Cinémas de petites villes

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ronan keroullé

CINÉMAS de petites villes

expressivité cinématographique contrastée dans les territoires périurbains nanto-nazairiens





Cinémas de petites villes * Expressivité cinématographique contrastée dans les territoires périurbains nanto-nazairiens

Ronan Keroullé rapport de stage recherche encadré par Florie Colin et Laurent Devisme cnrs - umr aau crenau - janvier 2020



SOMMAIRE * umr aau crenau..............................................................................13

Préambule.....................................................................................15 Pratiques cinématographiques dans le périurbain Introduction................................................................................23 01 / Décrire la cathédrale de Chartres / p.23 02 / Référentiel cinématographique / p.28 03 / Indices et expressivité / p.44 I/ Spatialités cinématographiques.................................................46 01 / Schéma de pratiques quotidiennes / p.51 02 / Mettre en récit l’espace du cinéma / p.57 03 / Spatialités, visibilité, temporalités / p.60 Intermède (1/2).............................................................................83 Une réunion au Cinématographe II/ Cinémas péri-métropolitains ?..................................................89 01 / Pop-corn et fauteuils rouges / p.93 02 / Pratiques cinématographiques et imaginaires métropolitains / p.96 03 / « Ressembler aux gros » : facteur humain et déterminisme géographique / p.104 Intermède (2/2)...........................................................................113 Cinéville Conclusion.................................................................................117 Expressivité cinématographique contrastée Médiagraphie..............................................................................121 Annexes (entretiens)...................................................................125



merci à Florie et Laurent, pour leur confiance, leurs conseils, leur humour et leur goût pour la recherche ; à Florence, Simon et Catherine du Cinématographe, pour leur engagement cinéphile contagieux ; aux personnes rencontrées et interrogées au cours de cette enquête ; à Mathilde, pour son expertise toujours précieuse ; et à mes parents, pour m’avoir emmené au cinéma.


ci-contre (photogramme de couverture)Â : Wim Wenders, Au fil du temps, Allemagne (RFA), 1975


« Je considère le cinéma comme un objet, non pas périphérique, accessoire, voire risible (mes collègues se tordaient quand je disais que j’allais pour “travailler” au cinéma), mais comme un objet privilégié pour une anthropo-sociologie sérieuse, parce qu’il pose un nœud gordien d’interrogations fondamentales. » edgar morin


Passage obligé de tout rapport de stage, ce court texte riche en acronymes présente brièvement l’organisme dans lequel a été réalisé le stage à l’origine de ce travail d’enquête. 12


umr aau crenau Le crenau (centre de recherche nantais architectures urbanités) – regroupant l’école nationale supérieure d’architecture de Nantes (ensan) et l’école centrale Nantes (ecn) – constitue l’antenne nantaise du laboratoire aau (ambiances architectures urbanités), complétée par le cresson (centre de recherche sur l’espace sonore et l’environnement urbains) situé pour sa part à l’école nationale supérieure d’architecture de Grenoble (ensag). Le laboratoire aau (dirigé par Daniel Siret) étant luimême une unité mixe de recherche (umr) dépendant du cnrs (Centre Nationale de la Recherche Scientifique). CNRS UMR - AAU CRENAU

+

CRESSON

ENSAN + ECN

Les recherches du crenau couvrent de nombreux thèmes liés aux ambiances architecturales et urbaines, aux modèles, instruments et politiques de l’action publique territoriale, à la réalité virtuelle et augmentée, aux cartographies et représentations sensibles de l’environnement construit, à l’adaptation des villes aux changements climatiques, etc. Aussi, il déploie un large spectre de compétences disciplinaires en architecture, en aménagement urbain et urbanisme, en sociologie, en anthropologie, en informatique, en physique, en histoire et en arts. Sous la direction d’Anne Bossé, il accueille actuellement 23 doctorants. 13


Ce préambule vise à poser le contexte de ce rapport et les différentes attentes et demandes dans lesquelles il s’inscrit. J’y reprends simplement (en y ajoutant quelques précisions) l’intitulé du stage tel qu’il m’a été présenté et la lettre de motivation par laquelle j’y ai répondu qui, il me semble, présentent de manière suffisamment claire les différents intervenants en jeu ainsi que leurs motivations respectives. 14


préambule * Pratiques cinématographiques dans le périurbain Dans Au fil du temps 1, la route se déroule comme la pellicule alors que Bruno (Rüdiger Vogler) sillonne un réseau de vieilles salles de cinémas dans l’Allemagne des années 70, hors des grandes métropoles qui se dessinent en creux, par l’apparition d’un réseau de lignes de haute tension au loin, ou par des destinations affichées dans une gare auxquelles nous ne nous rendrons jamais… C’est peu ou prou ce qu’il m’a été donné d’expérimenter (mon parcours fut probablement moins métaphysique) durant les quatre derniers mois que j’ai passés au sein du CRENAU, après avoir répondu à l’annonce suivante : OFFRE DE STAGE MENTION RECHERCHE « Les pratiques cinématographiques dans le périurbain nanto-nazairien » (Études urbaines et socio-anthropologie) Quatre mois à temps plein, de septembre à décembre 2019 Florie Colin (doctorante) et Laurent Devisme (enseignant chercheur) proposent un stage mention Recherche de 4 mois à partir de septembre 2019, en partenariat avec la mission SCALA (Cinématographe). 1. Wim Wenders, Au fil du temps, Allemagne (RFA), 1975 15


Cinémas de petites villes

Objectif général du stage : Dans le cadre d’une thèse de doctorat portant sur la condition habitante au cœur de l’urbain diffus, autour de trois enquêtes (le Pays de Brest, la région nanto-nazairienne et celle de Québec), le stage vise à explorer plus en détails le second terrain, nanto-nazairien, autour des pratiques culturelles et plus précisément cinématographiques, dans les espaces « périurbains » voire ruraux. L’objectif du stage est de travailler en lien avec la mission SCALA (Salles de Cinéma Associatives de Loire- Atlantique) coordonnée par le Cinématographe et lancée en 2006, qui concerne les 35 salles de cinéma associatives du département. Ces salles sont indépendantes dans leurs programmations et sont gérées par de nombreux bénévoles. Le cinéma, qui tient parfois une grande place dans le quotidien des habitants, parait propice à l’exploration de la dimension culturelle des territoires « périurbains ». En effet, étant parfois les derniers lieux ouverts le soir dans une commune, les cinémas sont à la fois des lieux culturels, d’éducation à l’image, conviviaux, de sociabilités, d’animation… L’objectif est de comprendre comment ces cinémas vivent, et pour qui.

J’y réponds par la lettre suivante : Nantes, le 25 juin 2019 Madame, Monsieur, Actuellement étudiant en master 2 à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes, je me permets d’attirer votre attention sur ma candidature au stage recherche « Les pratiques cinématographiques dans le périurbain nanto-

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Préambule

nazairien » à compter de septembre 2019, qui validerait mon stage de master. Les territoires diffus communément regroupés sous la dénomination « périurbain » m’ont toujours intrigué et ont progressivement pris une place importante dans les réflexions menées dans mes travaux d’étudiant en architecture : régulièrement stigmatisés par le discours médiatique dont se nourri la doxa (on se souvient de la « France Moche » de Télérama, ou encore de la « gangrène urbaine » de Libération) mais également en proie à des décennies de contradictions dans les discours et les annonces politiques, les territoires périurbains ont tôt fait d’être érigés en problème sociétal majeur et vidés de tout ce qui pourrait nous toucher, nous émouvoir, et par là-même nous mettre en mouvement, nous et notre pensée. C’est sur cette « anesthésie générale » que mon projet de fin d’études, « Rien à voir » (qui arrive à son terme), se focalise, sous la direction de Sabine Guth (au sein du studio « Borderline – le projet architectural comme posture critique et recherche en action »). Le sujet que vous proposez prend une dimension encore plus intéressante à travers le croisement de cette « réflexion périurbaine » avec la réalité de la diffusion et de l’exploitation cinématographique dans ces territoires. Le cinéma s’est attiré mon amour bien avant l’architecture (j’ai en effet l’objectif de présenter le concours de la Fémis (École nationale supérieure des métiers de l’image et du son) à l’issue de mes études en architecture) et j’ai eu à cœur tout au long de mon cursus d’entremêler ces deux pratiques, à travers la réalisation d’un court-métrage documentaire sur le quotidien d’une habitante de Brains, une commune en périphérie de Nantes, par exemple, et en suivant des enseignements sur les relations entre fabrique de la ville et récits cinématographiques, que ce soit à l’université de Miami lors de mon semestre d’échange ou à Nantes, dans le cadre de l’enseignement « Fabrique de l’Urbain, Récits d’Urbanités ». 17


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Votre approche, qui porte sur le rapport du cinéma à un territoire à travers sa diffusion, sa présence-même dans la vie des habitants et non dans sa fabrication, me semble être l’occasion d’en explorer une facette qui me touche d’autant plus que j’ai grandi dans une petite commune du Finistère, et que j’ai l’expérience de ces petites salles associatives, où la sortie au cinéma est un rituel que l’on prévoit souvent à l’avance, et où le combat des bénévoles pour le maintien d’une diffusion de qualité face à une pression mercantile croissante est de chaque instant (pas plus tard que cette année, l’association Gros Plan à Quimper, qui avait réussi à mettre en place une diffusion « Art et Essai » et des animations de qualité, a vu la salle qu’elle exploitait rachetée par le groupe Cinéville, déjà détenteur d’un complexe flambant neuf à deux pas, fragilisant son avenir aujourd’hui toujours incertain). […] Dans l’attente de vous rencontrer, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées. Ronan Keroullé

* Ce rapport s’inscrit donc dans le travail de thèse de doctorat de Florie Colin (s’intéressant à « la condition habitante des habitants propriétaires de maisons dans l’urbain diffus, en analysant à la fois des pratiques et des imaginaires – notamment de la ville, de la campagne, du littoral, de la banlieue, dans trois territoires : le pays de Brest, la région nanto-nazairienne et celle de Québec »2) mené sous la direction de Daniel Le 2. Source : aau.archi.fr/theses/effets-de-lurbanisation-diffuse-une-approchecomparative-franco-quebecoise/ [consulté le 09/01/20] 18


Préambule

Couédic (Géoarchitecture, Brest) et de Laurent Devisme, enseignant chercheur à l’école d’architecture de Nantes. Florie et Laurent représentent à eux deux mes « référents », ceux avec qui j’échangerai régulièrement tout au long de l’enquête et qui viendront m’épauler par moments sur le terrain. Ce terrain, c’est celui de la mission SCALA (Salles de Cinéma Associatives de Loire-Atlantique), une mission initiée par le conseil départemental et confiée à l’association du Cinématographe (cinéma associatif nantais) depuis 2006 avec pour objectif de renforcer les liens entre les salles et de consolider ce réseau à travers des formations techniques, des pré-visionnements de films, etc. Mes interlocuteurs au Cinématographe seront Florence Bourhis et Simon Hindié, responsable de la mission, ainsi que Catherine Cavelier, membre fondateur de l’association. Enfin, ce rapport de recherche marque également la fin d’un peu plus de cinq années d’études à l’école nationale supérieure d’architecture de Nantes d’un étudiant cinéphile et sensible à ce que certains nomment aujourd’hui la « question périurbaine » (l’extrait de ma lettre de motivation explique plus en détails d’où je parle). Ce rapport est aussi et avant tout un rapport de stage : les moments qui ponctuent et fabriquent le processus de recherche (échanges, lectures, doutes, etc.) ainsi que d’autres composants de la vie ordinaire en laboratoire apparaissent en filigrane tout au long de ce texte.

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Morbihan

Pontchâteau Cinéma La Bobine La Turballe Cinéma Atlantic

Saint-Malo-de-Guersac Ciné Malouine

Le Croisic Cinéma Le Hublot Le Pouliguen Saint-Nazaire Cinéma Pax Cinéma Jacques Tati

Donges Ciné-Donges

Océan Atlantique

Saint-Michel-Chef-Chef Cinéma Saint-Michel Préfailles Cinéma L’Atlantique Sainte-Marie-sur-Mer Cinéma Saint-Joseph Pornic Cinéma Saint-Gilles La Bernerie-en-Retz Cinéma Jeanne d’Arc

Salles de cinéma associatives de Loire-Atlantique Source : Le Cinématographe, septembre 2018

Vendée


Ille-et-Vilaine Mayenne

Guémené Penfao Cinéma L’Odéon

Nozay Cinéma Le Nozek Saint-Mars-la-Jaille Cinéma Le Jeanne d’Arc

Blain Cinéma Saint-Laurent Héric Cinéma Le Gén’éric

Campbon Cinéma Victoria

Nort-sur-Erdre Cinéma Paradiso

Ancenis Cinéma Eden 3

Divatte-sur-Loire Cinéma Jacques Demy

Saint-Étienne-de-Montluc Montluc Cinéma

Saint-Herblain Cinéma Lutétia

Loire

Maine-et-Loire

Nantes Le Cinématographe Cinéma Bonne Garde

La Montagne Cinéma Le Montagnard

Le Loroux-Bottereau Ciné Loroux

Rezé Cinéma Saint-Paul Bouguenais Cinéma Le Beaulieu

Vertou Ciné-Vaillant

Vallet Cinéma Le Cep

Clisson Cinéma Le Connétable Saint-Philbert-de-Grand-Lieu Cinéphil Machecoul CinéMachecoul

Legé Cinéma Saint-Michel


La rédaction de cette introduction survint relativement tôt dans mon travail d’écriture : en détaillant les fondations de mon travail d’enquête, elle constitue une étape qui fut nécessaire à la clarification de mon propos. J’ai donc décidé de la livrer ici en l’état : il aurait été possible de retravailler ce texte où apparaît un vif ressentiment à l’égard des tableaux Excel et des statistiques en général, mais il me semblait dommage de taire un travail qui, bien que n’apparaissant pas dans le reste de l’enquête, l’influença fortement. 22


introduction * 1. Décrire la cathédrale de Chartres Lundi 9 septembre Voilà maintenant une semaine que je m’installe chaque matin devant l’ordinateur fixe posé sur la large table qui m’est réservée dans l’open-space du laboratoire. Tout le monde est enfin rentré de vacances, l’heure est aux retrouvailles, les doctorants se replongent dans leurs chantiers de thèse, les enseignantschercheurs dans les cours à préparer et les séminaires à organiser, chacun semble savoir quoi faire. Je le sais, je suis au début d’un exercice itératif et tortueux fait d’aller-retours et de remises en question fréquentes, et c’est sans doute pour le mieux si je ne sais pas encore vers quoi je m’aventure avec ces « pratiques cinématographiques dans le périurbain », mais les quatre petits mois qui me sont impartis m’inquiètent déjà : j’ai peur de perdre du temps. Pour minimiser cette angoisse inhérente à tout chercheur en sciences sociales (mon expérience m’empêche d’affirmer un tel constat pour d’autres champs d’études), je consacre mes premières journées de stage à remplir un volumineux tableau Excel recensant un panel varié d’informations relatives aux 35 salles de cinéma associatives de Loire Atlantique (nombre de fauteuils/nombre d’entrées/ population de la commune/rapport nombre d’entrées – population de la commune/existence ou non d’une page Facebook/si oui, nombre de mentions « j’aime »/etc…). 23


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Si l’exercice est rassurant (mon clavier d’ordinateur fait beaucoup de bruit), son utilité me paraît toute relative lorsque je découvre quelques jours plus tard l’existence d’un recueil de données aux critères et aux chiffres bien plus précis disponible en ligne sur le site du CNC1. Regroupé sous l’appellation « Géographie du Cinéma 2018 », l’ensemble de données est introduit par un texte d’une page signé du président de l’institution, Dominique Boutonnat2 : « A une époque où les images se substituent les unes aux autres, le cinéma demeure le premier loisir culturel des Français, le plus populaire. Quel autre lieu transcende autant les différences sociales, géographiques, culturelles, générationnelles ? […] Cet attachement au cinéma, cet art de vivre à la française, existe grâce à un maillage territorial unique au monde. La France Possède le plus grand parc d’Europe, le plus moderne, avec près de 6 000 écrans sur tout le territoire. Dans notre pays, une salle sur deux se trouve dans une commune de moins de 10 000 habitants, une salle sur deux est classée Art et Essai. Ce réseau offre une réponse remarquable à l’appétit culturel de nos concitoyens, dans tous les territoires. Le cinéma répond à un besoin social fort ; il est essentiel à la vie en communauté. »

Le chapitre intitulé « Les pratiques cinématographiques des français en 2019 » (sans que le terme soit explicité plus avant) nous apprend alors à l’aide d’encarts réguliers soulignant l’importance de telle ou telle information que 94,7% des 1. Centre National du Cinéma et de l’Image Animée 2. Producteur de cinéma dont la récente nomination à ce poste par Emmanuel Macron avait suscité une vague d’indignation dans le monde du cinéma où il était question entre autres de « conflits d’intérêts » et de « logiques de rentabilité au détriment de la créativité ». Source : https://www.mediapart.fr/journal/ france/240719/boutonnat-la-tete-du-cnc-malgre-les-critiques [consulté le 18/11/19] 24


Introduction

enquêtés sont satisfaits de leur sortie au cinéma, ou encore que « la fréquentation assidue des salles de cinéma va de pair avec des pratiques culturelles diversifiées (musée – bibliothèque – concerts – expositions) ». Les « inactifs » composent plus de la moitié du public des cinémas Art et Essai. Deux tiers des « jeunes » consomment des boissons et des confiseries lors de leur sortie au cinéma. Face à cette accumulation de tableaux et autres « camemberts » dont le lecteur lambda que je suis (pour le moment) ne sait vraiment quoi penser ou comment s’en emparer (que déduire du fait que « les 15-49 ans représentent plus de la moitié du public des multiplexes » ?) Boutonnat nous rassure et met fin à tout potentiel débat : ces chiffres le « disent », le cinéma français se porte bien. (Il ne mentionne cependant pas que, par exemple, la fréquentation des cinémas Art et Essai recule de 4,0% entre 2017 et 20183). Dans « Les mots sans les choses », Eric Chauvier rappelait que le débat est grandement facilité lorsque, pour parler d’un phénomène complexe (dans notre cas, plus de 6 000 écrans sur un territoire de près de 70 millions d’habitants), la réalité est rangée dans des catégories plus ou moins abstraites parfaitement intégrées au langage quotidien (par exemple ici les salles dites « Art et Essai », « les jeunes » ou encore les « communes de moins de 10 000 habitants »). Faire l’usage des ces classements revient selon lui à céder au concept du groupe de Durkheim au détriment « d’êtres de chair et de sang ». Après avoir mis en exergue l’absurdité d’un débat entre amis autour des « bobos » et des « traders » (« de quoi parlons-nous au juste si ce ne sont de sources de seconde main, glanées dans les médias de masse, que nous confondons avec un mot théorique ? »), il poursuit : 3. Toujours d’après ce même rapport. 25


Cinémas de petites villes

« Je leur demande aussi d’imaginer que nous décrivons la cathédrale de Chartres à partir d’une carte routière de l’Eureet-Loire, pénétrant les détails alentour avec des cartes IGN adaptées ; ou encore que nous dépeignions son style gothique au moyen de la définition du dictionnaire des noms propres. Nous pouvons tourner la situation en tous sens ; nous ne parlons ici que du modèle, en aucun cas des pierres, des autels, des orgues et des vitraux. Je le dis et je le répète : ces propos ont le ton du sérieux, mais ils reposent sur des descriptions fallacieuses. »4

Au fond, Dominique Boutonnat fait-il autre chose lorsqu’il affirme fièrement que « dans notre pays, une salle sur deux se trouve dans une commune de moins de 10 000 habitants, une salle sur deux est classée Art et Essai » ? Soyons clairs, je ne prétends pas remettre ici en cause le travail colossal de l’institut Vertigo à l’origine de cette production de données chiffrées sur les salles de cinémas françaises : dans son travail sur le quartier prioritaire des Dervallières à Nantes, Mathilde Meurice rappelait que « cette quête de la représentativité n’est pas en tout point négative : les chiffres sont une première couche nécessaire à la lecture d’un territoire, et la sociologie a mis au jour des théories fondamentales dans la compréhension de phénomènes sociétaux. »5 Il est néanmoins regrettable que la question des « pratiques cinématographiques » en France ne soit abordée qu’à travers un prisme statisticien passant sous silence tout ce qui ne permet pas de fabriquer des généralités, tout ce qui ne rentre pas dans un tableau ou dans des pourcentages. Cet unique angle 4. Eric Chauvier, Les mots sans les choses, 2018, p.21 5. Mathilde Meurice, De l’inaudible ou l’architecture de la dissonance, 2019, p.50 26


Introduction

d’approche n’est cependant pas à prendre uniquement comme une mauvaise nouvelle : Laurent Devisme me le rappelait lors d’un de nos échanges quant à l’avancement de mes recherches, le décalage entre une réalité objective, « mathématique » et un vécu à l’échelle 1 (« autrement dit à hauteur de la vie ordinaire »6) est souvent le point de départ d’une mise en mouvement et d’une curiosité nécessaire à tout travail de recherche. Si j’ai peu de « vécu » à opposer à cette « Géographie du cinéma » (mon enquête n’en est alors qu’à ses prémices), mon fastidieux tableau Excel sur lequel je planche depuis une semaine me permet néanmoins d’y apporter quelques nuances. Ce même tableau qui lui aussi (mea culpa) lisse une réalité complexe à l’aide de critères arbitraires me permet déjà de saisir une part manquante dans les descriptions des salles de cinémas par le CNC, ne serait-ce qu’à travers le catalogage rapide de 1 179 établissements sous l’étiquette « Art et Essai ». L’obtention de ce label nécessite de remplir un certain nombre de critères dépendant de la catégorie de la salle (définie par son implantation géographique), c’est en l’occurrence la catégorie E (aires urbaines de moins de 20 000 habitants et zones rurales) qui nous intéresse. Pour ces salles, 15% de séances dites « Art et Essai » sont nécessaires pour se voir remettre le label7. 6. Eric Chauvier, op.cit., p.28 7. Est considérée « Art et Essai » une œuvre cinématographique répondant à au moins l’une de ces caractéristiques : œuvre ayant un caractère de recherche ou de nouveauté dans le domaine cinématographique ; œuvre présentant d’incontestables qualités mais n’ayant pas obtenu l’audience qu’elle méritait ; œuvre reflétant la vie de pays dont la production cinématographique est peu diffusée en France ; œuvre de reprise présentant un intérêt artistique ou historique, et notamment considérée comme « classique de l’écran » ; œuvre de courte durée tendant à renouveler, par sa qualité et son choix, le spectacle cinématographique. Source : https://www.cnc.fr/professionnels/aides-et-financements/cinema/ exploitation/classement-art-et-essai_191276 [consulté le 27/10/19] 27


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Je ne suis pas expert en exploitation cinématographique, aussi j’ignore si un tel taux est difficile à atteindre, ou si au contraire il ne s’agit là que d’un strict minimum, et que la réalité est bien au-delà, là n’est pas vraiment la question : je me dis simplement qu’il y a quelque chose d’étrange à définir des salles de cinéma uniquement par rapport à 15% de leur programmation, et que nous ne sommes pas loin de la tentative de description de la cathédrale de Chartres par Eric Chauvier à partir de cartes IGN ou d’un dictionnaire des noms propres. 2. Référentiel cinématographique Ce qui suit est un résumé des principales informations relatives aux salles de cinéma dont il sera question dans ce rapport collectées avant tout travail d’enquête sur le terrain (celleslà même que je collectais dans mon tableau Excel) : les sites internet du CNC, de chaque salle de cinéma ainsi que des articles parus dans la presse locale (Ouest France, Presse Océan) en constituent les principales sources. Les objectifs d’une telle présentation sont multiples : elle permet à la fois de saisir la « part manquante dans les descriptions des salles de cinémas par le CNC » que j’évoquais plus tôt, en laissant entrevoir la multitude de variations et de différences entre plusieurs salles associatives classées « Art et Essai » uniquement sur des critères très simples (programmation, nombre de bénévoles, etc.) ; et servira également – sur un plan plus pratique – de référentiel pour le lecteur. Si les contextes des différents moments d’enquête (observations, entretiens, etc.) seront évidemment rappelés et précisés tout au long de ce mémoire, les descriptions (non exhaustives) présentées dans ces quelques pages introductives ne seront pas reprises à chaque évocation de telle ou telle salle de cinéma.

