, casino, cirque. L’Archiviste : Immenses statues d’homme nues, fenêtres dans leurs corps.

Samaris

Le Guide des Cités : Hommage à Urformen Der kunst, chaque immeuble, reproduction exacte des images du photographe. Construite sur une forêt, riche, concurrence entre cités. Embellissement de Pârhy et Xhystos, frapper un grand coup, changer son caractère provincial. Ville rebâtie, suppression des anciennes constructions. Ville jalousée, modernité, admiration. Rigueur relâchée, formes du bâtis change, l’effort de modernité perdura. Le Guide des Cités : Culte de l’éléphant. Modèle sur tout le Continent. Jalousé, admiré, premier modèle urbain. Toutes les villes se sont référées aux travaux parisiens. (Haussman). Cité la plus agréable, touristique, plaisir du voyageur. Faubourg pour les habitants, plus de place en ville. (banlieux). L’exposition inter-urbaine de 750, tournant important pour la ville, véritable bond dans le futur. Ensuite le modernisme Brüselois prit le dessus. Le Guide des Cités : Haute muraille, architecture baroque, protectorat de Xhystos.

Armilia

Le Guide des Cités : Cité engloutie. Elle règle le temps, chronologie et météorologie.

Blossfeldstad

Pârhy

131



Bibliographie Publications : Bercault Florian, Leonard Chauvet, Benoît Coppens, Mathias Cordonnier et Axel Dieuzaide. Les villes de demain – Mardis de l'avenir. (2015). Café géographiques de Paris, Représenter l’espace urbain dans la bande dessinée, (2014). Cattedra Raffaele, Madoeuf Anna. Lire les villes. Panoramas du monde urbain contemporain. (2013). Presse universitaire. Chaudoir Philippe, La rue : une fabrique contemporaine de l’imaginaire urbain, (2008). Choay Françoise. L'urbanisme, utopies et réalités, une anthologie. Edition du Seuil. (1965). Encyclopédie Universalis. (2007). Crozat Dominique, Thirdspace, espaces potentiels et hyper réel : nouvelles modalités de la fuite dans l’imaginaire (2007). Publications de l’Université Montpellier. Crozat Dominique, La ville hyper réelle et les dimensions utopiques du projet urbain contemporain, Congrès ISA/ASLF, Barcelone, (2008). Dacheux Eric, BD reflet ou critique du social ? La BD miroir du lien social, L’harmattan. (2011). Dacheux Eric. La BD : une représentation critique de notre monde de représentation. (2014). CNRS editions. Ghenassia Audrey. Utopies urbaines d'hier et d'aujourd'hui. Mémoire. (2010). Gaudin Thierry. 2100, récit du prochain siècle. (1990). Hyppolite Pierre, Architecture et littérature contemporaines, Presses universitaires de Limoges, coll. "Espaces Humains", (2012) 417 p. Jans Michel (Auteur), Douvry Jean-François (Auteur), Brunon Claude Francoise (Auteur), Schuiten François (Illustrations), Peeters Benoît (Scénario), Autour des Cités Obscures, (2000). Koolhaas Rem, La ville générique, (1994), traduction par Catherine Collet.

133


Lalande, A. Vocabulaire et critique de la philosophie. Quadrige, Dicos poche. (2010). Lynch Kevin, 1999, L'image de la Cité, trad. par Marie-Françoise Vénard et Jean-Louis Vénard de The Image of the City (1960), Dunod. Marchal Hervé et Stébé Jean-Marc. Les grandes questions sur la ville et sur l'urbain. (2014). Molina Géraldine, Paris dans la bande dessinée contemporaine, Au-delà des antagonismes de l’urbaphilie et de l’urbaphobie : la ville plurielle. (2007). Communication au colloque Ville mal aimée, ville à aimer, Cerisy, Juin 2007. Recio Davila Carlos. Les images de la ville. Une approche à la sémiotique urbaine, (2009). Seguin Thomas. Postmodernisme. Une utopie moderne. L'Harmattan. (2012). Thévenet Jean-Marc, Francis Rambert. Archi et BD : La ville dessinée. (2010). Monografik éditions. Torgue Henry, Images et imaginaire habitant, DEA : “ Ambiances Architecturales et urbaines ” (2005-2006). Vincent Veschambre. 2015. Quand la bande dessinée parle de paysage et de géopolitique locale. HAL. Chapitre XV.

Sources video:

Blomkamp Neill , Elysium, (2013). Roddenberry Gene, Star Trek (1966-2005). Peeters Benoît interview, Youtube.com, Archi et BD la ville dessinée. Schuiten Luc, Vegetal city, conférence at TEDxLoire. Wachowsky Andy, Wachowsky Lana, Jupiter Ascending. (2015).

