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Anne Percin point de côté

lundi 26 juillet

J’aurais aimé commencer par un portrait. Court, neutre, sec et froid comme un signalement policier. Ça commencerait avec mon nom. On aurait tout de suite pigé l’ambiance. Avec un nom comme ça, pas la peine de mettre un nez de clown, on voit tout de suite qui je suis. Mon nom, je m’englue dedans et ça m’empoisonne. C’est ce qu’il y a de moins neutre, de plus chargé en symboles, en hérédité, en jeux de mots à la con. Pierre, déjà, c’est triste, c’est dur, c’est froid. Pierre tombale. Si j’ajoute mon patronyme : Mouron, ça devient presque marrant, tellement c’est lugubre.

Pierre Mouron.

Plus lourd, tu coules.

Sept ans plus tôt, ç’aurait été plus léger. J’aurais dit par exemple : « Nous sommes les jumeaux Mouron, nous sommes petits, nous avons les cheveux bruns, bouclés, la peau mate. Nos yeux gris ont la couleur de l’agate dans le Guide des cristaux et minéraux de Papa. » On aimait bien les cristaux, on se voyait chercheurs d’or, dénicheurs de trésors. Désormais, je suis passé du pluriel au singulier, et je ne crois plus qu’on peut trouver de l’or dans les cailloux.

Dans les formulaires de la Sécurité sociale, il faut renseigner cette rubrique : Rang de naissance, si jumeaux. J’ai découvert à cette occasion que je portais le chiffre 2…

Le n° 1 s’appelait Éric. Il y a sept ans, un 1er août, il est parti.

Disparu, il nous a quittés . Il m’a quitté, moi. Pour aller où ? Je ne crois pas qu’il soit « là-haut », même si on me l’a dit tellement souvent que j’avais fini par lever les yeux au ciel pour lui parler. Il n’est nulle part, depuis le temps, on ne peut même pas dire qu’il manque. C’est moi qui suis de trop. Je ne dis pas ça pour me rendre intéressant. Je le dis, parce que c’est pour ça que je suis seul. Pour ça que je vais mourir.

Je sais déjà quand : le 1er août, dans trois ans. La date est fixée depuis longtemps.

Ce ne sera pas un suicide, plutôt un règlement de comptes. Dix ans après lui, quand j’aurai vingt ans.

Je pense souvent à ce projet, mais je n’en ai jamais parlé à personne. Je sais que les gens vont me juger, je connais d’avance leurs arguments, alors je ne dis rien. Je sais bien que l’adolescence c’est un moment génial, tout s’offre à nous, blabla. Je veux bien. Mais moi, j’ai mal. Tout le temps mal… Ce n’est pas une tristesse pour rire. Chaque matin depuis sept ans, quand je me réveille, c’est comme les gens qui

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