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Introduction

Elles sont donc rassemblées ici de manière claire et concise en ce qui constitue un soubassement de l’enquête auquel il ne faudra pas hésiter à se référer au cours de la lecture de ce rapport pour éviter que n’en pâtisse sa compréhension. Il convient également de préciser que le choix des salles où a eu lieu l’enquête de terrain ne s’est pas fait en une seule fois, et n’a pas toujours été motivé par les mêmes raisons. Lorsque je débute mon stage, une pré-sélection d’une dizaine de salles m’est proposée par Simon et Florence, du Cinématographe. Parmi elles, les « cinémas de la côte » (je reviendrai sur cette dénomination plus tard dans ce rapport), La Turballe, Le Croisic, Le Pouliguen ; puis d’autres plus proches de Nantes – tout en restant éloigné d’un contexte urbain dense – Nozay, Blain, Ancenis, Nortsur-Erdre, etc. Certains ont donc été privilégiés car plus faciles d’accès (Le Pouliguen par rapport à La Turballe par exemple), d’autres se sont démarqués au gré des aléas propres à tout travail de terrain (certains furent « recommandés » par des personnes rencontrées, pour ne citer qu’une raison parmi d’autres), et d’autres encore ont été laissés de côté simplement par manque de temps et par nécessité de restreindre l’étendue spatiale de l’enquête (sa durée dans le temps étant elle bien limitée). *

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Morbihan

Redon Ciné Manivel

Pontchâteau Cinéma La Bobine La Turballe Cinéma Atlantic

Saint-Malo-de-Guersac Ciné Malouine

Le Croisic Cinéma Le Hublot Le Pouliguen Saint-Nazaire Cinéma Pax Cinéma Jacques Tati

Donges Ciné-Donges

Océan Atlantique

Saint-Michel-Chef-Chef Cinéma Saint-Michel Préfailles Cinéma L’Atlantique Sainte-Marie-sur-Mer Cinéma Saint-Joseph Pornic Cinéma Saint-Gilles La Bernerie-en-Retz Cinéma Jeanne d’Arc

cinémas enquêtés observations observations + entretiens Vendée


Ille-et-Vilaine Mayenne

Guémené Penfao Cinéma L’Odéon

Nozay Cinéma Le Nozek Saint-Mars-la-Jaille Cinéma Le Jeanne d’Arc

Blain Cinéma Saint-Laurent Héric Cinéma Le Gén’éric

Campbon Cinéma Victoria

Nort-sur-Erdre Cinéma Paradiso

Ancenis Cinéma Eden 3

Divatte-sur-Loire Cinéma Jacques Demy

Saint-Étienne-de-Montluc Montluc Cinéma

Saint-Herblain Cinéma Lutétia

Loire

Maine-et-Loire

Nantes Le Cinématographe Cinéma Bonne Garde

La Montagne Cinéma Le Montagnard

Le Loroux-Bottereau Ciné Loroux

Rezé Cinéma Saint-Paul Bouguenais Cinéma Le Beaulieu

Vertou Ciné-Vaillant

Vallet Cinéma Le Cep

Clisson Cinéma Le Connétable Saint-Philbert-de-Grand-Lieu Cinéphil Machecoul CinéMachecoul

Legé Cinéma Saint-Michel


Cinémas de petites villes

<- vers la

N Î

gare

Port de plaisance

Centre - ville Eglise

Parking

Cinéma Pax

Le Pouliguen Cinéma Pax Le cinéma du Pouliguen, le Pax, réalise donc l’un des meilleurs taux de fréquentation du département. L’accès en TER depuis la gare de Nantes est aisé (moins de 50 minutes), et il fait des partie des cinémas pré-sélectionnés par le Cinématographe, aussi nous convenons avec Florie qu’il y a là une possible première porte d’entrée sur le large terrain que constitue le réseau SCALA pour réaliser de premières observations. 32


Introduction

Informations préalables : 4 455 habitants 1 salle 230 places 269 films projetés/an 1 478 séances/an 49 337entrées/an 6, 50€ (plein tarif) 80 bénévoles, 4 salariés 370 mentions «j’aime» sur Facebook Classé Art et Essai, Jeune public, Recherche et Découverte, Patrimoine et Répertoire Dernières sorties et films d’auteur, en VO. Peu ou pas de blockbusters. A côté d’une église, dans le centre de la commune, à proximité de plus de restaurants, de bars, de commerces… 33


Cinémas de petites villes

N Î

Centre - ville

Port de plaisance

Parking

Cinéma Le Hublot

la vers gare ->

Le Croisic Cinéma Le Hublot Le cinéma du Croisic fut le deuxième à faire l’objet d’observations, après le Pax au Pouliguen : l’envie d’explorer une autre commune de la côte motiva ce choix (des questions de praticité d’accès rentrèrent églament en compte, la Turballe - autre commune voisine - n’étant pas desservie par le réseau deTER), tout la configuration particulière de la salle, voisine d’un supermarché. 34


Introduction

Informations préalables : 4 040 habitants 1 salle 247 places 222 films projetés/an 1 105 séances/an 30 680 entrées/an 6, 50€ (plein tarif) 70 bénévoles, 1 salarié Pas de page Facebook Classé Art et Essai Très éclectique, aussi bien des films d’auteurs sélectionnés au dernier festival de Cannes, que des films plus « grand public » (Toy Story 4, remake du Roi Lion, …) Peu de VO. Le cinéma est le voisin d’un petit supermarché, au cœur de la commune, et donne sur une place (commerces, restaurants, etc…). 35


Cinémas de petites villes N Î

Parking

Centre - ville

Cinéma Le Gén’éric

Médiathèque

Héric Cinéma Le Gén’éric Un deuxième temps de l’enquête consista a cibler des cinémas dans un territoire plus proche de Nantes. Parmi les cinémas « dans les terres », au Nord et à l’Est de Nantes (sélectionnés par la mission SCALA au début de mon stage) celui de Héric fut l’un des premiers à être exploré. C’est dans ce territoire que nous décidons avec Florie de réaliser des entretiens. A Héric, nous rencontrons le directeur du cinéma (ancien bénévole, désormais salarié par l’association), ainsi que l’architecte à l’origine de la rénovation du cinéma. 36


Introduction

Informations préalables : 5 876 habitants 2 salles au moment de l’enquête (bientôt 3)1 279 places (+ 150 places à venir) 214 films projetés/an 630 séances/an 34 403 entrées/an 6, 50€ (plein tarif) 100 bénévoles, 1 salarié 646 mentions «j’aime» sur Facebook Classé Art et Essai, label Jeune Public Programmation : Très éclectique, de films d’auteurs sélectionnés au dernier festival de Cannes à des films plus « grand public » (Dora L’exploratrice, ...) Peu de VO. Cinéma situé dans le centre de la commune, grand parking. 1. Les chiffres donnés sont basés sur la période où le cinéma n’avait qu’une salle. 37


Cinémas de petites villes

N Î

Parking

Cinéma SaintLaurent

Médiathèque

Centre - ville

Blain Cinéma Saint Laurent Le cinéma de Blain est le second où un entretien fut réalisé. Sa proximité géographique avec Héric nous semblait être un bon moyen de mettre en exergue les potentielles différences et particularités de cinémas systématiquement regroupé sous le label « Art et Essai », en observant et décortiquant des propos recueillis entre deux « voisins ». Ici, c’est le président de l’association qui fut interrogé. 38


Introduction

Informations préalables : 9 638 habitants 1 salle 280 places 205 films projetés/an 630 séances/an 33 055 entrées/an 5, 50€ (plein tarif) 110 bénévoles 632 mentions «j’aime» sur Facebook Classé Art et Essai Programmation : Comédies, films d’animation et blockbusters américains se partagent l’affiche. Peu de films d’auteurs, de sorties nationales et pas de VO. Le cinéma est situé en plein centre de la commune – commerces à proximité, médiathèque, etc. 39


Cinémas de petites villes N Î

Gare

Cinéma Eden 3

es

ant rs N

e <- v

Cité scolaire

Centre - ville

Ancenis Cinéma Eden 3 Le cinéma d’Ancenis fut choisi pour sa proximité avec Nantes et pour son passage récent à trois salles. Après avoir observé des cinémas comme ceux de Blain ou Héric, il nous semblait pertinent d’aller s’aventurer du côté d’un cinéma ayant déjà effectué ce passage de plus en plus fréquent chez les petits cinémas associatifs d’une à plusieurs salles, afin d’en observer les potentielles conséquences en termes d’usages, de programmation, de spatialités, etc. Un entretien fut réalisé avec le directeur du cinéma. 40


Introduction

Informations préalables : 7 510 habitants 3 salles (depuis cette année, 1 seule auparavant) 549 places Environ 400 films projetés/an Environ 2 500 séances/an 120 000 entrées/an (prévisions pour l’année 2019) 7 € (plein tarif) 90 bénévoles, 3 salariés 1 693 mentions «j’aime» sur Facebook Classé Art et Essai, Jeune public, Recherche et Découverte, Patrimoine et Répertoire Dernières sorties, que ce soit des films d’auteurs comme des blockbusters américains, VF/VO Le cinéma se situe dans le centre d’Ancenis, juste à côté de la gare. Mais les alentours ne semblent pas laisser beaucoup de place aux piétons. Très grand parking derrière le cinéma. 41


Cinémas de petites villes

N Î

Gare

Centre - ville

Port de plaisance

Ciné Manivel

Redon Ciné Manivel Ce cinéma hors des limites officielles du terrain de la mission SCALA fit l’objet d’une journée d’observations : le récent bâtiment accueillant ce grand cinéma associatif est - signé du même architecte que celui de Héric. C’est après m’être entretenu avec lui que je décide d’aller observer ce cinéma comptant sept salles dans une commune pourtant guère plus grande que Ancenis ou Blain. 42


Introduction

Informations préalables : 8 914 habitants 7 salles 1 065 places 423 films projetés/an 10 090 séances/an 202 388 entrées/an 7, 30€ (plein tarif) bénévoles 3 452 mentions «j’aime» sur Facebook Classé Art et Essai Dernières sorties, que ce soit des films d’auteurs comme des blockbusters américains, VF/VO Un peu à l’écart de la partie commerçante de Redon, mais un restaurant se trouve dans le cinéma. Situé le long des quais (port de plaisance). 43


Cinémas de petites villes

* 3. Indices et expressivité Ces présentations sommaires forment donc la base d’une enquête qui cherche avant tout à aborder la question des « pratiques cinématographiques » sous un autre angle que celui purement statistique développé plus tôt dans cette introduction. La quête de la représentativité est ici laissée de côté pour donner de la place au terrain, à l’ordinaire, à l’échelle 1, et à ses anomalies et autres détails troublants, à l’aune de la recherche indiciaire décrite ici par Géry Leloutre : « Cette idée que « dans une réalité opaque, des zones privilégiées existent — traces, indices — qui permettent de la déchiffrer » (Ginzburg, 2010 : 290), forme le fondement du paradigme indiciaire tel que défini par l’historien Carlo Ginzburg. »1

Eric Chauvier détaillera à son tour ce paradigme : « Penser l’ordinaire revient à identifier et à caractériser un enracinement et une généalogie de la théorie à partir de la praxis communicationnelle initiée par l’enquêteur. Ce choix engage une anthropologie inductive, permettant de partir des détails et anomalies des moments ordinaires pour gagner, par un jeu d’appariement de consciences, les rives d’une théorie interprétative. »2 1. Géry Leloutre, Le projet par la recherche – Décoder la méthode de pensée de la description comme projet, in Recherche et projet : productions spécifiques et apports croisés, 2018, p.86 2. Eric Chauvier, Anthropologie de l’ordinaire. Une conversion du regard, 2017, p.189 44


Introduction

Observations de terrains et entretiens semi-directifs constituent alors le principal matériau – leurs conditions de réalisation seront détaillées dans le développement de ce rapport – qui sera ici décortiqué à la recherche d’indices, de traces renseignant sur que je nomme l’expressivité cinématographique, autrement dit les variations d’expression d’un même gène : celui des cinémas associatifs classés Art et Essai en périphérie d’une grande métropole.

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I * spatialitĂŠs cinĂŠmatographiques



« L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner ; il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête. » georges perec


Cinémas de petites villes

L’une des premières demandes qui me sont formulées dans l’intitulé du stage concerne « l’avant et l’après séance de cinéma, en termes de spatialités. Comment les espaces publics autour du cinéma fonctionnent-ils ? ». Ce pan de l’enquête constitue la première partie du rapport comme il fut ma première porte d’entrée sur le terrain : il se base donc essentiellement sur des observations réalisées devant les salles de cinémas présentées en introduction. Le protocole est simple : se rendre à plusieurs reprises entre les mois de septembre et novembre devant un cinéma, le mercredi (ma première journée se déroula un mercredi, il fut par la suite décidé de conserver ce paramètre). Là, décrire les lieux, noter les évènements qui se produisent, puis une fois rentré, retranscrire ces observations à chaud avant d’en perdre les souvenirs les plus précis. Enfin, ce processus répété à plusieurs reprises, y revenir et identifier les éléments troublants, marquants qui deviennent alors les points de départs des cheminements de pensée proposés ici. 50


I - Spatialités cinématographiques

1. Schéma de pratiques quotidiennes Au début du mois de décembre, je fais la lecture à Laurent Devisme, mon enseignant référent pour ce stage, des grandes lignes directrices de ce rapport. Alors que j’en arrive à une souspartie intitulée « Rapports spatiaux des salles de cinéma à leur commune », je lui explique : « J’ai trouvé que certains cinémas étaient complètement intégrés dans un ‘‘schéma de pratiques quotidiennes’’. »

J’ai prononcé ces derniers mots en mimant machinalement des guillemets avec mes mains et cela n’a pas échappé à mon interlocuteur qui me le fait remarquer en souriant. Je lui rends son sourire : si les courtes expériences que j’ai de l’exercice de la recherche m’ont appris quelque chose, c’est bien l’importance de stabiliser et de clarifier l’usage de telles notions. D’où proviennent-elles ? Où les ai-je lues, entendues ? S’agit-il de termes indigènes ? De retour à mon bureau, je tâche d’y voir plus clair, et je retrouve dans mon carnet cette phrase que je me souviens avoir écrite rapidement dans le TER en rentrant d’une journée d’observation au Pouliguen. Je venais de relire mes notes et j’avais alors jugé utile d’inscrire en bas d’une page : Le cinéma semble s’inscrire dans un schéma de pratiques quotidiennes. 51


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Si j’ai entendu ou lu cette notion de schéma de pratiques quotidiennes, c’est probablement durant mes études à l’école d’architecture et non pas sur le terrain. J’y reconnais là un vocabulaire de sachant, de voyeur 1 : qu’est-ce qu’un schéma de pratiques quotidiennes sinon une représentation simplifiée et réductrice d’un quotidien qui ne saurait l’être ? L’usage d’une telle expression pourrait dénoter un certain manque de précision (et c’est tout l’objet de ce rapport que d’aborder lesdites « pratiques cinématographiques » par le prisme du quotidien dans tout ce qu’il peut avoir « d’étrange et d’ordinaire »2), mais il m’avait tout de même semblé pertinent, à peine sorti d’une journée d’immersion sur le terrain, de la coucher sur le papier. * Je me rends au Pouliguen dans l’idée de me faire la main, d’observer un maximum de choses, et de me laisser surprendre par le terrain, peut-être d’échanger avec les bénévoles présents, qui sait. Ce qui suit est la retranscription à l’ordinateur (réalisée dans les jours qui ont suivi) de ma prise de notes manuelle. La syntaxe tout comme certaines descriptions y ont donc gagné en épaisseur.

1. Dans le premier tome de L’invention du quotidien, Michel de Certeau introduisait la figure du voyeur que peut être « l’aménageur de l’espace, l’urbaniste ou le cartographe » qu’il oppose alors à celle du marcheur. L’un peut lire le texte urbain, tandis que l’autre en est l’auteur aveugle : « [la posture du voyeur] a pour condition de possibilité un oubli et une méconnaissance des pratiques. […] Le dieu voyeur doit s’excepter de l’obscur entrelacs des conduites journalières et s’en faire l’étranger. » (Michel de Certeau, L’invention du quotidien – 1. Arts de faire, 1990, p.141) 2. Ibid. 52


I - Spatialités cinématographiques

Matériel : carnet format A6 et un crayon pour décrire au maximum ce que je vois/ un téléphone portable pour photographier et enregistrer. _11h12 Arrivée au Pouliguen Il fait grand soleil. Nous sommes mercredi, jour de sortie pour les nouveaux films. A l’affiche du cinéma Pax, on retrouve : -14h30 : « Mjólk, la guerre du lait », 1h30 - comédie dramatique islandaise – sortie nationale et VO -16h30 : « Les ascensions de Werner Herzog », 1h15 – deux documentaires présentés dans le cadre du dispositif « Collège au cinéma » -18h30 : « Deux Moi », 1h50 – comédie de Cédric Klapisch – sortie nationale -21h : « Music of my life », 1h54 – comédie britannique sortie nationale et VO De la gare, la direction du cinéma est régulièrement indiquée par plusieurs panneaux. J’y arrive aux alentours de 11h30. De ce que j’en sais d’après mes recherches préalables, il s’agit d’un ancien bâtiment paroissial converti en salle de cinéma en 1949. La façade principale du cinéma donne sur le côté sud de l’église Saint Nicolas du Pouliguen. Derrière l’église, un parking d’une centaine de places. Je m’installe sur un banc, logé entre deux contreforts le long de l’église, juste en face de l’entrée du cinéma, pour le moment fermé. _11h37 Une femme, la cinquantaine, blonde, cheveux courts, un sac de courses vide à la main, s’approche du cinéma, suivie par homme (son mari ?). Elle arrive avant lui au niveau du cinéma, attrape un programme, va et vient devant les affiches, se balance d’un pied sur l’autre. Après une dernière vérification sur la grille des horaires, elle se détourne du cinéma, rejoint son mari resté à distance. Ils reprennent leur chemin en direction du centre-ville. _11h43 Deux voitures arrivent à hauteur du cinéma. La première ralentit. A l’intérieur, deux femmes (de 50/60 ans ? 53


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difficile à dire), ainsi qu’un chien sur la banquette arrière. Elles se penchent en avant et tournent leur tête pour mieux lire les affiches et les horaires correspondants. Dans la voiture de derrière, un couple s’impatiente. Jette un coup d’œil vers le cinéma (qui semble tellement intéresser la voiture de devant) mais n’y porte pas plus d’intérêt. Au bout d’une dizaine de seconde, elles reprennent leur route. Au même moment, un groupe de 3 personnes – deux hommes/une femme, cheveux blancs, propres sur eux, entre 60 et 70 ans. L’un d’eux s’adresse aux deux autres. « - C’est le nouveau film de Klapisch qui sort, à 18h30. » Les deux autres lèvent leurs yeux vers l’affichent, le deuxième homme semble approuver silencieusement, mais il ne s’arrête pas pour autant. Alors que ces deux-là continuent leur route, le premier reste devant l’affiche, revient sur ses pas, attrape un programme, et se lance dans sa lecture tout en reprenant sa marche. Je remarque beaucoup de gens passant de ma droite (le parking) vers ma gauche (le centre-ville) avec des sacs de course vides. […] Entre 15h30 et 16h30 : 19 personnes se sont arrêtées regarder les films à l’affiche sur les 45 personnes qui sont passées devant le cinéma _15h34 Un homme est au téléphone, il parle fort, il se dirige vers le centre-ville et arrive à hauteur du cinéma. « - Oui Brigeou ? Ouais je suis devant le Pax. J’arrive. » Il poursuit son chemin, range son téléphone. _15h45 Deux femmes, la cinquantaine, arrive du centre-ville. « -…j’ai habité à côté d’une église moi mais ça ne m’a jamais vraiment dérangé » dit l’une d’elle à l’autre qui semble surprise par les cloches qui viennent de sonner un nouveau quart d’heure. Elle poursuit : « - Là c’est mon cinéma. » En disant cela, elle regarde plus son amie que le cinéma en lui-même, et ne prête pas 54


I - Spatialités cinématographiques

attention aux affiches et aux grilles horaires (les connaîtelle déjà ?). Puis elle poursuit son chemin. Son amie elle, s’est arrêtée devant la porte d’entrée et reste fixer la série de petites affiches accrochées au-dessus des portes. Puis elle rattrape son amie en trottinant. _15h48 Un homme gare son vélo sur la droite du cinéma, derrière le petit muret. Il sort de son sac une boîte de fruits secs qu’il commence à manger en restant devant le cinéma. Un bénévole qui vient prendre la relève ? Il s’assoit sur le muret, il attend. _15h59 C’est la fin de la séance de 14h30. 1 membre de l’équipe que je n’avais pas encore vu (combien sont-ils !) tient ouverte la porte de la sortie qui donne directement sur la salle (porte à double battant sur la gauche du bâtiment). L’homme aux fruits secs est rentré dans le cinéma par l’entrée principale. Une jeune fille, pas plus de 15 ans (jean slim – baskets blanches – veste en cuir – très mince – pas de maquillage ou très peu) gare son vélo sur ma droite, puis travers la route pour regarder les affiches. Elle prend un programme et se dirige vers le centre-ville. Dans le même temps, les huit spectateurs de la séance de 14h30 traversent la route et se dirigent vers le parking. L’une d’entre eux est interpelée par une amie allant dans le sens inverse. Toutes deux ont entre 60 et 70 ans. « - Encore au cinéma ! » s’exclame-t-elle (je l’entends depuis mon banc situé à une dizaine de mètres d’elles). Le reste de la conversation me parvient par bribes. L’une sort donc de la séance du film islandais, et l’autre se rend à la séance suivante. Un homme et un femme (que j’ai identifié plus tôt comme étant des bénévoles) sortent du cinéma, et saluent ces deux amies. La femme reste discuter avec elles. A l’entrée du cinéma, une autre bénévole sort sa tête par la 55


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porte d’entrée et s’adresse à un collègue resté à l’intérieur que je ne peux pas voir. « - Voilà Jean-Louis ! » Un homme d’une soixantaine d’année vient en effet d’arriver à vélo. Il le gare au même endroit que l’homme aux fruits secs puis rentre dans le cinéma. De leur côté, les deux amies et la bénévole terminent leur conversation : « - ça n’est que des séances de cinéma, ce n’est pas grave ! » La bénévole et la femme qui sortait de la séance de 14h30 s’éloignent vers le parking, l’autre se dirige vers le cinéma. _16h10 Un bénévole ouvre la porte d’entrée et la bloque pour la maintenir ouverte. Il retourne dans le hall. J’entends de l’autre côté de la route l’écho et le brouhaha de plusieurs conversations simultanées. […] _18h09 Deux femmes et un homme venant du centre-ville et se dirigeant vers le parking jettent un rapide coup d’œil aux affiches de film. Les deux femmes parlent entre elles : « - Deux Moi ça c’est la suite de L’auberge espagnole et des Poupées Russes ça ! -Ah c’est le Klapisch ! » L’homme s’arrête prendre un programme tandis que ses deux amies continuent leur chemin en direction du parking. D’autres spectateurs arrivent. Une bonne quarantaine au total. La plupart du temps il s’agit de couples entre 50 et 60 ans. Certains hommes portent encore un costume, sans doute sont-ils venus directement depuis leur lieu de travail. D’autres sont plus âgés et ne doivent probablement plus travailler. _18h20 Deux couples s’approchent de l’entrée. Le premier prend juste un programme et se dirige vers le parking. La femme marque une pause, elle lit le programme. Son mari s’arrête également et lit par-dessus son épaule. « - Il y a celui-là que j’aurais bien aimé voir. 56


I - Spatialités cinématographiques

-Mmmmh. Oui pourquoi pas. -Ah non pas là on peut pas. » L’autre couple rentre dans le cinéma. Ils discutent d’un dîner à venir : « - Je ferai ma tarte et ça ira. - Oui, je passerai à Intermarché si tu veux avant. » _18h29 Une bénévole, que je n’ai pas vue auparavant, sort vérifier l’arrivée de potentiels retardataires. Elle fait un tour sur elle-même, elle me voit écrire sur mon carnet, je lève la tête. « - Vous n’attendez pas pour le film monsieur ? - Non ne vous inquiétez pas ! » Les cloches sonnent 18h30 alors qu’une femme arrive au pas de course. La bénévole la laisse rentrer puis referme la porte.

* 2. Mettre en récit l’espace du cinéma Les scènes qui se déroulent sous mes yeux ce jour-là n’ont rien d’extraordinaire (au contraire) : des gens se rendent au cinéma, ou ne font que passer devant ; certains lèvent la tête, y vont de leur remarque sur tel film ou son réalisateur, d’autres analysent longuement la grille horaire du programme ; quelques-uns s’en vont ou reviennent de leurs courses ou bien parlent de celles qu’ils feront le lendemain, des amies se saluent à la sortie d’une séance, bref : comme le disait Perec, « il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages »3, rien que des pratiques quotidiennes en somme, qui – si l’on en croit mon carnet de terrain – forment un schéma dans lequel le cinéma semble s’inscrire. L’emploi de cette expression traduit un étonnement certain : je me souviens l’avoir notée avec 3. Georges Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, 1975, p.10 57


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précipitation, comme si je venais de trouver là une tournure de phrase particulièrement habile et pertinente pour qualifier mon ressenti à l’issue de ces quelques heures d’observations. J’y décèle désormais la formulation d’un décalage, d’une surprise, révélant des a priori que j’ignorais posséder. Les présupposés plus ou moins conscients que chacun porte en soi, ces « éléments de subjectivité »4 interviennent dans le processus de recherche : les premières impressions, l’intuition, ou encore ce que Ginzburg nomme le flair5 et qui prend dans mon cas la forme d’une phrase rapidement inscrite dans un carnet en sont des manifestations évidentes. Aussi, il n’est pas vain de chercher à en déceler l’origine et d’articuler ce qu’ils sous-tendent avec le travail dans lequel ils viennent s’immiscer. Mon étonnement trouve son fondement dans mon propre vécu, dans mon expérience personnelle de marcheur, de « pratiquant ordinaire de la ville »6. Le cinéma associatif que j’ai connu en grandissant (L’Agora, à Châteaulin dans le Finistère (5 214 habitants) où je suis allé régulièrement des mes 5 à 16 ans) avait la particularité de se trouver à l’étage d’un haut bâtiment regroupant la mairie et la salle des fêtes municipale. Pour y accéder, il fallait emprunter un escalier extérieur situé sur le côté de l’édifice. Mais se trouvant ainsi haut-perché, personne ne pouvait passer inopinément devant l’entrée du cinéma sans faire l’effort de gravir ces nombreuses marches. L’escalier, qui constitue l’équivalent du parvis que j’observe au Pouliguen, se remplissait parfois lors de la projection d’un film particulièrement prisé du public, mais restait vide le reste du 4. Catherine Delavergne, La posture du praticien-chercheur : une analyse de l’évolution de la recherche qualitative, 2011 5. Carlo Ginzburg, Mythes, emblèmes, traces : morphologie et histoire, 2010 6. Michel de Certeau, op.cit., p.141 58


I - Spatialités cinématographiques

temps, en dehors des horaires d’ouverture de la salle7. C’est en me replongeant dans les écrits de Michel de Certeau que je suis parvenu à qualifier avec plus de précision le trouble suscité par le parallèle entre ces deux expériences. Dans le premier tome de L’invention du quotidien, il proposait d’opérer une distinction entre la notion de lieu et celle d’espace : « L’espace serait au lieu ce que devient le mot quand il est parlé, c’est-à-dire quand il est saisi dans l’ambiguïté d’une effectuation, mué en un terme relevant de multiples conventions, posé comme l’acte d’un présent (ou d’un temps), et modifié par les transformations dues à des voisinages successifs. A la différence du lieu, il n’a donc ni l’univocité ni la stabilité d’un ‘‘propre’’. En somme, l’espace est un lieu pratiqué. »8

Je n’entends pas distinguer l’une ou l’autre de mes expériences en affirmant avoir affaire dans un cas à un lieu et dans l’autre à un espace (cela n’aurait pas beaucoup de sens) et ce n’est pas non plus ce qu’entendait de Certeau qui imaginait de nombreux aller-retours possibles entre ces deux états, les espaces se transformant en lieux et vice versa ; mais ces acceptions trouvent ici un écho particulier en cela qu’elles affirment qu’il ne suffit pas d’être un lieu pour être un espace9. Les salles de cinémas dont il est question ici sont bien sûr des 7. L’exactitude de ces affirmations est relative, peut-être que l’escalier ne restait pas vide tout le temps (sans doute même que non), mais c’est le souvenir laissé par plus de 10 ans de pratique de ce lieu, et que me confirmèrent mes parents quand j’évoquai récemment le sujet avec eux (pour toute la valeur scientifique que ce témoignage peut avoir). 8. Michel de Certeau, op.cit., p.173 9. D’autres définitions de ces deux termes existent mais c’est dans ce sens que seront utilisées les notions de lieu et d’espace dans ce rapport. 59


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espaces, des lieux pratiqués, modifiés, transformés par le public, par une équipe de bénévoles, etc. Mais il semblerait que mon expérience personnelle m’ai fait intégrer l’idée qu’une fois la séance terminée, ces cinémas de petite ville redevenaient des lieux, dans le sens où ils retournaient à l’état de « corps inerte », d’une juxtaposition d’éléments physiques stable (une porte d’entrée fermée, quelques affiches accrochées, un parvis, etc.). Ces éléments existaient, mais rien ni personne ne venait les « pratiquer », les « prononcer ». La raison de mon étonnement à l’issu de ma journée au Pouliguen, c’est l’observation in situ de toutes ces conversations, ces actions de la vie quotidiennesqui viennent mettre en récit l’espace du cinéma. In situ car si je suis étonné, ce n’est pas parce que des scènes semblables n’avaient pas lieu à Châteaulin (la ville où je me rendais au cinéma plus jeune), mais parce qu’en dehors des séances, elles n’avaient pas lieu autour-même du cinéma : des piles de programmes se trouvaient à disposition à la bibliothèque municipale, certains étaient imprimés en grand format et scotchés sur la porte de la piscine ou du supermarché de la commune voisine. A l’entrée de la ville étaient placardées deux affiches de film, l’un dont la projection avait lieu à ce moment-là, et l’autre annoncé comme « prochainement dans votre cinéma ». Ce sont ces éléments qui souvent déclenchaient une discussion sur les horaires d’un film, sur la programmation du cinéma, ou autour du souvenir d’une séance passée ; des récits en somme qui transformaient le cinéma en espace, à la manière de Perec : « L’espace commence ainsi, avec seulement des mots, des signes tracés sur la page blanche. Décrire l’espace : le nommer, le tracer […] »10

10. Georges Perec, Espèces d’espaces, 1974, p.21 60


I - Spatialités cinématographiques

3. Spatialités, visibilité, temporalités Il est difficile de définir avec précision ce qui permet à ces récits d’avoir lieu ou pas aux abords du cinéma. Des paramètres relatifs à la vie et aux pratiques de chaque individu rentrent évidemment en compte : à titre d’exemple, il m’arrive aussi bien de passer devant un cinéma par hasard, intentionnellement, de faire un détour quand je suis en centre-ville pour aller chercher le programme papier de mon cinéma de prédilection, de jeter un coup d’œil aux affiches depuis la terrasse d’un bar voisin alors que je bois une bière avec des amis et d’engager la conversation sur le sujet, ou bien de passer devant la même salle deux semaines plus tard sans y faire attention. Il est cependant possible d’identifier des paramètres jouant un rôle dans le degré d’importance de ces pratiques : mes quelques observations à répétition m’ont permis de remarquer des récurrences ou des différences mettant en évidence tel ou tel élément observé un mois plus tôt. L’un d’entre eux – sans doute le plus important et le plus évident – est l’agencement-même des lieux, la façon dont se juxtaposent entre eux les éléments fabriquant la ville autour de la salle de cinéma. Au Pouliguen, je remarque dès mon arrivée la générosité des espaces publics et la position du cinéma par rapport au reste de la commune dès mon arrivée : devant sa grande vitrine où sont exhibées les affiches de films et où sont disposés les programmes dans une petite boîte, le trottoir (déjà large d’environ deux mètres) s’élargit pour former un parvis de près de 10 mètres de largeur. Sur la gauche du bâtiment, des toilettes publics, à droite des supports métalliques pour vélos. En face, des bancs installés le long de l’église. Si on s’éloigne encore un peu, on trouve d’un côté un parking de 120 places, et de l’autre – à une centaine de mètres – le port, des restaurants, deux boulangeries ou les halles (expliquant le nombre de sacs de courses observés). 61


Cinémas de petites villes

N Î

vers les halles / le port Restaurants

Eglise

Boulangerie

Cinéma Pax Parking

Le Pouliguen, plan des alentours du cinéma

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I - Spatialités cinématographiques

L’entrée du cinéma Pax et son parvis.