134


Revues :

Bi Jessie, Architecture et bande dessinée. (2007), magazine DU9. « Jules Verne et la Géographie », Géographie et Cultures, n° 15, (1995). Mariasun Salgado, Docteur en Architecture, Architecture & Science-Fiction Histoire de deux villes satellites, (2014). Molina Géraldine, Le Paris des Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-sec de Jacques Tardi : une ville « noire » ? (2007), Géographie et Cultures, N°61 : « Le roman policier. Lieux et itinéraires », pp.61-77. Ricoeur Paul, Architecture et narrativité (1998). Revues Urbanisme 303 (novembre-decembre, p.44-51). Piatzszek Stéphane , L’Île des Justes Corse, été 42, (2015).

Références internet :

Altaplana.be, The impossible and infinite encyclopedia of the world created by Schuiten & Peeters. Question- réponse avec F.Schuiten. Bdangouleme.com, Benoît Mouchard, directeur artistique du Festival d’Angoulême, Extrait de l’éditorial présentant le festival 2009. Geobuis.hypotheses.org La-definition.fr Luc Schuiten, Vegetal city, conférence at TEDxLoire. Youtube.com, interview Benoît Peeters.

135



Table des matières Sommaire ..................................................................................................................................... 05 Introduction ................................................................................................................................. 07 Chapitre 1 : Les représentations de la ville dans la bande dessinée ................................... 11 1.1 Entre réel et fiction ............................................................................................... 13 1.1.1 Architecture et fiction : quelle histoire ? ..................................................... 13 1.1.2 La ville entre réel et fiction .......................................................................

16

1.2 Les représentations de la ville .............................................................................. 19 1.2.1 L’essence de la ville ..................................................................................

19

1.2.2 Formalisation technique, représentation mentale et récit ...........................

20

1.3 Villes fictives : potentiel critique de la bande dessinée ....................................... 23 1.3.1 Architecture et ville dans la bande dessinée ...............................................

23

1.3.2 La bande dessinée un média critique .........................................................

29

1.3.3 Les Cités Obscures : monde métafictionnel .................................................

33

1.4 Décrypter l’œuvre : présentation de la méthodologie ........................................ 39

Chapitre 2 : Figurations de l’ordre spatiotemporel .............................................................. 43 2.1 Un reflet déformé ................................................................................................. 45 2.1.1 Deux mondes qui se reflètent ...................................................................

45

2.1.2 Les passages formes et sens : du réel à l’imaginaire ....................................

47

2.1.3 Une géographie scindée : entre ville et territoire ........................................

48

2.2 Disproportions ...................................................................................................... 51 2.2.1 Perte de l’échelle humaine ........................................................................

51

2.2.1 Surabondance : répétitions et similarités ...................................................

52

2.2.1 Temporalités contrariés : compression, extension, accélération ...................

56

2.3 Mobilités : transports variés ................................................................................. 59 2.3.1 Un futur antérieur ...................................................................................

59

2.3.2 Deux modèles qui s’opposent ...................................................................

60

137


Chapitre 3 : Objet « nature » : entre absence factuelle et évocation pressante ................ 67 3.1 Un contraste entre urbain et périurbain .............................................................. 69 3.1.1 Des périphéries naturelles : entre promenade et forêt ................................

69

3.1.2 Une nature factuelle absente des villes .....................................................

70

3.2 Architecture et nature : évocation et culte .......................................................... 75 3.2.1 Evocation végétale : art nouveau et bio mimétisme ...................................

75

3.2.2 La nature ville : construire pour les végétaux ..............................................

78

Chapitre 4 : Géographie urbaine, sociale, politique ............................................................. 83 4.1 Limites et planifications horizontales ................................................................... 85 4.1.1 Villes divisées : inégalités et contrôle des flux .............................................

85

4.1.2 Connexions et cohésions : une architecture qui rassemble ..........................

88

4.2 Villes verticales ..................................................................................................... 91 4.2.1 Villes connectées : les flux au cœur du processus ........................................

92

4.2.2 L’espace public : vers une stratification ......................................................

94

Chapitre 5 : L’obscurantisme de la fabrication urbaine ....................................................... 99 5.1 Les acteurs de la fabrication urbaine : entre politiques et architectes............... 101 5.1.1 Idéaux extrêmes : politiques et promoteurs .............................................

101

5.1.2 Architectes : entre mise à l’écart et responsabilités sociales ......................

104

5.2 L’obscurantisme à son paroxysme ..................................................................... 107 5.2.1 Les villes des Cités Obscures : crise d’identité ...........................................

107

5.2.2 Ville machine et simulacre : Samaris .......................................................

108

Conclusion ............................................................................................................................ 115 Annexes ................................................................................................................................ 121 Bibliographie ......................................................................................................................... 133 Table de matières ................................................................................................................. 137

138




Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.