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CinĂŠmas de petites villes

A gauche du cinĂŠma, vers les commerces du centre-ville.

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I - Spatialités cinématographiques

A droite, des amies discutent à côté du parking.

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Cinémas de petites villes

N Î

Port de plaisance

Parking

Bar Restaurant

Supermarché Cinéma Le Hublot

ve rs

Le Croisic, plan des alentours du cinéma

66

la

ga

re


I - Spatialités cinématographiques

Je remarque une configuration similaire au Croisic, ville voisine de la presqu’île guérandaise, où le cinéma donne sur une grande place faisant également office de parking, et partage son bâtiment avec un supermarché. Plus loin de la côte, à Blain, le cinéma donne sur une rue à la circulation automobile importante et fait face l’arrière du bloc de bâtiments entourant la place de l’église. Je me fais la réflexion en y arrivant que ce ne sont pas là les conditions idéales pour que les abords du cinéma fassent espace. Plusieurs sessions d’observations me font pourtant changer d’avis.

Depuis le parking, l’entrée du cinéma sur la gauche, et le supermarché à droite.

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Cinémas de petites villes

Le texte suivant est un extrait des notes prises lors de ma deuxième visite à Blain. 30 octobre. Mercredi après-midi. Vacances scolaires. Il fait gris et humide. Il a plu ce matin, il devrait pleuvoir ce soir. 2 autres personnes descendent avec moi du car Lila. L’arrêt de bus se trouve sur un grand parking qui porte le nom de place. J’aperçois le clocher de l’église à une centaine de mètres, j’en prends la direction, sachant sa proximité avec le cinéma. Je m’engage dans une ruelle perpendiculaire à la rue dans laquelle je me trouve, très étroite, 1 mètre tout au plus, qui donne sur une rue à la circulation automobile intense. Je reconnais-là la rue qui passe devant le cinéma. _15h47 Je suis devant le cinéma. Dans une dizaine de minutes, à 16h, est programmé « Abominable », film d’animation américano-chinois dont la sortie française coïncide avec les vacances scolaires. 6 enfants accompagnés par 3 femmes (mères et/ou grand-mères) viennent de rentrer et se dirigent vers la petite caisse au fond à gauche du hall d’entrée. Je m’assois sur un des bancs en bois. D’ici, on voit bien toutes les ruelles qui traversent le bourg entre la place de l’église et cette rue. _15h49 5 enfants, 1 adolescente et et 2 femmes d’une quarantaine d’années rentrent dans le cinéma. Je jette un coup d’œil au parking attenant. Il est plein, seules les 4 places réservées aux personnes à mobilité réduite sont pour le moment inoccupées. Sous un abri destiné à garer des vélos (j’en distingue une demi-douzaine) un couple d’adolescents s’embrasse longuement. _15h52 Une femme et deux enfants rentrent dans le cinéma ainsi qu’un homme non accompagné, plus âgé (la cinquantaine ?). Un bénévole peut-être ?

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I - Spatialités cinématographiques

N Î Parking

Cinéma Saint Laurent Centre socio-culturel

route d

épartem

entale

ruelles Boulangerie

Centre -ville

Eglise

Bar PMU

Blain, plan des alentours du cinéma

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Cinémas de petites villes

Le cinéma à droite et son parvis au centre ; sur la gauche, la route départementale et l’ilôt traversé par des ruelles rejoignant la place de l’église.

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I - Spatialités cinématographiques

Des jeunes à peine adolescents, sans doute collégiens au vu des sacs Eastpack qu’ils portent tous sur le dos traversent le parking à vélo. D’abord trois, puis un autre les rattrape, suivi d’un dernier retardataire qui leur crie de l’attendre. Un homme portant un long manteau en similicuir sort du Centre Socio-Culturel et passe devant le cinéma. Je me souviens l’avoir déjà vu effectuer le même trajet lors de ma première venue ici. Au même moment, deux enfants (un garçon et une fille) venus par l’une des petites ruelles rentrent dans le cinéma accompagnés de ce que je suppose être leur mère et leur grand-mère. _15h55 Une Citroën C4 Picasso se gare sur le parking. A son bord, j’aperçois deux enfants assis à l’arrière. Ils en descendent et rentrent dans le cinéma accompagnés de leurs parents. _15h57 3 enfants, 1 adolescent et et 2 couples d’adultes rentrent dans le cinéma.

Cet extrait révèle les éléments qui pallient au manque de visibilité du cinéma que j’avais supposé avant de réaliser mes observations (la salle de cinéma étant séparée de la place commerçante de la commune par une rue à la circulation automobile importante). Mais des éléments comme la présence d’un parking ou surtout des ruelles le connectant efficacement au reste du centre permettent de faire du cinéma un espace, grâce aux pratiques des marcheurs ordinaires de la ville, qui en font le lieu où l’on se retrouve pour s’embrasser en cachette à Blain, l’endroit où l’on passe systématiquement après ses courses au Croisic, ou celui où l’on gare son vélo au Pouliguen. * Mais cette visibilité qui permet de faire espace n’est pas donnée à toutes les salles de cinéma. A Héric, Le « Gén’éric » est encore partiellement en chantier quand nous nous y rendons à la mi71


Cinémas de petites villes

octobre. Situé au fond d’un long parking qui en porte encore les traces (barrières, goudron frais par endroits, graviers à la présence temporaire ailleurs) et encore dans l’attente d’une enseigne digne de ce nom, son récent hall d’entrée tout en transparence passerait presque inaperçu. Durant les quelques moments que nous y passons avec Florie, les observations s’avèrent beaucoup moins fournies qu’ont pu l’être celles relevées à Blain ou au Pouliguen. Le directeur du cinéma – que nous rencontrons plus tard dans l’enquête (les circonstances précises de cet entretien seront explicitées elles aussi plus tard dans ce rapport) – semble cependant en avoir bien pris conscience. Alors que nous l’interrogeons sur les initiatives mises en place par le cinéma à l’échelle de la commune, il nous expose le projet « Osons le cinéma », un dispositif où les bénévoles sortent dans la ville pour aller chercher les usagers au lieu d’attendre leur venue sur place : Damien Terron11 (le directeur) - Avant les travaux on avait un cinéma un peu renfermé, un petit hall, pas très visible de l’extérieur, c’est plus le cas maintenant, mais voilà on voulait aller chercher les gens à la manière de «j’irai dormir chez vous» mais c’était «j’irai au cinéma avec vous». Et donc il y avait deux choses c’est que d’une, c’était que pour des films qui avaient un intérêt cinématographiques, donc des films voilà, en VO etc...donc pas les Tuche, enfin je critique pas les Tuche, j’aime plutôt bien d’ailleurs, mais vous voyez. Donc c’était plutôt des films en VO, et surtout d’aller choper les jeunes, les 15-25 ans qui désertent un peu les salles de cinéma et qui voient plutôt les abonnements sur Netflix et leurs séries. […] Et aussi des personnes seules, parce qu’on s’est aperçu que le cinéma c’est une expérience collective et que des fois c’est dur de franchir le pas d’aller au cinéma tout seul, parce que justement il y a le regard des autres, «ah bah tiens machine elle est toute seule - bah oui son mari l’a quittée» enfin des choses comme ça, et donc l’idée c’est 11. Nom d’emprunt. 72


I - Spatialités cinématographiques

N Î

Pharmacie

Parking Ancienne école

Chantier

Cinéma Le Gén’éric

Chantier

Eglise

Héric, plan des alentours du cinéma

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Cinémas de petites villes

qu’on sortait dehors plusieurs fois par semaine, donc à l’arrêt de car, à la sortie du supermarché, et on allait voir les gens en leur disant «ce soir je t’invite au cinéma», c’était pour la séance dans une ou deux heures, donc on leur payait la place, le cinéma payait la place, pour pas remettre en cause l’économie du film, parce qu’autrement c’est facile, si on distribue des places c’est sûr qu’on aura du monde, donc l’association payait les places, on définissait un nombre par semaine, et après on passait la séance avec la personne, donc on l’invite et on regarde le film à côté, l’idée c’était aussi d’avoir la même expérience en même temps, de pouvoir débattre du film après derrière, et après on faisait une petit visite du cinéma, donc il y avait un côté un peu éducatif qui nous plaisait aussi. Donc ça c’est des choses qu’on a du un peu arrêter pendant les travaux, on va sûrement reprendre après...et on appelait ça «Osons le cinéma!» Ronan Keroullé - Et c’était reçu comment quand vous abordiez les gens? D- Alors au tout début on nous regardait un peu de loin, surtout qu’on a commencé ça en hiver, quand il fait un peu nuit, mais bon après on s’est fait des badges, on avait une tablette et on montrait la bande-annonce au gens pour leur montrer ce qu’ils allaient voir...après bon moi je suis assez connu sur le secteur, les gens m’affiliaient rapidement au cinéma. Ils pouvaient trouver ça un peu bizarre au début mais après ils venaient et puis voilà, c’était rigolo! Et ça créait un cercle vertueux, l’idée c’était que les gens aient envie de revenir naturellement au cinéma sans trop se poser de question de «est-ce que je dois y aller, pas y aller», là le fait de connaître la personne à l’accueil déjà bon ça rapproche tout de suite, après on paye un petit café en fin de séance, voilà!

Au-delà du projet en lui-même, ce qui est intéressant dans cet extrait, c’est de voir la capacité déployée par le directeur du cinéma et son équipe à mettre en récit l’espace du cinéma autrement : ayant pris acte que cela ne pourra pas se produire in situ avec la configuration des lieux qui leur était donnée 74


I - Spatialités cinématographiques

(et sur laquelle ils ont depuis agi en lançant le chantier de transformation du cinéma), ils ont ciblé des lieux (les abords d’un supermarché, un arrêt de bus) qui n’avaient eux aucun problème à être pratiqués, à être des espaces (toujours au sens où l’entendait de Certeau). Les affiches disposées dans une bibliothèque ou une piscine municipale que je mentionnais un peu plus tôt relèvent de la même stratégie, de la même tactique, et partagent au fond le même objectif : faire exister l’espace du cinéma.

Au fond du parking en chantier, le Gén’éric.

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Cinémas de petites villes

Si la visibilité du cinéma à Héric pouvait être un problème, c’est loin d’être le cas à Ancenis : je l’aperçois déjà de mon siège dans le TER qui m’a amené là-bas. Je décris rapidement les lieux dans mon carnet : Une grande esplanade récente. Café de la gare, terrasse, des parasols repliés. Aménagements paysagers récents et classiques. Le revêtement de sol de ladite esplanade s’étend jusqu’au cinéma, formant un large parvis. Sur le cinéma à l’architecture tout en reflets est affiché en grandes lettres : EDEN 3. Derrière le cinéma, un très grand parking. Les aménagements récents s’arrêtent là. Les bâtiments environnants sont plus vieux, moins propres, le sol plus abimé. Tout cela cohabite sans transition. Au-delà du parking, un grand terrain en friche.

Malgré sa situation - sur le chemin reliant la gare au centreville - son parking ou encore la générosité des espaces qui l’entourent, je ne note rien ce jour-là qui me pousserait à formuler que le cinéma semble s’inscrire dans un schéma de pratiques quotidiennes.

_18h06 quelques passants solitaires en provenance de la gare récupèrent leur voiture, garée sur le parking du cinéma. J’en compte 3 sur 11 qui traversent le carrefour pour aller étudier la programmation du cinéma. J’assiste à une sortie de séance à l’issue de laquelle les spectateurs rejoignent tous sans exception leur voiture. J’attends pendant longtemps, mais rien ne vient. La météo n’est certes pas particulièrement clémente (il crachine de temps en temps), mais elle ne l’était pas non plus lors de mon dernier passage à Blain. _18h25 Je décide de me rendre sur les lieux de l’ancien cinéma – je sais d’après mes recherches préalables que le déménagement est récent, je trouve rapidement l’adresse sur internet. Je découvre un édifice beaucoup plus modeste sur lequel on devine les traces d’une enseigne ayant désormais

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I - Spatialités cinématographiques

N Î

Gare

Cinéma Eden 3

Futur projet de ZAC (friche)

Café de la gare

Parking

vers le e-ville centr

Ancenis, plan des alentours du cinéma

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Cinémas de petites villes

Le récent parvis de la gare, le café de la gare à droite, et le cinéma Eden 3 en fond.

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I - Spatialités cinématographiques

disparu. Sur la porte d’entrée est scotché un mot notifiant les potentiels curieux du changement d’adresse du cinéma. En face se trouve la salle des abattoirs, une salle accueillant des « activités multisports » (d’après le site de la mairie d’Ancenis). _19h00 Des enfants accompagnés de leurs parents sortent de la salle des abattoirs, personne ne semble manifester d’intérêt pour ce qui fut l’Eden 2.

Je comprends plus tard, à la lumière des écrits de Perec et De Certeau, m’être trouvé à Ancenis à un moment charnière en termes de fabrication d’espace. Sans doute suis-je venu là trop tôt pour apprécier toutes les potentialités des aménagements récents du nouveau cinéma. Et trop tard pour en apprécier celles de l’ancien. Ce moment de l’enquête me rappelle un des composants essentiels à la fabrication d’un espace et des récits qui le font exister : il n’est pas uniquement question d’agencement des lieux, de dessin de l’espace public ou de visibilité ; il est aussi (et surtout) question de temps. « Mes espaces sont fragiles. Le temps va les user, va les détruire : rien ne ressemblera plus à ce qui était, mes souvenirs me trahiront, l’oubli s’infiltrera dans ma mémoire. […] L’espace fond comme le sable coule entre les doigts. Le temps l’emporte et ne m’en laisse que des lambeaux informes. »12

*

12. Georges Perec, op.cit., p.122 79


Cinémas de petites villes

L’arrière du cinéma et son parking. Au fond, le terrain en friche réservé au futur projet de ZAC.

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I - Spatialités cinématographiques

Le bâtiment vacant de l’ancien cinéma, l’Eden 2.

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intermède (1/2) Une réunion au Cinématographe

Jeudi 3 octobre Avec Florie et Laurent, nous avons aujourd’hui rendez-vous dans les locaux du Cinématographe à Nantes pour rencontrer Catherine, Florence et Simon, en charge de la mission SCALA. J’ai tout d’abord un peu de mal à identifier leur rôle dans cette enquête : ils en sont à la fois en quelque sorte les commanditaires, mais ils sont également de fait des enquêtés. Je les qualifie donc « d’alliés » : je n’ai pas besoin de faire attention à la façon dont je m’introduis à eux, ils connaissent mon statut, pour qui je travaille, ce que je fais, et en moindre mesure les méthodes que j’utilise. Nous en sommes encore à mes débuts, j’ai réalisé quelques journées d’observations, cette rencontre m’est donc présentée comme une réunion de travail, durant laquelle Florie et moi exposerons brièvement mon état d’avancement et eux leurs motivations avec plus de précisions. Nous ne pensons pas à l’enregistrer, ce que je regretterai par la suite, car très vite, nous ne prenons presque plus la parole et mon carnet se remplit de notes dont voici une sélection. 83


Cinémas de petites villes

Exploitation cinématographique en France : grande exploitation (les groupes type Gaumont, UGC, Cinéville, etc.) / la moyenne exploitation (cinémas réalisant plus de 80 000 entrées par an, souvent des cinémas familiaux privés sur le déclin) / la petite exploitation (quelques cinémas privés, mais surtout des cinémas associatifs). Tendance de la grande exploitation à racheter des petites infrastructures (Catherine : comme pour les supermarchés, il y a des Carrefour City ou de U express, il y a désormais des « UGC market ») car elles ont un fort potentiel mais souvent les équipes qui les animent n’en ont pas pleinement conscience. Manque de « projet de cinéma ». Ce qu’ils appellent projet de cinéma : tous les choix pris relatifs à la salle. La programmation bien sûr, mais aussi l’aménagement des lieux, les tarifs, les publicités diffusées, les animations, les relations avec d’autres associations, etc. Le projet de cinéma se construit en se posant ces questions et par la façon dont on y répond. Au niveau de la mission SCALA, Le bilan de cette mission n’est pas très « joyeux » : ne fonctionnant pas sur un modèle d’adhésion (toutes les salles en font partie d’office) elle est un peu vue comme imposée (Florence : « on est un peu vus comme les donneurs de leçon nantais »). Moins de la moitié des salles répondent présent aux différentes sollicitations, même lorsqu’il s’agit de détails pratiques comme une commande groupée (et donc avantageuse) de matériel. De manière générale, 5/6 cinémas se manifestent régulièrement aux formations, animations, etc. proposées. Ce manque de répondant serait symptomatique d’une méconnaissance du monde de l’exploitation cinématographique, d’un manque d’engagement politique et de conscience de la place du cinéma dans un jeu d’acteurs et dans un territoire. Simon modère tout de même ces propos, il n’est pas là pour dire comment faire, mais il regrette cette tendance à ne pas trop questionner le « projet de cinéma ». 84


Intermède

A l’issue de cette rencontre, l’enquête s’affine : il fut un temps question de rencontrer et d’interroger des bénévoles. Après quelques prises de contact, il est décidé de prendre des rendezvous avec différents directeurs ou présidents des associations de cinéma pour questionner ce projet de cinéma dont il est tant fait mention durant cette réunion. Voilà la grille d’entretien que je mets alors en place : Le cinéma – projet et pratiques quotidiennes Choix de programmation. Animations mises en place. Liens avec la mission SCALA. Comment se passe une journée de travail au cinéma (en dehors des séances) Rapport aux autres équipements autour du cinéma Le cinéma fait-il parti d’un parcours quotidien ou est-il plus exceptionnel ? La mobilité. Comment se rend-on au cinéma ? Passe-t-on au cinéma en dehors des heures de travail ? L’interrogé comme observateur Le ressenti, leur vision du public peut-être ? Qu’observe-t-il lorsqu’il travaille ? Remarque-t-il des rituels, des habitués, des schémas récurrents… Parcours résidentiel Sans trop s’attarder dessus, simplement pour avoir une brève idée d’où l’interrogé parle. A-t-il une expérience d’une grande ville, habite-t-il dans la commune du cinéma, a-t-il toujours vécu là, etc… Rapport aux « grandes villes » (Nantes/St Nazaire) Parcours associatif Comment en est-il arrivé à travailler dans un cinéma associatif ? Est-ce dû à une cinéphilie ? A un besoin d’investissement associatif, de socialisation ? 85


Cinémas de petites villes

Chaque rendez-vous pour un entretien est pris par une première visite préalable dans le cinéma, durant laquelle je me présente comme « étudiant en architecture travaillant sur les salles de cinéma associatives du département et sur ce qu’elles représentent pour les habitants des villes concernées ». Nous décidons avec Florie de ne pas mentionner nos liens avec le Cinématographe et la mission SCALA, au vu de l’état des lieux livré par Catherine, Florence et Simon.

*

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II * cinémas péri-métropolitains ?



« Le cinéma et la ville ont grandi et sont devenus adultes ensemble. [...] L’un sans l’autre se serait probablement ennuyé à mourir. » wim wenders



II - Cinémas péri-métropolitains ?

1. Pop-corn et fauteuils rouges Le premier entretien de cette enquête mené en bonne et due forme (préparé, enregistré, retranscrit) a lieu à Héric. Lors de la « prise de contact », Florie et moi avions déjà eu le droit à une visite de près d’une vingtaine de minutes au cours de laquelle Damien Terron, le directeur du cinéma nous avait présenté avec une fierté non dissimulée une des salles flambant neuve, en insistant sur la qualité de telle composition de mur ou les dimensionnements de la charpente (cet écueil n’est pas rare lorsque l’on se présente en tant qu’étudiant à l’école d’architecture, quand bien même nous ayons précisé ne pas nous intéresser particulièrement à l’architecture des lieux). Nous intervenons peu : notre interlocuteur est enthousiaste, et nous ne sommes pas venus aujourd’hui pour remettre en question ses propos ou déclencher un quelconque malaise, mais pour au contraire établir un premier rapport de confiance. Nous le laissons faire, il semble être rompu à l’exercice auquel il est en train de se livrer, et y prendre un certain plaisir – le cinéma a réouvert un peu plus tôt dans l’année, ce genre de présentation a dû se produire plus d’une fois. Nous nous contentons donc d’acquiescer, de poser quelques rapides questions sur le nombre de bénévoles ou la fin des travaux, et convenons d’une date pour un entretien. 93


Cinémas de petites villes

Après avoir pris congé du directeur, nous échangeons rapidement sur nos premières impressions que je note dans mon carnet : Directeur très fier. Visite très architecturale. A beaucoup insisté sur les fauteuils des salles de projection, qui ne sont pas en velours rouge « comme c’est le cas partout » mais en tissu gris pour « un effet comme à la maison », et sur l’absence de pop-corn (des confiseries – des sachets de M&M’s par exemple – sont tout de même en vente à l’accueil, présentés sous une petite vitrine). Dans le hall, beaucoup d’écrans : les plus grands diffusent des bandes-annonces, d’autre affichent les horaires des séances et le nombre de places restantes, et trois autres plus petits diffusent en direct ce qui se passe dans chaque salle.

Deux semaines plus tard a donc lieu l’entretien (que nous menons à deux avec Florie). Les premières quarante minutes nous font échanger plusieurs sourires : nous avons le droit à la même visite, plus longue cette fois, mais avec exactement le même discours, dont voici un extrait : David Batard - Je vais vous faire rentrer dans la grande salle, qui ne fait que 228 fauteuils mais voilà, pour nous c’est la grande salle. Il nous ouvre les portes, et nous laisse passer, il guette notre réaction. Florie Colin - Ah oui quand même, elle est grande ! D- Oui voilà ça vous montre la différence...donc pareil, le même principe, pas de faux-plafond, charpente apparente, qui fait quand même 30 mètres de long, montée en trois fois... un très grand écran , bord à bord, pour avoir l’expérience cinéma au maximum...Et les fauteuils sont en tissus, pas en velours comme je vous avais expliqué déjà la première fois, 94


II - Cinémas péri-métropolitains ?

pour avoir des fauteuils comme à la maison, mais là on est sur d’autres couleurs, le gris c’est la couleur de base, après ça varie, bleu, orange, etc... F- Et vous avez des retours là-dessus du public ? D- Ils n’ont jamais vu ça ! Pour eux qui sont habitués à des salles de cinéma classiques, ils sont complètement à chaque fois estomaqués de voir ça, et tant mieux, le côté du cinéma c’est aussi une expérience, on n’est pas dans la consommation, c’est pour ça qu’on ne vend pas de pop-corn non plus, on n’est pas dans la consommation de gros films, on est dans une expérience commune entre spectateurs...c’est ce qu’on recherche.

Si elle nous fait sourire en sortant de l’entretien, cette insistance sur l’absence de pop-corn à l’intérieur de l’établissement (il ajoutera plus tard dans l’entretien : « Nous ici, on ne vend pas de pop-corn ») reviendra régulièrement dans les échanges que nous aurons par la suite avec Florie, ainsi que dans mes débuts de réflexion et brouillons de rédaction : il devient évident qu’elle nous trouble. Mon propos ici n’est pas de résumer un entretien d’une heure quarante à ces quelques phrases, mais de voir dans cette répétition « une trace, un indice d’une réalité plus large »1 valant la peine d’être d’exploré plus en détails. Le croisement de quelques rapides recherches internet2nous apprend que le pop-corn est apparu aux Etats-Unis à la fin du XIXème siècle, et que lorsque les premiers cinémas font leur apparition quelques décennies plus tard, leurs abords sont 1. Géry Leloutre, op.cit., p.86 2. La rigueur scientifique d’un tel protocole pourrait être discutée, mais le recours à une recherche en ligne n’est pas vu ici comme une fin en soi mais plutôt comme un outil pour mieux comprendre la construction d’un imaginaire social et des références qui le nourrissent, des notions qui seront détaillées dans le développement de cette partie. 95


Cinémas de petites villes

rapidement pris d’assaut par des vendeurs ambulants, le popcorn faisant partie des produits proposés. Il reste longtemps un synonyme de pauvreté : les cinémas des grandes villes prohibent strictement le fameux maïs soufflé qui salit les salles de haut standing de la belle époque. La grande dépression des années 30 l’impose néanmoins comme l’un des plaisirs très bon marchés encore disponible. La loi des mathématiques (le succès des salles en proposant est sans appel, tout comme le déclin de celles qui rechignent à l’introduire dans leur établissement) ainsi qu’une série de spots publicitaires au début des années 50 achèvent de l’imposer comme un incontournable de la sortie familiale au cinéma : la vente de confiseries représente aujourd’hui environ 46% des recettes des salles de cinémas américaines. En France, ce chiffre oscille autour des 16% 3 : la pratique est moins répandue mais devient ordinaire. Ordinaire dans les salles – majoritairement dans les multiplexes des grands exploitants (Pathé-Gaumont, Cinéville, etc.) – mais également dans le langage : il est désormais courant de faire usage de l’expression pop-corn movies (ou film à pop-corn) pour parler de ces films qui divertissent sans prendre la tête, des blockbusters qui ne demandent pas d’effort intellectuel particulier, que le spectateur ira voir moins par intérêt purement cinématographique que par recherche du plaisir que procure la séance en elle-même : celui de s’assoir dans un large fauteuil rouge en regardant une histoire divertissante qui se terminera bien tout en plongeant sa main dans un pot cartonné rempli de pop-corn. 2. Pratiques cinématographiques et imaginaires métropolitains Dans L’espace de l’imaginaire, Debardieux proposait de « rendre compte des effets d’un imaginaire social sur la conduite 3. Source : http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18659617. html [consulté le 29/11/19] 96


II - Cinémas péri-métropolitains ?

des pratiques individuelles »4. A travers la décision de ne pas mettre en vente du pop-corn à l’accueil du cinéma, c’est le refus de l’imaginaire social auquel il renvoie qui se dessine. Cet imaginaire, c’est celui des multiplexes des grandes villes5 : le « nous, ici on ne vend pas de pop-corn » renseigne sur l’existence d’un ailleurs où d’autres feraient alors autrement. Mais si la distinction semble franche (entre « nous » et les « autres »), le rapport à ces complexes cinématographiques métropolitains n’est pas si univoque, leur rejet n’est pas si catégorique : en attestent les autres confiseries industrielles en vente, mais surtout d’autres indices comme l’importance des écrans dans le hall d’entrée (l’affichage du décompte des places disponibles dans chaque salle, le grand écran diffusant des bandes-annonces en continu, et par-dessus tout ceux affichant la vidéo-surveillance de chaque salle) qui ne sont pas des pratiques ayant vu le jour dans des petits cinémas associatifs, mais les manifestations de la présence flottante d’un imaginaire métropolitain tantôt rejeté tantôt adopté. Certains voudraient porter sur ces pratiques des jugements de valeur en validant ou non telle façon de faire qui serait « meilleure » qu’une autre, mais là n’est pas mon intention. J’y vois plutôt l’occasion de toucher à une ambivalence qui m’est familière : celle du rapport ambigu que peuvent entretenir les territoires périurbains à la métropole dont ils sont les voisins, et 4. « L’imaginaire social tel qu’il est conçu ici n’est pas ce qui permet de s’imaginer un collectif dont on n’aurait jamais l’expérience directe dans sa totalité ; il est ce qui cadre l’articulation des expériences individuelles et d’interaction, de leurs significations et des valeurs correspondantes, y compris quand prévalent les pratiques d’interaction directe. » Bernard Debardieux, L’espace de l’imaginaire, 2015, p. 25 5. Les multiplexes sont définis par le CNC comme les établissements de 8 écrans ou plus. 97


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que j’évoquais déjà dans mon rapport de fin d’études quelques mois auparavant. « Le terme en lui-même pose déjà question : « périurbain ». Comme une première sanction pour ces territoires, un refus de leur reconnaître une identité propre et singulière, une condamnation à n’exister que par rapport à une sacro-sainte ville-centre, qui serait, elle, détentrice d’une bonne façon de fabriquer la ville. Éric Chauvier rendait compte avec justesse de ce phénomène : « Il comprenait que l’adjectif « périurbain » ne désignait rien de précis et, au demeurant, ne désignait pas grand-chose si ce n’était, étymologiquement, la périphérie de la ville ; il s’agissait par conséquent d’une boîte noire ; par contre, affirma-t-il, « l’usage de ce mot est tout à fait clair, il révèle une stratégie destinée à amalgamer ce qui ne saurait l’être - c’est-à-dire nous-même - afin de nous contrôler sans limite. »6 Il est alors presque comique d’observer l’imagination et la pléthore de périphrases (!) que la presse écrite est capable de déployer lorsqu’il s’agit de traiter des périphéries urbaines7 : si Le Monde évoque des « nappes urbaines de plus en plus déstructurées », « des zones pavillonnaires tentaculaires » et « une déferlante de « néo-ruraux » », Libération nous parle de « la France qui dit non » et de « la gangrène urbaine ». Pour Les Echos et l’Express, les périphéries des villes sont « un pays invisible », « un entre-deux anonyme », tandis que le Figaro préfèrera les qualifier de « périphéries de nulle part », de « déserts français de solitude », voire même de « no man’s land ». Eric Charmes disait du « périurbain » que « lorsqu’il n’est pas 6. Eric Chauvier, Contre Télérama, 2011, p.22 7. Gérald Billard, Arnaud Brennetot, Le périurbain a-t-il mauvaise presse ? Analyse géoéthique du discrous médiatique à propos de l’espace périurbain en France, 2009 [en ligne] 98


II - Cinémas péri-métropolitains ?

renvoyé à sa laideur, à l’aliénation consumériste ou à l’entresoi, il est présenté comme une terre de relégation, le cœur de la ‘‘France périphérique’’ et le haut-lieu du vote ‘‘protestataire’’ »8 : l’analyse et les relevés de Billard et Brennetot abondent en son sens. En 2010, Télérama enfonçait le clou en titrant « Halte à la France moche ! ». Si le contenu de l’article en question9 présentait un certain intérêt (en remobilisant notamment les travaux de David Mangin10, son parti pris n’en était pas moins terriblement révélateur de la réticence – aussi bien de la part de médias aux lignes éditoriales de gauche ou de droite (Télérama, Libération, et Le Figaro et Les Echos par exemple) - vis-à-vis des territoires périurbains, réduits ici à un critère purement esthétique et érigés en problème sociétal majeur. »11

A travers ce rapport ambigu d’un cinéma de petite ville aux multiplexes métropolitains, c’est aussi la difficulté des territoires périurbains à se définir qui se lit : entre rural et urbain, entre envie de ressemblance et de différenciation, de s’affranchir de la case dans laquelle ils ont pu être rangés… Cette ambiguité se ressens au cours de l’entretien : il est clairement fait mention de l’influence urbaine sous laquelle se trouve Héric, tout comme il est affirmé à deux reprises que « ici, on est dans une commune rurale » : D- Les bénévoles ça va de 16 à 80 ans. On est quand même une grosse majorité dans la quarantaine donc qui travaille la journée, c’est pour ça que ça peut être compliqué d’avoir du monde en journée. Ils peuvent tous donner un coup de main le soir et le weekend mais en semaine la journée c’est 8. Eric Charmes, La revanche des villages, Essai sur la France périurbaine, 2019, p. 27 9. Xavier de Jarcy, Vincent Remy, Comment la France est devenue moche ?, 2010 [en ligne] 10. David Mangin, La ville franchisée, 2004 11. Ronan Keroullé, Rien à voir, le péri-musée ou la rencontre du marcheur et du voyeur au cœur du refoulé de la métropole, 2019, p.25 99


Cinémas de petites villes

plus compliqué. Ce qui est plutôt rare parce qu’en général les cinémas associatifs travaillent avec des groupes de bénévoles pour la plupart retraités mais ici on en a moins, parce qu’on est plus proche de Nantes. D’où l’utilité de l’étude démographique qui fait que plus on se rapproche de Nantes plus la population va être différente de Nozay par exemple, qui va être plus rural.

Ce que révèle ce moment de l’enquête, c’est la prégnance des références métropolitaines dans la construction des projets des cinémas associatifs des petites villes : les grands multiplexes bien sûr, mais pas que : quand le directeur du cinéma de Héric mentionne des cinémas nantais, il cite le Katorza, le Cinématographe ou le Concorde – des cinémas plus anciens et tous classés Art et Essai – dont l’influence peut se faire ressentir lorsqu’il affirme ne pas vouloir être dans « la consommation de gros films » ou défendre des « films plus pointus ». Ce rapport à la métropole ne s’observe pas que à Héric, mais il n’est pas le même partout. C’est le cas à Blain, où il s’exprime d’une toute autre manière, bien que les deux communes soient voisines (une dizaine de kilomètres les sépare). Voici un extrait de l’entretien réalisé avec le président de l’association du cinéma Saint Laurent, Matthieu Jolin12, qui – je le note après être rentré chez moi le jour-même – « s’est révélé particulièrement difficile, car très peu loquace comparé aux deux autres personnes rencontrées. Erreur de débutant, je ne m’étais pas particulièrement attendu à si peu de répondant de la part du président de l’association, et me suis retrouvé acculé à ma grille d’entretien qui, au lieu d’apparaître en filigrane dans les échanges, fut exposée ici méthodiquement dans un jeu de questions réponses particulièrement laborieux : je sentais au moment de poser mes questions que je n’avais pas en face de moi une personne forcément capable ou prompte à y répondre. » 12. Nom d’emprunt. 100


II - Cinémas péri-métropolitains ?

Ronan Keroullé - Et vous vous habitez Bouvron c’est ça ? Matthieu Jolin - Oui. R- Et vous avez toujours habité dans le coin, comment vous êtes arrivés là ? M- Bah je vous ai dit, je cherchais une association et puis... R- Oui bien sûr mais je voulais dire au niveau géographique est-ce que vous avez toujours habité par ici ? M- Ah non non non, j’étais sur Saint-Herblain avant mais ça fait 20 ans que je suis là. R- Et vous alliez déjà souvent au cinéma ? M- Ah oui, j’habitais tout près d’Atlantis, j’y allais souvent. J’aime le cinéma ! R- Et vous avez pu observer des différences j’imagine entre Atlantis et ici ? M-Alors il y a une différence qui est énorme c’est le tarif. C’est du privé, nous on est une association, c’est complètement différent. Au niveau film après c’est les mêmes. R- Justement par rapport à votre programmation, est-ce que vous avez une ligne de conduite, comment vous procédez ? M- On a comme tous les cinémas un programmateur à Paris qui fait l’intermédiaire entre nous et les distributeurs des films. R- Mais vous choisissez comment les films que vous projetez ? M- On choisit des films qui sont validés ou pas par le programmateur, c’est une question de discussion. R- Et au niveau de l’association qu’est-ce qui motive vos choix ? M- Ah bah il y a une équipe de programmation. Donc c’est les films récents, les sorties nationales. Les films...oui qui sont sortis il y a une ou deux semaines quoi. C’est rare qu’on passe des films plus anciens... R- Et vous avez un retour du public sur votre programmation ? M- Oui, en général c’est bon. De toute façon tous les cinémas du coin passent les mêmes films. R- Ah oui ? M- Oh oui, à peu près. R- Et vous vous concertez entre cinémas du coin ? M- Non ! C’est les mêmes programmateurs souvent. R- D’accord. Mais il n’y a pas de dialogue entre cinémas ? 101


Cinémas de petites villes

M- Ah non, pas pour la programmation en tout cas. Ah non. On se connaît. Voilà. R- Et ça vous arrive d’échanger sur vos pratiques parfois ? M- Oui on peut boire un coup ensemble des fois ! On n’est pas non plus...hein ! (Rires) R- Mais pour parler cinéma ? M- Non non, des fois si on est dans des conventions des choses comme ça on se retrouve ensemble, mais autrement, bah non, on va pas se voir tous les jours non plus. R- Et j’ai vu qu’il y avait la mission SCALA au niveau départemental... M- Oui. R- Et je me demandais comment ça fonctionnait... M- Oh ça c’est pas à moi qu’il faut demander, c’est à eux ! R- Oui je vais les rencontrer mais ça m’intéressait aussi d’avoir l’avis des concernés ! M- Bah la SCALA...ils sont à Nantes. (un temps) Nous on est adhérent, on participe à quelques activités, pas à toutes parce qu’on ne peut pas. Et puis voilà ! Et ça se passe pas trop mal. Après comment ils vont, je sais pas, faut voir avec eux ! R- Mais comment vous recevez ce qu’ils proposent vous ? M- Oh bah nous on n’a pas de soucis particuliers, mais c’est juste que nous on peut pas faire tout ce qu’ils proposent. C’est pas possible. Chaque salle prend un peu à droite à gauche ce qui l’intéresse et puis voilà. […] R- Et au niveau de la fréquentation du cinéma, elle évolue comment sur les dernières années ? M- Elle augmente tous les ans, cette année, je ne sais pas, l’année est pas finie ! Mais pour le moment on doit être à 7% de plus que l’année dernière. L’année d’avant ça avait aussi augmenté de 7 à 8%. Après ça dépend des films ! On est en zone rurale. Les films qui marchent ici ne marche pas forcément à Paris par exemple. C’est très rare. C’est pas les mêmes. 102


II - Cinémas péri-métropolitains ?

R- Oui j’ai vu que vous reprogrammiez Au nom de la terre13. M- Oui par exemple. On va le refaire au mois de novembre là. Et oui parce qu’on fait salle comble à chaque fois. Mais faut dire qu’on est dans un milieu rural. Les parisiens ils en ont rien à faire de ça ! Et inversement il y a plein de films qui marchent à Paris qui ne marchent pas ici ! Ici ce qui marche le mieux c’est les comédies françaises. Une bonne comédie française, ça marche. On reste terre à terre par ici.

Derrière la difficulté à mener cet entretien se cache une source d’informations toute aussi riche qu’a pu l’être l’heure et demie passée à Héric : j’y décèle un rapport à la métropole que je qualifie alors dans mon carnet de plus « décomplexé » : Nantes ou Paris (il n’est même plus question d’un rapport métropole – périphérie mais capitale – province) sont évoquées à plusieurs reprises, mais le discours que je reçois ce jour-là laisse peu de place à une quelconque ambigüité. Cet extrait en contient de nombreux exemples : le multiplexe Pathé Gaumont de la zone commerciale Atlantis à Nantes dont il est fait mention ici n’est jamais mis en avant à Héric, où le directeur préférait nous parler des cinémas nantais historiques classés Art et Essai. Les choix de programmation évoqués sont tout aussi parlants : « Ici, une bonne comédie française, ça marche », tandis qu’à Héric, le directeur parlait de « films qui avaient un intérêt cinématographique, en VO etc…donc pas Les Tuche, enfin, je ne critique pas Les Tuche, j’aime plutôt bien d’ailleurs, mais vous voyez » lorsqu’il nous présentait par exemple le dispositif

« Osons le cinéma », abordé plus tôt.

Quel que soit le niveau de sincérité de l’un ou de l’autre (une fois de plus, il ne s’agit pas ici de sanctionner ou de valider un projet de cinéma plutôt qu’un autre) il est intéressant d’accoler ces discours de deux présidents/directeurs de cinéma, présents 13. Film français d’Edouard Bergeon qui suit le quotidien difficile d’un agriculteur et de sa famille. 103


Cinémas de petites villes

sur des territoires très proches, délivrés dans des circonstances similaires (un entretien avec un étudiant en architecture). L’ambivalence dans le rapport à la métropole qui se devinait à Héric est ici quasi-absente (dans le hall d’entrée du cinéma, je repère tout de même de grands présentoirs cartonnés à l’effigie de blockbusters diffusés prochainement caractéristiques des grands multiplexes) : je m’en rends particulièrement compte quand je l’interroge sur la mission SCALA et qu’il me répond de but en blanc : M- Bah la SCALA...ils sont à Nantes. (un temps)

Le détachement vis-à-vis de Nantes semble sans appel – il me prend même au dépourvu : ils sont à Nantes, et nous sommes ici ; plus tard, il n’hésitera pas à situer Blain en « zone rurale », là où le directeur du Gén’éric ne formulait pas une coupure aussi franche vis-à-vis de la métropole nantaise. 3. « Ressembler aux gros » : facteur humain et déterminisme géographique Ces deux cas de figure différents bien que très proches géographiquement mettent en exergue l’importance du facteur humain dans la direction que va prendre un cinéma (en termes de choix de programmation, d’initiatives, d’aménagements, etc.) : derrière le projet de cinéma et les références qui le nourrissent, c’est le parcours, les références et l’imaginaire d’une personne, d’un « être de chair et de sang » qui transparaissent. C’est lors de mon troisième et dernier entretien que cela apparaît de manière encore plus évidente, à Ancenis cette fois, au cinéma Eden 3. Le parcours du président du cinéma présente en effet des similarités avec celui du directeur du cinéma de Héric : tous deux conjuguent une pratique de la métropole nantaise (Damien Terron, de Héric, y travaillait jusqu’en 2014, Patrice 104


II - Cinémas péri-métropolitains ?

Leriot14, le président du cinéma d’Ancenis y travaille toujours) avec une pratique des petites villes périphériques (dans des communes voisines de Héric depuis 15 ans pour l’un, à Oudon (à côté d’Ancenis) depuis « toujours » pour l’autre) ; ils sont issus de la même génération (tous deux ont autour des quarante ans), et se sont formés à l’exploitation cinématographique (ce qui n’est pas toujours le cas) qui plus est au même endroit, à la Fémis (école supérieure des métiers de l’image et du son à Paris). Les références et l’imaginaire communs que peuvent créer la contiguïté de ces deux parcours se retrouvent dans leurs projets respectifs : comme à Héric, le cinéma d’Ancenis vient de s’agrandir à trois salles, la programmation y est similaire (dernières sorties, que ce soit des films d’auteurs comme des blockbusters américains, VF/VO), et le même rapport ambigu à la métropole apparaît, à Ancenis de manière encore plus claire : Patrice Leriot - […] pour les bénévoles en tout cas on a intérêt à garder des bénévoles qui soient actifs, parce que tout ferait qu’on ne soit qu’entre personnes retraitées, et c’est pas toujours évident... Ronan Keroullé - Vous arrivez à «recruter»? P- Oui oui, après des gens qui font leur taf la semaine et qui se retrouvent à devoir gérer des trucs...parce que quand on est dans une activité démesurée et qu’on se retrouve, la semaine dernière on avait «Hors-norme» plus «Joker» et tout, donc 500-600 personnes à gérer à chaque créneau horaire, c’est tendu hein! Et puis bon on a affaire à des gens qui sont des clients! Enfin pas tous, mais il y a un comportement de gens qui découvrent un cinéma à Ancenis et qui gardent un comportement qu’ils auraient dans un multiplexe à Nantes. R- Ah oui? Vous avez senti un changement? P- Ah oui! Ils comprennent pas quand c’est complet, ils comprennent pas...qu’ils ont affaire à des bénévoles quoi ! 14. Nom d’emprunt. 105


Cinémas de petites villes

Toute l’ambivalence du désir-rejet d’un modèle métropolitain se lit ici de manière évidente dans l’évocation de cette situation où les spectateurs semblent a priori croire qu’ils sont dans un multiplexe. Les raisons qui les poussent à penser cela ne sont pas explicitées, mais nous pouvons supposer qu’elles relèvent du même mécanisme que celui qui me fait voir dans les écrans qui décomptent le nombre de places restantes ou dans le design récent des lieux un langage propre aux grands complexes cinématographiques. Ces éléments ne sont pas anodins, ils découlent de choix opérés par le président de l’association et son équipe, ils sont l’une des manifestations du projet de cinéma et trahissent la présence de l’imaginaire que l’on voyait déjà transparaître à Héric, tantôt rejeté (ici dans le discours du président, qui regrette les comportements des « clients » qui seraient les mêmes que dans un multiplexe), tantôt adopté (dans les pratiques, à travers le projet de cinéma). Ces projets de cinéma et l’imaginaire qu’ils véhiculent ne sont pas le seul fait des présidents d’associations ou des directeurs de cinéma. J’en prends conscience à l’issue de mon entretien avec Olivier Baudry, l’architecte du cinéma de Héric15. Le directeur du cinéma nous avait vivement encouragé à le contacter, et après avoir constaté le nombre conséquent de cinémas à son actif (plus d’une dizaine), j’y vois là l’opportunité d’échanger avec un autre voyeur que moi, et d’apprendre de son expérience et du regard qu’il porte sur la petite exploitation cinématographique en France : après quelques échanges sur nos parcours et travaux respectifs, je lui fait clairement part de mes premières ébauches d’analyses : Ronan Keroullé - Et justement, par rapport à cette envie de bien faire de la part des associations ou de la maîtrise d’ouvrage, 15. Nous nous contactons par téléphone à la fin du mois de novembre. 106


II - Cinémas péri-métropolitains ?

j’avais l’impression d’observer au cours des entretiens que j’ai pu faire, à la fois une envie de ressembler aux grands cinémas récents qu’on peut trouver dans certaines villes et en même temps une envie de s’en différencier complètement, comme s’il y avait une bipolarité, ça m’a frappé à plusieurs reprises… Olivier Baudry - Oui vous avez raison, c’est juste. C’est vrai que de toute façon ces cinémas vont leur servir de références pour savoir ce qu’ils ont envie de faire ou pas, après c’est plus ou moins conscient, mais ils vont voir et ils vont prendre ce qui les intéresse, et on en parle, on en discute. Discuter des exemples qui existent ça permet d’avoir une base de discussion, et c’est vrai que des fois ça peut être difficile de leur proposer des choses qu’ils ne connaissent pas, ne serait-ce que par rapport à des questions simples de couleurs, de tissus des fauteuils...la réaction habituelle c’est « ah non nous on veut du velours rouge » et donc après des fois faut travailler un peu, avoir une approche pédagogique pour arriver à les détourner de ces habitudes, de ces conventions, de cette idée que « un cinéma ça doit être comme ci ou comme ça ». Donc mon rôle c’est surtout d’ouvrir leur curiosité vers d’autres choses. Donc vous avez tout à fait raison, ces grands cinémas c’est pour eux à la fois un repère, un modèle et en même temps aussi quelque chose dont on peut se détourner. Donc oui il y a cette ambivalence là au départ, mais j’essaie de les en sortir et de proposer autre chose. […] Par exemple il y a un certain temps j’ai fait un cinéma à Pessac à côté de Bordeaux, pour reprendre ce que vous dîtes, et donc c’est un cinéma Art et Essai etc., et moi j’avais proposé d’utiliser des tissus de type peaux de bêtes, des zèbres, des panthères parce que c’était une salle pour les enfants, et donc je propose ça au responsable du cinéma qui me dit « moi ça me plaît mais je vais demander à machin qui est au-dessus de moi », et à chaque fois, les gens ça 107


Cinémas de petites villes

leur plaisait mais ils pensaient « oui mais ça va pas plaire à celui au-dessus », et ça a fini par arriver jusqu’au maire, on a organisé une réunion avec lui, moi je lui ai fait mon petit baratin sur comment on faisait un cinéma d’habitude, c’est à dire velours rouge et tout, et pourquoi moi je proposais quelque chose de différent. […] Tout ça pour dire que le plus dur c’est souvent de contourner, de déjouer ces espèces d’habitudes, d’idées reçues, de fantasmes sur des questions qui peuvent paraître secondaires, esthétiques mais qui sont primordiales. Et paradoxalement c’est quelque fois plus simple avec les associations parce qu’on a les vrais usagers en face et les choix on les fait par rapport à leurs envies sans toujours se dire que va en penser machin ou que vont en penser mes électeurs. Donc il y a plein de petites aventures comme ça assez rigolotes qui mettent en évidence des crispations sur des questions assez simples. Donc voilà il faut écouter, il faut argumenter et essayer d’avoir la confiance des gens qu’on a en face. En fait pour eux c’est une prise de risque sur des sujets où on pourrait penser qu’il n’y a pas de risque en soi, et c’est assez curieux !

Cet entretien éclaire sous un jour nouveau les propos que j’ai pu recueillir auparavant à Héric, (je découvre notamment l’origine du discours du directeur sur le tissu des fauteuils) et révèle l’importance de l’imaginaire et des références de l’architecte dans le projet de cinéma, qui compose avec les « fantasmes » de ses interlocuteurs. Je m’en rends particulièrement compte en allant à Redon (commune limitrophe de la Loire Atlantique, presque sur le terrain du réseau SCALA donc) où se trouve une autre de ses réalisations, le Ciné Manivel. J’y retrouve la « prégnance des références métropolitaines » observée à Héric, de manière encore plus évidente cette fois (les envies de métropole de l’équipe du cinéma étaient-elles plus franches ?) : 108


II - Cinémas péri-métropolitains ?

les salles sont nombreuses (sept au total), tout comme les mêmes écrans décomptant le nombre de places et diffusant des bandes-annonces, et cette fois-ci, du pop-corn est en vente à l’entrée.

Le hall du cinéma de Redon peu après l’ouverture : sous les écrans, les premiers spectateurs attendent alors que les barrière à ceinture rétractable ne sont pas encore installées.

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Cinémas de petites villes

Eric Chauvier distinguait du périurbain le péri-métropolitain, ce dernier qualifiant des territoires où l’influence de la ville centre ne s’exerce quasiment plus. Les différents cas de figure étudié font le portrait de rapports contrastés d’une commune et d’un cinéma à l’autre, sur un territoire pourtant restreint (les différences entre Blain et Héric sont frappantes), révélant que la condition péri-métropolitaine pouvait tenir à des pratiques influencées par des références et des imaginaires tout à fait personnels : Nantes paraît bien loin à Blain, beaucoup moins à Héric ou Ancenis. Néanmoins, même si nous observons ici des rapports à la métropole (et donc des projets de cinéma) différents entre deux voisins et donc l’importance du facteur humain dans la direction que ces projets prennent, il ne faudrait pas non plus totalement nier le rôle que l’implantation géographique des cinémas peut jouer. Je le remarque en relisant un des termes employés par Florence et Simon du Cinématographe à plusieurs reprises pour qualifier les cinémas du Pouliguen et de La Turballe : les « cinémas de la côte ». Des cinémas sans aucun blockbuster à l’affiche, sans pop-corn, pour qui (toujours d’après Florence et Simon) passer à trois salles ou s’équiper en son avec le matériel dernier cri de chez Dolby ne fait pas office de priorité. Chez eux, « il n’y a pas cette envie de ressembler aux gros ». Ces cinémas-là seraient-ils donc à l’écart de toutes ces considérations, de cet imaginaire métropolitain, comme ils en sont à l’écart géographiquement ? L’enquête ne m’aura pas laissé le temps de réaliser des entretiens dans ces communes, et donc d’approfondir ce point. Avant de décider de ne plus envisager cette piste, j’avais inscrit sur mon carnet : Les villes de la côte bénéficient peut-être à la fois d’être plus à l’écart + population âgée (et donc plus besoin d’aller à Nantes) + touristes qui viendraient profiter d’un cinéma plus

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II - Cinémas péri-métropolitains ?

traditionnel. Tous ces éléments les aideraient à s’éloigner d’un référentiel centré sur la métropole. Là-bas, pas besoin de mettre des écrans dans le hall d’entrée, de vendre du popcorn. […] L’autre jour, j’ai évoqué mon stage lors d’une soirée avec un ami venant de Guérande qui fréquentait ces cinémas-là. Il m’a fait sourire et a surtout commencé à confirmer cette hypothèse en s’enthousiasmant : « La Turballe c’est trop bien, à l’entrée t’as une petite vieille qui te déchire ton billet, c’est stylé ».

*

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intermède (2/2) Cinéville

Jeudi 26 décembre. Lendemain de Noël. Alors que je me suis timidement replongé dans la rédaction de ce rapport, voilà que nous décidons, mes deux frères et moi, de passer une soirée au cinéma pour aller voir le dernier Star Wars. Nous allons à Quimper (à 25 minutes de chez nous en voiture) au Cinéville, un grand multiplexe à la limite du centre-ville pour une séance à 20h15. Le parking est immense (plus de 500 places), payant en journée. Nous empruntons l’imposant escalier qui s’étend tout le long de la façade vitrée, sur notre droite, l’enseigne d’une salle de sport fermée à cette heure de la journée clignote, seul élément perturbateur de cet environnement bien calme. Sur les portes d’entrées, des affiches nous préviennent qu’il est interdit de rentrer dans le cinéma avec des sacs dépassant certaines dimensions, plan Vigipirate oblige. Le dessin d’une petite valise est barré d’une croix rouge vif. Je fais remarquer à mes frères : « On croirait qu’on arrive au checkpoint d’un aéroport ». 113


Cinémas de petites villes

Deux mois avant sa sortie, le dernier Star Wars déjà affiché à Héric.

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Intermède

Dans le vaste hall, deux personnes aux caisses. Le groupe qui est rentré devant nous emprunte un long serpentin dessiné par ces barrières à ceinture élastique qui se clipsent et se déclipsent facilement, que mes frères et moi ignorons : il y a quelque chose d’infantilisant à emprunter ce parcours ridiculement long et sinueux alors que personne d’autre n’attend devant les caisses. Alors que nous réglons nos places (après que la « caissière » – j’ignore comment l’appeler – nous a demandé si le fait que le film soit diffusé en Version Originale ne soit pas un problème – ce n’en est pas un, nous sommes venus à cette séance spécialement pour ça), une voix féminine diffusé par hautparleur dans tout le hall informe que « les spectateurs de la salle 1 peuvent se présenter au contrôle des tickets ». Vocabulaire d’aéroport vraiment. Nous jouons le jeu jusqu’au bout (l’imaginaire influe vraiment sur les pratiques), nous n’avons pas mangé, nous prenons donc un grand pot de pop-corn (aussi cher qu’une place). Nous faisons déchirer nos tickets (les gens devant nous ont des e-billets que l’employé se contente de scanner), puis nous retrouvons dans long et large couloir vide, à l’ambiance feutrée, sur les murs duquel sont peints de grands chiffres à côté de chaque salle correspondante. Nous sortons aux alentours de 23h15, le hall d’entrée paraît encore plus vide que lors de notre premier passage. Trois employées (elles portent des vestes floquées « Cinéville Quimper ») discutent tout bas dans un coin, sans lever la tête à notre passage. Nous sortons avec le maigre public de notre séance (la V.O. pose peut-être effectivement problème), certains s’allument une cigarette et s’attendent les uns les autres sur les marches, et finalement, tous (nous ne faisons pas exception) regagnent leur voiture, alors que l’enseigne de la salle de sport clignote toujours.

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conclusion *

Expressivité cinématographique contrastée Ce travail se propose donc d’explorer l’expressivité cinématographique dans les territoires périurbains nantonazairiens. Elle se découvre dans un premier temps par un travail d’observation questionnant ce qui permet ou pas de faire exister l’espace du cinéma et de le mettre en récit. Différentes configurations spatiales sont donc scrutées à la loupe (abords des salles de cinémas, dessin de l’espace public, situation par rapport au reste de la commune), révélant l’importance de la visibilité et les tactiques se mettant en place quand celle-ci vient à manquer. A travers les différents cas de figure observés, c’est également le temps qui apparaît : le temps qui passe, celui qui fait et défait des pratiques et des espaces. Des cinémas « mono-écran » de la côte à ceux tous récents d’Ancenis ou Redon, c’est aussi une diversité de rapports à la métropole qui émerge. L’analyse d’entretiens réalisés avec différents directeurs de cinémas révèle la prégnance de références métropolitaines sous-jacentes, avec chez certains une «volonté de ressembler aux gros» parfois ambiguë et chez d’autres un détachement sans équivoque ; des différences pouvant s’expliquer par la diversité des parcours personnels 117


Cinémas de petites villes

mais également par la situation géographique des différents cas étudiés : la différence de comportements entre les « cinémas de la côte » et d’autres plus proches de la métropole nantaise comme Héric ou Ancenis en est un indice significatif. Cette enquête sur les cinémas de petites villes permet donc d’en saisir les contrastes à travers une multitudes de variations, de contradictions, de dissonances, jusqu’alors cachées derrière l’appellation « Cinéma associatif classé Art et Essai ». Le travail d’écriture qu’exige tout exercice de recherche en sciences sociales n’est pas étranger à celui du montage d’un film dont des scènes ou des plans qui n’étaient pourtant pas moins intéressants que les autres doivent malheureusement être laissés de côté, ne trouvant pas leur place dans un final cut subjectif mais loin d’être arbitraire. Ainsi, de nombreuses pistes qui auraient pu elles aussi participer à l’exposé de ces contrastes et de ces différences n’ont pas été abordées ici, ou alors brièvement mentionnées. Je pense notamment à des entretiens réalisés avec Florence et Simon du Cinématographe desquels émergeaient des questionnements sur les publics (notamment les pratiques d’un public « jeune », entre 15 et 25 ans), sur la programmation, qui ne sont donc restés qu’à l’état de brouillons, d’ébauches, bien que leur apport à la réflexion que je propose ici n’ai pas été moins important que ceux qui ont trouvé leur place dans ce rapport. Restent donc de ces quatre mois passés au sein du CRENAU des propositions de réflexions, fruits d’un premier « défrichage » d’un sujet peu traité bien qu’occupant une place importante dans la vie de chacun (les nombreuses et riches réactions provoquées à l’évocation de mon stage lors de repas de famille ou de soirées entre amis n’ont cessé de m’étonner alors que l’absence de travaux de références se faisait parfois particulièrement ressentir) : celui des cinémas de petites villes. 118


Conclusion

La sortie du cinĂŠma Saint Laurent Ă Blain.

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Tous les ouvrages et travaux référencés dans cette médiagraphie n’ont pas été systématiquement cités dans mon rapport. Néanmoins, ils constituent une base importante de mon travail de recherche qu’il me semblait pertinent de partager pour tout curieux voulant à son tour s’emparer du sujet. 120


médiagraphie * Méthodes d’enquête Livres CHAUVIER Eric, Anthropologie de l’ordinaire, Editions Anacharsis, 2017, 206p — Les mots sans les choses, Editions Allia, 2014, 120p KAUFMANN Jean-Claude, L’entretien compréhensif, Editions Nathan, 1996, 127p PERETZ Henri, Les méthodes en sociologie – L’observation, Editions La Découverte, 2004, 123p Articles et publications LELOUTRE Géry, Le projet par la recherche – Décoder la méthode de pensée de la description comme projet, in Recherche et projet : productions spécifiques et apports croisés, LACTH, ENSAPL, 2018, pp. 85-93 Mémoires et travaux d’étudiants MEURICE Mathilde, Le quotidien (avec ma mère) dans une maison de justice et de droit - Les ficelles du métier, rapport de stage recherche, UMR AAU CRENAU, 2018, 203p Sur les périphéries des métropoles Livres CHALAS Yves, DUBOIS-TAINE Geneviève (dir.), La ville émergente, Editions de l’aube, 1997, 285p CHARMES Éric, La revanche des villages – Essai sur la France périurbaine, Editions du Seuil et La République des Idées, 2019, 105p 121


Cinémas de petites villes

CHAUVIER Eric, Contre Télérama, Editions Allia, 2011, 64p — La petite ville, Editions Amsterdam, 2017, 106p MANGIN David, La ville franchisée, Ed. de la Villette, 2004, 398p PASQUIER Elisabeth, La passagère du TER, Editions Joca Seria, 2016, 146p Articles et publications BILLARD Gérald, BRENNETOT Arnaud, Le périurbain a-t-il mauvaise presse ? Analyse géoéthique du discours médiatique à propos de l’espace périurbain en France, in Articulo n°5, 2009 [en ligne] URL : https://journals.openedition.org/articulo/1372 [consulté le 23/05/19]

BOSSE Anne, DEVISME Laurent, DUMONT Marc, Actualités des mythologies pavillonnaires. Le périurbain comme quasi-personnage, in Les Annales de la recherche urbaine n°102, 2007, pp. 141-152 [en ligne] URL : http://www.annalesdelarechercheurbaine.fr/IMG/pdf/102-Bosse.pdf [consulté le 26/09/19]

DE JARCY Xavier, REMY Vincent, Comment la France est devenue moche ?, in Télérama n°3135, 2010 [en ligne] URL : https://www.telerama.fr/monde/comment-la-france-est-devenue moche,52457.php [consulté le 16/06/19]

Mémoires et travaux d’étudiants KEROULLE Ronan, Rien à voir – le péri-musée ou la rencontre du marcheur et du voyeur au cœur du refoulé de la métropole, rapport de présentation de projet de fin d’études, ensa nantes, 2019, 105p Sur les pratiques ordinaires dans la ville Livres CERTEAU (de) Michel, L’invention du quotidien – 1. Arts de faire, Editions Gallimard, 1990, 349p CERTEAU (de) Michel, GIARD Luce, MAYOL Pierre, L’invention du quotidien – 2. Habiter, cuisiner, Editions Gallimard, 1994, 415p DEBARDIEUX Bernard, L’espace de l’imaginaire : essais et détours, CNRS Editions, 2015, 312p 122

122


Médiagraphie

PEREC Georges, Espèces d’espaces, Editions Galilée, 1974, 124p — L’infra-ordinaire, Editions du Seuil, 1989, 121p — Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Christian Bourgois Editeur, 1975, 49p Mémoires et travaux d’étudiants MEURICE Mathilde, De l’inaudible ou l’architecture de la dissonance, rapport de présentation de projet de fin d’études, ensa nantes, 2019, 181p Sur les pratiques cinématographiques Articles et publications ALEXANDRE Olivier, Le cinéma du milieu ou le peuple introuvable, in Mouvements n°57, 2009, pp. 37-43 [en ligne] URL : https://www.cairn.info/revue-mouvements-2009-1-page-37.htm [consulté le 04/11/19]

BOURGATTE Michael, « Ce que fait la pratique au spectateur Enquêtes dans des salles de cinéma Art et Essai de la région Provence Alpes-Côte d’Azur » thèse de doctorat en Sciences de l’Homme et Société, Université d’Avignon, 2008, 591p [en ligne] URL : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00369730 [consulté le 19/09/19]

Centre National du Cinéma et de l’Image Animée, Géographie du cinéma 2018, CNC, 2019, 176p MOULIN Raymonde, La culture du pauvre. A propos du livre de Richard Hoggart, in Revue française de sociologie 12-2, 1971, pp. 255-259 [en ligne] URL : https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1971_num_12_2_1974 [consulté le 15/10/19]

Films WENDERS Wim, Au fil du temps, Allemagne (RFA), 1975 123



annexes * entretiens


Entretien réalisé le lundi 28/10/19 à 14h au cinéma Le Gén’éric à Héric à Blain, en compagnie de Florie Colin. Le directeur du cinéma nous fait d’abord visiter le bâtiment, avant de nous recevoir dans son bureau pour répondre à nos questions. 126


Entretiens

Nous rentrons dans son bureau. Florie Colin - Dis donc vous êtes victime de votre succès! (rires) Damien Terron - Ouais là donc la petite salle est déjà pleine et l’autre on a déjà 80 places de vendues... F - Et il y a du monde à attendre encore! D - C’est ça! Et on a du refuser du monde pour «donne moi des ailes», là il y avait 5 personnes qui partaient... Ronan Keroullé - Oui c’est ça, on a entendu! -Les gens sont très frustrés de pas pouvoir toujours rentrer! Parce qu’en fait on devait avoir notre salle moyenne qui devait être ouverte pour les vacances de la Toussaint, c’est pour ça que je gueule un petit peu - c’était l’électricien du chantier là - je gueule un peu auprès des entreprises parce que là...à tout les séances je refuse 50 personnes donc c’est pas possible! Parce que l’autre aura 150 places donc quand même ça permettra de respirer un peu et aussi de faire un programmation un peu plus pointue! Parce que Aujourd’hui même si on fait déjà par exemple du Woody Allen, enfin disons des choses un peu classiques, (son téléphone sonne) ça permettra d’aller encore plus loin. Je sais pas qui c’est donc je réponds pas! Bon asseyez vous! Est-ce que vous voulez un café? F - ça va merci! R - Non, merci, ça va! D - Hop je vous donne une chaise, on doit en mettre dans le hall parce que là en plus on a un groupe de seniors F - Oui c’est ça c’est... D - C’est un foyer d’héric en fait F - D’accord! D - C’est ça qu’on aime bien aussi dans le cinéma, c’est que quand on fait une programmation...qu’on appel «cinéma pour tous» c’est que les anciens et les jeunes se croisent, enfin tout le monde vient en même temps, parce que avant quand on avait un seul écran, quand on faisait un film pour ado on voyait que les ados et inversement! Là en faisant aux mêmes horaires des films différents, les gens se corisent, les gens discutent, les gens voient aussi que des fois c’est «untel je pensais pas qu’il allait voir tel type de film - bah si donc on 127


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peut y aller», il y a ce côté «ah tiens toi tu vas voir des films en Vo, bah moi aussi», enfin voilà le côté... F - Ah vous faites de la Vo aussi D - Oui et on en fera encore plus justement quand on aura la troisième salle, parce que normalement la salle de 50 place est plutôt faite pour ça, la VO, le documentaire, etc. F - Et vous avez déjà fait des études justement sur les différents publics, est-ce que vous avez des chiffres? D - Oui, alors l’étude de marché est obligatoire de toute façon avant de monter un cinéma. Donc oui on a des chiffres en fonction des catégories socio-professionnelles, d’où ils habitent par rapport au cinéma. Nous on a fait aussi nos propres études, qu’on refait à peu près tous les deux-trois ans. Et la dernière disait plus ou moins la même chose que celle d’il y a quatre ans, c’est à dire qu’on a 50% des gens qui viennent d’Hérice, et 50% qui viennent d’ailleurs. Donc ça veut dire que le cinéma ne draine pas que sur la commune mais vraiment autour, et là avec l’ouverture des deux trois salles il va falloir qu’on refasse cette étude pour voir si ces changements ont eu un impact sur la population du cinéma. Sur la commune d’Héric c’est sûr, de toute façon il y a toujours les mêmes, moi je connais la moitié des spectateurs qui rentrent, donc je pourrais passer ma journée à dire bonjour! Mais on aimerait savoir si ça a eu un impact sur l’extérieur, on a quand même beaucoup de gens de Nantes qui viennent, parce qu’on a des tarifs plutôt bas l’après-midi par exemple, ou le dimanche matin. Ce qui permet aussi à tous de venir au cinéma, ça fait partie de nos objectif donc on a toujours eu des tarifs réduits le dimanche matin, le lundi après-midi et le mercredi aussi. Et toutes les séances avant 15h, donc même une personne avec peu de moyens peut se permettre de venir au cinéma, et on vend aussi des places au CCAS, au CE, enfin voilà! R - Et par rapport au public est-ce que vous observez des habitudes peut-être, autour du cinéma? D - Alors nous on a fait beaucoup de choses sur la pratique du cinéma parce qu’on a voulu aussi innover et à l’époque on a eu un prix du CNC il y a deux...trois ans, parce que le CNC donne des prix aux salles qui essaient d’innover dans 128


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la pratique du cinéma et on avait eu la première année une mention spéciale parce qu’on allait chercher les jeunes - et les moins jeunes aussi, mais en tout cas un certain type de public directement dans la rue. A l’époque on avait un cinéma un peu renfermé, un petit hall, pas très visible de l’extérieur, c’est plus le cas maintenant, mais voilà on voulait aller chercher les gens à la manière de «j’irai dormir chez vous» mais c’était «j’irai au cinéma avec vous». Et donc il y avait deux choses c’est que d’une, c’était que pour des films qui avaient un intérêt cinématographiques, donc des films voilà, en VO etc...donc pas les Tuches, enfin je critique pas les Tuche, j’aime plutôt bien d’ailleurs, mais c’était plutôt des films en VO, et surtout d’aller choper les jeunes, les 15-25 ans qui désertent un peu les salles de cinéma et qui voient plutôt les abonnements sur Netflix et leurs séries. Ils regardent bien de la VO en séries mais ils arrivent pas à venir au cinéma pour voir des films en VO, donc il va falloir m’expliquer le pourquoi du comment! Et aussi des personnes seules, parce qu’on s’est aperçu que le cinéma c’est une expérience collective et que des fois c’est dur de franchir le pas d’aller au cinéma tout seul, parce que justement il y a le regard des autres, «ah bah tiens machine elle est toute seule - bah oui son mari l’a quittée» enfin des choses comme ça, et donc l’idée c’est qu’on sortait dehors plusieurs fois par semaine, donc à l’arrêt de car, à la sortie du supermarché, et on allait voir les gens en leur disant «ce soir je t’invite au cinéma», c’était pour la séance dans une ou deux heures, donc on leur payait la place, le cinéma payait la place, pour pas remettre en cause l’économie du film, parce qu’autrement c’est facile, si on distribue des places c’est sûr qu’on aura du monde, donc l’association payait les places, on définissait un nombre par semaine, et après on passait la séance avec la personne, donc on l’invite et on regarde le film à côté, l’idée c’était aussi d’avoir la même expérience en même temps, de pouvoir débattre du film après derrière, et après on faisait une petit visite du cinéma, donc il y avait un côté un peu éducatif qui nous plaisait aussi. Donc ça c’est des choses qu’on a du un peu arrêter pendant les travaux, on va sûrement reprendre après...et on appelait ça «Osons le cinéma!» 129


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R - Et c’était reçu comment quand vous abordiez les gens? D - Alors au tout début on nous regardait un peu de loin, surtout qu’on a commencé ça en hiver, quand il fait un peu nuit, mais bon après on s’est fait des badges, on avait une tablette et on montrait la bande-annonce au gens pour leur montrer ce qu’ils allaient voir...après bon moi je suis assez connu sur le secteur, les gens m’affiliaient rapidement au cinéma. Ils pouvaient trouver ça un peu bizarre au début mais après ils venaient et puis voilà, c’était rigolo! Et ça créait un cercle vertueux, l’idée c’était que les gens aient envie de revenir naturellement au cinéma sans trop se poser de question de «est-ce que je dois y aller, pas y aller», là le fait de connaître la personne à l’accueil déjà bon ça rapproche tout de suite, après on paye un petit café en fin de séance, voilà! Et sinon après on fait beaucoup de publicité sur le territoire, on est sur un territoire de 10 000 habitants, 12 communes, et puis site internet, réseaux sociaux, même si je suis pas très fan de ça mais il faut s’adapter! Et on a un public assez respectueux des lieux, on est pas dans un cinéma de grosse consommation, même s’il y a beaucoup de monde, mais il y a pas de soucis, c’est rare qu’on ait des dégradations, parce qu’on est aussi dans une commune rurale...après ça changera peut-être dans quelques années quand Nantes arrivera de plus en plus mais ça va. Et puis par exemple on ne mettre jamais de bornes de vente de billet dans le hall parce pour nous c’est un accueil bénévole donc on ne va pas mettre des bornes s’il y a des bénévoles, autrement il n’y a aucun intérêt. Là pour le nouveau hall on a même pas fait passer de gaine dans la dalle béton, parce que sinon un jour il y en aura toujours un qui aura l’idée de mettre des bornes s’il y a les fils qui sont là! Après on fait quand même de la prévente sur internet, pour que les gens puisse réserver quand ils veulent pas louper une séance, mais en nombre limité, on veut laisser la vente principale aux bénévoles, parce que nos bénévoles on peut dire qu’ils sont pour 50% cinéphiles, et 50% sont...beaucoup moins cinéphiles! Ils viennent dans l’association pour autre chose, ils viennent chercher un lien social, chercher une sortie, et puis après ils deviennent petit à petit cinéphile mais c’est pas du tout le but premier. Mais on fait un cinéma pour 130


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tous et une association pour tous et tout le monde s’entend très bien. On veut pas sanctuariser la chose. F - Et au niveau des âges et des profils des bénévoles? D - Les bénévoles ça va de 16 à 80 ans. On est quand même une grosse majorité dans la quarantaine donc qui travaille la journée, c’est pour ça que ça peut être compliqué d’avoir du monde en journée. Ils peuvent tous donner un coup de main le soir et le weekend mais en semaine la journée c’est plus compliqué. Ce qui est plutôt rare parce qu’en général les cinémas associatifs travaillent avec des groupes de bénévoles pour la plupart retraités mais ici on en a moins, parce qu’on est plus proche de Nantes. D’où l’étude démographique qui fait que plus on se rapproche de Nantes plus la population va être différente de Nozay par exemple qui va être plus rural. F - Et le cinéma il s’inscrit comment par rapport aux autres équipements de la commune ici? Dans le parcours des gens... D - Et bien justement c’est pour ça qu’on est resté ici, parce qu’on aurait pu faire un cinéma ailleurs, mais on voulait vraiment rester en centre-bourg, à côté de l’église, la mairie est en face, on est sur ce qu’ils appellent la coulée verte, c’est l’axe piéton qui traverse le bourg d’Héric, pour justement qu’il soit en coeur de ville, c’était vraiment pour nous une volonté. On voulait pas faire un cinéma en zone industrielle, on aurait pu, il y en a une à côté, et le public serait sans doute venu quand même, c’est pas le problème, mais ça aurait plus été la même chose, ça aurait plus été la même architecture, ça nous aurait sans doute coûté moins cher mais à un moment donné on est une association on n’est pas là pour gagner de l’argent mais pour défendre des idées. (il vérifie son téléphone) Il est 15h, je dois juste jeter un petit coup d’oeil au moment du lancement des séances...et donc voilà on fait des courtmétrages, on essaye de se diversifier au maximum si possible. R - Et vous j’imagine vous connaissez les commerçants autour? D - Tous! Ils font tous de la pub ici, on même été obligé de freiner. Avant on faisait plutôt sur le programme, maintenant 131


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on le fait plutôt en vidéo. Il doit y avoir 35 commerçants dans le bourg, il y en a 18 qui font de la pub au cinéma! On a du limiter parce que là on a 6 minutes de pub, nous on veut pas non plus en mettre de trop. L’idée c’est qu’on est aussi un commerce du bourg et on participe aussi aux animations des autres commerçants. Quand ils font des animations on essaye aussi d’apporter notre pierre à l’édifice, on n’est pas que une association culturelle, on est aussi un commerce, c’est une entreprise aussi. Pour le nouveau cinéma c’est l’association qui est maître d’ouvrage, on a fait les emprunts... on n’est pas que sur des financements publics, on est sur des financements de fonctionnements sur les entrées surtout, pas sur les confiseries, parce qu’on a un prix de confiserie qui est très très bas, on propose pas de pop-corn, ça a toujours été le but aussi de rester autonome on va dire. On a eu besoin d’un coup de main des finances publics pour monter le bâtiment évidemment parce qu’on ne peut pas y arriver tout seul. Mais on emprunte la moitié, c’est déjà pas mal, et je pense que c’est pour ça que le CNC nous a bien aidé aussi, parce qu’il croyait aussi à notre projet, faut être réaliste: on peut faire de la culture, un peu subventionnée oui mais pas forcément que sur ça, il faut prendre conscience qu’on est une association et qu’on a des objectifs à atteindre. Mais c’est pas parce qu’on a des objectifs à atteindre qu’on va faire que du cinéma grand public, on peut aussi avoir des objectifs avec du cinéma plus pointu. Souvent les gens disent «bah non, si c’est du cinéma pointu on va faire que cinq personnes par jour et ça rapporte rien», non c’est pas vrai, si c’est bien fait, si c’est bien animé, ça marche. Il faut voir un peu plus loin. Evidemment il y a des séances des fois où il n’y a pas grand monde et c’est pas grave! Il faut le voir à l’année, faut pas le voir à la séance. Beaucoup de cinémas regardent à la journée, mais il faut voir l’ensemble à l’année. Est-ce qu’on a proposé un programmation intéressante pour la plupart des habitants, les tarifs sont-ils cohérents, faut ajuster au fur et à mesure. Là par exemple on va proposer un tarif enfant parce qu’on nous le demande beaucoup. A un moment donné il faut répondre à son public, si on veut connaître son public il faut y répondre! Dans la limite du raisonnable mais bon. 132


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F - D’accord, parce que là c’était tarif unique, à part les tarifs réduits dont vous parliez sur certains horaires D - C’est ça, mais comme on a augmenté nos tarifs...en fait on n’avait pas augmenté nos tarifs depuis 2002! Donc on avait un tarif unique à 5 euros qu’on a gardé jusqu’à cette année où on est passé à 6 euros 50 donc c’était un petit peu la révolution, sauf que c’est pas le même équipement qu’avant, et 6,50 ça reste quand même presque deux fois moins cher qu’à Nantes, à un moment faut relativiser, mais à cause de ça on avait pas de tarif enfant parce que c’était déjà assez bas. Sauf qu’à Nantes là les enfants payent moins cher donc ça m’embêtait psychologiquement, donc on s’est dit qu’on allait quand même faire un tarif enfant. Même si c’est presque symbolique parce que ça va représenter que quelques dizaines de centimes par entrée. F - Il sera à combien du coup? D - 4,50. Et le tarif avec abonnement étant à 5,40, bon ça va pas changer grand chose parce que les gens payent souvent toutes les places avec l’abonnement. F - Les cartes d’abonnement ça fonctionne bien? D - Oui on en a donné quelques milliers, là depuis la réouverture en mai j’en ai vendu encore 300, ça veut dire qu’il y a un public qui grandi, et une carte peut représenter 4-5 personnes. On la a moitié des gens qui ont leur carte d’abonnement quand ils passent en caisse. Donc c’est des habitués, il y a que sur certains films spécifiques où là on voit bien, c’est ce qu’on appelle les occasionnels, par exemple on a un public senior qui ne vient jamais au cinéma mais qui veut absolument voir ce film parce que le sujet leur parle. On est dans une commune rurale, «Au nom de la terre» c’est plein à toutes les séances. Tout à l’heure à 18h ça va être encore plein, c’est sûr! Donc ce genre de public ça les embête pas de payer 6,50 parce que de toute façon ils ne vont pas revenir souvent. F - D’accord, et vous avez beaucoup d’habitués quand même. D - Ah oui, je vous disais, je peux dire bonjour à un spectateur sur deux. Et on a des habitués qui ne prennent pas la carte non plus, parce qu’ils estiment que 6,50 c’est déjà tellement peu cher...et là c’est plus pour soutenir l’association et se dire 133


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que voilà c’est des gens qui ont plus de moyens peut-être, qui peuvent se le permettre et qui on envie d’aider. Et moi aussi, c’est comme ça que je pense, je trouve qu’une place de cinéma devrait pas excéder 7 euros. C’est ma conviction personnelle, c’est pour ça qu’on l’a mise à 6,50. Je trouve qu’en dessous de 7 euros ça vaut le coup. Je suis fumeur donc je suis capable de mettre 8 euros dans un paquet de cigarettes tous les jours donc je pense que pour une oeuvre... parce qu’il y a quand même toute une économie derrière, si on veut défendre un peu l’économie du cinéma on peut pas toujours baisser les prix. Il faut réfléchir à tout ça, des fois les gens perdent un peu ça de vue. Il y a plein de gens qui gravitent autour de l’économie du cinéma, des commerçants aussi, quand un tournage se fait dans une région, dans une commune, ça fait du travail pendant des mois. Donc heureusement qu’on a relocalisé un peu les tournages de cinéma en France parce qu’ils étaient beaucoup partis à l’étranger, en Espagne, en Belgique. Là il y a eu pas mal de choses faite pour les faire revenir, des aides etc. et ça remet une économie française en cause. Construisons local, tournons local et diffusons local! Si c’est de qualité, si c’est pas de qualité c’est pas la peine! Faut pas non plus trop prôner le côté «si c’est fait dans le coin, c’est bien!» Non, on a eu des expériences, c’était fait dans le coin et c’était pas bien du tout. C’est pour ça que maintenant je ne programme que des choses que j’ai vues, enfin sauf vraiment des grosses sorties. C’est sûr que je vais pas voir La Reine des Neiges avant pour savoir si je vais le programmes, là on sait qu’il y a une attente du public! Star Wars non plus, enfin voilà des choses comme ça. F - Et à ce niveau-là justement est-ce que vous savez si certains viennent au cinéma vraiment pour venir au cinéma et puis le film ils voient sur le moment où s’ils viennent pour un film en particulier? D - Oui alors je pense que plus des trois quarts viennent pour un film en particulier, je vois nos programmes papier ils partent...on en a reçu 2000 vendredi il doit en rester moins de 100 aujourd’hui. Mais on a quand même peut-être 5, 10% de la population qui maintenant vient - surtout depuis qu’on 134


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a deux salles, encore plus quand on en aura trois je pense, parce que ce soir, par exemple le mardi c’est cinéma, et c’est pas cher donc voilà, il y en a quelques uns que je voit souvent et qui fonctionnent comme ça. Eux ils prennent la carte d’abonnement évidemment, ou ils ont des tickets avec leur CE...et c’est bien le côté un peu surprise, ça reprend l’idée de «Osons le cinéma»... (silence) F - Est-ce que tu penses à d’autres choses Ronan? R - Oui peut-être sur votre parcours à vous, votre rapport à cette salle, est-ce que vous habitez ici déjà? D - Alors moi j’habite ici depuis pas très longtemps, depuis 1 an, je vais voter à Héric pour la première fois cette année! J’étais à Blain avant, mais ça ne m’a pas empêché étant habitant de Blain de... R - Vous n’êtes pas allé au cinéma de Blain? D - Non parce que le cinéma d’Héric était plus prêt en fait! Je vais pas à un endroit donné en fonction de ma commune, je vais à tel cinéma parce que c’est le plus prêt, comme la plupart des spectateurs, voilà, je suis pas né Héricois, même si j’ai un nom de famille qui pourrait laisser croire ça. Non je travaillais à Nantes et je passais devant tous les jours le matin et le soir. Et puis ça m’a pas empêché d’être président pendant plusieurs années sans être Héricois. Et puis moi je pense qu’il faut aller dans des lieux en fonction de si on les aime ou si on les aime pas. Faut arrêter le côté «je vais à la boulangerie parce que c’est la boulangerie d’Héric!», non, moi je vais où il y a du bon pain! S’il y avait une salle plus prêt de chez moi j’irai sans doute voir des films là-bas, si le film est bien projeté...je me rends beaucoup dans d’autres salles de cinéma. Je pourrais me faire des séances privées ici mais j’aime bien aller chez les autres aussi, c’est bien! Déjà d’une moi ça me permet de faire une expérience différente, quand je viens ici je peux pas regarder un film facilement parce que voilà, on va m’interpeller dans le hall, les gens vont penser que je travaille, donc des fois c’est bien aussi d’aller à Nantes, au Concorde, au Katorza, au Cinématographe... Donc non je suis pas Héricois de base mais là je le suis donc je pourrai voter ici! Et puis j’aime bien la commune aussi, si 135


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je l’aimais pas je me serais sans doute pas autant investi non plus... R - Et comment c’est venu votre engagement dans cette association? D - Alors ça date de...2005, 2006...en fait moi je travaillais dans une société qui fabriquait des robots pour l’automobile, et je passais devant ce cinéma en allant au travail, et étant cinéphile un petit peu, je m’arrêtais déjà en tant que spectateur deux à trois fois par semaine! Donc un jour je demande comment ça fonctionne, on me répond que c’est une association, j’ai demandé si on pouvait rentrer dans cette asso et trois semaines après j’étais rentré dedans, un an après je projetais les films et je faisais la programmation en doublette avec une autre personne, et un an après j’étais président. Ils ont bien senti que j’avais envie de développer le truc! Donc ça, ça a duré jusqu’en 2014, c’est là où ma société a été vendue, donc j’ai perdu mon boulot pour des raisons économiques...à ce moment là le cinéma ça me prenait trois heures par jour, en tant que bénévole et président de l’association, samedi et dimanche compris donc ça faisait quand même 21h par semaine. C’est des mini-entreprises! Il y a des règles auxquelles on peut pas déroger, il y a des factures à payer, on peut pas toujours dire «je le ferai quand j’aurais le temps». Donc quand ma société a fermé je me suis dit, bon le cinéma c’est quelque chose qui a l’air de me plaire, j’ai 35 ans, c’est peut-être intéressant de changer maintenant. Donc j’ai monté un projet et j’ai postulé pour une formation à la Fémis à Paris et j’ai été pris. Donc on a commencé le projet du Gén’éric en même temps que je prenais des cours à Paris. Et après quand j’ai eu mon diplôme l’association a monté un poste, j’ai candidaté et il m’ont choisi! Mais j’étais pas le seul, on a vraiment monté un poste avec un recrutement...et après je me suis complètement attelé à ce projet. Donc défendre le projet culturel localement, trouver les finances, les entreprises, un architecte, là ça rentrait dans un vrai projet! C’était en 2015, on fait les études de marché, et là on est en 2019 donc on va dire que ça prend trois bonnes années pour sortir un cinéma en tant qu’association. Si on avait été un privé avec d’autres financements ça aurait sans doute été 136


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plus rapide, mais c’est bien aussi de pas avoir de moyens! ça permet de réfléchir, ça permet de se poser beaucoup de questions! Alors comme c’est une association c’est difficile, il faut réunir le CA, en discuter etc. donc ça prend du temps mais c’est bien aussi! Parce que si on avait eu plus de moyens on serait peut-être parti dans tous les sens et c’est là où avoir l’appui d’un architecte qui défend les mêmes valeurs, qui a déjà fait beaucoup de cinéma c’est très important. Il faut qu’il comprenne le projet, qu’il comprenne l’association, on n’est pas dans la même démarche qu’un cinéma privé, même si j’aime bien les cinémas privés, j’en connais beaucoup, je pourrais aussi travailler dans un cinéma privé, c’est pas le problème, mais là c’est pas ce projet-là aujourd’hui à Héric. R - Donc là ça fait quatre ans que vous êtes à temps plein c’est ça? D - Oui, et il faudrait bien une deuxième personne! Parce que même à temps plein je suis à 65h par semaine...j’ai commencé à 8h ce matin, je vais pas finir avant 20h ce soir minimum, tant que les travaux sont pas finis ça va être comme ça. Et après si on va vouloir développer d’autres choses il va bien falloir, parce qu’on est ouvert tous les jours, ça s’arrête pas, on peut pas se dire «c’est bon je suis en weekend!», ça tourne tout le temps, mon téléphone est toujours près de moi, parce que aussi c’est des bénévoles, donc il peut y avoir des problèmes techniques, de sécurité...donc je me dois d’être là tout le temps en soutien. Parce que je ne fais aucune séance de soir ou de weekend normalement, je fais toutes les séances de journées, tout ce qui est scolaire, préparation, tout ce qui est technique, programmation, entretien du bâtiment, enfin je fais un peu de tout, mais je leur laisse toute cette partie séances du soir et du wekkend qui sont un peu les séances emblématiques du cinéma qui ont toujours été là, avant le cinéma était ouvert 5 fois par semaine, après il a été pendant très longtemps ouvert tous les soirs et deux fois le dimanche...donc ça je leur laisse pour aussi pas trop envahir le truc. Quand ils arrivent je leur donne deux ou trois infos et après je m’en vais, je leur fais complètement confiance, je vais regarder derrière eux si c’est bien fait! Alors des fois c’est pas bien fait mais c’est pas grave! La priorité c’est la sécurité 137


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des personnes, après si la projection s’arrête c’est pas grave, ce qui compte c’est que les gens soient bien accueillis, et que s’il y a un problème ils peuvent réagir tout de suite; Si le film se coupe c’est pas grave, mais il faut que les lumières se rallument et il faut rassurer les gens...la projection on la relancera! Et c’est aussi ça que les gens aiment bien dans ces associations-là c’est le côté «je m’investis pour une cause, pour la commune», c’est pour ça qu’il n’y a pas que des cinéphiles. Il y a des gens qui aiment bien être là pour le côté «j’organise quelque chose qui plaît au gens», que ce soit du cinéma, de la musique ou du théâtre. F - Oui ça rejoint un peu cette idée multi-activité dont vous parliez. D - Oui, on est dans une commune où il y a 35 associations donc un gros coeur associatif, donc il y a des gens qui sont bénévoles au cinéma qui sont aussi bénévoles à la musique...enfin voilà, c’est pour ça qu’on essaye de faire des choses entre nous, entre associations, et je pense qu’on le fera encore plus quand le cinéma sera terminé! L’idée du CA ce serait de faire une action par association de la commune, donc par exemple un weekend on passe un film sur le basket, après la musique, le foot, les arts décoratifs, la danse...toutes les danses possibles qu’il y a sur la commune! On n’est pas tout seul quoi! Et puis moi j’aime bien participer aux autres animations, si on veut que les gens viennent chez nous faut aussi aller voir les autres. C’est facile de dire «venez chez nous voir les films et quand vous avez un spectacle moi je suis pas là». Donc si quand il y a un spectacle je suis là aussi donc c’est pour ça que ça peut prendre du temps le soir...là je peut déléguer au conseil d’administration qui peut représenter le cinéma pour qu’on soit présent assez régulièrement. C’est une vie dans la cité, ça va plus loin que le cinéma! R - Oui, surtout quand on est à une petite échelle comme ça D - Oui, c’est ça, c’est sûr que si on était en plein centre-ville de Nantes ça serait pas du tout la même chose parce qu’on aurait pas du tout le même public, ça serait complètement différent! C’est pour ça que je critique jamais ce que font les autres, il faut faire ce dont il y a besoin où on est, on va pas réinventer la poudre, si les autres font comme ça et que ça 138


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leur va, que ça va à leur public tant mieux, nous on fait ce qui nous paraît bien et puis voilà! Ce que font les autres je m’en fous un peu! (rires) Faut arrêter de vouloir copier les autres, faut faire comme on a envie, et si les spectateurs viennent c’est que ça leur plaît, s’il y avait personne on se poserait peut-être des questions mais pour le moment c’est pas le cas! R - Non, ça a pas l’air! (rires) D - Non ça va! R - Et vous avez des échos des cinémas voisins quand même? D - Oui moi je discute un peu avec eux, je les ai invité à la pose de la première pierre, ils seront invités à l’inauguration, moi je suis anti-guerre de clocher qu’il pouvait avoir avant entre les petits cinémas comme ça, enfin «petit» c’est pas péjoratif, mais entre les cinémas mono-écran il y avait un petit peu une géguerre de clocher «ah moi je suis le cinéma de machin» ‘moi le cinéma de truc»...pour moi quand on est des associations il doit pas y avoir de concurrence. L’idée c’est plutôt de travailler ensemble, si toi tu proposes un soir un film complique, je sais pas un documentaire sur les baleines, ce serait con que je fasse la même chose le même soir! Et ça c’est un peu compliqué, moi on m’a vu un peu comme un extra-terrestre quand je suis arrivé avec mes gros sabots en disant «on pourrait travailler ensemble ça serait plus simple!»...c’est là où il y a encore des limites! Mais nous on a toujours été porteurs de ça, c’est pour ça que je le invite, qu’ils peuvent venir n’importe quand il y a aucun problème, je cache rien enfin voilà! Pour moi entre associations il n’y a pas de concurrence, on est complémentaire sur le territoire, sur une région...c’est pas sur une séance qu’on va faire de l’économie. Si machin fait plus d’entrées que nous un jeudi soir parce qu’il a un super programme et bien tant mieux pour lui, parce qu’il aura bien travaillé! Nos combats ils sont sur les grands multiplexes de douze salles, pas avec le mono-écran qui est à 15 km! Donc ce serait mieux de travailler ensemble! Donc on a essayé au niveau de la programmation, mais des fois il y a eu des choses plus productives et des fois un peu moins (rires) mais c’est pas grave, je pense que c’est des 139


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choses qui prendront plusieurs années, je pense qu’il y a aussi une question de génération, il faut peut être que ça change un peu à un moment donné, mais c’est pas grave, je ne critique pas. Certains ont le même mode de fonctionnement depuis des années, pourquoi changer? Chacun voit, après moi je propose, si ça répond tant mieux, si ça répond pas, ça répond pas! Mais je vous attends pas pour faire autre chose! Quand certains ont vu «ah vous faites trois écrans à Héric», oui mais on vous a pas attendu! A un moment donné on a une idée on y va, on va pas se poser quinze fois la question de «est-ce que ça va plaire à côté?». Si ça se trouve on aurait pu faire un grand cinéma sur plusieurs communes, ça aurait été possible, et c’est encore possible pour demain, on peut inventer des modèles économiques de gestion de société donc c’est jamais fini! On sait jamais! On n’est pas fermé à ça, on le fait pas pour gagner de l’argent, on le fait pour les habitants, pour la culture. Et plus il y a de culture, mieux c’est, dans nos sociétés...(rires) R - Et je repense aux espaces publics à côté, est-ce qu’il y a des gens qui ont tendance à rester là sans forcément venir au cinéma? D - Alors un petit peu en journée en ce moment mais encore plus quand les travaux seront finis, parce que là c’est encore un peu le chantier! Mais on a beaucoup de gens qui viennent en journée même quand on est fermé pour acheter des préventes, pour prendre le programme...bientôt on va recevoir notre mobilier intérieur qu’on n’a pas encore, ce sera des petits fauteuils en tissus comme dans les salles, dans le style un peu canapé, on va pas prendre des vieux clubs comme ils font partout! Voilà on fait attention jusque dans le mobilier, des choses un peu style «Maisons du monde» pour pas citer de marque, des choses un peu zen, où on vendra du café. Là on a déjà tout le matériel mais on le met pas à disposition parce qu’ils auraient nulle part où s’installer pour boire leur café! R - Parce que là après les séances ça arrive qu’il y ai des gens qui restent déjà un peu? D - Alors ça dépend complètement des publics en fait! Là un film pour enfants, à la fin de la séance ils partent tous, 140


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parce qu’après il y a le goûter, il y a le machin etc. C’est pas la même configuration, mais le soir c’est différent, quand on a vu un film un peu dur ou qui pose réflexion, alors sans rester des heures, faut aussi mettre des limites, on va pas monopoliser les bénévoles jusqu’à 3h du matin tous les jours, mais 15-20 minutes après la séance, discuter du film autour d’un café c’est très bien! C’est quelque chose d’accessible, c’est facile à faire, ça demande pas de monter une grosse structure. Même si on aimerait bien avoir à côté de nous un bar ou un restaurant. R - Oui là il n’y en a pas? D - Non pas encore, mais je pense que...en fait à côté là vous avez l’ancienne école qui a été rachetée par la commune et qui a déménagé là-bas, c’est pour ça qu’il y a un nouveau parking. Donc ce bâtiment va sûrement être réhabilité après les élections. Donc je pense que c’est quelque chose qui se fera, mais après je pense qu’il faut pas tout en même temps, la plupart des modèles qui fonctionnent ils n’ont pas tout fait en une année, parce que si on propose trop de choses trop de nouveautés, ça peut perturber les gens, il y a des habitudes qui doivent se prendre. Mais oui sinon il y a des gens qui passent en journée, ce matin je me suis fait surprendre j’étais dans mon bureau et à un moment j’avais 5 personnes dans le hall, je les avais pas entendues, ils faisaient pas de bruit! Mais oui en tout cas l’idée c’est que l’espace public soit vraiment investi par les habitants, c’est pour ça que ce muret doit servir de banc en fait dans l’idée, l’été pour que les gens puissent boire leur café dehors. L’entretien se termine ici, par un bref échanges sur les poursuites de notre travail.

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Entretien réalisé le mercredi 30/10/19 à 17h au cinéma Saint Laurent à Blain. Le président de l’association me reçoit dans une salle peu décorée, éclairée par un plafonnier à la lumière blanche, située au-dessus du hall d’entrée, derrière la cabine de projection d’où nous provient la bande son du film projeté durant nos échanges. Nous nous installons autour d’une grande table que je suppose comme réservée aux réunions de l’association, au vu du nombre de chaises qui l’entourent. 142


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Matthieu Jolin - Vous avez vu d’autres salles déjà? Ronan Keroullé - Oui, j’ai plusieurs rendez-vous à venir, j’ai été à Héric, à Ancenis... M - A Héric? R - Oui, l’idée c’est de voir les différents cinémas sur un territoire un peu restreint, si il y a des différences dans les manières de faire...Donc peut-être on peut commencer rapidement par votre parcours à vous, comment vous êtes arrivé là, comment vous êtes devenu président de l’association? -Bah moi c’est du bénévolat hein, on est en association donc il n’y a que des bénévoles ici à 100%. Donc actuellement il y a 115 bénévoles qui font tourner la boutique, moi je suis arrivé là en 2012 donc c’est pas si vieux que ça, ça fait 7 ans, donc c’est à ma retraite quoi, je voulais trouver un job, enfin un job, une association quoi, et puis voilà. -Et si vous avez choisi cette association c’était moins par cinéphilie que par envie de vous investir dans une association? -Ah bah je crois que si on vient au cinéma déjà c’est qu’on aime le cinéma. -Non mais je sais pas, ça arrive qu’il y ait des bénévoles qui ne soient pas forcément là pour ça non? -Quand on fait du bénévolat dans une association, c’est quand même qu’on a quelques atomes crochus avec l’activité! -Oui forcément! -Sinon, c’est pas la peine, j’en vois pas l’intérêt! De là à être très cinéphile, non! Je suis cinéphile voilà, mais dans l’association il y en a qui le sont beaucoup plus que moi, certainement. Et même l’ancien président qui lui a vu je ne sais combien de films dans sa vie il a fondé ce cinéma en 1950 et il est toujours dans l’association, il était là en début d’après-midi d’ailleurs! Donc lui il en a vu des milliers! Ma responsable de programmation elle est très cinéphile aussi, on lui demande un film et paf elle va vous dire qui c’est qui joue dedans patati patata, voilà! Mais, tout le monde n’est pas comme ça! -D’accord! Et sur les 115 bénévoles c’est plus des gens retraités, des plus jeunes? Parce que par exemple à Héric 143


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le président nous disait qu’ils avaient plutôt une équipe de quarantenaires et qu’ils avaient du mal à trouver du monde pour travailler en journée, mais ils nous disaient aussi que dans certains cinémas c’était plutôt le contraire... -Alors nous on a plus de gens qui sont en activité, ça c’est certain. Des retraités on en a mais bon, j’ai pas le pourcentage exact, on a des plus jeunes aussi, le plus jeune a 17 ans, donc ça va de 17 à 83. Donc il y a tout un panel! Là on a des nouveaux adhérents qui sont arrivés cette année, à part 2 personnes qui sont en retraite les 10 autres sont en activité, c’est des gens qui ont 40 ans à peu près. -Je vais faire un tour chez moi -Ah oui mais moi je suis pris, faut que tu reviennes vite fait. -Ah oui oui c’est juste un aller-retour, ou alors je te préviens s’il y a quelque chose. -Ouais vas-y, tu laisses ouvert -Il reste une demi-heure -Tu mets le son. -Oui! Je vais entrouvrir la porte. -Bon, je sais plus ce que je disais. Oui on a beaucoup de trentenaire quarantenaire. Des gens qui ont plus d’enfants trop jeunes à s’occuper. Quand il y a des petits c’est plus compliqué, mais on en a aussi. Il y a même eu des naissances! -Et ça m’intéresserait de savoir ce que vous observez au niveau du public. Déjà est-ce que vous avez des données sur le public, d’où il vient, etc... -Ah non! Mais de toute façon les gens viennent du coin. Ils viennent jamais de très loin. Vous voyez bien, il y a un cinéma à Héric, il y a un cinéma à Blain, à Nort...Je sais pas après dans quel rayon en termes de kilomètres, mais c’est très local. -Oui, vous connaissez les gens qui viennent? -Non. Alors il y en a qui viennent souvent je les connais, mais non c’est pas la majeure partie. -Et est-ce que vous remarquez des habitudes avant et après la séance, comment ça se passe, les gens partent tout de suite, ils restent discuter... -Alors ça peut arriver qu’il y en ait qui restent discuter un peu 144


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mais pas très souvent. Après on a la spécificité de diffuser des opéras-ballets en direct, et là les gens s’attardent davantage, bien que ça termine à 23h30! Mais les gens sont pas pressés de partir parce qu’ils ont été imprégnés de cet opéra et ils sont encore dedans. Et pendant l’entracte parce que là du coup on a un entracte. Ce qui n’est pas le cas pour un film. Là vous verrez dans une demi-heure les gens vont partir et puis voilà. La plupart viennent en voiture, surtout que là il y a beaucoup d’enfants, c’est les vacances scolaires. -Et comment ça se passe avec le reste de la commune? Vous vous habitez déjà ici? -Non. -Où ça? -A Bouvron. Enfin c’est pas loin. Et vous vouliez savoir quoi par rapport à la commune? -Comment ça se passait avec les autres équipements, les commerces? -Ah bah c’est un lieu privilégié de la commune, je pense que les Blinois sont très attachés à leur cinéma. -Ah oui? Qu’est-ce qui vous fait dire ça? -Tout le monde le dit! Un cinéma de campagne, les gens y sont attachés. C’est la culture en fait. C’est la culture de proximité. (long silence) -Et est-ce que vous pensez que le cinéma s’inscrit plus dans un parcours quotidien, est-ce que vous pensez que les gens viennent au cinéma exprès ou que ça peut leur arriver d’y aller un peu par hasard parce qu’ils étaient dans le coin, ils passaient devant... -Ah non pas ici! Les gens viennent exprès. Les gens viennent au cinéma pour aller au cinéma. -Et quand vous discutez un peu vous savez s’ils viennent vraiment pour un film ou plus pour le plaisir de venir au cinéma? -Les gens viennent voir un film. Enfin c’est mon ressenti. C’est pas comme à Atlantis, UGC, Pathé où vous avez quinze films en même temps. Les gens ils viennent, ils vont au cinéma et ils choisissent sur place. Nous ici c’est plutôt l’inverse. C’est à dire que les gens choisissent un film et ils 145


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viennent. Ils peuvent même réserver de chez eux. (Son trop fort dans la salle de projection, il s’en va fermer la porte). Oui donc voilà, les gens viennent pour le film. -Et ça se passe comment la journée en tant que bénévole? -Bah les bénévoles ils viennent pour les séances. -Mais ça se passe comment une journée lambda, ils arrivent quand, ils repartent quand? -Alors, il y a minimum un séance par jour, tous les soirs. Il y a deux séances le mercredi, deux, trois le samedi, trois le dimanche. -Et vous êtes combien par séance à être là? -Alors c’est des équipes: il y a une seule personne à la projection, ça suffit, c’est pas la peine d’être deux, et en bas faut être 4 ou 5 à l’accueil. -Et vous arrivez quand? -Une demi-heure avant. L’ouverture des portes se fait une demi-heure avant. -Et vous restez combien de temps après la séance? -Donc on reste pendant le film bien sûr, et après quand la séance se termine il faut nettoyer la salle et après chacun rentre chez soi. -Et les bénévoles ils fréquentent le cinéma en dehors de leurs heures? -Ah oui, oui. Pour la plupart. silence -Et vous vous habitez Bouvron c’est ça? -Oui. -Et vous avez toujours habité dans le coin, comment vous êtes arrivés là? -Bah je vous ai dit, je cherchais une association et puis... -Oui bien sûr mais je voulais dire au niveau géographique est-ce que vous avez toujours habité par ici ou pas? -Ah non non non, j’étais sur Saint-Herblain avant mais ça fait 20 ans que je suis là. -Et vous alliez déjà souvent au cinéma? -Ah oui, j’habitais tout près d’Atlantis, j’y allais souvent. J’aime le cinéma! -Et vous avez pu observer des différences j’imagine entre 146


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Atlantis et ici? -Alors il y a une différence qui est énorme c’est le tarif. C’est du privé, nous on est un association, c’est complètement différent. Au niveau film après c’est les mêmes. -Justement par rapport à votre programmation, est-ce que vous avez une ligne de conduite, comment vous procédez? -On a comme tous les cinémas un programmateur à Paris qui fait l’intermédiaire entre nous et les distributeurs des films. -Mais vous choisissez comment les films que vous projetez? -On choisit des films qui sont validés ou pas par le programmateur, c’est une question de discussion. -Et au niveau de l’association qu’est-ce qui motive vos choix? -Ah bah il y a une équipe de programmation. Donc c’est les films récents, les sorties nationales. Les films...oui qui sont sortis il y a une ou deux semaines quoi. C’est rare qu’on passe des films plus anciens... -Et vous avez un retour du public sur votre programmation? -Oui, en général c’est bon. De toute façon tous les cinémas du coin passent les mêmes films. -Ah oui? -Oh oui, à peu près. -Et vous vous concertez entre cinémas du coin? -Non! C’est les mêmes programmateurs souvent. -D’accord. Mais il n’y a pas de dialogue entre cinémas? -Ah non, pas pour la programmation en tout cas. Ah non. On se connaît. Voilà. -Et ça vous arrive d’échanger sur vos pratiques parfois? -Oui on peut boire un coup ensemble des fois! On n’est pas non plus...hein! rires -Mais pour parler cinéma? -Non non, des fois si on est dans des conventions des choses comme ça on se retrouve ensemble, mais autrement, bah non, on va pas se voir tous les jours non plus. -Et j’ai vu qu’il y avait la mission SCALA au niveau départemental... -Oui. -Et je me demandais comment ça fonctionnait... -Oh ça c’est pas à moi qu’il faut demander, c’est à eux! 147


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-Oui je vais les rencontrer mais ça m’intéressait aussi d’avoir l’avis des concernés! -Bah la SCALA...à Nantes. (un temps) Nous on est adhérent, on participe à quelques activités, pas à toutes parce qu’on ne peut pas. Et puis voilà! Et ça se passe pas trop mal. Après comment ils vont, je sais pas, faut voir avec eux! -Non mais c’est pas comment ils vont, c’est plutôt comment vous recevez ça? -Oh bah nous on n’a pas de soucis particuliers, mais c’est juste que nous on peut pas faire tout ce qu’ils proposent. C’est pas possible. Chaque salle prend un peu à droite à gauche ce qui l’intéresse et puis voilà. -Et je voyais que devant le cinéma ça avait l’air assez récent les aménagements qui ont été faits au niveau de l’espace public qui est juste devant l’entrée, ça date de quand? -Et bien ça date...le cinéma a été refait en 2008, il y a 11 ans. -Ah oui d’accord. Donc vous n’étiez pas président encore. Vous étiez pas encore dans l’association non plus? -Non, je suis arrivé juste après. Mais ça a été fait quand le cinéma a été refait en 2008. -Et vous savez comment c’était avant devant? -Ah je me rappelle plus. J’étais venu plusieurs fois au cinéma mais je me rappelle plus. -Mais vous savez ce qui a été à l’origine de ces changements ou pas? -Quand ça a été refait il y a eu un architecte qui s’est occupé de la salle et du hall aussi sûrement. -D’accord. Mais le bâtiment n’a pas changé à l’extérieur c’est ça? -Ah oui, le bâtiment existe depuis le début. Il appartient toujours à l’évêché. Comme beaucoup de salles associatives. -Ah et je me demandais, je vois beaucoup de cinémas qui passent à 2 ou 3 salles, ça a l’air d’être la tendance actuelle... -C’est une tendance oui. -Et est-ce que c’est une question qui s’est posée ici? -Alors pour le moment c’est pas nous qui pourrions le faire, on n’a pas les moyens de le faire. D’abord il faudrait racheter 148


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ce bâtiment. Alors il y a plusieurs façons de faire, mais je vois sur Héric par exemple la mairie a racheté les bâtiments et a construit une salle. DOnc ok, là il faudrait que la mairie rachète les bâtiments pour construire une salle à côté. Je crois que c’est pas à l’ordre du jour, c’est pas pour demain, mais je sais pas. Moi là dessus...je ne peux pas moi dire «bon, on va faire une deuxième salle!». J’en ai pas les moyens financiers, alors on peut avoir des crédits des aides et tout ça, mais que la mairie aura plus facilement que nous et dans des proportions plus intéressantes. Donc pour le moment, moi j’ai pas entendu parler de ça à Blain. Mais je sais que beaucoup de gens le demandent en effet, ils seraient contents. -Ah oui? -Ah oui une deuxième salle oui. Trois et quatre ça sert plus à rien. Faut se dire une chose, c’est pas parce qu’on fait... là on fait 35 000 entrées avec une salle. Si on en a deux on fera pas 70 000. C’est clair! Et puis si on en a trois on fera pas 100 000. Par contre ça permet d’offrir plus de films, plus de séances, c’est ça qui est intéressant. Par contre, il y a aussi un truc, si on a trois salles, on multiplie aussi les frais par trois. Les frais de chauffages etc. L’hiver le chauffage de la salle ça coûte une petite fortune. Enfin bon après il y aura davantage de personne à aller au cinéma puisqu’on aura multiplié le nombre de séances. Mais là-dessus je suis incapable de vous répondre pour le moment. -Ah non mais c’était juste pour avoir votre avis, savoir si la question s’était posée ou pas... -Ah bah je sais que les gens, enfin certains en tout cas seraient contents oui. Moi ça m’intéresserait aussi personnellement! Mais j’ai pas les cordons de la bourse! Absolument pas. Nous on est une association loi 1901, c’est à dire à but non lucratif donc financièrement là c’est pas possible. On peut même pas y penser une seconde. Mais bon voilà. C’est pour autant qu’on ne peut pas espérer. -Et au niveau de la fréquentation du cinéma, elle évolue comment sur les dernières années? -Elle augmente tous les ans, cette année, je ne sais pas, l’année est pas finie! Mais pour le moment on doit être à 7% de plus que l’année dernière. L’année d’avant ça avait 149


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aussi augmenté de 7 à 8%. Après ça dépend des films! On est en zone rurale. Les films qui marchent ici ne marche pas forcément à Paris par exemple. C’est très rare. C’est pas les mêmes. -Oui j’ai vu que vous reprogrammiez Au nom de la terre. -Oui par exemple. On va le refaire au mois de novembre là. Et oui parce qu’on fait salle comble à chaque fois. Mais faut dire qu’on est dans un milieu rural. Les parisiens ils en ont rien à faire de ça! Et inversement il y a plein de films qui marchent à Paris qui ne marchent pas ici! Ici ce qui marche le mieux c’est les comédies françaises. Une bonne comédie française, ça marche. On reste terre à terre par ici. -Et vous avez des animations avec le public un peu? -Des animations? Ah oui on en a! -Qu’est-ce que vous faites? (il pousse un léger soupir en réflechissant à sa réponse) Beaucoup de choses? -Alors! On va commencer par les petits! On a une fois par mois Les petits au ciné. En général un film qui dure pas plus d’une heure le dimanche matin. Pendant les vacances scolaires on a des films tous les jours, tous les les après-midi. Et on a au moins un Ciné-goûter par vacances scolaires. Donc c’était la semaine dernière là. Donc il y a un film, il y a un goûter derrière, etc, une animation par une fille qui est en service civique. Sinon par exemple jeudi dernier avec Au nom de la terre on a reçu le président de la chambre d’agriculture de Loire Atlantique, qui est venu débattre après le film. Donc on a, alors pas des soirées débats, j’aime pas trop ça, mais plutôt un échange. Alors soit c’est nous qui les organisons, autrement sinon on travaille beaucoup avec les associations de Blain. -Ah oui? -Oui, des associations qui nous demandent une soirée avec un film en particulier, sur lequel ils veulent discuter quoi. Donc ça on le fait disons 4 ou 5 fois dans l’année. On a aussi les opéras et les ballets 6 fois dans l’années. Qu’est-ce qu’on a encore? Les Ciné-Séniors tous les derniers lundis du mois. Alors ça s’appelle Ciné-séniors mais c’est pour tout le monde hein! Lundi dernier il y avait aussi bien des gamins de 10 150


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ans que des gens qui venaient de la maison de retraite! On fait aussi le Cinéma-Différence, on est les seuls dans le coin à le faire, le cinéma-différence qui est un...alors c’est pareil c’est pas des séances qui sont exclusivement réservées à certains, donc là les personnes en situation de handicap, mais c’est ouvert à tout le monde dans le but d’avoir une mixité dans la salle. Sur Blain c’est organisé par une association de Blain qui s’appelle Ex-aequo, mais Cinéma Différence est une association nationale qui est relayée sur Blain par Ex-aequo, et c’est un association qui est parrainée entre autres par Sandrine Bonnaire qui a sa soeur je crois qui est handicapée, donc ça, ça se fait tous les deux mois, quatre fois dans l’année, donc c’est à dire à partir de la rentrée jusqu’au mois de mai. Donc voilà, un samedi tous les deux mois. Sinon qu’est-ce qu’on a d’autres? Demain c’est la soirée Haloween, tous l’après-midi et ça finir à 2h30 vendredi matin! -Et ça marche bien? -Ah oui ça c’est une soirée qui va faire 400 entrées! En deux films, et faut savoir que le dernier film et à minuit, enfin 23h45 je crois. Et il dure 2h45! -Et vous avez un public jeune qui vient à ces soirées? Parce que j’entends beaucoup parler des 15-25 ans qu’on ne voit pas assez au cinéma soit-disant, ici c’est comment? Vous disiez que vous aviez pas trop de données sur le public mais qu’est-ce que vous observez? -Oh il y a de tout! Au niveau des âges on voit bien, il y a de tout. On aurait plus de jeunes peut-être que ça serait mieux, c’est peut-être eux qui viennent le moins, la majeure partie c’est vrai c’est plutôt 30-60, les adultes quoi. A part là pendant les vacances vous avez plein d’enfants, ils sont avec Papy et Mamie. Voilà. -Et vous faîtes de la publicité avant les films? -Oui. -Et c’est avec des commerces du coin, de Blain? -C’est local, plutôt régional oui. Mais c’est pas nous qui nous en occupons, c’est un prestataire qui nous envoie ça, nous on fait rien. -Et sur Blain il y a d’autres équipements culturels mis à part 151


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le cinéma? A Héric j’ai vu qu’il y avait une médiathèque par exemple... -Ici il y a une médiathèque aussi. -D’accord! Et qui est où par rapport au cinéma? -Là juste à côté, enfin à 200 m. -Et j’ai vu que vous étiez voisin du centre socio-culturel, est-ce qu’il y a des choses qui se sont mis en place, des relations? -Non, niveau culture non. La médiathèque c’est tout. On n’a pas de salle, pas de salle de spectacle. -D’accord donc la salle de cinéma elle ne sert pas des fois à autre chose? -Très rarement, ça arrive pour l’Université permanent. -Qu’est-ce que c’est? -C’est pareil, c’est une association de Blain, ils ont des intervenants je sais plus...tous les mois je crois, donc on fait ça 5/6 fois dans l’année. Mais là c’est une location de salle en fait. Rien de plus. silence Bon on a les écoles de Blain aussi, collège et lycée aussi. -Ah oui vous faites collégiens au cinéma tout ça? -Oui. Enfin on est partenaire du dispositif quoi. Ecoles, collègiens, lycéens et apprentis au cinéma. -Et vous voyez les gens revenir au cinéma? -Ah oui les jeunes oui. Oui, ils viennent déjà de toute façon. silence Et on a même une classe pour le cinéma. -Ah oui? -Du collège Saint-Laurent, qui est une classe de...cette année je crois qu’ils sont 30. Et donc ils viennent 2, 3, 4 fois par an, on leur explique les techniques du cinéma. (Je fais mine de prendre beaucoup de notes!) long silence -Je ne sais pas si il y a des sujets qu’on n’a pas abordés et qui vous semblent importants? -Ecoutez...je sais pas, le plus important dans le cinéma et tout le monde vous le dira c’est la programmation, donc on en a parlé...après tout est important, oui...non mais je crois qu’on a fait le tour! Les scolaires peut-être...puis voilà, qu’est152


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ce que je peux vous dire de plus? Les animations...bah on aura Star Wars demain et au mois de décembre on aura bien sûr...euh qu’est-ce que je raconte moi? -Halloween demain et Star Wars en décembre? -Oui voilà, donc animé par la même équipe de bénévoles, des jeunes. Et puis...et puis voilà! -Si peut-être, vous disiez qu’au niveau des bénévoles il y avait un panel assez large en termes d’ages, ils se mélangent entre eux? Comment ça se passe? -Ah oui oui. -Oui pendant les séances j’imagine ça doit discuter un peu? -Ah oui, on n’a pas des équipes de que de jeunes, ou que d’anciens, non non c’est mélangé. -Je sais pas peut-être que certains veulent rester entre amis, comment ils s’organisent pour choisir des créneaux? -Ah bah il y a des chefs d’équipes qui choisissent leurs séances et après chacun se réparti. Moi que ce soit Pierre Paul Jacques ça m’est égal, ce qu’il faut c’est qu’il y ait du monde. Là il y avait du monde, on a quand même plus de 100 personnes dans la salle. Voilà, l’équipe qui était là ce sera pas la même ce soir! -Vous avez une salle de combien de places ici? -278...places publiques. -C’est à dire? -C’est à dire qu’elle en fait 282, il y a 4 places qui sont réservé au service. Et 278 dont 7 places handicapées. 7 places PMR. silence -C’est possible de faire un petit tour du cinéma? -Oui donc là vous avez la cabine de projection [...] L’entretien se termine par une rapide visite du cinéma, sans beaucoup de commentaires.

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Entretien réalisé le mercredi 06/11/19 à 11h au cinéma Eden 3 à Ancenis. Le directeur me reçoit dans le vaste hall d’entrée du cinéma, vide à cette heure de la journée. Son portable et sa tablette sont posés à portée de main sur la table basse autour de laquelle nous sommes assis sur de confortables fauteuils. 154


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Ronan Keroullé - Alors je vous réexplique rapidement, je termine mes études d’architecture, je travaille au laboratoire du CRENAU, qui est le laboratoire de l’école d’architecture de Nantes, donc c’est de la recherche en urbanisme, en sciences humaines et sociales, et ce que je fais ça s’inscrit dans un travail qui s’intéresse aux modes d’habiter en périphérie de Nantes, et donc moi plus particulièrement je travaille sur les pratiques culturelles de ces habitants et plus précisément sur les salles de cinéma associatives. Donc j’étudie plusieurs salles, je rencontre des bénévoles, et ce qui m’intéresse en fait c’est d’avoir votre regard à la fois sur votre propre pratique, comment vous êtes arrivé là, ce que vous mettez en place, le regard que vous avez aussi sur les pratiques des publics qui viennent...pour commencer peutêtre que vous pouvez me parler d’où vous venez? Comment vous arrivé ici, comment vous êtes devenu président de cette association? Patrice Leriot - D’accord, très bien! Donc moi je suis président de cette association depuis 2012, mais auparavant je faisais déjà partie de l’association depuis le début 2000 où j’ai du incorporer ce qui existait auparavant, c’était le ciné-club Anceniens qui était une section de l’association Louis Lumière. A ce moment-là je suis rentré dans cette section qui proposait surtout des animations autour du cinéma. Qui donnait à voir, qui essayait de proposer des séances...alors d’art et essai, mais pas du film du milieu, on essayait de proposer des films qui soient assez exigeants, donc en les accompagnant, en proposant une présentation, en faisant quelque chose autour du film, en amont et pendant le film. Cette section, ce cinéclub avait un autonomie, une liberté de programmation, il était assez isolé dans le cinéma existant. C’est à dire qu’il y avait une programmation tout-venant et le ciné-club. Et moi donc j’étais responsable de cette section et j’ai incorporé le conseil d’administration de l’association Louis Lumière en 2010. Ou en 2009. Enfin dans ces eaux-là, et donc le cinéclub en tant que tel n’existait plus en tant que section mais était complètement incorporé dans la programmation Art et Essai. Et on a créé à ce moment-là un comité d’animation de 155


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l’association Louis Lumière, qui était dédié à l’ensemble des animations qui pouvaient être développées dans ce cinéma. Alors c’était pas ce cinéma actuel, c’était l’Eden 2 qui était un monosalle, quelque chose d’assez...dans l’historique de cette organisation, il n’y avait qu’un salarié à l’époque et une trentaine de bénévoles qui faisaient fonctionner l’ensemble du cinéma, la projection, l’accueil, la caisse etc. Donc création du comité d’animation qui va aller sur une proposition d’animations qui ponctuent tout au long de l’année l’activité du cinéma, donc il y a la programmation, on voit bien, de films... porteurs. L’idée c’est qu’en fait on ne s’empêche rien du tout dans la programmation.Bon...c’est essentiel de proposer un peu toutes les possibilités mais il nous semble important de faire...enfin d’apporter toujours un accompagnement à certains films. Alors il y a plusieurs objectifs, ça peut être pour film très difficile et d’avoir de la médiation, mais on ne se limite plus maintenant aux films d’Art et Essai, c’est à dire que tout film qui peut...par exemple il y a une grosse demande actuellement sur le...partenariat de territoire, c’est à dire de quelle façon on arrive à faire du cinéma un outil de développement local donc ça tourne autour de démarches de films qu’on appelle Ciné Citoyens, Ciné Rencontre, donc de proposer...il y a beaucoup de thématiques autour de l’environnement, mais pas que ça, c’est à dire qu’à chaque fois qu’on propose un film dans ce type de démarche on essaie que ce soit une demande d’un acteur du territoire. Si c’est une association sur l’environnement qui nous propose, ou les viticulteurs du coin...enfin d’avoir un film en rapport, et ça a un certain succès. Et ça c’est depuis le début des années 2010 qu’on a commencé à proposer ça, on a aussi le Premier Cinéma pour les enfants, et le P’tit Ciné du dimanche, des ciné-rencontres, Ciné Passion, le Ciné Club et devenu Ciné Passion, donc c’est des films toujours d’un certain niveau d’exigence qui ne trouve pas de...enfin c’est pas facile de faire venir, on a proposé aussi avec le cinématographe dans le cadre du réseau SCALA auquel nous appartenons les mardis classiques, donc des films du patrimoine que nous passons toujours avec une présentation faite des bénévoles d’autres associations. On a enrichi la proposition d’animation 156


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avec les soirée Théma les samedis soirs avec deux films. Un temps convivial entre les deux films, c’est très varié, ça peut être du Western, la dernière fois c’était animation japonaise, donc une fois par mois il y a une mobilisation comme ça. On a aussi enrichi...enfin voilà la palette, il y a Le lundi c’est l’eden en direction des maisons de retraite, des EHPAD, de faire que... (Son téléphone sonne, il regarde le numéro, ne décroche pas) Donc...j’en étais où là! 2000 j’incorpore l’association, j’en deviens le président en 2011, et il se passe depuis un travail sans relâche pour faire que ce projet puisse exister, naître, donc en lien avec les partenaires locaux, la COMPA, au début on a commencé à négocier avec la mairie d’Ancenis, avant les élections municipales en 2013, donc en 2012 on a mis un peu la pression parce que le cinéma devenait ingérable en termes de qualité d’accueil c’était plus possible. R - C’est ça qui a vraiment motivé le changement ? P - Ah oui, et puis bon, passer de une salle à trois salles, c’était un sacré gap aussi, de passer sur...de proposer tout en étant une association, on est la seule association de Loire Atlantique qui gère un cinéma de trois salles, donc il a fallu évoluer, on est à trois salariés maintenant et 90 bénévoles, donc en charge de l’ensemble des activités, caisse, projection, accueil, vente de confiserie, animation! Dans ces 90 personnes il y a le comité d’animation qui est vraiment une force à part entière, c’est quelque chose qui a été réussi, c’était pas gagné, avant c’était vraiment à part, et moi je...on n’est pas là pour faire du commerce! La dimension qui me porte c’est bien de continuer à faire qu’un cinéma différent puisse exister. (Pause avec ouvriers qui réparent l’étanchéité du toit, problème d’infiltration) On en était où? Donc oui la place de l’association elle reste toujours aussi forte, avec des interrogations à moyen-long terme sur l’avenir (il parle sur un ton presque confidentiel), il y a plutôt des signes très encourageants en termes de fonctionnement de billetterie, de vente...on est plutôt très...l’estimation qui avait été prévue lors de l’étude de 157


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marché qui a été faite en 2012-2013 et qui prévoyait 70000 entrées par an on l’a explosé, on sera plus à 110 000 120 000 entrées, avec des signes encourageants, parce qu’on avait une cible notamment sur les moins de 25 ans qui représentent maintenant 25% du public qui vient dans ce cinéma depuis l’ouverture, on a aussi...voilà il y a une appropriation! Il y avait une véritable attente de ce cinéma, donc qui pose après des questions pour les autres salles autour, je sais pas si ça vous intéresse? R - Si, si bien sûr! P - Donc le cinéma à 3 salles, un cinéma de pays, promu par la COMPA, donc ça interroge sur les cinémas qui sont à la limite, les monosalles qui sont toujours dans le pays d’Ancenis. Alors il y a un bruit qui court, pas que au niveau local, c’est national, c’est la fin des monosalles. Enfin il y a quelque chose qui se joue de ce côté-là, et les multiplexes de 20 salles c’est aussi quelque chose qui prend fin, les gros groupes se replient sur du 5, 6 salles maximum, et les chiffres que je donne à voir là, s’ils avaient été connus par un gros groupe commercial privé, peut-être qu’ils y seraient allés! A l’époque c’était pas...70 000 c’était pas assez intéressant, là on va avoir un chiffre autour de 120 000 entrées qui fait qu’il y a une zone de chalandise qui aurait pu tenter un groupe commercial, ils auraient pu le faire, il y sont pas allés et tant mieux! Et il y a aussi un positionnement intéressant en termes de nouvelles...perspectives de la ville d’Ancenis, près de la gare avec un projet de ZAC qui va se poursuivre sur 10-15 ans, il y a vraiment un potentiel intéressant. Après, la structure associative, bon, je suis président je vais pas vous dire du...je pense qu’avec 90 bénévoles il y a des choses qui se jouent en termes de relations entre bénévoles, salariés, activités professionnelles. Bon, la professionnalisation peut être portée par des bénévoles, ça c’est clair et net, on le voit tous les jours, mais avec des limites quand même en termes de responsabilités, qui font que voilà, ça incombe au président...mais il y a besoin d’avoir des...d’avoir la possibilité de s’appuyer sur une organisation, donc actuellement il y a deux assistantes de direction, donc une en charge de la programmation du programme d’éducation à l’image, qui 158


Entretiens

travaillent avec les écoles et une autre qui est plus sur la question de la compatibilité, la relation avec les bénévoles et aussi le côté technique, donc à terme, il y a certainement il y aura certainement une évolution du nombre de salariés. Donc voilà, le cinéma est géré et exploité par l’association, c’est nous qui sommes exploitant de la salle, mais le bâtiment appartient à la COMPA, la maîtrise d’ouvrage c’est eux. Et ça a été confié à un architecte lillois en binôme avec un architecte anceniens. Le cabinet TRACE à Lille, qui a conçu le cinéma, avec bon une grosse...quand on est à l’intérieur, il y a une volonté par le maître d’ou rage de faire un signal architectural comme on dit! (rires). Quelque chose qu’on aurait peut-être pas fait si on avait été en maîtrise d’ouvrage, voilà, c’est quelque chose de très important pour le plan de mandat actuel du maire et du président de la COMPA qui est une seule et même personne qui fait que ça...c’est l’investissement du mandat, du pays d’Ancenis. Avec peutêtre...des déchetteries je sais pas! (rires) R - J’aimerais revenir sur ce qui a motivé le passage de l’Eden 2 à l’Eden 3, vous parlez de capacité d’accueil qui était saturée, donc peut-être revenir sur les pratiques des gens qui viennent au cinéma, quels changements vous avez pu observer, quelles attentes il y avait, qu’est-ce qui n’allait pas là-bas...? P - Oui...alors il y a deux entrées, ceux qui exploitent et le public qui vient. Pour le public, enfin...en tant qu’exploitant c’était pas satisfaisant pour l’accueil du public, il n’y avait pas d’accessibilité, 2 toilettes pour 240 places, les normes d’accessibilité donc c’était pas du tout ça...enfin je vous dis les points les plus saillants...l’accessibilité pour moi c’était rédhibitoire pour continuer à exploiter cette salle, la question de la sécurité des publics, le confort d’assise... R - Elle datait de quand cette salle ? P - 1960! Elle avait déjà bénéficié de travaux et d’investissements dans les années 80, mais là on arrive à la fin d’un cycle, et là ça faisait quelques années qu’il y avait des négociations sur l’avenir du cinéma, poursuivre sur le même site ou changer d’emplacement...poursuivre sur le même suite ça aurait été porté par nous en direct mais...on 159


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se rendait bien compte que la question des stationnements était problématique aussi. Sur les questions de projection on était plutôt pas mal, on était une des premières salles à s’équiper en numérique au début des années 2000, le son était très bon...donc je vous dis c’était surtout sécurité, confort, accessibilité...et chauffage! Confort et capacité d’accueil d’avoir un hall digne de ce nom! On avait un hall qui faisait 30 m², donc dès qu’on faisait une soirée c’était galère! Donc ça pour le public c’était problématique et pour nous aussi, le bâtiment était truffé d’amiante aussi! Donc c’était soit le cinéma disparaissait...nous on a tenu, on a tenu jusqu’au bout, c’était une bonne dynamique quand même, on a conservé le nombre de spectateurs...moi quand je suis arrivé en 2010 on était à 30000 spectateurs, on a fini à 40/42 000 à la fermeture en 2018. Donc 42 000 spectateurs pour une salle c’est plutôt pas mal, on est sur un bon ratio, sur un territoire en développement démographique assez important, enfin sur le secteur d’Ancenis je vous parle, la première couronne, deuxième couronne d’Ancenis, après...ça devient plus...enfin tout ce qui est au Nord Loire à 15-20km d’Ancenis c’est des zones de plus grande précarité et pauvreté. Donc voilà. On avait pas de locaux administratifs, pas de bureaux, enfin rien à nous! R - Et au niveau des espaces extérieurs autour du cinéma, il y avait un petit parking à côté il me semble, je suis passé devant l’autre jour... P - Oui un tout petit parking de 6 places! R - Et il y avait d’autres équipements à côté? P - Une médiathèque...mais on reste sur le même positionnement centre, avant on était plus sur le centreouest, et là on est au centre-nord, mais d’avoir conservé l’emplacement du cinéma dans le centre-ville c’est quand même un véritable plus! R - Et vous parliez de la médiathèque, ça se passe comment entre «équipements culturels» au sein de la commune? P - Euh...ça se passe plutôt pas mal, nous on essaye de... jusqu’alors on était en position pas très visible, pas en capacité de négocier, maintenant on est le plus gros établissement accueillant du public à Ancenis, donc l’idée c’est pas de faire 160


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de ...qu’on n’ait pas d’hégémonie aujourd’hui, d’essayer de reprendre contact avec eux pour créer des relations dans un partenariat...ma collègue est en contact avec le lycée Joubert d’Ancenis, l’idée c’est de travailler sur des conventions avec l’ensemble des partenaires locaux, médiathèque, quartier libre...mais c’est de s’entendre peut-être sur des programmations croisées. Nous à la différence du spectacle vivant c’est qu’on a une capacité d’adaptation bien plus importante, on peut programmer comme on veut. On peut se caler sur ce qu’ils font déjà...et nous le projet qui a été présenté et retenu à la CDAC, donc au niveau du ministère de la culture, et du CNC, en 2017, toutes les grandes lignes que je vous dis, les projets d’animations de développement, c’est les grandes lignes du projet de ce cinéma, comme on est un équipement certes culturel, mais populaire, ouvert à la diversité de programmation, voilà on est agréé Art et Essai pour autant, voilà on passe près de 60% de nos fils sont Art et Essai, ça représente 40% des séances, mais on essaie de laisser le choix, les priorités c’est aussi tout ce qui est en direction des écoles, des collèges, ce qui est assez invisible d’ailleurs. Il y a trois semaines on présentait aux bénévoles le projet d’éducation à l’image, la plupart ne savait pas trop ce que c’était, ils sont là en bénévolat le soir et le weekend, mais il se passe d’autres choses dans le cinéma, ce matin il y avait encore des maternelles qui étaient là, voilà il y a une demande forte... R - Et justement au niveau des bénévoles, enfin déjà vous, vous êtes arrivé là plus par cinéphilie vraiment ou plus une volonté de s’investir dans une association? P - Les deux, enfin j’étais d’abord cinéphile, je voulais m’engager, je suis intéressé par le cinéma dans sa diversité, je voulais pas me cantonner dans une certaine cinéphilie...par exemple j’essaye de donner à voir tout ce qui est la question des genres au cinéma, le polar, le western,...il y a des soirées à thèmes, j’essaye de décloisonner, mais depuis que je m’occupe d’un cinéma je suis jamais aussi peu allé au cinéma! Donc là je suis passé de l’autre côté, mais je travaille toujours à côté, je travaille pour Nantes Métropole, mais j’ai pour projet de me...je fais une VAE à la Fémis actuellement pour devenir 161


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directeur d’exploitation cinématographique, donc je finis à la fin de l’année, là aujourd’hui c’est mon jour de congé j’écris mon mémoire, en vue de passer directeur, enfin on verra en fonction des ressources mais ça me semble envisageable, je le proposerai à mon conseil d’administration...après voilà ça fait dix ans que je suis président, donc il faut aussi trouver sa relève...j’ai essayé d’installer un collectif, ce qui est un peu difficile quand on est à la Fémis, il faut dire «je, je je», et ici c’est plus dans le «nous, nous, nous», mais enfin je fais l’exercice là, j’essaye de dire «je» alors que bon, tout seul j’aurais pas fait grand chose. R - Et le bénévoles qui sont là, alors je sais pas si on peut vraiment dire qu’il y a un profil type mais... P - Si quand même! R - Ah oui? P - La grande majorité des bénévoles sont retraités. On est bien à...70%! Après les personnes en activité...moi je consacre du temps mais je suis pas trop dans la quotidienneté du cinéma, ce que je fais quand je travaille sur les dossiers je peux le faire de chez moi, ici... R - Oui donc vous vous n’êtes plus du tout à la caisse ou à l’accueil? P - Non! Caisse, accueil, projection je n’y touche pas. Je suis un peu sur le comité d’animation, donc tout ce qui est accueil des délégations, travailler sur le festival...et donc oui c’est grossomodo caisse, accueil, projection la grosse cohorte, c’est 70 personnes environ. Et donc...elles sont retraitées, jeunes retraités, en général c’est personnes en tre 62 et 67 ans, donc des personnes qui viennent d’accéder à la retraite, qui s’investissent ans compter, au-delà des limites caisse-accueil-projection, donc qui peuvent être amenées à dépanner sur l’informatique...on a un engagement fort! Alors c’est ce que je dis souvent mais on est sur un vivier du catholicisme social à Ancenis, à Nantes ça existe aussi mais à Ancenis encore plus, donc avec des personnes qui donnent de leur temps sans compter. Donc avec une organisation d’association classique, bureau, conseil d’administration, et un grand nombre de commissions: caisse-accueil, animation, projection, sécurité...on a 7 commissions...on a 162


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aussi un journal (il se lève et va chercher dans les papiers en libre service). Bon là c’est un vieil exemplaire il manque deux pages. Donc normalement c’est un journal de 6 pages, là il vous manque les deux pages intérieures, je vous le donnerai, je doit en avoir dans mon bureau. Et on a travaillé à l’élaboration d’un journal interne, devant le nombre, puisqu’on est passé de 34 bénévoles à 90, donc un bulletin interne qui s’appelle ADN. R - C’est une petite entreprise presque! P - Bah oui, oui, il faut installer ça, en le faisant toujours de façon collaborative, parce qu’on a des bénévoles qui ne se voient pas sur 90, donc il y a ce bulletin interne et aussi des temps de rencontre, on multiplie aussi les temps conviviaux pour que tout le monde fasse connaissance. R - Et donc pour en revenir aux bénévoles d’après ce que vous disiez ils sont plus là pour rendre service, plus que pour le côté cinéma? P - Oui, oui, après il y a toujours le comité d’animation qui est très impliqué sur la programmation, on a un comité programmation aussi, 4 personnes, dont 1 salarié, qui est en lien avec CinéDiffusion qui est ce qu’on appelle une entente de programmation. R - Et vous, vous avez un regard là-dessus? P - Oui bah moi j’ai travaillé à l’élaboration de la ligne éditoriale donc après...alors je peux donner mes préférences parfois, mais je n’ai pas le final cut sur ce qui est à l’affiche, tant que ça respecte la ligne de programmation voulue. (Il va me chercher un programme) Donc vous voyez la programmation à peu près...et vous votre travail c’est une commande? R - Non en fait ça s’inscrit dans le cadre d’une thèse. Donc je travaille avec une doctorante qui en est à la rédaction de sa thèse qui travaille elle plus généralement sur les périphéries des villes et leurs habitants, et donc moi ce que je traite c’est une sous partie de son sujet à elle qui porte sur les pratiques culturelles...et on a été mis en contact aussi avec la SCALA pour avoir des informations sur les différentes salles. P - D’accord, c’est la SCALA qui vous a fléché l’Eden? R - Ah non non, ça venait de nous, on avait envie d’étudier 163


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ce territoire-là, là pour le moment on a vu quelques cinémas sur la côté, Le Pouliguen, Le Croisic, et après on a aussi vu Blain, Héric,... P - Ah ouais ça bouge beaucoup vers là-bas, il y a plein de cinémas qui sont en train de se...bah Héric ils passent à trois salles et Nort-sur-Erdre je crois aussi...bon on en était où... pour les bénévoles en tout cas on a intérêt à garder des bénévoles qui soient actifs, parce que tout ferait qu’on ne soit qu’entre personnes retraitées, et c’est pas toujours... R - Vous arrivez à «recruter»? P - Oui oui, après des gens qui font leur taf la semaine et qui se retrouvent à faire...parce que quand on est dans une activité mesurée et qu’on se retrouve, la semaine dernière on avait «Hors-norme» plus «Joker» et tout, donc 500-600 personnes à gérer à chaque créneau horaire, c’est tendu hein! Et puis bon on à affaire à des gens qui sont des clients! Enfin pas tous, il y a un comportement de gens qui découvrent un cinéma à Ancenis et qui gardent un comportement qu’ils auraient dans un multiplexe à Nantes. R - Ah oui? Vous avez senti un changement? P - Ah oui! Ils comprennent pas quand c’est complet, ils comprennent pas...certaines choses. (silence, il ne renchérit pas) R - D’ailleurs avec ce nouveau projet vous avez du avoir des études de faites sur le public? P - On a eu une étude de marché faite par le cabinet Vuillaume, il y a deux cabinets qui se partagent le marché au niveau national, et on a eu trois études de marché qui se sont succédées. R - Donc vers 2012 c’est ça? P - Mmmh....dès 2008 je crois, 2008, 2010, 2012, et là je l’ai réactualisée récemment pour prendre en compte l’évolution démographique, quand je vous disais tout à l’heure qu’on passait de 70 000 à 120 000, c’est pas que l’étude de marché était bidon, c’est que il s’est passé 7 ans avec une évolution démographique énorme, +20% sur le pays d’Ancenis, donc voilà, ça coïncide avec... R - Et qu’est-ce qu’il en ressortait de ces études? P - Et bien il s’avère qu’il y a deux cibles que l’on doit... 164


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enfin sur lesquelles il nous semble important de travailler. Le public jeune, donc on voit bien des éléments, des signes encourageants, et le public qui va sur Nantes voir des films Art et Essai qu’on n’a pas nécessairement récupéré...et puis ils sont plus consommateurs de...enfin ils lisent Télérama quoi! rires Enfin il y a deux choses qui se jouent...voilà les gens ayant un capital culturel élevé, c’est souvent des enseignants, qui avant était vraiment positionnés sur un territoire et qui n’en bougeaient pas de toute leur carrière, jusqu’aux années 80/90 il y avait une présence assez forte des enseignants je pense, enfin c’est mon hypothèse, à vérifier mais j’ai l’impression qu’il y en a qui s’éloignent, qui veulent plus forcément rester dans un terroir. Donc des profs qui restaient toute leur carrière à Ancenis commencent à...(il claque des doigts) Il y a plus du tout la même implication. Et on le voit, moi je m’en aperçois, on en n’a presque aucun, on a peut-être un prof dans tout le CA. Peu d’enseignants, d’investissement, d’engagement...alors est-ce qu’ils continuent de consommer en extra-territorial, est-ce qu’ils ont autonomisé leur pratique en s’équipant dans leur propre foyer...je pense qu’il y a de ça aussi...et puis ouais on l’a vu entre le moment du ciné-club qui existait et puis...après on a ouvert plus des séances Art et Essai. Après ça serait à vérifier, faudrait qu’on fasse une étude là-dessus, donc l’étude de marché disait qu’il fallait avoir une attention pour ces publics-là qui étaient des grands consommateurs de cinéma donc il fallait...là je demande à avoir des éléments qui disent quelque chose ou l’inverse, il faudrait voir... Sinon pour les public...bah la découverte d’un cinéma populaire, on voit que ça se concrétise, il y a des gens qui franchissent à nouveau le pas, alors que je crois que là, un Français va deux fois au cinéma par an en moyenne, là je crois qu’on a...c’est à dire que l’étude de marché de 20122014 donnait à voir une faible pratique du cinéma, là on s’est renforcé. Il y a un public nouveau. R - Et je me demandais s’il y avait des gens qui viennent au cinéma sans savoir forcément ce qu’ils vont voir, enfin je sais pas si vous pouvez me répondre mais est-ce qu’il y a des gens selon vous qui viennent au cinéma juste pour le plaisir 165


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d’aller au cinéma plus que pour le film? P - Si, si, il y en a qui débarquent, ils viennent voir un film, il y est pas, donc ils vont voir un autre. Là par exemple, la semaine dernière on avait un couple qui venait voir Joker, ils étaient pas à la bonne heure, je les ai fait se rabattre sur Hors-normes, voilà après c’est sur certaines catégories de film, ça aurait été peut-être plus compliqué de les faire se rabattre sur je ne sais plus quel film qui était en même temps mais qui était quelque chose de plus pointu, qui peuvent faire un peu peur si on est pas minimum intéressé par le sujet... R - Et vous avez une idée de jusqu’où vous attirez des spectateurs? P - Les études de marchés en milieu...rural ou périurbain je sais pas, Ancenis j’ai du mal à caractériser, mais on n’est pas dans l’aire urbaine de Nantes, Ancenis a son aire urbaine propre. Mais donc l’étude de marché se base sur une Zone d’Influence Cinématographique, une ZIC, et la ZIC correspond à une capacité des publics à se déplacer pour aller au cinéma en dessous de vingt minutes de voiture. Au dessus, à 20-25 minutes ils vont réfléchir à deux fois avant de prendre la voiture ou avant d’aller vers une autre ZIC qui est peut-être la leur, par exemple quelqu’un qui habite à Mauvessur-Loire, c’est pas encore notre public. Le Cellier ça l’était déjà un peu auparavant et ça le devient plus aujourd’hui. De l’autre côté...Varades...alors il y a d’autres cinémas, c’est ce que je disais tout à l’heure, comment faire pour ne pas... on n’est pas des killers, le problème des chiffres dont on a connaissance aujourd’hui par rapport à notre cinéma laisse à voir une dégradation dans la fréquentation des salles de Saint-Mars-la-Jaille qui est à 25-30 minutes et à Ingrandes qui est aussi à 25-30 minutes mais à l’Est. Donc qu’est-ce qu’on peut faire par rapport à ça nous...donc la COMPA est alertée par les villes d’Ingrandes et Saint-Mars...euh...la solution...(rire gêné)...moi je vois pas de possibilité de s’en sortir pour eux avec uniquement du cinéma commercial. Il faut qu’ils investissent, ce qu’on a fait nous, enfin il faudrait que la COMPA donne les moyens à ces salles de créer de la médiation. Donc c’est pas des salles qui appartiennent à la COMPA mais elles sont venus les voir en disant en gros 166


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«votre cinéma il fout la zone là». Et donc pour les solutions, je pense pas qu’ils aient besoin d’investissements, ils vont pas faire un trois salles là-bas, ça n’a pas de sens, mais d’accompagner via du fonctionnement, enfin bon...je l’ai jamais dit à la COMPA ça...mais je pense qu’ils ont pas besoin d’investissements. A la limite refaire des fauteuils, refaire des choses jusqu’à je sais pas, 200 000 euros, mais ça demande d’avoir quelqu’un à mi-temps qui fasse les salles du pays d’Ancenis, un médiateur du cinéma ou quelque chose comme ça. Nous on prendrait bien la main là-dessus! Non mais on n’a pas intérêt à déposséder un territoire, il faut que le cinéma continue à être vivant chez eux, après sans s’immiscer le problème c’est...est-ce qu’on est sur un partenariat associatif, est-ce que c’est la COMPA, la COMPA ils vont pas créer du fonctionnaire pour faire ça, ils vont déléguer. R - Et j’imagine qu’il y a quand même des gens qui viennent d’Ancenis-même au cinéma! Et au niveau des mobilités, bon il y a un parking conséquent donc j’imagine qu’il y a peut-être une majorité de gens qui viennent en voiture, mais à une échelle plus locale est-ce qu’il y a un public qui vient à pied au cinéma? P - Oui et bien dès que l’on vient en voiture c’est qu’on habite Saint Géréon, c’est l’extrémité de la «couronne» d’Ancenis, on a une grosse clientèle de Liré en sud-Loire aussi, Anetz...c’est là où...on étudiera ça quand on sera stabilisé à peu près, savoir d’où viennent, d’où vient le public, on installera peut-être un logiciel sur la caisse pour les compter. On est surpris de la venue d’un public qui vient d’assez loin en tout cas. Au-delà de Mésanger, qui est pour moi dans la zone d’influence qui doit se partager entre Saint-Mars-la-Jaille et Ancenis, et bien ils viennent ici, ils sont captés par nous. Alors ils viendraient aussi du sud-Loire, mais là on passe dans le territoire des Mauges...Beaupréau a un cinéma et il y a un projet de cinq salles qui est prévu...il y aune autorisation je crois de la SDAC... R - Très bien. Et j’aimerais revenir sur ce dont on parlais avant, sur les pratiques des publics avant et après les séances, surtout que là vous avez un hall assez important... 167


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enfin j’ai l’impression qu’il y avait des intentions que le public reste un peu ici de ce que je vois... P - Avant les séances on a un circuit de flux qui fait que les gens qui ont déjà leur billet passe par ce côté, les autres qui doivent prendre un billet c’est en fonction du début de la séance ils peuvent venir attendre ici. Alors on a nous la pratique un peu de «tiers-lieu» enfin je sais pas si c’est la bonne...d’espace d’attente, il commence à fonctionner, mais on a pas les capacités humaines pour pouvoir l’activer, quand on a une grosse affluence on arrive à être 7 personnes là, donc on a tout ce qui est vente de confiserie, nous on a pas franchise le pas d’aller vers la fonction de bar, enfin il y a des boissons, une machine à café, mais on essaye d’être en coopération avec les établissement d’à-côté. Le café-resto, donc nous on s’interroge surtout sur le dimanche qui est un jour où il n’y a pas de commerces ouverts. Qu’est ce que l’on pourrait faire...pour...changer ça...alors ça pose toujours la question d’aller au-delà de ce que nous sommes. Il y a un cinéma à Redon par exemple où il y a un restaurant, ils gèrent un resto et un café qui marchent très bien, mais qui n’est pas du tout installé dans un espace de concurrence. Donc tout ça, ça fonctionne très bien les soirs où on a des animations. On fait de cet espace un espace clos, l’autre fois pour la soirée animation japonaise on avait installé un buffet, des choses qui font envie quoi. R - Et la fréquence des animations ça serait quoi à peu près? P - Une par semaine. Après en novembre on en a beaucoup. R - Et vous parliez des relations avec les établissements d’àcôté, c’est quoi, c’est le bar qui est là-bas? P - Le café de la gare, et le...bon nous quand on a ouvert on a dit «qu’est-ce que vous pourriez faire?», et de notre ouverture en mai jusqu’au mois d’aout ils ont fermé tous les samedis donc...là ils sont repartis sur une autre façon de voir les choses avec une restauration rapide aussi... R - Oui parce qu’ils doivent profiter de votre arrivée j’imagine? P - Ils le disent pas comme ça...peut-être un peu le samedi, parce qu’on a installé une séance à 22h30, ça c’est intéressant, ça fonctionne vraiment bien. On a plus de cinquante séances par semaine quand même, c’est pas mal, 168


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sans compter les séances scolaires. R - Et les scolaires, je ne me rends pas compte, c’est toute les semaines? P - Oui oui oui. (il regarde son téléphone) R - Vous me dites si vous devez y aller, il y a pas de soucis! P - Non non, je regarde juste mes messages! (Je jette un coup d’oeil à mes notes dans mon carnet, fais un point dans ma tête sur les différents points de ma grille d’entretien) R - Ah et je me demandais, vous vous habitez Ancenis ou en dehors? P - Non j’habite à Oudon! R - Et ça fait longtemps que vous êtes dans le coin? Est-ce qu’il y a eu des changements? P - J’ai toujours habité à Oudon, j’ai déménagé à Oudon mais j’étais...je suis dans le secteur depuis longtemps! R - D’accord! C’est juste pour savoir un peu votre rapport à ce territoire... P - Oh moi je suis complètement incorporé dans le territoire! R - Et vous travaillez à Nantes c’est ça? P - Oui, je travailles pour Nantes Métropole, je suis en charge des questions de discrimination, donc je suis responsable d’une mission autour des politiques d’égalité. Je travaille beaucoup sur les question d’intégration, les quartiers prioritaires, la politique de la ville, etc. R - Très bien, je ne sais pas s’il y a des points qui vous semblent importants dont vous n’avez pas parlé... P - Non, on a quand même parlé des beaucoup de choses... voilà on évoquait la collaboration avec la maîtrise d’ouvrage COMPA c’était assez harmonieux quand même dans leur façon de faire, ce qui nous lie entre la COMPA et l’association c’est une convention, une délégation de jouissance, qui nous permet de disposer du lieu à titre gracieux, c’est pas une délégation de service public, parce que la COMPA n’a pas de compétences en matière culturelle et notamment le cinéma, ça c’est important parce qu’on a une marge de manœuvre assez intéressante, étant donné qu’ils n’ont pas de compétences culturelles ils ne s’immiscent dans aucun 169


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des aspects de programmation ou quelque soit le sujet, tout en ayant des notre côté certains éléments à respecter en termes de communication, de retour d’ascenseur , parce qu’il y a un investissement fort de la collectivité, à la fois financier mais dans le suivi aussi. Ils ont fait appel à nous parce qu’on était les seuls capables de répondre à cela, donc ça a été quand même un véritable échange, un partenariat qui a été créé. R - Et ça arrive que le cinéma serve à autre chose? La COMPA l’utilise? P - (il soupire en souriant) Ah, ça c’est la question...alors la COMPA dans la convention la seule chose qui est mentionnée c’est qu’ils auront leur conseil communautaire dans la salle trois, mais ça se fera l’année prochaine... R - Et sinon il y d’autres associations d’Ancenis qui viennent utiliser le cinéma? P - Alors on a...on bricole un peu là-dessus, on a eu une demande d’une grande entreprise ancenienne qui voulait nous louer l’établissement pendant deux jours, on a refusé, parce que voilà on n’est pas une cité des congrès, ils ont mis la pression, c’est remonté assez haut, ils avaient les moyens! On a refusé, le maire est allé dans notre sens, voilà c’est notre première année ici on va pas aller sur ce type de terrain, on peut louer la salle s’il y a une activité cinéma, France 3 loue assez fréquemment la salle pour faire des pré-visionnements, et sinon il y a l’université tous âges qui utilise la salle pour des conférences, mais il y a toujours une dimension audio-visuelle. Après on essaye de voir... si Tupperware veut bien nous faire, je dis n’importe quoi, une présentation de produit, on n’est pas allé là-dedans, on essaye d’éviter tout contentieux, parce que le problème c’est d’avoir une règle qui s’applique à tous et à toutes de la même façon, qu’il y ait une égalité de traitement. Parce que louer à une école c’est une chose, louer à un grand groupe privé c’en est une autre...donc ça sera sans doute les tarifications qui seront différentes, mais on n’a pas de...on a rien de modélisé pour l’instant. Et puis louer ça veut dire prestations, c’est capacité à faire, c’est qu’il y ait un régisseur son qui installe des micros, enfin c’est tout ça derrière, c’est pas... 170


Entretiens

uniquement une salle qu’on laisse comme ça. R - Oui c’est sûr. Et sinon les rapports avec la mission SCALA ça se passe comment? Ils me disaient qu’ils n’avaient pas énormément de répondant sur l’ensemble du réseau... P - Sur les 40 salles on doit faire partie des salles les plus actives dans ce réseau, on a une convergence de point de vue...SCALA c’est un réseau, on en fait partie d’office. De fait on peut bénéficier des services qu’ils proposent, je vous disais «Mardi Classique» ça peut être ça, le festival Playtime dont on est partie prenante, après il y a tout ce qui est formation, comptabilité, projection. Après sur la vision du cinéma...ce que je vous dis c’est les discussions qu’il y a chez nous, il y a une impression d’élitisme un peu des fois...mais bon moi je suis pour l’élitisme pour tout le monde! (rires) Mais pour certaines salles il y a un complexe d’infériorité je pense, mais ça, ça se règle chez le psy. Nous ils nous amènent un point de vue, souvent par dessus, voilà, ils sont financés sur une mission de service public...on peut pas être positionnés comme le Cinématographe. Eux ils ont 90% de leur frais de fonction ou 80 c’est des subventions. Mais par contre ce qu’ils font avec le patrimoine, avec les écoles, ils vont quand même assez loin. Après ils vont pas passer Joker quoi! Mais ils sont assez ouverts en terme de cinématographie par contre...parce qu’on fait des pré-visionnements avec eux, ça c’est super quoi! On en a vendredi dans quinze jours à Clisson, et toutes les salles SCALA qui veulent peuvent venir. R - Et vous, enfin vous me disiez que ça n’arrivait plus beaucoup, mais quand vous allez au cinéma, vous venez ici, ça vous arrive d’aller dans d’autres salles? P - Oui, bah des fois je suis à Paris, je viens ici une fois par semaine, après je vois souvent les films en amont sur une plateforme dédiée, sinon en festival beaucoup aussi, à Cannes...voilà parce que programmer sans voir les films c’est un peu limite. Les films qui sont au box-office on se doit de les passer, après il faut savoir à quel moment on les passe. On n’est pas obligé d’être sous le joug de la sortie nationale, on peut peut-être les passer en semaine 2, semaine 3...sur ces films-là on est assez surpris sur les demandes que l’on a. R - C’est à dire, vous êtes surpris comment? 171


Cinémas de petites villes

P - Par exemple le dernier Rambo on l’a passé en 4ème, 5ème semaine. Et les gens ont su attendre. On n’est pas obligé de...passer dès la sortie. On va bien la demande sur les réseaux sociaux, mais on peut nous temporiser un peu, pas y répondre sans réfléchir. Il y a pas le feu. R - Très bien. Et votre mémoire à la Fémis il porte sur quoi? P - Alors c’est un mémoire de VAE donc c’est un mémoire sur le fonctionnement du cinéma tel qu’il est, avec un peu un rapport d’étonnement, de réflexivité sur mes pratiques professionnelles, ce que j’en tire, à quoi ça sert... R - Et bien...je crois qu’on a parlé de beaucoup de choses! P - Vous voulez voir les salles? R - Oui bien sûr! Là aussi, l’entretien se termine par une rapide visite du cinéma.

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